A-24-01
2003 CAF 88
Thomas Allan Shebib (demandeur)
c.
Le procureur général du Canada (défendeur)
Répertorié: Shebib c. Canada (Procureur général) (C.A.)
Cour d'appel, juges Stone, Rothstein et Pelletier, J.C.A. --Halifax, 7 novembre 2002; Ottawa, 18 février 2003.
Assurance-emploi -- La Cour d'appel fédérale est saisie de deux questions en litige dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision rendue par un juge-arbitre: 1) L'indemnité de départ accordée au demandeur a-t-elle pour effet de prolonger sa période de référence? 2) Le demandeur a-t-il établi qu'il existait un motif valable justifiant le fait qu'il ait tardé à demander des prestations d'emploi? -- 665 heures sont exigées au cours de la période de référence de 52 semaines -- Le demandeur n'avait accumulé que 444 heures -- Demande de prestations rejetée -- Demande de contrôle judiciaire rejetée -- Examen des dispositions pertinentes de la Loi et des règlements -- Un arrêt de rémunération s'est produit au moment de la cessation d'emploi -- L'indemnité de départ de 11 mois ne constitue pas une rémunération aux fins de l'art. 14(1) -- Il n'existe aucun fondement permettant de prolonger la période de référence en vertu de l'art. 8(3) de la Loi -- L'art. 35(6) du Règlement n'est pas ultra vires en raison d'un conflit avec l'art. 8(3) de la Loi -- L'art. 54 de la Loi confère à la Commission le pouvoir de prendre des règlements -- En vertu de l'art. 35(6) du Règlement, la Commission a exclu la rémunération visée à l'art. 36(9) (y compris l'indemnité de départ) de la définition de la rémunération afin de conclure à un arrêt de rémunération en vertu de l'art. 14(1) -- Application du principe de la présomption de cohérence (principe d'interprétation législative) -- L'art. 8(3) de la Loi est une disposition réparatrice -- L'art. 35(6) du Règlement a éliminé le problème auquel l'adoption de l'art. 8(3) devait remédier -- L'art. 35(6) du Règlement avait également pour effet d'exiger que les demandes de prestations d'emploi soient présentées dès la cessation d'emploi -- L'indemnité de départ a été répartie comme il se doit conformément à l'art. 36(9) -- Une sentence arbitrale visée à l'art. 36(11) n'est pas en cause en l'espèce -- L'art. 10(4) permet à un demandeur de présenter une demande de prestations tardive s'il est capable de prouver qu'il avait des motifs valables d'avoir tardé à présenter sa demande de prestations -- Le critère applicable est celui qui consiste à savoir ce que toute personne sensée et prudente ferait dans les mêmes circonstances -- La jurisprudence a conclu que l'intention de ne pas demander de prestations d'emploi et de trouver un autre emploi ne constitue pas un motif valable justifiant le retard -- Le fait que l'on se soit fondé sur un conseil juridique n'est pas non plus considéré comme un motif valable -- La Commission veut être informée dès qu'une personne cesse d'être employée, de façon à avoir la possibilité de déterminer que cette personne est disponible pour exercer un emploi et de connaître les démarches que celle-ci fait pour trouver un emploi -- Le fait que le demandeur, qui n'avait aucune expérience en matière de demande de prestations d'emploi, ait agi de bonne foi ne constitue pas un motif valable.
Interprétation des lois -- Apparence de conflit entre les dispositions de la Loi sur l'assurance-emploi -- Présomption de cohérence: les différentes dispositions de la Loi sont destinées à s'appliquer ensemble d'une façon logique et rationnelle -- Un texte législatif est présumé ne pas contenir de contradictions et d'incohérences -- L'art. 8(3) est une disposition de nature réparatrice -- L'art. 8(3) a pour effet de prolonger la période de référence -- L'art. 35(6) du Règlement a éliminé le problème auquel l'adoption de l'art. 8(3) devait remédier et avait également pour effet d'exiger que les demandes de prestations d'emploi soient présentées dès la cessation d'emploi -- La Cour a réglé ce conflit en concluant que la protection fournie par l'art. 8(3) doit être considérée comme s'appliquant uniquement au besoin.
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par un juge-arbitre par laquelle il a rejeté la demande de prestations d'emploi du demandeur. Deux questions sont en litige: 1) La répartition de l'indemnité de départ accordée au demandeur a-t-elle pour effet de prolonger sa période de référence? 2) Dans la négative, le demandeur a-t-il établi qu'il existait un motif valable justifiant le fait qu'il ait tardé à demander des prestations d'emploi?
Le demandeur est ingénieur. Son emploi a pris fin le 5 juin 1998. Il a reçu une indemnité de départ de 70 000 $ qui représentait 11 mois de rémunération aux fins de la répartition prévue par la Loi sur l'assurance-emploi. Il a présenté une demande de prestations d'emploi le 9 avril 1999 seulement. Le demandeur avait besoin de 665 heures au cours de la période de référence de 52 semaines afin d'établir une demande de prestations. Compte tenu de la date à laquelle il a présenté sa demande de prestations, la Commission a conclu que le demandeur n'avait accumulé que 444 heures d'emploi assurable pendant la période de référence. Sa demande de prestations a donc été rejetée. Le demandeur a alors présenté une demande pour que sa demande soit antidatée au 8 juin 1998 et a expliqué qu'à cause de l'indemnité de départ qui lui avait été accordée, il ne pouvait toucher de prestations d'emploi qu'après l'expiration d'une période de 11 mois suivant la cessation d'emploi et qu'il s'attendait en outre à être employé pendant cette période. La commission a toutefois décidé qu'il n'avait pas démontré l'existence d'un motif valable justifiant le fait qu'il ait tardé à présenter sa demande de prestations.
Arrêt: la demande doit être rejetée.
En vertu des dispositions de la loi, puisque le demandeur a demandé des prestations le 9 avril 1999 seulement, la période de prestations n'a débuté que le dimanche de la semaine du 9 avril 1999 et la période de référence a été considérée comme étant la période de 52 semaines qui avait précédé cette date. Le demandeur soutient, en se fondant sur le paragraphe 8(3) de la Loi, que sa période de référence devrait être prolongée compte tenu de la répartition de son indemnité de départ. Afin de déterminer si le demandeur peut se prévaloir du paragraphe 8(3), il faut tenir compte du Règlement sur l'assurance-emploi dont le paragraphe 36(9) prévoit que toute la rémunération payable au prestataire en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi est répartie sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d'emploi. Toutefois, le paragraphe 35(6) prévoit que la rémunération visée au paragraphe 36(9) n'est pas comptée aux fins de la détermination d'un arrêt de rémunération. Par conséquent, en raison du paragraphe 35(6), un arrêt de rémunération s'est produit au moment où le demandeur a cessé d'exercer son emploi. L'indemnité de départ de 11 mois que le demandeur a touchée ne constituait pas une rémunération pour l'application du paragraphe 14(1). La répartition de l'indemnité de départ du demandeur n'empêchait pas l'établissement d'un arrêt de rémunération au moment de la cessation d'emploi. Il n'existe aucun fondement permettant de prolonger la période de référence en vertu du paragraphe 8(3) de la Loi.
Le demandeur affirme subsidiairement qu'il existe un conflit entre le paragraphe 35(6) du Règlement et le paragraphe 8(3) de la Loi et que le paragraphe 35(6) est donc ultra vires. L'article 54 de la Loi confère à la Commission le pouvoir de prendre des règlements. En vertu du paragraphe 35(6) du Règlement, la Commission a exclu la rémunération visée au paragraphe 36(9) (y compris l'indemnité de départ) de la définition de la rémunération afin de conclure à un arrêt de rémunération en vertu du paragraphe 14(1). La Cour est d'accord avec le demandeur pour dire que le paragraphe 35(6) du Règlement a essentiellement pour effet de rendre inopérant le paragraphe 8(3) de la Loi. Mais la définition de l'«arrêt de rémunération» figurant au paragraphe 2(1) de la Loi prévoit que les cas et les moments où un arrêt de rémunération se produit sont déterminés par règlement. Ce paragraphe et l'alinéa 54u), qui prévoit le pouvoir de réglementation, ne comprennent aucune restriction.
Il s'agit d'un conflit entre le paragraphe 8(3) de la Loi d'une part et la définition de l'«arrêt de rémunération» figurant au paragraphe 2(1) et le pouvoir de réglementation conféré à l'alinéa 54u) de la Loi d'autre part. Il existe une présomption de cohérence en matière d'interprétation des lois: les différentes dispositions de la Loi sont destinées à s'appliquer ensemble d'une façon logique et rationnelle; un texte législatif est présumé ne pas contenir de contradictions et d'incohérences. Le paragraphe 8(3) de la Loi vise à fournir une protection aux prestataires et à assurer que les prestataires qui touchent une rémunération en raison de la rupture de tout lien avec l'employeur puissent inclure dans leur période de référence les heures qu'ils ont effectuées au cours des 52 semaines qui ont précédé la cessation d'emploi. Ce paragraphe est une disposition réparatrice car, avant son adoption, le régime législatif empêchait le prestataire qui touchait une indemnité de départ d'inclure toutes les heures effectuées dans les 52 semaines qui avaient précédé la cessation d'emploi. Le paragraphe 8(3) a pour effet de prolonger la période de référence, de sorte qu'en fait, les 52 semaines qui ont précédé la date de cessation d'emploi sont ajoutées à la période de répartition aux fins de la détermination de la période de référence. Mais le paragraphe 35(6) du Règlement a éliminé le problème auquel l'adoption du paragraphe 8(3) devait remédier. Toutefois, le paragraphe 35(6) du Règlement avait également pour effet d'exiger que les personnes en cause présentent leurs demandes de prestations d'emploi dès qu'il était mis fin à leur emploi, et ce, indépendamment de la question de savoir si elles recevaient une rémunération en raison de la cessation d'emploi ou du licenciement. La Cour a réglé ce conflit en concluant que la protection fournie par le paragraphe 8(3) doit être considérée comme s'appliquant uniquement au besoin, c'est-à-dire lorsque la répartition de la rémunération payable en raison de la rupture de tout lien avec l'employeur retarde la date de l'arrêt de rémunération.
Le demandeur affirme de plus que son indemnité de départ devrait être répartie conformément au paragraphe 36(11) du Règlement plutôt qu'au paragraphe 36(9). Mais le paragraphe 36(11) renvoie à une rémunération payée en exécution d'une sentence arbitrale ou par suite du règlement d'un différend qui aurait pu être tranché par une sentence arbitrale. Le demandeur a concédé qu'une sentence arbitrale n'est pas en cause en l'espèce. Il soutient toutefois qu'il aurait pu déposer une plainte devant le Labour Standards Tribunal de la Nouvelle-Écosse. Le demandeur a travaillé pendant quatre ans, de sorte qu'il aurait été admissible à une indemnité de départ de deux semaines en vertu du Labour Standards Code. Mais, en vertu du Code, une indemnité de départ de huit semaines est l'attribution maximale et étant donné que le demandeur a en fait reçu onze mois d'indemnité de départ, il est évident que l'indemnité de départ n'avait pas été versée par suite d'une sentence arbitrale rendue par le Labour Standards Tribunal de la Nouvelle-Écosse. La rémunération en question est celle qui est mentionnée au paragraphe 36(9).
Le paragraphe 10(4) permet à un demandeur de présenter une demande de prestations tardive s'il est capable de prouver qu'il avait des motifs valables d'avoir tardé à présenter sa demande de prestations. Le juge-arbitre a affirmé que le critère applicable était de savoir si le prestataire avait démontré qu'il avait fait ce que toute personne sensée et prudente aurait fait dans les mêmes circonstances. L'ignorance de la loi peut constituer un motif valable à la condition que le prestataire soit en mesure de prouver qu'il a agi d'une manière sensée et prudente. Le juge-arbitre a conclu que le demandeur n'avait pas satisfait au critère du motif valable. La Cour a conclu qu'aussi louable qu'elle soit, l'intention de ne pas demander de prestations d'emploi et de trouver un autre emploi ne constitue pas un motif valable justifiant le retard. Le fait que l'on se soit fondé sur un conseil juridique n'est pas non plus considéré comme un motif valable. Quoi qu'il en soit, en l'espèce, le conseil juridique que le demandeur a reçu était uniquement qu'il n'aurait pas droit à des prestations d'emploi avant la fin de la période de répartition de l'indemnité de départ. La Commission veut être informée dès qu'une personne cesse d'être employée, de façon à avoir la possibilité de déterminer que cette personne est disponible pour exercer un emploi et de connaître les démarches que celle-ci fait pour trouver un emploi.
La prétention du demandeur selon laquelle la jurisprudence qui va à l'encontre des arguments qu'il a invoqués est erronée ne peut être acceptée. Sauf dans certaines circonstances exceptionnelles, les cours d'appel intermédiaires suivent leurs décisions antérieures.
Il convient de faire remarquer que ce sont ceux qui n'ont aucune expérience en ce qui concerne les prestations d'emploi qui s'empiètent dans l'amas de dispositions législatives que le législateur semble considérer comme nécessaires pour empêcher l'abus du système d'assurance-emploi. Selon l'état actuel du droit, le fait que le demandeur ait agi de bonne foi ne constitue pas un motif valable l'autorisant à antidater sa demande de prestations d'emploi.
lois et règlements
Labour Standards Code, R.S.N.S. 1989, ch. 246, art. 72(1).
Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, art. 7(3). |
Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 2(1) «arrêt de rémunération», 8, 10(1), 54s),u). |
Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332, art. 14(1), 35(6), 36(9) (mod. par DORS/97-31, art. 19), (11). |
jurisprudence
décisions citées:
Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; Murphy c. Welsh; Stoddard c. Watson, [1993] 2 R.C.S. 1069; (1993), 106 D.L.R. (4th) 404; 18 C.C.L.T. (2d) 101; 18 C.P.C. (3d) 137; 47 M.V.R. (2d) 1; Canada (Procureur général) c. Smith (1993), 153 N.R. 317 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Ehman (1996), 193 N.R. 391 (C.A.F.); Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370; [2002] A.C.F. no 1375 (C.A.) (QL).
doctrine
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto: Butterworths, 2002.
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision rendue par un juge-arbitre en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi par laquelle il a décidé que l'indemnité de départ accordée n'a pas pour effet de prolonger la période de référence et que le demandeur n'a pas établi qu'il existait un motif valable justifiant le fait qu'il ait tardé à demander des prestations d'emploi. Demande rejetée.
ont comparu:
David G. Coles et Kenneth A. MacLean pour le demandeur.
Scott E. McCrossin pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Boyne Clarke, Dartmouth (Nouvelle-Écosse), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Rothstein, J.C.A.:
POINTS LITIGIEUX
[1]Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par un juge-arbitre en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23. Le juge-arbitre a rejeté l'appel interjeté par le demandeur [Shebib (In re) (1999), CUB 50050]. Deux questions sont en litige:
1. La répartition de l'indemnité de départ accordée au demandeur a-t-elle pour effet de prolonger sa période de référence?
2. Dans la négative, le demandeur a-t-il établi qu'il existait un motif valable justifiant le fait qu'il avait tardé à demander des prestations d'emploi?
LES FAITS
[2]Le demandeur est ingénieur. Son emploi a pris fin le 5 juin 1998. Le demandeur a reçu une indemnité de départ de 70 000 $, qui représentait 11 mois de rémunération aux fins de la répartition prévue par la Loi sur l'assurance-emploi. Il a présenté une demande de prestations d'emploi le 9 avril 1999 seulement.
[3]Pendant la période pertinente, le demandeur avait besoin de 665 heures au cours de la période de référence de 52 semaines afin d'établir une demande de prestations. Compte tenu de la date à laquelle il a présenté sa demande de prestations, soit le 9 avril 1999, la Commission a conclu que le demandeur n'avait accumulé que 444 heures d'emploi assurable pendant la période de référence. Le 30 avril 1999, la Commission a rejeté la demande de prestations pour le motif que le demandeur n'avait pas accumulé un nombre suffisant d'heures d'emploi assurable.
[4]Le demandeur a présenté une demande auprès de la Commission pour que sa demande soit antidatée au 8 juin 1998. Si la demande avait été antidatée, la période de référence de 52 semaines aurait englobé les 52 semaines qui avaient précédé la date de la cessation d'emploi et le demandeur aurait accumulé environ 2 700 heures d'emploi assurable pendant la période de référence. Le demandeur a cherché à justifier le retard en affirmant qu'à cause de la répartition de l'indemnité de départ qui lui avait été accordée, il ne pouvait toucher de prestations d'emploi qu'après l'expiration d'une période de onze mois suivant la date de la cessation d'emploi et qu'il s'attendait en outre à être employé pendant cette période.
[5]Par une lettre en date du 12 mai 1999, la Commission a informé le demandeur que sa demande de prestations ne serait pas antidatée parce qu'il n'avait pas démontré l'existence d'un motif valable justifiant le fait qu'il avait tardé à présenter sa demande de prestations.
[6]L'appel que le demandeur a interjeté devant le conseil arbitral a été rejeté, comme l'a été l'appel subséquent qu'il a interjeté devant le juge-arbitre.
ANALYSE
Première question: La répartition de l'indemnité de départ accordée au demandeur a-t-elle pour effet de prolonger sa période de référence?
[7]Le paragraphe 8(1) de la Loi définit la période de référence comme étant la période de 52 semaines précédant le début d'une période de prestations:
8. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), la période de référence d'un assuré est la plus courte des périodes suivantes:
a) la période de cinquante-deux semaines qui précède le début d'une période de prestations prévue au paragraphe 10(1);
b) la période qui débute en même temps que la période de prestations précédente et se termine à la fin de la semaine précédant le début d'une période de prestations prévue au paragraphe 10(1).
[8]Le paragraphe 10(1) de la Loi prévoit qu'une période de prestations débute le dimanche de la semaine au cours de laquelle survient l'arrêt de rémunération ou le dimanche de la semaine au cours de laquelle est formulée la demande initiale de prestations, si cette semaine est postérieure à celle de l'arrêt de rémunération. Le paragraphe 10(1) est ainsi libellé:
10. (1) La période de prestations débute, selon le cas:
a) le dimanche de la semaine au cours de laquelle survient l'arrêt de rémunération;
b) le dimanche de la semaine au cours de laquelle est formulée la demande initiale de prestations, si cette semaine est postérieure à celle de l'arrêt de rémunération.
Par conséquent, puisque le demandeur a demandé des prestations le 9 avril 1999 seulement, la période de prestations n'a débuté que le dimanche de la semaine du 9 avril 1999. La période de référence a été considérée comme étant la période de 52 semaines qui avait précédé le dimanche de la semaine du 9 avril 1999, période au cours de laquelle le demandeur avait uniquement accumulé 444 heures d'emploi assurable.
[9]En se fondant sur le paragraphe 8(3) de la Loi, le demandeur soutient que sa période de référence devrait être prolongée. Il affirme qu'il faut tenir compte de la répartition de son indemnité de départ, soit la période de 11 mois qui a suivi la date de la cessation d'emploi, afin de prolonger la période de référence. Le paragraphe 8(3) de la Loi prévoit ce qui suit:
8. [. . .]
(3) La période de référence visée à l'alinéa (1)a) est prolongée du nombre de semaines pour lesquelles la personne prouve, de la manière que la Commission peut ordonner, qu'elle ne pouvait établir un arrêt de rémunération à cause de la répartition, aux termes des règlements, de la rémunération qu'elle avait touchée en raison de la rupture de tout lien avec son ancien employeur.
[10]Si le demandeur a raison, sa période de référence serait de 52 semaines plus 11 mois (disons 44 semaines), soit 96 semaines en tout, avant le dimanche de la semaine du 9 avril 1999. Cela aurait pour effet d'inclure dans la période de référence les 52 semaines qui avaient précédé le 5 juin 1998, période pendant laquelle, en fait, le demandeur travaillait. Comme il en a ci-dessus été fait mention, au cours de cette période de 52 semaines, le demandeur avait accumulé environ 2 700 heures d'emploi assurable et il avait clairement droit aux prestations d'emploi.
[11]Afin de déterminer si le demandeur peut se prévaloir du paragraphe 8(3), il faut tenir compte du Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332. Le paragraphe 36(9) [mod. par DORS/97-31, art. 19] du Règlement prévoit que toute la rémunération payée ou payable au prestataire en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi, y compris l'indemnité de départ, est répartie sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d'emploi. Le paragraphe 36(9) prévoit ce qui suit:
36. [. . .]
(9) Sous réserve des paragraphes (10) et (11), toute rémunération payée ou payable au prestataire en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi est, abstraction faite de la nature de la rémunération et de la période pour laquelle elle est présentée comme étant payée ou payable, répartie sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d'emploi, de sorte que la rémunération totale tirée par lui de cet emploi dans chaque semaine consécutive, sauf la dernière, soit égale à sa rémunération hebdomadaire normale provenant de cet emploi.
Toutefois, le paragraphe 35(6) du Règlement prévoit que la rémunération visée au paragraphe 36(9) n'est pas comptée aux fins de la détermination d'un arrêt de rémunération. Le paragraphe 35(6) est ainsi libellé:
35. [. . .]
(6) Malgré le paragraphe (2), la rémunération visée au paragraphe 36(9) n'est pas comptée pour l'application de l'article 14.
Le paragraphe 14(1) du Règlement définit le moment où un arrêt de rémunération se produit:
14. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), un arrêt de rémunération se produit lorsque, après une période d'emploi, l'assuré est licencié ou cesse d'être au service de son employeur et se trouve à ne pas travailler pour cet employeur durant une période d'au moins sept jours consécutifs à l'égard de laquelle aucune rémunération provenant de cet emploi, autre que celle visée au paragraphe 36(13), ne lui est payable ni attribuée.
[12]Par conséquent, en raison du paragraphe 35(6) du Règlement, un arrêt de rémunération s'est produit au moment où le demandeur a cessé d'exercer son emploi. Le demandeur a été licencié, il n'a pas travaillé, et l'indemnité de départ de 11 mois que le demandeur a touchée ne constituait pas une rémunération pour l'application du paragraphe 14(1) du Règlement. La répartition de l'indemnité de départ du demandeur n'empêchait pas l'établissement d'un arrêt de rémunération au moment de la cessation d'emploi. Selon ces dispositions réglementaires, il n'existe aucun fondement permettant de prolonger la période de référence en vertu du paragraphe 8(3) de la Loi.
[13]Le demandeur affirme subsidiairement qu'il existe un conflit entre le paragraphe 35(6) du Règlement et le paragraphe 8(3) de la Loi et que le paragraphe 35(6) est donc ultra vires.
[14]L'article 54 de la Loi confère à la Commission le pouvoir de prendre des règlements. En particulier, les alinéas 54s) et u) de la Loi sont ainsi libellés:
54. La Commission peut, avec l'agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements:
[. . .]
s) définissant et déterminant la rémunération aux fins du bénéfice des prestations, déterminant le montant de cette rémunération et prévoyant sa répartition par semaine ou autre période;
[. . .]
u) précisant dans quels cas et à quel moment se produit un arrêt de rémunération;
[15]Le paragraphe 2(1) de la Loi prévoit que des règlements seront pris conformément à l'alinéa 54u):
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
[. . .]
«arrêt de rémunération» L'arrêt de la rémunération d'un assuré qui se produit dans les cas et aux moments déterminés par règlement. [Je souligne.]
[16]En vertu du paragraphe 35(6) du Règlement, la Commission a exclu la rémunération visée au paragraphe 36(9), y compris l'indemnité de départ, de la définition de la rémunération afin de conclure à un arrêt de rémunération en vertu du paragraphe 14(1) du Règlement. En vertu de l'alinéa 54u), la Commission possédait le pouvoir nécessaire pour prendre le paragraphe 35(6) du Règlement.
[17]Néanmoins le demandeur soutient que le paragraphe 35(6) du Règlement est ultra vires parce qu'en fait, ce paragraphe interprète le paragraphe 8(3) de la Loi. Je suis d'accord avec le demandeur pour dire que le paragraphe 35(6) du Règlement a essentiellement pour effet de rendre inopérant le paragraphe 8(3) de la Loi. La rémunération visée au paragraphe 8(3) est incluse dans la rémunération visée au paragraphe 36(9) du Règlement. Je dis «essentiellement [. . .] inopérant» parce que les indemnités de départ visées au paragraphe 36(11) du Règlement peuvent encore être prises en compte lorsque l'on détermine à quel moment un arrêt de rémunération se produit, même si ce paragraphe semble envisager une circonstance extrêmement limitée qui survient rarement.
[18]Comme il en a été fait mention, la définition de l'«arrêt de rémunération» figurant au paragraphe 2(1) de la Loi prévoit que les cas et les moments où un arrêt de rémunération se produit sont déterminés par règlement. L'alinéa 54u) de la Loi confère ce pouvoir de réglementation à la Commission. Conclure que le paragraphe 35(6) du Règlement est ultra vires, c'est interpréter la définition figurant au paragraphe 2(1) et le pouvoir de réglementation conféré à l'alinéa 54u) comme renfermant des restrictions qui ne sont pas incluses dans le libellé de ces dispositions. C'est parce qu'une conclusion relative au caractère ultra vires aurait pour effet d'empêcher de prendre un règlement qui empêche la rémunération répartie payable en raison d'un licenciement ou d'une cessation d'emploi d'influer sur la période d'interruption de rémunération. Pareille limitation ne se trouve pas dans la définition figurant au paragraphe 2(1). Elle ne se trouve pas non plus dans le pouvoir de réglementation prévu à l'alinéa 54u).
[19]Il ne s'agit donc pas d'un conflit entre le paragraphe 8(3) de la Loi et le paragraphe 35(6) du Règlement, mais entre le paragraphe 8(3) de la Loi d'une part et la définition de l'«arrêt de rémunération» figurant au paragraphe 2(1) et le pouvoir de réglementation conféré à l'alinéa 54u) de la Loi d'autre part.
[20]Je commencerai par la présomption de cohérence; les différentes dispositions de la loi sont destinées à s'appliquer ensemble d'une façon logique et rationnelle; un texte législatif est présumé ne pas contenir de contradictions et d'incohérences. Dans R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto: Butterworths, 2002), Sullivan dit ce qui suit aux pages 262 et 263:
[traduction] Les dispositions d'une loi sont présumées fonctionner ensemble, tant logiquement que téléologiquement, comme les diverses parties d'un tout. Les parties sont présumées s'assembler logiquement pour former un cadre rationnel, intrinsèquement cohérent; et parce que le cadre a une fin, les parties sont également présumées s'appliquer ensemble d'une façon dynamique, chacune contribuant quelque chose aux fins de la réalisation du but visé.
La présomption de cohérence est également une présomption à l'encontre de l'existence d'un conflit interne. L'ensemble des lois adoptées par l'assemblée législative est présumé ne pas comporter de contradictions ou d'incohérences, chaque disposition étant capable de s'appliquer sans entrer en conflit avec une autre.
À l'appui de la présomption de cohérence, Sullivan cite un certain nombre d'arrêts de la Cour suprême du Canada, tels que Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, à la page 38; Murphy c. Welsh; Stoddard c. Watson, [1993] 2 R.C.S. 1069, à la page 1079.
[21]Le paragraphe 8(3) de la Loi vise à fournir une protection aux prestataires et à assurer que les prestataires qui touchent une rémunération en raison de la rupture de tout lien avec l'employeur puissent inclure dans leur période de référence les heures qu'ils ont effectuées au cours des 52 semaines qui ont précédé la cessation d'emploi. Si je comprends bien l'historique législatif, le paragraphe 8(3) (autrefois, paragraphe 7(3), [Loi sur l'assurance-chômage] L.R.C. (1985), ch. U-1) a été édicté lorsque, en vertu du régime législatif qui était alors en place, la répartition de la rémunération touchée en raison de la rupture de tout lien avec l'employeur, c'est-à-dire une indemnité de départ, avait pour effet de retarder le moment où un arrêt de rémunération était réputé se produire. Le prestataire qui touchait une indemnité de départ ne pouvait pas démontrer un arrêt de rémunération tant que la période de répartition de l'indemnité de départ n'était pas expirée, de sorte qu'il y avait des cas dans lesquels la période de référence de 52 semaines, déterminée comme étant la période de 52 semaines qui avait précédé la date de l'arrêt de rémunération, correspondait en bonne partie à la période de répartition. Un prestataire pouvait donc avoir en fin de compte accumulé un nombre d'heures inférieur au nombre nécessaire aux fins de la réception de prestations d'assurance-chômage, et ce, non parce qu'il n'avait pas effectué le nombre nécessaire d'heures de travail, mais parce que le régime législatif l'empêchait d'inclure toutes les heures effectuées dans les 52 semaines qui avaient précédé la cessation d'emploi.
[22]Le paragraphe 8(3) a pour effet de prolonger la période de référence, de sorte qu'en fait, les 52 semaines qui ont précédé la date de cessation d'emploi sont ajoutées à la période de répartition aux fins de la détermination de la période de référence. Ainsi, les heures réellement travaillées au cours de la période de 52 semaines qui ont précédé la date de la cessation d'emploi sont prises en compte dans le calcul du nombre d'heures nécessaires du prestataire. Tel est le but du paragraphe 8(3).
[23]Toutefois, la prolongation de la période de référence prévue au paragraphe 8(3) n'était plus nécessaire une fois que le paragraphe 35(6) du Règlement est entré en vigueur. Le paragraphe 35(6) du Règlement excluait de la détermination du moment de l'arrêt de rémunération, la rémunération touchée en raison du licenciement ou de la cessation d'emploi. Par conséquent, l'arrêt de rémunération se produisait à la date de la cessation d'emploi, ou dans les quelques jours qui suivaient la cessation d'emploi, et la période de référence de 52 semaines était la période de 52 semaines qui avait précédé la date de la cessation d'emploi. Cela éliminait le problème auquel l'adoption du paragraphe 8(3) devait remédier.
[24]Toutefois, le paragraphe 35(6) du Règlement avait également pour effet d'exiger que les personnes en cause présentent leurs demandes de prestations d'emploi dès qu'il était mis fin à leur emploi, et ce, indépendamment de la question de savoir si elles recevaient une rémunération en raison de la cessation d'emploi ou du licenciement. À condition que les demandes aient été présentées en temps opportun, leur période de référence serait la période de 52 semaines qui précédait la date de la cessation d'emploi.
[25]De quelle façon est-il donc possible de concilier avec le paragraphe 8(3) la définition de l'«arrêt de rémunération» figurant au paragraphe 2(1) et le pouvoir de réglementation, prévu à l'alinéa 54u), permettant de préciser dans quels cas et à quel moment se produit un arrêt de rémunération? Étant donné que le paragraphe 8(3) vise à protéger les prestataires, je suis d'avis que la protection fournie par cette disposition doit être considérée comme s'appliquant uniquement au besoin, c'est-à-dire lorsque la répartition de la rémunération payable en raison de la rupture de tout lien avec l'employeur retarde la date de l'arrêt de rémunération. Lorsque, en vertu du régime législatif, la répartition ne retarde pas la date d'arrêt de rémunération, le paragraphe 8(3) n'a pas à s'appliquer.
[26]En d'autres termes, pour interpréter la définition figurant au paragraphe 2(1), le pouvoir conféré à l'alinéa 54u) et le paragraphe 8(3) d'une façon cohérente et uniforme, il faut interpréter le paragraphe 8(3) de façon à reconnaître que le règlement peut rendre son application inutile. Si le paragraphe 8(3) commençait par les mots: «Sous réserve des règlements pris conformément à la définition de l'expression "arrêt de rémunération" figurant au paragraphe 2(1) et du pouvoir de réglementation conféré à l'alinéa 54u) de la Loi», il n'y aurait pas de conflit. Toutefois, la définition figurant au paragraphe 2(1) et à l'alinéa 54u) ont cet effet implicite. Une interprétation cohérente de la définition figurant au paragraphe 2(1), de l'alinéa 54u) et du paragraphe 8(3) exige cette interprétation. Cela ne comporte pas l'ajout de mots à la loi, mais ne fait qu'exprimer l'intention implicite du législateur. Voir Murphy c. Welsh; Stoddard c. Watson, précité, à la page 1078.
[27]En rétrospective, il est certain que le régime législatif et réglementaire aurait pu faire l'objet d'une rédaction plus claire. Toutefois, l'obligation de la Cour est de résoudre les conflits apparents qui existent dans les lois et, à mon avis, c'est ce que fait l'interprétation que j'ai donnée aux dispositions pertinentes.
[28]Pour ces motifs, je ne puis souscrire à l'argument du demandeur selon lequel le paragraphe 35(6) du Règlement est ultra vires.
[29]Le demandeur soutient en outre que le paragraphe 36(11) du Règlement s'appliquait à l'indemnité de départ. Le paragraphe 36(11) est ainsi libellé:
36. [. . .]
(11) Lorsqu'une rémunération est payée ou payable à l'égard d'un emploi en exécution d'une sentence arbitrale ou d'une ordonnance du tribunal, ou par suite du règlement d'un différend qui aurait pu être tranché par une sentence arbitrale ou une ordonnance du tribunal, et que cette rémunération est attribuée à l'égard de semaines précises à la suite de constatations ou d'aveux qui permettent de conclure à la nécessité de mesures disciplinaires, elle est répartie sur un nombre de semaines consécutives commençant par la première semaine à laquelle la rémunération est ainsi attribuée, de sorte que la rémunération totale tirée par le prestataire de cet emploi dans chaque semaine, sauf la dernière, soit égale à sa rémunération hebdomadaire normale provenant de cet emploi.
Le demandeur affirme que son indemnité de départ devrait donc être répartie conformément au paragraphe 36(11) du Règlement plutôt qu'au paragraphe 36(9). Étant donné que le paragraphe 35(6) fait uniquement mention de la rémunération visée au paragraphe 36(9), le demandeur ne devrait pas être inadmissible au bénéfice de la prolongation de sa période de référence prévue au paragraphe 8(3) de la Loi.
[30]Le demandeur a concédé qu'une sentence arbitrale n'est pas ici en cause. Toutefois, il soutient qu'il aurait pu déposer une plainte devant le Labour Standards Tribunal de la Nouvelle-Écosse en vertu du paragraphe 71(2) du Labour Standards Code, R.S.N.S. 1989, ch. 246. En vertu du paragraphe 72(1) du Labour Standards Code, un employé ne peut pas être licencié sans avoir reçu une certaine indemnité de départ minimale, en fonction de la longueur de la période d'emploi qui a précédé le licenciement. Le demandeur a travaillé pendant environ quatre ans, de sorte qu'il aurait été admissible à une indemnité de départ de deux semaines, en vertu du Labour Standards Code. Même s'il avait travaillé dix ans ou plus, le Tribunal aurait uniquement pu lui accorder huit semaines d'indemnité de départ. Étant donné qu'il a en fait reçu 11 mois d'indemnité de départ, il est évident que l'indemnité de départ n'avait pas été versée par suite d'une sentence arbitrale rendue par le Labour Standards Tribunal de la Nouvelle-Écosse. De plus, il n'existe aucune preuve au sujet du type de mesure disciplinaire mentionné au paragraphe 36(11) du Règlement. Le paragraphe 36(11) du Règlement ne s'applique pas au demandeur. La rémunération en question est celle qui est mentionnée au paragraphe 36(9).
Deuxième question: Le demandeur a-t-il établi qu'il avait un motif valable de tarder à demander des prestations d'emploi?
[31]Le demandeur soutient qu'il avait des motifs valables d'avoir tardé à présenter sa demande de prestations. Le paragraphe 10(4) de la Loi est ainsi libellé:
10. [. . .]
(4) Lorsque le prestataire présente une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu'à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations et qu'il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.
[32]Dans ses motifs, le juge-arbitre dit ce qui suit sur ce point:
Pour justifier un motif valable de retarder la soumission de sa demande de prestations, un ou une prestataire doit démontrer qu'il ou elle a fait ce que toute personne sensée et prudente aurait fait dans les mêmes circonstances, soit pour clarifier la situation au sujet de son emploi ou pour déterminer ses droits et obligations en vertu de la Loi. Chaque cas doit être jugé d'une façon individuelle, selon ses propres faits, et il n'existe aucun principe clair et facilement applicable à cette fin (Malitsky c. Canada (P.g.), A-205-96, 3 septembre 1997 (C.A.F.); Canada (P.g.) c. Albrecht, (1985) 1 C.F. 710 (C.A.F.)). Pour démontrer qu'il avait un motif valable, le prestataire n'est pas obligé de préciser que certaines circonstances indépendantes de sa volonté l'ont empêché de soumettre plus tôt sa demande de prestations. Le bon critère à appliquer est la capacité du prestataire de démontrer qu'il a fait ce que toute personne sensée et prudente aurait fait dans les mêmes circonstances (Canada (P.g.) c. Ehman, A-360-95, 9 février 1996 (C.A.F.)). De plus, un motif valable peut aussi inclure des circonstances selon lesquelles il peut être raisonnable pour un prestataire de retarder consciemment la soumission de sa demande de prestations (Canada (P.g.) c. Gauthier, A-1789-83, 9 octobre 1984 (C.A.F.)). L'ignorance de la loi ne constitue certes pas un motif valable, mais cette ignorance ne doit pas nuire à la recherche d'un motif valable. Plusieurs situations, y compris l'ignorance de la loi, peuvent toutefois constituer des motifs valables, à la condition que le prestataire soit en mesure de prouver qu'il a agi d'une manière sensée et prudente (Canada (P.g.) c. Caron (1986), 69 N.R. 132 (C.A.F.)).
Le juge-arbitre a conclu que le demandeur n'avait pas satisfait au critère du motif valable.
[33]Le demandeur affirme qu'il voulait trouver un nouvel emploi et non demander des prestations d'emploi. Il dit également que son avocat l'a informé qu'il n'aurait pas le droit de toucher des prestations d'emploi pendant la période de répartition de l'indemnité de départ de 11 mois et qu'il a inféré qu'il n'avait pas à présenter une demande tant qu'il n'aurait pas le droit de toucher des prestations d'emploi.
[34]Le juge-arbitre s'est fondé sur la jurisprudence applicable en déterminant si le demandeur avait un motif valable d'avoir tardé à agir. De fait, la Cour a conclu qu'aussi louable qu'elle soit, l'intention de ne pas demander de prestations d'emploi et de trouver un autre emploi ne constitue pas un motif valable justifiant le retard. Voir Canada (Procureur général) c. Smith (1993), 153 N.R. 317 (C.A.F.), aux pages 318 et 319. Le fait que l'on s'est fondé sur un conseil juridique n'est pas non plus considéré comme un motif valable. Voir Canada (Procureur général) c. Ehman (1996), 193 N.R. 391 (C.A.F.). Quoi qu'il en soit, en l'espèce, le conseil juridique que le demandeur a reçu était uniquement qu'il n'aurait pas droit à des prestations d'emploi avant la fin de la période de répartition de l'indemnité de départ. Il n'est pas soutenu que l'avocat du demandeur a conseillé à celui-ci de ne pas présenter de demande de prestations d'emploi au moment de la cessation d'emploi.
[35]Le demandeur dit qu'il n'est pas nécessaire de demander des prestations d'emploi tant que la personne en cause n'est pas prête à présenter une demande; or, aussi raisonnable que cela semble être, cela n'est pas conforme à la jurisprudence. Cela n'est pas non plus conforme à l'approche générale de la Commission, à savoir qu'elle devrait savoir à quel moment une personne cesse d'être employée, de façon à avoir la possibilité de déterminer que cette personne est disponible pour exercer un emploi et de connaître les démarches que celle-ci fait pour trouver un nouvel emploi dès qu'elle cesse d'être employée.
[36]Le demandeur affirme également que des retenues ont erronément été effectuées sur l'indemnité de départ au titre de l'assurance-emploi. C'est peut-être bien le cas, mais je ne vois pas comment cela peut lui fournir un motif valable d'avoir tardé à agir.
[37]Enfin, le demandeur affirme que la jurisprudence qui irait à l'encontre des arguments qu'il a invoqués au sujet du motif valable est erronée. Sauf dans certaines circonstances exceptionnelles, les cours d'appel intermédiaires suivent leurs décisions antérieures. La Cour a la responsabilité d'assurer la stabilité, l'uniformité et l'invariabilité du droit. Afin d'établir que la Cour devrait passer outre à sa jurisprudence antérieure, il ne suffit pas de soutenir simplement que la jurisprudence antérieure est erronée. Il doit exister des motifs permettant de passer outre à la jurisprudence antérieure. Or, le demandeur n'a invoqué aucun motif de ce genre en l'espèce (Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370; [2002] A.C.F. no 1375 (C.A.) (QL)).
[38]Malheureusement, ce sont souvent ceux qui ont peu d'expérience ou qui n'ont aucune expérience en ce qui concerne les prestations d'emploi et qui ont les meilleures intentions qui s'empêtrent dans l'amas de dispositions législatives et réglementaires que le législateur et le gouverneur en conseil semblent considérer comme nécessaires pour empêcher l'abus du système d'assurance-emploi. Je reconnais que le demandeur a agi de bonne foi et avec les meilleures intentions. Malheureusement, selon l'état actuel du droit, cela ne constitue pas un motif valable l'autorisant à antidater sa demande de prestations d'emploi.
[39]Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Je ne rendrais aucune ordonnance au sujet des dépens.
Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
Le juge Pelletier, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.