A-33-02
2003 CAF 178
Mohamed Zrig (appelant)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)
Répertorié: Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyen-neté et de l'Immigration) (C.A.)
Cour d'appel, juges Décary, Létourneau et Nadon, J.C.A. -- Montréal, 17 décembre 2002; Ottawa, 7 avril 2003.
Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Réfugiés au sens de la Convention -- La section du statut a conclu que l'appelant était exclu en vertu de l'art. 1Fb), c) -- La Section de première instance de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire -- Question dont est saisie la Cour d'appel fédérale: l'interprétation de l'art. 1Fb) -- L'appelant, un Tunisien, sympathisant, puis dirigeant du Mouvement de la tendance islamique (MTI) -- Il commence à vivre dans la clandestinité lorsque la police s'est mise à sa recherche -- Il est condamné par contumace à 21 ans et demi de prison pour fabrication d'explosifs et d'infractions relatives aux armes -- Il a revendiqué le statut de réfugié au Canada -- La section du statut a conclu que la crainte de l'appelant d'être persécuté s'il était déporté est bien fondée mais qu'il était exclu de la définition de réfugié car il avait commis, à titre de complice, 12 crimes graves de droit commun et qu'il s'était rendu coupable d'agissements contraires aux principes des Nations Unies -- Le but du MTI: la création d'un État islamique en Tunisie -- L'appelant n'était pas un simple membre mais faisait partie de la structure du commandement clandestin -- L'appelant ne s'est jamais désolidarisé du mouvement qui vise des fins limitées et brutales -- L'appelant n'a pas contesté que ces crimes étaient des crimes de droit commun -- La Cour d'appel fédérale rejette l'appel -- Absence de fondement à l'appui de la prétention selon laquelle les conclusions de fait de la section du statut ont été tirées de façon abusive -- Absence de fondement à l'appui de la prétention selon laquelle l'appelant s'est vu refuser un procès juste par un tribunal impartial -- La juge de la Section de première instance de la Cour fédérale n'a tenu compte que des crimes commis par le mouvement après que l'appelant soit devenu membre -- Complicité par association avec une organisation responsable de crimes internationaux s'il y a participation personnelle, tolérance à l'égard des crimes -- Prétention de l'appelant: l'art. 1Fb) s'est vu accorder une portée excessive compte tenu qu'il s'agit d'une disposition d'exception -- La décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) est examinée -- L'appelant est un fugitif -- La plupart des crimes imputés au mouvement sont des crimes susceptibles d'extradition -- La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) est examinée -- Jurisprudence étrangère examinée -- L'art. 1Fb) ne s'applique pas seulement aux fugitifs recherchés par la justice étrangère -- L'art. 1Fb) ne fait aucune mention de l'extradition -- Il n'y a pas lieu de faire de distinction entre les art. 1Fa) et b) en ce qui concerne les principes énoncés dans Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.) -- Le juge Décary, J.C.A. (souscrivant au résultat): examen du concept de «complicité par association» dans le contexte de l'art. 1Fb) -- La jurisprudence étrangère donne une vue d'ensemble plus complète que celle que l'on retrouve dans les arrêts de la Cour suprême du Canada -- La question en litige: doit-on appliquer les règles de complicité du droit pénal traditionnel ou celles du droit pénal international? -- L'opinion de la majorité dans les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Ward et Pushpanathan est retenue -- L'opinion de la majorité n'est pas retenue lorsqu'elle applique le concept de complicité par association indistinctement selon qu'il s'agisse de l'art. 1Fa), c) ou de l'art. 1Fb) en question -- L'art. 1Fa), c) traite d'affaires extraordinaires; l'art. 1Fb) traite des crimes ordinaires, des crimes de droit commun -- Le concept de complicité par association vise à atteindre des personnes qui ne sont pas tenues responsables en vertu du droit pénal traditionnel -- Pourquoi les instruments internationaux, dont le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ne s'appliquent pas à l'art. 1Fb) -- La complicité (l'aide et l'encouragement) est reconnue par le Code criminel comme mode de perpétration d'un crime -- L'appelant est exclu en vertu de l'art. 1Fc) compte tenu de la preuve dont disposait la section du statut.
Droit international -- Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, art. 1Fb) -- Les principes énoncés dans la jurisprudence canadienne quant à la complicité par association pour les fins de l'application de l'art. 1Fa) sont-ils applicables aux fins d'une exclusion en vertu de l'art. 1Fb)? -- La section du statut et la juge de la Section de première instance ont-elles donné à l'art. 1Fb) une portée excessive compte tenu qu'il s'agit d'une disposition d'exception -- Intention des signataires de la Convention -- La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) limite-t-elle les crimes de droit commun visés par l'art. IFb) à ceux susceptibles d'extradition en vertu d'un traité? -- Une telle limitation conduirait à une situation absurde -- L'interprétation de l'art. 1Fb) par les tribunaux britanniques et australiens est appliquée -- Le juge Décary, J.C.A. (souscrivant au résultat) -- Le sens à donner à l'art. 1Fb) ne fait pas l'unanimité parmi les auteurs -- Il faut lire avec prudence les textes les plus anciens car il s'agit d'un domaine en constante évolution -- La question en litige en l'espèce: doit-on appliquer les règles de complicité du droit pénal traditionnel ou celles du droit pénal international pour déterminer s'il y a «crime» au sens de l'art. 1Fb)? -- Les auteurs de la Convention ont employé des termes qui vont au-delà de la seule préoccupation d'extradition -- L'art. 1Fa), c) traite d'activités extraordinaires: crimes internationaux, agissements contraires à des normes internationales -- L'art. 1Fb) traite des crimes ordinaires, des crimes de droit commun -- À défaut de consensus international, les tribunaux doivent s'inspirer de leur droit national tout en s'efforçant de le réconcilier avec le droit d'autres États -- Sur le plan de la politique judiciaire, il ne serait pas sage d'importer à l'art. 1Fb) des concepts empruntés d'instruments internationaux, dont le Statut de Rome de la Cour pénale internationale -- L'art. 1Fa) doit être interprété à la lumière de ce statut mais dire que les règles établies par le Statut s'appliquent aux crimes visés par l'art. 1Fb) donnerait une portée à cette disposition que les signataires de la Convention n'ont jamais voulue -- Le concept de «partie à l'action» en droit pénal canadien n'est pas le même que celui qui découle du concept de «complicité par association» en droit des réfugiés.
Il s'agit d'un appel d'une décision de la juge Tremblay-Lamer, publiée à [2002] 1 C.F. 559, qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue par la section du statut selon laquelle l'appelant, Mohamed Zrig, n'était pas un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, au motif qu'il devait en être exclu en raison de l'application de ses alinéas 1Fb) et 1Fc) qui prévoient que les dispositions de la Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un crime grave de droit commun ou qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
La question principale soulevée par le présent appel concerne l'interprétation de l'alinéa 1Fb) qui a pris la forme de deux questions certifiées par la juge de la Section de première instance, à savoir: 1) Les principes énoncés par la Cour d'appel fédérale dans Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) quant à la complicité par association pour les fins de l'application de l'alinéa 1Fa) sont-ils applicables aux fins d'une exclusion en vertu de l'alinéa 1Fb); 2) dans l'affirmative, l'association d'un revendicateur du statut de réfugié avec une organisation responsable de la perpétration de «crimes graves de droit commun» peut-elle emporter complicité de ce revendicateur pour les fins de l'application de cette même disposition, du simple fait qu'il a sciemment toléré ces crimes, que ceux-ci aient été commis pendant ou avant son association avec l'organisation en cause?
Selon sa version des faits, l'appelant était un citoyen de la Tunisie, né à Gabès en 1957. Il était étudiant à la faculté des sciences de l'Université de Tunis. À compter de 1980, il devient un sympathisant du Mouvement de la tendance islamique (MTI). Il cesse ses études en raison de problèmes avec les autorités policières causés par son militantisme au sein du MTI puis il trouve un travail et devient militant syndical. Il devient membre du MTI (qui change son nom plus tard pour celui d'«Ennahda» afin de se conformer à une loi réglementant les noms des parties politiques) et, à l'automne 1990, il prend la responsabilité de son bureau politique à Gabès. Le 9 avril 1991, la police effectue une perquisition à son domicile et Zrig commence alors à vivre dans la clandestinité. Par la suite, il se réfugie à Kébili et cesse dès lors ses activités au sein du mouvement Ennahda. En février 1992, l'appelant ainsi que 143 coaccusés ont été cités à procès. Il sera condamné par contumace à 21 ans et demi de prison. Les crimes pour lesquels Zrig a été condamné comprennent l'appartenance à une association de malfaiteurs, la fabrication d'explosifs et la détention d'armes sans permis. Lors de son arrivée au Canada en octobre 1992, Zrig revendique le statut de réfugié. En 1994, la section du statut rejetait la demande de réfugié de Zrig au motif que sa crainte de persécution, advenant son retour en Tunisie, n'était pas bien fondée. En 1995, la Section de première instance de la Cour fédérale a accueilli sa demande de contrôle judiciaire parce que la section du statut avait ignoré une partie de la preuve concernant la situation générale des droits de l'homme en Tunisie. Lors d'une nouvelle audition, la section du statut a conclu que la crainte de l'appelant d'être persécuté est bien fondée puisqu'il ne peut faire de doute qu'advenant son retour en Tunisie, il sera emprisonné, torturé ou tué. Mais, compte tenu de son rôle de dirigeant au sein du mouvement Ennahda, il existe des raisons sérieuses de penser que l'appelant, à titre de complice, a commis 12 crimes graves de droit commun et qu'il s'est rendu coupable «d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies». Zrig a par conséquent été exclu de la définition de réfugié en vertu des alinéas 1Fb) et c). Après un examen minutieux de la preuve, la section du statut a conclu que le mouvement Ennahda utilise des méthodes terroristes et est impliquée dans des assassinats, des attentats à la bombe, du trafic d'armes et dans le financement d'intégristes algériens. Son objectif est l'instauration d'un État islamique en Tunisie. Le leader du mouvement a lancé un appel à la violence contre les États-Unis et a demandé la destruction de l'État d'Israël. Le mouvement Ennahda a commis 12 crimes graves de droit commun, notamment: des attentats à la bombe en France, des incendies et des complots en vue d'assassiner des personnalités du gouvernement tunisien. La section du statut a conclu à un manque total d'honnêteté de la part de Zrig car il avait tenté de minimiser son rôle au sein du mouvement Ennahda et sa connaissance de la violence préconisée par ce mouvement. Zrig n'était pas un simple membre. Il faisait partie de la structure du commandement clandestin du mouvement Ennahda. Elle a également conclu qu'aucun de ces crimes ne peut être qualifié de politique -- c'est-à-dire ayant un objectif politique réaliste -- puisque les moyens utilisés sont disproportionnés à la fin recherchée. Les crimes peuvent être qualifiés d'atroces et de barbares. Jamais au cours de l'audition Zrig ne s'est désolidarisé du mouvement Ennahda ou de son dirigeant. Le mouvement Ennahda vise principalement des fins limitées et brutales.
La juge Tremblay-Lamer a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par Zrig. La juge n'a tenu compte que des crimes commis après que Zrig soit devenu membre du MTI/Ennahda en 1988. Elle s'est limitée à un seul crime de droit commun -- l'incendie criminel de Bab Souika en 1991 -- puisqu'elle était d'avis qu'un seul crime grave de droit commun suffisait pour exclure Zrig. Cet incendie constituait un crime grave de droit commun au sens de l'alinéa 1Fb). Zrig n'a pas contesté la conclusion selon laquelle ces crimes étaient des crimes de droit commun. Compte tenu que Zrig était placé au niveau hiérarchique le plus élevé du mouvement Ennahda à Gabès, il ne pouvait ignorer l'existence de l'incendie criminelle de Bab Souika. Malgré cela, Zrig n'a ni quitté le mouvement, ni cessé d'occuper son poste de dirigeant. Selon la juge de la Section de première instance, il n'était pas nécessaire de s'attarder à la conclusion selon laquelle le mouvement Ennahda était voué à des fins limitées et brutales. Comme Zrig était une personne visée par l'alinéa 1Fb), il n'était pas opportun pour elle de se prononcer quant à l'exclusion du demandeur en vertu de l'alinéa 1Fc). La juge a rejeté toute idée de crainte raisonnable de partialité de la part de la section du statut.
Arrêt: l'appel doit être rejeté.
Le juge Nadon, J.C.A. (avec l'appui du juge Létourneau, J.C.A.): Je ne peux nullement conclure que certaines conclusions de fait de la section du statut ont été tirées de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. La Cour n'a pas à réévaluer la preuve qui a été présentée à la section du statut.
La question suivante soulevée par l'appelant repose sur le postulat qu'il n'a pas été jugé par un tribunal indépendant et impartial à l'issu d'un procès juste et équitable. La conclusion de la juge de la Section de première instance selon laquelle une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne craindrait pas que le tribunal ait été partial en raison des gestes du personnel administratif, est irréprochable.
Il n'est pas nécessaire de répondre à la question de savoir, aux fins de l'exclusion prévue à l'alinéa 1Fb), s'il peut y avoir de complicité à des crimes de droit commun en raison de l'association d'une personne à une organisation politique lorsque les crimes ont été commis avant que la personne ne s'associe à l'organisation politique. Il en est ainsi parce que la juge n'a tenu compte que des crimes commis après que l'appelant soit devenu membre. Toutefois, la juge s'est trompée lorsqu'elle a conclu que ce n'est qu'en 1988 que Zrig était devenu membre. Il a commencé à assister aux réunions du MTI en 1980 et à faire partie de l'une de ses cellules éducatives à partir de 1983. La conclusion de la section du statut selon laquelle Zrig est devenu membre à partir de 1983 n'était pas déraisonnable.
La Cour analyse ensuite la question principale que soulève cet appel: l'interprétation de l'alinéa 1Fb) de la Convention. Dans Sivakumar, la Cour a conclu, dans le cadre de l'application de l'alinéa 1Fa) (exclusion des personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité), qu'un individu pouvait être tenu responsable d'actes commis par d'autres individus en raison de son association étroite avec ces autres individus. Dans ses motifs du jugement, le juge Linden, J.C.A., a résumé en écrivant que «l'association avec une personne ou une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés». L'appelant a demandé que la Cour conclue que les principes relatifs à la complicité par association, pour les fins de l'alinéa 1Fa), ne sont pas applicables aux fins de l'exclure en vertu de l'alinéa 1Fb). Selon l'appelant, la section du statut et la juge ont donné à l'alinéa 1Fb) une portée excessive compte tenu qu'il s'agit d'une disposition d'exception. Zrig a prétendu que l'intention des signataires de la Convention était de s'assurer que des criminels de droit commun ne puissent se soustraire à des procédures d'extradition et à des poursuites criminelles en demandant le statut de réfugié dans un pays tiers. Zrig a prétendu qu'il ne peut être exclu sous l'alinéa 1Fb) puisqu'aucune preuve ne le relie aux crimes qui lui furent imputés par la section du statut. Il a prétendu en outre qu'il ne pourrait faire l'objet d'aucune poursuite de nature criminelle puisqu'aucun élément de preuve ne permettait de le relier à la commission des crimes qui lui étaient imputés. L'appelant s'en est remis à la décision Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) dans laquelle la Cour a décidé qu'un revendicateur qui avait purgé une peine aux États-Unis pour trafic de stupéfiants ne pouvait être exclu en vertu de l'alinéa 1Fb). Selon le juge Robertson, J.C.A., «[l]es dispositions pertinentes ont en commun le fait qu'un individu qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou à qui ce statut a déjà été reconnu ne peut être renvoyé du Canada pour la seule raison qu'il a été déclaré coupable d'avoir commis un crime grave dans un autre pays [] il se peut que la revendication du statut de réfugié de la personne soit valable, même si cette dernière a un casier judiciaire dans un autre ressort». La décision Chan n'aide nullement l'appelant puisqu'en l'espèce, il n'a été ni accusé ni condamné pour les crimes pour lesquels la section du statut l'a tenu responsable à titre de complice par association.
Il est important de souligner que le revendicateur est un fugitif, c'est-à-dire qu'il a fui son pays avant d'être poursuivi pour des crimes dont il a été condamné, par contumace, à une très longue peine d'emprisonnement. De plus, la plupart des crimes de droit commun imputés au mouvement Ennahda et pour lesquels la section du statut a tenu l'appelant responsable, sont des crimes susceptibles d'extradition. Enfin, Zrig n'a été condamné pour aucun des 12 crimes qui lui ont été imputés par la section du statut. La Cour ne peut lire dans les propos tenus par le juge Bastarache dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) une intention de limiter les crimes de droit commun visés par l'alinéa 1Fb) à ceux susceptibles d'extradition en vertu d'un traité. Une telle limitation conduirait à une situation absurde où des criminels susceptibles d'extradition seraient exclus de la protection de réfugié, alors que les criminels non susceptibles d'extradition n'en seraient pas exclus parce qu'il n'y a pas de traité d'extradition. La question en litige dans l'arrêt Pushpanathan concernait l'interprétation de l'alinéa 1Fc) et, plus particulièrement, si une personne qui avait plaidé coupable relativement au crime de trafic de stupéfiants au Canada pouvait être exclue de la définition de réfugié en raison de l'application de l'alinéa 1Fc). La décision de la Cour suprême dans Pushpanathan n'a pas pour effet de rendre inapplicables les principes de la complicité par association énoncés par notre Cour dans Sivakumar et Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). On peut en dire autant de l'arrêt de la Cour suprême Canada (Procureur général) c. Ward dans lequel la Cour suprême n'avait pas à interpréter l'alinéa 1Fb) pour disposer du litige devant elle. D'ailleurs, la Cour d'appel de l'Angleterre et la Cour fédérale de l'Australie ont rejeté l'interprétation de l'alinéa 1Fb) que semble suggérer la Cour suprême du Canada. Selon la Cour d'appel anglaise, il n'est pas nécessaire, en matière de refuge politique, contrairement aux principes biens établis en matière d'extradition, qu'un crime spécifique soit imputé à un revendicateur ou que celui-ci soit accusé de ce crime afin de pouvoir l'exclure sous l'alinéa 1Fb). La seule question est de savoir s'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un revendicateur a commis un crime grave de droit commun. Les faits dans la décision Re, B, précitée, rendue par la Cour d'appel de l'Angleterre, sont, à toutes fins pratiques, identiques aux faits en l'instance. Dans Ovcharuk v. Minister for Immigration and Multicultural Affairs, la Cour fédérale d'Australie a conclu que l'alinéa 1Fb) ne s'applique pas seulement aux fugitifs recherchés par la justice étrangère si on se fie au sens ordinaires des mots de cet alinéa. Il n'y a aucune raison de limiter le sens ordinaire des mots aux personnes accusées qui cherchent à échapper à des poursuites ou à des peines ou aux personnes à l'égard desquelles une demande d'extradition peut être faite aux pays d'accueil. L'alinéa 1Fb) de la Convention est muet au sujet de l'extradition. Le libellé de l'alinéa 1Fb) représente un compromis de point de vues opposés mais reflète le point de vue que le pays d'accueil n'est pas obligé d'accorder le statut de réfugié aux personnes qui ont commis des crimes graves en dehors de ce pays d'accueil. La Cour ne peut accepter l'opinion, qui a semblé trouver faveur auprès des juges Bastarache et La Forest dans Pushpanathan et Ward, selon laquelle l'exclusion sous l'alinéa 1Fb) serait limitée aux personnes accusées de crimes graves de droit commun cherchant à échapper à des poursuites. L'opinion de la Cour est partagée par la Deuxième Chambre française de la Commission permanente de recours des réfugiés. Par conséquent, il n'y a pas lieu de faire de distinction entre les alinéas 1Fa) et b), en ce qui concerne les principes énoncés par la Cour dans Sivakumar.
La dernière question en litige consiste à savoir si les crimes commis par le mouvement Ennahda peuvent être imputés à l'appelant à titre de complice par association. La section du statut disposait d'une preuve abondante lui permettant de conclure que l'appelant occupait des fonctions importantes au sein du mouvement, qu'il n'avait jamais quitté le mouvement, même s'il avait eu la possibilité de le faire et qu'il était toujours membre du mouvement au moment de l'audition devant la section du statut. Les conclusions de fait de la section du statut n'étant pas déraisonnables, la Cour ne peut que conclure que les crimes imputés au mouvement peuvent être imputés à l'appelant à titre de complice par association. L'appelant a sciemment toléré, sinon encouragé par ses fonctions, les crimes graves de droit commun reprochés au MTI/Ennahda depuis 1983.
Le juge Décary, J.C.A. (motifs concourants): Le présent appel doit être tranché comme le propose la Cour à la majorité, mais pour des motifs différents.
Le sens général à donner à l'alinéa 1Fb) ne fait pas l'unanimité parmi les auteurs et il faut lire avec prudence les textes les plus anciens car il s'agit d'un domaine en constante évolution.
C'est la première fois que la Cour se penche sur le concept de «complicité par association», reconnu en droit pénal international, dans le contexte de l'alinéa 1Fb). Les procureurs des parties nous ont soumis un certain nombre de décisions judiciaires américaines, australiennes et britanniques sur le sens général à donner à l'alinéa 1Fb). Ces décisions donne une vue d'ensemble plus complète que celle que l'on retrouve dans les arrêts de la Cour suprême du Canada Ward et Pushpanathan dans lesquels l'alinéa 1Fb) n'était pas en litige et n'a fait l'objet que de remarques incidentes.
La question en litige en l'espèce est de savoir si l'on doit appliquer les règles de complicité du droit pénal traditionnel ou les règles de complicité du droit pénal international pour déterminer s'il y a «crime» au sens de l'alinéa 1Fb). Pour trancher cette question, il faut que l'on prenne garde de recourir aux arrêts qui ont été rendus sur la question de savoir s'il s'agissait d'un crime politique plutôt que d'un crime ordinaire.
L'opinion de la majorité selon laquelle les remarques, de toute évidence incidentes, du juge La Forest, dans Ward, relativement à la portée de l'alinéa 1Fb) ne sont pas déterminantes doit être retenue. L'opinion de la majorité selon laquelle le juge Bastarache, dans Pushpanathan, n'a pas voulu limiter aux personnes susceptibles d'extradition l'application de l'alinéa 1Fb) doit également être retenue. Les auteurs de la Convention ont employé des termes qui vont au-delà de la seule préoccupation d'extradition. Les signataires ont mis l'accent sur la «gravité» du crime et non pas sur le fait que ce crime puisse être susceptible de faire l'objet de procédures en extradition.
Le juge cesse d'être d'accord avec la majorité lorsqu'elle applique le concept de complicité par association indistinctement selon qu'il s'agisse des alinéas 1Fa) et c) ou selon qu'il s'agisse de l'alinéa 1Fb). Les alinéas 1Fa) et c) traitent d'activités extraordinaires, soit de crimes internationaux, dans le cas de l'alinéa 1Fa), ou d'agissements contraires à des normes internationales, dans le cas de l'alinéa 1Fc). Ce dernier alinéa traite d'agissements qui ne sont pas nécessairement des crimes. Le concept de complicité par association vise à atteindre des personnes qui pourraient ne pas être tenues responsables en vertu du droit pénal traditionnel. L'alinéa 1Fb) est d'un tout autre ordre et répond à des objectifs différents. Il traite des crimes ordinaires, des crimes de droit commun, qui sont commis dans le cours normal de la vie des sociétés. À défaut de consensus international sur le caractère grave d'un crime, le tribunal chargé d'interpréter la Convention s'inspirera de son droit national tout en s'efforçant, si cela est possible, de le réconcilier avec le droit d'autres États. Dès lors que les crimes visés par l'alinéa 1Fb) sont différents de ceux que visent les alinéas 1Fa) et c), il s'ensuit qu'un mode de perpétration accepté à l'égard des uns, ne l'est pas nécessairement à l'égard des autres.
Il existe également un argument de politique judiciaire qui est de la plus haute importance: il ne serait pas sage d'importer à l'alinéa 1Fb) des concepts empruntés d'instruments internationaux, dont le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Le droit pénal international s'est développé dans un contexte particulier, militaire au départ, qui n'a rien à voir avec le contexte dans lequel s'est développé le droit interne. Le Statut de Rome n'est pas transposable en droit interne. Il vise le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression. Ce Statut constitue un code pénal autonome qui ne renvoie que par défaut au droit pénal traditionnel: «à défaut, les principes généraux du droit dégagés [. . .] à partir des lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du monde». L'alinéa 1Fa) doit désormais être interprété à la lumière de ce statut. Dire que les règles établies par le Statut s'appliquent également aux crimes visés par l'alinéa 1Fb), ce serait dénaturer la portée dudit alinéa et lui donner une ampleur que les signataires de la Convention n'ont jamais voulue. Enfin, il est implicite dans les décisions rendues dans Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration); Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) et Sivakumar, dans le cadre de l'alinéa 1Fa), que le test qui découle du concept de «partie à l'action» en droit pénal canadien n'est pas le même que celui qui découle du concept de «complicité par association» en droit des réfugiés.
La question suivante est de savoir si, en droit canadien, l'appelant peut être reconnu comme une personne à l'égard de laquelle il est possible d'avoir des raisons sérieuses de penser qu'elle a commis des crimes du fait qu'elle soit membre de l'organisation qui les a commis. Le droit pénal canadien reconnaît depuis toujours que la complicité est un mode de perpétration d'un crime. Le fait d'aider et d'encourager constitue une infraction en vertu du Code criminel. Le ministre ne croit pas que l'appelant était, au sens du Code criminel, partie aux infractions commises par le mouvement Ennahda. Comme cette question n'a été ni débattue ni examinée au cours du litige, il y a lieu de retourner l'affaire au ministre pour qu'il réévalue le cas de l'appelant. Cela sera toutefois inutile vu la conclusion eu égard à l'alinéa 1Fc).
En ce qui concerne l'exclusion de l'appelant en vertu de l'alinéa 1Fc), il a été établi, au cours de l'audition devant la section du statut que le mouvement Ennahda était un groupe terroriste au sens de la résolution adoptée le 16 janvier 1997 par les Nations Unies relativement aux «Mesures visant à éliminer le terrorisme international». L'appelant a admis qu'il était toujours membre du mouvement. Il était dès lors loisible à la section du statut de conclure qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que l'appelant s'était rendu coupable, par association, d'activités terroristes contraires aux buts et principes des Nations Unies et que, par conséquent, il était exclu en vertu de l'alinéa 1Fc).
lois et règlements
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 21, 22 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 7), art. 83.18 (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4), 467.1 (édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 11).
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fb), c). |
Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, art. 14. |
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) «réfugié au sens de la Convention» (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 19 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2; 1996, ch. 19, art. 83), 46 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35), 46.01(1)e)(i) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9), 53 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12), 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73). |
Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Doc. NU A/CONF. 183/9 (1998). |
Statut du Tribunal Militaire International, Annexe de l'Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe, 8 août 1945, 82 R.T.N.U. 279. |
jurisprudence
décisions appliquées:
Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433; (1993), 163 N.R. 197 (C.A.); T. v. Secretary of State for the Home Department, [1996] 2 All E.R. 865 (H.L.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.); Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39; [2003] A.C.F. no 108 (QL); B, Re, [1997] E.W.J. No. 700 (C.A.); Ovcharuk v. Minister for Immigration and Multicultural Affairs (1998), 158 ALR 289 (F.C. Aust.).
distinction faite d'avec:
Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 390; (2000), 190 D.L.R. (4th) 128; 10 Imm. L.R. (3d) 167; 260 N.R. 376 (C.A.).
décisions examinées:
Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508; (1994), 174 N.R. 292 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 20 Imm. L.R. (2d) 85; 153 N.R. 321; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Minister for Immigration and Multicultural Affairs v. Singh (2002) 186 ALR 393 (H.C. Aust.); Immigration and Naturalization Service v. Aguirre-Aguirre, 526 U.S. 415 (1999); Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306; (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298; (1993), 107 D.L.R. (4th) 424; 21 Imm. L.R. (2d) 221; 159 N.R. 210 (C.A.); Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 66; (2000), 183 D.L.R. (4th) 713; 179 F.T.R. 148; 3 Imm. L.R. (3d) 169; 252 N.R. 380 (C.A.); R. c. Greyeyes, [1997] 2 R.C.S. 825; (1997), 148 D.L.R. (4th) 634; [1997] 7 W.W.R. 426; 152 Sask. R. 294; 116 C.C.C. (3d) 334; 8 C.R. (5th) 308; Preston v. The King, [1949] R.C.S. 156; (1949), 93 C.C.C. 81; 7 C.R. 72; Dunlop et Sylvester c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881; (1979), 99 D.L.R. (3d) 302; [1979] 4 W.W.R. 599; 47 C.C.C. (2d) 93; 8 C.R. (3d) 349; 27 N.R. 153.
décisions citées:
Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1037 (C.F. 1re inst.) (QL); Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 190 N.R. 230 (C.A.F.); Brzezinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 525; (1998), 148 F.T.R. 196 (T.D.); R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74; (1990), 69 Man. R. (2d) 81; 60 C.C.C. (3d) 97; 1 C.R. (4th) 91; 116 N.R. 81.
doctrine
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APPEL d'une décision rendue par la Section de première instance ([2002] 1 C.F. 559; (2001), 211 F.T.R. 219) qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (V.C.F. (Re), [2000] D.S.S.R. no 7 (QL)) selon laquelle l'appelant était exclu du statut de réfugié au sens de la Convention pour avoir commis un crime grave de droit commun et de s'être rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Appel rejeté.
ont comparu:
Daniel Paquin pour l'appelant.
Normand Lemyre et François Joyal pour l'intimé.
avocats inscrits au dossier:
Alarie Legault Beauchemin Paquin Jobin Brisson & Philpot, Montréal, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
[1]Le juge Nadon, J.C.A.: Il s'agit d'un appel en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), d'une décision de Mme le juge Tremblay-Lamer, ([2002] 1 C.F. 559 (1re inst.)), qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l'appelant à l'encontre d'une décision rendue le 27 janvier 2000 par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [V.C.F. (Re), [2000] D.S.S.V.R. no 7 (QL)] (la section du statut).
[2]La section du statut a conclu que l'appelant n'était pas un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la Convention), au motif qu'il devait en être exclu en raison de l'application des sections Fb) et Fc) de l'article premier, qui prévoient ce qui suit:
Article premier
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:
[. . .]
b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;
c) qu'elle se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
[3]La question principale soulevée par le présent appel concerne l'interprétation de la section Fb) de l'article premier de la Convention. Elle a pris la forme de deux questions certifiées par la juge, à savoir [au paragraphe 160]:
Les principes énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sivakumar c. Canada, [1994] 1 C.F. 433 quant à la complicité par association pour les fins de l'application de la section Fa) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés sont-ils applicables aux fins d'une exclusion en vertu de la section Fb) de l'article premier de cette même Convention? |
Dans l'affirmative, l'association d'un revendicateur du statut de réfugié avec une organisation responsable de la perpétration de «crimes graves de droit commun» au sens de cette expression figurant à la section Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugié, peut-elle emporter complicité de ce revendicateur pour les fins de l'application de cette même disposition, du simple fait qu'il a sciemment toléré ces crimes, que ceux-ci aient été commis pendant ou avant son association avec l'organisation en cause? |
Plus particulièrement, il s'agit de déterminer si les principes énoncés par cette Cour dans Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), relativement à la complicité par association pour les fins de l'application de la section Fa) de l'article premier de la Convention, sont applicables dans le cadre d'une exclusion sous la section Fb) de l'article premier.
La version des faits présentée par l'appelant devant la section du statut
[4]Un bref résumé de la version des faits présentée par l'appelant sera utile pour comprendre la décision de la section du statut et, par conséquent, celle de la juge de première instance.
[5]L'appelant, un citoyen de la Tunisie, est né le 29 août 1957 à Gabès. En octobre 1978 ou en octobre 1979 (suivant le formulaire de renseignements personnels (le FRP) qu'il a complété et signé le 12 octobre 1992 ou suivant celui complété et signé le 21 mai 1996), il commence des études en physique et en chimie à la faculté des sciences de l'Université de Tunis.
[6]À compter de 1980, l'appelant devient un sympathisant du Mouvement de la tendance islamique (le MTI), dont l'existence officielle verra le jour en mai 1981, lorsqu'un comité constitutif de 25 personnes annoncera sa création par voie de conférence de presse et publiera l'énoncé de sa plate-forme politique.
[7]En juin 1981, l'appelant cesse ses études en raison de problèmes avec les autorités policières causés par son militantisme au sein du MTI, et parce qu'il n'a plus droit à une bourse d'études vu des résultats académiques insatisfaisants.
[8]Par conséquent, en novembre 1981, il retourne à Gabès où il trouve un travail auprès de la Société Arabe des Engrais Phosphatés et Azotés (la Société). À la fin de 1982, l'appelant s'implique dans le syndicat Union générale des travailleurs tunisiens (le syndicat) et devient le secrétaire général du syndicat de base à l'usine 2 de la Société en janvier 1988.
[9]En janvier 1988, il devient membre du MTI (dans le FRP qu'il a complété et signé le 12 octobre 1992, l'appelant a déclaré qu'il était devenu membre du MTI en 1980). En décembre 1988 ou janvier 1989, le MTI change son nom pour celui d'Ennahda suite à l'adoption par le gouvernement tunisien d'une loi interdisant aux partis politiques d'utiliser dans leur dénomination sociale toute référence à des concepts tels que la race, la langue, la religion ou même une région.
[10]À l'automne 1990, l'appelant prend la responsabilité du bureau politique de l'Ennahda à Gabès en raison du démembrement du bureau exécutif de l'organisation suite à des arrestations parmi les membres de sa direction. L'appelant devient alors le responsable du comité exécutif jusqu'à la fin de 1991.
[11]Le 9 avril 1991, la police tunisienne effectue une perquisition à son domicile. Informé de cette action policière, l'appelant cesse de travailler à la Société et commence à vivre dans la clandestinité. Il se réfugie à Gabès jusqu'au 30 octobre 1991 chez des amis et chez des membres de sa famille. Par la suite, il quitte Gabès pour se réfugier à Kébili et cesse dès lors ses activités au sein de l'Ennahda.
[12]En février 1992, un juge d'instruction de Gabès cite l'appelant à procès, ainsi que 143 co-accusés liés de près ou de loin à l'Ennahda. Le 20 mai 1992, après son départ de la Tunisie, il sera condamné par contumace à 21 ans et demi de prison par la Cour d'appel de Gabès. La condamnation se détaille comme suit:
- 8 ans de prison pour appartenance à une association de malfaiteurs;
- 8 ans pour soutien à une telle association;
- 2 ans pour participation à une organisation non auto-risée;
- 2 ans pour fabrication d'explosifs;
- 1 an pour détention d'armes sans permis;
- 4 mois pour port d'armes sans permis; et
- 2 mois pour collecte de fonds sans autorisation.
[13]Le 10 mars 1992, l'appelant quitte la Tunisie afin de venir au Canada. Après un séjour de deux semaines en Libye, il se dirige vers le Soudan, où il réside jusqu'au 20 avril 1992. Il retourne dès lors en Libye, qu'il quitte le 16 juin 1992 à destination de l'Autriche. Après quelques jours en Autriche, il arrive en Allemagne à la fin de juin 1992, où il revendique le statut de réfugié. Le 2 octobre 1992, avant même qu'une décision ne soit rendue sur sa demande de statut de réfugié, il quitte l'Allemagne pour le Canada, où il revendique le statut de réfugié dès son arrivée.
La première décision de la section du statut
[14]Le 30 juin 1994, la section du statut rejetait la demande de réfugié de l'appelant, au motif que sa crainte de persécution, advenant son retour en Tunisie, n'était pas bien fondée. L'appelant, non satisfait de cette décision, déposa une demande de contrôle judiciaire auprès de la Section de première instance qui, le 6 juillet 1995 [Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1037 (1re inst.) (QL)], accueillit sa demande de contrôle judiciaire parce que la section du statut avait ignoré une partie importante de la preuve concernant la situation générale des droits humains en Tunisie.
[15]Par conséquent, l'affaire fut renvoyée devant un panel de la section du statut, différemment constitué, pour une nouvelle audition.
La deuxième décision de la section du statut
[16]Cette nouvelle audition devant la section du statut s'est échelonnée sur une période de 64 jours, entre le 15 mai 1996 et le 21 mai 1999. Durant le cours de l'audition, 1 422 pièces furent produites, soit près de 2 000 documents représentant plusieurs dizaines de milliers de pages. La Section du statut a entendu douze témoins, soit six témoins experts et cinq témoins ordinaires.
[17]Dans sa décision du 27 janvier 2000, la section du statut en arrive aux conclusions suivantes:
(i) La crainte de l'appelant d'être persécuté en raison de ses opinions politiques est bien fondée, puisqu'il ne peut faire de doute qu'advenant son retour en Tunisie, il sera emprisonné, torturé, ou tué.
(ii) Compte tenu de son implication et de son rôle de dirigeant au sein du MTI/Ennahda, il existe des raisons sérieuses de penser que l'appelant a commis, à titre de complice, 12 crimes graves de droit commun.
(iii) Compte tenu de son implication et de son rôle de dirigeant au sein du MTI/Ennahda, il existe des raisons sérieuses de penser que l'appelant, à titre de complice, s'est rendu coupable «d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies».
(iv) Nonobstant l'existence d'une crainte raisonnable de persécution, l'appelant doit être exclu de la définition de réfugié, vu l'application des sections 1Fb) et 1Fc) de l'article premier de la Convention.
[18]Pour en arriver à conclure que l'appelant devait être exclu de la définition de réfugié, la section du statut a examiné de façon minutieuse la preuve considérable qui était devant elle. Plus particulièrement, la section du statut s'est longuement attardée sur le MTI/Ennahda et sur son leader, Rached Ghannouchi, pour tenter de comprendre quels étaient les buts, les objectifs et les activités du mouvement et de son leader. S'appuyant sur cette preuve, la section du statut a constaté les faits suivants.
[19]Le MTI/Ennahda est un mouvement qui prône l'usage de la violence; il est composé d'une branche armée qui utilise des méthodes terroristes et qui est financée par plusieurs pays et mouvements. Cette branche du mouvement est impliquée dans des assassinats et des attentats à la bombe. Le mouvement, qui est présent dans plus de 70 pays, est aussi impliqué dans le trafic d'armes et dans le financement d'intégristes algériens, dont le Front Islamique du Salut (le FIS). L'objectif ultime du mouvement est l'islamisation de l'État, c'est-à-dire l'instauration d'un État islamique en Tunisie.
[20]Le leader du mouvement, Rached Ghannouchi, un terroriste faisant partie intégrante de l'internationale islamiste, est considéré par certaines sources comme étant l'un des maîtres à penser du terrorisme. M. Ghannouchi a fait un appel à la violence contre les États-Unis et a menacé de détruire leurs intérêts dans le monde arabe. En outre, il a demandé la destruction de l'État d'Israël.
[21]Le MTI/Ennahda a commis 12 crimes pouvant être qualifiés de crimes graves de droit commun, à savoir:
(i) attentats à la bombe en France en 1986;
(ii) attentats à la bombe à Sousse et à Monastir en 1987;
(iii) des incendies de voitures en 1987 et 1990;
(iv) de l'acide projeté au visage d'individus en 1987;
(v) complots en vue d'assassiner des personnalités du gouvernement tunisien en 1990, 1991, et 1992;
(vi) complot en vue de déposer par les armes l'ancien président tunisien Habib Bourguiba en 1987;
(vii) agressions physiques dans les lycées et universités, de 1989 à 1991;
(viii) l'utilisation de cocktails Molotov en 1987, 1990 et 1991;
(ix) incendie criminel de Bab Souika en février 1991;
(x) tentative d'incendie d'un édifice universitaire en 1991;
(xi) des lettres de menace en 1991 et 1992; et
(xii) le trafic d'armes à compter de 1987.
[22]Relativement à sa conclusion que l'appelant devait être tenu responsable, à titre de complice, des crimes imputés au MTI/Ennahda, la section du statut s'est fondée plus particulièrement sur les faits suivants:
- L'appelant est devenu sympathisant du MTI à compter de 1980; il a assisté à des réunions du MTI à l'Université. De 1983 à décembre 1990, il a fait partie d'une cellule éducative du MTI, où il a étudié l'idéologie du mouvement. Jusqu'en 1988, il a assisté aux réunions générales du MTI.
- Il est devenu membre du MTI en 1988; l'appelant a déclaré lors de l'audition que, pour devenir membre, il devait avoir une conviction totale au MTI et prêter serment aux dirigeants et au mouvement.
- Dans le FRP qu'il a complété et signé le 12 octobre 1992, l'appelant a déclaré être devenu membre du MTI en 1980.
- L'appelant a été gardé au secret par le mouvement afin d'en assurer la responsabilité advenant le cas où la situation l'exigerait. Il s'agit d'une structure de commandement clandestine. C'est dans cette optique que l'appelant n'a point participé aux activités dites publiques du MTI/Ennahda.
- De janvier à mai 1988, l'appelant a fait partie du comité culturel du MTI à Gabès et de juin 1988 à décembre 1990, il a fait partie du comité syndical à Gabès. Ces comités relevaient du bureau exécutif régional de Gabès. Entre 1988 et novembre 1990, il a participé à des réunions clandestines du MTI/Ennahda où l'on a traité, entre autres, des problèmes internes du mouvement. L'appelant a précisé avoir lu, durant le cours de ces réunion clandestines, un bon nombre d'écrits émanant de son chef, Rached Ghannouchi.
- En 1989, l'appelant a été choisi par la direction du bureau exécutif de Gabès afin de faire partie du comité d'organisation des élections du 2 avril 1989 dans la région. Les réunions étant secrètes, l'appelant a travaillé dans la clandestinité. Ses activités consistaient à programmer la campagne électorale, orienter les discours, rédiger des pamphlets et faire la propagande pour les cinq candidats indépendants inscrits sur la liste électorale de la région; l'un des candidats était le frère de Rached Ghannouchi. Au cours de cette période, l'appelant a rédigé divers communiqués au nom du MTI/Ennahda.
- Suite à la vague d'arrestations au sein de la direction d'Ennahda à la fin 1990, le bureau exécutif est devenu le bureau politique. La direction a demandé à l'appelant d'en prendre la responsabilité à compter de novembre ou décembre 1990. L'appelant était au niveau hiérarchique le plus haut à Gabès et, en fait, faisait ainsi partie de la direction de ce mouvement à un niveau très élevé.
- Entre décembre 1990 et le 30 octobre 1991, l'appelant a supervisé les réunions des membres du bureau politique de Gabès. Lors de ces réunions, il a expliqué aux membres les directives et les prises de position du mouvement concernant les événements en Tunisie et ailleurs dans le monde. À cette époque, l'appelant recevait ses instructions et ses informations de la direction centrale de l'Ennahda à Tunis, via des communications téléphoniques ou en personne. L'appelant rédigeait également des tracts pour le mouvement.
- Lors de son témoignage, l'appelant a déclaré: «je ne pense pas, je n'imagine pas qu'il puisse arriver des choses à l'intérieur de l'Ennahda dont je ne suis pas au courant, dont je n'étais pas au courant».
- L'appelant a eu des contacts avec les membres de la famille de Rached Ghannouchi: organisation en Tunisie de la campagne électorale de Khaled Ghannouchi, frère de Rached Ghannouchi; il avait des contacts au Canada avec la fille de Rached Ghannouchi; il avait des discussions téléphoniques avec un neveu de Ghannouchi, Souhaiel, qui vivait aux États-Unis; Rached Ghannouchi lui-même devait venir témoigner dans le dossier de l'appelant, à la demande de ce dernier.
- En date du 26 novembre 1998, l'appelant était toujours membre de l'Ennahda et Rached Ghannouchi en était toujours le président.
[23]La section du statut a, de plus, conclu à un manque total de sincérité et d'honnêteté de la part de l'appelant. À son avis, ce dernier avait tenté de minimiser son rôle au sein du MTI/Ennahda et sa connaissance de la violence préconisée par le mouvement. De toute évidence, l'appelant ne pouvait être considéré comme un simple membre. L'appelant fut accepté comme membre par le mouvement et il a choisi, comme on le lui avait conseillé, de vivre dans la clandestinité et de ne pas s'afficher publiquement. Selon la section du statut, l'appelant faisait partie de la structure du commandement clandestin du mouvement. Comme responsable du bureau politique de Gabès, il pouvait prendre des décisions d'importance pour le mouvement.
[24]Nonobstant le fait que l'appelant a témoigné n'avoir eu aucune connaissance des crimes graves de droit commun commis par le MTI/Ennahda, la section du statut, aux paragraphes 354 à 359 de sa décision, conclut qu'il est responsable, à titre de complice, de ces crimes:
Il ressort de la preuve que non seulement le revendicateur était et est un membre du MTI/Ennahda, mais qu'il a occupé des fonctions importantes au sein de ce mouvement. Vu le rôle important du revendicateur au sein du MTI/Ennahda, le tribunal conclut qu'il était au courant des crimes commis par l'organisation et par le fait même qu'il partageait les fins et buts poursuivis par son mouvement dans la perpétration de ces crimes. À cet effet, le tribunal fait référence aux nombreux actes de violence, aux crimes graves de droit commun, commis par le MTI/Ennahda et énumérés précédemment soient, entre autres: l'utilisation de cocktails molotov par les membres; l'acide projeté aux visages d'universitaires, mais également aux magistrats en Tunisie et en Algérie; les agressions physiques dans les lycées et les universités; les lettres de menace; les incendies de voitures; le complot en vue d'assassiner des personnalités du gouvernement tunisien; les tentatives d'incendie dans les facultés; les attentats à la bombe dont celui de Sousse et Monastir du 2 août 1987; l'incendie criminel de Bab Souika en février 1991 où il y a eu mort d'homme; les attaques terroristes dont l'attentat à la bombe survenu en France en 1986; le trafic d'armes en Europe, déjà à compter de 1987 et le complot en vue de déposer par les armes l'ancien président tunisien Habib Bourguiba, complot qui s'est échelonné de 1986 à novembre 1987.
Aucun de ces crimes ne peut être qualifié de politique, c'est-à-dire ayant un objectif politique réaliste puisque les moyens utilisés sont disproportionnés à la fin recherchée. À cet effet, nous citons le passage suivant de la décision Gil c. Canada [1995] 1 C.F. 508, à la page 509:
«L'élément politique doit en principe avoir prépondérance sur le caractère de droit commun de l'infraction, ce qui risque de ne pas être le cas lorsque les actes commis sont complètement disproportionnés par rapport à l'objectif visé, ou lorsqu'ils sont de nature atroce ou barbare.» |
Plusieurs de ces actes peuvent facilement être qualifiés d'atroces ou de barbares. Nous pensons à l'acide projeté aux visages des gens, l'attaque de Bab Souika où un vigile fut brûlé vif et l'attentat terroriste de Sousse et Monastir où 13 personnes, des civils, furent blessés.
Il nous apparaît important de rappeler que le revendicateur n'a jamais quitté le MTI/Ennahda même quand il aurait pu le faire facilement. Bien au contraire, il a continué d'occuper des fonctions de dirigeant au sein du mouvement. En fait, jamais au cours de l'audition le revendicateur ne s'est désolidarisé du MTI/Ennahda et/ou de son dirigeant Rached Ghannouchi.
En conséquence, conformément aux décisions Gil, Malouf, Moreno, Ramirez, Sivakumar, Bazargan et Pushpanathan, le tribunal a des raisons sérieuses de penser que le revendicateur a commis à titre de complice des crimes graves de droit commun, ceux énumérés ci-haut, compte tenu de son implication et son rôle de dirigeant au sein du MTI/Ennahda. En fait, le tribunal est d'avis que la simple appartenance au MTI/Ennahda du revendicateur est suffisante, puisque comme nous l'avons déjà indiqué, ce mouvement vise principalement des fins limitées et brutales. Et cette appartenance du revendicateur au MTI/Ennahda, le tribunal la situe dès l'année 1983 où il faisait partie d'une cellule éducative du MTI où il étudiait l'idéologie du mouvement. De plus, à cette époque, il assistait aux réunions générales du mouvement. Et, auparavant, c'est-à-dire dès 1980, il assistait aux réunions du MTI à l'Université en tant que sympathisant.
Donc, de 1983 à octobre 1992, date de son arrivée au Canada, le revendicateur est responsable, à titre de complice de crimes graves de droit commun commis par le MTI/Ennahda.
[25]C'est pourquoi la section du statut concluait que l'appelant devait être exclu de la définition de réfugié en vertu de la section Fb) de l'article premier de la Convention.
La décision de première instance
[26]La juge de première instance avait à décider si la section du statut avait commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour, et si certains faits pouvaient susciter une crainte raisonnable de partialité ou d'un manque d'indépendance de la section du statut. La juge de première instance a répondu à ces deux questions par la négative.
[27]Selon la juge, même si la section du statut avait retenu 12 crimes de droit commun contre l'appelant, dont l'incendie criminel de Bab Souika en février 1991, seuls les crimes commis après que l'appelant soit devenu membre du MTI/Ennahda en 1988 pouvaient être retenus contre lui. Par conséquent, les crimes retenus par la section du statut commis avant 1988 ne pouvaient être considérés relativement à la détermination de la complicité par association de l'appelant.
[28]Sur ce point, la juge s'est limitée à un seul crime de droit commun, à savoir l'incendie criminel de Bab Souika en 1991, puisqu'elle était d'avis qu'un seul crime grave de droit commun suffisait pour exclure l'appelant.
[29]Avant de se dire satisfaite que la conclusion de la section du statut, à l'effet que le MTI/Ennahda avait perpétré l'incendie criminel de Bab Souika, n'était pas manifestement déraisonnable, la juge a examiné avec soin les motifs de la section du statut à l'appui de sa conclusion et a conclu que les éléments de preuve invoqués par la section du statut pouvaient raisonnablement lui servir de fondement.
[30]En outre, après avoir qualifié l'incendie de Bab Souika comme étant «barbare et atroce» et s'appuyant sur la décision de cette Cour dans Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508 (C.A.), et sur la décision de la Chambre des lords dans T. v. Secretary of State for the Home Department, [1996] 2 All E.R. 865, la juge a conclu que l'incendie de Bab Souika constituait un crime grave de droit commun au sens de la section Fb) de l'article premier de la Convention. Cette conclusion de la juge n'est pas contestée par l'appelant qui, d'ailleurs, ne conteste pas le caractère de droit commun des autres crimes retenus par la section du statut.
[31]La juge s'adressait par la suite à la notion de complicité par association. Notant que la section du statut avait conclu que l'appelant, placé au niveau hiérarchique le plus élevé du MTI/Ennahda à Gabès, ne pouvait ignorer l'existence de l'incendie criminel de Bab Souika, la juge se disait d'avis que cette inférence pouvait raisonnablement s'appuyer sur la preuve.
[32]La juge soulignait la conclusion de la section du statut selon laquelle l'appelant, malgré la commission de crimes violents par le MTI/Ennahda, n'avait ni quitté le mouvement ni cessé d'occuper son poste de dirigeant. Cette conclusion menait la section du statut à conclure que l'appelant avait volontairement «toléré» l'incendie criminel de Bab Souika. Devant cette preuve, la juge de première instance concluait que la complicité par association de l'appelant, relativement à l'incendie criminel de Bab Souika, pouvait être retenue par la section du statut.
[33]Vu la position importante occupée par l'appelant au sein du MTI/Ennahda, il n'était dès lors pas nécessaire, selon la juge, de s'attarder à la conclusion de la section du statut selon laquelle le MTI/Ennahda était voué à des fins limitées et brutales. Au soutien de ce point de vue, la juge soulignait que l'appelant ne s'était point retiré de l'organisation comme l'avaient fait trois de ses membres influents. Aux paragraphes 123 et 124 de ses motifs, la juge de première instance concluait comme suit:
Pour ces motifs il n'était pas déraisonnable pour la section du statut de conclure avoir des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis à titre de complice par association le crime de droit commun ci-haut relaté.
Comme je l'ai dit précédemment, puisqu'un seul crime grave de droit commun suffit pour que le demandeur soit exclu, il est inutile d'examiner le bien-fondé de la décision du tribunal quant aux autres chefs d'exclusion.
[34]Quant à l'exclusion du demandeur en vertu de la section Fc) de l'article premier de la Convention, la juge était d'avis qu'il n'était pas opportun pour elle de se prononcer, vu sa conclusion que l'appelant était une personne visée par la section Fb) de l'article premier.
[35]En dernier lieu, la juge s'adressait aux arguments de l'appelant concernant l'impartialité et l'indépendance de la section du statut et concluait qu'aucun des faits ou incidents soulevés par l'appelant ne donnait naissance à une crainte raisonnable de partialité de la part de la section du statut.
[36]Lors de l'audition devant la juge de première instance, les parties ont demandé qu'un certain nombre de questions soient certifiées pour détermination par cette Cour. Après examen de ces questions, la juge a certifié les questions qui sont reproduites au paragraphe 3 de ces motifs.
[37]L'appel n'est évidemment pas limité à ces questions, puisque dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada indiquait que lorsque des questions d'importance générale étaient certifiées, notre Cour n'était pas limitée à ces questions et pouvait considérer toutes les questions soulevées par l'appel.
Les questions en litige
[38]L'appelant nous demande de trancher les questions suivantes:
1. L'association d'une personne à une organisation politique emporte-t-elle complicité à des crimes de droit commun qui auraient été commis avant une telle association pour les fins de l'exclusion prévue à la section Fb) de l'article premier de la Convention?
2. Quant aux crimes retenus par la section du statut pour la période de janvier 1990 à décembre 1991, les principes de la complicité par association pour les fins de la section Fa) de l'article premier de la Convention sont-ils applicables aux fins d'exclure l'appelant en vertu de l'alinéa 1Fb) de l'article premier?
3. Si oui, ces crimes qui auraient été commis par le MTI/Ennahda peuvent-ils être imputés à l'appelant à titre de complice par association selon les principes énoncés par cette Cour dans Sivakumar, supra?
4. L'appelant a-t-il été jugé par un tribunal indépendant et impartial à l'issu d'un procès juste et équitable?
5. La section du statut a-t-elle tiré de la preuve des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve disculpatoires dont elle disposait?
[39]L'appelant invite aussi cette Cour à trancher quatre questions ayant trait à l'application de la section Fc) de l'article premier de la Convention. Pour les motifs qui suivent, il ne me sera pas nécessaire de traiter de ces questions.
Analyse
[40]Je commence mon analyse par la dernière question que soulève l'appelant, celle à savoir si, eu égard à la preuve, certaines des conclusions de fait de la section du statut peuvent être qualifiées de déraisonnables ou de manifestement déraisonnables.
[41]Il ne peut faire de doute, comme l'a souligné la juge au paragraphe 103 de ses motifs, que la section du statut a examiné avec beaucoup de soin la preuve tant testimoniale que documentaire qui était devant elle, avant d'en arriver à ses conclusions de fait. En outre, la section du statut s'est longuement interrogée sur la crédibilité des témoins, dont l'appelant, qu'elle a eu l'occasion d'entendre.
[42]Après un examen attentif de la preuve et de la décision de la section du statut, je ne peux nullement conclure, comme le voudrait l'appelant, que certaines conclusions de fait de la section du statut ont été tirées de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. Je partage entièrement l'opinion de la juge que la preuve pouvait raisonnablement servir de fondement aux conclusions de fait de la section du statut. Ce que l'appelant nous demande, en réalité, c'est de faire ce que nous ne pouvons faire dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, soit de réévaluer la preuve qui était devant la section du statut.
[43]Au paragraphe 162 de son mémoire, l'appelant indique qu'il traitera «ensemble les questions 8 et 9» (i.e. les questions numéros 4 et 5 en litige devant nous), à savoir si l'appelant a été jugé par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès juste et équitable, et si la section du statut a tiré de la preuve des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve disculpatoires dont elle disposait. Une lecture attentive des paragraphes 163 à 176 de son mémoire où ces questions sont traitées, ne révèle aucun argument concernant la question 5, ni aucun exemple de conclusion de fait qui aurait été tirée de façon abusive ou arbitraire et ne tenant pas compte de la preuve.
[44]L'appelant ne m'a donc pas convaincu que la section du statut s'est fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire et ne tenant pas compte de la preuve, qui justifieraient une intervention de notre part.
[45]La quatrième question soulevée par l'appelant repose sur le postulat qu'il n'a pas été jugé par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès juste et équitable. Les faits et les incidents que l'appelant soulève, sous cette rubrique, sont essentiellement les mêmes que ceux qu'il a soulevés devant la juge, notamment:
(i) Le membre coordinateur, Me Michel Shore, n'avait pas le droit de désigner les membres appelés à réentendre la demande de réfugié de l'appelant suite à l'accueil de sa demande de contrôle judiciaire par la Section de première instance, puisque la désignation des membres s'inscrivait dans le processus décisionnel de l'audition de novo. Selon l'appelant, l'indépendance de la section du statut était atteinte, vu la désignation faite par Me Shore, qui avait siégé comme membre du panel ayant rendu la première décision de la section du statut.
(ii) Le renouvellement du mandat de l'un des membres de la section du statut, à savoir M. Ndejuru, en cours d'instance, plaçait ce dernier sous l'influence discrétionnaire et arbitraire de l'exécutif.
(iii) L'implication de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans le financement de la cause de l'intimé.
(iv) La section du statut n'a ni administré, ni apprécié la preuve de façon équitable. Au soutien de cette affirmation, l'appelant donne les exemples suivants: a) la section du statut ayant accepté de faire traduire simultanément, de l'anglais au français, le témoignage de deux témoins experts du ministre, a refusé de lui accorder un traitement similaire lorsqu'il a demandé la traduction simultanée du témoignage de son épouse, de l'arabe au français; b) la section du statut a été complaisante à l'égard du ministre et de ses témoins experts, MM. Duran et Héchiche; c) la section du statut s'est appuyée, relativement à sa conclusion concernant l'interprétation de la section Fc) de l'article premier de la Convention, sur un avis de droit émis par l'Institut suisse de droit comparé, et ce nonobstant son rejet du témoignage de M. Tinkley Abiem qui, de son avis, était spéculatif, alors que l'avis de droit de l'Institut suisse de droit comparé allait au même sens que celui de M. Abiem.
[46]Aux paragraphes 126 à 152 de ses motifs, la juge analyse de façon rigoureuse chacun des arguments de l'appelant concernant l'impartialité et l'indépendance de la section du statut et conclut, au paragraphe 156, comme suit:
En résumé, je suis donc d'avis qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne craindrait pas que le tribunal ait été partial soit en raison des gestes du personnel administratif, des décisions prises par Me Shore à titre de coordonnateur, du renouvellement du terme de M. Ndejuru, ou des décisions du tribunal portant sur l'administration et l'appréciation de la preuve.
[47]La conclusion de la juge et les motifs qu'elle énonce au soutien de cette conclusion me paraissent tout à fait irréprochables. À mon avis, une personne bien renseignée ne craindrait nullement qu'il y ait eu partialité de la part de la section du statut ou qu'il y ait eu atteinte à son indépendance.
[48]Je passe maintenant à la première question. L'appelant nous demande de conclure qu'il ne peut y avoir de complicité à des crimes de droit commun en raison de l'association d'une personne à une organisation politique, aux fins de l'exclusion prévue à la section Fb) de l'article premier de la Convention, lorsque les crimes ont été commis avant que la personne ne s'associe à l'organisation politique. À mon avis, il n'est pas nécessaire, en l'instance, de répondre à cette question. Je m'explique.
[49]La section du statut a conclu que 12 crimes de droit commun, commis entre 1986 et 1992, devaient être retenus contre le MTI/Ennahda pour lesquels l'appelant, à titre de complice, devait être tenu responsable. Nonobstant cette conclusion, la juge a conclu que seuls les crimes commis à compter de janvier 1988, soit le moment où l'appelant était devenu membre du MTI, devaient être retenus.
[50]La juge, sans aucune explication, a mis de côté la conclusion de la section du statut que l'on retrouve au paragraphe 358 de sa décision, selon laquelle l'association de l'appelant au MTI/Ennahda avait commencé en 1983:
Et cette appartenance du revendicateur au MTI/Ennahda, le tribunal la situe dès l'année 1983, où il faisait partie d'une cellule éducative du MTI où il étudiait l'idéologie du mouvement. De plus, à cette époque, il assistait aux réunions générales du mouvement. Et, auparavant, c'est-à-dire dès 1980, il assistait aux réunions du MTI à l'Université en tant que sympathisant.
[51]Cette conclusion de la section du statut résulte d'un examen attentif et minutieux de toute la preuve, dont les FRP de l'appelant. Plus particulièrement, dans le FRP qu'il a complété et signé le 12 octobre 1992, l'appelant a déclaré qu'il s'était joint au MTI en 1980. Au paragraphe 308 de sa décision, le section du statut prend note de cette déclaration:
En janvier 1988, le revendicateur devient membre du MTI. Pour cela, il précise qu'il devait avoir une conviction totale au MTI et «prêter serment» aux dirigeants et au mouvement. Son appartenance est basée sur la confiance au mouvement. Il est important de rappeler que selon la pièce P-1a (FRP du revendicateur daté et signé le 12/10/92), à la page 8 a) du document en question, le revendicateur précise que c'est en 1980 qu'il est devenu membre du MTI/Ennahda: «comme je l'ai dit précédement (sic), je suis membre du Mouvement de la tendance islamique (devenu en 1988 le mouvement "Le Nahda"), depuis 1980.»
[52]Il m'appert donc que la juge s'est trompée lorsqu'elle a fixé l'appartenance de l'appelant au MTI/Ennahda en janvier 1988, puisque la conclusion de la section du statut, eu égard à la preuve, n'était nullement déraisonnable.
[53]Je suis donc d'avis que tous les crimes graves de droit commun commis depuis 1983 par le MTI/Ennahda pouvaient être considérés par la section du statut relativement à la complicité par association de l'appelant. Par conséquent, en l'espèce, il ne m'est pas nécessaire de décider si la notion de complicité par association peut s'appliquer à l'égard de crimes commis avant que la personne ne s'associe à ladite organisation politique.
[54]Je dois maintenant m'adresser à la deuxième question que l'appelant nous demande de trancher. Ceci m'amène donc à la question principale que soulève cet appel, soit l'interprétation de la section Fb) de l'article premier de la Convention. Cette question m'amène aussi à fournir une réponse à la première question certifiée par la juge. Afin d'en faciliter la consultation, je la reproduis à nouveau:
Les principes énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sivakumar c. Canada, [1994] 1 C.F. 433 quant à la complicité par association pour les fins de l'application de la section Fa) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés sont-ils applicables aux fins d'une exclusion en vertu de la section Fb) de l'article premier de cette même Convention?
[55]Dans Sivakumar, supra, cette Cour concluait, dans le cadre de l'application de la section Fa) de l'article premier de la Convention, qu'un individu pouvait être tenu responsable d'actes commis par d'autres en raison de son association étroite avec ces autres individus. Voici comment s'exprimait le juge Linden aux pages 439, 440 et 442:
Un autre type de complicité qui présente un intérêt particulier pour l'affaire en instance est la complicité par association, laquelle s'entend du fait qu'un individu peut être tenu responsable d'actes commis par d'autres, et ce en raison de son association étroite avec les auteurs principaux. Il ne s'agit pas simplement du cas de l'individu «jugé à travers ses fréquentations», ni non plus du cas de l'individu responsable de crimes internationaux du seul fait qu'il appartient à l'organisation qui les a commis (Voir Ramirez, à la page 317). Ni l'un ni l'autre de ces cas ne constitue en soi un élément de responsabilité, à moins que cette organisation n'ait pour but de commettre des crimes internationaux. Il y a cependant lieu de noter, comme l'a fait observer le juge MacGuigan, que: «un associé des auteurs principaux ne pourrait jamais, à mon avis, être qualifié de simple spectateur. Les membres d'un groupe peuvent à bon droit être considérés comme des participants personnels et conscients, suivant les faits» (Ramirez, supra, aux pages 317 et 318).
À mon avis, la complicité d'un individu dans des crimes internationaux est d'autant plus probable qu'il occupe des fonctions importantes dans l'organisation qui les a commis. Tout en gardant à l'esprit que chaque cas d'espèce doit être jugé à la lumière des faits qui le caractérisent, on peut dire que plus l'intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l'organisation, plus il est vraisemblable qu'il était au courant du crime commis et partageait le but poursuivi par l'organisation dans la perpétration de ce crime. En conséquence, peut être jugé complice celui qui demeure à un poste de direction de l'organisation tout en sachant que celle-ci a été responsable de crimes contre l'humanité.
[. . .]
Dans ces conditions, un facteur important à prendre en considération est la preuve que l'individu s'est opposé au crime ou a essayé d'en prévenir la perpétration ou de se retirer de l'organisation.
[. . .]
De même, si les dirigeants tolèrent sciemment des agissements criminels de la part d'une organisation paramilitaire ou révolutionnaire non officielle, ils peuvent également en être tenus responsables. La complicité du fait de l'occupation d'une position de dirigeant d'une organisation responsable de crimes internationaux s'apparente à la théorie de la responsabilité du fait d'autrui en matière de délits civils, mais cette analogie n'est pas tout à fait juste, puisqu'il est indiscutable que dans le contexte des crimes internationaux, l'accusé doit avoir été au courant des actes constitutifs de ces crimes.
En bref, l'association avec une personne ou une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés. La simple appartenance à un groupe responsable de crimes internationaux ne suffit pas, à moins que cette organisation ne poursuive des «fins limitées et brutales» (Ramirez, supra, à la page 317). D'autre part, plus l'intéressé occupe les échelons de direction ou de commandement au sein de l'organisation, plus on peut conclure qu'il était au courant des crimes et a participé au plan élaboré pour les commettre. [Le souligné est le mien.]
[56]Dans Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.), notre Cour, sous la plume du juge Décary, réitérait ces principes aux paragraphes 11 et 12:
Il va de soi, nous semble-t-il, qu'une «participation personnelle et consciente» puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requière pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur. La complicité, nous disait le juge MacGuigan à la page 318, «dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont». Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.
Cela dit, tout devient question de faits. Le ministre n'a pas à prouver la culpabilité de l'intimé. Il n'a qu'à démontrer--et la norme de preuve qu'il doit satisfaire est «moindre que la prépondérance des probabilités» (Ramirez, précité, à la page 314)--qu'il a des raisons sérieuses de penser que l'intimé est coupable. Or, en l'espèce, la Commission a conclu comme suit (D.A., à la p. 71):
[. . .] Monsieur Bazargan, de par la formation qu'il a reçue et de par les fonctions de responsabilités qu'il a occupées notamment entre 1974 et 1978, puis de 1978 jusqu'à la chute du Shah d'Iran, ne pouvait pas ne pas être très bien informé de la nature des mesures de répression utilisées par la SAVAK afin de réprimer toute dissidence sociale et politique dans le pays. Il a pourtant, durant de nombreuses années, collaboré avec cet organisme à titre d'officier de police supérieur des forces de la sécurité iranienne. Par conséquent, compte tenu du caractère notoire des violations des droits humains commis par la SAVAK, des postes d'autorité que le demandeur détenait jusqu'en 1980 et de la connaissance qu'il avait nécessairement de la situation, nous devons conclure qu'il existe en l'occurrence des motifs sérieux de penser que le demandeur avait toléré, encouragé, voire facilité les actes de la SAVAK, il s'est par conséquent rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. |
[57]Récemment, dans Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39; [2003] A.C.F. no 108 (QL), en date du 27 janvier 2003, le juge Décary expliquait, au paragraphe 11 de ses motifs, la notion de complicité par association sur laquelle pouvait être fondée l'exclusion sous la section Fa) de l'article premier de la Convention:
Ce n'est pas la nature des crimes reprochés à l'appelant qui mène à son exclusion, mais celle des crimes reprochés aux organisations auxquelles on lui reproche de s'être associé. Dès lors que ces organisations commettent des crimes contre l'humanité et que l'appelant rencontre les exigences d'appartenance au groupe, de connaissance, de participation ou de complicité imposées par la jurisprudence, [. . .] l'exclusion s'applique quand bien même les gestes concrets posés par l'appelant lui-même ne seraient pas, en tant que tels, des crimes contre l'humanité. Bref, si l'organisation persécute la population civile, ce n'est pas parce que l'appelant lui-même n'aurait persécuté que la population militaire qu'il échappe à l'exclusion, s'il est par ailleurs complice par association. [Références omises.]
[58]L'appelant nous demande de conclure que les principes relatifs à la complicité par association, pour les fins de la section Fa) de l'article premier de la Convention, ne sont pas applicables aux fins de l'exclure en vertu de la section Fb) de l'article premier. Selon l'appelant, la section du statut et la juge ont donné à la section Fb) de l'article premier une portée excessive qui est contraire à l'interprétation restrictive et atténuée qui doit être donnée à une telle disposition d'exception. Ce faisant, l'objectif visé par la section Fb) de l'article premier n'a pas été respecté.
[59]Selon l'appelant, l'intention des signataires de la Convention était de s'assurer que des criminels de droit commun ne puissent se soustraire à des procédures d'extradition, à des poursuites criminelles ou à l'exécution d'une sentence d'emprisonnement dans leur pays en demandant le statut de réfugié dans un pays tiers. Puisqu'aucune preuve directe ou indirecte ne le relie aux crimes qui lui furent imputés par la section du statut, l'appelant prétend qu'il ne peut être exclu sous la section Fb) de l'article premier. En outre, il soumet qu'il ne pourrait faire l'objet d'aucune poursuite de nature criminelle, puisqu'aucun élément matériel n'existe de manière à le relier de quelque façon que ce soit à la commission des crimes qui lui sont imputés. L'appelant conclut en soumettant que la déduction d'une complicité par association, pour l'établissement d'un crime grave de droit commun, est contraire à la section Fb) de l'article premier de la Convention.
[60]Au soutien de ses arguments, l'appelant s'en remet aux décisions de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, ainsi qu'à une décision de notre Cour dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 F.C. 390 (C.A.).
[61]Dans Chan, supra, notre Cour avait à décider si un revendicateur pouvait être exclu de la définition de réfugié, sous la section Fb) de l'article premier de la Convention, aux motifs qu'il avait été condamné aux États-Unis pour des infractions relatives au trafic de stupéfiants et qu'il y avait purgé sa peine. La Cour concluait que, dans de telles circonstances, un revendicateur ne pouvait être exclu.
[62]S'appuyant, inter alia, sur les décisions de la Cour suprême dans Pushpanathan, supra, et Ward, supra, le juge Robertson, pour la Cour, était d'avis que de donner une interprétation à la section Fb) de l'article premier de la Convention qui aurait pour effet d'exclure un revendicateur en raison d'un crime commis à l'étranger et pour lequel il avait purgé une sentence, irait à l'encontre du régime général de la Loi sur l'immigration et, plus particulièrement, aurait pour effet d'abroger le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9] de cette Loi. Au paragraphe 15 de ses motifs, le juge Robertson s'exprimait comme suit:
En résumé, il est clair que l'interprétation large que le ministre souhaite donner à la section Fb) de l'article premier va à l'encontre de l'objectif que vise cette disposition, tel que le décrit l'arrêt Pushpanathan, précité, et le confirme la doctrine. En outre, une telle interprétation ne reconnaît pas que la Loi sur l'immigration prévoit déjà un régime qui traite des personnes qui ont été déclarées coupables de crimes graves qu'elles ont commis à l'étranger. Les dispositions pertinentes ont en commun le fait qu'un individu qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou à qui ce statut a déjà été reconnu ne peut être renvoyé du Canada pour la seule raison qu'il a été déclaré coupable d'avoir commis un crime grave dans un autre pays. Dans les deux cas, le ministre doit se dire d'avis que la personne constitue un danger pour le public avant que des mesures puissent être prises en vue de la renvoyer du Canada. Par contraste, l'interprétation large que propose le ministre a pour effet de retirer à la personne en cause cette protection, qui se fonde sur la réalité selon laquelle il se peut que la revendication du statut de réfugié de la personne soit valable, même si cette dernière a un casier judiciaire dans un autre ressort. Cette interprétation que propose le ministre ferait en sorte que la personne qui a déjà été déclarée coupable d'avoir commis un crime grave de droit commun serait automatiquement privée de son droit de revendiquer le statut de réfugiée, quand bien même elle aurait tenté de se réadapter, et peu importe qu'elle constitue ou non un danger pour le public au Canada. L'interprétation que propose le ministre aurait pour effet, à proprement parler, d'abroger pour ainsi dire le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l'immigration en éliminant l'exigence selon laquelle le ministre doit se dire d'avis que la personne constitue un danger pour le public. La seule façon de résoudre, sur le plan de l'interprétation législative, ce conflit apparent est d'interpréter la section Fb) de l'article premier d'une façon compatible avec son objectif établi.
[63]Il est important de souligner les propos du juge Robertson que l'on retrouve au paragraphe 8 de ses motifs, à l'effet que le libellé de la section Fb) de l'article premier est «extrêmement large». Son refus, en l'espèce, d'interpréter la section Fb) de l'article premier de façon à exclure M. Chan s'explique uniquement du fait que cette interprétation aurait pour effet de contrecarrer le régime général de la Loi.
[64]À mon avis, notre décision dans Chan, supra, n'aide nullement l'appelant puisqu'en l'espèce, il n'a été ni accusé ni condamné pour les crimes pour lesquels la section du statut l'a tenu responsable à titre de complice par association.
[65]Dans Chan, supra, comme je l'indiquais plus tôt, le juge Robertson fondait sa conclusion, en partie, sur les propos des juges Bastarache et La Forest dans Pushpanathan et Ward, supra. Dans Pushpanathan, aux paragraphe 73, le juge Bastarache faisait les remarques suivantes:
Il est nécessaire de prendre aussi en considération le chevauchement possible des sections Fc) et Fb) de l'article premier en ce qui concerne le trafic des drogues. De toute évidence, la section Fb) est généralement censée empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d'extradition en vertu d'un traité puissent revendiquer le statut de réfugié, mais cette exclusion est limitée aux crimes graves commis avant l'entrée dans le pays d'accueil. Goodwin-Gill, op. cit., à la p. 107, dit ceci:
[traduction] En vue de favoriser l'uniformité des décisions, le HCNUR a proposé que, lorsqu'aucun facteur politique ne joue, une présomption de crime grave puisse découler de la preuve de la perpétration de l'une ou l'autre des infractions suivantes: l'homicide, l'agression sexuelle, l'attentat à la pudeur d'un enfant, les coups et blessures, le crime d'incendie, le trafic des drogues et le vol qualifié.
Les parties ont voulu s'assurer que les criminels de droit commun ne puissent pas se soustraire à l'extradition et aux poursuites en demandant le statut de réfugié. Vu la portée bien définie de la section Fb) de l'article premier, celle-ci étant limitée aux «crimes graves de droit commun» commis en dehors du pays d'accueil, on doit inévitablement en inférer que les crimes graves de droit commun ne sont pas visés par le libellé général et catégorique de la section Fc) de l'article premier. La section Fb) de l'article premier vise des crimes de droit commun commis en dehors du pays d'accueil, alors que le par. 33(2) traite des crimes ou délits de droit commun perpétrés dans le pays d'accueil. La section Fb) de l'article premier renferme un mécanisme de pondération dans la mesure où il faut que soient remplies les conditions exprimées par les termes «grave» et «de droit commun», tandis que le par. 33(2), mis en oeuvre par les art. 53 et 19 de la Loi, oblige à peser la gravité du danger pour la société canadienne par rapport au danger de persécution en cas de refoulement. Cette approche reflète l'intention des États signataires de réaliser un équilibre des considérations humanitaires entre, d'une part, la personne qui craint la persécution et, d'autre part, l'intérêt légitime des États dans la répression de la criminalité. L'existence de la section Fb) de l'article premier semble indiquer que même un crime grave de droit commun tel le trafic des drogues ne doit pas être inclus à la section Fc) de l'article premier . Cette affirmation est conforme aux avis émis par les délégués tels qu'ils ressortent des Collected Travaux Préparatoires of the 1951 Geneva Convention Relating to the Status of Refugees (1989), vol. III, à la p. 89. [Le souligné est le mien.]
[66]Dans ce passage, le juge Bastarache indique que le but de la section Fb) de l'article premier est d'empêcher des criminels de droit commun d'éviter l'extradition en revendiquant le statut de réfugié. Il est important de souligner, en premier lieu, qu'en l'espèce, le revendicateur est un fugitif, i.e. qu'il a fui son pays avant d'être poursuivi pour des crimes dont il a été condamné, par contumace, à 21 ans et demi de prison par la Cour d'appel de Gabès. En deuxième lieu, les crimes de droit commun ici en cause, soit ceux imputés au MTI/Ennahda et pour lesquels la section du statut a tenu l'appelant responsable, sont, pour la plupart, sinon tous, des crimes susceptibles d'extradition en vertu des normes applicables en matière d'extradition. En troisième lieu, l'appelant n'a été condamné pour aucun des 12 crimes de droit commun à l'égard desquels la section du statut a conclu qu'il y avait des raisons sérieuses de penser qu'il avait commis ces crimes.
[67]Je ne peux lire dans les propos du juge Bastarache, avec respect pour l'opinion contraire, une intention de limiter les crimes de droit commun visés parla section Fb) de l'article premier à ceux susceptibles d'extradition en vertu d'un traité. Une telle limitation serait pour le moins surprenante puisque, d'une part, elle n'est aucunement prévue par le texte de la section Fb) de l'article premier et, d'autre part, cette limitation conduirait à une situation absurde où des criminels susceptibles d'extradition seraient exclus de la protection de réfugié, alors que les criminels non susceptibles d'extradition n'en seraient pas exclus parce que le Canada n'a pas conclu de traité d'extradition avec le pays où les crimes graves de droit commun ont été commis.
[68]Je suis plutôt d'avis que les commentaires du juge Bastarache constituent seulement une indication quant à la nature et à la gravité des crimes qui peuvent tomber sous l'exclusion de la section Fb) de l'article premier, i.e. des crimes sérieux à l'égard desquels les traités d'extradition pourraient recevoir pleine application.
[69]J'ajouterais qu'il est important de se rappeler que la question en litige dans Pushpanathan, supra, concernait l'interprétation de la section Fc) de l'article premier de la Convention et, plus particulièrement, si une personne qui avait plaidé coupable relativement au crime de trafic de stupéfiants au Canada pouvait être exclu de la définition de réfugié en raison de l'application de l'alinéa Fc) de l'article premier. À mon avis, la décision de la Cour suprême dans Pushpanathan, supra, n'a pas pour effet de rendre inapplicables les principes de la complicité par association énoncés par cette Cour dans Sivakumar, supra et Bazargan, supra.
[70]L'autre décision sur laquelle s'appuyait le juge Robertson dans Chan, supra, est Ward, supra, où le juge La Forest, à la page 743 de ses motifs, s'exprimait comme suit:
La formulation de cette exclusion pour la «perpétration» d'un crime peut être mise en contraste avec l'art. 19 de la Loi, qui parle de «déclarations de culpabilité» relatives à des crimes. Hathaway, op. cit., à la p. 221, interprète cette exclusion comme visant [traduction] «les personnes qui sont passibles de peines, dans un autre État, pour avoir commis un véritable crime grave, et qui cherchent à se soustraire à leur responsabilité criminelle légitime en revendiquant le statut de réfugié». En d'autres termes, Hathaway semblerait limiter l'application de l'al. b) aux personnes accusées qui cherchent à échapper à des poursuites. La question de l'interprétation de cette modification n'a pas été débattue devant nous. Toutefois, je remarque que l'interprétation du professeur Hathaway semble être compatible avec le point de vue exprimé dans les Travaux préparatoires, au sujet du besoin de conformité entre la Convention et le droit en matière d'extradition; voir la déclaration du délégué Henkin des États-Unis, doc. des Nations Unies E/AC.32/SR.5 (30 janvier 1950), à la p. 5. À ce sujet, Ward ne serait toujours pas exclu pour ce motif, puisqu'il a déjà été déclaré coupable des crimes qu'il a commis et qu'il a déjà purgé sa peine. Toutefois, cet ajout à la Loi répond, d'une façon plus générale, aux questions soulevées par la Cour d'appel à la majorité et affaiblit l'argument selon lequel il faut composer avec les questions de moralité et de criminalité en restreignant la définition de l'expression «groupe social». [Le souligné est le mien.]
[71]Au paragraphe 7 de ses motifs dans Chan, supra, le juge Robertson, avant de reproduire le passage précité de Ward, supra, soulignait que le juge La Forest avait, dans un obiter, adopté le point vue exprimé par le Professeur Hathaway, aux pages 221 et 222 de son ouvrage, The Law of Refugee Status, à l'effet que l'exclusion sous la section Fb) de l'article premier serait limitée aux personnes accusées cherchant à échapper à des poursuites.
[72]Il est aussi important de souligner que dans Ward, supra, la Cour suprême n'avait pas à interpréter la section Fb) de l'article premier pour disposer du litige devant elle. Par conséquent, les remarques du juge La Forest étaient clairement incidentes. Cela est manifeste à la lecture de ses propos que l'on retrouve à la page 743. Je suis donc d'avis que Ward, tout comme Pushpanathan, supra, n'empêche nullement l'application des principes relatifs à la complicité par association énoncés dans Sivakumar, supra. D'ailleurs, la Cour d'appel de l'Angleterre et la Cour fédérale de l'Australie ont rejeté de façon catégorique l'interprétation de la section Fb) de l'article premier que semble suggérer la Cour suprême du Canada.
[73]Dans B, Re, [1997] E.W.J. No. 700, un banc de deux juges de la Cour d'appel de l'Angleterre avaient à décider si une demande de permission d'en appeler d'une décision du Immigration Appeal Tribunal devait être accordée. Puisqu'une telle permission ne pouvait être accordée que si l'appel soulevait une question de droit, la Cour d'appel devait décider si la question de droit que soulevait B était une question sérieuse, à savoir s'il pouvait être une personne à l'égard de laquelle il y avait des raisons sérieuses de penser qu'elle avait commis un crime sérieux de droit commun, lorsque la preuve ne démontrait aucunement qu'il avait commis un crime spécifique identifié.
[74]Les faits pertinents de cette affaire étaient les suivants. En 1988, B, un marxiste-léniniste, s'associait avec le Turkisk Revolutionary Fighting Association et, en 1991, il s'associait au mouvement kurde en Turquie, le PKK. Après une période d'entraînement lors de laquelle il se voyait confier un fusil et un uniforme, B devenait responsable de la propagande et de la logistique au sein du PKK, une organisation terroriste engagée dans la commission de crimes, notamment d'assassinats et d'attaques terroristes contre des cibles militaires et contre la population civile.
[75]En peu de temps, B, à titre de commandant, se voyait confier la charge de 150 à 500 personnes membres du PKK. Il était, en tout temps pertinent, un membre senior du PKK et faisait partie d'une équipe dont la tâche était de rendre possible les activités terroristes de l'organisation. Il ne pouvait faire de doute que B savait que le PKK était engagé dans des activités violentes et qu'il considérait ces activités pleinement justifiées afin d'atteindre les buts de l'organisation.
[76]Ayant refusé de croire que B avait quitté le PKK ou qu'il s'en était dissocié en 1993, le Immigration Appeal Tribunal concluait que les assassinats et les attaques terroristes contre la population civile ne constituaient nullement des crimes politiques et qu'il y avait dès lors des raisons sérieuses de penser que B avait commis des crimes graves de droit commun. Le tribunal fondait cette conclusion sur le fait que B occupait un poste de responsabilité au sein du PKK, qu'il s'était associé aux activités du PKK et qu'il ne pouvait, par conséquent, éviter les conséquences de cette association au motif que la preuve ne démontrait pas sa participation directe dans la commission d'un crime particulier, tel un attentat à la bombe.
[77]La prétention de B était qu'il ne pouvait être exclu sous la section Fb) de l'article premier que dans la mesure où un crime grave de droit commun était identifié et que l'on pouvait lui imputer ce crime. Il ne suffisait pas, selon B, de démontrer qu'il faisait partie d'un groupe dont les membres commettaient des crimes graves de droit commun. Afin de l'exclure, la preuve devait démontrer qu'il avait, de fait, commis un crime identifié. Puisqu'il n'y avait aucune preuve concernant sa participation directe dans la commission d'un crime grave de droit commun, il ne pouvait être exclu sous la section Fb) de l'article premier.
[78]Lord Justice Mummery, pour la Cour d'appel, concluait que la permission d'en appeler devait être refusée, puisque l'interprétation de la section Fb) de l'article premier proposée par le requérant n'avait aucune chance véritable de réussir. Voici comment, au paragraphe 21 de ses motifs, lord Justice Mummery disposait de la question:
[traduction] À mon avis, l'interprétation de M. Nicol n'a aucune chance réelle d'être agréée par la cour d'appel. Les affaires de droit d'asile doivent être mises en opposition avec la position concernant l'extradition. Dans l'affaire T, la chambre des lords s'est appuyée sur les affaires d'extradition pour décider du sens approprié à donner à l'expression «crime grave de droit commun». Dans une affaire d'extradition, il sera toutefois aussi nécessaire de s'appuyer sur un crime pour lequel la personne a été accusée ou condamnée dans le pays demandant l'extradition. La position en matière d'asile est différente et cela ressort clairement du libellé moins précis de l'article 1Fb). La question à laquelle is faillait répondre (à laquelle le Tribunal d'appel a bien répondu) n'était pas de savoir si B avait commis un crime ou s'il avait été condamné pour un crime ou de savoir s'il avait été accusé d'un crime dans le pays demandant l'extradition, ce qui exigerait que l'on s'appuie sur une infraction en particulier. La question est: Est-ce que B est une personne dont on a des raisons sérieuses de penser qu'elle a commis un crime grave de droit commun? L'accent est mis sur les «raisons sérieuses de penser» qu'elle a commis un tel crime. Les faits dans la décision de l'arbitre spécial et dans celle du Tribunal d'appel justifiaient pleinement le Tribunal de répondre à cette question de manière affirmative, même si ni l'arbitre spécial ni le Tribunal d'appel ne se sont appuyés sur quelque occasion ou incident que ce soit en particulier ou cours duquel un crime aurait été commis. Le Tribunal a interprété correctement cette disposition et l'a bien appliquée aux faits de l'affaire. Pour ce motif, je n'autoriserais pas l'appel. [Le souligné est le mien.]
[79]Donc, selon la Cour d'appel anglaise, il n'est pas nécessaire, en matière de refuge politique, contrairement aux principes bien établis en matière d'extradition, qu'un crime spécifique soit imputé à un revendicateur ou que celui-ci soit accusé de ce crime afin de pouvoir l'exclure sous la section Fb) de l'article premier. La seule question à laquelle l'on doit apporter une réponse est celle à savoir s'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un revendicateur a commis un crime grave de droit commun. Transposé aux faits dans le présent dossier, il s'agit de savoir s'il existe des raisons sérieuses de penser que l'appelant est responsable de l'un ou de plusieurs des 12 crimes graves de droit commun imputés à l'organisation à laquelle il est associé depuis 1983.
[80]Il est important de noter que les faits dans In the matter of B, Re, supra, sont, à toutes fins pratiques, identiques aux faits en l'instance. B était membre du PKK alors que l'appelant est membre du MTI/Ennahda, ces deux organisations étant engagées dans des activités violentes, dont des assassinats et des attaques à la bombe. B était un membre important du PKK alors que l'appelant occupait des fonctions importantes au sein du MTI/Ennahda. Même s'ils savaient que leurs organisations commettaient des crimes graves, ni B, ni l'appelant, ne se sont dissociés de leur organisation.
[81]Dans Ovcharuk v. Minister for Immigration and Multicultural Affairs (1998), 158 ALR 289, la Cour fédérale d'Australie était aussi confrontée à un problème d'interprétation de la section Fb) de l'article premier. Même si le contexte factuel de cette affaire est différent de celui en l'instance et de celui dans B, Re, supra les principes énoncés par la Cour australienne en réponse à deux des questions soulevées par l'appel sont, à mon avis, pertinents et applicables aux faits en l'instance. À la page 297 de ses motifs, le juge Branson énonce ces deux questions comme suit:
[traduction]
Les appels ont été interjetés pour les motifs suivants, subsidiaires jusqu'à un certain point:
(1) que l'alinéa 1Fb) de la convention relative au statut des réfugiés ne s'applique qu'aux «personnes qui cherchent à échapper à la justice»; c'est-à-dire, aux personnes qui ont commis des crimes graves à l'étranger et qui cherchent à échapper à leur responsabilité criminelle en revendiquant le statut de réfugié;
[. . .]
(4) que lorsque le défendeur invoque l'alinéa 1Fb), il doit préciser quel «crime grave de droit commun» a été commis à l'extérieur de l'Australie et démontrer qu'il existe des «raisons sérieuses de penser» que le demandeur a commis ce crime:
[82]Pour les juges Branson et Whitlam, la réponse à la première question se trouve dans le texte même de la section Fb) de l'article premier. À la page 300, le juge Branson y répond comme suit:
[traduction] Rien dans le contexte, l'objet et le but de la Convention relative au status des réfugiés, à mon avis, exige que l'alinéa 1Fb) devrait être interprété autrement que dans le sens ordinaire des mots qui le composent. Selon ce sens ordinaire, l'alinéa n'est pas limité, dans son application, aux personnes qui cherchent à échapper à la justice d'un autre pays. [Le souligné est le mien]
Quant au juge Whitlam, il répond à la question, à la page 294, dans les termes suivants:
[traduction] À mon avis, le sens ordinaire des mots utilisés dans l'alinéa 1Fb) ne rejoint pas l'interprétation qu'en donne l'avocat de l'appelant. Ce qui me frappe le plus dans le paragraphe 1F, c'est l'exigence pratique claire selon laquelle il devrait exister des «raisons sérieuses de penser» qu'une personne «[a] commis» un type particulier de crime (al. a) et b)) ou qu'elle «[s'est] rendu[e] coupabl[e]» d'agissements proscrits: alinéa c). Il n'est pas nécessaire qu'il y ait des accusations ou des déclarations de culpabilité. En effet, dans certains cas, même si une personne revendiquant le statut de réfugié a été accusée d'une infraction ou déclarée coupable, il peut être parfaitement clair qu'il n'y a pas de raisons sérieuses de penser que la personne a commis un crime. Dans d'autres cas, de tels faits peuvent avoir une grande force probante relativement à de telles raisons sérieuses. Le tout dépend des faits de l'espèce. Le libellé peut bien sûr s'appliquer aussi aux personnes accusées qui cherchent à échapper à des poursuites ou, encore, à une peine. Il n'y a cependant pas de raison manifeste de restreindre le sens clair des mots à cette catégorie de personnes ou à ceux qui peuvent faire l'objet d'une demande d'extradition au pays d'accueil. [Le souligné est le mien.]
[83]Le juge d'appel Sackville est d'accord avec l'interprétation de la section Fb) de l'article premier à laquelle en arrive les juges Branson et Whitlam. Se disant d'accord avec les motifs du juge Branson, le juge Sackville, aux pages 302, 303 et 304, s'adresse, inter alia, aux arguments de l'appelant selon lesquels les travaux préparatoires de la Convention [The Collected Travaux Préparatoires for the 1951 Geneva Convention Relating to the Status of Refugees] soutiennent une interprétation restrictive de la section Fb) de l'article premier:
[traduction] Je conviens que, à l'époque où la Convention relative au statut des réfugiés a été rédigée, la communauté internationale avait exprimé l'avis que les personnes qui cherchent à échapper à des poursuites concernant des infractions criminelles graves ne devraient avoir ni le droit d'asile pour des raisons de persécution, ni la protection de l'OIR. Mais ce fait n'est pas déterminant pour savoir si l'alinéa 1Fb) de la Convention relative au statut des réfugiés, pris dans son contexte, avait pour but d'exclure seulement de telles personnes de la protection offerte par la Convention relative au statut des réfugiés, au motif qu'ils se distinguent de ceux qui ont commis des crimes graves en dehors du pays d'accueil. Comme le reconnait Grahl-Madsen (p. 290), le libellé de l'alinéa 1Fb) de la Convention relative au statut des réfugiés (contrairement à l'alinéa 7d) du Status du Haut Commissariat) ne parle aucunement d'extradition. Il ne renvoie pas non plus à l'existence de quelque traité d'extradition que ce soit entre les pays en question. Cela contraste avec les avant-projets précédents de conventions relatives au statut des réfugiés qui comprenaient des renvois exprès au paragraphe 14(2) de la Déclaration universelle des droits de l'homme: voir le mémoire du Secrétaire général des Nations Unies au Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes du Conseil économique et social des Nations Unies, l'article 3 de l'avant-projet de convention relative au statut des réfugiés et le commentaire (3 janvier 1950, Doc. Des Nations Unies E/A 32/2, p. 22); France: article 1 de la proposition [au Comité spécial] concernant un avant-projet de convention (17 janvier 1950, Doc. des Nations Unies E/AC 32/L.3, p. 3).
[. . .] Un examen minutieux des débats appuie la remarque de Goodwin-Gill selon laquelle «les travaux préparatoires n'offrent pas de réponse ferme» en ce qui a trait à la portée envisagée de l'alinéa 1Fb): G. Goodwin-Gill, The Refugee in International Law (2e éd., 1996), p. 104.
[. . .]
Comme c'est souvent le cas, te lexte de l'alinéa 1Fb) de la Convention relative au statut des réfugiés a représenté un compromis face à des opinions divergentes. Un courant de pensée important voulait que le pays d'accueil ne soit pas obligé d'accorder le statut de réfugié aux personnes ayant commis des crimes graves en dehors de ce pays. La formulation a finalement reflété cette opinion. En résumé, les travaux préparatoires n'appuient pas l'avis que l'alinéa 1Fb) devrait être interprété de façon à être restreint aux personnes qui ont commis des crimes de nature à justifier l'extradition ou qui cherchent à échapper à des menaces de poursuites. Par conséquent, le premier argument de l'appelant devrait être rejeté. [Le souligné est le mien.]
[84]Suite à une lecture attentive des travaux préparatoires, je ne peux qu'être en accord avec G. Goodwin-Gill lorsqu'il affirme dans son ouvrage, The Refugee in International Law, que les travaux préparatoires n'apportent aucune réponse claire quant à la portée de la section Fb) de l'article premier. Par conséquent, je ne puis accepter l'opinion du professeur Hathaway, qui a semblé trouver faveur auprès des juges Bastarache et La Forest dans Pushpanathan, supra, et Ward, supra, selon laquelle l'exclusion sous la section Fb) de l'article premier serait limitée aux personnes accusées de crimes graves de droit commun cherchant à échapper à des poursuites.
[85]Quant à la deuxième question, soit celle concernant la particularisation et l'identification précise du crime reproché au revendicateur, le juge Branson y répond de façon spécifique à la page 301:
[traduction] À mon avis, les termes de l'alinéa 1Fb) donnent à penser qu'il n'y a aucune exigence à ce que chaque élément d'une infraction particulière soit précisé et individualisé avant qu'il soit possible d'invoquer cet alinéa. L'exigence est qu'il doit exister «des raisons sérieuses de penser» que la personne demandant l'asile «[a] commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admis[e]». La question de savoir s'il existe des raisons sérieuses de penser ainsi dépendra de l'ensemble des témoignages et des documents présentés au décideur. [Le souligné est le mien.]
[86]Il est à souligner que les juges Branson et Whitlam étaient d'avis que les décisions de la Cour suprême du Canada dans Ward, supra et Pushpanathan, supra, n'étaient pas déterminantes vu, inter alia, que l'interprétation de la section Fb) de l'article premier n'était pas en litige dans l'une ou l'autre de ces causes (voir la page 294, pour les motifs du juge Whitlam, et la page 300, pour ceux du juge Branson).
[87]La décision de la Cour fédérale d'Australie va dans le même sens que celle de la Cour d'appel de l'Angleterre dans B, Re, supra. Ces deux décisions appuient l'interprétation à laquelle l'intimé nous demande de souscrire. Je désire conclure ma révision jurisprudentielle en soulignant que la Deuxième Chambre française de la Commission permanente de recours des réfugiés (la Commission) en arrivait, relativement à l'interprétation de la section Fb) de l'article premier de la Convention, à une conclusion similaire à celle des tribunaux anglais et australien dans un dossier concernant un revendicateur algérien, membre du FIS. (Réf.: 94/993/R2632--28 mars 1995).
[88]Dans cette affaire, le revendicateur demandait le statut de réfugié en France. L'histoire qu'il présentait devant le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (le Commissaire général) était qu'en 1993, craignant d'être expulsé du Pakistan, où il travaillait au sein d'organisations humanitaires d'aide aux réfugiés afghans, vu la décision du gouvernement pakistanais d'expulser tout militant islamiste originaire d'un pays arabe, il prit la décision de chercher asile en Europe.
[89]Le Commissaire général se fondant, inter alia, sur un rapport de l'ambassade de Belgique à Islamabad, selon lequel le FIS était une organisation impliquée dans le terrorisme international, concluait, le 8 juillet 1994, que le revendicateur devait être exclu sous la section F de l'article premier de la Convention.
[90]Devant la Commission, la Belgique, intervenant au dossier, demandait le maintien de la décision du Commissaire général et soumettait, inter alia, qu'il existait des raisons sérieuses de penser que le revendicateur avait entretenu en Belgique des liens avec des mouvements islamistes radicaux prônant la violence. Selon la Belgique, cet élément contredisait l'histoire du revendicateur qu'il était un humaniste et un pacifiste qui n'avait aucun lien avec la frange violente du mouvement auquel il était associé.
[91]En concluant que la décision du Commissaire général devait être confirmée et que, par conséquent, le revendicateur devait être exclu sous la section F de l'article premier de la Convention, la Commission faisait les remarques suivantes:
Considérant que l'application de la clause d'exclusion [la section F de l'article premier de la Convention] telle que définie par la Convention de Genève relève du pouvoir discrétionnaire de chaque État, la seule condition étant l'existence de «raisons sérieuses de penser» que l'intéressé s'est rendu coupable de l'un des actes proscrits (cfr. Notamment, J.C. Hathaway, "The Law of Refugee Status", Butterworths, Toronto et Vancouver, 1991, p. 206; D. Ramacieri "Jurisprudence récente en Droit canadien sur la clause d'exclusion 1, F.A. de la Convention de 1951", Doc-Réf. 21/30 avril 1992, suppl. Au no 181, p. 2);
[. . .] qu'elle ne concerne pas uniquement les auteurs directs des crimes énumérés mais peut aussi frapper des complices ou des membres d'organisations criminelles jugées collectivement responsables de tels actes, pour autant qu'ils aient agi en connaissance des objectifs criminels poursuivis et qu'aucune circonstance particulière n'exonérât leur responsabilité (cfr. F. Schyder "The status of Refugees in International Law"; A.W. Sijthoff, Leyden 1955, p. 277 qui applique ce raisonnement à l'art. 1, F, a) par référence aux articles 6, 9 et 10 du Statut du tribunal militaire international de Nûremberg);
[. . .]
Considérant, quant au présent cas d'espèce, que les informations contenues au dossier concernant les organisations et ainsi que celles se rapportant aux préventions à charge du requérant constituent des indications donnant à penser que ce dernier pourrait être impliqué dans un réseau terroriste international directement lié aux mouvements islamistes violents sévissant en Algérie;
que ceux-ci organisent, perpètrent et revendiquent des attentats, meurtres et autres crimes commis sur une grande échelle;
que ces agissements, outre qu'ils portent atteinte aux premiers des droits humains, le droit à la vie et le droit à l'intégrité physique, [. . .]
qu'ils peuvent être aussi définis comme crimes graves de droit commun [. . .]
que la Commission estime que la Convention de Genève ne peut avoir pour objet de protéger ceux qui se rendent coupables ou complices de tels actes;
que la circonstance que le requérant n'a pas directement participé à ces actes est sans incidence dès lors qu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'il les a sciemment encouragés et facilités par son aide matérielle;
que les violations des droits de l'homme imputées aux autorités algériennes ne l'exonèrent pas de sa responsabilité; [Le souligné est le mien.]
[92]Je n'ai donc aucune hésitation à conclure qu'il n'y a pas lieu de faire de distinction entre les sections Fa) et Fb) de l'article premier, en ce qui concerne les principes énoncés par cette Cour dans Sivakumar, supra. Il est à remarquer, en premier lieu, que les deux alinéas s'adressent à la perpétration de crimes graves. Afin d'en faciliter la consultation, je reproduis la section F de l'article premier de la Convention:
Arcicle premier
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:
a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;
c) qu'elle se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
[93]La section Fa) de l'article premier réfère à un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Ces crimes sont tous, il va sans dire, des crimes que l'on ne peut que qualifier comme étant des crimes graves. Quant à la section Fb) de l'article premier, l'exclusion résultera de la commission, par un demandeur du statut de réfugié, d'un crime grave de droit commun. Les deux alinéas qualifient la nature des crimes qui résulteront en une exclusion de la personne les ayant commis.
[94]Afin d'exclure les personnes qui sont visées par les sections Fa) et Fb) de l'article premier, il sera nécessaire de démontrer qu'il existe des «raisons sérieuses de penser» que des crimes graves identifiés ont été commis, mais sans qu'il ne soit nécessaire d'en imputer un spécifiquement au revendicateur. Ce test s'applique tant à la section Fa) qu'à la section Fb) de l'article premier. Le paragraphe 149 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du Haut commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (Guide du HCNUR) traite du degré de preuve requis pour exclure une personne sous la section F de l'article premier de la Convention:
149. C'est à l'État contractant sur le territoire duquel l'intéressé demande la reconnaissance de son statut de réfugié qu'il appartient de décider si celui-ci tombe sous le coup de l'une ou l'autre de ces clauses d'exclusion. Pour que ces clauses s'appliquent, il suffit d'établir qu'il y a «des raisons sérieuses de penser» que l'un des actes visés par ces clauses a été effectivement perpétré.
[95]Donc, dans le cadre d'une exclusion fondée sous la section Fb) de l'article premier, la section du statut sera justifiée d'exclure un revendicateur de la protection de réfugié si elle a des raisons sérieuses de penser qu'un crime grave de droit commun a été commis pour lequel le revendicateur peut être tenu responsable.
[96]À mon avis, l'interprétation de la section Fb) de l'article premier que le demandeur nous demande d'adopter va à l'encontre du texte même de la section. En outre, cette interprétation a été rejetée de façon catégorique par la Cour d'appel de l'Angleterre et par la Cour fédérale de l'Australie, et je suis entièrement d'accord avec les motifs énoncés par ces tribunaux au soutien de leur interprétation de la section Fb) de l'article premier. Vu le texte de la section Fb) de l'article premier et les décisions dans B, Re, supra, et Ovcharuk, supra, je ne puis souscrire à l'interprétation de la section Fb) de l'article premier que nous propose l'appelant.
[97]Nous ne sommes évidemment pas liés par les décisions anglaise et australienne. Par ailleurs, comme je viens de l'indiquer, je partage le point de vue de ces tribunaux quant à l'interprétation de la section Fb) de l'article premier et il va sans dire qu'il est préférable, lorsque possible, que les tribunaux de pays signataires d'une convention internationale adoptent la même interprétation des dispositions de cette convention. Dans T. v. Secretary of State for the Home Department, supra, lord Lloyd exprimait ce point de vue au paragraphe 87:
[traduction] Dans une affaire portant sur une convention internationale, il est évidemment souhaitable que les décisions dans différents ressorts concordent autant que possible entre elles. [. . .]
[98]Par conséquent, la réponse à la première question certifiée par la juge sera un oui.
[99]Il ne me reste qu'à disposer de la troisième question en litige, à savoir si les crimes commis par le MTI/Ennahda peuvent être imputés à l'appelant à titre de complice par association. Cette question englobe la deuxième question certifiée par la juge de première instance, que je reproduis à nouveau pour en faciliter la consultation:
Dans l'affirmative, l'association d'un revendicateur du statut de réfugié avec une organisation responsable de la perpétration de «crimes graves de droit commun» au sens de cette expression figurant à la section Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugié, peut-elle emporter complicité de ce revendicateur pour les fins de l'application de cette même disposition, du simple fait qu'il a sciemment toléré ces crimes, que ceux-ci aient été commis pendant ou avant son association avec l'organisation en cause?
[100]Comme le disait le juge Décary dans Bazargan, supra, la réponse à une telle question dépend nécessairement des faits de la cause. En l'instance, à la lumière de la preuve, la section du statut a conclu que l'appelant devait être tenu responsable, à titre de complice par association, des crimes imputés au MTI/Ennahda.
[101]Au soutien de sa conclusion, la section du statut s'est fondée sur une preuve abondante que j'ai particularisée, inter alia, au paragraphe 22 de mes motifs. En outre, la section du statut n'a donné aucun poids au témoignage de l'appelant. Selon la section du statut, l'appelant n'était pas un simple membre du mouvement, mais quelqu'un qui occupait des fonctions importantes. Vu son rôle au sein du mouvement, vu qu'il n'a jamais quitté le mouvement, même s'il avait eu la possibilité de le faire, et vu le fait qu'au moment de l'audition devant la section du statut, il était toujours membre du mouvement, la section a conclu qu'il devait être tenu responsable par association pour les crimes imputés au MTI/Ennahda. De plus, la section du statut était d'avis qu'en l'espèce, la simple appartenance de l'appelant au mouvement était suffisante pour le rendre responsable, puisque le MTI/Ennahda visait principalement des fins limitées et brutales.
[102]Puisque je n'ai pas été convaincu que ces conclusions de fait de la section du statut sont déraisonnables, je ne peux que conclure que les crimes imputés au MTI/Ennahda peuvent être imputés à l'appelant à titre de complice par association, selon les principes énoncés dans Sivakumar, supra.
[103]Étant donné la conclusion à laquelle j'en suis venu, soit que l'appelant a sciemment toléré sinon encouragé par ses fonctions les crimes graves de droit commun reprochés à son organisation depuis 1983, il n'est pas nécessaire de répondre à la deuxième question telle que formulée et de décider si sa responsabilité s'étend aux crimes commis avant son association avec le MTI/Ennahda.
[104]Dans les circonstances, il n'y aura pas lieu, comme je l'ai indiqué plus tôt, de disposer des questions relatives à l'interprétation de la section Fc) de l'article premier de la Convention.
[105]Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
Le juge Létourneau, J.C.A.: Je suis d'accord.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
[106]Le juge Décary, J.C.A.: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement préparés par mon collègue, le juge Nadon. J'en arrive à la même conclusion que lui relativement au sort de l'appel, mais pour des motifs différents, ce qui m'amènera à donner une réponse différente à la première question certifiée. Quant aux autres points dont il a traité, j'en disposerais de la manière qu'il propose. Je m'en remets par ailleurs à son exposé des faits.
[107]Il sera utile de rappeler au départ quelles sont les deux questions qu'a certifiées le juge des requêtes [au paragraphe 160]:
[Question 1]
Les principes énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sivakumar c. Canada, [1994] 1 C.F. 433 quant à la complicité par association pour les fins de l'application de la section Fa) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés sont-ils applicables aux fins d'une exclusion en vertu de la section Fb) de l'article premier de cette même Convention?
[Question 2]
Dans l'affirmative, l'association d'un revendicateur du statut de réfugié avec une organisation responsable de la perpétration de «crimes graves de droit commun», au sens de cette expression figurant à la section Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, peut-elle emporter complicité de ce revendicateur pour les fins de l'application de cette même disposition, du simple fait qu'il a sciemment toléré ces crimes, que ceux-ci aient été commis pendant ou avant son association avec l'organisation en cause?
et de reproduire les extraits pertinents du paragraphe 2(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1) de la Loi sur l'immigration et de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention):
Loi sur l'immigration
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
[. . .]
«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;
b) n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).
Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi. [Mon soulignement.]
Convention des Nations Unies relative au statut
des réfugiés
Article premier
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:
a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;
c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
[108]Ma conclusion, en quelques mots, est la sui-vante:
- les crimes et agissements que visent les sections Fa) et Fc) de l'article premier de la Convention sont des actes extraordinaires qui heurtent la conscience internationale;
- les crimes que vise la section Fb) de l'article premier sont les crimes ordinaires que reconnaît le droit pénal traditionnel;
- pour qu'il y ait «crime grave de droit commun» au sens de la section Fb) de l'article premier, il faut qu'il y ait un crime au sens du droit pénal traditionnel, que ce crime ne soit pas politique (l'expression «droit commun» est rendue par «non-political» dans le texte anglais) et que ce crime non politique soit grave;
- la section Fb) de l'article premier recherche, entre autres objectifs, celui de permettre au pays d'accueil d'exclure les auteurs de crimes de droit commun qu'il juge indésirable d'accueillir sur son territoire en raison de la gravité des crimes qu'il les soupçonne d'avoir commis;
- la section Fb) de l'article premier ne se limite pas aux cas d'extradition ni aux crimes associés à l'extradition, encore qu'il soit à toutes fins utiles acquis que les crimes associés à l'extradition sont des crimes graves;
- la complicité est un mode de perpétration d'un crime. Le concept de «complicité par association» a été développé en droit pénal international en relation avec des crimes ou des agissements internationaux de l'ampleur de ceux visés aux sections Fa) et Fc) de l'article premier de la Convention. Le concept de «partie à l'infraction» a été développé en droit pénal traditionnel anglo-saxon relativement aux crimes de droit commun visés à la section Fb) de l'article premier de la Convention;
- il ne serait pas sage d'importer dans la définition de «crime de droit commun», à la section Fb) de l'article premier, le concept de complicité par association développé en droit pénal international dans le contexte de crimes internationaux qui sont sans commune mesure avec les crimes de droit commun et qui font appel à des normes étrangères au droit pénal traditionnel;
- le ministre n'ayant pas cherché à démontrer qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que l'appelant était, en vertu des règles du droit pénal canadien, partie aux crimes commis par le mouvement Ennahda, il ne serait pas opportun de se prononcer en l'espèce sur l'application de la section Fb) de l'article premier;
- le ministre, cependant, a démontré, sur la base d'une complicité par association au sens du droit pénal international, qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que l'appelant s'était rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, à savoir les actes de terrorisme commis par le mouvement Ennahda. L'exclusion de la section Fc) de l'article premier trouve donc application.
[109]Je me suis inspiré, dans la rédaction de ces motifs, de nombreux ouvrages, articles et publications. Le sens général à donner à la section Fb) de l'article premier ne fait pas l'unanimité et le consensus, quand il en est, n'est pas toujours facile à cerner. Ce qui est certain, toutefois, c'est qu'il s'agit d'un domaine en constante mouvance, qu'il faut lire avec prudence les textes plus anciens et qu'il faut éviter, si je puis dire, de mettre tous ses oeufs dans le panier d'un même auteur. Il faut comprendre, aussi, que la disparité résulte du système lui-même, qui veut que ce soient les tribunaux des pays d'accueil plutôt qu'une instance internationale qui interprètent la Convention, en fonction, inévitablement, de leur culture juridique propre. Il est vrai que l'uniformité doit, en principe, être recherchée quand il s'agit d'interpréter un document international; elle serait atteinte en l'espèce si, comme je le crois, les tribunaux des États signataires reconnaissaient l'intention des auteurs de la Convention d'interpréter le mot «crime», à la section Fb) de l'article premier, à la lumière du droit interne. Par la suite, bien sûr, le sens du mot «crime» pourra varier selon les États. C'est ce que favorise le système, ce qui se comprend aisément quant on sait qu'il s'agit de déterminer contre quels types de criminels un pays d'accueil estime devoir se protéger. Lorsqu'une convention internationale renvoie au droit interne, la règle qui veut qu'une telle convention ne s'interprète pas à la lumière d'un seul système juridique ne s'applique évidemment pas.
[110]J'ai consulté, notamment: Takkenberg, Alex and Christopher C. Tahbaz. The Collected Travaux Préparatoires of the 1951 Geneva Convention Relating to the Status of Refugees. vols. 1-3, Amsterdam: Dutch Refugee Council, 1990; Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Genève, 1992; La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés 50 ans après: Bilan et Perspectives, publication de l'Institut international des droits de l'homme, Bruxelles, 2001; Gilbert, Geoff «Current Issues in the Application of the Exclusion Clauses», une étude préparée à la demande du Haut Commissariat et destinée à une table ronde organisée en 2001 à l'occasion du 50e anniversaire de la Convention (2001), en ligne: UNHCR <http://www.unhcr.ch>; International Journal of Refugee Law, Vol. 12 Supplement 1 «Exclusion from Protection», Oxford University Press, 2000; van Peter J. Krieken, Refugee Law in Context: The Exclusion Clause, Cambridge: T.M.C. Asser Press, 1999; Guy S. Goodwin-Gill, The Refugee in International Law, 2nd ed., Oxford: Clarendon Press, 1996; James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, Toronto: Butterworths, 1991; Atle Grahl-Madsen, The Status of Refugees in International Law, Leyden: A. W. Sijthoff, 1966; M. C. Bassiouni, Crimes Against Humanity in International Criminal Law, LaHaye: Kluwer Law International, 1999; M.C. Bassiouni, International Criminal Law, vol. 1, 2nd ed. (New York: Transnational Publishers, 1999).
Remarques préliminaires
[111]C'est la première fois, à ma connaissance, que cette Cour se penche sur le concept de «complicité par association», reconnu en droit pénal international, dans le contexte de la section Fb) de l'article premier de la Convention. Dans Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508 (C.A.), la Cour avait à décider dans quels cas un crime de droit commun cesse de l'être, aux fins de la section Fb) de l'article premier, pour le motif qu'il est de nature politique. Dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), la Cour était appelée à décider si la section Fb) de l'article premier s'applique de manière à exclure un revendicateur qui avait été déclaré coupable d'avoir commis un crime grave de droit commun à l'étranger et qui avait purgé sa peine avant de venir au Canada. Dans Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 190 N.R. 230 (C.A.F.), la Cour s'est contentée de rappeler qu'en vertu de la section Fb) de l'article premier, tout comme en vertu des sections Fa) et Fc) de l'article premier, la gravité du crime n'était pas déterminée en fonction de la crainte alléguée de persécution. Dans Brzezinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 535, une décision de la Section de première instance, le juge Lutfy a examiné les critères qui permettent de conclure qu'un crime reconnu en droit pénal canadien est un crime «grave» au sens de la section Fb) de l'article premier. Je reviendrai sur Gil et Chan.
[112]Les procureurs des parties nous ont soumis une vingtaine de décisions émanant d'autres juridictions. Celles qui nous éclairent le plus sur le sens général à donner à la section Fb) de l'article premier sont la décision de la Chambre des lords d'Angleterre dans T. v. Secretary of State for the Home Department, [1996] 2 All E.R. 865, celle de la Haute Cour d'Australie dans Minister for Immigration and Multicultural Affairs v. Singh (2002), 186 ALR 393, celle de la Cour suprême des États-Unis dans Immigration and Naturalization Service v. Aguirre-Aguirre, 526 U.S. 415 (1999), et celle de la Cour fédérale d'Australie dans Ovcharuk v. Minister for Immigration and Multicultural Affairs (1998), 158 ALR 289. Ces décisions donnent une vue d'ensemble plus complète que celle qui se retrouve dans deux arrêts de la Cour suprême du Canada, sur lesquels je reviendrai, Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, rendus dans des affaires où la section Fb) de l'article premier n'était pas en litige et n'a fait l'objet que de remarques incidentes.
[113]Aucune des décisions qui nous ont été citées, et je n'en ai trouvé aucune autre, n'a traité directement de la question qui se soulève ici, savoir: doit-on appliquer les règles de complicité du droit pénal traditionnel ou les règles de complicité du droit pénal international pour déterminer s'il y a «crime» au sens de la section Fb) de l'article premier? Les seuls propos que j'ai retracés qui traitent directement de cette question sont des remarques incidentes énoncées par le juge Sackville, de la Cour fédérale d'Australie, à la page 306 de ses motifs dans Ovcharuk. Ces propos, qui rejoignent ma conclusion, seront examinés plus loin, au paragraphe 162.
[114]Aussi faut-il prendre garde, lorsqu'on cherche à déterminer si les règles internationales de complicité par association s'appliquent à l'exclusion prévue par la section Fb) de l'article premier, de recourir à ces arrêts, nombreux, qui ont été rendus sur la question de savoir s'il s'agissait d'un crime politique plutôt que d'un crime ordinaire.
[115]Ainsi, par exemple, dans T., supra, lord Lloyd of Berwick (à la page 899) a appliqué la section Fb) de l'article premier à un revendicateur qui était [traduction] «un membre actif d'une organisation terroriste qui était prête à réaliser ses buts par la tuerie aveugle» et qui était «étroitement lié à l'attaque contre l'aréoport». Ce qui était contesté, dans cette affaire, était le caractère politique du crime, pas le fait qu'il se serait agi d'un crime en droit pénal anglais s'il n'était pas politique. La question de la norme applicable pour déterminer la complicité n'a pas été examinée.
[116]Dans Aguirre-Aguirre, supra, le revendicateur avait reconnu qu'il avait lui-même brûlé des autobus, agressé des passagers et détruit de la propriété privée, et ce à des fins, prétendait-il, politiques. La Cour suprême des États-Unis, en s'employant à décider si les crimes commis étaient de nature politique, s'est demandée, notamment, [traduction] «si l'aspect politique d'une infraction l'emporte sur son caractère de droit commun» (au paragraphe 33, mon soulignement).
[117]De même, dans Singh, supra, les conclusions de fait du tribunal de première instance étaient à l'effet que le témoignage du revendicateur lui-même (juge en chef Gleeson, au paragraphe 6):
[traduction] [. . .] donnait des raisons sérieuses de penser qu'il était un complice dans le meurtre d'un agent de police et qu'il avait sciemment participé dans le transport d'armes et d'explosifs utilisés pour «frapper» des gens qui constituaient des «cibles» pour le FLK. [ Mon soulignement.]
et la Cour acceptait au départ cette conclusion du tribunal voulant que (au paragraphe 9):
[traduction] [. . .] Le demandeur avait sciemment et activement participé au meurtre de l'agent de police. Le demandeur a fait cela en fournissant de l'information et des renseignements se rapportant aux allées et venues de l'agent de police dans le but, sciemment, de faciliter son meutre par d'autres membres du FLK. [Mon soulignement.]
Des propos du juge McHugh, au paragraphe 54:
[traduction] Le meurtre du policier a été commis de sang-froid et M. singh a joué un rôle important dans son exécution.
du juge Kirby, au paragraphe 126:
[traduction] Étant donné que ce dont il est question, c'est d'un «crime grave» et que, habituellement, le «pays d'accueil» aurait parfaitement le droit d'exclure de sa communauté une personne soupçonnée d'une telle «conduite criminelle», l'obligation de protection envers les réfugiés, qui existe en vertu de la Convention et du droit municipal lui donnant effet, doit survenir dans les circonstances où l'élément politique peut être vu comme l'emportant sur la nature de l'infraction en tant que crime ordinaire.
et du juge Callinan, au paragraphe 167:
[traduction] Il s'agit d'un crime d'une violence certaine [. . .]. Il était, à tout le moins et, en appliquant le critère Briginshaw que j'estime approprié, un complice du crime de meurtre ou un comploteur dans un plan de meurtre et, selon un point de vue, un important participant et, par conséquent, au auteur du crime de meurtre. [Mon soulignement; notes omises.]
Il ressort clairement que la Cour était d'avis qu'il y avait complicité au sens du droit pénal australien. Cela est d'autant plus évident quand on constate que la jurisprudence sur laquelle le juge Callinan s'appuie se fonde uniquement sur le droit interne australien.
Objectifs de la section F de l'article premier de la Convention en général, et de la section Fb) de l'article premier en particulier
[118]Ma lecture de la jurisprudence, de la doctrine et, bien sûr, quoi qu'il ait souvent été négligé, du texte même de la section F de l'article premier de la Convention, m'amène à conclure que cette section vise à réconcilier différents objectifs que je me permets de résumer comme suit: s'assurer que les auteurs de crimes internationaux ou d'agissements contraires à certaines normes internationales ne puissent se réclamer du droit d'asile; s'assurer que les auteurs de crimes ordinaires commis pour des motifs foncièrement politiques puissent trouver refuge dans un pays étranger; s'assurer que le droit d'asile ne soit pas utilisé par les auteurs de crimes ordinaires graves afin d'échapper au cours normal de la justice locale; et s'assurer que le pays d'accueil puisse protéger sa propre population en fermant ses frontières à des criminels qu'il juge indésirables en raison de la gravité des crimes ordinaires qu'il les soupçonne d'avoir commis. C'est ce quatrième objectif qui est véritablement en cause dans ce litige. (Je note, en passant, que les expressions «crimes ordinaires» et «crimes non politiques» sont synonymes de l'expression «crimes de droit commun» et sont employés indistinctement dans la doctrine et la jurisprudence.)
[119]Ces objectifs sont complémentaires. Le premier indique que la communauté internationale n'a pas voulu que ceux par qui la persécution arrivait profitent d'une Convention qui vise à protéger les victimes de leurs crimes. Le second indique que les signataires de la Convention acceptent ce principe fondamental du droit international que l'auteur d'un crime politique, même d'une extrême gravité, a le droit d'échapper aux autorités de l'État où il a commis son crime, la prémisse étant que cette personne ne saurait être jugée équitablement dans cet État et serait persécutée. Le troisième indique que les signataires n'acceptent pas que le droit d'asile soit transformé en garantie d'impunité au profit de criminels de droit commun dont la crainte réelle n'est pas d'être persécutés, mais d'être jugés par le pays qu'ils cherchent à fuir. Le quatrième indique que les signataires, s'ils sont prêts à sacrifier leur souveraineté, voire leur sécurité, quand il s'agit d'auteurs de crimes politiques, entendent au contraire les préserver, pour des raisons de sécurité et de paix sociale, quand il s'agit d'auteurs de crimes ordinaires graves. Ce quatrième objectif indique aussi que les signataires ont voulu s'assurer que la Convention soit acceptée par la population d'accueil qui ne risque pas d'être forcée, sous le couvert du droit d'asile, à côtoyer des individus particulièrement dangereux.
[120]À l'instar de mon collègue, je ne crois pas que l'opinion du juge La Forest, dans Ward, supra, à la page 743, relativement à la portée de la section Fb) de l'article premier soit déterminante. Ses propos relativement à cette section se résument à ceci:
La formulation de cette exclusion pour la «perpétration» d'un crime peut être mise en contraste avec l'art. 19 de la Loi, qui parle de «déclarations de culpabilité» relatives à des crimes. Hathaway, op. cit., à la p. 221, interprète cette exclusion comme visant [traduction] «les personnes qui sont passibles de peines, dans un autre État, pour avoir commis un véritable crime grave, et qui cherchent à se soustraire à leur responsabilité criminelle légitime en revendiquant le statut de réfugié». En d'autres termes, Hathaway semblerait limiter l'application de l'al. b) aux personnes accusées qui cherchent à échapper à des poursuites. La question de l'interprétation de cette modification n'a pas été débattue devant nous. Toutefois, je remarque que l'interprétation du professeur Hathaway semble être compatible avec le point de vue exprimé dans les Travaux préparatoires, au sujet du besoin de conformité entre la Convention et le droit en matière d'extradition; voir la déclaration du délégué Henkin des États-Unis, doc. des Nations-Unies E/AC.32/SR.5 (30 janvier 1950), à la p. 5. [Mon soulignement.]
[121]Ces propos sont, de toute évidence, une remarque incidente. En indiquant que «[l]a question de l'interprétation de cette modification n'a pas été débattue devant nous» (mon soulignement), le juge La Forest renvoyait à la modification apportée à la Loi sur l'immigration, en 1988 (L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1, 34)), par laquelle la définition de réfugié, au paragraphe 2(1), excluait désormais les personnes visées aux sections E et F de l'article premier de la Convention. Le renvoi à la «modification» signifie donc, à toutes fins utiles, le renvoi à la section Fb) de l'article premier. Ce commentaire incident a été émis dans le cadre d'une discussion portant sur l'expression «groupe social» qu'on retrouve dans la définition de «réfugié». Qui plus est, ce commentaire ne cite comme appui que l'opinion de Hathaway et le point de vue d'un délégué, émis, non pas lors de la Conférence des plénipotentiaires tenue du 2 au 25 juillet 1951, mais lors d'une des 32 réunions du premier Comité ad hoc, tenue le 30 janvier 1950. (Ce point de vue est rapporté au volume I des Travaux préparatoires, à la page 175.)
[122]Je crois aussi, comme mon collègue, que le juge Bastarache, dans Pushpanathan, supra, n'a pas voulu limiter aux personnes susceptibles d'extradition l'application de la section Fb) de l'article premier lorsqu'il a écrit, au paragraphe 73, que:
De toute évidence, la section Fb) est généralement censée empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d'extradition en vertu d'un traité puissent revendiquer le statut de réfugié, mais cette exclusion est limitée aux crimes graves commis avant l'entrée dans le pays d'accueil. Goodwin-Gill, op. cit., à la p. 107, dit ceci:
[traduction] En vue de favoriser l'uniformité des décisions, le HCNUR a proposé que, lorsqu'aucun facteur politique ne joue, une présomption de crime grave puisse découler de la preuve de la perpétration de l'une ou l'autre des infractions suivantes: l'homicide, l'agression sexuelle, l'attentat à la pudeur d'un enfant, les coups et blessures, le crime d'incendie, le trafic des drogues et le vol qualifié.
Les parties ont voulu s'assurer que les criminels de droit commun ne puissent pas se soustraire à l'extradition et aux poursuites en demandant le statut de réfugié.
[123]Le commentaire de Goodwin-Gill auquel le juge Bastarache se réfère traite de la présomption de gravité, laquelle peut découler de la preuve de la perpétration d'un crime généralement visé par les traités d'extradition. Mais plus haut, à la page 104, Goodwin-Gill avait reconnu, quant à la nature des crimes, que les travaux préparatoires «[traduction] n'offre pas de réponse ferme» et que, parmi les objectifs recherchés par la section Fb) de l'article premier, se trouvait le suivant:
[traduction] En fin de compte, le principe justifiant le maintien de l'exclusion des criminels graves de droit commun trouve son fondement dans la nécessité de protéger l'intégrité du système international de protection des réfugiés. La perpétration d'un crime grave de droit commun peut constituer un motif suffisant à l'exclusion parce que cela démontre qu'il y a un danger potentiel pour la société de l'État d'accueil ou parce que l'essence même et les circonstances du crime justifient en soi l'exclusion, sans égard à l'extradition, à des poursuites, à la peine ou à la non-justiciabilité. [Mon soulignement.]
[124]Ces propos de Goodwin-Gill se rapprochent de ceux de Grahl-Madsen, à la page 291. Après avoir souligné que les auteurs de la Convention avaient à dessein choisi de ne pas limiter la section Fb) de l'article premier aux cas d'extradition, il dira:
[traduction] De la manière dont l'alinéa 1Fb) est rédigé, il est évident qu'il est sans importance de savoir si la personne intéressée est alors recherchée pour quelque crime en particulier et cela importe encore moins de savoir s'il existe quelque traité d'extradition que ce soit entre les pays en question en vertu duquel son extradition peut être demandée.
[125]Il est certain que la question de l'extradition a été au coeur des débats et le juge Bastarache n'a pas tort d'y attacher une grande importance. Le fait demeure, cependant, que les auteurs de la Convention avaient d'autres préoccupations à réconcilier, ce qu'ils ont fait en employant, justement, des termes qui vont au-delà de la seule préoccupation d'extradition.
[126]Il aurait d'ailleurs été étonnant que les signataires, qui ont expressément discuté d'extradition lors des travaux préparatoires, aient ignoré ce terme lors de l'adoption du texte final si leur intention était de limiter l'application de cet article aux cas d'extradition ou aux crimes définis dans les traités d'extradition. Une interprétation plus respectueuse, je pense, de l'intention des signataires serait que le mot «crime» ait été utilisé pour viser tout crime reconnu dans le droit pénal ordinaire, et que le mot «grave» ait été utilisé pour s'assurer que seuls justifient l'exclusion ces crimes ordinaires dont la gravité rejoint celle des crimes généralement associés à l'extradition. C'est sur la «gravité» du crime que les signataires ont mis l'accent, pas sur le fait que ce crime soit formellement susceptible d'être, ou qu'il ait été, l'objet de procédures en extradition.
[127]Je ne suis pas certain, avec égards, que la décision de cette Cour dans Chan, supra, puisse avoir la portée que lui prête le procureur de l'appelant. D'une part, en effet, cette décision s'appuie sur les arrêts Ward et Pushpanathan et sur Hathaway pour en tirer à toutes fins utiles la prémisse, qui m'apparaît discutable, que la section Fb) de l'article premier vise essentiellement les cas d'extradition. D'autre part, elle s'appuie sur les articles 19 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2; 1996, ch. 19, art. 83], 46 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35] et 53 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12] de la Loi sur l'immigration pour en venir à la conclusion que la section Fb) de l'article premier ne s'applique pas aux revendicateurs qui ont été déclarés coupables d'avoir commis un crime à l'étranger et ont purgé leur peine avant de venir au Canada. Or, ces articles ne couvrent pas la situation dans laquelle se trouve l'appelant. Ce dernier, en effet, n'a pas été déclaré coupable d'une infraction grave avant de venir au Canada (le ministre n'a pas prétendu que le procès et la condamnation par contumace de l'appelant après son départ de la Tunisie relativement à une série d'accusations qui, par surcroît, n'ont pas été portées relativement aux crimes ici reprochés à l'organisation dont l'appelant est membre, constituaient une déclaration de culpabilité relative à une infraction grave).
[128]Bref, la Cour, dans Chan, traitait d'une situation différente et les commentaires qu'elle a émis relativement à la section Fb) de l'article premier de la Convention doivent être lus avec prudence, cet article, à sa face même, visant davantage de cas que ceux que vise la loi canadienne dans les trois articles précités. Il ne fait pas de doute, par ailleurs, ainsi que l'a décidé la Cour dans Chan, que le pays d'accueil peut très certainement décider de ne pas exclure l'auteur d'un crime grave de droit commun qui aurait déjà été condamné et qui aurait déjà purgé sa peine. Je ne crois pas, cependant, que la Cour ait décidé que le pays d'accueil ne pouvait pas décider d'exclure, quelles que soient les circonstances, l'auteur d'un crime grave de droit commun dès lors qu'il aurait été condamné et qu'il aurait purgé sa peine.
[129]Il est dès lors facile à comprendre pourquoi, en ce qui a trait aux «crimes de droit commun», les tribunaux des pays signataires ont eu tendance à s'inspirer de traités d'extradition pour en définir la gravité, et pourquoi, en ce qui a trait aux «crimes politiques», ces tribunaux ont eu tendance à les restreindre à ceux dont l'aspect politique transcendait tous les autres aspects. Un compromis, en quelque sorte, qui permet aux États de laisser leur frontière ouverte aux véritables criminels politiques, et de la fermer à ces personnes qui ont commis des crimes de droit commun dont la gravité, par exemple, rejoint celle des crimes généralement visés par les traités d'extradition. Il s'ensuit que la section Fb) de l'article premier permet d'exclure tout autant les auteurs de crimes graves de droit commun qui cherchent à utiliser la Convention pour échapper à la justice locale, que les auteurs de crimes graves de droit commun qu'un État juge indésirable d'accueillir sur son territoire, qu'ils cherchent ou non à fuir une justice locale, qu'ils aient ou non été poursuivis pour leurs crimes, qu'ils aient ou non été reconnus coupables de ces crimes ou qu'ils aient ou non purgé la sentence qui leur aurait été imposée relativement à ces crimes.
La «complicité par association» est un concept de droit pénal international qui ne s'applique pas en droit pénal interne
[130]Là où je cesse d'être en accord avec mon collègue, c'est quand il applique le concept de complicité par association indistinctement selon qu'il s'agisse des sections Fa) et Fc) de l'article premier ou selon qu'il s'agisse de la section Fb) de l'article premier. Ainsi que le note le juge Kirby de la Haute Cour d'Australie, au paragraphe 92 de ses motifs dans Singh, supra:
[traduction] Le contexte dans lequel l'alinéa b) apparaît dans le paragraphe 1F de la convention est évidemment pertinent. L'alinéa 1Fb) est inséré entre deux autres exclusions, chacune d'elles applicable à une conduite hautement repréhensible, à savoir la perpétration des crimes internationaux graves (para. a)) et d'actes contraires aux principes des Nations Unies (para. c)).
De même dans Ovcharuk, le juge Whitlam, de la Cour fédérale d'Australie, dira-t-il, à la page 294 de ses motifs:
[traduction] [. . .] il ressort clairement que l'alinéa 1Fb) a pour politique de protéger l'ordre et la sécurité de l'État d'accueil. C'est pourquoi l'alinéa b) traite de sujets très différents des alinéas a) et c) du pragraphe 1F. [Mon soulignement.]
[131]Les sections Fa) et Fc) de l'article premier traitent d'activités extraordinaires, soit de crimes internationaux, dans le cas de la section Fa), ou d'agissements contraires à des normes internationales, dans le cas de la section Fc) (ce qui explique qu'on retrouve le mot «commis» à la section Fa) qui traite de crimes, et qu'on ne retrouve pas ce mot à la section Fc) qui traite d'agissements qui ne seraient pas nécessairement des crimes). Ce sont là des activités que je qualifie d'extraordinaires car elles ont été criminalisées, si je puis dire, de façon collective et exceptionnelle par la communauté des nations et leur nature est précisée par des instruments internationaux (la section Fa) de l'article premier) ou en fonction de tels instruments (la section Fc) de l'article premier). Une caractéristique de certaines de ces activités est de viser des collectivités et d'être menées par l'intermédiaire de personnes qui n'y participent pas nécessairement de manière directe. Pour que les personnes véritablement responsables puissent être poursuivies, la communauté internationale a voulu que soient considérées comme responsables ces personnes, par exemple, sur l'ordre desquelles ces activités étaient menées ou qui, conscientes de leur existence, fermaient volontairement les yeux sur leur poursuite. C'est dans ce contexte que s'est développé le concept de complicité par association, qui permet d'atteindre des responsables qui, vraisemblablement, n'auraient pu l'être selon le droit pénal traditionnel. Ce concept, foncièrement, est un concept de droit pénal international.
[132]Ainsi, dans Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), le juge MacGuigan, à la page 315, a convenu, dans un cas d'application de la section Fa) de l'article premier de la Convention, que la Cour ne pouvait «analyser la responsabilités des complices aux termes de la Convention en ne tenant compte que du seul article 21 du Code criminel [. . .] canadien, traitant des parties à une infraction». «En effet,» d'ajouter le juge MacGuigan, «cet article est issu des règles traditionnelles de la common law en matière d'aide et d'encouragement. Or, une convention internationale ne saurait s'interpréter à la lumière d'un seul des systèmes juridiques du monde». Cette dernière phrase, bien sûr, ne saurait s'appliquer là où une convention internationale, comme ici à la section Fb) de l'article premier, renvoie au droit interne.
[133]De même, dans Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), un autre cas d'exclusion fondée sur la perpétration de crimes internationaux, le juge Linden a, à la page 437 et suivantes, expliqué l'introduction du concept de complicité par association par sa présence dans des instruments internationaux reliés aux crimes internationaux. Il dira notamment, à la page 441:
Cette conception de la complicité dans les crimes internationaux du fait de l'occupation d'un rôle de dirigeant au sein d'une organisation se retrouve à l'article 6 du Statut du Tribunal militaire international [Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe, 8 août 1945, 82 N.U.R.T. 279] qui, après avoir défini les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, prévoit ce qui suit:
Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan. |
Ce principe a été appliqué durant les procès de Nuremberg aux dirigeants de l'Allemagne nazie, qui étaient au courant des crimes commis par d'autres agents du régime.
[134]La section Fb) de l'article premier est d'un tout autre ordre et répond, on l'a vu, à des objectifs différents. L'expression «crime grave de droit commun» exige que soient rencontrées trois conditions: il faut qu'il s'agisse d'un crime, il faut que ce crime en soit un de droit commun («non-political») et il faut que ce crime soit grave.
[135]Les tribunaux et les auteurs se sont à ce jour penchés sur les deuxième et troisième conditions, vraisemblablement, selon moi, parce qu'il était généralement tenu pour acquis que la première condition exigeait simplement qu'il s'agisse d'un «crime» au sens du droit pénal ordinaire du pays d'accueil. Le texte anglais la section Fb) de l'article premier justifie cette attitude. Il y est question de «serious non-political crime» et ce sont les mots «non-political» qui sont rendus en français par «de droit commun». «Crime», en anglais, est bien sûr «crime» en français, et «serious» en anglais est «grave» en français. Le mot «crime», qui est le mot qui nous intéresse ici, ne peut qu'être compris dans son sens courant en droit pénal par opposition à ces crimes qu'on dit internationaux que vise la section Fa) de l'article premier, soit le crime contre la paix, le crime de guerre ou le crime contre l'humanité et par opposition au «délit» auquel renvoie le texte français de l'article 33 de la Convention. Bref, le texte la section Fb) de l'article premier, sur la question qui se pose ici, me paraît clair.
[136]La section Fb) de l'article premier traite des crimes ordinaires, des crimes de droit commun, qui sont commis dans le cours normal, si j'ose dire, de la vie des sociétés. Ces crimes n'ont pas été définis par la communauté des nations agissant à titre collectif. Ces crimes ne sont pas définis par la Convention; la section Fb) de l'article premier, au contraire, incorpore des concepts de droit interne. À la rigueur, comme je l'ai déjà mentionné, on peut prétendre que les crimes reconnus dans des traités d'extradition ont fait l'objet d'un consensus international et constituent des crimes graves de droit commun aux yeux de la communauté internationale, mais ces crimes ne sont pas, en eux-mêmes, des crimes internationaux et ils sont définis en fonction du droit interne pertinent. S'il est acquis, en pratique, que ces crimes ordinaires qui font communément l'objet de traités d'extradition constituent généralement des crimes graves, les autres crimes seront objets de débats et la question se posera, chaque fois, de déterminer si un acte est un crime ordinaire et, si oui, s'il est un crime grave au sens de la Convention. À défaut de consensus international sur le caractère grave d'un crime, le tribunal chargé d'interpréter la Convention s'inspirera tout naturellement de son droit national tout en s'efforçant, si cela est possible, de le réconcilier avec le droit d'autres États. Au Canada, comme le souligne le juge Hugessen dans Gil, supra, à la page 529, le tribunal s'appuiera plus facilement sur la jurisprudence anglo-américaine, qui est «plus compatible avec nos propres traditions juridiques». Si le tribunal en vient à la conclusion, dans ce contexte, qu'il y a des raisons sérieuses de penser qu'un crime reconnu en droit canadien a été commis et que ce crime est grave, il appliquera l'exclusion prévue à la section Fb) de l'article premier.
[137]Bref, la complicité par association est un mode de perpétration de crime reconnu relativement à certains crimes internationaux et appliqué dans le cas des crimes internationaux visés à la section Fa) de l'article premier et, par analogie, dans le cas des agissements contraires à des buts et principes internationaux visés à la section Fc) de l'article premier. Ce mode de perpétration n'est pas reconnu en tant que tel en droit pénal traditionnel.
[138]Cette question n'a été qu'effleurée par les auteurs que j'ai pu consulter.
[139]Le professeur Geoff Gilbert, dans Current Issues in the Application of the Exclusion Clauses, dira ce qui suit à la page 14:
Néammoins, la section Fb) de l'article premier n'exclut du statut de réfugié que ceux qui ont commis un crime grave de droit commun et le droit international relatif aux conflits armés a une compréhension approfondie de la responsabilité du commandement qu'on ne trouve pas dans le droit criminel ordinaire auquel s'applique la section Fb) de l'article premier.
[140]Le Guide du Haut Commissariat commente ainsi la section Fb) de l'article premier:
151. Le but de cette clause d'exclusion est de protéger la population d'un pays d'accueil contre le risque qu'il y aurait à admettre un réfugié ayant commis un crime grave de droit commun. Elle vise également à préserver le sort des réfugiés qui ont commis un ou des crimes de droit commun moins graves ou une infraction politique.
[. . .]
155. Il est difficile de définir ce qui constitue un crime «grave» de droit commun aux fins de la clause d'exclusion à l'examen, d'autant que le mot «crime» revêt des acceptions différentes selon les systèmes juridiques. Dans certains pays, le mot «crime» ne vise que les délits d'un caractère grave; dans d'autres pays, il peut désigner toute une catégorie d'infractions allant du simple larcin jusqu'au meurtre. Dans le présent contexte, cependant, un crime «grave» doit être un meurtre ou une autre infraction que la loi punit d'une peine très grave. Des infractions mineures pour lesquelles sont prévues des peines modérées ne sont pas des causes d'exclusion en vertu de la section Fb) de l'article premier, même si elles sont techniquement qualifiées de «crimes» dans le droit pénal du pays considéré.
[. . .]
157. Pour évaluer la nature du crime qui est présumé avoir été commis, il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents, y compris les circonstances atténuantes éventuelles. Il faut également tenir compte de toutes circonstances aggravantes, telles que, par exemple, le fait que l'intéressé a déjà des condamnations inscrites à son casier judiciaire. Le fait que l'individu condamné pour un crime grave de droit commun a déjà purgé sa peine ou a été gracié ou encore a bénéficié d'une amnistie doit également entrer en ligne de compte. En pareil cas, la clause d'exclusion n'est plus censée s'appliquer, à moins qu'il ne puisse être démontré qu'en dépit de la grâce ou de l'amnistie les antécédents criminels du demandeur l'emportent sur les autres considérations.
[141]Goodwin-Gill, supra, à la page 104, dit ce qui suit:
[traduction] En fin de compte, le principe justifiant le maintien de l'exclusion des criminels graves de droit commun trouve son fondement dans la nécessité de protéger l'intégrité du système international de protection des réfugiés. La perpétration d'un crime grave de droit commun peut constituer un motif suffisant à l'exclusion parce que cela démontre qu'il y a un danger potentiel pour la société de l'État d'accueil ou parce que l'essence même et les circonstances du crime justifient en soi l'exclusion, sans égard à l'extradition, à des poursuites, à la peine ou à la non-justiciabilité. Dans de tels cas, le principe de soupeser le crime en regard des conséquences devient redondant.
[142]Hathaway, supra, à la page 224, exprime l'avis que:
[traduction]
Quatrièmement, le crime doit être un infraction ordinaire de droit commun, [. . .]
[143]van Krieken, supra, soulignera, de son côté, ce qui suit aux pages 32 et 33:
[traduction]
(i) Crime grave
50. L'expression «crime grave» a évidemment différentes connotations dans les différents systèmes juridiques. La constitution de l'OIR excluait les criminels de droit commun qui sont susceptibles d'extradition en vertu d'un traité. Cela se retrouve dans le libellé du Statut du HCR, lequel exclut une personne pour laquelle il existe des raisons sérieuses de penser qu'elle a commis un crime couvert par les dispositions des traités d'extadition. La Convention de 1951 n'a pas conservé ce libellé pour ce qui est des crimes de nature à justifier l'extradition et décrit la nature du crime avec une plus grande précision. À la lumière de l'évolution du droit en matière d'extradition, le fait qu'un crime soit visé par un accord d'extradition ne constituera pas en soi un motif d'exclusion. Il faut que le critère de «crime grave de droit commun» soit respecté.
51. Le guide précise qu'un crime «grave» renvoie à une infraction punissable de mort ou à une infraction que la loi punit d'une peine très grave. Notamment, cela pourrait comprendre l'homicide, le viol, l'incendie criminel et le vol à main armée. Certaines autres infractions pourraient également être considérées comme graves si elle sont accompagnées de l'utilisation d'armes meurtrières, de blessures graves à des personnes, de la preuve d'un comportement criminel habituel et d'autres facteurs similaires. Il est clair que les rédacteurs de la convention de 1951 n'avaient pas l'intention d'exclure des personnes simplement parce qu'elles avaient commis des crimes de droit commun ou des infractions que la loi ne punit pas de peine grave. La gravité du crime peut être déduite de plusieurs facteurs, y compris la nature de l'acte, la portée de ses effets et le motif de l'auteur. La principale considération devrait être de viser à refuser la protection qu'aux personnes qui ne méritent clairement aucune protection en raison de leurs actes criminels. Bien qu'il y ait des risqes à chercher à définir quels crimes ne seraient pas ainsi visés, des crimes tels que le menu larcin ou la possession et l'usage de drogues douces ne devraient pas constituer des motifs suffisants pour l'exclusion en vertu de l'alinéa 1Fb), parce qu'ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme grages. [Note en bas de page omise.]
[144]Grahl-Madsen, supra, à la page 297, dira:
[traduction] Selon nous, l'alinéa 1Fb) ne devrait s'appliquer que dans les cas où la personne en question est considérée comme coupable d'une infraction majeure (un «crime» dans le sens français de ce mot) et seulement si le crime est tel qu'il puisse justifier réellement une peine importante, c'est-à-dire, la peine de mort ou la privation de liberté pendant plusieurs années et pas seulement selon les lois du pays d'origine, mais également selon les lois du pays d'accueil. [Mon soulignement.]
Je souligne qu'en l'espèce le droit tunisien n'a pas été mis en preuve et que je n'ai dès lors pas à me demander si les actes reprochés à l'appelant sont des crimes au sens du droit tunisien.
[145]L'avocat australien Michael Bliss, dans un article intitulé «"Serious Reasons for Considering": Minimum Standards of Procedural Fairness in the Application of the Article 1F Exclusion Clauses», publié dans vol. 12 International Journal of Refugee Law, Special Supplementary Issue on Exclusion (2000), s'exprime comme suit à la page 125, dans un commentaire sous la note 134:
[traduction] Le fait qu'une personne puisse être criminellement responsable, même si elle n'a pas réellement participé physiquement à la perpétration d'un crime, est reconnu, tant en common Law qu'en droit civil, de même que dans le corpus naissant du droit criminel international. Le prargraphe 25(3) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ci-dessus no 47, reconnaît les concepts de conspiration, facilitation, complicité, commande, sollicitation, induction, encouragement, incitation, assistance, contribution et tentative dans ses dispositions concernant la responsabilité criminelle. Le paragraphe 25(3) constitue le critère approprié relativement à la responsabilité criminelle pour l'application des alinéas 2Fa) et 1Fc); en l'absence de normes internationales claires relativement à la responsabilité criminelle concernant les crimes graves de droit commun, il constitue également une norme appropriée pour l'application de l'alinéa 1Fb). [Mon soulignement.]
[146]Je comprends de ces propos de Me Bliss que, dans la mesure où le paragraphe 3 de l'article 25 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale[Doc. NU A/CONF. 183/9 (1998)] (lequel est entré en vigueur le 1er juillet 2002) reprend des règles de complicité reconnues en droit pénal traditionnel, cet article peut s'appliquer à la section Fb) de l'article premier de la Convention. Je comprends aussi de ses propos que les règles de complicité reconnues en droit pénal international ailleurs dans le Statut de Rome et dans d'autres instruments internationaux ne s'appliquent pas à la section Fb) de l'article premier. Nos thèses, donc, se rejoignent. J'ajouterais cependant qu'à mon avis, ce sont les règles de complicité du droit pénal canadien qu'il faudra appliquer en cas de disparités entre ces règles et celles énumérées au paragraphe 3 de l'article 25 du Statut de Rome.
[147]Bref, je partage l'opinion du professeur Gilbert selon laquelle la section Fb) de l'article premier renvoie au «droit pénal ordinaire» («ordinary criminal law»). Dès lors que les crimes visés par la section Fb) de l'article premier sont différents de ceux que visent les sections Fa) et Fc) de l'article premier, il s'ensuit qu'un mode de perpétration accepté à l'égard des uns, ne l'est pas nécessairement à l'égard des autres. Un État peut certes prétendre, comme en l'espèce, qu'un crime donné tombe à la fois sous la section Fb) et sous la section Fc) de l'article premier, mais encore faut-il qu'il en fasse la démonstration dans le cadre juridique propre à chacun.
[148]Il m'apparaît aller de soi qu'en mettant l'emphase sur les crimes susceptibles d'extradition, on suppose que les crimes dont il s'agit sont des crimes reconnus dans le droit pénal ordinaire. Or, ces crimes ne sont des crimes qu'en fonction de critères établis en droit interne, et parmi ces critères, en droit anglo-canadien, se trouve le concept de «partie à l'infraction». J'imagine mal, par exemple, que le concept de complicité par association développé relativement à des crimes internationaux, dans la mesure où il est distinct du concept de «partie à l'infraction», puisse transformer en crime extradable un crime qui ne le serait pas en droit interne.
[149]En plus de ces arguments de texte, il est un argument de politique judiciaire qui m'apparaît de la plus haute importance: il ne serait pas sage d'importer, à la section Fb) de l'article premier de la Convention, des concepts empruntés d'instruments internationaux, dont le Statut du Tribunal Militaire International [annexe de l'Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe, 8 août 1945, 82 R.T.N.U. 279] et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (voir Harb c. Canada (Ministre de La Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39; [2003] A.C.F. no 108 (C.A.) (QL), au paragraphe 5). Le droit pénal international, en effet, s'est développé dans un contexte particulier, militaire au départ, qui n'a rien à voir avec le contexte dans lequel s'est développé le droit interne.
[150]Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale n'est pas vraiment transposable en droit interne. Il vise, à l'article 5, les «crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale». Les crimes en question sont le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression. Les trois premiers de ces crimes sont définis avec force détails aux articles 6, 7 et 8. L'article 9 précise que les «éléments des crimes» qui aideront la Cour à interpréter les articles 6, 7 et 8 seront ceux adoptés à la majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée des États Parties. L'article 21 précise que le droit applicable est «[e]n premier lieu, le présent Statut, les éléments des crimes et le Règlement de procédure et de preuve», «[e]n second lieu [. . .] les traités applicables et les principes et règles du droit international, y compris les principes établis du droit international des conflits armés» et «[à] défaut, les principes généraux du droit dégagés par la Cour à partir des lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du monde» (mon soulignement). Les articles 22 à 33 définissent «les principes généraux du droit pénal», dont celui, à l'article 25, relatif à la «responsabilité pénale individuelle», qui établit une série de règles visant diverses formes de complicité. Seul ce dernier article pourrait être transposé sans risque en droit interne, avec les nuances que j'ai exprimées à cet égard au paragraphe 146 de mes motifs.
[151]Bref, ce Statut constitue un code pénal autonome. Il régit les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre visés à la section Fa) de l'article premier de la Convention. Il ne renvoie que «par défaut» au droit pénal traditionnel. La section Fa) de l'article premier doit désormais être interprété à la lumière, entre autres, de ce Statut (voir Harb, supra). Dire que les règles établies par le Statut s'appliquent également aux crimes visés par la section Fb) de l'article premier, ce serait dénaturer, à mon avis, la portée dudit article et lui donner une ampleur que les signataires de la Convention n'ont jamais prévue ni voulue.
[152]De plus, la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, S.C. 2000, ch. 24, sanctionnée le 29 juin 2000, établit au Canada des règles particulières relativement à la culpabilité d'un «chef militaire» ou de «tout supérieur». Cette Loi écarte expressément, à l'article 14, des moyens de défense prévus par le droit pénal ordinaire et incorpore dans le droit canadien certaines dispositions du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Je ne crois pas que le Parlement canadien, en adoptant cette Loi, ait voulu modifier les règles traditionnelles du droit pénal canadien eu égard aux crimes ordinaires.
[153]Il est implicite, dans les décisions rendues dans Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); Ramirez, supra et Sivakumar, supra dans le cadre la section Fa) de l'article premier, que le test qui découle du concept de «partie à l'action» en droit pénal canadien n'est pas nécessairement le même que celui qui découle du concept de «complicité par association» en droit des réfugiés. Les concepts se chevauchent, mais ils ne sont pas identiques.
[154]Pour ces raisons, je ne crois pas qu'il soit permis d'appliquer à la section Fb) de l'article premier les principes dégagés par la jurisprudence relativement aux sections Fa) et Fc) de l'article premier. Contrairement à mon collègue, je suis d'avis que les décisions de notre Cour dans Sivakumar, supra; Moreno, supra; Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.); Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 66 (C.A), et Harb, supra, ne sont guère utiles quand il s'agit d'interpréter la section Fb) de l'article premier. Dans Harb, j'avais indiqué, au paragraphe 17, ne voir:
[. . .] aucune raison de ne pas appliquer à la section Fa) de l'article premier les principes retenus à l'égard de la section Fc) de l'article premier en ce qui a trait à la complicité. L'analogie est telle, entre «les agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies» (section Fc) de l'article premier) et «les crimes contre l'humanité» (section Fa) de l'article premier), qu'il n'y a pas risque de dénaturer le concept de «complicité» en l'appliquant à l'une et l'autre.
Il n'y a, pour les raisons que j'ai expliquées, aucune telle analogie entre les sections Fa) et Fc) de l'article premier, d'une part, et la section Fb) de l'article premier, d'autre part. Qui plus est, ces décisions s'inscrivent dans un contexte international en pleine mouvance et devront vraisemblablement être mises à jour pour tenir compte, par exemple, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
[155]Mon collègue s'appuie, pour justifier sa conclusion, sur trois décisions dont deux, à mon avis, ne traitent pas directement de la question soulevée en l'espèce et dont la troisième confirme, plutôt, mon interprétation.
[156]Je suis incapable de donner à la décision de deux membres de la Cour d'appel d'Angleterre rendue dans le cadre d'une demande d'autorisation d'appel, dans B, Re, [1997] E.W.J. No. 700, la portée que lui donne mon collègue. Il s'agissait dans cette affaire d'un revendicateur qui avait joint les rangs du PKK, un mouvement kurde en Turquie [traduction] «généralement considéré comme une organisation terroriste qui exerce depuis des années des activités susceptibles d'entrainer une tuerie aveugle ou des blessures parmi les membres innocents du public» (au paragraphe 8). Qui plus est, ce revendicateur «a rapidement gravi les échelons jusqu'au poste de commandant de 150, quelquefois jusqu'à 500, personnes dans le PKK [. . .]. Il était notoire que alors qu'il était membre du PKK, il était un membre de confiance et y occupait un rang élevé. Il faisait partie d'une équipe qui autorisait le déroulement des activités terroristes» (au paragraphe 9). L'appelant plaidait que «ce n'est que si un crime précis est identifié qu'il est possible de mener l'enquête envisagée dans la décision de la chambre des Lords [dans T., précitée] pour déterminer s'il s'agit d'un crime politique ou de droit commun» (au paragraphe 15). Le fait que la série de crimes en cause dans cette affaire constituait des crimes ordinaires, et le degré requis par le droit interne de participation du revendicateur à la série de crimes, ne me semblent pas avoir été remis en question.
[157]La décision de la Commission permanente de recours des réfugiés (2e Chambre française, Réf. 94/993/R2632-28/3/1995 -- Algérie) que cite mon collègue ne me paraît pas très persuasive. Elle est des plus laconique, elle conclut en quelques lignes que le revendicateur peut être exclu en vertu de chacun des alinéas de la section F de l'article premier, elle n'aborde pas de front la question qui se soulève en l'espèce, et les commentaires de Tiberghien sur lesquels elle s'appuie me semblent confirmer que dans chacune des décisions qu'il cite, il y avait responsabilité pénale au sens du droit pénal français.
[158]Quant à la décision de la Cour fédérale de l'Australie dans Ovcharuk, supra, elle appuie mon interprétation. Il s'agissait, dans cette affaire, d'un ressortissant russe qui avait été trouvé coupable d'importation de stupéfiants en Australie. Il était en preuve que le revendicateur, qui purgeait sa sentence en Australie, avait conspiré avec une autre personne, en Russie, en vue de commettre l'infraction. Le statut de réfugié lui fut refusé en raison de l'exclusion prévue à la section Fb) de l'article premier.
[159]La Cour a décidé qu'une infraction avait été commise à l'extérieur de l'Australie, que la section Fb) de l'article premier ne vise pas seulement ces criminels menacés de poursuite criminelle à l'étranger et que la question de savoir s'il y avait des raisons sérieuses de penser qu'un crime grave de droit commun avait été commis devait être tranchée en fonction des concepts de criminalité reconnus dans le pays d'accueil.
[160]Je suis en parfait accord avec ces conclusions.
[161]Le juge Whitlam, à la page 294, dira:
[traduction] L'objet et le but humanitaires évidents de la Convention relative au statut des réfugié n'exige pas qu'un pays d'accueil accorde le statut de réfugié à une personne lorsqu'il a des raisons sérieuses de penser que cette personne a commis, en dehors de ce pays, un crime grave à l'encontre de l'une de ses propres lois [. . .]
[. . .]
[. . .] il ressort clairement que l'alinéa 1Fb) a pour politique de protéger l'ordre et la sécurité de l'État d'accueil. C'est pourquoi l'alinéa b) traite de sujets très différents des alinéas a) et c) du pragraphe 1F. [Mes soulignements.]
[162]Le juge Sackville, à la page 305, dira que:
[traduction] Si le droit du pays d'accueil rend criminel un acte posé en dehors de ses frontières, cele suffit pour que l'acte en question constitue un «crime» aux fins de l'alinéa 1Fb). [Mon soulignement.]
et, un peu plus loin:
[traduction] [. . .] les éléments de l'infraction de complot en vertu du droit australien étaient tous présents au moment ou l'entente criminelle a été conclue. [Mon soulignement.]
Il terminera ses motifs de jugement, à la page 306, par ce passage qui traite précisément de la question sous étude:
[traduction] J'ajoute un commentaire concernant la quatrième des interprétations proposées pour l'alinéa 1Fb). J'estime que la notion (qui n'a pas été explorée en profondeur dans l'argumentation) selon laquelle le terme «crime» de l'alinéa 1Fb) renvoie à une conduite considérée par l'ensemble des nations comme criminelle pose des difficultés. Une telle interprétation exige que l'on déduise de la lecture de l'alinéa 1Fb) une restriction implicite. L'interprétation proposée semble donner peu d'effet au mot «grave» lequel a évidemment pour but (comme l'historique de la rédaction le démontre) de limiter la portée de l'alinéa 1Fb). De plus, le libellé de l'alinéa 1Fb) contraste avec celui de l'alinéa 1Fc) lequel couvre les «agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies». Bien qu'il faille reconnaître les dangers de se montrer trop exigeant quant à la cohérence du libellé de conventions, si l'alinéa 1Fb) avait été écrit dans le but de s'appliquer aux actes ou à la conduite considérés comme criminels selon les normes internationales, il est probable qu'il aurait été libellé autrement. Toutefois, puisque la question n'a pas été débattue en entier, il n'est ni nécessaire ni approprié de la trancher en l'espèce. [Mon soulignement.]
C'est là, bien sûr, une remarque incidente, mais elle me paraît persuasive.
[163]Par ailleurs, quand la juge Branson dira, à la page 301, que:
[traduction] À mon avis, les termes de l'alinéa 1Fb) donnent à penser qu'il n'y a aucune exigence à ce que chaque élément d'une infraction particulière soit précisé et individualisé avant qu'il soit possible d'invoquer cet alinéa.
elle dit simplement, à mon avis, que dès lors qu'une infraction de droit pénal interne--elle utilise le mot «offence» (infraction)-- a été identifiée, chacun de ses éléments constitutifs n'a pas à l'être pour les fins de l'application de la section Fb) de l'article premier vu qu'il suffit d'avoir «des raisons sérieuses de penser que le crime a été commis».
Un crime au sens du droit pénal canadien?
[164]Ce qui m'amène à déterminer si, en droit canadien, les crimes commis par l'organisation dont est membre l'appelant peuvent lui être imputés. L'appelant ne prétend pas, ou ne prétend plus, en effet, que les crimes dont s'est rendue coupable l'organisation ne sont pas des crimes graves ou qu'ils sont de nature politique. Mais dès lors qu'il est acquis que l'appelant n'a pas lui-même commis ces crimes, la question qui se pose est la suivante: en droit canadien, l'appelant peut-il, du fait qu'il soit membre de l'organisation qui les a commis, être reconnu comme une personne à l'égard de laquelle il est possible d'avoir des raisons sérieuses de penser qu'il les a commis?
[165]Le droit pénal canadien reconnaît depuis toujours que la complicité est un mode de perpétration d'un crime. Les articles 21 et 22 [mod. par L.R.C. (1985) 1er suppl.), ch. 27, art. 7] du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] du Canada établissent, par exemple, la culpabilité d'une personne qui, sans commettre elle-même réellement l'infraction, accomplit ou omet d'accomplir quelque chose en vue d'aider une autre personne à la commettre, encourage cette autre personne à la commettre ou conseille à une autre personne de participer à une infraction. Ces articles ont donné lieu à une abondante jurisprudence.
[166]Ainsi, dans R. c. Greyeyes, [1997] 2 R.C.S. 825, le juge Cory, parlant sur ce point au nom de la Cour suprême du Canada, a rappelé que le terme «aider», à l'alinéa 21(1)b) du Code criminel, «signifie assister la personne qui agit ou lui donner un coup de main» et que le terme «encourager», à l'alinéa 21(1)c), «signifie notamment inciter et instiguer à commettre un crime, ou en favoriser ou provoquer la perpétration» (au paragraphe 26). Il ajoutait que, pour établir la mens rea ou l'intention coupable pour qu'il y ait complicité au sens de l'alinéa 21(1)b), «le ministère public doit seulement prouver que l'accusé a voulu les conséquences qui ont découlé de son aide à l'auteur principal de l'infraction, et non pas qu'il les a désirées ou approuvées» (au paragraphe 37). Pour qu'il y ait complicité au sens de l'alinéa 21(1)c), «le ministère public doit prouver non seulement que l'accusé a encouragé l'auteur de l'infraction par ses paroles ou ses actes, mais aussi qu'il avait l'intention de le faire» (au paragraphe 38).
[167]Dans Preston v. The King, [1949] R.C.S. 156, le juge Estey, pour la majorité, a conclu que pour qu'une personne soit déclarée coupable d'avoir aidé, encouragé, conseillé ou favorisé, il suffit de démontrer qu'elle comprenait ce qui se passait et que, par un acte quelconque de sa part, elle a incité ou contribué à la réalisation de l'infraction (à la page 159).
[168]Dans Dunlop et Sylvester c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881, le juge Dickson [alors juge puîné], pour la majorité, était d'avis qu'«[u]ne personne ne peut être, à bon droit, déclarée coupable d'avoir aidé ou encouragé l'accomplissement d'actes répréhensibles alors qu'elle ne savait pas qu'on avait ou pouvait avoir l'intention de les commettre» (à la page 896). Plus tôt, à la page 891, il avait dit:
La simple présence sur les lieux d'un crime n'est pas suffisante pour conclure à la culpabilité. Il faut faire quelque chose de plus: encourager l'auteur initial; faciliter la perpétration de l'infraction, comme monter la garde ou attirer la victime, ou accomplir un acte qui tend à faire disparaître les obstacles à la perpétration de l'acte criminel [. . .]
[169]Dans R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74, [à la page 101] le juge Wilson, en dissidence, citait ce passage, que je ne crois pas controversé, de Gordon Rose, Parties to an Offence (Toronto: Carswell 1982):
[traduction] L'un des faits qu'une personne doit connaître pour pouvoir être déclarée coupable du crime d'aide et d'encouragement est l'intention de l'auteur de commettre l'infraction. Toutefois il n'est pas essentiel de démontrer que la personne accusée d'avoir apporté une aide ou un encouragement savait quel crime précis serait commis; il suffit qu'elle ait su réellement que l'auteur projetait de commettre un certain genre d'infraction, qu'un crime de ce genre avait en fait été commis, et que l'accusé avait intentionnellement aidé ou encouragé quelqu'un à sa perpétration. [Italiques dans l'original.]
[170]Le procureur du ministre n'a pas plaidé devant nous, ni, semble-t-il, devant les instances inférieures, qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que l'appelant était, au sens des articles 21 et 22 de notre Code criminel, partie aux infractions commises par le mouvement Ennahda. Le procureur de l'appelant, dès lors, n'a pas eu non plus à se pencher sur cette possibilité. Comme il y a là des questions de droit et de fait distinctes de celles qui ont été examinées depuis le début par le ministre lui-même, par la section du statut et par la Cour fédérale, division de première instance, et puisque la solution ne s'impose pas d'elle-même, il ne serait pas approprié que la Cour, à ce stade, se prononce à cet égard. Dans les circonstances, il y aurait lieu de retourner l'affaire au ministre pour qu'il réévalue le cas de l'appelant à la lumière des présents motifs. Vu, cependant, la conclusion à laquelle j'en arrive eu égard à la section Fc) de l'article premier, il sera inutile de ce faire.
[171]Le Code criminel du Canada reconnaît aussi, depuis quelques années, que la participation aux activités d'un gang est un crime (c'est l'article 467.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 11] du Code criminel, adopté en 1997) et que la participation à une activité d'un groupe terroriste (c'est l'article 83.18 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4], adopté le 18 décembre 2001) est également un crime. Le fait qu'il ait été nécessaire d'adopter des dispositions particulières pour criminaliser la participation à certaines activités (de gang et de terrorisme) est révélateur.
[172]Le procureur du ministre n'a pas prétendu devant nous que ces deux nouveaux articles pouvaient trouver application en l'espèce, vraisemblablement parce qu'ils ont été adoptés subséquemment aux actes ici reprochés à l'appelant. Il n'est certes pas exclu que ces articles, qui sont devenus partie intégrante du droit pénal canadien, puissent désormais servir d'appui à une exclusion fondée sur la section Fb) de l'article premier. Il n'est pas exclu, non plus, que l'article 83.18, du fait qu'il criminalise au Canada la participation à une activité d'un groupe terroriste, doive s'interpréter à la lumière d'un droit pénal international qui, sur ce point, est en pleine expansion. Ces questions n'ayant pas été soulevées devant nous, je me contente de les souligner au passage.
L'exclusion en vertu de la section Fc) de l'article premier
[173]L'appelant n'est pas pour autant au bout de ses peines. La section du statut, en effet, a également prononcé son exclusion sur la base de la section Fc) de l'article premier, se disant d'avis qu'il y avait des raisons sérieuses de penser qu'il s'était rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Le juge des requêtes n'a pas cru nécessaire de se rendre à la section Fc) de l'article premier: il lui était, en effet, loisible de s'arrêter à la section Fb) de l'article premier puisque, selon elle, cette section à elle seule justifiait l'exclusion.
[174]Cette Cour, dans Ramirez, supra, à la page 312, a précisé que la norme de preuve qu'exige l'expression «raisons sérieuses de penser», à la section F de l'article premier, est «moindre que la prépondérance de preuve», que cette norme «est moins exigeante que la norme civile habituelle». Dans Sumaida, supra, au paragraphe 25, la Cour disait «qu'il faut plus qu'un doute ou une conjecture, sans toutefois qu'il soit nécessaire d'avoir une prépondérance des probabilités».
[175]La section du statut, aux paragraphes 361 à 370 de ses motifs, a formulé comme suit ses conclusions relatives à la section Fc) de l'article premier:
5.3.16 Agissements contraires aux buts et principes
des Nations Unies
À présent, il nous reste à évaluer s'il existe des «raisons sérieuses de penser» que le revendicateur s'est rendu coupable «d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.»
Dans un premier temps, plusieurs documents au dossier du tribunal qualifient le MTI/Ennahda de mouvement terroriste, qui utilise des méthodes terroristes et que le président Rached Ghannouchi est un leader terroriste. Nous avons fait référence à ces pièces antérieurement.
Le «Petit Larousse illustré» édition de 1998 nous donne la définition suivante du mot terroriste: «Qui organise un acte de terrorisme, y participe» et terrorisme signifie: «Ensemble d'actes de violence (attentats, prises d'otages, etc.) commis par une organisation pour créer un climat d'insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l'égard d'une communauté, d'un pays, d'un système.»
Or, le 16 janvier 1997, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution «Mesures visant à éliminer le terrorisme international.» Les passages pertinents de cette résolution sont les suivants:
«S'inspirant des buts et principes de la Charte des Nations Unies, profondément préoccupée par le fait que des actes de terrorisme continuent d'être commis partout dans le monde,
Soulignant qu'il faut encore renforcer la coopération internationale entre les États et entre les organisations et institutions internationales, les organisations et accords régionaux et l'Organisation des Nations Unies afin de prévenir, de combattre et d'éliminer le terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, quel que soit le lieu où les actes de terrorisme sont commis et quels qu'en soient les auteurs,» (page 1)
«Notant que les attentats terroristes à la bombe, à l'explosif ou au moyen d'autres engins incendiaires ou meurtriers se multiplient, (. . .)» (page 2)
«1. Condamne énergiquement tous les actes et toutes les méthodes et pratiques de terrorisme qu'elle qualifie de criminels et d'injustifiables, où qu'ils soient commis et quels qu'en soient les auteurs;
2. Réitère que les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans la population, un groupe de personnes ou chez des individus sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autres invoqués pour les justifier;» (page 2)
De plus, la «Déclaration complétant la Déclaration de 1994 sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international» du 17 décembre 1996 prévoit ceci:
«L'assemblée générale,
Guidée par les buts et principes de la Charte des Nations Unies,
Rappelant la Déclaration sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international qu'elle a adoptée dans sa résolution 49/60 du 9 décembre 1994,»
«Profondément troublée par la persistance, dans le monde entier, d'actes de terrorisme international sous toutes ses formes et manifestations, (. . .)»
«Notant que la Convention relative au statut des réfugiés, faite à Genève le 28 juillet 1951, ne peut être invoquée pour protéger les auteurs d'actes de terrorisme, notant également dans ce contexte les articles 1, 2, 32 et 33 de la Convention, (. . .)»
«Déclare solennellement ce qui suit:
1. Les États Membres de l'Organisation des Nations Unies réaffirment solennellement leur condamnation catégorique, comme criminels et injustifiables, de tous les actes, méthodes et pratiques terroristes, où qu'ils se produisent et quels qu'en soient les auteurs, notamment ceux qui compromettent les relations amicales entre les États et les peuples, et menacent l'intégrité territoriale et la sécurité des États;
2. Les États Membres de l'Organisation des Nations Unies réaffirment que les actes, méthodes et pratiques terroristes sont contraires aux buts et principes des Nations Unies; [ils déclarent que sont également contraires aux buts et principes des Nations Unies], pour les personnes qui s'y livrent sciemment, le financement et la planification d'actes de terrorisme et l'incitation à de tels actes;» (Soulignés ajoutés).
Concernant la notion «d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies», le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié traite de cette expression au paragraphe 162:
«Cette clause d'exclusion rédigée en termes très généraux recouvre en partie la clause d'exclusion de la section F, alinéa a) de l'article premier. Il est évident, en effet, qu'un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité est également un acte contraire aux buts et principes des Nations Unies. Si l'alinéa c) de la section F n'introduit concrètement aucun élément nouveau, il vise de manière générale les agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies qui ne seraient pas entièrement couverts par les deux clauses d'exclusion précédentes.»
Le juge Bastarache dans la décision Pushpanathan précisait qu'il n'est pas nécessaire que l'auteur des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies ait agi au nom de l'État, c'est-à-dire qu'il ait participé à l'exercice du pouvoir de l'État.
«La raison d'être de la clause est que ceux qui sont responsables d'une persécution qui crée des réfugiés ne doivent pas pouvoir invoquer à leur profit une Convention conçue pour protéger ces réfugiés.
Plus loin, il mentionne ceci:
«Je le répète, la Cour doit aussi tenir compte du fait que certains crimes expressément déclarés contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ne sont pas limités aux personnes qui agissent au nom de l'État.»
Le juge Linden mentionnait quant à lui dans Sivakumar à la page 445:
«Lorsque par un juste retour des choses, les persécuteurs deviennent les persécutés, ils ne pourront pas revendiquer le statut de réfugié. Les criminels internationaux, de quelque côté qu'ils se trouvent dans les conflits, sont ainsi privés à juste titre du statut de réfugié.»
Par conséquent, le tribunal conclut que le MTI/Ennahda en tant que mouvement terroriste, dirigé par un leader terroriste et qui utilise des méthodes dites terroristes, s'est rendu coupable «d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies» du moins à compter de janvier 1997 [mon soulignement] date d'adoption de la résolution visant à éliminer le terrorisme international.
Il nous apparaît inutile de reprendre l'analyse que nous avons faite précédemment concernant la notion de complicité par association du revendicateur dû à son appartenance au MTI/Ennahda, il suffit simplement de mentionner qu'elle s'applique ici également. Or, compte tenu de l'implication et du rôle important du revendicateur au sein de son mouvement, il existe des raisons sérieuses de penser qu'il s'est rendu coupable «d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies». Rappelons brièvement qu'en date du 26 novembre 1998, le revendicateur déclarait être toujours membre du MTI/Ennahda.
[176]Cette conclusion s'appuie sur la preuve au dossier et je n'y décèle aucune erreur de droit. Il n'y a dès lors pas lieu d'intervenir, s'agissant ici d'une demande de contrôle judiciaire.
[177]Je crois utile, cependant, d'apporter une précision.
[178]La section du statut a peut-être péché par excès de prudence en se disant d'avis que le terrorisme était devenu un agissement contraire aux buts et principes des Nations Unies «du moins à compter de janvier 1997 date d'adoption de la résolution visant à éliminer le terrorisme international».
[179]Il est permis, en effet, ainsi que l'a fait le juge Bastarache dans Pushpanathan, supra, aux paragraphes 66 et 67, d'établir l'existence d'un «consensus raisonnable de la communauté internationale» à partir de conventions internationales et de résolutions des Nations Unies aussi bien, par exemple, qu'à partir de décisions de la Cour internationale de justice. Or, au sujet du terrorisme, Cherif Bassiouni, dans International Criminal Law, à la page 767, fait le constat suivant:
[traduction] Les organismes et agences des Nations Unies ont produit, entre 1963 et 1999, quatorze conventions internationales, six avant-projets de convention, trente-quatre résolutions, quarante-six rapports, sept études, faites par le Comité spécial du terrorisme international, cinq notes, de la part du Secrétaire général, et dix-huit documents divers se rapportant au «terrorisme», soit en tout 112 instruments et documents sur le sujet.
[180]Il n'est donc pas impossible qu'il y ait eu un consensus international relativement à certaines formes de terrorisme, dont celle en cause dans le présent litige, avant janvier 1997. Il ne m'est cependant pas nécessaire de trancher la question puisqu'en l'espèce il a été établi, au cours de l'audition devant la section du statut qui s'est terminée en mai 1999, que le mouvement Ennahda était à cette époque un groupe terroriste au sens de la résolution adoptée le 16 janvier 1997 par l'Assemblée générale des Nations Unies relativement aux «Mesures visant à éliminer le terrorisme international». Il a également été établi devant la section du statut que l'appelant, en date du 28 novembre 1998, se disait toujours membre du mouvement. Il était dès lors loisible à la section du statut de conclure, sur la base de la preuve qui avait été faite du rôle de l'appelant au sein du mouvement, qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que l'appelant s'était rendu coupable, par association, d'activités terroristes contraires aux buts et aux principes des Nations Unies au sens de la section Fc) de l'article premier de la Convention.
Dispositif
[181]À la première question certifiée:
Les principes énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sivakumar c. Canada, [1994] 1 C.F. 433 quant à la complicité par association pour les fins de l'application de la section Fa) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés sont-ils applicables aux fins d'une exclusion en vertu de la section Fb) de l'article premier de cette même Convention?
je répondrais que les principes relatifs à la complicité par association développés dans le contexte de la section Fa) de l'article premier de la Convention ne s'appliquent pas en tant que tels dans le contexte de la section Fb) de l'article premier.
[182]Il n'y a pas lieu, dès lors, de répondre à la seconde question certifiée.
[183]Je rejetterais l'appel avec dépens.