A-326-01
2002 CAF 270
Le Commissaire à l'information du Canada (appelant)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)
et
Philip W. Pirie (coïntimé)
et
Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (intervenant)
Répertorié: Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.)
Cour d'appel, juges Décary, Noël et Evans, J.C.A.-- Ottawa, 4 et 21 juin 2002.
Accès à l'information -- Le nom et les résultats des entrevues des personnes interrogées dans le cadre d'un examen administratif concernant des allégations de comportement discriminatoire et de harcèlement de la part d'un haut fonctionnaire à la suite duquel ce dernier a été démis de ses fonctions ne sont pas soustraits à la communication par suite de l'effet combiné de l'art. 19 de la Loi sur l'accès à l'information et du par. i) de la définition de «renseignements personnels» à l'art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels -- L'affaire porte sur les droits divergents, sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de deux individus qui prétendent que les renseignements contestés sont des renseignements qui leur sont personnels et qui se battent au sujet de leur divulgation -- Les par. e) et g) de la définition de «renseignements personnels» à l'art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels exigent la communication des renseignements demandés -- La promesse de confidentialité faite par le Ministère ne saurait avoir préséance sur l'obligation de communiquer les renseignements qui est imposée par la Loi -- L'«effet d'intimidation» que peut avoir la communication des renseignements n'est pas un motif de refuser la communication -- Interprétation de l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances) de la C.S.C. -- Tant l'intérêt privé du haut fonctionnaire (la possibilité de connaître les propos qui ont été tenus à son sujet et qui a tenu ces propos, ne serait-ce que pour pouvoir exercer le droit que lui reconnaît l'art. 12(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels de corriger les renseignements à son sujet) et l'intérêt du public (l'équité exige que l'on ne donne pas carte blanche aux témoins et que les personnes contre lesquelles des opinions défavorables sont exprimées aient l'occasion d'en être informées, d'en contester l'exactitude et de les rectifier) commandent que le nom des personnes interrogées soit divulgué.
Protection des renseignements personnels -- Le nom et les résultats des entrevues des personnes interrogées dans le cadre d'un examen administratif concernant des allégations de comportement discriminatoire et de harcèlement de la part d'un haut fonctionnaire à la suite duquel ce dernier a été démis de ses fonctions ne sont pas soustraits à la communication par suite de l'effet combiné de l'art. 19 de la Loi sur l'accès à l'information et du par. i) de la définition de «renseignements personnels» à l'art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels -- L'affaire porte sur les droits divergents, sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de deux individus qui prétendent que les renseignements contestés sont des renseignements qui leur sont personnels et qui se battent au sujet de leur divulgation -- Les par. e) et g) de la définition de «renseignements personnels» à l'art. 3 la Loi sur la protection des renseignements personnels exigent la communication des renseignements demandés -- La promesse de confidentialité faite par le Ministère ne saurait avoir préséance sur l'obligation de communiquer les renseignements qui est imposée par la Loi -- L'«effet d'intimidation» que peut avoir la communication des renseignements n'est pas un motif de refuser la communication -- Interprétation de l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances) de la C.S.C. -- Tant l'intérêt privé du haut fonctionnaire (la possibilité de connaître les propos qui ont été tenus à son sujet et qui a tenu ces propos, ne serait-ce que pour pouvoir exercer le droit que lui reconnaît l'art. 12(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels de corriger les renseignements à son sujet) et l'intérêt du public (l'équité exige que l'on ne donne pas carte blanche aux témoins et que les personnes contre lesquelles des opinions défavorables sont exprimées aient l'occasion d'en être informées, d'en contester l'exactitude et de les rectifier) commandent que le nom des personnes interrogées soit divulgué.
Des allégations de comportement discriminatoire et de harcèlement au Service de traitement centralisé du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration en Alberta ont incité le ministre intimé à demander à un consultant de l'extérieur de faire enquête. Les employés, mais non les cadres, qui ont été reçus en entrevue ont été informés que les entrevues seraient confidentielles. Peu de temps après la publication du rapport, l'intimé, M. Pirie, directeur du Centre (le directeur), a été démis de ses fonctions. Quand on lui refusé l'accès aux notes prises lors des entrevues, M. Pirie a porté plainte auprès du Commissaire à l'information du Canada. D'autres renseigne-ments ont été communiqués, mais le nom des personnes interrogées ainsi que les renseignements relatifs au poste qu'elles occupaient n'ont pas été communiqués. De plus, les idées ou opinions relatives à M. Pirie ont été retranchées des documents dans chaque cas où leur communication risquait de dévoiler l'identité de la personne qui les avait exprimées. Le juge de première instance a conclu que le nom et les opinions des personnes interrogées, à l'exception des cadres, au sujet de M. Pirie de même que les parties des entrevues qui permettraient de les identifier ne devaient pas être communiqués en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur l'accès à l'information pour le motif qu'il s'agissait de «renseignements personnels» au sens de l'alinéa i) de la définition de «renseignements personnels» à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle a également conclu que les alinéas e) et g) ne s'appliquaient pas en raison de l'application de l'alinéa i). Il s'agissait en l'espèce d'un appel de cette décision.
Arrêt: l'appel doit être accueilli.
L'alinéa i) de la définition de «renseignements personnels» ne s'applique pas. Les alinéas e) et g) de cette définition exigent que les renseignements demandés soient communiqués.
Quatre remarques préliminaires ont été faites. 1) Les incidences que le rapport et les notes d'entrevue avaient pu avoir sur la carrière de M. Pirie et les voies de recours qui lui seraient ouvertes, notamment en vertu de la Loi sur l'accès à l'information pour le cas où le tribunal ordonnerait la communication des renseignements demandés, n'étaient pas pertinentes. La question qui se posait était de savoir s'il existait un droit à la communication des renseignements contestés. 2) Si on appliquait la décision rendue en première instance, une grande partie des renseignements que le Ministère était disposé à communiquer à M. Pirie lui serait incompréhensible et une partie des idées exprimées par les personnes interrogées ne serait même pas communiquée. Ainsi, le droit conféré à M. Pirie par le paragraphe 12(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels de demander la correction des renseignements personnels le concernant serait illusoire. 3) La promesse de confidentialité que le Ministère a faite à quelques-unes des personnes interrogées ne saurait avoir préséance sur l'obligation de communiquer les renseignements qui est imposée par la Loi, ni être opposée à M. Pirie, en supposant qu'il a droit à leur communication. 4) L'effet d'intimidation que la communication des renseignements pourrait avoir sur d'éventuels participants à des enquêtes futures a toujours été écarté en tant que motif de refuser la communication.
La présente affaire se distinguait de la plupart des affaires dont avaient été saisis antérieurement les tribunaux en ce qu'elle portait sur les droits divergents, sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de deux individus qui prétendaient que les renseignements contestés étaient des renseignements qui leur étaient personnels et se battaient au sujet de leur divulgation, M. Pirie affirmant d'une part que les idées que les personnes interrogées ont exprimées à son sujet, de même que l'identité de ces personnes, constituaient des «renseignements personnels» sur lui au sens de l'alinéa 3g) et les personnes interrogées soutenant d'autre part que les idées qu'elles avaient exprimées à son sujet étaient des «renseignements personnels» les concernant au sens de l'alinéa 3i), pour ce qui est de leur nom ainsi que des renseignements susceptibles de révéler leur identité. Les mêmes renseignements peuvent être «personnels» pour plusieurs personnes. Toutefois, l'économie de la Loi sur la protection des renseignements personnels exige cependant qu'un seul droit ait préséance.
On ne devrait pas considérer que, dans l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), la Cour suprême du Canada a invité les tribunaux à minimiser l'importance des exemples donnés aux alinéas a) à i) de la définition de l'expression «renseignements personnels» à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels lorsqu'ils sont appelés à décider si des renseignements déterminés constituent ou non des «renseignements personnels» puisqu'on a utilisé l'expression «notamment» dans la première partie de la définition. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un exemple précis a pour effet de soustraire un certain type de renseignements à la définition de l'expression «renseignements personnels», on ne peut faire fi de cette exception pour le motif que l'exemple n'est fourni qu'à titre indicatif et que ce qui est exclu par l'exemple est néanmoins visé par le préambule. Il n'est pas possible que le législateur ait voulu inclure dans un préambule ce qu'il exclut par ailleurs dans les exemples qu'il donne. L'alinéa e) dispose dans les termes les plus nets que les opinions personnelles d'un individu (d'une des personnes interrogées) constituent des «renseignements personnels» concernant cet individu, sauf lorsqu'ils portent sur un autre individu (M. Pirie), auquel cas ces renseignements deviennent des «renseignements personnels» concernant M. Pirie. L'alinéa h) ne s'appliquait pas puisqu'il précise que ce n'est que lorsque les idées ou opinions portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix que l'identité de la personne qui les a exprimées tombe sous le coup de l'exception. L'alinéa i) s'applique lorsque la divulgation du nom lui-même révélerait des renseignements au sujet de la personne en cause. Lorsque le nom n'est pas mentionné, les renseignements ne tombent pas sous le coup de l'alinéa i). Toutefois, vu les opinions incidentes formulées par le juge La Forest dans l'arrêt Dagg, le nom de la personne interrogée constitue un renseignement personnel à son sujet au sens de l'alinéa i), bien que cette conclusion n'ait pas d'incidence sur la décision finale.
Le nom des personnes interrogées et les renseignements contextuels qui sont susceptibles de permettre de les identifier constituent des renseignements personnels concernant M. Pirie au sens de l'alinéa g), et le nom des personnes interrogées constitue également des renseignements personnels les concernant au sens de l'alinéa i). M. Pirie avait incontestablement droit à la communication des renseignements contextuels. Pour ce qui est de la divulgation du nom des personnes interrogées, il fallait choisir entre le droit de M. Pirie d'en réclamer la divulgation et le droit des personnes interrogées de s'y opposer. Pour trancher cette question, il faut tenir compte de l'intérêt privé de M. Pirie et des personnes interrogées à la divulgation et de l'intérêt du public à la divulgation et à la non-divulgation. L'intérêt privé des personnes interrogées consistait à cacher le fait qu'elles avaient participé à l'enquête et à garder confidentielles les conversations qu'elles avaient eues avec l'enquêteur. Cela assurerait que leurs relations de travail et leurs rapports personnels avec M. Pirie ne seraient pas compromis et les mettrait à l'abri de toute action en justice que pourrait intenter M. Pirie. Cet intérêt privé était négligeable. La participation à l'enquête avait en soi peu d'importance. Les personnes interrogées n'avaient aucun motif de craindre les conséquences de la divulgation des idées qu'elles avaient exprimées, sauf si elles ne pouvaient pas les justifier. L'intérêt privé de M. Pirie était, en revanche, important. Le rapport et les mesures prises par le Ministère donnent implicitement à penser que M. Pirie est en partie responsable des problèmes qui ont été constatés au Centre. Il doit se voir accorder la possibilité de connaître les propos qui ont été tenus à son sujet, et qui a tenu ces propos, ne serait-ce que pouvoir exercer le droit que lui reconnaît le paragraphe 12(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels de corriger les renseignements à son sujet dans les archives du Ministère. L'intérêt du public à ce que les renseignements soient divulgués vise à assurer que les enquêtes administratives se déroulent de façon équitable. L'équité exige en règle générale que l'on ne donne pas carte blanche aux témoins et que les personnes contre lesquelles des opinions défavorables sont exprimées aient l'occasion d'en être informées, d'en contester l'exactitude et, au besoin, de les rectifier. Par conséquent, tant l'intérêt privé de M. Pirie que l'intérêt du public commandaient que le nom des personnes interrogées soit divulgué. Cette conclusion allait dans le sens des propos formulés par le Commissaire à la protection de la vie privée dans le témoignage qu'il a donné devant le Comité permanent sur les comptes publics, et elle s'accordait aussi avec l'interprétation administrative de la Loi sur la protection des renseignements personnels que l'on retrouve dans le Manuel du Conseil du Trésor.
lois et règlements
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 16(1)c), 17, 19(1), 20(1), 49.
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 3 «renseignements personnels» (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. vii no 47), 8(1), 12(2), 22(1)b). |
jurisprudence
décisions appliquées:
Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589; (2000); 187 D.L.R. (4th) 675; 6 C.P.R. (4th) 289; 256 N.R. 278 (C.A.); autorisation de pourvoi devant la C.S.C. accordée [2002] S.C.C.A. no 353 (QL); Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié) (1997), 4 Admin. L.R. (3d) 96; 140 F.T.R. 140; 82 C.P.R. (3d) 290 (C.F. 1re inst.); Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430; (1997), 154 D.L.R. (4th) 414; 221 N.R. 145 (C.A.); Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403; (1997), 148 D.L.R. (4th) 385; 46 Admin. L.R. (2d) 155; 213 N.R. 161.
décisions citées:
Lavigne c. Canada (Commissaire aux langues officielles) (1998), 157 F.T.R. 15 (C.F. 1re inst.); conf. par (2000), 261 N.R. 19 (C.A.F.); conf. par (2002), 214 D.L.R. (4th) 1 (C.S.C.); Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 3 C.F. 320; (1993), 19 Admin. L.R. (2d) 230; 50 C.P.R. (3d) 253; 64 F.T.R. 62 (1re inst.); conf. par [1995] 2 C.F. 110; (1995), 30 Admin. L.R. (2d) 242; 60 C.P.R. (3d) 441; 179 N.R. 350 (C.A.).
doctrine
Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des questions juridiques concernant le projet de loi C-43. Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 94 (1980-1983) (hon. Francis Fox), aux p. 171-172.
Canada. Chambre des communes. Comité permanent des comptes publics. Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 20 (12-12-89) (Comm. Grace), à la p. 10.
Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto, Butterworths, 1994.
Manuel du Conseil du Trésor sur la protection des renseignements personnels. Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services du Canada, 1993.
APPEL de la décision de la Section de première instance (Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 C.F. 384; (2001), 33 Admin. L.R. (3d) 250; 202 F.T.R. 112) portant que le nom des personnes qui ont été interrogées dans le cadre d'un examen administratif et qui ont exprimé leurs idées ou leurs opinions au sujet d'un haut fonctionnaire du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, ainsi que les extraits de leur entrevue qui permettraient de les identifier sont soustraits à la communication pour le motif qu'il s'agit de «renseignements personnels» au sens de l'alinéa i) de la définition de «renseignements personnels» à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Appel accueilli.
comparutions:
Daniel Brunet et Patricia Boyd pour l'appelant.
Christopher M. Rupar pour l'intimé.
Personne n'a comparu pour le coïntimé.
Dougald E. Brown et Steven J. Welchner pour l'intervenant.
avocats inscrits au dossier:
Commissaire à l'information du Canada pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Nelligan O'Brien Payne LLP, Ottawa, pour l'intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Décary, J.C.A.: La Cour est saisie de l'appel d'un jugement de Mme le juge Dawson publié à [2001] 3 C.F. 384 (1re inst.). La principale question en litige est celle de savoir si le nom des personnes qui ont été interrogées dans le cadre d'un examen administratif et qui ont exprimé leurs idées ou leurs opinions au sujet d'un haut fonctionnaire du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration (le Ministère), ainsi que les extraits de leur entrevue qui permettraient de les identifier, sont soustraits à la communication au motif qu'il s'agit de «renseignements personnels» au sens de l'alinéa 3i)* [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. vii, no 47] de la Loi sur la protection des renseignements personnels [L.R.C. (1985), ch. P-21].
* Note de l'arrêtiste: Dans ces motifs, les mentions des alinéas de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels devraient se rapporter aux alinéas de la définition de "renseignements personnels" à l'article 3 de la Loi.
[2]The relevant facts can be simply put. Allegations of discriminatory behaviour and harassment at the Department's Case Processing Centre (the Centre) in Vegreville, Alberta, prompted the respondent (the Minister) to request an independent consultant to "examine corporate culture, values and systems in the [Centre] with a view to enhancing respect in the workplace for all individuals". Interviews were conducted in April, May and June of 1996 on a voluntary basis. Employees who participated were advised that the interviews would be confidential; managers who participated were not so advised. The notes from the interviews were to be maintained by the consultant and were not to be passed to the Department. The final report was provided to the Department on July 1, 1996, and it was eventually made public.
[2]Les faits pertinents sont simples. Des allégations de comportement discriminatoire et de harcèlement au Service de traitement centralisé du Ministère à Vegreville (Alberta) le STC ont incité l'intimé (le ministre) à demander à un consultant de l'extérieur, [traduction] «de faire l'examen de la culture organisationnelle, ainsi que des valeurs et des infrastructures en place au [STC] de Vegreville dans une perspective visant à valoriser le respect de tous en milieu de travail». Le consultant a reçu en entrevue en avril, mai et juin 1996 des employés qui s'étaient portés volontaires pour être interrogés à ce sujet. Avant la tenue de ces entrevues, les employés ont été informés que les entrevues seraient confidentielles. Cette assurance de confidentialité n'a cependant pas été donnée aux cadres. Le consultant s'engageait à ne pas divulguer au Ministère la teneur des notes prises lors des entrevues en question. Le rapport final a été remis au Ministère le 1er juillet 1996. Le rapport a ensuite été rendu public.
[3]Le 10 juillet 1996, M. Pirie, directeur du STC, a reçu une copie du rapport. Le jour même, il a été démis de ses fonctions. Le 31 juillet 1996, M. Pirie a demandé de pouvoir consulter les notes prises lors des entrevues. Cette requête a eu pour résultat que les notes d'entrevue se sont retrouvées entre les mains du Ministère, alors que jusque là elles avaient été en la possession du consultant. M. Pirie s'est vu refuser l'accès à certaines de ces notes. Il a porté plainte auprès du Commissaire à l'information du Canada (le Commissaire à l'information) et d'autres documents lui ont été communiqués. Finalement, le nom des personnes interrogées et les renseignements relatifs au poste qu'elles occupaient n'ont pas été communiqués. De plus, les idées ou opinions relatives à M. Pirie ont été retranchées des documents qui ont été communiqués à ce dernier dans chaque cas où leur communication risquait de dévoiler l'identité de la personne qui avait exprimé ces idées ou opinions.
[4]Le Ministère a invoqué selon le cas l'alinéa 16(1)c), l'article 17 et le paragraphe 20(1) de la Loi sur l'accès à l'information [L.R.C. (1985), ch. A-1] pour refuser de communiquer à M. Pirie les renseignements qu'il réclamait. C'est cependant sur le paragraphe 19(1) de la Loi sur l'accès à l'information et sur la définition des «renseignements personnels» qui est contenue à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et à laquelle le paragraphe 19(1) de la Loi sur l'accès à l'information renvoie que le Ministère s'est finalement appuyé pour justifier son refus.
[5]Le juge de première instance a conclu que le refus du ministre de divulguer le nom et les opinions des personnes interrogées était justifié par l'alinéa 3i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle s'est ensuite demandée si les renseignements demandés devaient quand même être communiqués en raison de l'exception prévue à l'alinéa 3j). Elle a jugé que l'exception s'appliquait, mais uniquement en ce qui concerne le nom et les opinions exprimées par les personnes interrogées qui étaient chargées de lutter contre le harcèlement en milieu de travail. Elle a finalement ordonné la divulgation à M. Pirie de [au paragraphe 63] «l'identité de tous les cadres ayant comme responsabilité d'empêcher le harcèlement sur le lieu de travail ou comme fonction d'appliquer la politique de harcèlement qui ont été interrogés [. . .] de même que toutes leurs opinions ou idées consignées qui ne lui ont pas encore été divulguées».
[6]En toute déférence, je suis arrivé à la conclusion que l'alinéa 3i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'applique pas ou du moins qu'il n'a pas préséance en l'espèce, et que les alinéas 3e) et 3g) exigent que les renseignements demandés soient communiqués. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire de discuter de l'application de l'alinéa 3j), si ce n'est que pour signaler que toutes les parties sont d'accord pour dire que le juge de première instance a commis une erreur en se fondant sur cette disposition.
[7]Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (le Commissaire à la protection de la vie privée) a été autorisé à intervenir à l'instance. Il appuie la position du Commissaire à l'information.
[8]J'aimerais, d'entrée de jeu, formuler quatre observations préliminaires.
[9]Premièrement, à l'audience, les avocats ont consacré du temps à discuter des incidences que le rapport et les notes d'entrevue avaient pu avoir sur la carrière de M. Pirie et des voies de recours qui lui seraient ouvertes, notamment en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, pour le cas où le tribunal ordonnerait la communication des renseignements demandés. Cette discussion est à mon avis futile. Le débat porte en l'espèce sur la question de savoir si M. Pirie a droit à la communication des renseignements contestés et non sur ce qu'il entend faire avec ces renseignements ou sur les mobiles qui l'ont poussé à les réclamer (voir le jugement Lavigne c. Canada (Commissaire aux langues officielles) (1998), 157 F.T.R. 15 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé, au paragraphe 28; confirmé par (2000), 261 N.R. 19 (C.A.F.); confirmé par (2002), 214 D.L.R. (4th) 1 (C.S.C.)).
[10]Deuxièmement, il ressort à l'évidence d'une comparaison des documents en litige, tant avant qu'après qu'on en ait retranché le nom des personnes interrogées et les renseignements qui permettraient de découvrir leur identité, qu'une grande partie des renseignements que le Ministère est disposé à communiquer à M. Pirie lui seraient incompréhensibles et qu'une grande partie des idées exprimées par les personnes interrogées ne seraient même pas communiquées. À toutes fins utiles, le droit conféré à M. Pirie par le paragraphe 12(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels de «demander la correction des renseignements personnels le concernant» serait illusoire. Ainsi que notre Cour l'a fait remarquer dan l'arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F 589 (C.A.); autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada accordée, [2002] S.C.C.A. no 353 (QL), au paragraphe 167:
Nous reconnaissons l'argument de l'appelant selon lequel, pour avoir un sens quant au fond, le droit à la vie privée doit se rapporter tant à l'acquisition de renseignements personnels qu'à leur utilisation subséquente, en particulier lorsque les renseignements personnels ont été recueillis à l'insu de l'individu et que c'est l'État qui les recueille.
Ainsi, dans le cas qui nous occupe, on se demande quel usage M. Pirie pourrait bien faire des renseignements suivants que l'on trouve à la page 2813 du volume 10 du dossier d'appel:
[traduction] N'avait pas le sentiment que Phil [M. Pirie] était intéressé à la diversité. Il ne s'entendait pas avec elle [. . .]
La seule raison de sa mutation [. . .] était qu'il voulait se débarrasser de [. . .]
Interrogée sur la question de savoir quand Phil a appris qu'il y avait du racisme au Ministère, elle a répondu «tout de suite» parce qu'il était déjà au courant.
[11]Troisièmement, la promesse de confidentialité que le Ministère a faite à quelques-unes des personnes interrogées ne saurait avoir préséance sur l'obligation de communiquer les renseignements qui est imposée par la Loi, ni être opposée à M. Pirie, en supposant qu'il a droit à leur communication (voir les jugements Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié) (1997), 4 Admin. L.R. (3d) 96 (C.F. 1re inst.), le juge Richard, au paragraphe 26; et Lavigne, précité).
[12]Quatrièmement, l'effet d'intimidation que la communication des renseignements pourrait avoir sur d'éventuels participants à de futures enquêtes a toujours été écarté en tant que motif de refuser la communication (voir l'arrêt Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 (C.A.), aux paragraphes 45 et 46, et les jugements Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié), précité, au paragraphe 45; et Lavigne, précité). Si j'ai bien compris, ces décisions portaient sur l'alinéa 16(1)c) de la Loi sur l'accès à l'information et sur l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais les principes qui y sont exposés au sujet des organismes d'enquête qui s'occupent du dépistage et de la répression du crime s'appliquent encore plus aux enquêtes administratives informelles comme celle qui nous intéresse en l'espèce. Si le législateur fédéral est disposé à protéger l'identité d'une source de renseignements confidentielle uniquement au cours des «enquêtes licites» envisagées par ces dispositions, on ne peut guère invoquer l'argument de principe suivant lequel il est impératif de protéger le nom des personnes qui témoignent dans une enquête informelle pour éviter de compromettre à l'avenir le déroulement de ces enquêtes.
[13]Par souci de commodité, je reproduis maintenant les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l'accès à l'information qui sont citées plus loin:
Loi sur la protection des renseignements personnels
3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
[. . .]
«renseignements personnels» Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment:
a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;
b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;
c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;
d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin;
e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l'exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle-ci visée par règlement;
f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l'institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l'expéditeur;
g) les idées ou opinions d'autrui sur lui;
h) les idées ou opinions d'un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle-ci, visée à l'alinéa e), à l'exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions;
i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d'autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;
toutefois, il demeure entendu que, pour l'application des articles 7, 8 et 26, et de l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant:
j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d'une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment:
(i) le fait même qu'il est ou a été employé par l'institution,
(ii) son titre et les adresses et numéro de téléphone de son lieu de travail,
(iii) la classification, l'éventail des salaires et les attributions de son poste,
(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu'il a établi au cours de son emploi,
(v) les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de son emploi;
k) un individu qui, au titre d'un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l'individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de la prestation;
l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d'un permis ou d'une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui-ci et la nature précise de ces avantages;
m) un individu décédé depuis plus de vingt ans. [Non souligné dans l'original.]
Loi sur l'accès à l'information
16. (1) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication de documents:
[. . .]
c) contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d'enquêtes licites, notamment:
[. . .]
(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,
[. . .]
19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[14]La Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels reconnaissent toutes les deux que, «dans la mesure où il est visé par la définition de "renseignements personnels", contenue à l'art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le droit à la vie privée l'emporte sur le droit d'accès à l'information» (Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, au paragraphe 48). Toutefois, la plupart des affaires qui ont été portées devant les tribunaux opposaient des particuliers qui faisaient valoir leur droit privé d'obtenir la communication à des institutions fédérales qui invoquaient l'intérêt du public pour s'opposer à la communication, ou ne concernaient que la communication de renseignements personnels que l'intéressé avait lui-même révélés à une institution fédérale. Par contraste, la présente affaire porte sur les droits divergents, sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de deux individus qui prétendent que les renseignements contestés sont des renseignements qui leur sont personnels et qui se battent au sujet de leur divulgation. D'une part, M. Pirie affirme que les idées que les personnes interrogées ont exprimées à son sujet, de même que l'identité de ces personnes, constituent des «renseignements personnels» sur lui au sens de l'alinéa 3g). D'autre part, les personnes interrogées -- que je présume, aux fins de la présente instance, être représentées par le ministre -- soutiennent que les idées qu'elles ont exprimées au sujet de M. Pirie sont des «renseignements personnels» les concernant au sens de l'alinéa 3i), pour ce qui est de leur nom ainsi que des renseignements susceptibles de révéler leur identité.
[15]Vu le sens large qui a été attribué à l'expression «renseignements personnels» dans l'arrêt Dagg, précité, il est évident que les mêmes renseignements peuvent être «personnels» pour plusieurs personnes. L'économie de la Loi sur la protection des renseignements personnels exige cependant qu'un droit ait préséance sur l'autre, étant donné qu'une institution fédérale ne peut, relativement aux mêmes renseignements, à la fois les communiquer avec le consentement d'une personne en vertu du paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et refuser de les divulguer en raison du défaut de consentement d'une autre personne. Le défaut de reconnaître qu'un renseignement déterminé peut être personnel pour deux personnes différentes qui ont des droits opposés au sujet de sa communication est à l'origine de l'interprétation erronée qui, à mon humble avis, a été proposée par le ministre et que le juge de première instance a finalement retenue.
[16]En l'espèce, le juge de première instance a conclu qu'en raison du préambule de la définition de l'expression «renseignements personnels» qui figure à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, les renseignements en litige constituaient des renseignements personnels touchant à la fois M. Pirie et les personnes interrogées. Elle a poursuivi en examinant «le reste de la définition de l'expression "renseignements personnels", soit la liste des exemples, afin d'assurer que la conclusion susmentionnée, laquelle est strictement fonction de la disposition liminaire de la définition, cadre bien avec le reste de la définition» (paragraphe 21).
[17]Le juge de première instance a finalement conclu que, bien que les alinéas 3e) et 3g) précisent bien que les opinions exprimées par les personnes interrogées au sujet de M. Pirie constituent des renseignements personnels concernant M. Pirie, les alinéas en question portent sur la teneur des opinions et sont muets en ce qui concerne le nom et l'identité de la personne qui a émis l'idée ou l'opinion. Se fondant sur l'arrêt Dagg, précité, elle a conclu que le fait que, comme les alinéas 3e) et 3g) ne les mentionnaient pas expressément, le nom et l'identité des personnes interrogées étaient visés par la disposition liminaire générale de la définition. Elle a également jugé mal fondé l'argument tiré de l'alinéa 3h) selon lequel, étant donné l'exclusion spécifique du nom de la personne visée à l'alinéa 3h), qui porte en partie sur l'exception prévue à l'alinéa 3e), l'absence de toute mention de l'exclusion du nom d'un individu à l'alinéa 3g) devrait être considérée comme exprimant l'intention du législateur fédéral de faire en sorte qu'un individu identifiable ne puisse pas anonymement exprimer ses idées ou ses opinions sur un autre individu. Même si cet argument lui a semblé «convaincant à première vue» (paragraphe 36), elle a refusé cette méthode d'interprétation de la loi «dans un cas où le préambule de la définition est censé constituer la source première de son interprétation, et l'énumération qui suit, ne constituer qu'une liste d'exemples».
[18]Elle s'est ensuite penchée sur l'alinéa 3i), qui traite expressément du nom d'un individu et qui considère le nom d'un individu identifiable comme un renseignement personnel le concernant «dans au moins l'une des deux situations suivantes: premièrement, lorsque le nom est mentionné avec d'autres renseignements personnels concernant l'individu; et deuxièmement, lorsque la divulgation du nom révélerait des renseignements (sans que ces renseignements soient nécessairement des renseignements personnels) au sujet de cet individu» (paragraphe 26). Elle a conclu que le premier volet de l'alinéa 3i) ne s'appliquait pas, parce que le nom des personnes interrogées n'était pas mentionné en même temps que d'autres renseignements personnels les concernant, mais que le second volet de l'alinéa s'appliquait parce que la divulgation du nom de ces personnes aurait pour effet de révéler des renseignements personnels à leur sujet, à savoir leur participation à l'examen administratif. En dernière analyse, elle a décidé que les alinéas 3e) et 3g) ne s'appliquaient pas parce que l'alinéa 3i) s'appliquait. À mon avis, elle a commis une erreur en concluant que ces alinéas ne pouvaient coexister.
[19]En ce qui a trait aux alinéas 3e), g) et h), la conclusion du juge de première instance repose sur la prémisse que, dans l'arrêt Dagg, précité, la Cour suprême du Canada a invité les tribunaux à minimiser l'importance des exemples donnés aux alinéas a) à i) de la définition de l'expression «renseignements personnels» à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels lorsqu'ils sont appelés à décider si des renseignements déterminés constituent ou non des «renseignements personnels».
[20]C'est au paragraphe 68 de l'arrêt Dagg que se trouve le passage pertinent des motifs du juge La Forest -- qui, sur cette question, s'exprimait au nom de la Cour:
La disposition liminaire de cet article définit l'expression «renseignements personnels» comme étant «[l]es renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment». Selon son sens clair, cette définition est indéniablement large. En particulier, elle précise que la liste des exemples particuliers qui suit la définition générale n'a pas pour effet d'en limiter la portée. Comme l'a récemment jugé notre Cour, cette phraséologie indique que la disposition liminaire générale doit servir de principale source d'interprétation. L'énumération subséquente ne fait que donner des exemples du genre de sujets visés par la définition générale; voir Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, aux pp. 289 à 291. En conséquence, si un document de l'administration fédérale est visé par cette disposition liminaire, il importe peu qu'il ne relève d'aucun des exemples donnés.
[21]À mon humble avis, ces propos doivent être replacés dans leur contexte. Le juge La Forest énonçait simplement une vérité d'évidence, en l'occurrence le fait que lorsque, dans une définition, le législateur emploie des expressions comme «notamment» et «sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède», une telle définition est «indéniablement large» et ne se limite pas aux exemples qui sont ensuite expressément donnés. En expliquant que «si un document de l'administration fédérale est visé» par la disposition liminaire en question, «il importe peu qu'il ne relève d'aucun des exemples donnés», le juge La Forest ne disait pas qu'il importait peu qu'un document de l'administration fédérale soit expressément ou tacitement exclu par un des exemples précis qui étaient donnés. D'ailleurs, au sujet du préambule de la définition, il a poursuivi en faisant remarquer, au paragraphe 69 qu'il «semble destin[é] à viser tout renseignement sur une personne donnée, sous la seule réserve d'exceptions précises».
[22]Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un exemple précis a pour effet de soustraire un certain type de renseignement à la définition de l'expression «renseignements personnels», on ne peut faire fi de cette exception au motif que l'exemple n'est fourni qu'à titre indicatif et que ce qui est exclu par l'exemple est néanmoins visé par le préambule. Il n'est pas possible que le législateur ait voulu inclure dans un préambule ce qu'il exclut par ailleurs dans les exemples qu'il donne. Il existe une différence marquée entre un document qui ne tombe pas sous le coup d'un exemple et un document qui est exclu par le même exemple.
[23]L'alinéa 3e) dispose dans les termes les plus nets que les opinions personnelles d'un individu (d'une des personnes interrogées) constituent des «renseignements personnels» concernant cet individu, sauf lorsqu'ils portent sur un autre individu (M. Pirie), auquel cas ces renseignements deviennent des «renseignements personnels» concernant M. Pirie, aux termes de l'alinéa 3g).
[24]L'alinéa 3h), en revanche, dissipe tout doute sur la question de savoir si, à l'alinéa 3e), l'identité de l'individu qui a exprimé les idées ou les opinions est visée par les mots «les idées ou les opinions d'un autre individu sur lui». Ce n'est que lorsque les idées ou opinions portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix que l'identité de la personne qui les a exprimées tombent sous le coup de l'exception. Nous savons, grâce à la genèse législative de la définition de l'expression «renseignements personnels» dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, que l'alinéa 3h) a été ajouté pour «préciser que les évaluations seront disponibles aux personnes dont les propositions ont été évaluées; cependant l'identité de l'évaluateur demeurera cachée» (l'honorable Francis Fox, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques concernant le projet de loi C-43 (1980-83), fascicule no 94, aux pages 171 et 172). Si le législateur fédéral avait voulu que ces «précisions» s'appliquent à l'ensemble de l'alinéa 3e), il l'aurait certainement dit et aurait tout simplement ajouté cette précision à la fin de cet alinéa. En employant le mot «précisions», le ministre Fox confirme, à mon avis, que la notion même d'«opinion ou idée d'un individu» (c'est moi qui souligne) viserait autrement la source de cette opinion ou de cette idée, c'est-à-dire l'identité de l'individu qui l'exprime. Pour qu'il y ait une opinion, il faut nécessairement qu'il y ait une personne qui l'exprime.
[25]Contrairement au juge de première instance, je conclus que le nom et l'identité des personnes interrogées constituent tout autant des renseignements personnels concernant M. Pirie, au sens de l'alinéa 3g), que la teneur des opinions ou des idées qui ont été exprimées.
[26]En ce qui concerne l'alinéa 3i), je suis d'accord avec le juge de première instance pour dire que le premier volet de cet alinéa ne s'applique pas, compte tenu des circonstances de l'espèce. Pour ce qui est du second volet, je me dissocie de la conclusion qu'il peut s'appliquer aux renseignements contextuels (par opposition au nom) qui seraient susceptibles de révéler l'identité des personnes interrogées. L'alinéa 3i) s'applique lorsque la divulgation du nom lui-même révélerait des renseignements au sujet de la personne en cause. Lorsque le nom n'est pas mentionné, les renseignements ne tombent pas sous le coup de l'alinéa 3i) (voir l'arrêt Dagg, précité, au paragraphe 82).
[27]Toujours en ce qui concerne le second volet de l'alinéa 3i), je doute que les mots «renseignements à son sujet» aient une portée aussi vaste que celle que le juge La Forest leur a reconnue dans les observations incidentes qu'il a formulées dans l'arrêt Dagg, précité, au paragraphe 85, mais je ne peux reprocher au juge de première instance de s'en être remise à ces observations et je n'ai moi-même d'autre choix que de considérer que le nom de la personne interrogée constitue un renseignement personnel à son sujet au sens de l'alinéa 3i), bien que, comme nous allons le voir, cette conclusion n'a pas d'incidence sur ma conclusion finale.
[28]En dernière analyse, je conclus que le nom des personnes interrogées et les renseignements contextuels qui sont susceptibles de permettre de les identifier constituent des renseignements personnels concernant M. Pirie au sens de l'alinéa 3g) et que le nom des personnes interrogées constituent également des renseignements personnels les concernant au sens de l'alinéa 3i). Il est donc incontestable que M. Pirie a droit à la communication des renseignements contextuels. Mais qu'en est-il de la divulgation du nom des personnes interrogées? Il faut choisir entre le droit de M. Pirie d'en réclamer la divulgation et le droit des personnes interrogées de s'y opposer. Lequel de ces droits devrait l'emporter?
[29] Pour trancher cette question, il faut à mon avis tenir compte de l'intérêt privé de M. Pirie et des personnes interrogées à la divulgation et de l'intérêt du public à la divulgation et à la non-divulgation.
[30]L'intérêt privé des personnes interrogées consiste à cacher le fait qu'elles ont participé à l'enquête et à garder secrètes les conversations qu'elles ont eues avec l'enquêteur (je constate toutefois que les cadres qui ont été interrogés n'ont reçu aucune promesse de confidentialité et qu'ils ne peuvent revendiquer cet intérêt privé). La protection de leur anonymat assurerait que leurs relations de travail et leurs rapports personnels avec M. Pirie ne seront pas compromis et, surtout, les mettraient à l'abri de toute action en justice que M. Pirie pourrait intenter sur le fondement des idées qu'elles ont exprimées.
[31]Cet intérêt privé est négligeable. Le fait que les personnes interrogées ont participé à l'enquête a en soi peu d'importance et, dans la mesure où elles peuvent justifier les idées qu'elles ont exprimées, elles ne devraient pas craindre les conséquences de la divulgation, bien que celle-ci puisse, évidemment, en comporter. Si elles ne peuvent justifier leurs idées, elles peuvent avoir raison d'avoir des craintes. Ces craintes s'expliquent non pas par la divulgation des idées en question, mais par le fait qu'elles ont au départ été exprimées et qu'elles n'étaient peut-être pas justifiées.
[32]L'intérêt public invoqué par le ministre en ce qui concerne la non-divulgation des renseignements repose sur le fait que la communication de ces renseignements pourrait avoir pour effet d'intimider les éventuels participants à de futures enquêtes et sur le fait que les promesses de confidentialité qui ont été faites par une institution fédérale (ou en son nom) n'ont pas été respectées. J'ai déjà examiné cet argument aux paragraphes 10 et 11 et je l'ai rejeté catégoriquement.
[33]L'intérêt privé de M. Pirie est, en revanche, important. Le rapport et les mesures prises par le Ministère à la suite de la publication du rapport donnent implicitement à penser que M. Pirie est en partie responsable des problèmes qui ont été constatés au STC. Il n'en demeure pas moins qu'il doit se voir accorder la possibilité de connaître les propos qui ont été tenus à son sujet, et qui a tenu ces propos, ne serait-ce que pour pouvoir exercer le droit que lui reconnaît le paragraphe 12(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels de corriger les renseignements à son sujet dans les archives du Ministère.
[34]L'intérêt du public à ce que les renseignements soient divulgués vise à assurer que les enquêtes administratives se déroulent de façon équitable. Indépendamment des règles relatives à la régularité de la procédure qui s'appliquent dans un cas déterminé, l'équité exige en règle générale que l'on ne donne pas carte blanche aux témoins et que les personnes contre lesquelles des opinions défavorables sont exprimées aient l'occasion d'en être informées, d'en contester l'exactitude et, au besoin, de les rectifier.
[35]Je conclus donc que tant l'intérêt privé de M. Pirie que l'intérêt du public commandent que le nom des personnes interrogées soit divulgué.
[36]Cette conclusion va dans le sens des propos formulés par le commissaire à la protection de la vie privée Grace dans le témoignage qu'il a donné devant le Comité permanent sur les comptes publics le 12 décembre 1989 lorsqu'il signalait que l'un des droits conférés par la Loi sur la protection des renseignements personnels (Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des comptes publics, fascicule no 20 (12-12-89), à la p. 10):
[traduction] [. . .] est de savoir quelles accusations sont consignées contre nous dans les dossiers gouvernementaux et qui a porté ces accusations. Que ces accusations soient vraies et bien intentionnées ou fausses et malveillantes, comme cela arrive parfois, il est essentiel, compte tenu de notre notion de la justice, qu'elles ne demeurent pas secrètes et que leurs auteurs puissent garder l'anonymat.
[37]Cette conclusion s'accorde aussi avec l'interprétation administrative de la Loi sur la protection des renseignements personnels que l'on retrouve dans le Manuel du Conseil du Trésor. Sauf erreur, le Manuel est, au mieux, un outil d'interprétation de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui ne représente que l'opinion du Conseil du Trésor ou des fonctionnaires et qui ne lie pas les institutions fédérales et encore moins les tribunaux (voir le jugement Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 3 C.F. 320 (1re inst.), à la page 341; confirmé à [1995] 2 C.F. 110 (C.A.)). Pourtant, les vues convergentes des principaux adversaires dans ce type de conflit, en l'occurrence le Conseil du Trésor, le Commissaire à l'information et le Commissaire à la protection de la vie privée, peuvent offrir [traduction] «des opinions convaincantes sur l'objet ou le sens de la loi» (Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e ed., Toronto, Butterworths, 1994, aux pages 469 à 471). Voici ce qu'on trouve sur la question dans le Manuel du Conseil du Trésor (Manuel du Conseil du Trésor sur la protection des renseignements personnels, Ottawa: Ministère des Approvisionnements et Services du Canada, 1993, aux pages 33 et 34):
Lorsqu'il y a une possibilité de violation de la vie privée, les institutions fédérales doivent prélever du document les renseignements au sujet de l'autre individu ou, si cela est impossible, invoquer une exception.
À des fins pratiques et administratives et dans la mesure du possible, les renseignements concernant plus d'un individu doivent être séparés du fichier de renseignements personnels.
Cette exception ne vise pas le nom d'une troisième source de renseignements au sujet d'un individu (par exemple, la source d'une opinion ou d'une critique sur le travail d'un individu), sauf celui d'un arbitre ou d'un juge dans le cas d'une subvention, d'une récompense ou d'un prix, conformément aux alinéa 3e) et h), octroyé aux institutions énumérées à l'article 3 du Règlement. Sauf dans les dispositions prévues aux alinéas 3e) et h) de la Loi, le nom de la source et les renseignements ou l'opinion au sujet de l'individu fournis par la source ne peuvent faire l'objet d'une exception en vertu de cette disposition. Cependant, tout autre renseignement personnel au sujet de la source, à l'exception de son nom (par exemple, adresse, titre, nationalité, etc.) doit être prélevé avant la communication du document. Bien entendu, le nom d'un tiers ainsi que ses opinions peuvent être protégés s'ils peuvent faire l'objet d'une exception pour d'autres raisons. [Non souligné dans l'original.]
[38]De plus, dans une note de service du 19 juillet 2001 adressée aux directeurs des ressources humaines au sujet de l'«application et de l'interprétation de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels aux fins de la politique du CT sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail», le Conseil du Trésor signale ce qui suit:
[L]es plaignants, les mis en cause et les autres parties ont le droit de savoir les propos qui ont été tenus à leur sujet et qui a tenu ces propos.
Le Conseil du Trésor ajoute, dans cette note de service:
Toutes les personnes interviewées pendant l'enquête doivent être informées que les renseignements qu'elles fournissent au sujet d'une autre personne peuvent être fournis à cette dernière. Il est donc important de ne pas promettre de garder ces renseignements confidentiels.
[39]Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en arrive, il ne sera pas nécessaire de se prononcer sur les autres conclusions tirées par le juge de première instance. De plus, l'appel incident interjeté par l'intimé au sujet de l'alinéa 3j) devrait être rejeté sans frais, au motif qu'il est devenu sans objet.
[40]Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler la décision du juge de première instance et d'ordonner au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, en vertu de l'article 49 de la Loi sur l'accès à l'information, de donner au requérant, Philip Pirie, communication des documents ou extraits de documents qui, selon les présents motifs du jugement, ne sont pas visés par l'exception prévue au paragraphe 19(1) de la Loi.
[41]Comme l'appelant n'en a pas réclamés, aucuns dépens ne devraient être adjugés.
Le juge Noël, J.C.A.: Je suis du même avis.
Le juge Evans, J.C.A.: Je suis du même avis.