IMM-5468-11
2012 CF 438
Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (demandeur)
c.
Luis Manuel Martinez-Brito (défendeur)
Répertorié : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Martinez-Brito
Cour fédérale, juge Noël—Montréal, 22 mars et 10 avril; Ottawa, 16 avril 2012.
Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Compétence de la Section d’appel de l’immigration — Contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) accueillant l’appel interjeté par le défendeur à l’égard du rejet de la demande de résidence permanente au Canada présentée par son fils aîné — La SAI a déterminé que le défendeur a établi que le fils aîné est son fils biologique; par conséquent, à titre d’enfant à charge, il appartient à la catégorie du regroupement familial au sens de l’art. 2 et de l’art. 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — Le défendeur, résident permanent du Canada, a parrainé les demandes de résidence permanente de ses deux fils — L’agent des visas chargé d’examiner les demandes de parrainage a demandé des analyses de l’ADN pour établir l’identité et la filiation des fils — Les résultats des analyses de l’ADN indiquent que le fils aîné n’est pas le fils biologique du défendeur; par conséquent, l’agent a conclu que le fils aîné ne répondait pas aux exigences de l’immigration — En appel de la décision de l’agent auprès de la SAI, le défendeur a invoqué des violations au principe de la justice naturelle alors que le demandeur a contesté la compétence de la SAI pour entendre l’appel — La SAI a statué que l’art. 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés lui conférait compétence quant à la question — Il s’agissait de savoir si la SAI avait compétence pour entendre l’appel du défendeur en vertu de la Loi — Lorsqu’une décision est prise de ne pas délivrer un visa de résident permanent à un étranger, l’art. 63(1) de la Loi accorde à la personne qui dépose la demande le droit d’interjeter appel auprès de la SAI si l’étranger appartient à la catégorie du regroupement familial — Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, le demandeur invoque avec succès un manquement au principe de la justice naturelle qui a eu une incidence sur la conclusion qu’un étranger n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial, il n’y a pas de doute que la SAI a compétence pour entendre un tel argument en vertu des art. 63(1) et 67(1), pour décider si cette situation a eu des répercussions sur l’issue de la décision visée par l’appel — En contestant l’obligation impérative de se soumettre à une analyse de l’ADN, le défendeur a soulevé une question de justice naturelle, qui pouvait être examinée en conformité avec l’art. 67(1)b) — Par conséquent, la SAI avait compétence pour déterminer le statut du fils aîné et pour entendre tout argument soulevé par le défendeur portant sur le principe de la justice naturelle — La question à savoir si la SAI a compétence pour instruire un appel, lorsque l’étranger qui a présenté une demande de résidence permanente n’est pas l’enfant biologique ou adoptif de son répondant, au sens des définitions d’« enfant à charge » et de « personne appartenant à la catégorie du regroupement familial » conformément au Règlement a été certifiée — Demande rejetée.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Preuve d’appartenance à la catégorie du regroupement familial — La Section d’appel de l’immigration (SAI) a conclu que la demande de l’agent des visas que le défendeur subisse des analyses de l’ADN constituait une violation à l’équité procédurale et, par conséquent, constituait une entorse à la justice naturelle — L’agent des visas chargé d’examiner les demandes de parrainage a demandé des analyses de l’ADN pour établir l’identité et la filiation des fils du défendeur — Les résultats des analyses de l’ADN indiquent que le fils aîné n’est pas le fils biologique du défendeur — Il s’agissait de savoir si la SAI a commis une erreur en concluant que l’agent des visas avait contrevenu aux principes de la justice naturelle lorsqu’il a demandé au défendeur de se soumettre à une analyse de l’ADN, en concluant que le fils aîné constituait le fils biologique du défendeur et, par conséquent, en considérant le fils aîné comme appartenant à la catégorie du regroupement familial en vertu du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — En rendant sa décision, la SAI s’est principalement fiée à la décision de la Cour fédérale dans M.A.O. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) — En l’espèce, l’agent des visas a estimé que l’analyse de l’ADN était le seul moyen possible pour confirmer la paternité du défendeur, en ne soulevant même pas la possibilité que d’autres types d’éléments de preuve pouvaient être fournis — Selon les guides opérationnels de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), l’analyse de l’ADN pour vérifier un lien de filiation constitue une solution de dernier recours, les agents peuvent aviser les demandeurs que les résultats positifs d’une analyse de l’ADN sont acceptables en remplacement de documents dans certaines circonstances — L’agent des visas en l’espèce ne semble pas avoir envisagé, ou proposé, de solution de rechange aux analyses de l’ADN, ne tenant absolument pas compte de la décision de la Cour fédérale ni même des guides opérationnels de la CIC — Ainsi, la SAI a rendu une décision correcte en concluant qu’il y avait eu manquement au principe de la justice naturelle — L’ordonnance d’exclusion de la preuve par l’ADN rendue par la SAI s’applique non seulement aux déclarations et aux arguments présentés dans le but d’obtenir cette exclusion, mais aussi à tout élément de preuve dont la cueillette n’est attribuable qu’à l’analyse de l’ADN — Compte tenu de la preuve du défendeur en ce qui concerne sa filiation avec le fils aîné, la décision de la SAI appartenait aux issues possibles acceptables.
Il s’agissait d’une demande visant le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) accueillant l’appel interjeté par le défendeur à l’égard du rejet de la demande de résidence permanente au Canada présentée par son fils aîné, Luilly. La SAI avait conclu que le défendeur avait établi, selon la prépondérance des probabilités, que Luilly était son fils biologique et que, par conséquent, à titre d’enfant à charge, il appartenait à la catégorie du regroupement familial au sens de l’article 2 et de l’alinéa 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Le défendeur est un citoyen de la République dominicaine et est résident permanent du Canada depuis 2005. En 2008, il a parrainé les demandes de résidence permanente présentées par ses deux fils, Luilly et Luilivin, qui étaient alors respectivement âgés de 13 et 11 ans. Il a été noté dans la demande de Luilly que, malgré que le défendeur eut inscrit ses deux fils dans sa propre demande d’immigration, la filiation n’avait toujours pas été établie et que, dans le cadre du traitement de la demande du défendeur, la possibilité de mener une analyse de l’ADN, dans l’éventualité où le défendeur devait parrainer ses enfants, n’avait pas été exclue par l’agent des visas. Il a également été noté que, bien que Luilly ait vu le jour en 1995, sa naissance n’a été déclarée qu’en 2001. Le défendeur a été informé plus tard que l’agent des visas chargé de l’examen de la demande de Luilly estimait que les éléments de preuve dont il disposait ne permettaient pas d’établir l’identité de ses deux « présumés enfants » et que les deux enfants devraient subir des analyses de l’ADN pour établir la filiation. Les résultats des analyses de l’ADN ont indiqué que, bien que Luilivin fut le fils biologique du défendeur, Luilly ne l’était pas. Luilly a été informé des résultats et du fait qu’il ne répondait pas aux exigences pour immigrer au Canada à titre d’enfant à charge, au sens du paragraphe 12(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et du paragraphe 117(1) du Règlement.
Le défendeur a interjeté appel de la décision de l’agent auprès de la SAI, invoquant des violations au principe de la justice naturelle et de la Charte canadienne des droits et libertés. Le demandeur a fait valoir, en particulier, que la SAI devait rejeter l’appel pour manque de compétence et parce qu’il n’y avait pas eu de violation au principe de la justice naturelle. Dans sa décision interlocutoire, la SAI a conclu que le paragraphe 63(1) de la Loi lui conférait compétence quant à la question et a statué que, en l’espèce, la demande faite au défendeur et à ses fils de se soumettre à des analyses de l’ADN afin d’établir la présence d’un lien biologique entre ceux-ci constituait une violation à l’équité procédurale et, par conséquent, une entorse à la justice naturelle. Il s’en est suivi que la preuve par l’ADN a été exclue du dossier de la preuve, que le refus de l’agent a été annulé et qu’il a été ordonné que l’appel soit entendu sur le fond.
Il s’agissait de savoir si la SAI avait compétence pour instruire l’appel interjeté par le défendeur en vertu de la Loi et si la SAI a commis une erreur en concluant que l’agent des visas a contrevenu aux principes de la justice naturelle lorsqu’il a demandé au défendeur de se soumettre à une analyse de l’ADN et en concluant que Luilly était le fils biologique du défendeur et, par conséquent, qu’il était un enfant à charge appartenant à la catégorie du regroupement familial au sens du Règlement.
Jugement : la demande doit être rejetée.
En cas de refus de délivrer le visa de résident permanent à l’étranger, le paragraphe 63(1) de la Loi confère un droit d’appel à la personne ayant déposé la demande selon les modalités prescrites. L’article 65 de la Loi indique clairement que le dernier des motifs pour lesquels on peut faire droit à un appel en vertu de l’alinéa 67(1)c), qui a trait aux motifs d’ordre humanitaire, ne peut être pris en considération par la SAI que lorsqu’il a été statué que l’étranger appartient à la catégorie du regroupement familial. L’article 65 n’empêche pas la SAI d’examiner les arguments relatifs à la question de savoir s’il y a eu manquement au principe de la justice naturelle (alinéa 67(1)b)), lorsque ces arguments ont une incidence directe sur la conclusion que l’étranger n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, le demandeur invoque avec succès un manquement au principe de la justice naturelle qui a eu une incidence sur la conclusion que les personnes parrainées n’appartiennent pas à la catégorie du regroupement familial, il n’y a pas de doute que la SAI a compétence pour entendre un tel argument en vertu des paragraphes 63(1) et 67(1) de la Loi, ainsi que pour décider si cette situation a eu des répercussions sur l’issue de la décision visée par l’appel. La SAI a reconnu cette possibilité dans une lettre où elle avait expliqué la manière dont l’appel interjeté par le défendeur serait traité. En contestant l’obligation impérative de se soumettre à une analyse de l’ADN, le défendeur a soulevé une question de justice naturelle, qui pouvait être examinée en conformité avec l’alinéa 67(1)b) de la Loi. Par conséquent, on n’a pas souscrit à l’allégation du demandeur selon laquelle la SAI a fait fi des dispositions relatives à « l’appartenance à la catégorie du regroupement familial » de la Loi et du Règlement et qu’elle s’est plutôt créé une compétence d’appel en tirant une conclusion quant à une question de justice naturelle. L’application du sens ordinaire du libellé sans équivoque des articles 63, 65 et 67 était raisonnable dans les présentes circonstances et il était loisible à la SAI d’examiner si l’agent des visas avait manqué à quelque principe de la justice naturelle et si ce manquement était directement lié à la conclusion que Luilly n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial.
La SAI a conclu qu’il y avait effectivement eu manquement au principe de la justice naturelle et a donc ordonné l’exclusion des résultats des analyses de l’ADN, ainsi que de tout autre élément de preuve découlant de ces analyses. Par conséquent, la question de savoir si Luilly appartenait à la catégorie du regroupement familial était non résolue et la SAI pouvait continuer le processus d’appel habituel. Selon le paragraphe 67(2) de la Loi, la SAI avait compétence pour entendre la preuve de chacune des parties, pour infirmer la décision initiale de l’agent ainsi que pour y substituer sa propre décision.
Une lecture de l’article 65 et du paragraphe 63(1) ne laisse aucun doute quant au fait que l’article 65 ne limite pas le droit d’appel prévu au paragraphe 63(1), mais plutôt les motifs qui peuvent être pris en compte en application de l’article 67. Si l’on fait abstraction des deux exceptions prévues aux paragraphes 64(1) et 64(2), la SAI aura toujours compétence au titre du paragraphe 63(1) pour instruire un appel d’une décision de ne pas délivrer un visa de résident permanent à un étranger. Cependant, lorsqu’une conclusion portant que l’étranger n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial a été tirée, la SAI a compétence pour entendre tout argument portant sur la question de savoir si une erreur de droit ou de fait, ou un manquement au principe de la justice naturelle, a eu des conséquences directes sur cette conclusion. En l’absence de tels arguments, l’appel ne peut se poursuivre, puisque l’étranger ne répondra plus à l’exigence prévue au paragraphe 13(1), sans égard aux autres questions soulevées dans l’appel. Par conséquent, la SAI avait compétence pour établir le statut de Luilly, et aussi pour entendre tout argument relatif au principe de la justice naturelle que le défendeur a soulevé à cet égard.
La SAI, pour conclure que l’agent avait contrevenu au principe de la justice naturelle lorsqu’il a demandé que le défendeur se soumette à une analyse de l’ADN, s’est principalement fiée à la décision de la Cour fédérale dans M.A.O. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), qui présentait plusieurs similarités avec la cause en l’espèce. La Cour avait entre autres conclu dans cette cause que la SAI avait commis une erreur de droit en interprétant l’ancienne Loi sur l’immigration comme enjoignant à l’agent des visas de demander au demandeur de fournir une preuve par l’ADN. Le fait que, dans cette décision, l’agent avait demandé au demandeur de fournir des analyses de l’ADN, d’une manière qui ne laissait pas le choix à ce dernier, revêtait une importance particulière. De manière remarquablement similaire, l’agent en question dans la présente affaire n’a également donné aucun choix au défendeur. Dans la présente cause, il est devenu apparent que l’agent a aussi estimé que l’analyse de l’ADN était le seul moyen possible pour confirmer la paternité du défendeur, en ne soulevant même pas la possibilité que d’autres types d’éléments de preuve pouvaient être fournis. En outre, les guides opérationnels de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) indiquent qu’une analyse de l’ADN pour vérifier le lien de filiation est une solution de dernier recours et que les agents peuvent aviser les demandeurs que les résultats positifs d’une analyse de l’ADN sont acceptables en remplacement de documents s’il subsiste des doutes au sujet de l’authenticité d’un lien de parenté après l’examen des preuves documentaires. En l’espèce, l’agent ne semble pas avoir envisagé, et encore moins proposé, de solution de rechange aux analyses de l’ADN. Il a plutôt demandé au défendeur et aux enfants de celui-ci, sans même procéder à une analyse de la preuve qui avait déjà été produite et en ne se fondant que sur le fait que le défendeur n’avait pas enregistré la naissance de son enfant avant 2001, de se soumettre à des analyses de l’ADN, à défaut de quoi il fermerait le dossier, et ce, sans donner au défendeur la possibilité de donner des explications au sujet de son omission d’enregistrer la naissance de son enfant ou de fournir d’autres éléments de preuve documentaire. Ce faisant, l’agent a complètement omis de tenir compte de l’avertissement de la Cour fédérale portant que l’analyse de l’ADN est un outil qui doit être utilisé de façon sélective et n’a pas tenu compte du guide opérationnel de la CIC, qui mentionne clairement que l’analyse de l’ADN constitue une solution de dernier recours. Ainsi, la SAI a rendu une décision correcte en concluant qu’il y avait eu manquement au principe de la justice naturelle. Quant à la décision de la SAI d’exclure la preuve par l’ADN, le demandeur n’a soulevé aucun argument relatif à la question de savoir si l’exclusion de la preuve par l’ADN était une mesure appropriée dans les circonstances de l’espèce et il n’y avait pas de raisons pour lesquelles on devrait remettre en question la décision de la SAI.
En ce qui concerne la conclusion de la SAI selon laquelle le défendeur a établi qu’il était le père biologique de Luilly, l’argument du demandeur voulant que cette décision était déraisonnable et qu’elle omettait de tenir compte du fait que le défendeur ait reconnu être le père biologique d’un seul de ses deux enfants a été rejeté. L’ordonnance d’exclusion de la preuve par l’ADN s’applique non seulement aux déclarations et aux arguments présentés dans le but d’obtenir cette exclusion, mais aussi à tout élément de preuve dont la cueillette n’est attribuable qu’à l’analyse de l’ADN. Le fait d’agir autrement aurait pour résultat de justifier le manquement au principe de la justice naturelle. Par conséquent, la question était de savoir, après l’exclusion de tout élément de preuve découlant directement des analyses de l’ADN, si le défendeur a pu établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était le père biologique de Luilly. Compte tenu des éléments de preuve dans la présente affaire, la décision de la SAI appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
Enfin, une question a été certifiée quant à savoir si, en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi, la SAI avait compétence pour instruire un appel, lorsque l’étranger qui a présenté une demande de résidence permanente n’est pas l’enfant biologique ou adoptif de son répondant, au sens des définitions d’« enfant à charge » et de « personne appartenant à la catégorie du regroupement familial » figurant à l’article 2 et à l’alinéa 117(1)b) du Règlement.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Código Civil de la República Dominicana [Code civil de la République dominicaine], art. 55.
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 77(3) (mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 134).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 12(1), 13(1), 63, 64(1), (3), 65, 67, 72(1).
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 2 « enfant à charge », 10(1), (6), 117(1) (mod. par DORS/2005-61, art. 3; 2010-195, art. 11), (9)d) (mod. par DORS/2004-167, art. 41)
Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES
M.A.O. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1406 Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601
DÉCISIONS EXAMINÉES
Azziz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 663; Mohamad-Jabir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CanLII 35720 (C.I.S.R.); Smith c. Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160; Bui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 144; Samra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16129 (C.F. 1re inst.); Bistayan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 139; Watson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CanLII 77633 (C.I.S.R.); Green c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CanLII 76332 (C.I.S.R.); Guerre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CanLII 66776 (C.I.S.R.); Chattat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8181 (C.F. 1re inst.); Chow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8197 (C.F. 1re inst.); Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; R. c. G. (B.), [1999] 2 R.C.S. 475.
DÉCISIONS CITÉES
Sapru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 35, [2012] 4 R.C.F. 3 Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1109; Landaeta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 219; Frank c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 270; John c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 85.
DOCTRINE CITÉE
Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP). Chapitre OP 1 : Procédures, en ligne : <http ://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/op/op01-fra.pdf>
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (2011 CanLII 60474 (C.I.S.R.)) accueillant l’appel interjeté par le défendeur à l’égard du rejet de la demande de résidence permanente au Canada présentée par son fils aîné, Luilly. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Daniel Latulippe et Anne-Renée Touchette pour le demandeur.
Debbie Mankovitz et Simon Gruda-Dolbec pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.
Julius H. Grey, Ad. E., B.A., M.A., B.C.L., Montréal, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Noël : Il s’agit d’une demande, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) [ou la LIPR], qui vise le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) datée du 19 juillet 2011. La SAI avait accueilli l’appel interjeté par le défendeur à l’égard du rejet de la demande de résidence permanente présentée par son fils, Luilly Martinez-Luna (Luilly). La SAI avait conclu que le défendeur avait établi, selon la prépondérance des probabilités, que Luilly était son fils biologique et que, à titre d’enfant à charge, il appartenait donc à la catégorie du regroupement familial au sens de l’article 2 et de l’alinéa 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).
I. Le contexte
[2] Le défendeur, Monsieur Luis Manuel Martinez-Brito, est un citoyen de la République dominicaine et est résident permanent du Canada depuis le 21 septembre 2005. En 2008, il avait parrainé les demandes de résidence permanente présentées par ses deux fils, Luilly et Luilivin, qui étaient alors respectivement âgés de 13 et 11 ans.
[3] L’agent chargé de l’examen de la demande de Luilly avait consigné au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) que, malgré que le défendeur eut inscrit ses deux fils dans sa propre demande d’immigration, la filiation n’avait toujours pas été établie et que l’agent qui avait traité la demande du défendeur n’avait pas exclu la possibilité de mener une analyse de l’ADN, dans l’éventualité où le défendeur devait parrainer ses enfants. Les notes indiquent aussi que, bien que Luilly ait vu jour en 1995, sa naissance n’a été déclarée qu’en 2001 (dossier d’instruction (DI), à la page 32).
[4] Le défendeur a été informé, dans une lettre datée du 16 novembre 2009, que l’agent, après avoir examiné les renseignements à l’appui fournis avec la demande, avait estimé que les éléments de preuve dont il disposait ne permettaient pas d’établir l’identité de ses deux « présumés enfants » (DI, à la page 67) :
[traduction] Une analyse de l’ADN permettra de vérifier le lien qui existe entre vous, Luilly et Luilivin. La décision de vous soumettre à cette analyse relève entièrement de vous de Luilly et de Luilivin. Si vous souhaitez aller de l’avant avec la présente demande, Luilly et Luilivin devront se soumettre à une analyse de l’ADN visant à établir leur filiation […] Si je ne reçois pas de nouvelles de vous, ou de Luilly et de Luilivin, dans les [deux] prochains mois, comme quoi vous allez vous soumettre à des analyses d’ADN, je tiendrai pour acquis que vous n’êtes plus intéressé par le parrainage et je fermerai le dossier.
Les résultats des analyses d’ADN, reçus le 11 mai 2010, indiquaient que, bien que Luilivin fut le fils biologique du défendeur, Luilly ne l’était pas (DI, à la page 36). Dans une lettre datée du 12 mai 2010, l’agent avait informé Luilly des résultats des analyses d’ADN et que, selon celles-ci, il ne répondait pas aux exigences pour immigrer au Canada à titre d’enfant à charge, au sens du paragraphe 12(1) de la Loi et du paragraphe 117(1) [mod. par DORS/2005-61, art. 3; 2010-195, art. 11] du Règlement (DI, aux pages 21 et 22).
[5] Le défendeur a interjeté appel de la décision de l’agent auprès de la SAI le 4 juin 2010. Le défendeur a produit des observations écrites et des affidavits à l’appui, dans lesquels il affirmait que le principe de la justice naturelle et la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] avaient été violés (DI, à la page 223). Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) prétendait de son côté que la SAI devait rejeter l’appel pour manque de compétence ou, subsidiairement, parce qu’il n’y avait pas eu de violation au principe de la justice naturelle et à la Charte (DI, à la page 147).
II. La décision contestée
[6] Dans sa décision interlocutoire rendue le 11 avril 2011 [Martinez-Brito c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CanLII 60474], la SAI a conclu que le paragraphe 63(1) de la Loi lui conférait compétence quant à la question et a statué que, en l’espèce, la demande faite au défendeur et à ses fils de se soumettre à des analyses d’ADN visant à établir la présence d’un lien biologique entre ceux-ci constituait une violation à l’équité procédurale et, par conséquent, constituait une entorse à la justice naturelle. Il s’en est suivi que la preuve par l’ADN a été exclue du dossier de la preuve, que le refus de l’agent a été annulé et qu’il a été ordonné que l’appel soit entendu sur le fond, et que le défendeur soit autorisé à produire tout nouvel élément de preuve permettant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que Luilly était son fils biologique (DI, à la page 103).
[7] Il est à propos de souligner que les parties ont convenu, dans l’éventualité où la SAI devait conclure que Luilly n’était pas un « enfant à charge » au sens de l’article 2 et du paragraphe 117(1)b) du Règlement, que la question constitutionnelle contestant la validité de ces dispositions serait instruite par la SAI sur la foi des observations écrites déjà présentées.
[8] Une audience, qui visait à déterminer le lien entre Luilly et le défendeur, a été tenue le 29 juin 2011. Dans ses motifs datés du 19 juillet 2011, la SAI s’est tout d’abord penché sur l’argument du ministre selon lequel elle n’avait pas compétence pour instruire l’appel et que le dossier aurait dû être renvoyé au bureau des visas. La SAI a conclu que, en vertu de l’article 67 de la Loi, elle pouvait substituer sa décision à celle initialement rendue par l’agent, sans devoir renvoyer l’affaire au bureau des visas. En ce qui avait trait au lien biologique entre Luilly et son père présumé, la SAI a conclu que le défendeur avait établi, selon la prépondérance des probabilités, que Luilly était son fils biologique et que ce dernier appartenait donc à la catégorie du regroupement familial, au sens de l’article 2 et de l’alinéa 117(1)b) du Règlement.
[9] La SAI, lorsqu’elle a traité la preuve dont elle était saisie, a souligné que tous les témoignages et éléments de preuve produits établissaient que le défendeur continuait de traiter Luilly comme son propre fils et que, bien qu’il n’y eût pas de preuve documentaire étayant le témoignage du défendeur voulant qu’il continue à fournir un soutien financier à Luilly, la SAI n’avait pas de motifs de douter de son témoignage. En ce qui concerne l’acte de naissance de Luilly, qui indique que le défendeur est son père, la SAI a souscrit à la prétention du ministre voulant que l’agent était justifié de continuer à faire enquête afin de dissiper ses doutes au sujet de la paternité du défendeur, et ce, conformément à ce qu’a affirmé la Cour dans la décision Azziz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 663 (Azziz), au paragraphe 68. Cependant, la SAI a établi une distinction entre la présente affaire et la décision Azziz, au motif qu’il y avait des raisons de douter de la véracité des renseignements figurant sur l’acte de naissance dont il était question dans cette affaire : l’âge avancé de la mère, la décision de cette dernière de donner naissance chez une sage-femme plutôt qu’à l’hôpital, et le fait que l’unique preuve de la naissance présumée était un certificat émanant de la sage-femme (motifs de la SAI, au paragraphe 15).
[10] En l’espèce, la SAI a relevé que la paternité du défendeur n’avait pas été mise en doute par le tribunal pour enfants, par le travailleur social qui a effectué une évaluation avant le jugement relatif à la garde ou par le juge qui a approuvé l’entente de garde conclue entre le défendeur et la mère de l’enfant. Selon la SAI, le seul facteur qui aurait pu amener l’agent à mettre en doute la paternité du défendeur est le retard accusé dans l’enregistrement de la naissance de ses fils. La SAI souligne toutefois que les enregistrements ont eu lieu avant que le défendeur rencontre son épouse actuelle, de sorte que la perspective de parrainer ses enfants n’avait rien à voir avec l’enregistrement tardif.
[11] En fait, le défendeur a affirmé dans son témoignage que, vu qu’il n’avait pas enregistré ses enfants au moment de leur naissance, il aurait dû payer une amende, et qu’il a donc attendu. Son ancienne belle-sœur, qui a travaillé pendant 20 ans à l’hôpital où Luilly est né, a aussi confirmé dans son témoignage que le défendeur ne pouvait pas procéder à l’enregistrement de la naissance de ses garçons à l’hôpital. Bien que la SAI ait souligné que le témoignage livré par le défendeur différait quelque peu de ce qu’il avait déclaré dans l’affidavit qu’il avait souscrit le 26 janvier 2011 (dans lequel il avait déclaré que le retard de l’enregistrement était attribuable au coût prohibitif de celui-ci), elle a jugé que les différences en question n’étaient pas assez importantes pour mettre en doute sa crédibilité.
[12] Tout en souscrivant à la thèse du ministre selon laquelle il est très difficile d’essayer d’établir, de manière fictive, une filiation biologique en se fondant uniquement sur des témoignages et des documents, la SAI a mentionné qu’il s’agissait clairement de la situation qui avait été envisagée par la Cour fédérale « lorsqu’elle a statué que, en raison de leur nature intrusive, les analyses de l’ADN devraient être généralement restreintes [traduction] “aux cas relativement rares où il n’existe pas d’autres solutions viables à ces tests”, et que la preuve de nature génétique obtenue de manière inappropriée pouvait être exclue » (motifs de la SAI, au paragraphe 19). Il faut préciser que la SAI a attribué par erreur la citation susmentionnée à la Cour fédérale, alors qu’elle semble plutôt tirée de la décision Mohamad-Jabir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CanLII 35720 (Jabir), au paragraphe 33, qui a été rendue par la SAI. Cependant, la SAI a aussi renvoyé aux paragraphes 84 et 91 de la décision M.A.O. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1406 (<I>M.A.O.</I>), rendue par la Cour fédérale, qui s’accorde avec l’énoncé susmentionné de la SAI :
Je partage l’avis du demandeur que la preuve par test d’empreintes génétiques n’est « pas de la même nature » que d’autres formes de preuve. Le test d’empreintes génétiques constituant une violation de la vie privée, c’est un outil qui doit être utilisé de façon sélective et avec beaucoup de précautions. L’agent des visas a agi comme si c’était la seule preuve admissible que le demandeur pouvait utiliser pour établir la filiation en vertu de l’ancienne Loi, plutôt que de l’envisager comme une façon parmi d’autres par laquelle le demandeur pouvait établir le lien familial avec ses enfants. L’agent des visas a ainsi entravé son pouvoir discrétionnaire.
[…]
Selon moi, c’est par suite d’une erreur de l’agent des visas, qui a utilisé une interprétation trop étroite de son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’ancienne Loi, qu’on a obtenu la preuve par test d’empreintes génétiques. De plus, c’est à cause de cette preuve que la SAI est arrivée à la conclusion que tous les autres éléments de preuve étaient « non pertinents ». Afin d’apporter remède aux conséquences inéquitables qui ont résulté pour le demandeur de l’obtention inappropriée de cette preuve, mes instructions sont que la SAI ne peut tenir aucun compte de la preuve par test d’empreintes génétiques dans son nouvel examen du dossier. Le demandeur avait demandé des instructions portant que la preuve par test d’empreintes génétiques ne soit qu’un des éléments dans la décision de la SAI. Selon moi, si la SAI doit évaluer cette demande de façon équitable, cette preuve doit être totalement exclue.
[13] En dernier lieu, lorsque la SAI a répondu à l’argument du ministre voulant que le législateur a choisi de favoriser la filiation biologique plutôt que la filiation juridique, elle a fait remarquer que, bien que les documents établissant la filiation juridique soient insuffisants à eux seuls pour que l’on conclue à l’existence de la filiation biologique, et que le témoignage quant à la relation existant entre le défendeur et Luilly n’établirait que l’existence d’une relation factuelle parent-enfant, la combinaison de ces deux éléments de preuve dans la présente affaire l’a amené à conclure que le défendeur avait établi, selon la prépondérance des probabilités, que Luilly était son fils biologique.
III. Les points de vue des parties
[14] Le ministre soulève trois questions devant la Cour. Premièrement, il prétend que la SAI n’a pas compétence pour instruire un appel d’une décision, rendue par un agent des visas, de ne pas délivrer un visa de résident permanent à un étranger parrainé lorsque ce dernier n’est pas l’enfant biologique ou adoptif du répondant. Deuxièmement, il prétend que la conclusion de la SAI voulant que Luilly soit l’enfant biologique du défendeur est totalement incompatible avec la preuve. En dernier lieu, il prétend que la décision de l’agent d’ordonner la tenue d’une analyse de l’ADN ne contrevenait pas aux principes de la justice naturelle. Le défendeur est bien entendu en désaccord avec chacune de ces prétentions et souscrit plutôt à la décision de la SAI. Le défendeur mentionne aussi que, si la Cour devait infirmer la décision de la SAI, la question constitutionnelle serait alors toujours en litige et devrait être renvoyée à la SAI ou être tranchée par la Cour.
IV. Les questions en litige
1. La SAI avait-elle compétence pour instruire l’appel interjeté par le défendeur en vertu de la Loi?
2. La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que l’agent des visas avait contrevenu aux principes de la justice naturelle lorsqu’il a demandé au défendeur de se soumettre à une analyse de l’ADN?
3. La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que Luilly est le fils biologique du défendeur et, par conséquent, qu’il est donc un enfant à charge appartenant à la catégorie du regroupement familial au sens du Règlement?
V. La norme de contrôle applicable
[15] Les parties conviennent que la deuxième question en litige — celle de savoir si l’agent a contrevenu aux principes de la justice naturelle en ordonnant la tenue d’une analyse de l’ADN — doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Sapru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 35, [2012] 4 R.C.F. 3 aux paragraphes 25 à 27). Lorsqu’elle applique cette norme, la Cour ne manifeste aucune déférence à l’égard de la SAI et effectue plutôt sa propre analyse afin de déterminer la bonne réponse (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 50).
[16] Les parties conviennent également que la conclusion de la SAI quant à la question de savoir si Luilly est le fils biologique du défendeur est une conclusion de fait, qui doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 53). Cette norme exige que la Cour établisse si la conclusion de la SAI appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47); si l’issue cadre bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la Cour ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59).
[17] Les parties ne s’entendent toutefois pas quant à la question de la norme de contrôle applicable à la conclusion de la SAI selon laquelle elle avait compétence pour instruire l’appel. Le ministre soutient qu’il s’agit d’une question de droit, laquelle est contrôlée par la norme de la décision correcte, et il se fonde sur l’arrêt Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160 (Alliance Pipeline), au paragraphe 37, où le juge Fish a affirmé que l’interprétation qu’un tribunal administratif fait de sa loi constitutive entraîne en principe l’application de la norme de la décision raisonnable, mais que ce n’est pas le cas lorsque la question en litige soulevée a pour but de délimiter la compétence du tribunal concerné par rapport à un autre tribunal spécialisé. Le défendeur prétend que la question en l’espèce n’est pas de savoir quel tribunal aurait dû instruire l’appel, mais plutôt de savoir si cet appel aurait dû être instruit. La question dont la SAI était saisie exigeait qu’elle se livre à l’interprétation de sa compétence telle que prévue dans la Loi et, comme l’a reconnu la Cour suprême dans les arrêts Alliance Pipeline et Dunsmuir, l’interprétation qu’un tribunal fait de sa loi constitutive doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 54).
[18] Compte tenu du fait que la compétence de la SAI pour instruire l’appel peut être établie au moyen de l’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi et que cette compétence ne ferait pas obstacle à la compétence d’un autre tribunal spécialisé, la Cour conclut que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Comme il a déjà été mentionné, la Cour interviendra seulement si elle conclut que la décision de la SAI n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).
VI. Analyse
A. La SAI avait-elle compétence pour instruire l’appel interjeté par le défendeur en vertu de la Loi?
[19] En procédant à l’examen des dispositions pertinentes de la Loi, la Cour avait à l’esprit les remarques formulées par la juge en chef McLachlin et le juge Major dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 (Trustco Canada), au paragraphe 10, concernant l’interprétation des lois :
Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux. [Non souligné dans l’original.]
[20] Dans sa décision interlocutoire datée du 11 avril 2011, la SAI a conclu qu’elle avait compétence pour instruire l’appel, « [é]tant donné que la présente procédure est un appel interjeté en vertu du paragraphe 63(1) de la [Loi] contre la décision de ne pas délivrer un visa de résident permanent [à Luilly] à titre de membre de la catégorie du regroupement familial » (DI, à la page 103; motifs interlocutoires de la SAI, au paragraphe 10). Voici le libellé du paragraphe de la Loi auquel renvoie la SAI :
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent. [Non souligné dans l’original.] |
Droit d’appel : visa |
[21] Qui plus est, le paragraphe 10(6) du Règlement précise que pour qu’une demande soit déposée « conformément au règlement », le dépôt doit être conforme aux dispositions du paragraphe 10(1) :
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227
10. (1) Sous réserve des alinéas 28b) à d) et 139(1)b), toute demande au titre du présent règlement : a) est faite par écrit sur le formulaire fourni par le ministère, le cas échéant; b) est signée par le demandeur; c) comporte les renseignements et documents exigés par le présent règlement et est accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la Loi; d) est accompagnée d’un récépissé de paiement des droits applicables prévus par le présent règlement; e) dans le cas où le demandeur est accompagné d’un époux ou d’un conjoint de fait, indique celui d’entre eux qui agit à titre de demandeur principal et celui qui agit à titre d’époux ou de conjoint de fait accompagnant le demandeur principal. |
Forme et contenu de la demande |
Le ministre n’a soulevé aucun motif permettant de conclure que la demande du défendeur ne répondait pas à ces critères.
[22] Le ministre est cependant d’avis que la SAI n’a pas compétence pour instruire un appel interjeté en vertu du paragraphe 63(1) dans le cas où l’étranger parrainé n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial. L’alinéa 117(1)b) du Règlement prévoit qu’un étranger appartient à la catégorie du regroupement familial s’il est un enfant à charge du répondant, alors que l’article 2 du Règlement définit un « enfant à charge » comme étant soit l’enfant biologique ou l’enfant adoptif du parent. Ainsi, dans la présente affaire, le ministre prétend que la SAI a commis une erreur de droit en instruisant l’appel, parce que Luilly n’était pas le fils biologique ou le fils adoptif du défendeur, et qu’il n’appartenait donc pas à la catégorie du regroupement familial.
[23] Pour étayer son interprétation, le ministre se fonde sur trois décisions de la Cour fédérale (Bui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 144 (Bui); Samra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16129 (C.F. 1re inst.) (Samra); Bistayan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 139 (Bistayan)), ainsi que sur trois décisions dans lesquelles la SAI aurait adopté un raisonnement similaire à celui du ministre (Watson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CanLII 77633 (Watson); Green c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CanLII 76332 (Green) et Guerre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CanLII 66776 (Guerre)).
[24] À titre d’exemple, le ministre renvoie à la décision Samra, précitée, pour prétendre que, [traduction] « [l]orsqu’une personne est reconnue ne pas appartenir à la catégorie du regroupement familial, la SAI n’a pas compétence pour instruire un appel et doit le rejeter » (mémoire supplémentaire du demandeur (MSD), aux paragraphes 40 et 41), et se fonde sur la décision Bui, précitée, pour prétendre que [traduction] « la SAI ne peut entendre d’appels lorsqu’elle conclut qu’une personne “n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial”, selon les dispositions de la loi et des règlements » (non souligné dans l’original) (MSD, au paragraphe 40). Toutefois, par cette deuxième prétention, le ministre concède que c’est la SAI qui doit établir si l’étranger appartient à la catégorie du regroupement familial — celle-ci ne peut pas tout simplement se fonder sur la conclusion tirée par l’agent des visas. Dans les faits, cette distinction révèle la principale lacune dans l’argument du ministre voulant que la SAI n’a pas compétence pour instruire l’appel interjeté par le défendeur. La Cour tentera maintenant de dissiper toute confusion qui pourrait exister quant à l’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi et de la jurisprudence à laquelle renvoie le ministre.
[25] Premièrement, comme il a déjà été mentionné, en cas de refus de délivrer le visa de résident permanent à l’étranger, le paragraphe 63(1) de la Loi confère un droit d’appel à la personne ayant déposé la demande selon les modalités prescrites, qui sont exposées au paragraphe 10(1) du Règlement.
[26] Deuxièmement, le paragraphe 67(1) de la LIPR prévoit que la SAI fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé, a) la décision est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait, b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle, ou c) des motifs d’ordre humanitaires (CH) justifient, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales :
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé : a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait; b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle; c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.- |
Fondement de l’appel |
[27] Troisièmement, l’article 65 de la Loi indique clairement que le dernier des motifs (motifs CH) pour lesquels on peut faire droit à un appel, à savoir le motif prévu à l’alinéa 67(1)c), ne peut être pris en considération par la SAI que lorsqu’il a été statué que l’étranger appartient à la catégorie du regroupement familial :
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire. [Non souligné dans l’original.] |
Motifs d’ordre humanitaires |
L’article 65 mentionne clairement que, lorsque la SAI examine un appel interjeté quant à une décision portant que l’étranger n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial, comme c’était le cas en l’espèce, elle doit d’abord déterminer le statut de l’étranger avant de prendre en considération les motifs CH conformément à l’alinéa 67(1)c).
[28] Cela dit, l’article 65 n’empêche pas la SAI d’examiner les autres arguments fondés sur une erreur de droit, une erreur de fait ou une erreur de droit et de fait (alinéa 67(1)a) de la Loi) ou les arguments relatifs à la question de savoir s’il y a eu manquement au principe de la justice naturelle (alinéa 67(1)b)), lorsque ces arguments ont une incidence directe sur la conclusion que l’étranger n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial. Le but de cette exigence est fort simple : si l’erreur de droit, l’erreur de fait ou le manquement à la justice naturelle n’a aucune incidence sur la conclusion que l’étranger n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial, l’appel sera évidemment rejeté, car un étranger n’appartenant pas à la catégorie du regroupement familial ne peut être parrainé, en vertu du paragraphe 13(1) de la Loi, en vue d’obtenir la résidence permanente. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, le demandeur invoque avec succès un manquement au principe de la justice naturelle qui a eu une incidence sur la conclusion que les personnes parrainées n’appartiennent pas à la catégorie du regroupement familial, il n’y a pas de doute que la SAI a compétence pour entendre un tel argument en vertu des paragraphes 63(1) et 67(1), ainsi que pour décider si cette situation a des répercussions sur l’issue de la décision visée par l’appel.
[29] La SAI a reconnu cette possibilité dans sa lettre datée du 30 décembre 2010, où elle avait expliqué la manière selon laquelle l’appel interjeté par le défendeur serait traité (DI, à la page 181) :
[traduction] Si le commissaire de la SAI conclut que l’étranger parrainé n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial, il peut rejeter l’appel parce que la décision de refuser de délivrer un visa de résident serait valide […] Si le commissaire ne rejette pas l’appel, les parties seront avisées par écrit et la SAI ira de l’avant avec le processus régulier d’examen de l’appel. [Non souligné dans l’original.]
[30] En contestant l’obligation impérative de se soumettre à une analyse de l’ADN, le défendeur a soulevé une question de justice naturelle, qui pouvait être examinée en conformité avec l’alinéa 67(1)b). Par conséquent, la Cour ne souscrit pas à l’allégation du ministre selon laquelle la SAI avait fait fi des dispositions relatives à [traduction] « l’appartenance à la catégorie du regroupement familial » de la Loi et du Règlement et qu’elle s’était plutôt créé une compétence d’appel en tirant une conclusion quant à une question de justice naturelle. Compte tenu des principes généraux en matière d’interprétation des lois, réitérés dans l’arrêt Trustco Canada, et afin d’interpréter les dispositions de la Loi comme formant un tout harmonieux, la Cour conclut que l’application du sens ordinaire du libellé précis et sans équivoque des articles 63, 65 et 67 est raisonnable dans les présentes circonstances et conclut qu’il est loisible à la SAI d’examiner si l’agent des visas a manqué à quelque principe de la justice naturelle et si ce manquement était directement lié à la conclusion que Luilly n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial.
[31] Après avoir entendu les deux parties quant à cette question, la SAI a conclu qu’il y avait effectivement eu manquement au principe de la justice naturelle et a donc ordonné l’exclusion des résultats des analyses d’ADN, ainsi que de tout autre élément de preuve découlant de ces analyses. Par conséquent, la question de savoir si Luilly appartenait à la catégorie du regroupement familial était non résolue et la SAI pouvait continuer le processus d’appel habituel. Selon le paragraphe 67(2) de la Loi, la SAI avait compétence pour entendre la preuve de chacune des parties, pour infirmer la décision initiale de l’agent ainsi que pour y substituer sa propre décision. Toutefois, si la SAI avait plutôt conclu que la conduite d’une analyse de l’ADN ne constituait pas un manquement au principe de la justice naturelle ou que cette analyse n’avait eu aucune incidence sur la conclusion que Luilly n’était pas le fils biologique du défendeur, elle aurait pu conclure que, selon la preuve par l’ADN, Luilly n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial et qu’il n’était pas, par conséquent, admissible au parrainage en vertu du paragraphe 13(1) de la Loi.
[32] Le ministre a interprété l’article 65 de la Loi comme ayant des répercussions sur la compétence de la SAI pour instruire l’appel visé au paragraphe 63(1). Une lecture des deux dispositions ne laisse aucun doute quant au fait que l’article 65 ne limite pas le droit d’appel prévu au paragraphe 63(1), mais plutôt les motifs qui peuvent être pris en compte en application de l’article 67. Si l’on fait abstraction des deux exceptions prévues aux paragraphes 64(1) et 64(2) (soit, les cas où l’étranger ou le répondant est réputé être interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ou les cas où l’étranger en question est réputé interdit de territoire pour fausses déclarations et n’est pas l’époux ou le conjoint de fait du répondant ou son enfant), la SAI aura toujours compétence au titre du paragraphe 63(1) pour instruire un appel d’une décision de ne pas délivrer un visa de résident permanent à un étranger. Cependant, lorsqu’une conclusion portant que l’étranger n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial a été tirée, la SAI a compétence pour entendre tout argument portant sur la question de savoir si une erreur de droit ou de fait, ou un manquement au principe de la justice naturelle, avait eu des conséquences directes sur cette conclusion. En l’absence de tels arguments, l’appel ne peut se poursuivre, puisque l’étranger ne répondra plus à l’exigence prévue au paragraphe 13(1), sans égard aux autres questions soulevées dans l’appel. Les décisions suivantes de la Cour et de la SAI, invoqées par le ministre, étayent l’interprétation de la Loi exposée ci-dessus.
[33] Le ministre a cité le paragraphe 32 de la décision Bui, précitée, qui est ainsi rédigé :
Lorsque le tribunal conclut qu’un époux n’est pas un « parent » au sens de la Loi, c’est à bon droit qu’il refuse d’entreprendre une considération du deuxième volet du paragraphe 77(3). En effet, le tribunal peut seulement statuer en équité lorsque le refus est d’ordre non juridictionnel, par exemple pour des raisons d’ordre médical. Toutefois, lorsque le refus est d’ordre juridictionnel il doit rejeter l’appel pour défaut de compétence et n’est donc pas compétent pour octroyer une mesure spéciale en équité. [Non souligné dans l’original.]
À titre de clarification, la deuxième partie du paragraphe 77(3) [mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 134] de l’ancienne Loi sur l’Immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], auquel on renvoie ci-dessus, prévoit qu’un répondant peut en appeler devant la SAI en invoquant qu’il existe des motifs CH justifiant l’octroi d’une mesure spéciale. Par conséquent, le juge Lemieux a statué, dans la décision Bui, que la SAI, avant d’entreprendre un examen des motifs CH, devait établir si l’époux parrainé s’était marié de bonne foi, ce qui confirmait son appartenance à la catégorie du regroupement familial. La décision rendue dans Bui correspond donc précisément au régime établi par l’article 65 de la Loi : lorsque la SAI examine un appel fondé sur le paragraphe 63(1) de la Loi, elle doit d’abord confirmer que l’étranger est un membre de la famille, avant de pouvoir se pencher sur les motifs CH.
[34] Il faut également mentionner que le juge Lemieux a confirmé dans la décision Bui que l’audience devant la SAI concernant la question de savoir si le mariage avait été contracté de bonne foi était un appel de novo, que la SAI n’avait pas l’obligation de simplement examiner la décision de l’agent et que le demandeur pouvait présenter de nouveaux éléments de preuve à la SAI (Bui, précitée, aux paragraphes 19, 24 et 27). La même procédure a été appliquée en l’espèce, et ce, à juste titre, alors que la SAI a accepté d’entendre les arguments des deux parties et que, après avoir retenu l’argument relatif au principe de la justice naturelle, elle a examiné à nouveau la question du lien entre Luilly et le défendeur et a permis aux deux parties de présenter des observations.
[35] Le ministre a également renvoyé au paragraphe 11 de la décision Samra, précitée, lequel est ainsi rédigé :
Une fois tranchée la question de la qualité de parent, il convient d’examiner la question de la compétence de la Section d’appel de l’immigration. La section d’appel ne peut entendre des appels concernant des parents que lorsque la section a jugé que le demandeur est visé par la définition; lorsque la section estime que le demandeur n’est pas visé par cette définition, elle n’a pas le pouvoir de se prononcer sur la demande d’établissement. C’est ce que démontrent les décisions prononcées par le juge Blais dans Chattat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (26 mai 1999, IMM-5220-98) et par le juge Reed dans Chow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (29 juillet 1998, IMM-5200-97).
Dans la décision Samra, l’agent d’immigration et la Section d’appel avaient rejeté les demandes de résidence permanente au motif que les demandeurs n’avaient pas été adoptés conformément au Règlement sur l’immigration de 1978 [DORS/78-172] et au droit indien. Comme le souligne à juste titre le défendeur, le juge Muldoon avait conclu dans cette décision que la SAI n’avait pas compétence pour se prononcer quant à une demande d’établissement lorsque la SAI elle-même (et non pas un décideur s’étant antérieurement penché sur l’affaire) a conclu que l’étranger n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial. Dans ses motifs, le juge Muldoon avait clairement énoncé que la SAI avait rejeté les demandes de résidence permanente seulement après qu’elle eut conclu que les demandeurs n’appartenaient pas à la catégorie du regroupement familial (Samra, précitée, au paragraphe 2). Rien dans ces motifs n’indique que les parties avaient soulevé des arguments relatifs à des erreurs de fait ou de droit, ou à des manquements au principe de la justice naturelle directement liés à la conclusion de non-appartenance à la catégorie du regroupement familial.
[36] Des conclusions similaires avaient été tirées dans les deux décisions auxquelles le juge Muldoon avait renvoyées. Dans la décision Chattat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8181 (C.F. 1re inst.), le juge Blais [maintenant juge en chef] a confirmé que la Section d’appel avait examiné la preuve dont elle était saisie et qu’elle avait conclu que la relation existant entre le requérant et l’appelante n’en était pas une d’épouse-époux. Ce n’est qu’à ce moment que la Section d’appel a décidé qu’elle n’avait pas compétence pour aller plus loin. Par ailleurs, dans la décision Chow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8197 (C.F 1re inst.) (Chow), l’appelante avait interjeté appel à la SAI à la suite du rejet de la demande d’établissement de son frère. Cependant, selon les dispositions du Règlement sur l’immigration, les frères et sœurs n’étaient pas inclus dans la définition de membres de la famille. Donc, la demande ne pouvait pas être accueillie à première vue, car il n’était pas contesté que l’étranger parrainé dans la demande ne répondait pas à la définition de membre de la famille prévue au Règlement sur l’immigration de 1978.
[37] Dans la même veine, les trois décisions de la SAI auxquelles renvoie le ministre confirment ce raisonnement. Premièrement, dans les décisions Watson et Green, la SAI n’a pas remis en question sa compétence pour décider si les appelants appartenaient à la catégorie du regroupement familial. Par contre, dans la décision Guerre, une décision d’une page dans le cadre de laquelle l’appelant n’avait même pas répondu à l’argument du ministre quant à la compétence, l’appelant avait tenté de parrainer directement un cousin, sauf que ceux-ci ne sont pas visés par la définition de personne appartenant à la catégorie du regroupement familial. Donc, tout comme dans la décision Chow, précitée, il ne faisait aucun doute, et ce, dès le départ, que l’étranger n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial et aucun argument alléguant une erreur de fait ou de droit, ou un manquement au principe de la justice naturelle, n’a été soulevé à cet égard.
[38] En dernier lieu, le ministre tente, en renvoyant à la décision rendue par la Cour dans Bistayan, précitée, de dresser un parallèle avec l’alinéa 117(9)d) [mod. par DORS/2004-167, art. 41] du Règlement. Cette disposition prévoit qu’un étranger ne sera pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet et que, à l’époque où cette demande a été faite, l’étranger était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle (une exception est prévue dans les cas où un agent a décidé qu’il n’était pas nécessaire qu’il y ait contrôle à l’égard de l’étranger).
[39] Le ministre prétend que la Cour fédérale a conclu, de façon constante, que la SAI n’avait pas compétence pour instruire des appels lorsque l’application de l’alinéa 117(9)d) était soulevée, mais, comme l’a mentionné à juste titre le juge Shore dans la décision Bistayan, d’abord, « la SAI devait déterminer si Mme Bistayan était une personne décrite à l’alinéa 117(9)d) du Règlement avant de décider si elle avait la compétence pour statuer ou non » (Bistayan, précitée, au paragraphe 26). La SAI devait donc établir si l’étranger était visé par l’alinéa 117(9)d) et l’appelante avait le droit de présenter des observations quant à cette question. En fait, le juge Shore souligne que la SAI n’a pas rejeté l’appel interjeté par l’appelante pour défaut de compétence, mais plutôt parce qu’elle avait examiné l’appel et qu’elle avait conclu que le fils de l’appelante était visé par l’alinéa 117(9)d) et qu’elle n’avait pas compétence pour examiner les motifs CH, conformément à l’article 65 de la Loi (Bistayan, précitée, aux paragraphes 31 à 33). Une fois de plus, il s’agit exactement de l’interprétation donnée dans les présents motifs au paragraphe 63(1) et à l’article 65 de la Loi.
[40] Ayant conclu que la SAI avait compétence pour établir le statut de Luilly, et aussi pour entendre tout argument relatif au principe de la justice naturelle que le défendeur a soulevé à cet égard, il convient aussi de répéter l’avertissement qu’a formulé le défendeur lorsqu’il s’est penché sur la validité de l’argument du ministre selon lequel la SAI ne devrait pas avoir compétence pour examiner l’appel interjeté par le défendeur (mémoire supplémentaire du défendeur, aux paragraphes 20 à 25) :
[traduction] De plus, la [SAI] ne pourrait pas condamner un manquement au principe de la justice naturelle, dès qu’une preuve obtenue à la suite d’une telle violation a eu un effet important sur l’appartenance d’un demandeur à la catégorie du regroupement familial;
Il semble peu probable que le législateur ait voulu récompenser les manquements au principe de la justice naturelle, en protégeant les agents d’un appel dès qu’une preuve obtenue illégalement est introduite;
Cela est particulièrement vrai, car à [l’article] 67 de la Loi, il a clairement conféré à la [SAI] compétence pour statuer en matière de manquements au principe de la justice naturelle;
Le raisonnement du demandeur a pour résultat de dépouiller l’article 67 de tout sens;
Si l’on devait adopter ce raisonnement, la SAI n’aurait compétence quant à une question relative au principe de la justice naturelle que dans les cas où une telle violation n’a aucune incidence sur le dossier;
Un appel interjeté quant à une question de justice naturelle deviendrait alors un recours illusoire; […]
La Cour souscrit aux préoccupations du défendeur quant au fait que, dans l’éventualité où la SAI n’aurait pas compétence pour examiner la présente affaire, un appelant se trouvant dans une situation identique pourrait bel et bien ne disposer d’aucun recours, et ce, malgré un manquement apparent au principe de la justice naturelle qui peut avoir des répercussions sur la décision qui sera rendue quant à son statut. Le défendeur fait valoir qu’un tel résultat irait manifestement en contradiction avec la conclusion de la Cour suprême selon laquelle : « à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne » (Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653).
[41] En dernier lieu, il est utile de mentionner que la Cour a jugé, dans des affaires similaires où des répondants avaient immédiatement déposé une demande de contrôle judiciaire, que ces derniers n’avaient pas épuisé leur droit d’interjeter appel à la SAI (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1109, au paragraphe 20, et Landaeta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 219, au paragraphe 24).
B. La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que l’agent des visas avait contrevenu au principe de la justice naturelle lorsqu’il a demandé au défendeur de se soumettre à une analyse de l’ADN?
[42] La SAI, pour conclure que l’agent avait contrevenu au principe de la justice naturelle, s’est principalement fiée à la décision M.A.O., précitée, rendue par la Cour, dans laquelle la juge Heneghan avait examiné une affaire qui présentait plusieurs similarités avec celle dont la Cour est présentement saisie. La juge Heneghan avait, entre autres, conclu que la SAI avait commis une erreur de droit en interprétant l’ancienne loi comme enjoignant à l’agent des visas de demander au demandeur de fournir une preuve par l’ADN ainsi qu’en ne se demandant pas si l’agent des visas avait commis une erreur en demandant au demandeur de fournir une preuve par l’ADN (M.A.O., précitée, au paragraphe 78).
[43] Le fait que, dans cette affaire, l’agent avait demandé au demandeur de fournir des analyses d’ADN, d’une manière qui ne laissait pas le choix à ce dernier, revêtait une importance particulière pour la juge Heneghan. L’agent avait mentionné ceci : « Le fait de ne pas vous soumettre à un test d’empreintes génétiques aura vraisemblablement comme résultat le rejet de votre demande […] À défaut de nouvelles dans les trois mois de la date de la présente lettre, nous présumerons que vous n’avez pas l’intention de vous soumettre au test et nous procéderons donc au rejet de la demande » (M.A.O., précitée, au paragraphe 81). De manière remarquablement similaire, l’agent en question dans la présente affaire n’a également donné aucun choix au défendeur : [traduction] « Si vous souhaitez aller de l’avant avec la présente demande, Luilly et Luilivin devront se soumettre à une analyse de l’ADN visant à établir leur filiation […] Si je ne reçois pas de nouvelles d’ici deux mois […] comme quoi vous allez vous soumettre aux analyses d’ADN, je tiendrai pour acquis que vous n’êtes plus intéressé par le parrainage et je fermerai le dossier » (DI, à la page 67).
[44] Compte tenu du fait que l’ancienne loi n’exigeait pas qu’un demandeur se soumette à une analyse de l’ADN lorsqu’il ne disposait pas de la documentation traditionnelle (et que le ministre n’a fourni aucun indice que l’actuelle loi et le Règlement comprennent une telle exigence), la juge Heneghan a estimé que la lettre de l’agent était « incorrecte et inéquitable » et elle a affirmé ce qui suit : « Bien que dans certaines circonstances l’agent qui prend la décision puisse juger que la preuve par empreintes génétiques est nécessaire, en l’instance l’agent des visas n’a pas examiné la question de savoir si le demandeur pouvait fournir une autre forme de preuve » (M.A.O., précitée, au paragraphe 83). Dans la présente affaire, il semblerait que l’agent ait aussi estimé que l’analyse de l’ADN était le seul moyen possible pour confirmer la paternité du défendeur, en ne soulevant même pas la possibilité que d’autres types d’éléments de preuve pouvaient être fournis. Encore une fois, la juge Heneghan a servi une mise en garde contre ce type de comportement (M.A.O., précitée, aux paragraphes 83 et 84) :
Selon moi, la lettre de l’agent des visas exigeant la preuve par empreintes génétiques, en ajoutant qu’à défaut la demande serait « vraisemblablement » rejetée, était incorrecte et inéquitable. Bien que dans certaines circonstances l’agent qui prend la décision puisse juger que la preuve par empreintes génétiques est nécessaire, en l’instance l’agent des visas n’a pas examiné la question de savoir si le demandeur pouvait fournir une autre forme de preuve.
[…] Le test d’empreintes génétiques constituant une violation de la vie privée, c’est un outil qui doit être utilisé de façon sélective et avec beaucoup de précautions. L’agent des visas a agi comme si c’était la seule preuve admissible que le demandeur pouvait utiliser pour établir la filiation en vertu de l’ancienne Loi, plutôt que de l’envisager comme une façon parmi d’autres par laquelle le demandeur pouvait établir le lien familial avec ses enfants. L’agent des visas a ainsi entravé son pouvoir discrétionnaire. [Non souligné dans l’original.]
La juge Heneghan avait jugé que la seule réparation appropriée dans l’affaire en cause était de la renvoyer à la SAI pour nouvel examen et d’ordonner que la preuve par l’ADN soit exclue de la décision de la SAI lorsque celle-ci instruira l’affaire de nouveau.
[45] Dans l’éventualité où il y aurait quelque doute quant à savoir si l’exposé de la juge Heneghan s’applique toujours aujourd’hui, soit presque une décennie plus tard, les guides opérationnels de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) sont très instructifs dans le contexte de la présente affaire. Voici l’avis aux agents d’immigration que contient la section 5.10 du guide opérationnel [Guide de traitement des demandes à l’étranger], Chapitre OP 1 : Procédures : « 5.10 Pertinence de l’analyse de l’ADN. L’analyse de l’ADN pour vérifier un lien de filiation constitue une solution de derniers recours. S’il subsiste des doutes au sujet de l’authenticité d’un lien de parenté après l’examen des preuves documentaires, les agents peuvent aviser les demandeurs que les résultats positifs d’une analyse de l’ADN réalisée par un laboratoire (dont la liste figure à l’appendice E) sont acceptables en remplacement de documents » (non souligné dans l’original). Il convient aussi de mentionner que la lettre type de demande de tests d’ADN, qui figure à l’appendice D, contient les extraits suivants, lesquels permettent de constater qu’il existe d’importantes différences entre la lettre type et la lettre envoyée par l’agent :
Puisque la preuve documentaire que vous avez fournie ne nous permet pas d’établir le lien de parenté entre vous et l’enfant, et que vous n’êtes pas en mesure d’obtenir d’autre preuve documentaire, au lieu d’une preuve documentaire, nous accepterons les résultats d’une analyse d’ADN effectuée par un laboratoire accrédité par le Conseil canadien des normes pour les tests d’ADN.
[…]
Les tests d’ADN ne sont pas obligatoires.
Si un laboratoire ne nous avise pas du fait que vous procéderez à un test d’ADN d’ici 90 jours, nous supposerons que vous n’êtes plus intéressé à fournir un résultat de test d’ADN et nous rendrons une décision à partir des renseignements dont nous disposerons à ce moment-là. [Non souligné dans l’original.]
[46] En l’espèce, l’agent ne semble pas avoir envisagé, et encore moins proposé, de solution de rechange aux analyses de l’ADN. Il a plutôt demandé au défendeur et aux enfants de celui-ci, sans même procéder à une analyse de la preuve qui avait déjà été produite et en ne se fondant que sur le fait que le défendeur n’avait pas enregistré la naissance de son enfant avant 2001, de se soumettre à des analyses de l’ADN, à défaut de quoi il fermerait le dossier, et ce, sans donner au défendeur la possibilité de donner des explications au sujet de son omission d’enregistrer la naissance de son enfant ou de fournir d’autres éléments de preuve documentaire (voir notes consignées au STIDI, reproduites au DI, aux pages 32 et 33). Ce faisant, l’agent a complètement omis de tenir compte de l’avertissement de la Cour portant que l’analyse de l’ADN « est un outil qui doit être utilisé de façon sélective et avec beaucoup de précautions » (M.A.O., précitée, au paragraphe 84) et n’a pas tenu compte du guide opérationnel de la CIC, qui mentionne clairement que l’analyse de l’ADN « constitue une solution de dernier recours ». La Cour a reconnu que ces guides, bien qu’ils n’aient pas force de loi et ne soient pas contraignants, constituent néanmoins des lignes directrices utiles aux agents d’immigration lorsqu’ils exercent leurs fonctions (Frank c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 270, au paragraphe 21, et John c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 85, au paragraphe 7).
[47] Bon nombre des facteurs pour lesquels les agents ne devraient pas considérer les analyses d’ADN comme étant le seul moyen d’établir la filiation ont été énoncés par la SAI dans la décision Jabir, précitée, au paragraphe 33 :
D’une façon générale, il convient de demander des tests d’ADN dans les cas relativement rares où il n’existe pas d’autres solutions viables à ces tests. La raison en est que ces tests sont de nature intrusive, qu’ils sont coûteux, qu’ils entraînent des retards dans le traitement des demandes d’immigration et que des raisons de nature religieuse ou philosophique peuvent amener les personnes visées par une telle demande à refuser de subir ces tests ou du moins à être réticentes à le faire. Il s’agit en fin de compte de savoir s’il est raisonnable de demander ce genre de tests compte tenu, d’un côté, de considérations pratiques comme l’efficacité, notamment, et de l’autre, compte tenu de considérations personnelles, notamment des impératifs catégoriques de nature culturelle ou religieuse. Il faut donc concilier différents facteurs dans le but d’en arriver à une décision réaliste et équitable au sujet de cette question.
[48] Malgré cela, le ministre soutient que l’agent n’a pas contrevenu au principe de la justice naturelle en demandant au défendeur de se soumettre à une analyse de l’ADN, puisque l’enregistrement tardif de la naissance de Luilly, six ans après le fait, éveillait des soupçons. Le ministre invoque l’article 55 du Code civil de la République dominicaine [Código Civil] de la República Dominicana, qui exige que les naissances dans le pays soient enregistrées entre 5 ou 15 jours après la naissance d’un enfant, selon les circonstances (DI, aux pages 169 à 171). Bien que le ministre reproche à la SAI de ne pas avoir fait mention de cette disposition dans ses motifs, les notes consignées au STIDI n’en font pas mention non plus, de sorte qu’il n’y a pas de preuve démontrant que l’agent en a tenu compte. Le défendeur ajoute aussi que rien ne prouve que cette disposition était en vigueur au moment de la naissance de Luilly, ni que les autorités dominicaines ne l’ont déjà appliquée.
[49] Le ministre souligne que les faits qui ont suivi la décision de l’agent, y compris la présence de certaines contradictions dans le témoignage du défendeur, soulèvent des questions et des doutes additionnels en ce qui concerne le retard à enregistrer la naissance de Luilly. Cependant, comme l’indique à juste titre le défendeur, ces faits subséquents n’ont aucun rôle à jouer lorsqu’il s’agit d’établir si la décision initiale de l’agent d’ordonner la tenue d’analyses d’ADN constituait un manquement au principe de la justice naturelle.
[50] La tentative du demandeur visant à établir une distinction d’avec la décision M.A.O., précitée, en mettant l’accent sur les remarques de la juge Heneghan portant qu’elle composait avec une situation factuelle unique, ne convainc pas la Cour. Comme il a déjà été établi, les facteurs ayant conduit la juge Heneghan à sa décision (le fait que l’agent n’a aucunement tenu compte des solutions de rechange à l’analyse de l’ADN et n’a donné aucun choix aux demandeurs autre que de s’y soumettre) étaient présents dans cette affaire et ont amené la Cour à tirer la même conclusion. Par conséquent, la Cour conclut que la SAI a rendu une décision correcte en concluant qu’il y avait eu manquement au principe de la justice naturelle.
[51] Eu égard à la décision d’exclure la preuve d’ADN, le défendeur renvoie la Cour à la remarque suivante de la Cour suprême, tirée de l’arrêt R. c. G. (B.), [1999] 2 R.C.S. 475, au paragraphe 33, pour étayer sa prétention qu’il n’y a aucune raison de ne pas appliquer cette décision à la présente affaire :
Réintroduire en preuve par ce moyen une déclaration involontaire irait à l’encontre de l’équité la plus élémentaire du procès. Dans bien des cas, comme en l’espèce, la culpabilité de l’accusé dépendra uniquement de sa crédibilité et de celle des autres témoins. Permettre l’utilisation de la déclaration, même à seules fins de miner la crédibilité de l’accusé, pourrait mener à des abus et à de graves injustices. C’est pourquoi la règle traditionnelle, qui est toujours en vigueur dans notre droit, doit être interprétée de façon à ce qu’il ne puisse être fait aucun usage d’une déclaration inadmissible à quelque étape du procès que ce soit.
Le ministre n’a soulevé aucun argument relatif à la question de savoir si l’exclusion de la preuve par l’ADN était une mesure appropriée dans les circonstances de l’espèce et la Cour ne voit pas de raisons pour lesquelles elle remettrait en question la décision de la SAI, qui est conforme avec l’ordonnance rendue dans la décision <I>M.A.O.</I>, précitée.
C. La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que Luilly est le fils biologique du défendeur et qu’il est donc un enfant à charge appartenant à la catégorie du regroupement familial au sens du Règlement?
[52] Le ministre soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI de conclure que le défendeur avait établi qu’il était le père biologique de Luilly, et qu’elle avait omis de tenir compte « de la preuve la plus importante dans la présente affaire » (MSD, au paragraphe 67). À titre d’exemple, le ministre renvoie aux observations écrites formulées par le défendeur en réponse à la lettre préliminaire du 30 décembre 2010, dans laquelle ce dernier reconnaît qu’il est le père biologique d’un seul de ses deux enfants (DI, aux pages 235 et 606). L’avis de question constitutionnelle déposé par le demandeur contient une admission similaire (DI, à la page 183). En dernier lieu, le ministre fait ressortir l’affidavit souscrit par le défendeur daté du 26 janvier 2011, dans lequel ce dernier fait état des résultats des analyses d’ADN (DI, aux pages 260 et 262), ainsi que la transcription de l’audience, qui révèle que le demandeur est pleinement conscient qu’il n’est pas le père biologique de Luilly (DI, aux pages 613 et 614).
[53] La Cour rejette les arguments du ministre et souscrit à la thèse du défendeur voulant que l’ordonnance d’exclusion de la preuve par l’ADN s’applique non seulement aux déclarations et aux arguments présentés dans le but d’obtenir cette exclusion, mais aussi à tout élément de preuve dont la cueillette n’est attribuable qu’à l’analyse de l’ADN. Agir autrement aurait pour résultat de justifier le manquement au principe de la justice naturelle. Par conséquent, la question est de savoir, après l’exclusion de tout élément de preuve découlant directement des analyses de l’ADN, si le défendeur a pu établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était le père biologique de Luilly. Compte tenu des témoignages livrés et de la preuve documentaire versée dans la présente affaire, la Cour conclut que la décision de la SAI appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme le prescrit l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.
[54] Les parties ont été invitées à soumettre des questions à certifier, et le ministre a soumis la question suivante :
[traduction] Le paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confère-t-il compétence à la Section d’appel de l’immigration pour instruire un appel, lorsque l’étranger ayant présenté une demande de résidence permanente n’est pas l’enfant biologique ou adoptif de son répondant, au sens des définitions d’« enfant à charge » et de « personne appartenant à la catégorie du regroupement familial » figurant au paragraphe 2(1) et à l’alinéa 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés?
[55] Pour sa part, le défendeur a soumis trois questions à certifier, dont la première, qui reprend la question du ministre et y ajoute le passage souligné :
[traduction]
1. Le paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confère-t-il compétence à la Section d’appel de l’immigration pour instruire un appel, lorsque l’étranger ayant présenté une demande de résidence permanente n’est pas, comme l’a jugé le ministre, agissant par l’entremise de son représentant dans un bureau canadien des visas, l’enfant biologique ou adoptif de son répondant, au sens des définitions d’« enfant à charge » et de « personne appartenant à la catégorie du regroupement familial » figurant au paragraphe 2(1) et à l’alinéa 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés?
2. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle compétence pour établir s’il y a eu manquement au principe de la justice naturelle en ce qui concerne une décision rendue par le ministre, agissant par l’entremise de son représentant dans un bureau canadien des visas, quant à la question de savoir si un étranger qui a déposé une demande conformément au règlement est l’enfant biologique ou adoptif de son répondant?
3. Si une analyse génétique visant à établir la paternité est effectuée en violation des droits fondamentaux d’un demandeur de résidence permanente en tant que personne parrainée appartenant à la catégorie du regroupement familial à titre d’« enfant à charge » et est par la suite exclue par la Section d’appel de l’immigration pour ce motif, cette dernière peut-elle rendre une nouvelle décision quant à la paternité en se fondant sur tout autre élément de preuve figurant au dossier? [Non souligné dans l’original.]
[56] La Cour souscrit à l’observation du ministre selon laquelle la deuxième et la troisième question formulées par le défendeur soulèvent un argument relatif à la portée de la compétence de la SAI qui n’a pas à faire l’objet de questions indépendantes et que ces questions peuvent déjà être traitées dans les limites imposées par la première question.
[57] En ce qui a trait à la première question formulée par le défendeur, le ministre soutient que le libellé de la question ne devrait pas supposer que la demande a été déposée « conformément au règlement », mais la Cour ne souscrit pas à l’affirmation du ministre voulant que l’ajout à la question formulée par le défendeur manque d’objectivité. Dans la présente affaire, il n’est pas contesté que la décision portant que Luilly n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial avait été rendue par le ministre, agissant par l’entremise de son représentant dans un bureau canadien des visas. Il reste à savoir si, dans de tels cas, la SAI a compétence pour instruire un appel interjeté à l’encontre de ce type de décision et sur quel fondement s’appuie cette compétence. Par conséquent, voici le libellé de la question qui sera certifiée :
Le paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confère-t-il compétence à la Section d’appel de l’immigration pour instruire un appel, lorsque l’étranger qui a présenté une demande de résidence permanente n’est pas l’enfant biologique ou adoptif de son répondant, au sens des définitions d’« enfant à charge » et de « personne appartenant à la catégorie du regroupement familial » figurant au paragraphe 2(1) et à l’alinéa 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, comme l’a jugé le ministre, agissant par l’entremise de son représentant dans un bureau canadien des visas?
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et que la question suivante est certifiée :
Le paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confère-t-il compétence à la Section d’appel de l’immigration pour instruire un appel, lorsque l’étranger qui a présenté une demande de résidence permanente n’est pas l’enfant biologique ou adoptif de son répondant, au sens des définitions d’« enfant à charge » et de « personne appartenant à la catégorie du regroupement familial » figurant à l’article 2 et à l’alinéa 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, comme l’a jugé le ministre, agissant par l’entremise de son représentant dans un bureau canadien des visas?