T-824-02
2002 CFPI 677
Louise Bonspille et Brenda Etienne (demanderesses)
c.
Le Conseil mohawk de Kanesatake, Mavis Katsi'Tsen: Hawe Étienne, Jocelyn Bonspille, Kanerahtenha: Wi Hilda Nicholas et le procureur général du Canada représentant le solliciteur général du Canada (défendeurs)
Répertorié: Bonspille c. Conseil mohawk de Kanesatake (1re inst.)
Section de première instance, juge Lemieux--Ottawa, 6 et 14 juin 2002.
Injonctions -- Injonctions provisoires -- Dans le cadre de leur demande de contrôle judiciaire de la décision de les relever de leurs fonctions de membre du Comité de sécurité publique de Kanesatake, les demanderesses cherchent à obtenir une injonction provisoire sous le régime de l'art. 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, pour être réintégrées dans leurs fonctions en attendant que la Cour statue sur la demande d'injonction interlocutoire au même effet -- L'existence de questions sérieuses à trancher a été établie prima facie -- Il existe un préjudice irréparable imminent, non susceptible de compensation financière, du fait que les demanderesses ne peuvent exercer leurs fonctions de membre du Comité chargé de superviser le corps de police -- Il y a urgence -- La prépondérance des inconvénients favorise les demanderesses qui subiront un tort plus grave que le Conseil si la Cour leur donne subséquemment raison sur le fond -- L'intérêt public exige la réintégration provisoire des demanderesses.
Peuples autochtones -- Dans le cadre de leur demande de contrôle judiciaire de la décision de les relever de leurs fonctions de membres du Comité de sécurité publique de Kanesatake, les demanderesses cherchent à obtenir une injonction provisoire sous le régime de l'art. 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, pour être réintégrées dans leurs fonctions en attendant que la Cour statue sur la demande d'injonction interlocutoire au même effet -- L'existence de questions sérieuses à trancher a été établie prima facie -- Il existe un préjudice irréparable imminent, non susceptible de compensation financière, du fait que les demanderesses ne peuvent exercer leurs fonctions de membre du Comité chargé de superviser le corps de police -- Il y a urgence -- La prépondérance des inconvénients favorise les demanderesses qui subiront un tort plus grave que le Conseil si la Cour leur donne subséquemment raison sur le fond -- L'intérêt public exige la réintégration provisoire des demanderesses.
Les demanderesses avaient été nommées par le Conseil mohawk de Kanesatake comme membres du Comité de sécurité publique de Kanesatake, constitué de cinq membres et responsable de déterminer et de maintenir les objectifs et les priorités du corps de police mohawk de Kanesatake. Le Comité avait été créé en 1997 par suite d'une entente conclue entre le Canada, le Québec et le Conseil au sujet de l'établissement et du maintien d'un corps de police à Kanesatake. La Commission Policies and Procedures Resolution adoptée par le Conseil énonçait que même si le Comité relevait du Conseil, il s'agissait d'une entité autonome dont le fonctionnement était indépendant du Conseil. Elle prévoyait aussi que deux membres du Comité exécuteraient un mandat initial de trois ans, et les trois membres restants, un mandat de cinq ans. De graves tensions se sont manifestées entre le Comité et le Conseil. Les deux entités divergeaient d'opinion quant à leurs divers mandats, pouvoirs et responsabilités. Bien que l'acte de nomination des demanderesses ne précisât pas la durée de leur mandat, elles furent informées par le chef membre du Conseil et responsable de la Police et de la Justice, en mai 2002, qu'elles n'étaient plus membres du Comité en raison de l'expiration de leur mandat. Il avait été déterminé que les demanderesses étaient les membres remplissant un mandat de trois ans bien que leur nomination ne comportât aucune mention en ce sens. Le même jour, le Comité écrivit au Conseil qu'il ne reconnaissait pas le pouvoir de ce dernier de prendre une telle décision et qu'il continuerait de son mieux à exercer ses attributions sans ingérence de la part du Conseil.
Les demanderesses ont déposé une demande de contrôle judiciaire visant l'annulation de la décision et une demande d'injonction provisoire et interlocutoire maintenant le statu quo. Dans une requête subséquente pour injonction provisoire fondée sur l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, elles ont essentiellement demandé leur réintégration comme membres du Comité en attendant que la Cour statue sur la demande d'injonction interlocutoire visant la même fin.
Jugement: la requête en injonction provisoire est accueillie.
En plus de satisfaire au critère tripartite bien connu élaboré dans l'arrêt RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, les demanderesses devaient établir que la situation était urgente au point de nécessiter une mesure immédiate (démontrer l'existence d'une menace imminente de préjudice irréparable pouvant survenir avant l'audition de toute demande d'injonction interlocutoire). Cette norme exigeante s'appliquait parce que les défendeurs n'avaient pas eu la possibilité de contre-interroger les demanderesses sur leurs affidavits ni de déposer d'affidavits en réponse.
Parce que les demanderesses voulaient obtenir leur réintégration provisoire au Comité en attendant l'audition de la demande d'injonction interlocutoire, le juge des requêtes a effectué un examen au fond plus approfondi et non simplement appliqué le critère de la demande vexatoire ou frivole (voir N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294 (H.L.)). Les demanderesses ont établi prima facie l'existence de questions sérieuses à trancher: s'agissait-il d'un congédiement déguisé et, le cas échéant, le Conseil avait-il le pouvoir d'agir ainsi; le Conseil pouvait-il désigner rétroactivement les membres du Comité qui remplissaient le mandat de trois ans; dans l'hypothèse où le Conseil pouvait agir comme il l'a fait, a-t-il agi de bonne foi; le Conseil a-t-il manqué à un engagement pris envers le gouvernement de ne rien faire pour exacerber la situation jusqu'à ce se tienne une rencontre pour apaiser les tension; le Conseil a-t-il contrevenu aux principes d'équité en agissant unilatéralement sans consulter les demanderesses; la décision du Conseil contrevient-elle à sa propre résolution?
Le préjudice irréparable a été défini comme un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue pécuniaire ou auquel on ne peut remédier. Ce n'est pas à titre personnel que les demanderesses se sont adressées à la Cour, mais en leur qualité respective de présidente et de membre du Comité de sécurité publique. Leur charge n'était pas élective, mais il s'agissait néanmoins d'une charge publique à laquelle les demanderesses avaient été nommées, dont l'importance, la responsabilité et la portée étaient substantielles puisque l'entité devait veiller à l'indépendance du corps de police chargé de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité dans le territoire de la réserve, à une époque difficile. Bien que leur charge ne fût pas politique, il s'agissait d'une charge publique dont l'existence était imposée par le Canada et par la province de Québec. L'exercice des attributions de ces personnes touchait des aspects fondamentaux de la vie dans le territoire de la bande et se rapportait à l'objet même de la création du corps de police autochtone. Chaque journée où les demanderesses étaient écartées de leur charge était une journée où elles ne pouvaient exercer leurs fonctions de surveillance du corps de police comme membres du Comité. La compensation par dommages-intérêts n'était pas possible. Le délai de trois semaines qui s'était écoulé avant le dépôt de la présente action n'était pas excessif. Dans les circonstances, les demanderesses ont prouvé l'existence d'un préjudice irréparable imminent.
Relativement à la prépondérance des inconvénients, les demanderesses subiraient un tort plus grave si la Cour leur donnait subséquemment raison sur le fond. Elles auront été empêchées de s'acquitter des devoirs de leur charge publique, confiés lors de leur nomination, et plus particulièrement, de veiller à l'indépendance du corps de police et de prendre les mesures indiquées pour assurer cette indépendance. L'intérêt public exigeait la réintégration provisoire des demanderesses.
La requête en injonction provisoire a été accueillie. La situation a été rétablie à ce qu'elle était avant la date de la décision contestée. Il a été enjoint au Conseil de réintégrer les demanderesses comme membres du Comité jusqu'à ce qu'une ordonnance interlocutoire soit rendue.
lois et règlements
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.2 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 374, 384.
jurisprudence
décisions appliquées:
Gabriel c. Conseil Mohawk de Kanesatake, 2002 CFPI 483; [2002] A.C.F. no 635 (1re inst.) (QL); Fournier Pharma Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 344 (C.F. 1re inst.); RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 54 C.P.R. (3d) 114; 164 N.R. 1; 60 Q.A.C. 241; N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294 (H.L.); Frank c. Bottle, [1994] 2 C.N.L.R. 45; (1993), 65 F.T.R. 89 (C.F. 1re inst.).
distinction faite d'avec:
Weatherill c. Canada (Procureur général) (1998), 6 Admin. L.R. (3d) 137; 143 F.T.R. 302 (C.F. 1re inst.).
décision citée:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321; [1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man. R. (2d) 241; 25 Admin. L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R. 341.
DEMANDE d'injonction provisoire présentée par deux membres du Comité de sécurité publique de Kanesatake. Demande accueillie.
ont comparu:
Peter B. Annis pour les demanderesses Louise Bonspille et Brenda Etienne.
Richard T. Keswick et Tina Hobday pour les défendeurs le Conseil mohawk de Kanesatake, Mavis Katsi'Tsen: Hawe Étienne, Jocelyn Bonspille, Kanerahtenha: Wi Hilda Nicholas.
Anick Pelletier pour le défendeur le procureur général du Canada.
avocats inscrits au dossier:
Vincent Dagenais Gibson LLP, Ottawa, pour les demanderesses Louise Bonspille et Brenda Etienne.
Langlois, Gaudreau, Montréal, pour les défendeurs le Conseil mohawk de Kanesatake, Mavis Katsi'Tsen: Hawe Etienne, Jocelyn Bonspille, Kanerahtenha: Wi Hilda Nicholas.
Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
[1]Le juge Lemieux: Louise Bonspille et Brenda Etienne, les demanderesses, étaient respectivement, jusqu'au 6 mai 2002, présidente et membre du Comité de sécurité publique de Kanesatake (le Comité ou CSPK).
[2]Le 6 mai 2002, les demanderesses ont toutes deux été informées individuellement par une lettre signée par Steven L. Bonspille, en sa qualité de chef membre du Conseil mohawk de Kanesatake (le Conseil) et responsable de la Police et de la Justice, qu'elles n'étaient plus membres du Comité. La raison donnée était l'expiration de leur mandat.
[3]Le 27 mai 2002, les demanderesses ont déposé une demande de contrôle judiciaire contestant la décision prise par le Conseil, le 6 mai 2002, de les relever de leurs fonctions de membre du Comité de sécurité publique de Kanesatake ainsi que des décisions connexes portant atteinte à l'indépendance dudit Comité, prises en contravention de la KMPC--Policies and Procedures Resolution, adoptée par le Conseil le 7 octobre 1997 (la Résolution).
[4]La demande de contrôle judiciaire vise l'annulation de la décision du 6 mai 2002 ainsi que l'obtention d'une injonction provisoire et interlocutoire [traduction] «établissant un statu quo au 5 mai 2002 pour ce qui est du mandat de Louise Bonspille et de Brenda Etienne comme membres du Comité». L'une des décisions connexes du Conseil a été annoncée par le grand chef intérimaire Bonspille le 10 mai 2002. Le Conseil a nommé trois membres au Comité: deux pour combler les postes vacants des demanderesses et un autre pour remplacer un membre qui avait démissionné auparavant.
[5]À ce point des motifs, il me faut mentionner que Mme le juge Tremblay-Lamer, de notre Cour, a prononcé, le 29 avril 2002 [Gabriel c. Conseil Mohawk de Kanesatake, 2002 CFPI 483; [2002] A.C.F. no 635 (1re inst.) (QL)], une injonction interlocutoire enjoignant au Conseil de réintégrer le demandeur dans l'affaire dont elle était saisie (T-33-02), James Gabriel, dans ses fonctions de grand chef du Conseil pendant la durée de l'instance.
[6]Le 27 mai 2002, les demanderesses ont également signifié et déposé un avis de requête pour obtenir une injonction provisoire en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)] afin que soit annulée la décision du 6 mai 2002 du Conseil et rétabli le statu quo au 5 mai 2002. Essentiellement, les demanderesses veulent être réintégrées dans leurs fonctions de membres du Comité jusqu'à ce que la demande d'injonction interlocutoire visant cette réintégration soit entendue et tranchée.
[7]L'avis de requête déposé par les demanderesses n'était pas fondé sur la règle 374 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], (les Règles) qui autorise un juge à prononcer une injonction provisoire d'une durée maximale de 14 jours sur requête ex parte, entre autres, lorsque dans une affaire urgente, il n'est pas possible de donner un avis. Il s'ensuit que le Conseil a contesté la requête pour injonction provisoire et que le procureur général du Canada a comparu, mais, en quelque sorte, à titre d'amicus curiae.
[8]Les demanderesses ont déposé trois affidavits à l'appui de leur avis de requête. Le procureur général du Canada a déposé un affidavit auquel le Conseil a répondu par un affidavit souscrit par Steven Bonspille, dans lequel ce dernier est décrit comme le chef du Conseil. Aucun de ces affidavits n'a pu donner lieu à un contre-interrogatoire, et il n'a pas non plus été possible de déposer des affidavits en réponse en bonne et due forme. J'ai en outre été informé que le Conseil avait déposé un avis de requête présentable à Montréal le 10 juin, visant la radiation de deux des affidavits des demanderesses ainsi que de parties importantes de l'affidavit principal qu'elles avaient conjointement souscrit.
CONTEXTE
[9]Le Comité a été créé en 1997, après la conclusion, à la fin de 1996, d'une entente entre le Canada, le Québec et le Conseil concernant l'établissement et le maintien d'un corps de police à Kanesatake (l'entente). L'entente a été renouvelée pour trois autres années en mars 1999, et elle a maintenant été reconduite pour une autre année, jusqu'au 31 mars 2003.
[10]Voici une brève présentation de l'entente:
(a) Elle établit le corps de police Mohawk de Kanesatake chargé généralement du maintien de la paix, de l'ordre et de la sécurité publique dans le territoire de la bande; sous réserve de l'article 5.3, les membres du corps de police exercent leurs fonctions à titre d'employés du Conseil, sous la direction du chef de police; le Conseil voit au recrutement et à la sélection du personnel.
(b) Elle renferme une disposition intitulée «Indépendance policière et imputabilité» formant l'article 5; l'article 5.1 est ainsi conçu:
Il est convenu qu'afin d'assurer l'indépendance fonctionnelle du corps de police mohawk de Kanesatake, le Conseil mohawk de Kanesatake maintiendra le Comité de sécurité publique de Kanesatake (le «Comité») imputable devant le Conseil de l'orientation du corps de police mohawk de Kanesatake et chargé d'en déterminer les buts, objectifs, priorités et politiques de gestion et d'en surveiller l'application.
L'article 5.2 énonce les responsabilités du Comité. L'article 5.3 prévoit ce qui suit:
Le Comité de sécurité publique de Kanesatake est responsable de déterminer et de maintenir les objectifs et les priorités du corps de police mohawk de Kanesatake. Ces responsabilités comprennent toute décision relativement à l'embauche et le licenciement des employés du corps de police mohawk de Kanesatake, ainsi que la responsabilité, en dernier ressort, pour toute décision concernant les mesures disciplinaires des membres du corps de police.
L'article 5.4 énonce que le Comité est formé d'au plus cinq membres nommés par le Conseil, tandis que l'article 5.5 stipule que les règles et procédures du Comité sont adoptées par le Conseil et qu'elles doivent comprendre notamment une disposition prévoyant que ses membres peuvent être démis de leurs fonctions pour les motifs qu'elle énumère.
Aux termes de l'article 5.7, le Comité veille à ce que le chef de police exerce ses pouvoirs en toute indépendance du Conseil, de ses membres ou de son personnel, tandis que l'article 5.8 est ainsi libellé:
Il est convenu que le Conseil, ses membres, son personnel et tout organisme établi par le Conseil doivent s'abstenir de donner des directives au chef de police et aux membres du corps de police mohawk de Kanesatake concernant des décisions opérationnelles particulières ou les opérations quotidiennes du corps de police mohawk de Kanesatake.
(c) Elle institue un comité de liaison composé de deux membres nommés par le Conseil, d'un membre nommé par le Canada et d'un membre nommé par le Québec. L'article 8 prévoit l'assistance mutuelle et la coopération opérationnelle entre la Sûreté du Québec, la Gendarmerie royale du Canada et le corps de police. L'article 9 traite de questions financières non pertinentes en l'espèce.
[11]Comme je l'ai mentionné plus haut, le Conseil a adopté la Commission Policies and Procedures Resolution le 10 octobre 1997. En voici un aperçu:
(a) elle renferme des attendus, dont les deux suivants:
[traduction] Attendu que le Comité doit veiller à l'indépendance des Peacekeepers de Kanesatake du Conseil mohawk de Kanesatake;
Attendu que même si le Comité relève du Conseil mohawk de Kanesatake, il s'agit d'une entité autonome dont le fonctionnement est indépendant du Conseil.
(b) elle nomme les cinq premiers membres du Comité et dispose en outre que le Comité veillera à ce que le corps de police soit indépendant du gouvernement de Kanesatake;
(c) elle renferme une clause relative à la révocation des membres du Comité et une clause disposant que le Conseil ne doit pas arbitrairement dissoudre le Comité ou démettre ses membres de leurs fonctions;
(d) elle prévoit la durée du mandat des membres en ces termes:
[traduction] deux membres du Comité exécuteront un mandat initial de trois ans, et les trois membres restants, un mandat de cinq ans.
Tout membre du Comité peut résigner ses fonctions en envoyant un avis de démission au Comité.
(e) elle prévoit ainsi comment combler les postes vacants:
[traduction] En cas de vacance au Comité, le Comité informe sans délai le Conseil mohawk de Kanesatake, lequel, en consultation avec le Comité, nomme un remplaçant recommandé par le Comité.
(f) elle pourvoit à l'élection du président et du vice-président:
[traduction] Les membres du Comité élisent le président et le vice-président après la première réunion officielle du Comité et, par la suite, lorsque leur mandat prend fin conformément à la politique ou lorsqu'il y a vacance pour toute autre raison, les postes sont remplis au moyen d'une nomination permanente ou temporaire avant l'audition par le Comité de toute plainte émanant du public.
[12]Il appert du dossier qu'il existait de graves tensions entre le Comité et le Conseil, tensions qui semblent s'être manifestées après l'élection au Conseil de nouveaux chefs, dont le chef Bonspille, au mois de juillet 2001.
[13]Le Comité et le Conseil divergent d'opinion quant à leurs divers mandats, pouvoirs et responsabilités. Le Comité croit que le Conseil ou certains de ses membres empiètent sur l'autonomie du corps de police, dont l'objectif principal a été de s'attaquer au problème de la drogue qu'on dit exister et que des éléments criminels risquent d'intensifier. Il pense en outre que le Conseil ou certains de ses membres usurpent des responsabilités du Comité et interviennent dans des affaires qui relèvent de ses attributions. Un chef de police a été renvoyé à l'automne 2001. Un différend est survenu entre le Conseil et le Comité sur la question de savoir qui était habilité à prolonger le contrat du chef de police intérimaire Isaacs, lequel avait remplacé le chef de police congédié. Le Conseil, en sa qualité d'employeur, a refusé la prolongation du contrat.
[14]En mars 2002, les relations entre le Comité et le Conseil ont continué de se détériorer. Le 1er mars, la présidente du Comité a écrit au Comité de liaison pour se plaindre de l'ingérence du Conseil dans le corps de police. Le 14 mars, le Canada a demandé une rencontre d'urgence du Comité de liaison en invitant en même temps le Comité. Le chef Bonspille s'est opposé à la participation du Comité en soutenant qu'il n'était pas membre du Comité de liaison.
[15]Le 2 avril suivant, tous les membres du Comité, le chef Gabriel et deux autres chefs ont écrit aux ministres responsables du Canada et du Québec pour leur faire part des préoccupations que leur causaient l'ingérence politique du Conseil dans le corps de police et le non-respect de l'entente.
[16]Compte tenu de l'urgence de la situation, le Comité de liaison s'est réuni le 10 avril 2002, sans la présence du Comité (voir la lettre du 9 avril 2002 envoyée au chef Bonspille par Yves Leguerrier) en vue de discuter des allégations du Comité. Après la réunion du Comité de liaison, Yves Leguerrier, conseiller de politique principal au ministère du Solliciteur général, a écrit au chef Bonspille pour confirmer les positions communes dégagées ainsi que sa compréhension des prochaines étapes. Il a écrit:
[traduction] Puisqu'il existe une profonde divergence de vues entre le Conseil mohawk de Kanesatake (CMK) et le Comité de sécurité publique au sujet de leur interprétation respective de l'entente, les titulaires de portefeuille Steven Bonspille et Clarence Simon se sont engagés à rencontrer les membres du Comité de sécurité publique afin de tenter de résoudre le différend.
Les représentants du CMK au Comité de liaison se sont engagés à ne rien entreprendre (pas d'embauche ni de congédiement) avant qu'une entente ne soit conclue sur l'exercice des attributions respectives du CMK et du Comité énoncées à l'Entente.
Les représentants du CMK au Comité de liaison ont déclaré que le CMK ne prendrait aucune mesure susceptible d'exacerber la situation.
Enfin, il a été convenu que le Comité de liaison se réunirait encore dans le plus court délai possible (il a été question de quelques semaines) et que la présidente du Comité de sécurité publique et un autre membre choisi par elle assisteraient à la réunion. [Non souligné dans l'original.]
[17]Le 18 avril 2002, les membres du Comité de sécurité publique et les deux chefs titulaires du portefeuille de la police se sont rencontrés. Dans l'affidavit souscrit en réponse, le chef Bonspille a déclaré qu'il était prêt à discuter toute la journée avec le Comité de sécurité publique pour résoudre les questions soulevées lors de la réunion du 10 avril du Comité de liaison, mais qu'il a été informé que les demanderesses n'avaient qu'une heure à lui consacrer.
[18]Dans le même affidavit, le chef Bonspille a déclaré qu'il n'a jamais été question de l'expiration du mandat des membres du Comité de sécurité publique à la réunion du 10 avril du Comité de liaison, ni à la réunion du 18 avril avec le Comité de sécurité publique.
[19]Comme je l'ai déjà mentionné, le chef Bonspille a informé les demanderesses, le 6 mai 2002, qu'à compter de cette date elles n'étaient plus membres du Comité de sécurité publique parce que leur mandat était expiré. Le chef Bonspille a déclaré qu'il ne faisait aucun doute que c'était le Conseil qui nommait et remplaçait les membres du Comité. Il s'est reporté à la disposition relative aux mandats de la Résolution, laquelle énonçait que deux membres du Comité rempliraient un mandat initial de trois ans tandis que les trois membres restants rempliraient un mandat de cinq ans. Il a signalé que, la résolution étant entrée en vigueur le 7 octobre 1997, deux des mandats avaient pris fin le 7 octobre 1999 et les trois autres se termineraient le 7 octobre 2002. Il a déclaré que le Conseil aurait dû remplacer deux membres au mois d'octobre 1999, et qu'un membre (autre que les demanderesses) avait démissionné. Il a été déterminé que les deux membres dont le mandat avait expiré au mois d'octobre 1999 étaient les demanderesses.
[20]Le même jour, c'est-à-dire le 6 mai 2002, tous les membres du Comité ont écrit au Conseil en déclarant qu'ils ne reconnaissaient pas le pouvoir de ce dernier de prendre une telle décision et que le Comité continuerait de son mieux à exercer ses attributions sans ingérence de la part du Conseil. Se réclamant d'une disposition de la Résolution énonçant que le Conseil ne doit pas arbitrairement dissoudre le Comité ou démettre ses membres de leurs fonctions et d'une autre prévoyant qu'un membre peut être démis de ses fonctions par un vote à la majorité des membres du Conseil, ils ont affirmé que la procédure n'avait pas été suivie.
ANALYSE
1) Le critère applicable
[21]Dans la décision Fournier Pharma Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 344 (C.F. 1re inst.), Mme le juge Tremblay-Lamer a affirmé qu'en plus de satisfaire au critère tripartite bien connu élaboré dans l'arrêt RJR-- MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, le demandeur d'un recours provisoire devait démontrer l'existence d'une urgence telle qu'aucune autre solution ne permettait d'éviter le préjudicie causé ou susceptible de l'être.
[22]Bien qu'il ne s'agisse pas en l'espèce d'une requête ex parte, j'accepte l'argument avancé par le Conseil, selon lequel les demanderesses doivent établir que la situation est urgente au point de nécessiter une mesure immédiate, c'est-à-dire qu'elles doivent démontrer l'existence d'une menace imminente de préjudice irréparable pouvant survenir avant l'audition de toute demande d'injonction interlocutoire. J'accepte cette norme exigeante parce que les défendeurs, principalement le Conseil, n'ont pas eu la possibilité de contre-interroger les demanderesses sur leurs affidavits ni de déposer d'affidavits en réponse. En outre, le dossier n'est pas en état, à cause de la requête du Conseil en radiation d'affidavits et de parties d'affidavits.
[23]Je conviens avec le Conseil qu'une injonction interlocutoire est un recours extraordinaire et très discrétionnaire, et qu'il est particulièrement rare que des injonctions provisoires soient accordées parce qu'elles s'écartent nettement des exigences procédurales appliquées aux demandes régulières d'injonction interlocutoire, plus particulièrement l'exigence de la possibilité de contre-interroger le demandeur sur ses affidavits (voir Fournier Pharma Inc., précitée).
[24]Je vais examiner la question de l'urgence en rapport avec le préjudice irréparable et en rapport avec la prépondérance des inconvénients.
2) Question sérieuse
[25]Pour les fins de la présente demande d'injonction provisoire, je suis disposé à appliquer l'exception, énoncée dans la décision Woods [N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294 (H.L.)], à la règle de la question sérieuse à trancher formulée dans l'arrêt RJR--MacDonald, précité. Dans ce dernier arrêt, la Cour suprême du Canada a statué que le juge des requêtes, lorsqu'il est d'avis que le recours provisoire demandé n'est ni vexatoire ni frivole, doit passer à l'examen des deuxième et troisième volets du critère.
[26]L'exception énoncée dans la décision Woods oblige le juge des requêtes à effectuer un examen au fond plus approfondi. Il convient de l'appliquer en l'espèce parce que les demanderesses veulent obtenir leur réintégration provisoire au Comité en attendant l'audition de la demande d'injonction interlocutoire.
[27]J'estime que les demanderesses ont établi l'existence prima facie de questions sérieuses à trancher, que j'expose ci-dessous:
1) L'acte du Conseil était-il un congédiement déguisé et, le cas échéant, sa résolution donnait-elle au Conseil un pouvoir de congédiement dans les circonstances?
2) Le Conseil avait-il le pouvoir de désigner rétroactivement deux membres du Comité comme membres remplissant le mandat de trois ans, alors qu'il ne l'avait pas fait au moment de leur nomination; subsidiairement, appartenait-il au Comité lui-même, selon une interprétation équitable de l'Entente et de la Résolution, de désigner l'ordre de rotation des mandats des membres du Comité?
3) Dans l'hypothèse où le Conseil était habilité à décréter un poste vacant, a-t-il agi de bonne foi lorsqu'il a déterminé que les demanderesses étaient les membres remplissant un mandat de trois ans et en déclarant leur poste vacant?
4) Le Conseil a-t-il manqué à un engagement pris envers le gouvernement, le cas échéant, de ne rien faire pour exacerber la situation jusqu'à ce qu'ait lieu une rencontre entre le Comité de liaison et la présidente et l'autre membre du Comité, dont la tenue devait être prochaine?
5) En prenant sa décision, le Conseil a-t-il contrevenu aux principes d'équité en agissant unilatéralement sans consulter les demanderesses?
6) La décision du Conseil contrevient-elle à sa propre Résolution?
3) Préjudice irréparable
[28]Dans l'arrêt RJR--MacDonald, précité, les juges Sopinka et Cory, s'exprimant au nom de la Cour, ont statué qu'à cette étape [à la page 341]:
[. . .] la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire.
[29]Les juges ont poursuivi en précisant que le caractère irréparable se rapportait à la nature du préjudice et non à son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue pécuniaire ou auquel on ne peut remédier, en général parce qu'une partie ne peut être dédommagée par l'autre.
[30]Le Conseil soutient que les demanderesses n'ont pas établi clairement qu'un préjudice imminent et irréparable surviendrait (le critère de l'urgence) si la Cour n'accordait pas d'injonction provisoire en attendant l'audition de toute demande d'injonction interlocutoire et avant la tenue de contre-interrogatoires.
[31]L'avocate du Conseil fait valoir que les demanderesses n'ont présenté aucun élément de preuve démontrant que l'expiration de leur mandat portera de quelque manière atteinte à leur réputation et qu'elles n'ont certainement pas établi que l'atteinte à leur réputation serait imminente. Elle se reporte à cet égard à un communiqué du Conseil louant publiquement les demanderesses pour leurs réalisations.
[32]Elle cite également la décision Weatherill c. Canada (Procureur général) (1998), 6 Admin. L.R. (3d) 137 (C.F. 1re inst.), pour avancer que la perte d'une charge ne constitue pas un préjudice irréparable, et elle m'invite encore une fois à ne pas tenir compte de la question d'un préjudice imminent pour le Comité car, en vertu du critère, il faut que les demanderesses soient personnellement visées par le préjudice irréparable.
[33]Elle fait valoir, qu'en tout état de cause, aucune preuve concrète n'a été présentée d'un péril imminent menaçant le fonctionnement du Comité, pas plus qu'il n'a été démontré que le Comité ne pourrait pas bien remplir ses fonctions avec les nouveaux membres nommés par le Conseil si des réunions étaient prévues. Elle ajoute qu'il n'y a pas de preuve non plus que la communauté subirait un préjudice irréparable si l'injonction provisoire n'était pas accordée, et que les allégations des demanderesses sont manifestement de nature conjecturale.
[34]Enfin, elle affirme que la demande est tardive.
[35]Les arguments avancés par l'avocate du Conseil ne me convainquent pas. Ce n'est pas à titre personnel que les demanderesses se sont adressées à la Cour, mais en leur qualité respective de présidente et de membre du Comité de sécurité publique, un organisme chargé de régir le fonctionnement du corps de police. Elles affirment avoir été illégalement démises de leurs fonctions.
[36]Bien que la charge dont il s'agit ne soit pas élective, il s'agit néanmoins d'une charge publique à laquelle les demanderesses ont été nommées, dont l'importance, la responsabilité et la portée sont substantielles puisque l'entité doit veiller à l'indépendance du corps de police chargé de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité dans le territoire de la réserve, à une époque difficile et exigeante.
[37]Dans Frank c. Bottle, [1994] 2 C.N.L.R. 45 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay était saisi d'une demande d'injonction interlocutoire visant à interdire la destitution d'un chef de bande élu. On lui avait fait valoir qu'il n'y avait pas lieu de prononcer une injonction car, étant donné que la compensation par dommages-intérêts était possible, le préjudice, si préjudice il y avait, n'était pas irréparable. Le juge MacKay a rejeté cet argument, et a conclu que le chef en cause n'était pas un employé du Conseil et qu'il ne pouvait pas non plus être considéré comme un employé de la Première nation. Selon lui, la charge de chef était de nature politique, le chef l'occupait par suite d'une élection valide et elle comportait des responsabilités qui transcendaient toute notion d'emploi au service de la Première nation. Il a jugé que l'atteinte à la réputation constituait un préjudice irréparable.
[38]J'appliquerai le raisonnement suivi par le juge MacKay. Les demanderesses en l'espèce ne sont ni des employées du Conseil ni des employées de la bande. Bien que leur charge ne soit pas politique, il s'agit d'une charge publique dont l'existence est imposée par le Canada et par la province de Québec.
[39]Dans l'affaire Gabriel, susmentionnée, Mme le juge Tremblay-Lamer a appliqué la décision Frank c. Bottle, ajoutant [au paragraphe 28]:
En outre, le poste de grand chef est un poste prestigieux. Comme l'a dit le juge MacKay [traduction] «[l]a position de chef est un grand honneur au sein de la tribu [. . .]».
Affirmant que le grand chef était le porte-parole du Conseil et de la communauté, elle a conclu qu'il s'agissait d'un rôle extrêmement important, et que la perte de prestige ne pourrait être compensée par des dommages-intérêts. Selon elle, chaque journée écoulée sans que le grand chef puisse exercer sa charge était une journée où il ne pouvait défendre les politiques qu'il avait été élu pour appliquer et qui revêtaient une grande importance pour la communauté.
[40]Le raisonnement du juge Tremblay-Lamer s'applique lui aussi, par analogie, en l'espèce. La personne nommée comme membre du Comité ou élue comme président occupe un poste de confiance et de responsabilité et remplit des fonctions prévues à l'Entente par le Canada et le Québec. L'exercice des attributions de ces personnes touche des aspects fondamentaux de la vie dans le territoire de la bande et se rapporte à l'objet même de la création du corps de police autochtone. Chaque journée où les demanderesses sont écartées de leur charge est une journée où elles ne peuvent exercer leurs fonctions de surveillance du corps de police comme membres du Comité. La compensation par dommages-intérêts n'est pas possible.
[41]Je préfère la décision Frank c. Bottle, précitée, à la décision Weatherill, précitée, puisqu'il s'agissait, dans ce dernier cas d'une demande de suspension et que la destitution n'avait pas pris effet.
[42]J'estime en outre que le délai de trois semaines qui s'est écoulé avant le dépôt de la présente action n'est pas excessif.
[43]Relativement à l'urgence, il appert que le conflit entre le Comité et le Conseil a été considéré comme une question urgente nécessitant que le Comité de liaison se réunisse sans délai. Le Canada a jugé que les plaintes d'ingérence politique dans le travail du corps de police et de non-respect de l'Entente, formulées par le Comité, étaient sérieuses et devaient être réglées sans tarder. Il a proposé de rencontrer la présidente et l'autre membre du Comité.
[44]Dans les circonstances, je conclus que les demanderesses ont prouvé l'existence d'un préjudice irréparable imminent.
Prépondérance des inconvénients
[45]Dans l'arrêt RJR--MacDonald, précité, les juges Sopinka et Cory [à la page 342] ont repris la définition que le juge Beetz avait donnée, dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, du critère de la prépondérance des inconvénients, lequel consistait:
«[. . .] à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond».
À la page 350, de l'arrêt, les juges ajoutent:
Pour déterminer lequel de l'octroi ou du refus du redressement interlocutoire occasionnerait le plus d'inconvénients, il faut notamment procéder à l'examen des facteurs suivants: la nature du redressement demandé et du préjudice invoqué par les parties, la nature de la loi contestée et l'intérêt public.
Dans la décision Frank c. Bottle, précitée, le juge MacKay a affirmé ce qui suit [au paragraphe 29]:
Je suis convaincu qu'en l'espèce, la prépondérance des inconvénients favorise le maintien des injonctions provisoires antérieurement rendues. Le préjudice irréparable que subirait le demandeur si l'injonction n'était pas maintenant accordée et s'il devait par la suite avoir gain de cause à l'instruction de l'action qu'il a intentée, l'emporte sur le préjudice que les défendeurs, agissant en leur qualité de conseillers de la tribu, subiront probablement si l'injonction est maintenue et s'il s'avère par la suite que le demandeur n'a pas gain de cause.
Le juge a estimé que le maintien de l'injonction empêchant la destitution du demandeur en attendant qu'il soit statué sur la validité des actes des défendeurs ne faisait rien de plus que de maintenir le statut légal revendiqué par le demandeur par suite de son élection.
[46]Je suis d'avis que les propos du juge MacKay s'appliquent en l'espèce. Les demanderesses subiront manifestement un tort plus grave que le Conseil si la Cour leur donnait subséquemment raison sur le fond. Elles auront été empêchées de s'acquitter des devoirs de leur charge publique, devoirs qui leur ont été confiés lorsqu'elles ont été nommées, et plus particulièrement, de veiller à l'indépendance du corps de police et de prendre les mesures indiquées pour assurer cette indépendance.
[47]Il appert du dossier que le Conseil et le Comité divergent profondément d'opinion sur l'interprétation de leurs mandats, devoirs et responsabilités respectifs, et que cette divergence nuit à l'atteinte de l'objet de l'Entente. Selon moi, l'intérêt public exige la résolution du conflit parce qu'il est à craindre, sinon, que l'existence même du corps de police soit en péril, et cela ne peut être dans l'intérêt public tel que l'ont envisagé le Canada et la province de Québec.
[48]À mon avis, le Comité de liaison s'attendait à rencontrer la présidente du Comité de sécurité publique et un autre membre pour aller au fond de la question des griefs formulés par le Comité de sécurité publique. L'intérêt public exige la réintégration provisoire des demanderesses.
[49]Dans la décision Frank c. Bottle, précitée, le juge MacKay a ajouté [au paragraphe 34]:
L'octroi d'une injonction préservant le statu quo, au point de vue des rapports juridiques existant entre les parties avant les événements qui se sont produits en mars 1993, donne le temps aux parties de réfléchir sur leurs responsabilités et sur les intérêts qu'elles ont en commun, lorsqu'il s'agit de servir la tribu des Blood en exerçant les fonctions auxquelles elles ont régulièrement été élues. Cela donnera également le temps aux parties ainsi qu'aux personnes qui pourront les représenter d'examiner les intérêts qu'elles ont en commun, le différend qui les oppose et le compromis auquel elles pourront en arriver à cet égard.
[50]Le juge MacKay a donné là de sages conseils. Le rétablissement provisoire du statu quo ante donne au Conseil et au Comité le temps de prendre du recul, le temps de réfléchir à l'objet fondamental de l'Entente et aux raisons pour lesquelles le corps de police autochtone a été constitué à Kanesatake et le temps de mettre de côté leurs intérêts privés dans l'espoir qu'un consensus puisse émerger.
[51]Pour tous ces motifs, la requête en injonction provisoire est accueillie. La situation est rétablie à ce qu'elle était avant le 6 mai 2002. Le Conseil est tenu de réintégrer les demanderesses comme membres du Comité jusqu'à ce qu'une ordonnance interlocutoire soit rendue en l'instance.
[52]En outre, j'ordonne, du consentement des parties, conformément à la règle 384, que la présente espèce soit une instance à gestion spéciale. Si une demande d'injonction interlocutoire est nécessaire, elle sera entendue à Ottawa, le mardi 13 août 2002, à compter de 9 h 30. Dans l'éventualité où il y a une demande d'injonction interlocutoire à entendre le 13 août 2002, les parties, après s'être consultées, devront soumettre à la Cour, au plus tard le vendredi 28 juin 2002, le calendrier de dépôt des dossiers de requêtes, y compris des contre-interrogatoires sur affidavit, dont elles auront convenu. Les dépens suivront l'issue de l'instance.