Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2216-01

2002 CFPI 1089

Herrenknecht Tunnelling Systems USA Inc. et Danzas Inc. faisant affaires sous le nom de Danzas AEI Intercontinental (auparavant Danzas (Canada) Ltd.) (requérantes) (demanderesses)

c.

Canadien Pacifique, Canadien Pacifique Limitée et RaiLink Canada Ltd. (intimées) (défenderesses)

Répertorié: Herrenknecht Tunnelling Systems USA Inc. c. Canadien Pacifique (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson--Vancouver, 23 septembre; Ottawa, 21 octobre 2002.

Compétence de la Cour fédérale -- Section de première instance -- Requête visant à obtenir une décision selon laquelle la Cour a compétence pour connaître de l'action présentée en vertu de l'art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale, des art. 113(1) et 116(5) de la Loi sur les transports au Canada et de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 -- L'application du critère servant à déterminer la compétence est énoncée dans l'arrêt ITO--International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre -- La Cour a compétence pour connaître de l'action.

Il s'agissait d'une requête visant à obtenir une décision selon laquelle la Section de première instance de la Cour fédérale a compétence pour connaître de l'action intentée par les demanderesses. La demanderesse Herrenknecht a acheté une machine à creuser les galeries (MCG) de la société Robbins et a conclu un arrangement avec la défenderesse CP pour l'expédition par chemin de fer. Conformément au contrat d'expédition, le CP a transp orté la MCG sur la ligne ferroviaire de la vallée de l'Outaouais, laquelle comporte une ligne secondaire allant de Mattawa (Ontario) à Témiscaming (Québec). Alors qu'il faisait route, le train du CP a déraillé près de Mattawa. Les demanderesses allèguent q ue la MCG a été endommagée dans ce déraillement. Elles ont intenté une action sur le fondement du paragraphe  116(5) de la Loi sur les transports au Canada pour inexécution de l'obligation, imposée aux compagnies de chemins de fer par l'alinéa  113(1)c) de la Loi, de «re[cevoir], transporte[r] et livre[r] ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus». La principale question était de savoir si la Cour avait compétence pour connaître de l'action.

Jugement: la requête doit être accueillie.

Dans l'arrêt ITO--International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, la Cour suprême du Canada a établi les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Premièrement, il doit y avo ir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral. L'alinéa  23c) de la Loi sur la Cour fédérale confère compétence à la Cour fédérale, Section de première instance, sauf attribution spéciale de cette compétence, dans tous les cas de demande de réparation ou d'autre recours exercé sous le régime d'une loi fédérale ou d'une autre règle de droit en matière d'ouvrages reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province. Les défenderesses CP  et RaiLink Canada Ltd. exploitent des trains et transportent des marchandises d'une province à l'autre. Elles sont toutes deux des entreprises, sinon des ouvrages, reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province au sens de l'alinéa  23c) de la Loi sur la Cour fédérale. Cette disposition constitue une attribution de compétence à la Section de première instance de la Cour fédérale par une loi du Parlement fédéral. Deuxièmement, il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence. Les paragraphes  88(1), (2), (3), 90(1), 113(1) et 116(5) de la Loi sur les transports au Canada forment un ensemble de règles de droit fédérales, essentiel à la solution de la présente action, qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence. La compétence eu égard au  CP et à RaiLink, qui serait autrement dévolue à la Section de première instance de la Cour fédérale par l'alinéa  23c) de la Loi sur la Cour fédérale, n'a pas fait l'objet d'une «attribution spéciale de cette compétence» selon les termes introductifs de l'article  23, de façon à écarter sa compétence prévue au paragraphe  116(5) de la Loi sur les transports au Canada, lequel confère un droit d'«a ction» à quiconque a été lésé par la négligence ou le refus d'une compagnie de chemin de fer de s'acquitter de ses obligations. Troisièmement, la loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens où cette expression est employée à l'article  101 de la Loi constitutionnelle de  1867. Pour constituer une «loi du Canada», il doit exister une loi applicable, et cette loi doit avoir été valablement édictée par le Parlement ou, validement édictée en vertu d'une loi validement édictée par le Parlemen t, ou s'il s'agit de common law, d'une règle que le Parlement aurait pu validement édicter. Le paragraphe  116(5) et l'alinéa  113(1)c) de la Loi sur les transports au Canada, voire la Loi dans son ensemble, sont incontestablement une «loi du Canada». La Sec tion de première instance de la Cour fédérale a compétence pour connaître de la présente action intentée contre les défenderesses désignées en vertu de l'article  23 de la Loi sur la Cour fédérale, des paragraphes 113(1) et 116(5) de la Loi sur les transports au Canada et de l'alinéa  10a) de l'article  92 de la Loi constitutionnelle de  1867.

lois et règlements

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi de 1982 sur le Canada, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 92, 101.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 23.

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10, art. 23.

Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R-2, art. 262.

Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 87 «chemin de fer», «compagnie de chemin de fer», 88(1),(2),(3), 90(1), 113(1), 116(5).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 220.

jurisprudence

décisions appliquées:

ITO--International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; (1998), 157 D.L.R. (4th) 385; 6 Admin. L.R. (3d) 1; 22 C.P.C. (4th) 1; 224 N.R. 241; Watt & Scott Inc. c. Chantry Shipping S.A., [1988] 1 C.F. 537; (1987), 11 F.T.R. 242 (1re inst.); Consolidated Distilleries Ltd. v. Consolidated Exporters Corp. Ltd., [1930] R.C.S. 531; [1930] 3 D.L.R. 704; Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976), 9 N.R. 471.

décisions citées:

Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575; (1979), 99 D.L.R. (3d) 623 (C.A.); Kiist c. Canadian Pacific Railway Co., [1982] 1 C.F. 361; (1981), 123 D.L.R. (3d) 434; 37 N.R. 91 (C.A.).

REQUÊTE visant à obtenir une décision selon laquelle la Section de première instance de la Cour fédérale a compétence pour connaître de l'action intentée sur le fondement du paragraphe 116(5) Loi sur les transports au Canada, pour inexécution de l'obligation qu'impose l'alinéa 113(1)c). Requête accueillie.

ont comparu:

Todd R. Davies et Matthew Heemskerk pour les requérantes (demanderesses).

Personne n'a comparu au nom des intimées (défenderesses).

avocats inscrits au dossier:

Alexander, Holburn, Beaudin & Lang, Vancouver, pour les requérantes/demanderesses.

Whitelaw Twining, Vancouver, pour l'intimée/défenderesse RaiLink Canada Ltd.

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l., Vancouver, pour les intimées/défenderesses Canadien Pacifique et Canadien Pacifique Ltée.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson:

Introduction

[1]Par avis de requête déposé le 11 septembre 2002, les demanderesses ont demandé les réparations suivantes:

[traduction]

1.     des directives concernant le déroulement de la présente action et une ordonnance portant que la Cour fédérale du Canada a compétence;

2.     toute autre réparation que cette Cour jugera indiquée;

3.     une ordonnance portant que les dépens suivent l'issue de la cause. [Non souligné dans l'original.]

[2]En substance, on cherchait à obtenir une décision portant que la Cour a compétence pour connaître de l'action. Bien que cela ne ressorte pas à la lecture des documents soumis, j'étais convaincu qu'il s'agissait essentiellement d'une requête présentée avant l'instruction pour demander à la Cour de statuer sur un point de droit pertinent dans la présente action. Une telle requête tombe sous le coup de la règle 220 des Règles de la Cour fédérale (1998)1, laquelle prévoit une procédure en deux étapes.

[3]J'ai entendu la requête à Vancouver le 16 septembre 2002, audience à laquelle seul l'avocat des demanderesses a comparu. Après avoir entendu ses observations, j'ai ordonné informellement qu'il soit statué sur la question de la compétence. J'ai donné à l'avocat des demanderesses instruction de, premièrement, veiller à ce que les défenderesses avisent la Cour par écrit de leurs positions sur la requête et, deuxièmement, d'ajouter à son dossier un commentaire sur un arrêt précédent de la Cour d'appel fédérale que j'estimais pertinent. Enfin, j'ai fixé les date, heure et lieu du débat au 23 septembre 2002, à Vancouver.

[4]Les avocats des défenderesses Canadien Pacifique et Canadien Pacifique Limitée (collectivement CP) ont avisé la Cour par écrit, par l'entremise de l'avocat des demanderesses, que, au nom de leurs clientes, ils ne prenaient pas position sur la requête. Cela étant dit, ils ont confirmé qu'ils avaient souscrit à l'exposé convenu des faits sur lesquels les demanderesses fondent leur requête. Les avocats de la défenderesse RaiLink Canada Ltd. ont avisé la Cour, toujours par l'entremise de l'avocat des demanderesses, qu'ils consentaient à ce que la question de la compétence soit tranchée en leur absence. Ils ont aussi informé la Cour qu'après examen des documents présentés pour le compte des demanderesses, y compris de l'exposé convenu des faits, ils estimaient que la Cour disposait de suffisamment d'éléments pour trancher comme il convient la question de la compétence.

[5]En conséquence, lorsque, le 23 septembre 2002, j'ai entrepris l'examen de la question de la compétence, les défenderesses n'étaient pas représentées devant la Cour et n'avaient déposé aucun document écrit, bien que l'exposé convenu des faits déposé par les demanderesses ait effectivement été adopté en leur nom.

[6]À la suite de l'audience du 23 septembre 2002, j'ai prononcé l'ordonnance suivante:

[traduction] La Cour conclut qu'elle a compétence pour connaître de la présente action contre les défenderesses désignées, en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, des paragraphes 113(1) et 116(5) de la Loi sur les transports au Canada et de l'alinéa 10a) de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Les dépens de la requête suivent l'issue de la cause.

Motifs à suivre.

Contexte

[7]Les prétentions suivantes sont tirées de la déclaration des demanderesses.

[8]La demanderesse Herrenknecht Tunnelling Systems USA, Inc. (Herrenknecht), est une société constituée sous le régime des lois de l'État de Washington, aux États-Unis, et dont l'adresse aux fins de signification au Canada est celle de ses procureurs dans la présente action.

[9]La demanderesse Danzas Inc., faisant affaires sous la dénomination Danzas AEI Intercontinental (auparavant connue sous la dénomination de Danzas (Canada) Ltd.) (Danzas), est une société constituée sous le régime des lois du Canada et dont l'adresse aux fins de signification est aussi celle de ses procureurs dans la présente action.

[10]Le ou vers le 1er octobre 1998, Herrenknecht a acheté une machine à creuser les galeries (MCG) de la société Robbins. À toutes époques pertinentes aux fins de la présente action, Herrenknecht était propriétaire de la MCG. Herrenknecht a conclu un contrat avec Danzas pour l'expédition de la MCG de De Beaujeu, au Québec, à Tacoma, Washington, É.-U. Danzas s'est entendue avec le CP pour l'expédition.

[11]Dans sa défense, RaiLink Canada Ltd. (RaiLink) dit n'avoir aucune connaissance des allégations concernant l'origine des sociétés Herrenknecht et Danzas et leurs adresses aux fins de signification ou de tout contrat ayant pu être conclu entre elles en ce qui a trait à l'expédition de la MCG. Elle nie que Herrenknecht ait acheté la MCG et qu'elle en ait été la propriétaire à toutes époques pertinentes.

[12]Dans leur défense, Canadien Pacifique et Canadien Pacifique Limitée nient toutes les allégations susmentionnées.

[13]Pour les fins de ma décision concernant la compétence, et donc pour les fins des présents motifs, je tiens ces allégations pour avérées.

[14]L'exposé convenu des faits suivant a été soumis à la Cour: 

[traduction]

1.     La défenderesse CP est une compagnie de chemin de fer exerçant ses activités au Canada et qui est titulaire du certificat d'aptitude visé à l'article 92 de la Loi sur les transports au Canada (la Loi).

2.     La défenderesse RaiLink est une compagnie de chemin de fer exerçant ses activités au Canada et qui est titulaire du certificat d'aptitude visé à l'article 92 de la Loi [. . .]

3.     Les demanderesses ont conclu un arrangement avec le CP pour l'expédition par chemin de fer, ainsi qu'en font foi deux connaissements datés du 17 décembre 1998 et trois connaissements datés du 15 décembre 1998 [. . .]

4.     Conformément au contrat d'expédition (contrat), le CP a transporté la MCG sur la ligne ferroviaire de la vallée de l'Outaouais (la ligne de la vallée de l'Outaouais), laquelle comporte une ligne secondaire allant de Mattawa (Ontario) à Témiscaming (Québec).

5.     Au moment du déraillement, le train du CP transportant la MCG circulait sur la ligne de la vallée de l'Outaouais.

6.     Alors qu'il faisait route, le train du CP a déraillé près de Mattawa (Ontario).

7.     Les demanderesses allèguent que deux wagons qui transportaient une partie de la MCG ont déraillé, et que la MCG a été endommagée dans ce déraillement.

8.     La ligne de la vallée de l'Outaouais est exploitée par la défenderesse RaiLink en vertu d'un bail à long terme consenti par le CP (le bail) [. . .]

9.     La ligne de la vallée de l'Outaouais relie les lignes ferroviaires de l'Ontario à celles du Québec, des provinces de l'Ouest du Canada et des États-Unis.

10.     RaiLink exploite et maintient la ligne de la vallée de l'Outaouais conformément au bail et aux dispositions de la Loi. [Renvois aux pièces jointes à l'exposé convenu des faits omis.]

[15]Chacun des connaissements indique comme «gare d'origine» De Beaujeu et comme «gare de destination» Tacoma (Washington), É.-U.

Contexte législatif

[16]L'introduction de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale2 et l'alinéa c) de cet article sont ainsi conçus:

23. Sauf attribution spéciale de cette compétence par ailleurs, la Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans tous les cas--opposant notamment des administrés--de demande de réparation ou d'autre recours exercé sous le régime d'une loi fédérale ou d'une autre règle de droit en matière:

[. . .]

c) d'ouvrages reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province.

[17]Pour l'application de la Partie III de la Loi sur les transports au Canada3, l'article 87 de cette Loi donne les définitions suivantes:

87. [. . .]

«chemin de fer» Chemin de fer relevant de l'autorité législative du Parlement. Sont également visés:

a) les embranchements et prolongements, les voies de garage et d'évitement, les ponts et tunnels, les gares et stations, les dépôts et quais, le matériel roulant, l'équipement et les fournitures, ainsi que tous les autres biens qui dépendent du chemin de fer;

b) les systèmes de communication ou de signalisation et les installations et équipements connexes qui servent à l'exploitation du chemin de fer.

«compagnie de chemin de fer» La personne titulaire du certificat d'aptitude visé à l'article 92 ou la société formée de telles personnes, ou la personne mentionnée au paragraphe 90(2).

[18]Le paragraphe 88(1), l'introduction du paragraphe 88(2) et l'alinéa b) de ce paragraphe, les paragraphes 88(3) et 90(1), l'introduction du paragraphe 113(1) et l'alinéa c) de ce paragraphe ainsi que le paragraphe 116(5), tous figurant à la Partie III de la Loi sur les transports au Canada, disposent:

88. (1) La présente partie s'applique aux personnes, aux compagnies de chemin de fer et aux chemins de fer qui relèvent de l'autorité législative du Parlement.

(2) Elle s'applique également:

[. . .]

b) à tout ou partie du chemin de fer, construit ou non sous le régime d'une loi fédérale, qui est possédé, contrôlé, loué ou exploité par une personne exploitant un chemin de fer relevant de l'autorité législative du Parlement.

(3) Tout ou partie du chemin de fer visé à l'alinéa (2)b) est déclaré être un ouvrage à l'avantage général du Canada.

[. . .]

90. (1) Nul ne peut construire ou exploiter un chemin de fer sans être titulaire d'un certificat d'aptitude.

[. . .]

113. (1) Chaque compagnie de chemin de fer, dans le cadre de ses attributions, relativement au chemin de fer qui lui appartient ou qu'elle exploite:

[. . .]

c) reçoit, transporte et livre ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus;

[. . .]

116. [. . .]

(5) Quiconque souffre préjudice de la négligence ou du refus d'une compagnie de s'acquitter de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114 possède, sous réserve de la présente loi, un droit d'action contre la compagnie. [Je souligne.]

[19]L'introduction de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 18674, la catégorie 10 de cet article, l'alinéa a) de cette catégorie et l'article 101 disposent:

92. Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:

[. . .]

10. Les travaux et entreprises d'une nature locale, autres que ceux énumérés dans les catégories suivantes:--

a. Lignes de bateaux à vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la province;

[. . .]

101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi, lorsque l'occasion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, maintenir et organiser une cour générale d'appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada.

Analyse

1) Le critère servant à déterminer la compétence

[20]Dans l'arrêt ITO--International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre5, le juge McIntyre a écrit ceci au nom des juges majoritaires, à la page 766:

L'étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières années. Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée [. . .] et dans l'arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. v. La Reine, [. . .] on a établi les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions sont les suivantes:

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.

3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. [Renvois omis.]

L'arrêt ITO--International Terminal Operators Ltd. examinait l'étendue du droit maritime canadien, mais j'estime que cet énoncé s'applique également aux faits de la présente espèce.

[21]Ce critère a été récemment confirmé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net6, qui mettait en cause une question de droit administratif. Après avoir rappelé le critère susmentionné, le juge Bastarache, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a dit ceci aux paragraphes 34 et 35 de ses motifs:

Ce sont ces facteurs historiques et constitutionnels qui ont entraîné l'élaboration de la notion de compétence inhérente des cours supérieures des provinces, qui a, dans une certaine mesure, été comparée et opposée à la compétence d'origine législative plus limitée de la Cour fédérale du Canada. Toutefois, je suis d'avis que rien dans cet exposé de la notion essentiellement réparatrice de compétence inhérente ne peut être invoqué pour justifier une interprétation étroite, plutôt qu'une interprétation juste et libérale, des lois fédérales qui confèrent compétence à la Cour fédérale. La proposition légitime--selon laquelle la situation institutionnelle et constitutionnelle des cours supérieures provinciales justifie de leur reconnaître une compétence résiduelle sur toute matière fédérale en cas de «lacune» dans l'attribution législative des compétences -- est entièrement différente de l'argument selon lequel il faut conclure à l'existence d'une «lacune» dans une loi fédérale à moins que le texte de cette loi ne comble explicitement la lacune en question. La théorie de la compétence inhérente ne fait ressortir aucun motif valable, d'ordre constitutionnel ou autre, justifiant de protéger jalousement la compétence des cours supérieures des provinces contre la Cour fédérale du Canada.

À mon avis, la théorie de la compétence inhérente a pour effet de garantir que, une fois analysées les diverses attributions législatives de compétence, il y aura toujours un tribunal habilité à statuer sur un droit, indépendamment de toute attribution législative de compétence. Le tribunal qui jouit de cette compétence inhérente est la juridiction de droit commun, c'est-à-dire la cour supérieure de la province. Cette théorie n'a pas pour effet de limiter restrictivement une attribution législative de compétence; de fait, elle ne prévoit rien quant à la façon dont une telle attribution doit être interprétée. Comme l'a souligné le juge McLachlin dans l'arrêt Fraternité . . ., il s'agit d'une «compétence résiduelle». Dans un système fédéral, la théorie de la compétence inhérente ne justifie pas d'interpréter restrictivement les lois fédérales conférant compétence à la Cour fédérale. [Renvois omis.]

[22]De plus, je suis convaincu que la présente Cour peut incontestablement appliquer les lois provinciales accessoirement nécessaires à la solution des questions qui lui sont soumises dans un domaine relevant de sa compétence7.

[23]J'en viens maintenant au critère en trois volets servant à établir la compétence de la Cour.

2) Une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral

[24]L'alinéa 23c), précité, de la Loi sur la Cour fédérale confère compétence à la Section de première instance de la Cour, sauf attribution spéciale de cette compétence, dans tous les cas de demande de réparation ou d'autre recours exercé sous le régime d'une loi fédérale ou d'une autre règle de droit en matière d'ouvrages reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province.

[25]Je prends acte du fait que le CP exploite des trains et transporte des marchandises d'une province à l'autre. De même, RaiLink maintient et exploite une ligne ferroviaire reliant une province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites d'une province. Ainsi qu'il appert de l'exposé convenu des faits, le CP et RaiLink sont toutes deux des «compagnies de chemin de fer» au sens de la Loi sur les transports au Canada et, ainsi qu'il appert encore de l'exposé convenu des faits, elles sont toutes deux titulaires de certificats d'aptitude visés à l'article 92 de cette Loi. En conséquence, j'estime qu'elles sont toutes deux des entreprises, sinon des ouvrages, reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province au sens de l'alinéa 23c) de la Loi sur la Cour fédérale.

[26]Vu les faits qui me sont soumis, j'estime que l'alinéa 23c) de la Loi sur la Cour fédérale constitue une attribution de compétence à la présente Cour par une loi du Parlement fédéral.

3) Un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence

[27]Dans l'arrêt Watt & Scott Inc. c. Chantry Shipping S.A.8, qui portait sur une action en négligence intentée contre une compagnie ferroviaire en raison de la contamination d'une cargaison de noix pendant l'expédition, le juge Joyal a estimé que la Cour avait compétence pour connaître de l'action en vertu de l'ancien article 23 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10] parce que la compagnie ferroviaire en cause était une entreprise fédérale reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province. Il a conclu à la page 552:

Toutefois, la réclamation dont je suis saisi repose manifestement sur l'inexécution de l'obligation de soin imposée à une compagnie ferroviaire par l'alinéa 262(1)c) [de la Loi sur les chemins de fer].

L'alinéa 262(1)c) de la Loi sur les chemins de fer [S.R.C. 1970, ch. R-2] était identique à l'alinéa 113(1)c) de la Loi sur les transports au Canada.

[28]J'estime que les dispositions précitées de la Loi sur les transports au Canada forment un ensemble de règles de droit fédérales, essentiel à la solution de la présente action, qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.

[29]La question demeure toutefois: la compétence eu égard au CP et à RaiLink, qui serait autrement dévolue à la présente Cour par l'alinéa 23c) de la Loi sur la Cour fédérale, a-t-elle fait l'objet d'une «attribution spéciale de cette compétence» selon les termes introductifs de l'article 23, de façon à écarter sa compétence? Je suis persuadé que cette compétence n'a pas ainsi fait l'objet d'une «attribution spéciale».

[30]Toujours dans l'arrêt Watt & Scott Inc. c. Chantry Shipping S.A., précité, le juge Joyal a examiné cette question au regard de la Loi sur les chemins de fer9, l'ancêtre de la Loi sur les transports au Canada. La Loi sur les chemins de fer, tout comme le paragraphe 116(5), précité, de la Loi sur les transports au Canada, conférait un droit d'«action» à quiconque avait été lésé par la négligence ou le refus d'une compagnie de chemin de fer de s'acquitter de ses obligations. Comme la Loi sur les transports au Canada, la Loi sur les chemins de fer conférait également certaines responsabilités spécifiques à la Commission canadienne des transports, l'ancêtre de l'Office des transports du Canada. Le juge Joyal a écrit ceci à la page 550 de ses motifs dans l'arrêt Watt & Scott Inc., précité:

Il faut également reconnaître l'importance du paragraphe 262(7) [l'ancêtre du paragraphe 116(5) of the Loi sur les transports au Canada] qui confère un droit d'action à quiconque a été lésé par la négligence ou le refus de la compagnie de se conformer aux exigences de l'article 262 et qui prévoit que la compagnie ne peut se mettre à l'abri de cette action en invoquant un avis, une condition ou une déclaration si le dommage résulte d'une négligence ou d'une omission de la compagnie ou de ses employés. Je ne peux imaginer un droit d'action conféré par la loi qui soit énoncé d'une façon aussi claire.

On pourrait aussi accorder beaucoup d'importance aux autres dispositions de l'article 262 suivant lesquelles il peut être nécessaire d'obtenir une décision préalable de la Commission canadienne des transports avant d'intenter une action en dommages-intérêts. Je renvoie expressément au pouvoir conféré à la Commission par les paragraphes 262(3), (5), (6) et (8) en ce qui a trait aux installations et aux commodités et qui lui permet d'ordonner l'exécution de travaux précis ou le paiement de surestaries. Aucune de ces dispositions ne limite à mon avis le droit d'action conféré par l'alinéa 262(1)c) par suite du manque de soin au cours de la réception, du transport et de la livraison des marchandises et effets.

[31]Compte tenu de ce qui précède, le juge Joyal a conclu à la page 553:

Je conclus par conséquent que la Cour fédérale a compétence pour connaître d'une action intentée contre Burlington Northern sur le fondement de l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer et que la clause restrictive figurant à la fin de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale n'empêche pas la Cour de statuer sur ladite action.

Les termes auxquels le juge Joyal renvoie sont «sauf dans la mesure où cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale», termes repris dans l'actuelle version de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale.

[32]C'est précisément à cette conclusion que j'arrive relativement aux responsabilités de l'Office canadien des transports, eu égard au droit d'action conféré par le paragraphe 116(5) de la Loi sur les transports au Canada , dans les cas où l'on allègue qu'une compagnie de chemin de fer a contrevenu aux obligations qui lui incombent en vertu de l'alinéa  113(1)c) de cette Loi, à savoir qu'elle «reçoit, transporte et livre [les] marchandises [qui lui sont présentées pour être transportées sur son chemin de fer] sans délai et avec le soin et la diligence voulus.»

[33]Le juge Joyal a établi une distinction d'avec un arrêt antérieur de la Cour d'appel fédérale, Kiist c. Canadian Pacific Railway Co.10, en faisant l'analyse suivante à la page 552 de ses motifs:

L'affaire soumise au juge Le Dain reposait sur l'alinéa 262(1)a) qui prévoit qu'une compagnie ferroviaire est tenue de fournir des installations suffisantes et convenables «pour la réception et le chargement des marchandises et effets présentés à la compagnie pour être transportés sur son chemin de fer». Après avoir analysé de nombreux précédents relatifs aux considérations de politique qu'un organisme administratif doit appliquer quant aux normes des obligations, considérations qu'une cour hésiterait grandement à examiner, il a conclu [. . .]:

Par ces motifs, j'estime que la Commission s'est vue spécialement attribuer la compétence pour déterminer si les compagnies ferroviaires intimées ont fourni des installations suffisantes et convenables en vue du transport du grain pour la Commission canadienne du blé pendant les campagnes agricoles de 1977-1978 et 1978-1979, et qu'en l'absence d'une décision sur ce point de la part de la Commission, la Cour fédérale est incompétente pour connaître de l'action en dommages-intérêts des appelants.

Toutefois, la réclamation dont je suis saisi repose manifestement sur l'inexécution de l'obligation de soin imposée à une compagnie ferroviaire par l'alinéa  262(1)c), et après avoir analysé ou interprété l'ensemble de l'article 262, je conclus qu'il ne s'agit pas du genre d'obligation dont avait été saisie la Cour d'appel fédérale ni d'un cas où la compétence conférée à la Cour fédérale par l'article 23 de sa loi constitutive serait suspendue sinon écartée.

[34]Encore là, j'estime qu'on peut faire précisément la même analyse en comparant les obligations d'une compagnie de chemin de fer sous le régime de l'alinéa 113(1)a) de la Loi sur les transports au Canada, qui a remplacé l'alinéa 262(1)a) de la Loi sur les chemins de fer, et les obligations qui lui incombent en vertu de l'alinéa 113(1)c) de la Loi sur les transports au Canada, qui a remplacé l'alinéa 262(1)c) de la Loi sur les chemins de fer.

4) La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens où cette expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867

[35]L'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 est cité précédemment.

[36]Dans l'arrêt Consolidated Distilleries Ltd. v. Consolidated Exporters Corp. Ltd.11, le juge en chef Anglin a, à la page 534, écrit ceci au nom de la majorité de la Cour, en renvoyant à l'expression «autres tribunaux» figurant à l'article 101 de ce qui est maintenant la Loi constitutionnelle de 1867:

[traduction] Notons que les «autres tribunaux» que le Parlement est autorisé est établir en vertu de l'art. 101 sont des tribunaux «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada». Compte tenu du contexte et des autres dispositions de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, l'expression «lois du Canada» doit viser les lois adoptées par le Parlement fédéral et qui sont de son ressort.

Cette position a été confirmée dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadian Pacific Ltée et autre12 où le juge en chef Laskin, au nom de la Cour, a écrit ce qui suit aux pages 1065 et 1066:

Il convient également de souligner que l'art. 101 ne traite pas de la création des tribunaux pour connaître des sujets relevant de la compétence législative fédérale, mais «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada». Le terme «exécution» est aussi significatif que le mot pluriel «lois». À mon avis, ils supposent tous deux l'existence d'une législation fédérale applicable, que ce soit une loi, un règlement ou la common law, comme dans le cas de la Couronne, sur lesquels la Cour fédérale peut fonder sa compétence.

À la lumière de ces précédents, j'estime que, pour constituer «une loi du Canada» au sens où cette expression est utilisée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, il doit exister une loi applicable, et cette loi doit avoir été valablement édictée par le Parlement, ou validement édictée en vertu d'une loi validement édictée par le Parlement ou, s'il agit de common law, d'une règle que le Parlement aurait pu validement édicter.

[37]La présente action est intentée sur le fondement du paragraphe 116(5) de la Loi sur les transports au Canada pour inexécution de l'obligation qu'impose aux compagnies de chemin de fer l'alinéa 113(1)c) de la Loi. J'estime que chacune de ces dispositions, voire la Loi sur les transports au Canada dans son ensemble, est incontestablement «une loi du Canada» au sens où cette expression est utilisée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Conclusion

[38]Me fondant sur la brève analyse qui précède, j'ai décidé que la présente Cour a compétence pour connaître de la présente action intentée contre les défenderesses désignées, en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, des paragraphes 113(1) et 116(5) de la Loi sur les transports au Canada et de l'alinéa 10a) de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ainsi que je l'ai indiqué précédemment, j'ai prononcé une ordonnance à cet effet le 23 septembre 2002, au terme de l'audition de la requête ayant donné lieu aux présents motifs.

1 DORS/98-106.

2 L.R.C. (1985), ch. F-7.

3 L.C. 1996, ch. 10.

4 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no. 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]].

5 [1986] 1 R.C.S. 752.

6 [1998] 1 R.C.S. 626.

7 Voir: Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.), à la p. 580.

8 [1988] 1 C.F. 537 (1re inst.).

9 S.R.C. 1970, ch. R-2.

10 [1982] 1 C.F. 361 (C.A.).

11 [1930] R.C.S. 531.

12 [1977] 2 R.C.S. 1054.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.