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A-508-02

2002 CAF 518

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (appelant)

c.

Walter Obodzinsky (Alias Wlodzimierz ou Volodya Obodzinsky) (intimé)

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky (C.A.)

Cour d'appel, juges Décary, Létourneau et Nadon, J.C.A. --Ottawa, 11 et 20 décembre 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Citoyens -- Intimé admis temporairement en 1946 en vertu du décret C.P. 3112 et de façon permanente en 1950 en vertu du même décret -- Citoyenneté octroyée en 1955 -- En 2000, le MCI a entrepris des procédures en annulation pour le motif de l'obtention de l'admission par fraude -- L'intimé a présenté une requête en jugement sommaire -- Accueillie au motif qu'à l'époque de l'admission, le ministre n'avait pas le pouvoir de refuser l'admission pour des motifs de sécurité -- Le juge de la Section de première instance de la Cour fédérale a décidé que la prescription n'était pas applicable -- Appel et appel incident -- La demande de jugement sommaire ne pouvait être présentée qu'au juge du renvoi -- Nature du renvoi en vertu de l'art. 18(1) de la Loi sur la citoyenneté -- Le rapport du juge du renvoi n'est pas un jugement aux fins d'une procédure en jugement sommaire -- Traite des faits et non de questions de droit mettant un terme au renvoi -- L'effet que la décision faisant l'objet de l'appel a eu sur le renvoi n'est pas clair -- La requête en jugement sommaire a été déposée en dehors des délais (après que la date du procès a été fixée) -- N'aurait pas dû être présentée et entendue -- En venant à la conclusion que l'admission ne pouvait pas être refusée pour des motifs de sécurité, la juge de la Section de première instance de la Cour fédérale s'est appuyée sur l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck -- Distinction faite d'avec l'affaire Dueck, parce que le décret en cause était différent -- En ce qui a trait à l'appel incident, il est noté que l'art. 10(2) de la Loi sur la citoyenneté édicte simplement une présomption, ne restreint pas la portée de l'art. 10(1) et les motifs d'annulation de la citoyenneté -- Ne limite pas la question de la fraude au moment de l'admission comme résident permanent -- L'exception de prescription ne pouvait pas être présentée au juge des requêtes ou au juge du renvoi -- La personne visée ne peut invoquer la prescription d'une procédure qu'elle a demandée pour son propre bénéfice.

Pratique -- Jugements et ordonnances -- Jugement sommaire -- Annulation de la citoyenneté -- Le juge des requêtes a octroyé un jugement sommaire à la personne visée au motif que le ministre n'avait pas le pouvoir de refuser l'admission pour des motifs de sécurité -- Vu la nature du jugement sommaire et du renvoi en vertu de la Loi sur la citoyenneté, seul le juge du renvoi pouvait entendre une demande de jugement sommaire -- Le rapport du juge du renvoi n'est pas un jugement aux fins d'une procédure de jugement sommaire -- L'effet du jugement sommaire sur le renvoi n'est pas clair -- La requête est hors délai parce que, selon l'art. 213 des Règles de la Cour fédérale (1998), elle doit être déposée avant la fixation de la date du procès -- L'objectif de l'art. 213, la célérité et l'efficacité, n'est pas altéré par le fait que l'intimé a retardé le début de l'audience en présentant de nombreuses requêtes -- En vertu de l'art. 216(2)b) des Règles, le point de droit doit être la seule véritable question litigieuse -- En l'espèce, la véritable question concernait des faits litigieux -- La requête n'aurait pas dû être présentée et entendue.

Pratique -- Prescription -- Procédure d'annulation de la citoyenneté -- La personne visée a demandé un jugement sommaire, un des motifs étant que l'action du ministre est tardive -- Pas de succès sur cette question devant le juge des requêtes, appel incident à la C.A.F. -- Appel incident rejeté -- La prescription ne pouvait pas être soulevée ni devant le juge des requêtes ni devant le juge du renvoi -- La personne visée ne peut invoquer la prescription d'une procédure qu'elle a demandée pour son propre bénéfice -- De toute manière, d'une part les faits n'avaient pas été présentés à la Cour, et d'autre part le délai n'était vraisemblablement pas expiré.

Compétence de la Cour fédérale -- Section d'appel -- Procédure d'annulation de la citoyenneté -- Renvoi à la Section de première instance de la Cour fédérale -- Le juge des requêtes a accordé un jugement sommaire à la personne visée sur une question de droit -- Le ministre interjette appel -- L'intimé conteste la compétence de la C.A.F. au motif que l'art. 18(3) de la Loi sur la citoyenneté interdit d'en appeler des décisions de la Section de première instance sur un renvoi -- La contestation de la compétence est sans fondement -- La décision sur le jugement sommaire n'est pas une «décision» sur le renvoi en vertu de l'art. 18 de la Loi -- La décision du juge saisi de toute l'affaire n'est pas susceptible d'appel -- La décision dont appel ne tranche pas la question soumise au juge du renvoi, à savoir si l'intimé a commis une manoeuvre dolosive -- L'intention du Parlement n'était pas qu'un jugement sommaire appliquant par erreur des règles de procédures échappe à l'appel.

Il s'agissait d'un appel et d'un appel incident à l'encontre d'une décision de Mme le juge Tremblay-Lamer dans une affaire d'annulation de la citoyenneté. Walter Obodzinsky, l'intimé aux présentes, fut admis temporairement au Canada en 1946 en vertu du décret C.P. 3112 et de façon permanente en 1950 en vertu du même décret. On lui a accordé la citoyenneté en 1955. En 2000, le ministre a entrepris une procédure d'annulation de la citoyenneté en invoquant comme motif la fausse déclaration, la fraude ou la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

Obodzinsky a présenté une requête, en vertu de la règle 216 des Règles, pour obtenir un jugement sommaire pour trois motifs: 1) l'action du ministre était prescrite; 2) le ministre n'avait pas le pouvoir légal, à l'époque de son admission, pour interdire, pour des motifs de sécurité, l'admission au Canada et 3) les allégués de fausses représentations portent sur la légalité de son admission temporaire et non de son admission permanente. Le juge (des requêtes) de la Section de première instance a rendu une décision favorable à l'intimé en se basant sur le deuxième motif. Le ministre a interjeté appel et l'intimé a déposé un appel incident, contestant 1) la conclusion du juge des requêtes selon laquelle le renvoi à la Section de première instance effectué par le ministre n'était pas assujetti à la prescription et 2) la compétence de la Cour d'appel, compte tenu du paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté (lequel prohibe les appels à l'encontre de décisions prises dans le cadre d'un renvoi effectué en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi).

Avant même que ces questions puissent être examinées, il y avait deux questions préliminaires qu'il fallait traiter: 1) Est-ce que le recours à la procédure de requête en jugement sommaire, adressée à un juge autre que celui qui tranche la question du renvoi, était permis? Et, en supposant que c'était le cas, 2a) les conditions requises pour la présentation d'une telle requête étaient-elles remplies? Et 2b) est-ce que le juge des requêtes a bien exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent l'alinéa 216(2)b) et le paragraphe 216(3) des Règles de la Cour fédérale (1998)? L'intimé a toutefois soutenu que la Cour d'appel n'avait pas compétence pour débattre de la deuxième question préliminaire.

Arrêt: l'appel doit être accueilli et l'appel incident rejeté. La requête de l'intimé en arrêt de la procédure d'appel doit également être rejetée.

Compte tenu de la nature d'un jugement sommaire et de celle du renvoi effectué en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi, une demande de jugement sommaire ne peut être présentée qu'au juge du renvoi. Le renvoi de l'article 18 de la Loi consiste en un mandat confié à un juge de la Section de première instance de faire un rapport éclairé sur une situation de fait. Le rapport n'est pas un jugement au sens de la procédure de jugement sommaire de l'article 216 des Règles et les questions litigieuses sur lesquelles le juge du renvoi doit faire rapport sont des questions factuelles et non des questions de droit mettant un terme à l'enquête qu'il mène.

L'effet du jugement de première instance n'était pas clair. Il s'apparentait à un jugement déclaratoire: une adjudication sur un point de droit et à la radiation d'actes de procédure. Même l'avocate de l'intimé ne savait pas exactement en quoi le jugement sommaire affectait l'enquête menée par le juge du renvoi. La procédure pour l'obtention d'un jugement déclaratoire ou la détermination d'une question de droit diffère de celle applicable aux requêtes en jugement sommaire.

De plus, selon la règle 213, la requête en jugement sommaire doit être présentée avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction ne soient fixés. En l'espèce, la date de l'instruction fut fixée au 5 janvier 2001, alors que la requête en jugement sommaire n'a été présentée que le 5 août 2002. La règle 213 et son objectif--célérité et efficacité--n'ont pas été altérés par le fait que l'intimé ait réussi à retarder le début de l'audience en présentant de nombreuses requêtes. En effet, la requête a été déposée au moment même où l'audience devant le juge du renvoi était sur le point de commencer.

L'alinéa 216(2)b) des Règles (sur lequel repose la requête en jugement sommaire) requiert comme condition d'application que le point de droit que l'on veut voir adjugé soit «la seule véritable question litigieuse». En l'espèce, la véritable question en litige dans la procédure de renvoi concerne les faits, lesquels sont fort litigieux. Sur une requête en jugement sommaire, la Cour ne peut pas trancher des questions mixtes de fait et de droit. Les allégations de la déclaration du ministre auxquelles l'intimé s'attaque soulèvent de telles questions. Il était inapproprié que cette requête ait été présentée et entendue.

En concluant qu'en 1946, il n'existait pas de fondement légal permettant de refuser l'admission de l'intimé pour des raisons de sécurité, le juge Tremblay-Lamer s'est appuyée sur la décision de M. le juge Noël dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck. La décision Dueck devait toutefois être distinguée de l'affaire en l'espèce. Contrairement au décret interprété par le juge Noël, celui dont il est question en l'espèce prévoit que la GRC devait être représentée au comité d'évaluation des postulants polonais à un emploi agricole. Celui examiné par le juge Noël ne traitait que des besoins de main d'oeuvre et il n'était pas question de la participation de la GRC ou du ministère de la Justice. Le juge de première instance a rejeté les prétentions du ministre que le témoignage d'experts était nécessaire à une bonne compréhension du décret. Une telle preuve était vraiment nécessaire.

L'objection concernant la compétence est sans fondement. Une décision sur le jugement sommaire n'est pas de la nature d'une «décision» rendue sur le renvoi au sens de l'article 18 de la Loi. La décision qui n'est pas susceptible d'appel est la décision rendue par le juge saisi de toute l'affaire. La décision dont appel en l'espèce n'avait pas été rendue sur la question dont avait été saisi le juge du renvoi, à savoir s'il y a eu ou non une manoeuvre dolosive. Il s'agissait plutôt d'une décision interprétant la portée et les conditions d'application des règles de procédure de la Cour. Les conclusions tirées en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sont, d'un autre côté, de nature essentiellement factuelle. En adoptant le paragraphe 18(3), le Parlement n'a pas voulu qu'un jugement sommaire rendu par suite d'une application erronée des règles de procédure de la Cour échappe à l'appel.

La décision sur le bien-fondé de recourir à la procédure de jugement sommaire ou à la suspension d'instance ne touche ou ne porte pas atteinte à la question à être entendue en vertu du paragraphe 18(1). Encore une fois, une requête en jugement sommaire présentée à un juge autre que celui saisi du renvoi est une procédure sui generis qui ne tombe pas sous le coup de la prohibition d'appel prévue au paragraphe 18(3) de la Loi. Un exercice erroné du pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 216 des Règles n'est pas couvert par l'interdiction d'appel.

En ce qui a trait à l'appel incident, sans décider du bien-fondé de l'argument de l'intimé selon lequel, s'il a menti dans sa demande d'admission temporaire, cela n'importait en rien, parce que le paragraphe 10(2) parle d'admission à titre de résident permanent, il faudrait rappeler que le paragraphe 10(2) ne fait qu'édicter une présomption et ne restreint pas la portée du paragraphe 10(1) et les motifs d'annulation de la citoyenneté. La présomption ne limite pas la question de la fraude au seul moment de l'admission à titre de résident permanent.

L'exception de prescription ne peut être présentée au juge du renvoi, et encore moins à la juge des requêtes pour jugement sommaire. Le paragraphe 18(2) offre à la personne intéressée l'occasion de réfuter les allégations du ministre en demandant que ces allégations soient renvoyées à la Cour pour une détermination impartiale des faits. Comment l'intimé pourrait-il être entendu pour demander qu'il soit mis un terme, au motif de prescription, à un renvoi qu'il a lui-même demandé pour son propre bénéfice? De toute manière, il était inapproprié d'examiner la prescription sans connaître tous les faits. Même si elle pouvait être invoquée, la période n'a probablement pas commencé à courir avant 1995, au moment où l'intimé a été retracé.

lois et règlements

Décret C.P. 1946-3112.

Décret C.P. 1947-2180.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 10, 18.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 52a).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 2, 169, 213, 216, 220, 221.

jurisprudence

distinction faite d'avec:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203; (1998), 155 F.T.R. 1; 50 Imm. L.R. (2d) 216 (1re inst.).

décisions citées:

Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394; (1994), 116 D.L.R. (4th) 61; 21 C.R.R. (2d) 236; 24 Imm. L.R. (2d) 117; 167 N.R. 282; 72 O.A.C. 348; Canada (Ministre de la Citoyenneté et le l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; (1997), 151 D.L.R. (4th) 119; 1 Admin. L.R. (3d) 1; 118 C.C.C. (3d) 443; 14 C.P.C. (4th) 1; 10 C.R. (5th) 163; 40 Imm. L.R. (2d) 23; 218 N.R. 81; Nidek Co. c. Visx Inc. (1998), 82 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.); Luitjens c. Canada (Secrétaire d'État) (1992), 9 C.R.R. (2d) 149; 142 N.R. 173 (C.A.F.); pourvoi à la C.S.C. refusé (1992), 10 C.R.R. (2d) 284; 143 N.R. 316 (C.S.C.).

APPEL et APPEL INCIDENT à l'encontre de la décision du juge des requêtes ([2003] 2 C.F. 223 (1re inst.)), qui a accordé un jugement sommaire favorable à la personne visée dans une affaire en annulation de la citoyenneté au motif que le ministre, à l'époque pertinente, n'avait pas le pouvoir de refuser son admission à titre de résident permanent pour des raisons de sécurité, et qui a également conclu qu'un renvoi en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté n'est pas assujetti à la prescription. Appel accueilli; appel incident rejeté.

ont comparu:

David Lucas et Sébastien Dasylva pour l'appelant.

Johanne Doyon pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.

Doyon, Guertin, Montbriand et Plamondon, Montréal, pour l'intimé.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]Le juge Létourneau, J.C.A.: Nous sommes saisis d'un appel et d'un appel incident à l'encontre d'une décision [[2003] 2 C.F. 223 (1re inst.)] rendue suite à une requête pour jugement sommaire faite en vertu de la règle 216 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106]. Ces appels ont cette caractéristique particulière qu'ils mettent en cause notre compétence pour réviser le mérite de cette décision, compte tenu du paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), c. C-29 (Loi) qui prohibe les appels à l'encontre de décisions prises dans le cadre d'un renvoi effectué en vertu du paragraphe 18(1). Je reproduis les articles 10 et 18 de la Loi ainsi que les règles 213 et 216 qui sont au coeur du litige:

Loi sur la citoyenneté

10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée:

a) soit perd sa citoyenneté;

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

[. . .]

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée:

a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;

b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédition, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé.

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.

Règles de la Cour fédérale (1998)

213. (1) Le demandeur peut, après le dépôt de la défense du défendeur--ou avant si la Cour l'autorise--et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire sur tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

(2) Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

[. . .]

216. (1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est:

a) le montant auquel le requérant a droit, elle peut ordonner l'instruction de la question ou rendre un jugement sommaire assorti d'un renvoi pour détermination du montant conformément à la règle 153;

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(3) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

(4) Lorsque la requête en jugement sommaire est rejetée en tout ou en partie, la Cour peut ordonner que l'action ou les questions litigieuses qui ne sont pas tranchées par le jugement sommaire soient instruites de la manière habituelle ou elle peut ordonner la tenue d'une instance à gestion spéciale. [Mon soulignement.]

[2]Plus spécifiquement, l'appel nous amène à déterminer ultimement si notre Cour est compétente pour réviser la décision de la juge des requêtes statuant qu'il n'existait en 1946 aucun pouvoir légal d'interdire l'entrée et l'admission permanente au Canada de M. Obodzinsky.

[3]Quant à l'appel incident fait par l'intimé, il s'attaque à cette partie de la décision de la juge des requêtes, laquelle conclut que le renvoi effectué à la Section de première instance par la ministre de la citoyenneté et de l'immigration (ministre) en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi n'est pas assujetti à la prescription. Compte tenu du paragraphe 18(3) de la Loi, il soulève également la question préalable de la compétence de notre Cour de réviser cette conclusion.

[4]Toutefois, deux questions préliminaires doivent être tranchées avant même que je ne puisse me pencher sur le bien-fondé au mérite de l'appel et de l'appel incident. La première consiste à déterminer si le recours à la procédure de requête en jugement sommaire, adressée à un juge autre que celui du renvoi, est permis dans le cadre d'un renvoi effectué en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi. La seconde comporte deux volets. Dans l'hypothèse où, pour fins de discussion, la procédure serait permise, il convient de déterminer dans un premier temps si le recours à la requête pour jugement sommaire était approprié dans les circonstances. En d'autres termes, les conditions requises pour la présentation d'une telle requête étaient-elles rencontrées en l'espèce? Dans un deuxième temps, il s'agit de voir si la juge des requêtes a bien exercé la discrétion que lui confèrent l'alinéa 216(2)b) et le paragraphe 216(3) des Règles. La procureure de l'intimé soutient que notre Cour n'a pas compétence pour décider des deux volets de cette deuxième question préliminaire vu l'interdiction d'appel du paragraphe 18(3).

[5]Avant de procéder à l'étude des deux questions préliminaires, je crois nécessaire de relater les principaux faits qui ont donné naissance au présent litige et le contexte procédural dans lequel il se déroule.

Faits et procédure

[6]L'intimé, M. Obodzinsky, est né en Pologne en 1919. Il fut admis temporairement au Canada, à partir de l'Italie, en vertu de l'arrêté en conseil P.C. 3112 pris en novembre 1946. En avril 1950, il obtint le statut de résident permanent en vertu du même décret. La citoyenneté canadienne lui fut octroyée en 1955.

[7]Le gouvernement canadien fut informé en janvier 1993 que le nom de l'intimé était ressorti de divers témoignages entendus en Angleterre. Ces témoignages reliaient l'intimé à une force de police auxiliaire aux forces de police allemandes en 1941 et l'accusaient de s'être livré à des actes criminels. L'information est venue d'un historien à l'emploi d'un groupe britannique se penchant sur les crimes de guerre, «the British War Crimes Unit».

[8]Des employés du pendant canadien du groupe britannique, «the Canadian War Crimes Unit», firent une enquête sur l'intimé et conclurent qu'il avait obtenu son admission au Canada par fraude. Informé de ce fait, la ministre accepta la recommandation qui lui était faite de faire rapport au gouverneur en conseil afin de révoquer la citoyenneté de l'intimé. Conformément au paragraphe 18(1) de la Loi, la ministre informa ce dernier, le 30 juillet 1999, de son intention de faire rapport au gouverneur en conseil. Le 24 août 1999, l'intimé, comme c'était son droit, demanda à la ministre de faire un renvoi de l'affaire à la Section de première instance de la Cour fédérale pour qu'elle détermine s'il y a eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[9]Suite à la demande de l'intimé, la ministre entreprit, le 1er février 2000, par voie de déclaration, des procédures à cette fin devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Ces procédures reprochaient à l'intimé d'avoir caché aux autorités canadiennes ses activités durant la Seconde guerre mondiale, particulièrement sa collaboration avec les forces nazies. En somme, elles lui reprochaient d'avoir dissimulé intentionnellement des faits majeurs qui l'eurent rendu inadmissible au Canada.

[10]Le 5 août 2002, l'intimé fit une demande de jugement sommaire. Sa requête fondée sur la règle 216 demandait essentiellement trois choses: premièrement, qu'il fut mis un terme aux procédures parce qu'elles étaient prescrites; deuxièmement, que la juge des requêtes décide que le pouvoir exercé par la ministre n'avait pas de fondement légal et qu'en conséquence la partie de la déclaration qui avait trait à l'exercice de ce pouvoir soit rejetée; et enfin qu'une autre partie de la déclaration soit aussi rejetée, soit celle relative à l'admission illégale de l'intimé au Canada. Dans ce dernier cas, l'intimé demandait le rejet au motif que les allégués de fausses représentations portent sur l'admission temporaire de l'intimé au Canada et non sur son admission permanente. Je reproduis le texte même de la requête et des motifs que l'on retrouve aux pages 28 et 29 du dossier d'appel:

LA REQUÊTE VISE à:

l'obtention d'un jugement sommaire concluant au rejet de l'action du demandeur avec dépens;

LES MOTIFS DE LA REQUÊTE SONT:

la déclaration du demandeur doit être rejetée partiellement sur la contestation portant sur son admission légale au Canada, à titre de résident permanent, parce que le demandeur n'avait pas le pouvoir légal d'interdire son entrée permanente ou son admission permanente en vertu du décret 3112 ou de la prérogative royale;

la déclaration du demandeur doit être rejetée partiellement sur la contestation portant sur son admission légale au Canada, à titre de résident permanent, parce que les faits allégués de fausses représentations portent sur l'admission temporaire du défendeur et non sur son admission permanente;

la déclaration du demandeur doit être rejetée entièrement parce que prescrite;

l'action du demandeur est mal fondée en droit, ne présente pas une cause valable d'action et il n'existe pas de questions sérieuses à instruire;

[11]Dans une décision rendue le 6 septembre 2002, la juge des requêtes accueillit en partie la requête pour jugement sommaire de l'intimé et statua qu'il n'existait pas, en 1946, d'autorité légale permettant de refuser l'intimé pour des motifs de sécurité. Sa décision prit la forme de l'ordonnance suivante [au agraphe 55]:

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE

La Cour conclut que la demanderesse n'avait pas à l'époque de l'admission du défendeur au Canada l'autorité légale d'interdire son entrée et admission au Canada à titre de résident permanent pour des motifs de sécurité. La requête en jugement sommaire est accordée sur ce point. Le tout avec dépens.

Sans toutefois rendre d'ordonnance sur la question, la juge des requêtes a aussi conclu au paragraphe 26 de sa décision que les procédures devant le juge du renvoi n'étaient pas assujetties à la prescription, rejetant ainsi cette partie de la requête pour jugement sommaire. C'est de cette décision dont il y a maintenant appel et auquel l'intimé a répondu par une requête en arrêt des procédures en vertu de l'alinéa 52a) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7].

Le recours à la requête pour jugement sommaire adressée à un juge autre que le juge du renvoi est-il permis dans le cadre d'un renvoi effectué en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi?

[12]La requête pour l'obtention d'un jugement sommaire, comme le mentionne la règle 213, vise à mettre un terme à tout ou partie «de la réclamation contenue dans la déclaration». Elle débouche sur une disposition finale de toutes ou d'une partie des conclusions d'une déclaration. Il importe de noter qu'elle ne s'adresse pas aux allégués de cette déclaration, mais bien à ses conclusions. Je reviendrai d'ailleurs sur ce point lorsque j'analyserai la requête présentée par l'intimée. Le jugement sommaire constitue donc, au regard des conclusions de la déclaration sur lesquelles il adjuge, un jugement final et non un jugement interlocutoire.

[13]La règle 216 prévoit que la demande pour l'obtention d'un jugement sommaire peut être accueillie lorsqu'il n'existe pas de véritable question litigieuse à décider ou lorsque la seule véritable question litigieuse porte sur le montant auquel le requérant a droit ou sur un point de droit. Compte tenu de la nature d'un jugement sommaire et de celle du renvoi effectué en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi, je ne crois pas qu'il soit permis de s'adresser à un autre juge que celui du renvoi pour obtenir un jugement sommaire.

[14]En effet, la règle 169 énonce que la partie 4 de nos règles relatives aux procédures par voie d'action s'applique aux renvois visés par l'article 18 de la Loi:

169. La présente partie s'applique aux instances, autres que les demandes et les appels, et notamment:

a) aux renvois visés à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté;

b) aux demandes faites en vertu du paragraphe 576(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada;

c) aux instances introduites par voie d'action sous le régime d'une loi fédérale ou de ses textes d'application.

[15]Évidemment, un renvoi par la ministre sous l'article 18 de la Loi n'est pas une action au sens ordinaire ou traditionnel du terme. La procédure engagée par l'article 18 est essentiellement une procédure d'enquête visant à colliger la preuve des faits entourant l'acquisition de la citoyenneté en vue de déterminer si elle a été obtenue par des moyens dolosifs. Elle aboutit à un simple constat non-exécutoire, fondement d'un rapport de la ministre au gouverneur en conseil pour qu'une décision soit prise par ce dernier, contrairement à l'action qui, lorsque bien fondée, débouche sur des conclusions exécutoires. La nature même du renvoi sous l'article 18 de la Loi fait en sorte que les dispositions prévues à la partie 4 de nos règles doivent être appliquées en y apportant les modifications nécessaires non seulement au plan de la terminologie, mais également au niveau de l'opportunité d'appliquer ou non certaines dispositions contenues dans cette partie.

[16]Le renvoi de l'article 18 de la Loi consiste en un mandat confié à un juge de la Section de première instance de faire un rapport éclairé sur une situation de fait. L'objectif recherché par cette procédure, à la fois sérieux et significatif pour les deux parties impliquées, est difficilement compatible avec un morcellement des questions en litige qui fait en sorte que la personne chargée de faire à la ministre un rapport lourd de conséquences est privée de la possibilité d'examiner, dans le contexte plus global et mieux informé de son enquête, des questions importantes pour son rapport. Comme on le verra plus loin, la décision de la juge des requêtes fait bien ressortir l'incompatibilité et l'inopportunité en l'espèce de s'adresser à un autre juge pour l'obtention d'un jugement sommaire et même de recourir à cette procédure. Qu'il me suffise de dire pour l'instant deux choses: premièrement que le rapport consécutif au renvoi de l'article 18 n'est pas un jugement au sens où ce terme s'entend dans la procédure d'obtention d'un jugement sommaire de la règle 216 et, deuxièmement, que les questions litigieuses sur lesquelles le juge du renvoi doit faire rapport au terme de son enquête sont des questions factuelles et non une question sur un point de droit mettant un terme à l'enquête qu'il mène.

[17]En admettant pour fins de discussion que le recours à la procédure d'obtention d'un jugement sommaire faite à un juge autre que celui du renvoi ne soit pas prohibé, il m'incombe alors de déterminer si cette procédure était appropriée dans les circonstances et si la juge des requêtes a exercé judiciairement sa discrétion. Je n'oublie pas que la procureure de l'intimé s'est objectée à la compétence de notre Cour de procéder à cette détermination. Mais afin d'éviter des répétitions ennuyeuses et pour mieux comprendre la discussion sur l'objection proprement dite, je crois qu'il est préférable de décrire et d'analyser ce qui s'est effectivement passé en l'espèce. Je disposerai donc immédiatement des deux volets de la deuxième question préliminaire.

Était-il approprié en l'espèce pour la juge des requêtes de procéder à rendre un jugement sommaire?

[18]Je me dois de dire dès le départ que je ne suis pas certain de l'effet réel du jugement rendu en l'espèce par la juge des requêtes. Il ne contient pas de dispositif en vertu duquel on peut conclure qu'un jugement sommaire sur le renvoi est rendu en tout ou en partie: la question de fait qui est l'objet du renvoi demeure entière. En outre, le jugement rendu s'apparente plutôt et tout à la fois à un jugement déclaratoire, à une adjudication sur un point de droit et à une radiation de plaidoirie. Même la procureure de l'intimé a reconnu qu'elle ne savait pas exactement en quoi le jugement sommaire affectait la portée de l'enquête menée par le juge saisi du renvoi.

[19]De fait, la conclusion et l'ordonnance de la juge des requêtes sont très significatives et illustrent bien le problème. Au paragraph 55 de sa décision, elle écrit:

La Cour conclut que la demanderesse n'avait pas à l'époque de l'admission du défendeur au Canada l'autorité légale d'interdire son entrée et admission au Canada à titre de résident permanent pour des motifs de sécurité. La requête en jugement sommaire est accordée sur ce point. Le tout avec dépens.

Cette conclusion, comme on peut le voir, est plutôt de la nature de celle que l'on obtient par jugement déclaratoire à l'encontre d'un office fédéral, prévu à l'article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la Loi sur la Cour fédérale, ou ressemble à celle recherchée par la règle 220 qui permet de demander préliminaire-ent à une instruction qu'il soit statué sur une question de droit. Or, tant le recours à la procédure de jugement déclaratoire que celui qui cherche à faire déterminer une question de droit obéissent à des critères d'application qui leur sont propres et qui diffèrent de ceux applicables à la requête pour obtention d'un jugement sommaire.

[20]Deuxièmement, tel qu'il appert de la règle 213, la requête pour jugement sommaire doit être présentée avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction ne soient fixés. Cette obligation se comprend facilement puisque la requête a pour but de sauver temps et énergie associés à la tenue d'un procès ou d'une audition. Or, en l'espèce, la date de l'instruction fut fixée au 5 janvier 2001 et ce n'est que le 5 août 2002 que la requête de l'intimé pour jugement sommaire fut présentée. Le fait que l'intimé ait pu par de nombreuses requêtes retarder le début de l'instruction et forcer l'administration, le 20 août 2002, à identifier une nouvelle date à laquelle les parties devraient se présenter à nouveau n'altère aucunement l'esprit de la règle 213 et l'objectif de célérité et d'efficacité recherché. La requête fut présentée alors que l'audition devant le juge Lemieux, juge assigné au renvoi, était sur le point de commencer, contrecarrant ainsi l'objectif recherché par la règle. D'ailleurs, l'incertitude qui entoure la validité et la portée de la décision de la juge des requêtes place le juge du renvoi dans une situation difficile alors qu'il continue de procéder à l'enquête.

[21]Troisièmement, l'alinéa 216(2)b) des Règles sur laquelle repose la requête pour l'obtention d'un jugement sommaire requiert comme condition d'application que le point de droit que l'on veut voir adjugé soit «la seule véritable question litigieuse», ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Si l'on regarde du côté des faits seulement, ceux-ci sont fort litigieux et ils constituent de loin la «véritable» question en litige dans la procédure du renvoi. Tel que déjà mentionné, l'enquête suite au renvoi vise précisément à établir les faits, à les analyser pour séparer le bon grain de l'ivraie et à en déterminer la valeur probante pour ensuite faire rapport. En outre, la question additionnelle de la bonne moralité de l'intimé demeure toute entière et âprement contestée alors qu'elle s'avérait à l'époque une condition essentielle à l'obtention du domicile.

[22]Quatrièmement, l'intimé, par sa requête pour jugement sommaire, demandait à toutes fins utiles que soient rejetées non pas les conclusions de la déclaration du demandeur, mais plutôt les allégations contenues aux paragraphes 47 et 48 de cette déclaration, lesquelles ont trait aux fausses représentations sur son admission temporaire au Canada ainsi qu'à l'autorité légale de refuser son entrée. Je reproduis à nouveau les extraits suivants de cette requête que l'on trouve à la page 28 du dossier d'appel:

[. . .] la déclaration du demandeur doit être rejetée partielle-ment sur la contestation portant sur son admission légale au Canada, à titre de résident permanent, parce que le demandeur n'avait pas le pouvoir légal d'interdire son entrée permanente ou son admission permanente en vertu du décret 3112 ou de la prérogative royale;

la déclaration du demandeur doit être rejetée partiellement sur la contestation portant sur son admission légale au Canada, à titre de résident permanent, parce que les faits allégués de fausses représentations portent sur l'admission temporaire du défendeur et non sur son admission permanente;

[23]Or, les demandes de l'intimé ne sont pas de la nature de celles que vise la procédure d'obtention d'un jugement sommaire. Elles participent en fait de la procédure de radiation d'un acte de procédure que l'on retrouve aux règles 2 et 221 et qui permet de faire radier, en tout ou en partie, les allégués d'une déclaration. Il s'agit, on le sait, d'une requête dont la nature, les conditions d'exercice et les effets sont bien différents de la requête pour jugement sommaire. Mais il s'agit aussi d'une requête qui ne permet pas que soient décidées des questions mixtes de faits et de droit: voir Nidek Co. c. Visx Inc. (1998), 82 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.). Au mieux, les deux allégués de la déclaration auxquels l'intimé s'attaque soulèvent des questions mixtes de faits et de droit. Au pire, l'une d'elle, soit la question de savoir si l'intimé a menti, peut constituer simplement une question de fait.

[24]Compte tenu de la nature du renvoi sous le paragraphe 18(1), de celle de la requête pour l'obtention d'un jugement sommaire, des conclusions recherchées par l'intimé ainsi que du fait que les conditions donnant ouverture à cette requête n'ont pas été satisfaites, je suis d'avis qu'il était à la fois erroné et inapproprié de permettre que cette requête soit présentée et entendue. Ceci m'amène à examiner l'exercice qui fut fait de la discrétion conférée par l'alinéa 216(2)b) et le paragraphe 216(3) des Règles.

La juge des requêtes a-t-elle exercé judiciairement la discrétion que lui confèrent l'alinéa 216(2)b) et le paragraphe 216(3) des Règles?

[25]En m'interrogeant sur l'exercice que la juge des requêtes a fait de sa discrétion, mon rôle n'est pas de réviser la décision qui en a résulté, mais bien de vérifier si, dans le processus qui a conduit à cette décision, la titulaire de la discrétion a pris en compte des facteurs non pertinents ou a omis de considérer des éléments pertinents, auquel cas la décision peut être infirmée si l'impact de ces facteurs ou éléments s'avère tel que la décision n'eût probablement pas été la même. En outre, la décision d'une cour, par opposition à un tribunal administratif, exerçant un pouvoir discrétionnaire peut être révisée si le juge n'a pas accordé suffisamment de poids à tous les éléments pertinents: voir Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, aux pages 404 et 405. Dans la présente instance, je suis d'avis que c'est le cas et qu'en conséquence la décision devrait être écartée.

[26]La juge des requêtes a conclu qu'en 1946, il n'existait pas de fondement légal permettant aux autorités canadiennes de refuser l'admission de l'intimé pour des raisons de sécurité. Pour en venir à cette conclusion, elle s'est appuyée principalement sur la décision de notre collègue, le juge Noël alors juge de première instance, dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203 (1re inst.). Dans cette affaire, le juge Noël en était venu à conclure qu'il n'existait pas avant 1950 d'autorité légale pour rejeter des candidats à l'admission au Canada pour des motifs de sécurité. Avec respect, je crois que la situation factuelle et légale dont était saisie la juge des requêtes était nettement différente de celle sur laquelle le juge Noël s'est penché.

[27]En effet, la juge des requêtes a omis de considérer comme élément, à la fois pertinent et important, le fait que le décret C.P. 3112 faisait mention expresse d'un représentant de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) comme membre du comité d'évaluation des postulants polonais à un emploi agricole, ce que ne contenait pas le décret C.P. 1947-2180 que le juge Noël avait à interpréter dans l'affaire Dueck et sur lequel la ministre se fondait. Au paragraphe 294, le juge Noël écrit:

Le décret C.P. 1947-2180 n'autorise pas le refoulement des immigrants pour des raisons de sécurité. À sa face même, ce décret vise la sélection des personnes qui cherchaient à venir ici en se prévalant des dispositions concernant les besoins en main d'oeuvre. Cette question relevait directement du Comité interministériel Immigration-Travail formé en 1947. Le décret prévoit expressément la participation de ces deux ministères dans la sélection des personnes déplacées; il ne prévoit pas la participation du ministère de la Justice ni de la GRC. [Mon soulignement.]

[28]Je reproduis l'extrait pertinent du décret C.P. 1946-3112 que la juge des requêtes devait interpréter:

ET ATTENDU QUE le ministre des Mines et des Ressources propose de permettre, sous le régime de la Loi sur l'immigration, l'entrée au Canada de 4 000 ex-membres célibataires des Forces armées polonaises qui ont servi au côté des Forces alliées engagées dans les hostilités contre les puissances de l'Axe, qui se trouvent présentement au Royaume-Uni et en Italie et qui sont qualifiés et prêts à occuper des emplois agricoles au Canada;

À CES CAUSES, il plaît à Son exellence le Gouverneur général en conseil, sur la recommandation conjointe du ministre du Travail et du ministre des Mines et des Ressources, d'ordonner et il est par les présentes ordonné: -

1.     Le ministre du Travail est autorisé

a) par suite d'une entente avec les ministères concernés, à envoyer des représentants des ministères des Mines et des Ressources et du Travail ainsi que de la Gendarmerie royale du Canada au Royaume-Uni et en Italie pour qu'ils rencontrent et interrogent les personnes dont il est fait mention ci-dessus,dans le but de sélectionner 4 000 d'entre elles pour des emplois agricoles au Canada, et à payer les dépenses nécessaires pour le transport et le séjour de ces représentants pendant qu'ils effectuent cette mission. [Mon soulignement.]

[29]L'absence de référence à la force policière dans le décret C.P. 1947-2180 avait amené le juge Noël à conclure que le décret en question témoignait de la part des autorités de préoccupations reliées à l'immigration comme telle et non à la sécurité. Il est certainement possible d'en venir à une conclusion différente lorsqu'un représentant de la GRC est spécifiquement assigné à la sélection de candidats à l'agriculture, surtout lorsque l'on s'arrête un instant sur l'origine des candidats potentiels.

[30]De fait, les candidats étaient des ressortissants polonais et les autorités canadiennes avaient des motifs raisonnables de croire que ce groupe contenait en son sein un certain nombre de personnes soupçonnées d'avoir collaboré avec les nazis avant de joindre les troupes alliées et la résistance.

[31]Tel qu'il appert du paragraphe 29 de sa décision, la juge des requêtes a également refusé d'accepter les prétentions de la ministre que le témoignage d'experts et de personnes familières avec ces questions était nécessaire à une bonne compréhension du décret C.P. 1946-3112 ainsi que du rôle des personnes désignées par le gouvernement pour opérer une sélection des candidats que le Canada était prêt à accepter.

[32]Je dois dire que la juge des requêtes avait devant elle plusieurs documents entourant l'adoption du décret C.P. 1946-3112 qui tendent à démontrer les préoccupations d'ordre sécuritaire du gouvernement canadien à l'égard de ces ressortissants et qui ont abouti à un décret les visant spécifiquement. Les témoignages qui n'avaient pas encore été entendus à l'époque où la juge des requêtes fut saisie de la demande pour jugement sommaire et en l'absence desquels elle a statué sur la question de sécurité pouvaient apporter un éclairage utile sur la teneur et la portée du décret en litige. Je reproduis un extrait de l'affidavit de M. John Baker déposé au soutien des prétentions de la ministre. Au paragraphe 6 de cet affidavit, M. Baker fait la genèse du décret C.P. 1946-3112 et produit les documents au soutien de son témoignage. Il écrit:

[traduction] Quatre mois plus tard, un comité des Affaires extérieures a prèvu le besoin d'un contrôle de sécurité des demandeurs de visas, probablement par la GRC (pièce B, note de service, 14 févr. 1946). Le commissaire adjoint de la GRC estimait que la mise en application des alinéas d, e, f, n. o, q et r de l'article 3 de la Loi sur l'immigration nécissitait un contrôle de sécurité (pièce C, lettre, 16 mai 1946). Le conseil de sécurité, créé par le Cabinet dans le but de se faire conseiller en matière de sécurité, lors de sa 5e réunion, a prévu le besoin d'un contrôle de sécurité de la part de la GRC (pièce D, procès-verbal, 19 août 1946). Le Cabinet a approuvé les critères de sélection des travailleurs agricoles polonais, dont une sélection «méticuleuse» fondée sur des motifs de sécurité et faisant en sorte qu'il n'y ait «aucun Nazi ou agent» (pièce E, mémoire au Cabinet, 27 mai 1946). Par la suite, le décret habilitant relatif aux travailleurs agricoles polonais a comporté des disposition concernant la participation de la GRC à la mission (pièce F, CP 3112, 23 juill. 1946). Le commisaire de la GRC a obtenu l'approbation du ministre de la Justice pour un programme de contrôle de sécurité exécuté par la GRC (pièce G, lettre, 9 oct. 1946).

[33]Il me semble que l'interprétation du décret dans la présente affaire, comme ce fut le cas dans l'affaire Dueck, précitée, où le juge Noël a entendu plusieurs témoins (voir les paragraphes 155 à 301), nécessitait des éléments de preuve additionnels qui ont été écartés et en conséquence ignorés en l'espèce.

Notre Cour a-t-elle compétence pour entendre l'appel de la décision autorisant l'intimé à recourir à la procédure de jugement sommaire prévue à la règle 216 et pour réviser l'exercice qui fut fait de la discrétion conférée par cette règle?

[34]La procureure de l'intimé s'objecte à la compétence de notre Cour en se fondant sur l'interdiction d'appel prévue au paragraphe 18(3) de la Loi. Avec respect, je crois que cette objection est sans mérite.

[35]Le paragraphe 18(3) met à l'abri d'un appel la décision de la Section de première instance rendue au terme du paragraphe 18(1) lorsque cette décision tranche la question de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux. La décision sur le jugement sommaire n'est pas de la nature de la «décision» rendue par la Cour sur le renvoi au sens de l'article 18 de la Loi. Il ne s'agit pas non plus d'une décision rendue par le juge saisi du renvoi. Or, lorsque l'on regarde le but et l'objectif des paragraphes 18(1) et 18(3), il m'apparaît que la décision qui n'est pas susceptible d'appel est la décision rendue par le juge saisi de toute l'affaire qui détermine, à la lumière de tous les faits, s'il y a eu ou non manoeuvre dolosive. En l'espèce, la décision prise par la juge des requêtes n'est pas une décision rendue sur l'affaire dont est saisi le juge de renvoi, à savoir une décision sur l'existence ou non d'une manoeuvre dolosive.

[36]La décision de la juge des requêtes en l'instance, que l'on qualifie cette décision de jugement sommaire, de jugement déclaratoire ou de jugement en radiation d'allégués, est et demeure une décision interprétant la portée et les conditions d'application de nos règles de procédure. Je suis convaincu que le paragraphe 18(3) de la Loi ne comprend pas une décision interprétant la portée de la règle 216 relative à l'obtention d'un jugement sommaire. Une décision quant aux exigences procédurales imposées par la règle 216 constitue une décision de nature procédurale qui ne se rapporte pas à la nature et à la teneur de la détermination qui doit être faite en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi, laquelle détermination en est une de nature essentiellement factuelle: sur la nature de la détermination, voir Luitjens c. Canada (Secrétaire d'État) (1992), 9 C.R.R. (2d) 149 (C.A.F.), permission d'appeler à la Cour suprême du Canada refusée (1992), 10 C.R.R. (2d) 284 (C.S.C.). En d'autres termes, je suis convaincu que le Parlement n'a pas voulu, par l'adoption du paragraphe 18(3) de la Loi, qu'un jugement sommaire qui aurait été rendu par suite d'une interprétation ou d'une application erronée des règles de procédure de la Cour échappe à l'appel.

[37]Je suis également d'avis qu'une décision sur la portée et les critères d'application de la procédure de jugement sommaire s'apparente à une décision ordonnant une suspension d'instance qui, elle, n'est pas couverte par l'interdiction d'appel prévue au paragraphe 18(3): voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, au paragraphe 57. Les deux décisions sont de nature procédurale. L'une, la suspension d'instance, vise à mettre un terme aux procédures, l'autre, la procédure de jugement sommaire, vise soit à y mettre un terme, soit à en abréger la durée en mettant un terme à une partie. Mais en aucun temps, la décision sur le bien-fondé de recourir à l'un ou l'autre de ces véhicules procéduraux ne touche ou ne porte atteinte à la question dont la Section de première instance est saisie en vertu du paragraphe 18(1), soit la détermination que l'intimé a ou non obtenu par fraude ou fausses représentations son entrée au Canada.

[38]J'ajouterais comme motif additionnel qu'une requête pour l'obtention d'un jugement sommaire présentée à un juge autre que celui saisi du renvoi est une procédure sui generis, comme l'était la demande de sursis dans l'affaire Tobiass, qui ne tombe pas sous le coup de la prohibition d'appel prévue au paragraphe 18(3) de la Loi et qui vise plutôt à dépouiller le juge saisi du renvoi de son pouvoir ultime de déterminer s'il y a eu manoeuvre dolosive ou pas.

[39]Enfin, l'enchevêtrement qui résulte de la procédure prise par la procureure de l'intimé est source de confusion quant à la nature et quant aux effets du jugement. Il devient également source de la confusion qui entoure le droit d'appel. Il me paraît difficile de conclure qu'il n'y a pas de droit d'appel d'un jugement dont la nature et les effets sont incertains, particulièrement pour le juge saisi du renvoi qui doit continuer son enquête. Cela m'apparaît d'autant plus difficile d'ainsi conclure qu'en l'espèce, le bénéfice recherché par l'absence de droit d'appel échoit à la partie qui a créé la confusion et l'incertitude.

[40]De même, pour les raisons précédemment invoquées, il m'apparaît manifeste qu'un exercice erroné de la discrétion conférée par la règle 216 n'est pas couvert par l'interdiction d'appel. Il s'agit à toutes fins pratiques d'une manifestation du principe que l'accessoire suit le principal. Si la décision qui interprète les conditions et les critères d'application de la procédure de jugement sommaire est soumise au droit d'appel, il va de soi que doit l'être aussi celle qui dénote un exercice non judiciaire de discrétion dans l'application même de ces conditions et de ces critères.

[41]En somme, je suis satisfait que notre Cour a compétence pour réviser en appel la décision de la juge des requêtes statuant qu'en l'espèce, la procédure de jugement sommaire était applicable et pour réviser si la juge des requêtes, en se prononçant sur les questions qui lui étaient soumises par le truchement de cette procédure, a exercé sa discrétion judiciairement.

L'appel incident et le mérite de la décision de la juge des requêtes

[42]Étant donné la conclusion à laquelle j'en suis venu sur l'interprétation de la règle 216 et l'exercice de la discrétion par la juge des requêtes, il n'est pas nécessaire de décider la question préalable de compétence que soulève la décision au mérite de la juge des requêtes. J'ajouterais toutefois ceci en rapport avec un des arguments au mérite soulevés par la procureure de l'intimé.

[43]La juge des requêtes n'a pas statué sur une des prétentions de l'intimé, soit que les fausses déclarations qui ont conduit à l'acquisition de la citoyenneté doivent se rapporter à la demande de résidence permanente et, en conséquence, qu'il n'importe en rien que l'intimé ait menti lors de sa demande d'admission temporaire. La procureure de l'intimé fonde en partie son argument sur les mots «qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent» [soulignement ajouté] que l'on retrouve au paragraphe 10(2) de la Loi. Je crois utile de reproduire à nouveau ce paragraphe:

10. [. . .]

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

[44]Sans décider du mérite de cet argument, je crois opportun de rappeler que le paragraphe 10(2) ne fait qu'édicter une présomption et que ce paragraphe n'a pas pour effet de limiter et de restreindre la portée du paragraphe 10(1) et les motifs de révocation de l'acquisition de la citoyenneté. Le gouverneur en conseil peut, en dehors du cadre de la présomption du paragraphe 10(2), retirer la citoyenneté à une personne lorsqu'il est convaincu que l'acquisition de celle-ci est intervenue par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. En d'autres termes, la présomption du paragraphe 10(2) est utile, mais elle ne limite pas la question de la fraude ou l'usage de moyens dolosifs au seul moment de la demande d'admission au Canada à titre de résident permanent.

[45]L'appel incident, je le rappelle, vise à faire renverser la décision de la juge des requêtes par laquelle elle a conclu que l'action de l'appelante n'était pas assujettie à la prescription. Sans discuter du bien-fondé de cette décision à son mérite, je suis d'avis que la question de prescription ne pouvait être soumise à la juge des requêtes pour jugement sommaire, particulièrement compte tenu des faits au dossier. En fait, je ne crois pas qu'une objection fondée sur la prescription puisse même être faite au juge saisi du renvoi pour les raisons suivantes.

[46]L'objection fondée sur la prescription faite par l'intimé découle à la fois d'une mauvaise conception et d'une compréhension erronée de la procédure de renvoi dans laquelle il s'est engagé.

[47]En effet, une lecture attentive de l'article 18 de la Loi révèle le processus suivant. Informé de motifs pouvant justifier un rapport au gouverneur en conseil, la ministre doit aviser la personne visée par le rapport qu'elle a l'intention d'écrire au gouverneur en conseil. Mais elle ne peut acheminer ce rapport que si la personne visée n'a pas demandé le renvoi de l'affaire devant la Section de première instance dans le délai imparti ou que si la Cour, après son enquête, a conclu à de la fraude, des manoeuvres dolosives ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[48]Le paragraphe 18(2) donne à la personne intéressée l'opportunité de connaître les allégations du ministre et de les réfuter en demandant que ces allégations soient référées à la Cour pour qu'une détermination impartiale des faits soit faite au terme d'une audition. À cette occasion, la personne visée par le rapport se voit octroyer l'occasion de contester et de réfuter les allégations qu'on lui oppose. Comment peut-elle alors demander qu'il soit mis un terme, au motif de prescription, à un renvoi qu'elle a elle-même demandé pour son propre bénéfice? Je crois que le seul fait de poser ainsi la question équivaut à y répondre, sans qu'il me soit nécessaire de discuter des principes de la renonciation, actuelle ou présumée, au bénéfice de la prescription.

[49]En outre, en supposant que l'intimé puisse invoquer la prescription, je ne peux voir comment celle-ci peut courir en sa faveur tant qu'il n'a pas fait une demande de renvoi à la Cour, étant donné que l'existence même du renvoi, qu'il veut voir sanctionner par la prescription, dépend d'une condition purement potestative, à savoir qu'il demande lui-même un renvoi.

[50]À tout événement, il n'était pas possible dans la présente instance, d'une part pour les raisons déjà exprimées, de procéder par jugement sommaire. Il n'était pas non plus opportun, d'autre part, de s'aventurer sur le terrain de la prescription quand les faits n'étaient pas tous connus. On voit, par exemple, du peu de preuve dont disposait la juge des requêtes, que les autorités canadiennes ont été informées en 1993 des allégations concernant l'intimé et que celui-ci n'a été retracé au Canada qu'en 1995. Il est dès lors peu probable que la prescription, dans l'hypothèse où elle peut être invoquée, ait commencé à courir avant cette date, encore moins en 1950 comme le prétend la procureure de l'intimé.

[51]Au surplus, l'avis de révocation, qui donne naissance au droit de l'intimé au renvoi et à l'audition qui s'ensuit, ne lui a été envoyé qu'en août 1999. En fait, c'est sa propre demande de renvoi qui, sous peine de déchéance, doit être faite dans les 30 jours de la date de l'expédition de l'avis. L'alinéa 18(1)a) fait clairement ressortir qu'il s'agit d'un bénéfice offert à l'intimé, bénéfice qu'il peut perdre par son inaction. Encore une fois, comment concevoir qu'il puisse demander la prescription d'un bénéfice qui existe en sa faveur sous peine de déchéance? Il y a autant de logique méritoire dans cette prétention de l'intimé relative à la prescription que dans sa prétention que le jugement de la juge des requêtes est un jugement final, mais qui demeure interlocutoire parce qu'il ne dispose pas de l'action.

[52]Je terminerai en disant que notre Cour, pour les motifs déjà mentionnés, a compétence pour entendre l'appel incident et le rejeter.

[53]Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens, j'infirmerais la décision de la juge des requêtes rendue le 6 septembre 2002 et je rejetterais avec dépens la requête pour jugement sommaire. Je rejetterais sans frais l'appel incident. Je rejetterais sans frais la requête de l'intimé pour l'arrêt des procédures d'appel.

Le juge Décary, J.C.A.: Je suis d'accord.

Le juge Nadon, J.C.A.: Je suis d'accord.

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