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IMM-4060-02

2003 CFPI 634

Olga Medovarski (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Snider--Toronto, 29 avril; Ottawa, 20 mai 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes non admissibles -- Contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de l'immigration de mettre fin à l'appel concernant une mesure d'expulsion pour cause d'absence de compétence -- Citoyenne de Yougoslavie ayant le statut de résidente permanente au Canada -- Condamnée à deux ans de prison après avoir été reconnue coupable de négligence criminelle causant la mort au volant d'un véhicule automobile -- Expulsion ordonnée -- Appel déposé à la Section d'appel de l'immigration -- Le MCI a fait parvenir à la Section d'appel un avis de désistement en vertu de l'art. 196 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) -- La Section d'appel a mis fin à l'appel de la demanderesse -- Question d'interprétation législative -- Dispositions statutaires pertinentes énoncées et expliquées -- LIPR entrée en vigueur le 28 juin 2002, avec des dispositions transitoires -- L'art. 192 prévoit la continuation des appels -- L'art. 196 prévoit une exception: lorsqu'un sursis n'a pas été accordé en vertu de l'ancienne loi, il est impossible de se pourvoir en appel du fait de l'art. 64 de la LIPR -- En vertu de l'art. 64, aucun appel ne peut être fait à la Section d'appel si la personne n'est pas admissible pour cause de grande criminalité -- Le mot «sursis» utilisé à l'art. 196 englobe-t-il un sursis accordé automatiquement en vertu de l'art. 49(1)b) de l'ancienne loi -- Le sens ordinaire de l'art. 196 favorise la position de la demanderesse -- Le MCI prétend que ce mot signifie seulement le sursis accordé en vertu de l'art. 73 de l'ancienne loi -- Manque de cohérence de l'ancienne loi sur la façon d'accorder les sursis -- Version française de l'art. 196 examinée -- Ouvrages de Sullivan et Driedger et de Côté examinés -- Contexte général de la loi -- Démarche téléologique utilisée pour l'interprétation législative -- Tout texte adopté est réputé apporter une solution de droit -- Objectif de la LIPR: garantir la sécurité des Canadiens en interdisant le territoire canadien aux criminels -- Expression «grande criminalité» définie à l'art. 36(1) de la LIPR -- Trois facteurs à examiner: 1) la disposition est transitoire; 2) le comportement des parties avant l'entrée en vigueur de la LIPR; 3) la demanderesse a des droits «acquis» -- Les personnes touchées par le changement législatif doivent être traitées équitablement -- Lorsqu'un droit d'appel est enlevé, l'interprétation devrait minimiser l'effet négatif -- Position du ministre en l'espèce non compatible avec son comportement avant l'entrée en vigueur de la LIPR, et manque d'intérêt des avocats spécialisés en immigration pour faire inscrire les appels au rôle -- Même si la demanderesse n'a pas de droit «acquis», l'équité exige qu'elle soit entendue par la Cour -- Bien que l'interprétation favorable à la demanderesse signifie que l'art. 196 ne sera appliqué que dans certains cas, la disposition n'est pas entièrement privée de sens -- Tous les éléments de l'interprétation législative doivent être pondérés -- Il n'est pas nécessaire d'examiner si l'art. 7 de la Charte entre en jeu -- La Section d'appel a commis une erreur, la demande est accueillie et une question est certifiée.

Interprétation législative -- Droit en matière d'immigration -- Loi sur l'immigration remplacée par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) -- Le droit d'appel contre une mesure d'expulsion est-il supprimé dans le cas d'une résidente permanente qui a été reconnue coupable d'un crime grave? -- La demande de contrôle judiciaire s'articule sur une question d'interprétation législative -- Le mot «sursis» utilisé à l'art. 196 de la LIPR englobe-t-il un sursis accordé automatiquement en vertu de l'ancienne loi? -- Dispositions transitoires -- Sens ordinaire de l'art. 196 -- Le ministre prétend que le verbe «grant» vise seulement les sursis accordés spécifiquement, et non pas ceux accordés automatiquement -- Version française de l'art. 196 examinée -- Ouvrages de Sullivan et Driedger et de Côté examinés -- Contexte général de la loi, l'article de la Loi d'interprétation selon laquelle tout texte est censé apporter une solution de droit examiné -- L'objectif de l'art. 196 est d'empêcher les criminels de porter une mesure d'expulsion en appel -- Autres considérations pertinentes: la disposition est transitoire; la conduite des parties; les droits «acquis» de la demanderesse -- Les personnes visées par un changement législatif doivent être traitées équitablement -- Lorsqu'un droit d'appel est enlevé, les dispositions transitoires sont interprétées pour minimiser l'effet négatif -- Si le législateur avait l'intention de supprimer le droit d'appel, il devait le faire le plus clairement possible -- Même si les droits de la demanderesse ne sont pas «acquis», l'équité exige qu'elle ait l'occasion de se faire entendre par la Cour -- Si la loi peut être interprétée de deux façons, il faut choisir l'interprétation compatible avec les principes de justice naturelle -- Même si l'interprétation de l'art. 196 favorisant la demanderesse signifie que l'article ne sera applicable que dans quelques cas, d'autres principes d'interprétation législative doivent être pondérés.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel) par laquelle celle-ci a mis fin à l'appel de la demanderesse contre une mesure d'expulsion pour cause d'absence de compétence.

La demanderesse est citoyenne de la république yougoslave et a obtenu le statut de résidente permanente à son arrivée au Canada en 1997. Mais, en 2001, elle a été condamnée à deux ans de prison pour négligence criminelle causant la mort. Elle conduisait un véhicule automobile sous l'influence de l'alcool et elle a eu un accident qui a entraîné la mort d'une personne. Une mesure d'expulsion a été prise contre elle, mais elle en a appelé devant la Section d'appel. Quand la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est entrée en vigueur, l'avocat du ministre a fait parvenir un avis de désistement au registraire de la Section d'appel demandant de mettre fin à l'appel concernant la demanderesse en vertu de l'article 196 de la LIPR. L'article 196 stipule qu'il doit être mis fin à un appel présenté devant la Section d'appel avant l'entrée en vigueur de l'article 196 si l'intéressé est, alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi, visé par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64. À son tour, la Section d'appel a informé la demanderesse qu'il serait mis fin à son appel.

Deux questions sont formulées: 1) l'article 196 de la LIPR a-t-il eu pour effet d'éteindre les droits d'appel de la demanderesse fondés sur l'article 192; et 2) l'article 7 de la Charte trouve-t-il application d'après les faits de l'espèce et, dans l'affirmative, y a-t-il eu manquement aux principes de justice fondamentale?

La première question pose un problème d'interprétation législative: le mot «sursis» utilisé à l'article 196 de la LIPR englobe-t-il un sursis qui aurait été accordé en vertu de la Loi sur l'immigration, du fait de l'application de l'alinéa 49(1)b)? L'expulsion de la demanderesse a été ordonnée aux termes du paragraphe 32(2) de l'ancienne loi, mais en vertu de l'article 70 de cette loi, la demanderesse avait le droit d'en appeler de la mesure de renvoi. Une fois l'appel intenté, la demanderesse a obtenu un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi aux termes de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne loi. La LIPR, qui est entrée en vigueur le 28 juin 2002 renferme des dispositions transitoires, dont l'article 192. Cet article prévoit la continuation des appels déposés à la Section d'appel avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Mais une exception à ce droit a été prévue par l'article 196 dans le cas des personnes qui, en raison d'une condamnation au criminel, n'ont pas de droit d'appel aux termes de l'article 64 de la LIPR. La demanderesse reconnaît qu'elle est visée par l'article 64.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Le sens ordinaire de l'article 196 s'accorde avec la position adoptée par la demanderesse selon laquelle le sursis accordé automatiquement à l'exécution d'une mesure de renvoi en attendant le règlement d'un appel et fondé sur le paragraphe 49(1)b) de l'ancienne loi rend l'article 196 de la LIPR inapplicable. Le ministre soutient que le verbe anglais «grant» utilisé à l'article 196 devrait être lu de façon à ne s'appliquer qu'aux sursis qui ont été conférés au bénéficiaire, en l'espèce, il s'agirait d'un sursis ordonné aux termes de l'article 73 de l'ancienne loi, et non pas des sursis qui découlent de l'opération de la loi aux termes de l'alinéa 49(1)b). Le ministre fait référence au fait que le dictionnaire définit le verbe «grant» comme un verbe actif, savoir «to bestow or confer» (conférer ou attribuer). Cet argument ne peut être maintenu, compte tenu du manque de cohérence dans l'ancienne loi sur la façon dont les sursis étaient accordés. La meilleure interprétation à donner au terme sursis est de considérer l'effet des mots utilisés plutôt que le verbe qui l'accompagne. Cette interprétation du mot «sursis» est également conforme à la version française de l'article 196 où il n'est pas question d'un sursis qui aurait été conféré. D'après l'ouvrage Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, lorsque les deux versions d'une loi ne disent pas la même chose, le sens qui est commun aux deux versions doit être retenu. Par ailleurs, le ministre s'appuie sur l'ouvrage de Côté sur l'interprétation des lois qui soutient que lorsque les deux versions semblent contradictoires, «il faut tenter de les concilier» en utilisant une des trois façons qu'il énumère, notamment si l'une des versions a un sens plus large que l'autre, alors le sens commun aux deux versions sera le sens le plus étroit des deux. Cependant, la Cour s'est dit incapable d'accepter le point de départ du ministre, c'est-à-dire que l'utilisation du verbe actif «grant» dans la version anglaise entraîne un sens plus étroit.

Pourtant, le contexte général de la loi doit être pris en compte de même que l'article 12 de la Loi d'interprétation qui stipule que «tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet». L'un des objectifs importants de la LIPR est de garantir la sécurité des Canadiens en interdisant le territoire canadien aux personnes qui sont des criminels ou qui constituent un danger pour la sécurité. En vertu du paragraphe 36(1), l'expression «grande criminalité» est un motif de non-admissibilité. Selon la prétention du ministre, l'article 196 a pour objectif de veiller à ce que les personnes considérées comme de grands criminels et qui avaient entamé une procédure d'appel contre leur expulsion en vertu de l'ancienne loi soient traitées de la même façon que celles considérées comme de grands criminels en vertu de la LIPR. Bien qu'il ne puisse être plus clair que la LIPR a pour objectif d'interdire le territoire aux personnes qui sont des criminels, il y a trois facteurs importants qui ne peuvent être ignorés: 1) la disposition est transitoire; 2) le comportement des parties, avant l'entrée en vigueur de la LIPR, n'est pas compatible avec l'interprétation du défendeur; et 3) la demanderesse avait des droits «acquis».

Les personnes touchées par le passage d'un cadre législatif à un autre constituent un groupe unique auquel les objectifs généraux de la nouvelle loi comme ceux de l'ancienne loi s'appliqueront. Le législateur insère des dispositions transitoires dans les nouvelles lois afin de s'assurer que les personnes touchées par le changement législatif sont traitées le plus équitablement possible. Lorsqu'un droit qui existait auparavant est touché, la disposition transitoire doit être interprétée d'une façon telle que les personnes visées sont traitées équitablement. Lorsque, comme en l'espèce, un droit d'appel est enlevé, les dispositions transitoires doivent être interprétées d'une façon qui en minimise l'effet négatif sur l'intéressé. L'interprétation du ministre va à l'encontre de cet objectif d'équité. Si le législateur avait l'intention de supprimer le droit d'appel à la Section d'appel, il aurait dû le faire le plus clairement possible.

Si les deux parties avaient compris que l'article 196 de la LIPR devait être interprété comme le propose maintenant le ministre, il est bien certain que les avocats spécialisés en immigration auraient insisté pour que les appels déjà engagés soient inscrits au rôle et le ministre aurait déployé tous les efforts pour que ces appels soient entendus avant que la nouvelle loi entre en vigueur.

Bien qu'il soit exact de dire que la demanderesse n'a pas de droit «acquis», comme elle a été menée à croire par le ministre qu'elle pourrait se faire entendre par la Cour, l'équité exige que la procédure continue. Si une loi peut s'interpréter de deux façons possibles, l'une qui est conforme aux principes de la justice naturelle et l'autre qui ne l'est pas, la Cour devrait toujours choisir la première interprétation.

Le ministre fait valoir que si l'article 196 est interprété en faveur de la demanderesse, cela aurait pour effet de le rendre inapplicable dans tous les cas. Cela serait contraire au principe d'interprétation législative selon lequel une disposition ne doit pas être interprétée de façon à en faire une disposition «simplement superflue» ou redondante. Il est vrai qu'en vertu d'une interprétation favorable à la demanderesse, il y aurait peu de situations qui pourraient satisfaire aux conditions de l'article 196 pour le désistement d'un appel concernant une mesure de renvoi. La disposition ne serait pas tout à fait privée de sens, mais, même si elle devenait essentiellement «superflue», la situation exige une pondération de tous les éléments de l'interprétation législative. La pondération de ces éléments milite fortement en faveur d'une interprétation qui permet à la demanderesse de faire entendre son appel par la Section d'appel.

Compte tenu de la décision de la Cour selon laquelle la Section d'appel a commis une erreur en concluant que l'article 196 avait pour effet d'éteindre les droits d'appel de la demanderesse, il n'est pas nécessaire de traiter de la question concernant la Charte.

La question suivante devrait être certifiée comme étant une question grave de portée générale: «Le mot «sursis» utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage-t-il un sursis qui a été accordé en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, par suite de l'application de l'alinéa 49(1)b)?»

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C., (1985), appendice II, no 44], art. 7, 18(1).

Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148.

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1), 36(1), 64, 192, 196, 197.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 23(1.1) (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 13), 32(2) (mod., idem, art. 21), 49(1) (mod., idem, art. 41), 70 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18); L.C. 1995, ch. 15, art. 13), 73 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18).

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

jurisprudence

décisions appliquées:

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; (2002), 208 D.L.R. (4th) 107; 37 Admin. L.R. (3d) 252; 18 Imm. L.R. (3d) 93; 280 N.R. 268; Canada c. Trade Investments Shopping Centre Ltd., [1993] 2 C.T.C. 333; (1993), 93 DTC 5382 (C.F. 1re inst.); conf. par (1996), 96 DTC 6570; 200 N.R. 156 (C.A.F.).

distinction faite d'avec:

Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; (1975), 66 D.L.R. (3d) 449; [1976] CTC 1; 75 DTC 5451; 7 N.R. 401.

décisions mentionnées:

Manning Timber Products Ltd. v. Minister of National Revenue, [1952] 2 S.C.R. 481; [1952] 3 D.L.R. 848; [1952] CTC 206; (1952), 52 DTC 1148; R. c. Z. (D.A.), [1992] 2 R.C.S. 1025; (1992), 131 A.R. 1; 5 Alta. L.R. (3d) 1; 76 C.C.C. (3d) 97; 16 C.R. (4th) 133; 140 N.R. 327; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688; (1999), 171 D.L.R. (4th) 385; 121 B.C.A.C. 161; 133 C.C.C. (3d) 385; [1999] 2 C.N.L.R. 252; 23 C.R. (5th) 197; R. c. Proulx, [2001] 1 R.C.S. 61; 182 D.L.R. (4th) 1; [2000] 4 W.W.R. 21; 142 Man. R. (2d) 161; 140 C.C.C. (3d) 449; 30 C.R. (5th) 1; 49 M.V.R. (3d) 163; 249 N.R. 201; Winters c. Legal Services Society, [1999] 3 R.C.S. 160; (1999), 177 D.L.R. (4th) 94; [1999] 9 W.W.R. 327; 128 B.C.A.C. 161; 73 B.C.L.R. (3d) 193; 137 C.C.C. (3d) 371; 27 C.R. (5th) 1; 66 C.R.R. (2d) 241; 244 N.R. 203; Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493; (1983), 3 D.L.R. (4th) 1; [1984] 2 W.W.R. 97; 25 Man. R. (2d) 302; 6 Admin. L.R. 206; 24 M.P.L.R. 219; 50 N.R. 264.

doctrine

Black's Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn.: West Pub. Co., 1990.

Côté, P.-A. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal: Éditions Thémis, 1999.

Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto: Butterworths, 2002.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de l'immigration de mettre fin à un appel déposé contre une mesure d'expulsion pour cause d'absence de compétence. La demande est accueillie et une question est certifiée.

ont comparu:

Lorne Waldman pour la demanderesse.

Catherine C. Vasilaros pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Waldman & Associates, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Snider: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la Section d'appel de l'immigraiton de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel), en date du 12 août 2002 par laquelle la Section d'appel a mis fin à l'appel d'Olga Medovarski (la demanderesse) pour cause d'absence de compétence.

Contexte

[2]La demanderesse est citoyenne de la république yougoslave. Elle a obtenu le statut de résidente permanente à son arrivée au Canada, le 19 janvier 1997. Le 6 novembre 1999, la demanderesse conduisait un véhicule automobile sous l'influence de l'alcool et elle a eu un accident qui a entraîné la mort d'une personne. Elle a été accusée de négligence criminelle causant la mort et a été condamnée à deux ans de prison le 25 juin 2001.

[3]Le 21 novembre 2001, une mesure d'expulsion a été prise contre la demanderesse en raison de son casier judiciaire. Elle en a appelé de cette mesure d'expulsion devant la section d'appel. Elle a reçu un avis de convocation de la section d'appel, en date du 24 avril 2002, indiquant que son appel serait entendu le 26 septembre 2002. Le 28 juin 2002, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et ses règlements connexes [Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227] sont entrés en vigueur. Le 23 juillet 2002, M. Heyes, l'avocat du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, a fait parvenir un avis de désistement au registraire de la Section d'appel, demandant de mettre fin à l'appel concernant la demanderesse en vertu de l'article 196 de la LIPR.

[4]Dans une lettre datée du 12 août 2002, la Section d'appel a informé la demanderesse qu'il serait mis fin à son appel aux termes des articles 196 et 64 de la LIPR.

Les questions en litige

[5]On peut formuler les questions en litige de la façon suivante:

1. La Section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que l'article 196 de la LIPR a eu pour effet d'éteindre les droits d'appel de la demanderesse fondés sur l'article 192 de la LIPR? Il s'agit essentiellement d'une question d'interprétation législative; plus précisément, de savoir si le mot «sursis» utilisé à l'article 196 de la LIPR englobe un sursis qui aurait été accordé en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (l'ancienne Loi) du fait de l'application de l'alinéa 49(1)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41]?

2. L'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) trouve-t-il application d'après les faits de l'espèce et, dans l'affirmative, l'abandon de l'appel de la demanderesse constitue-t-il un manquement aux principes de justice fondamentale?

Les dispositions législatives pertinentes

[6]Étant donné que la première question que soulève ce contrôle judiciaire est essentiellement une question d'interprétation législative, il est utile de reproduire les dispositions pertinentes dans le contexte des faits de l'espèce.

[7]Une mesure d'expulsion a été prise aux termes du paragraphe 32(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 21] de l'ancienne Loi. Ce paragraphe est rédigé dans les termes suivants:

32. [. . .]

(2) S'il conclut que l'intéressé est un résident permanent se trouvant dans l'une des situations visées au paragraphe 27(1), l'arbitre, sous réserve des paragraphes (2.1) et 32.1(2), prend une mesure d'expulsion contre lui.

[8]En vertu de l'article 70 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de l'ancienne Loi, la demanderesse avait le droit d'en appeler de la mesure de renvoi. Dans un avis d'appel daté du 21 novembre 2001, elle a exercé ce droit. Le paragraphe applicable est le suivant:

70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants:

[. . .]

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

[9]Une fois l'appel intenté, la demanderesse a obtenu un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi aux termes de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi qui stipule ce qui suit:

49. (1) Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi:

[. . . ]

b) en cas d'appel, jusqu'à ce que la section d'appel ait rendu sa décision ou déclaré qu'il y a eu désistement d'appel;

[10]Si l'appel de la demanderesse devant la section d'appel s'était poursuivi, la section d'appel aurait pu suivre l'une des trois démarches prévues sous l'ancienne Loi, dont l'une aurait entraîné un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi. Plus précisément, le paragraphe 73(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de l'ancienne Loi stipule que la section d'appel peut statuer sur un appel en ordonnant de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi:

73. (1) Ayant à statuer sur un appel interjeté dans le cadre de l'article 70, la section d'appel peut:

a) soit y faire droit;

b) soit le rejeter;

c) soit, s'il s'agit d'un appel fondé sur les alinéas 70(1)b) ou 70(3)b) et relatif à une mesure de renvoi, ordonner de surseoir à l'exécution de celle-ci;

d) soit, s'il s'agit d'un appel fondé sur les alinéas 70(1)b) ou 70(3)b) et relatif à une mesure de renvoi conditionnel, ordonner de surseoir à l'exécution de celle-ci au moment où elle deviendra exécutoire.

[11]Le 28 juin 2002, la LIPR est entrée en vigueur. Cette nouvelle loi renferme un certain nombre de dispositions transitoires. L'une d'elles est l'article 192, qui prévoit la continuation des appels déposés à la Section d'appel de l'immigration avant l'entrée en vigueur de la LIPR:

192. S'il y a eu dépôt d'une demande d'appel à la Section d'appel de l'immigration, à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne Loi, par la Section d'appel de l'immigration de la Commission.

[12]L'article 196 de la LIPR prévoit une exception à l'article 192 et c'est son application qui est contestée en l'espèce:

196. Malgré l'article 192, il est mis fin à l'affaire portée en appel devant la Section d'appel de l'immigration si l'intéressé est, alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne Loi, visé par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi.

[13]La demanderesse reconnaît qu'elle est visée par l'article 64 de la LIPR et qu'elle n'aurait pas droit à un appel en vertu de cet article en raison de sa condamnation au criminel:

64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

[14]Le défendeur soutient que le mot «sursis» employé à l'article 196 de la LIPR doit s'appliquer uniquement aux sursis accordés en vertu de l'article 73 de l'ancienne Loi et non à d'autres sursis prévus par la loi, y compris ceux qui sont accordés automatiquement du fait de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi. La demanderesse demande à la Cour d'adopter une interprétation de l'article 196 de la LIPR plus large que celle qui est proposée par le défendeur.

Analyse

Question 1: La Section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que l'article 196 de la LIPR a eu pour effet d'éteindre les droits d'appel de la demanderesse fondés sur l'article 192 de la LIPR?

(i)     Sens ordinaire de l'article 196 de la LIPR

[15]Tout d'abord, j'examinerai le sens ordinaire des mots utilisés à l'article 196 de la LIPR. À mon avis, le sens ordinaire de l'article 196 de la LIPR s'accorde avec la position adoptée par la demanderesse selon laquelle le sursis accordé automatiquement à l'exécution d'une mesure de renvoi en attendant le règlement d'un appel et fondé sur le paragraphe 49(1)b) de l'ancienne Loi rend l'article 196 de la LIPR inapplicable.

[16]Le défendeur soutient que l'utilisation du verbe actif anglais «grant» à l'article 196 devrait être lu de façon à ne s'appliquer qu'aux sursis qui ont été, d'une manière ou d'une autre, conférés au bénéficiaire; en l'espèce, il s'agirait des sursis ordonnés aux termes de l'article 73 de l'ancienne Loi et non pas des sursis qui découlent de l'opération de la loi aux termes de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi. À l'appui de cet argument, le défendeur fait référence à la définition que donne le Black's Law Dictionary, 6e éd., du verbe actif anglais «grant», à savoir: «to bestow or confer» (conférer ou attribuer). Par contraste, le sursis prévu à l'alinéa 49(1)b) est celui qui est automatiquement accordé. Le défendeur souligne que, en vertu de l'ancienne Loi, le verbe «grant» était toujours utilisé dans le contexte d'une action quelconque; par exemple, le paragraphe 23(1.1) [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 13] de l'ancienne Loi utilise l'expression «grant of landing» (octroi du droit d'établissement).

[17]À mon avis, cet argument ne peut être maintenu. Il est difficile de discerner une quelconque cohérence dans l'ancienne Loi sur la façon dont les sursis sont accordés. En opposition directe à l'emploi du verbe «grant» à l'article 196 de la LIPR, je note que l'article 73 de l'ancienne Loi prévoit que la section d'appel peut statuer sur un appel en «directing that execution of the order be stayed ([ordonnant] de surseoir à l'exécution de [la mesure de renvoi])». C'est la disposition même qui, selon l'argument du défendeur, serait le seul article qui est visé à l'article 196 de la LIPR. Si son interprétation du verbe «grant» est exacte, on pourrait faire valoir que même les sursis accordés en vertu de l'article 73 ne sont pas visés par l'article 196 de la LIPR. La meilleure interprétation à donner au terme «sursis» est de considérer l'effet des mots utilisés plutôt que le verbe qui l'accompagne. Que le sursis ait été accordé ou ordonné ou qu'il s'applique de toute autre façon à la situation en l'espèce, il n'en reste pas moins qu'il y a sursis.

[18]Cette interprétation du mot «sursis» est également conforme à la version française de l'article 196. Les mots utilisés dans la version française de l'article 196 sont «il ne fait pas l'objet d'un sursis»; ce qui pourrait se traduire approximativement par «is not the object of a stay». Il n'est pas question d'un sursis qui aurait été conféré. Les versions française et anglaise d'une loi font également autorité et doivent être lues ensemble (le paragraphe 18(1) de la Charte; Manning Timber Products Ltd. v. Minister of National Revenue, [1952] 2 R.C.S. 481). Si les deux versions ne disent pas exactement la même chose, alors le sens qui est commun aux deux versions doit être retenu, à moins que celui-ci soit inacceptable pour une raison ou pour une autre (R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto: Butterworths, 2002), à la page 80).

[19]Le défendeur me renvoie à l'ouvrage de P.-A. Côté, Interprétation des lois, 3e éd. (Éditions Thémis, Montréal, 1999) (Côté). Selon Côté, à la page 412, lorsque les deux versions d'un texte législatif semblent contradictoires, il faut «tenter de les concilier» de l'une des trois façons suivantes:

1. si les versions sont manifestement irréconciliables, examiner l'historique législatif de la disposition;

2. si une version est ambiguë, alors que l'autre est claire et sans équivoque, il faut préférer cette dernière; et

3. si l'une des versions a un sens plus large que l'autre, alors le sens commun aux deux versions sera le sens le plus étroit des deux.

[20]Le défendeur me demande d'appliquer le troisième critère cité dans l'ouvrage de Côté, précité. C'est-à-dire que si l'une des versions a un sens plus large que l'autre, le sens commun devrait être le plus étroit des deux. Je ne suis pas d'accord avec le point de départ du défendeur selon lequel l'utilisation du verbe actif «grant» dans la version anglaise entraîne un sens plus étroit. Comme je l'ai indiqué ci-dessus, compte tenu de l'utilisation non cohérente du verbe «grant», la meilleure démarche à suivre pour interpréter la disposition anglaise est de mettre l'accent sur le résultat. Dans les versions anglaise et française, la disposition donne lieu à l'octroi d'un sursis et les deux versions ne sont pas «manifestement irréconciliables». Subsidiairement, la version française a un sens clair et sans équivoque et, d'après le deuxième critère cité dans l'ouvrage de Côté, précité, il doit être préféré.

[21]Pour conclure sur ce point, je suis d'avis que, d'après le sens ordinaire des mots utilisés à l'article 196 de la LIPR, le sursis accordé du fait de l'application de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi est un sursis accordé pour les fins de cet article.

(ii)     Contexte général de la Loi

[22]Comme le souligne la jurisprudence, je ne peux m'en tenir à cela. Dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 (Rizzo Shoes), le juge Iacobucci, s'exprimant pour la majorité de la Cour suprême du Canada, a défini le cadre suivant pour l'interprétation législative au paragraphe 21:

Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre [. . .] Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[23]La démarche téléologique utilisée pour l'interprétation législative qui a été adoptée dans l'arrêt Rizzo Shoes, précité, a été appliquée par la Cour suprême du Canada dans de nombreuses causes (voir par exemple Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; R. c. Z. (D.A.), [1992] 2 R.C.S. 1025).

[24]La Cour suprême du Canada a également souligné l'importance de l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 dans l'interprétation des lois fédérales (R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688). L'article 12 de la Loi d'interprétation stipule ce qui suit:

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[25]Ainsi donc, les mots utilisés à l'article 196 de la LIPR doivent être lus «dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du légistateur» (Rizzo Shoes, précité, paragraphe 21).

Les objectifs globaux

[26]Les objectifs en matière d'immigration de la LIPR sont énoncés au paragraphe 3(1) de cette loi. Les parties pertinentes du paragraphe 3(1) sont les suivantes:

3. (1) En matière d'immigration, la présente loi a pour objet:

[. . .]

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

i) de promouvoir, à l'échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l'interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité; [Mes soulignés.]

[27]Le paragraphe 36(1) de la LIPR traite de la non-admissibilité pour des motifs de grande criminalité:

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants:

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

b) être déclaré coupable, à l'extérieur du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans;

c) commettre, à l'extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans.

[28]Selon la prétention du défendeur, l'article 196 de la LIPR a pour objectif de veiller à ce que les personnes considérées comme de grands criminels en vertu de l'ancienne Loi et qui avaient entamé une procédure d'appel contre leur expulsion soient traitées de la même façon que celles considérées comme de grands criminels en vertu de la LIPR. Cet objectif est compatible avec l'accent mis sur la protection du public et le renvoi des grands criminels du Canada dans la LIPR. Selon le défendeur, pour que cet objectif puisse être atteint, il faut interpréter l'article 196 de la LIPR de manière que l'article s'applique à des personnes sur la base des crimes graves qu'elles ont commis. Par conséquent, le défendeur soutient que l'article 196 de la LIPR ne fait pas référence au sursis accordé automatiquement à l'exécution du renvoi en attendant l'audition d'un appel contre une mesure d'expulsion prévu à l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi. Cette interprétation donne tout leur sens aux deux conditions énoncées à l'article 196 de la LIPR et met à bon droit l'accent sur le fait que la demanderesse est une grande criminelle. Les grands criminels à l'égard desquels la section d'appel a en fait déjà accordé un sursis aux termes de l'ancienne Loi, par opposition à l'application automatique de la Loi, auraient encore le droit de faire entendre leur appel aux termes de l'article 192 de la LIPR. En outre, si l'on tient compte de l'article 197, il y a symétrie et harmonie dans la LIPR.

[29]Je ne disconviens pas de l'analyse que fait le défendeur de l'intention qui se dégage du cadre législatif dans son ensemble; il y a une intention manifeste de limiter les droits des criminels qui ont été condamnés. L'alinéa 3(1)i) ne peut être plus clair quand il indique que l'un des objectifs de la LIPR est d'interdire «[le] territoire aux personnes qui sont des criminels». Toutefois, cette analyse a pour effet d'éluder une discussion de trois facteurs importants que j'estime significatifs dans le règlement de la présente question:

1. la disposition en question fait partie des dispositions transitoires de la LIPR;

2. le comportement des parties, avant l'entrée en vigueur de la LIPR, n'est pas compatible avec l'interprétation du défendeur; et

3. la demanderesse a des droits spéciaux ou «acquis».

Les dispositions transitoires

[30]Pour les fins d'établir l'intention des dispositions législatives en question, je crois devoir examiner également l'intention des articles 192 et 196 de la LIPR à titre de dispositions transitoires.

[31]Le législateur reconnaît que le passage d'un cadre législatif à un autre aura des effets sur les parties qui ont intenté des actions en vertu de la loi abrogée. Ce groupe de parties touchées est habituellement facilement défini et constitue un sous-groupe précis du groupe beaucoup plus important de parties touchées par la nouvelle législation. Bien que les personnes touchées par la transition soient assujetties à la nouvelle loi dans son ensemble, elles forment un groupe unique auquel les objectifs généraux de la nouvelle loi comme ceux de l'ancienne loi s'appliqueront. Ainsi, presque toutes les lois qui ont pour objet de remplacer une loi existante renferment des dispositions transitoires. Cela étant, je crois qu'il est raisonnable de conclure que l'un des objectifs poursuivis par le législateur est de s'assurer que les personnes touchées par le changement législatif sont traitées le plus équitablement possible. Cet objectif s'appliquerait dans le contexte de l'interprétation des dispositions transitoires d'une nouvelle loi. Par conséquent, lorsqu'un droit qui existait auparavant est touché, la disposition transitoire doit être interprétée d'une manière qui respecte non seulement l'intention générale de la LIPR, mais aussi l'intention plus restreinte qui est de traiter équitablement les personnes qui sont touchées par ce changement législatif.

[32]Cette démarche relative à l'interprétation des dispositions transitoires est conforme à ce qu'a dit le juge Noël dans la décision Canada c. Trade Investments Shopping Centre Ltd., [1993] 2 C.T.C. 333 (C.F. 1re inst.), confirmée à (1996), 96 DTC 6570 (F.C.A.), aux paragraphes 31 et 32:

L'on ne saurait, face à des mesures transitoires, imposer les rigueurs d'une interprétation trop stricte. Il faut se rappeler que les mesures transitoires sont secondaires et incidentes aux dispositions de droit substantif qu'elles accompagnent. Contrairement aux mesures d'imposition, elles ne sont pas adoptées dans le cadre d'un plan législatif cohérent où les dispositions doivent s'intégrer les unes aux autres. Ce sont des mesures ad hoc qui ont comme unique vocation celle d'assurer la mise en vigueur équitable de la disposition particulière de droit substantif qu'elles accompagnent [. . .]

Selon moi, lorsqu'une question d'interprétation se soulève quant au champ d'application d'une mesure transitoire, elle doit trouver sa réponse à la lumière de la disposition de droit substantif qu'elle accompagne et de la situation précise à laquelle le législateur voulait apporter un palliatif en la mettant en vigueur.

[33]Si l'on applique cette citation à la situation dont je suis saisie, lorsqu'un droit d'appel est enlevé, le contexte dicte une interprétation qui en minimise l'effet négatif sur le demandeur. Selon l'interprétation du défendeur, l'article 196 opère de façon à retirer à de nombreuses personnes un droit qui leur était autrefois accordé. On peut prétendre que cela n'est pas conforme aux objectifs généraux d'équité et de minimisation de l'effet sur les personnes qui, sans qu'il y ait faute de leur part, sont touchées par le changement législatif.

[34]Il convient de souligner que cela n'a aucun effet sur l'application des dispositions non transitoires ou des objectifs de la LIPR dans son ensemble. Cela ne signifie pas non plus que le législateur ne pouvait pas supprimer le droit d'appel à la section d'appel; toutefois, si le législateur souhaite supprimer ce droit, il doit le faire le plus clairement possible.

Le comportement des parties

[35]Bien que la LIPR soit entrée en vigueur le 28 juin 2002, elle a reçu la sanction royale le 1er novembre 2001. La demanderesse et le défendeur connaissaient ses dispositions bien avant son entrée en vigueur. Toutefois, malgré cela, ni la demanderesse ni le défendeur ne se sont conduits d'une manière compatible avec l'interprétation de l'article 196 de la LIPR proposée par le défendeur. Si l'interprétation du défendeur est exacte, pourquoi les avocats et négociateurs spécialisés en immigration n'ont-ils pas réclamé à cor et à cri que les appels qui avaient déjà été engagés soient inscrits au rôle? Pourquoi le défendeur n'a-t-il pas déployé d'effort apparent pour entendre les appels en suspens avant le 28 juin 2002?

[36]La demanderesse a présenté sa demande d'appel à la section d'appel en novembre 2001. Le 24 avril 2002, soit deux mois à peine avant l'entrée en vigueur de la LIPR, elle a reçu un avis de comparution indiquant que son appel serait entendu le 26 septembre 2002. L'avis ne faisait aucune référence à la LIPR ou aux effets qu'aurait cette loi sur son appel. Si je suppose que les parties étaient de bonne foi, comme je dois le faire, il n'y a qu'une seule explication raisonnable à cet avis, c'est que le défendeur a estimé que l'article 196 de la LIPR ne s'appliquait pas à la demanderesse.

Les droits spéciaux ou «acquis»

[37]La demanderesse soutient qu'en raison du fait qu'elle a présenté sa demande d'appel et que la date d'audition avait déjà été fixée, elle a des droits «acquis». Ces droits ne peuvent être révoqués. Le défendeur s'appuie sur l'arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, pour faire valoir que la demanderesse n'avait pas de droit «acquis» lui permettant de demander que les dispositions de l'ancienne Loi continuent de s'appliquer.

[38]Je fais remarquer que l'affaire Gustavson, précitée, portait sur l'application des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148. Au contraire, le cas en l'espèce fait intervenir les droits des particuliers. En outre, la demanderesse avait déjà exercé son droit en vertu de l'ancienne Loi et une date d'audition avait été fixée. Bien que je ne puisse qualifier cela comme ayant établi un droit «acquis», je serais certainement d'avis que, comme elle a exercé son droit en vertu de l'ancienne Loi et que les gestes du défendeur l'ont amenée à croire qu'elle pourrait se faire entendre par la Cour, l'équité exigerait que la procédure continue, à moins qu'elle n'ait été abrogée par des conditions claires et sans équivoque.

[39]Pour ce qui est de l'équité, je note d'après les observations du juge Iacobucci, dans l'arrêt Chieu, précité, au paragraphe 71:

Face à une loi pouvant s'interpréter de deux façons possibles, l'une qui est conforme aux principes de la justice naturelle et l'autre qui ne l'est pas, la Cour a uniformément adopté l'interprétation qui assure mieux le respect des exigences de la justice naturelle.

[40]Le même principe devrait certainement s'appliquer dans ces circonstances particulières pour autoriser la demanderesse à poursuivre son appel.

(iii)     L'applicabilité générale de l'article 196 de la LIPR

[41]Enfin, le législateur avait l'intention de donner un sens certain aux mots qu'il a utilisés. Le libellé d'une loi ne doit pas être ignoré. Ainsi, une disposition législative ne peut être interprétée de façon à en faire une disposition «simplement superflue» (R. c. Proulx, [2001] 1 R.S.C. 61, au paragraphe 28), n'ayant aucun sens, aucun objectif ou étant redondante (Winters c. Legal Services Society, [1999] 3 R.C.S. 160; Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493).

[42]Étant donné qu'un sursis est accordé à l'exécution de la mesure d'expulsion en attendant l'audition de l'appel dans presque tous les cas, le défendeur fait valoir que cette interprétation pourrait avoir pour effet de rendre l'article 196 de la LIPR inapplicable dans tous les cas. Il ne fait aucun doute que l'interprétation du défendeur ferait en sorte que, dans un grand nombre de cas, l'appel serait refusé, ce qui délimiterait le champ d'application de la disposition.

[43]Par ailleurs, la demanderesse souligne que, en vertu de l'interprétation proposée, il y aurait tout de même des cas où l'article 196 de la LIPR aurait pour effet d'enlever tout droit d'appel devant la Section d'appel. Plus particulièrement:

[traduction] Seraient incluses dans la catégorie des personnes qui seraient touchées par l'article 196, les personnes qui, au moment de la tenue de l'audience, n'avaient pas d'appel en suspens devant la Commission mais qui, après l'entrée en vigueur de la LIPR, auraient obtenu un droit d'appel. Par exemple, une personne ayant fait l'objet d'une mesure d'expulsion et dont l'appel aurait été rejeté avant l'entrée en vigueur de la LIPR ne serait pas touchée par l'alinéa 49(1)b) et n'aurait pas bénéficié d'un sursis au moment de l'entrée en vigueur de la LIPR. Si, après l'entrée en vigueur de la LIPR, son droit d'appel était rétabli, l'article 196 entrerait en action et n'aurait pas de droit d'appel. Ainsi, l'article 196 s'appliquerait aux personnes qui avaient des droits d'appel sous l'ancienne Loi, appels qui auraient été rejetés ou qui auraient fait l'objet d'un désistement, donc à des personnes qui n'auraient pas bénéficié d'un sursis en vertu de l'ancienne Loi au moment de l'entrée en vigueur de la LIPR.

[44]Comme le reconnaît la demanderesse, ce groupe auquel s'appliquerait l'article 196 de la LIPR est très restreint. Étant donné que la presque totalité des appelants, y compris ceux qui n'auraient actuellement pas le droit de former un appel aux termes de l'article 64 de la LIPR, pouvaient obtenir automatiquement un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi, il y aurait peu de situations qui pourraient satisfaire aux conditions de l'article 196 de la LIPR pour le désistement d'un appel concernant une mesure de renvoi.

[45]Néanmoins, je suis convaincue que l'article, tel qu'il a été interprété par la demanderesse, n'est pas tout à fait privé de sens.

[46]En outre, même si l'article 196, par suite de l'interprétation de la demanderesse, devient essentielle-ment «superflu», je ne suis pas persuadée que les arguments du défendeur doivent prévaloir. Cette situation exige une analyse plus minutieuse fondée sur un examen et une pondération de tous les éléments de l'interprétation législative. La pondération de ces éléments milite fortement en faveur d'une interprétation qui permet à la demanderesse de faire entendre son appel par la Section d'appel. Il serait inacceptable de donner à la disposition une interprétation qui entraînerait un champ d'application plus large, mais qui laisserait de côté le sens ordinaire des mots et qui ne permettrait pas de traiter équitablement la demanderesse.

Conclusion

[47]Pour résumer cette question, je suis d'avis que l'interprétation de l'article 196 proposée par la demanderesse donne à cet article un sens qui entraîne l'interprétation «la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet» (Loi d'interprétation, article 12). Plus précisément, je suis convaincue que cette interprétation:

1. est appuyée par le sens ordinaire des mots utilisés, autant en anglais qu'en français;

2. s'harmonise avec le contexte général de la loi et, en particulier, avec les dispositions transitoires de la LIPR;

3. assure à la demanderesse un traitement plus équitable; et

4. ne prive pas la disposition de tout son sens.

[48]Par conséquent, je conclus que le mot «sursis» utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage un sursis qui a été accordé du fait de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi. Ma décision en l'espèce ne décide pas de la question de savoir si le législateur pourrait, par des modifications législatives, supprimer le droit d'appel de la demanderesse et d'autres personnes se trouvant dans sa situation; elle indique seulement que le législateur n'a pas pris cette décision à l'égard de la demanderesse.

[49]Par conséquent, la Section d'appel a commis une erreur en concluant que l'article 196 avait pour effet d'éteindre les droits d'appel de la demanderesse en vertu de l'article 192 de la LIPR.

Question no 2: L'article 7 de la Charte trouve-t-il application d'après les faits de l'espèce et, dans l'affirmative, y a-t-il eu atteinte aux droits de la demanderesse en vertu de cette disposition?

[50]Compte tenu de mes conclusions à l'égard de la première question, il n'est pas nécessaire de traiter de cette deuxième question.

Certification d'une question

[51]La demanderesse a proposé que je certifie la question suivante comme étant une question grave de portée générale qui règle définitivement l'espèce:

[traduction] Le mot «sursis» utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage-t-il un sursis qui a été accordé en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 par suite de l'application de l'alinéa 49(1)b)?

[52]Le défendeur ne s'est pas opposé à la certification de la question telle qu'elle a été formulée. Je suis consciente du fait qu'il s'agit d'une disposition transitoire qui s'applique à une catégorie limitée de personnes. À l'heure actuelle, il est difficile de prévoir combien de personnes pourraient faire partie de cette catégorie. Toutefois, je suis convaincue que la population visée par cette décision est suffisamment nombreuse pour justifier que cette question soit considérée comme une question grave de portée générale. Par conséquent, je certifierai la question.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit:

1.     La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.     La question suivante est certifiée:

Le mot «sursis» utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage-t-il un sursis qui a été accordé en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 par suite de l'application de l'alinéa 49(1)b)?

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