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A-142-02

2003 CAF 239

Procureur général du Canada (appelant)

c.

Society Promoting Environmental Conservation en son nom et au nom de ses membres (intimée)

Répertorié: Society Promoting Environmental Conservation c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Evans et Malone J.C.A.-- Vancouver, 5 mars; Ottawa, 29 mai 2003.

Expropriation -- Pratique -- Les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ne parvenaient pas à s'entendre sur le renouvellement d'un permis visant une partie du fond de mer où l'armée exploitait des installations militaires d'essai de torpilles depuis près de 40 ans -- Un avis d'intention d'exproprier a été enregistré -- La crainte que la présence d'ogives nucléaires et de navires à propulsion nucléaire n'entraîne des risques pour l'environnement et pour la sécurité publique a suscité une opposition publique considérable -- 3,000 oppositions ont été signifiées -- Un enquêteur a été nommé -- Il a remis son rapport au ministre après la tenue d'audiences publiques -- Le ministre a prononcé une ordonnance d'expropriation -- Un groupe de défense de l'environnement a présenté une demande de contrôle judiciaire -- L'ordonnance a été annulée -- Le procureur général a interjeté appel -- L'enquêteur a-t-il contrevenu à la disposition de la Loi sur l'expropriation relative aux avis -- Le rapport de l'enquêteur exposait-il de façon adéquate la nature et les motifs des oppositions -- Le juge de la C.F. (1re inst.) a conclu que les opposants avaient subi un préjudice et qu'il fallait donc annuler l'ordonnance -- Appel accueilli -- 570 avis d'audience ont été envoyés en retard par suite d'une erreur informatique -- Des avis modifiés ont été envoyés, et les audiences ont été prolongées -- Les audiences ont été annoncées dans trois journaux locaux -- Le non-respect par l'enquêteur d'une disposition impérative justifie-t-il l'annulation de l'expropriation? -- La Cour a analysé longuement les questions de droit administratif -- Il s'agissait d'évaluer la gravité du préjudice causé aux opposants par les avis tardifs -- Le juge de la C.F. (1re inst.) a erré en présumant un préjudice -- Les opposants ne possédaient pas de droit de propriété sur les biens-fonds expropriés -- Ils n'ont pas été privés de droits publics -- Dans ce processus administratif, l'enquêteur ne se prononce pas sur l'opportunité de l'expropriation pas plus qu'il ne formule de recommandation -- Il n'entend que les opposants et fait rapport au ministre -- Beaucoup d'opposants avaient des préoccupations générales, d'autres, des préoccupations quant à l'emplacement des installations -- Quelques oppositions de plus n'auraient pas influé beaucoup sur la décision du ministre -- Le processus d'audiences publiques comporte une dimension politique: il sensibilise le ministre à l'ampleur de l'opposition publique -- La Cour n'a pas écarté l'opinion du ministre que les installations revêtaient une grande importance stratégique et diplomatique -- Il n'est pas clair que l'expropriation éteint des droits publics existants -- Le rapport de l'enquêteur était conforme aux exigences du législateur -- L'enquêteur a refusé d'entendre les opposants qui soutenaient que le gouvernement était de mauvaise foi -- Même s'il a ainsi commis une erreur, elle ne justifie pas d'accorder une réparation -- Bien que le ministre ait manqué de cohérence (en invoquant une disposition législative pour ne pas expliquer les fins poursuivies par l'expropriation puis en donnant des détails en conférence de presse), on ne peut conclure qu'il a agi de mauvaise foi -- L'enquêteur n'a pas commis d'erreur en excluant les oppositions reçues hors délai et les oppositions envoyées par courrier ordinaire plutôt que par courrier recommandé.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Appel de la décision d'un juge de la C.F. (1re inst.) d'annuler une ordonnance d'expropriation -- L'issue dépend de deux étroites questions de droit administratif: 1) le non-respect par l'enquêteur de l'obligation légale de donner avis de la date et du lieu des audiences publiques dans les sept jours suivant sa nomination justifie-t-il l'annulation de l'ordonnance d'expropriation et 2) le rapport de l'enquêteur au Ministre exposait-il de façon adéquate la nature et les motifs des oppositions? -- Le juge de la C.F. (1re inst.) a conclu que les opposants avaient subi un préjudice -- Appel accueilli -- 570 des 2,465avis d'audience ont été envoyés en retard par suite d'une erreur informatique -- Des avis modifiés ont été envoyés, et les audiences ont été prolongées -- La distinction entre les dispositions impératives et directives n'a jamais été considérée dans l'abstrait -- Examen de la jurisprudence -- Il est nécessaire d'apprécier l'injustice ou les inconvénients publics avant d'invalider une mesure administrative -- Les considérations les plus importantes sont l'objet de la loi et les conséquences d'une décision -- Le cadre analytique servant, dans un contrôle judiciaire, à déterminer quand il y a lieu d'annuler une mesure administrative pour manquement à une disposition procédurale comprend cinq considérations -- Le juge a erré en concluant que la nature obligatoire de la disposition relative à l'avis dictait que le non-respect entraîne des conséquences juridiques -- Il faut une analyse pragmatique et fonctionnelle -- L'appréciation contextuelle exigée par cette démarche n'est ni mécanique ni purement subjective -- L'erreur, non caractérisée, a été corrigée -- Même si elle n'était pas insignifiante, elle n'a pas privé les opposants de l'occasion de se faire entendre -- Il s'agissait d'évaluer la gravité du préjudice causé aux 570 opposants -- Le juge a erré en présumant un préjudice -- Il n'a pas été prouvé que les avis tardifs avaient empêché quiconque de se présenter aux audiences -- Les opposants n'avaient pas de droit de propriété ou de droit public sur les biens-fonds expropriés -- Dans ce processus administratif, l'enquêteur ne se prononce pas sur l'opportunité de l'expropriation pas plus qu'il ne formule de recommandation -- Il n'entend que les opposants et fait rapport au ministre -- Le processus des audiences publiques comporte une dimension politique: il sensibilise le ministre à l'ampleur de l'opposition publique -- L'échéancier serré prévu par la Loi indique que la perfection procédurale n'est pas l'unique préoccupation du législateur -- L'enquêteur a exposé adéquatement «la nature et les motifs des oppositions» -- La démarche suivie n'était pas déraisonnable -- Il n'a pas commis d'erreur en refusant d'entendre les opposants qui soutenaient que le gouvernement était de mauvaise foi ou en excluant les oppositions reçues hors délai ou envoyées par courrier ordinaire plutôt que par courrier recommandé.

Le litige découle de l'incapacité des gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique de s'entendre sur le renouvellement d'un permis visant une partie du fond de mer du détroit de Georgia, où le Canada exploite des installations militaires depuis près de 40 ans pour la formation de la marine du Canada, des États-Unis et d'autres pays de l'OTAN et pour effectuer des essais de torpilles. Vu l'incapacité des parties de s'entendre et l'expiration imminente du permis de dix ans, le Canada a enregistré un avis d'intention d'exproprier. La continuation de l'utilisation des installations, qui pourrait entraîner la présence d'ogives nucléaires et de navires à propulsion nucléaire de la marine américaine, a suscité une opposition publique considérable, les opposants y voyant une menace pour la santé et la sécurité dans cette région densément peuplée et d'autres risques pour l'environnement. De fait, plus de 3 000 avis d'opposition ont été signifiés au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Un juge à la retraite de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a été nommé enquêteur. Par suite d'une erreur informatique, 570 des 2 465 avis n'ont pas été envoyés sept jours après la nomination de l'enquêteur. Lorsque l'erreur a été découverte lors des audiences tenues à Nanaimo (C.-B.), des avis modifiés ont été envoyés et les audiences prévues à Vancouver ont été prolongées de deux jours. L'enquêteur a décidé de traiter l'erreur comme une simple irrégularité et autorisé la poursuite des audiences. Il a été signalé que l'enquêteur avait fait publier des avis d'audience dans trois journaux locaux, alors que l'alinéa 10(4)a) n'exige que la parution dans une publication locale. Après les audiences publiques, l'enquêteur a remis un rapport de 300 pages, mais le ministre, après l'avoir examiné, a prononcé l'ordonnance d'expropriation. La demanderesse, un groupe de défense de l'intérêt public s'occupant depuis longtemps de questions environnementales, a présenté une demande de contrôle judiciaire et obtenu l'annulation de l'ordonnance. Le juge de première instance a conclu que l'enquêteur, en n'observant pas la disposition impérative de la Loi de donner avis aux opposants dans le délai prescrit, leur avait causé préjudice, raison suffisante pour invalider l'ordonnance et nécessiter son annulation. De plus, le rapport était vicié parce qu'il n'exposait pas de façon suffisamment détaillée le fondement des oppositions. Il cherchait plutôt à classer les opposants en catégories selon certaines «caractéristiques collectives» comme le niveau d'activisme politique et les opinions sur le gouvernement des États-Unis et ses liens avec l'industrie de la défense ainsi que sur la véracité des déclarations des gouvernements du Canada et des États-Unis sur les risques d'accident nucléaire et les dangers de la prolifération nucléaire. Le procureur général a interjeté le présent appel, soulevant deux questions étroites de droit administratif: 1) le non-respect par l'enquêteur de l'obligation, énoncée dans la Loi sur l'expropriation, de donner avis de la date et du lieu des audiences publiques à tous les opposants dans un délai de 7 jours à compter de sa nomination justifie-t-il l'annulation de l'ordonnance d'expropriation et 2) le rapport de l'enquêteur exposait-il de façon adéquate «la nature et les motifs des oppositions», comme l'exige la Loi; dans la négative, fallait-il annuler l'ordonnance d'expropriation? Trois autres questions que l'intimée avait soulevées devant le juge de première instance mais que celui-ci n'avait pas estimé utile de traiter figuraient également au nombre des questions invoquées par la Société en appel.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

1) Même avant que l'expression «l'analyse pragmatique ou fonctionnelle» n'en vienne à dominer leur démarche relativement aux questions de droit administratif, les tribunaux judiciaires n'envisageaient pas la distinction entre les dispositions impératives et directives dans l'abstrait. Déjà en 1917, il avait été statué dans Montreal Street Railway Company v. Normandin que si le fait de déclarer nuls et non avenus des actes accomplis en manquant à un devoir public entraînerait des inconvénients généraux graves sans aider à atteindre l'objet principal visé par les dispositions législatives, celles-ci seraient considérées comme directives seulement. Dans l'arrêt de 1994 Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général), Acte concernant le chemin de fer de l'île de Vancouver (Re), le juge Iacobucci a réaffirmé l'importance d'apprécier «l'injustice ou les inconvénients publics» avant d'invalider une mesure administrative. Il a indiqué que les étiquettes «impérative» et «directive» n'apportent elles-mêmes aucun secours magique pour définir la nature d'une fonction prévue par la loi. La décision judiciaire reposera sur le processus habituel d'interprétation législative, mais les inconvénients tant publics que privés susceptibles d'en découler pourront susciter une préoccupation spéciale. Dans un autre arrêt de la Cour suprême du Canada, la juge McLachlin a écrit que pour déterminer si une directive a un caractère impératif ou directif, les considérations les plus importantes sont l'objet de la loi ainsi que la conséquence d'une décision dans un sens ou dans l'autre. Dans London and Clydeside Estates Ltd. v. Aberdeen District Council, lord chancelier Hailsham of St. Marylebone a déclaré que les tribunaux ne devaient pas se considérer comme «obligés de faire rentrer les faits d'une affaire particulière et une chaîne d'événements en évolution dans des catégories rigides juridiques, ou de les étendre ou de les restreindre sur un lit de Procuste inventé par les avocats pour la commodité de l'exposition».

Le cadre analytique servant, dans un contrôle judiciaire, à déterminer quand il y a lieu d'annuler une mesure administrative pour manquement à une disposition législative de nature procédurale ou de forme comprend cinq considérations: 1) L'observation de la disposition législative est-elle obligatoire ou facultative? Si elle est obligatoire, il faut déterminer les conséquences de son inobservation en fonction des circonstances, notamment les facteurs énumérés au point 4). La détermination du caractère obligatoire ou facultatif est une question d'interprétation législative obéissant aux principes usuels. 2) Si la disposition est obligatoire, le refus de s'y conformer peut donner lieu à une ordonnance judiciaire de mandamus. 3) Il se peut en outre que, sur demande de contrôle judiciaire, une mesure administrative prise en violation de l'obligation légale soit annulée ou déclarée invalide. Si l'analyse doit être axée sur l'intention du législateur, il faut toutefois déterminer l'intention du législateur quant aux conséquences de l'inobservation en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes. Par contre, le caractère obligatoire ou facultatif d'une disposition ne se détermine pas en fonction de faits particuliers. 4) Les facteurs à prendre en considération pour déterminer si l'inobservation invalide la mesure administrative sont notamment les suivants: (i) l'importance de la disposition, tant pour l'objet général du régime législatif que pour l'objet poursuivi par l'obligation procédurale imposée; (ii) la gravité de la violation de l'obligation légale: est-ce un manquement à une formalité ou la violation d'une règle légale, auquel cas, il faut s'attendre à une intervention judiciaire; (iii) les répercussions de la mesure administrative attaquée sur les droits individuels; (iv) la gravité de l'injustice et des inconvénients publics que pourrait entraîner l'invalidation de la mesure administrative, notamment la mise en échec de l'objectif de la loi, les dépenses publiques et le préjudice à des tiers; (v) la nature de la procédure administrative: la protection des droits procéduraux est plus importance lorsqu'ils s'inscrivent dans une instance juridictionnelle plutôt que dans un processus politique aboutissant à une ordonnance d'application générale. 5) Même si la mesure est invalidée, un tribunal judiciaire conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser la réparation pour un motif comme le retard, le défaut de qualité ou l'existence d'une autre réparation adéquate.

Le juge des requêtes semble avoir considéré la nature obligatoire de la disposition comme déterminante quant aux conséquences juridiques de l'inobservation, en l'absence de «quelque autre preuve contraire convaincante». Il a eu tort. Les conséquences de l'inobservation d'une obligation procédurale légale ne peuvent être déterminées que sur le fondement d'une analyse pragmatique et fonctionnelle. L'appréciation contextuelle exigée par cette démarche n'est ni mécanique ni purement subjective.

Le manquement de l'enquêteur n'était pas caractérisé, mais résultait d'une erreur qu'il a corrigée dès sa découverte et à laquelle il a tenté de remédier en allongeant le temps d'audience. Même s'il ne s'agissait pas d'un manquement insignifiant, on n'a pas allégué qu'il avait porté atteinte au processus d'audience publique au point de priver 570 opposants d'une occasion raisonnable d'être entendus conformément à l'obligation d'équité. Il s'agissait d'établir le préjudice que les 570 opposants avaient subi parce qu'ils n'avaient pas reçu leur avis à temps. Il ressort des faits que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante en présumant qu'il y avait eu préjudice. Le préjudice devait être établi par la preuve. Les avocats de l'intimée ont concédé qu'il n'y avait pas eu de preuve que les avis tardifs avaient empêché une seule personne d'assister aux audiences. Deux opposants ont dit que l'avis tardif leur avait laissé moins de temps pour se préparer, mais il ne s'agit pas d'une preuve suffisante pour conclure à l'existence d'un préjudice important.

Quant à l'incidence de l'ordonnance d'expropriation sur les droits matériels des opposants, il faut considérer que ces derniers n'avaient pas de droit de propriété sur le bien-fonds exproprié. Ils n'ont pas été privés non plus de droits publics à l'égard du fond de mer ou de l'eau au-dessus.

Sur la question de la nature de la procédure administrative: les enquêteurs ne se prononcent pas sur l'opportunité de l'expropriation et ne sont même pas appelés à formuler de recommandation. Ils n'entendent que les opposants et non les partisans de l'expropriation, et ils font rapport au ministre sur la nature et les motifs des oppositions. En l'espèce, beaucoup d'opposants partageaient une préoccupation générale au sujet des dangers des armes nucléaires et de leur prolifération tandis que d'autres estimaient que Nanoose Bay ne convenait pas à ce type d'opération militaire. L'ajout de quelques oppositions similaires n'aurait pas améliorer de façon significative la qualité de la décision du ministre . Le processus des audiences publiques comporte également une dimension politique: il sensibilise le ministre à l'ampleur de l'opposition publique et permet une plus grande responsabilité politique. L'échéancier extrêmement serré que la Loi impose à l'enquêteur pour mener le processus à terme indique que la perfection procédurale n'est certainement pas l'unique préoccupation du législateur. Bien qu'il soit difficile d'apprécier les inconvénients publics susceptibles de découler de l'invalidation de l'ordonnance d'expropriation, le ministre a soutenu que le fait de continuer à disposer de ces installations revêtait une grande importance stratégique et diplomatique pour le Canada. L'intervention judiciaire dans la procédure administrative a toujours son prix, et les motifs d'intérêt public du ministre n'auraient pas dû être jugés non fondés.

Une distinction a été faite d'avec l'arrêt Costello et Dickhoff c. Ville de Calgary, dans lequel la Cour suprême du Canada avait statué qu'en matière d'expropriations municipales les exigences légales régissant l'exercice du pouvoir d'exproprier doivent être suivies rigoureusement, parce que cette affaire visait des personnes ayant des droits sur le bien-fonds exproprié, autrement dit, une situation où il y avait atteinte à des droits individuels. Bien que des décisions aient établi que la législation de l'expropriation doit s'interpréter strictement lorsqu'il y a extinction de droits publics, les avocats de la société n'ont pas démontré quels droit publics seraient éteints par l'expropriation. Les installations étaient exploitées depuis près de 40 ans; il n'est donc pas clair que l'ordonnance d'expropriation éteindrait des droits publics existants.

2) La question suivante était la question de savoir si l'enquêteur s'était acquitté de son obligation légale de présenter un rapport au ministre sur la nature et les motifs des oppositions. L'enquêteur n'était pas un simple «appareil d'enregistrement humain», sa tâche nécessitait un degré élevé de synthèse, de résumé et de classement, car il devait réduire quelques 2 700 oppositions à des proportions se prêtant au traitement. En s'acquittant de cette tâche, il a exercé son pouvoir discrétionnaire, et il n'appartient pas à la cour de révision d'annuler ce qu'il a fait parce qu'elle aurait procédé autrement.

Le but du rapport n'était pas de permettre au ministre de trancher un différend, mais de déterminer si l'opposition justifiait un supplément d'enquête et, peut-être, l'abandon ou la modification de l'expropriation. La consultation publique fait davantage partie d'un processus politique que d'une procédure judiciaire. Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que le rapport de l'enquêteur n'était pas suffisant pour satisfaire à l'obligation de présenter un «rapport sur la nature et les motifs des oppositions». L'enquêteur aurait pu donner un compte rendu des oppositions moins quantitatif et plus discursif, mais sa démarche n'était pas déraisonnable. Il a fait ce que le législateur exigeait de lui.

3) Le juge de première instance a conclu que l'enquêteur avait commis une erreur de droit en refusant d'entendre les opposants qui alléguaient que, parce que le ministre n'était pas représenté à l'audience, le gouvernement du Canada agissait de mauvaise foi relativement au projet d'expropriation. Le déroulement ordonné et efficace des audiences publiques nécessite que l'enquêteur jouisse d'une certaine latitude en matière d'exclusion des plaintes vexatoires et, même s'il a commis une erreur en les excluant, l'erreur était relativement sans importance et n'a pas vicié le processus au point de justifier la Cour d'accorder la réparation.

4) L'alinéa 5(1)c) de la Loi sur l'expropriation exige que l'avis d'intention d'exproprier donné par le ministre indique la fin d'intérêt public pour laquelle ce droit est requis mais, suivant le paragraphe 5(3), la déclaration générale que le droit est requis pour la protection ou la sécurité du Canada et qu'il ne serait pas dans l'intérêt public de donner plus de précisions suffit pour que l'avis soit conforme à l'alinéa 5(1)c). Le ministre a effectivement invoqué cette disposition, mais il a ensuite fourni des précisions au sujet des fins poursuivies par l'expropriation, lors d'une conférence de presse. Selon l'`intimée, ces précisions indiquent que le ministre ne peut pas avoir pensé au deuxième critère du paragraphe 5(3), c'est-à-dire qu'il ne serait pas dans l'intérêt public d'indiquer les fins de l'expropriation, ou bien elles sont une preuve de mauvaise foi de la part du ministre, qui n'aurait invoqué le paragraphe 5(3) que pour restreindre l'ampleur des oppositions. Même si la conduite du ministre a semblé incohérente, elle ne constitue pas un fondement suffisant pour conclure qu'il a agi de mauvaise foi.

5) La Cour n'a pas accepté non plus l'argument selon lequel l'enquêteur avait erré en refusant d'admettre les oppositions reçues après le 21 juin 1999. Le délai légal de signification des oppositions expirait 30 jours après la publication de l'avis d'intention dans la Gazette du Canada. Si les opposants pouvaient faire opposition n'importe quand, il serait impossible pour l'enquêteur de savoir combien d'opposants comparaîtront et de répartir le temps disponible pour les présentations orales.

6) La Cour devait enfin déterminer si l'enquêteur avait mal interprété le paragraphe 3(2) en concluant que les oppositions envoyées par courrier ordinaire étaient irrecevables pour défaut de signification. La Cour n'a pas accepté l'argument voulant que le courrier ordinaire avait été «laissé au bureau» du ministre par Postes Canada agissant comme mandataire des opposantes. Si les mots «en le laissant à son bureau» comprennent les oppositions envoyées par courrier ordinaire ou recommandé, il était inutile pour le législateur de prévoir expressément la signification par courrier recommandé. L'enquêteur n'a pas commis d'erreur en refusant de passer outre à cette irrégularité.

Le juge Strayer, J.C.A.: Le juge ne partage pas l'opinion de la majorité que la norme appropriée est celle du caractère simplement déraisonnable. La norme applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable. L'enquêteur était investi d'un pouvoir discrétionnaire très large. Il était tenu de présenter un rapport dans un délai très court sans égard au nombre et au contenu des oppositions. Il était évident qu'il devait recourir à des expédients pour se conformer aux délais. Il est difficile d' imaginer un pouvoir discrétionnaire plus large conféré relativement à l'exercice d'une fonction prévue par la loi. Comment, en l'absence d'une conclusion que la conduite de l'enquêteur est manifestement déraisonnable, la Cour pourrait-elle trouver à y redire?

lois et règlements

Loi sur l'expropriation, L.R.C. (1985), ch. E-21, art. 3(2), 5(1)a), b), c), d), (2), (3), 8(1)a), b), (3), 9, 10(1), (2), (4)a), b), c), d), (5), (6), (7), (8), 11(1)a)(ii), 14(1)b).

jurisprudence

décisions appliquées:

Montreal Street Railway Company v. Normandin, [1917] A.C. 170 (P.C.); Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général), Acte concernant le chemin de fer de l'île de Vancouver (Re), [1994] 2 R.C.S. 41; (1994), 114 D.L.R. (4th) 193; [1994] 6 W.W.R. 1; 91 B.C.L.R. (2d) 1; 21 Admin. L.R. (2d) 1; 44 B.C.A.C. 1; 166 N.R. 81; 71 W.A.C. 1; Bande indienne de la Rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344; (1995), 130 D.L.R. (4th) 193; [1996] 2 C.N.L.R. 25; 190 N.R. 89; London and Clydeside Estates Ltd. v. Aberdeen District Council, [1980] 1 W.L.R. 182 (H.L.); R. v. Immigration Appeal Tribunal, ex parte Jeyeanthan, [2000] 1 W.L.R. 354 (C.A.).

distinction faite d'avec:

Costello et Dickhoff c. Ville de Calgary, [1983] 1 R.C.S. 14; (1983), 41 A.R. 318; 143 D.L.R. (3d) 385; [1983] 2 W.W.R. 673; 23 Alta. L.R. (2d) 380; 20 M.P.L.R. 170; 46 N.R. 54; Régie des transports en commun de la région de Toronto c. Dell Holdings Ltd., [1997] 1 R.C.S. 32; 31 O.R. (3d) 576; 142 D.L.R. (4th) 206; 45 Admin. L.R. (2d) 1; 36 M.P.L.R. (2d) 163; 206 N.R. 321; 97 O.A.C. 81; 7 R.P.R. (3d) 1; Thomson v. Halifax Power Co. (1914), 16 D.L.R. 424 (C.S.N.-É.); Ostrom and Sidney (Township) (Re) (1888), 15 O.A.R. 372 (C.A. Ont.); Central Ontario Coalition Concerning Hydro Transmissions Systems v. Ontario Hydro (1984), 46 O.R. (2d) 715; 10 D.L.R. (4th) 341; 8 Admin. L.R. 81; 27 M.P.L.R. 165; 4 O.A.C. 249 (C. div.).

décisions citées:

Medi-Data Inc.& Book Bargains Inc. c. Procureur général du Canada, [1972] C.F. 469; (1972), 26 D.L.R. (3d) 1 (C.A.); Lepage c. Ministère des Affaires extérieures (1984), 60 N.R. 329 (C.A.F.); Cleary c. Canada (Service correctionnel) (1990), 44 Admin. L.R. 142; 56 C.C.C. (3d) 157; 108 N.R. 225 (C.A.F.); Ginsberg c. Canada, [1996] 3 C.F. 334; (1996), 96 DTC 6372; 198 N.R. 148 (C.A.); Kyte c. Canada (Ministre du Revenu national--M.R.N.), [1997] 2 C.T.C. 14; (1996), 97 DTC 5022; 206 N.R. 202 (C.A.F.); Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599; [2003] 5 W.W.R. 1; 11 B.C.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (3d) 1; 179 B.C.A.C. 170; 302 N.R. 34; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 152; 90 C.R.R. (2D) 1; 281 N.R. 1.

APPEL interjeté par le procureur général contre une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale ((2002), 46 C.E.L.R. (N.S.) 119; 217 F.T.R. 279) annulant une ordonnance d'expropriation au motif 1) que l'enquêteur ne s'était pas conformé à une disposition impérative de la Loi sur l'expropriation en matière d'avis et 2) qu'il n'exposait pas de façon suffisamment détaillée, dans son rapport au ministre, les fondements des diverses oppositions. Appel accueilli.

ont comparu:

John J. L. Hunter, c.r. et K. Michael Stephens pour l'appelant.

Andrew Gage et David Wright pour l'intimée.

avocats incrits au dossier:

Hunter Voith, Vancouver, pour l'appelant.

West Coast Environmental Law Association, Vancouver, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans , J.C.A.:

A. INTRODUCTION

[1]Plus de 3 000 avis d'opposition ont été signifiés au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le ministre) lorsqu'il a annoncé, en mai 1999, que le gouvernement du Canada avait l'intention d'exproprier une partie du fond de mer et du bas de plage de Nanoose Bay (Colombie-Britannique), en vue de leur utilisation continue comme champ de tir d'essai pour torpilles par les marines canadienne et américaine. Le ministre a signé l'avis d'intention d'exproprier à la demande du ministre de la Défense nationale.

[2]Un enquêteur a été nommé, chargé d'entendre les opposants et de présenter un rapport au ministre sur la nature et les motifs des oppositions. L'enquêteur a exécuté son mandat dans le délai prévu par la loi, soit 60 jour s à compter de sa nomination. Après avoir reçu le rapport, le ministre a confirmé l'expropriation, avec une légère réduction de la superficie expropriée.

[3]La Society Promoting Environmental Conservation (SPEC) est un groupe de défense de l'intérêt public établi à Vancouver qui s'occupe de questions environnementales depuis plus de 30 ans. Ses membres se sont opposés à l'expropriation lors de l'audience publique et ailleurs. La SPEC a présenté une demande de contrôle judiciair e de l'ordonnance d'expropriation du ministre. La demande a été accueillie et l'ordonnance a été annulée. La décision du juge des requêtes est publiée sous l'intitulé Society Promoting Environmental Conservation c. Canada (Procureur général) (2002), 46 C.E.L.R. (N.S.) 119 (C.F.1re inst.). Il s'agit d'un appel interjeté contre cette décision par le procureur général. La décision du juge des requêtes a fait l'objet d'un sursis jusqu'à ce qu'il soit statué sur le présent appel.

[4]Malgré le nombre considérable d'opposants à l'expropriation, dont le gouvernement de la Colombie-Britannique, qui est propriétaire des biens-fonds en question, et le débat vigoureux et large sur la politique gouvernementale relative aux aspects environnementaux et de sécurité des opérations militaires pour lesquelles les biens-fonds en question étaient expropriés, le présent appel porte principalement sur deux questions relativement étroites, mais pas nécessairement faciles, de droit administratif.

[5]Premièrement, le fait que l'enquêteur ait manqué à l'obligation que lui impose la Loi sur l'expropriation, L.R.C. (1985), ch. E-21, de donner avis de la date et du lieu des audiences publiques à tous les opposants dans un délai de 7 jours à compter de sa nomination justifie-t-il l'annulation de l'ordonnance d'expropriation? Deuxièmement, le rapport de l'enquêteur au ministre exposait-il de façon adéquate «la nature et les motifs des oppositions», comme le prévoit la Loi? Dans la négative, cette erreur j ustifie-t-elle l'annulation de l'ordonnance d'expropriation?

B. CONTEXTE FACTUEL

[6]Le présent litige a sa source dans l'incapacité des gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique de s'entendre sur le renouvellement d'un permis à l'égard de cette partie du fond de mer du détroit de Georgia, entre l'île de Vancouver et la terre ferme, où le Canada exploite, depuis près de 40 ans, des installations militaires, le Centre d'expérimentation et d'essais maritimes des Forces canadiennes ( CEEMFC). Depuis 1965, le CEEMFC a été utilisé par le Canada pour la formation du personnel naval canadien, et conjointement par les marines du Canada et des États-Unis (ainsi que les marines d'autres alliés de l'OTAN et du Chili), pour effectuer des essais de matériel militaire de la marine, notamment des torpilles, dans le cadre d'accords internationaux renouvelables.

[7]Le permis de dix ans pour l'utilisation du fond de mer par le CEEMFC devait expirer le 4 septembre 1999. Par suite de l'in capacité des parties de s'entendre sur des modalités au printemps de cette année et en raison de l'expiration imminente du permis, le ministre a enregistré au bureau d'enregistrement en Colombie-Britannique, le 14 mai 1999, un avis d'intention d'exproprier la partie du fond de mer et du bas de plage de Nanoose Bay utilisée pour le CEEMFC. Dans une lettre adressée au gouvernement provincial, le ministre de la Défense nationale a expliqué le commencement de la procédure d'expropriation en insistant sur l'impo rtance pour le Canada et pour ses alliés de l'accès sans interruption au CEEMFC et sur l'importance qu'il fallait attacher à la capacité du Canada de poursuivre ces opérations [traduction ] «pour nos alliances de défense, nos obligations conventionnelles et la bonne formation du personnel naval canadien».

[8]La raison précise de l'échec des négociations entre la Colombie-Britannique et le Canada en vue d'un nouveau permis pour l'utilisation du fond de mer n'a pas d'importance pour trancher le présent appel. Toutefois, il est important de noter que l'opposition publique considérable dans la province à la continuation de l'utilisation du CEEMFC était centrée sur le fait qu'elle pourrait entraîner la présence d'ogives nucléaires et de navires à pr opulsion nucléaire de la marine américaine. On y voyait une menace pour la santé et la sécurité des résidents dans cette région densément peuplée, qui créait d'autres risques pour l'environnement, constituait une violation du droit international et ne serv ait ni la sécurité nationale ni la paix mondiale.

[9]Le 5 juillet 1999, le ministre a nommé M. D. M. M. Goldie, juge à la retraite de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, comme enquêteur. Ce dernier a entendu 215 opposa nts qui ont comparu au cours des audiences publiques sur les oppositions, qui ont duré près de quatre semaines, du 19 au 30 juillet à Nanaimo et du 3 au 17 août à Vancouver, et a également examiné les mémoires de 20 autres opposants. Le 2 septembre, 1999, M. Goldie a présenté au ministre son rapport de 300 pages sur les oppositions, à la fois écrites et verbales, au projet d'expropriation. Après avoir étudié le rapport, le ministre a prononcé l'ordonnance d'expropriation le 10 septembre 1999. En réponse aux arguments présentés par la Colombie-Britannique, la superficie du bien-fonds exproprié était un peu moindre que ce qui avait été annoncé dans l'avis d'intention du ministre.

[10]Le 13 septembre 1999, le ministre a publié un énoncé des motifs de l'ordonnance. Toutefois, puisque la contestation de la validité de l'ordonnance porte sur la procédure suivie par M. Goldie, et non sur les motifs pour lesquels le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire, il n'est pas nécessaire d'exam iner ces motifs de manière approfondie. Il suffira de dire que le ministre a invoqué l'importance stratégique et diplomatique de la poursuite des essais sous-marins de torpilles et de la formation de la marine, ainsi que les caractéristiques physiques et c limatiques de Nanoose Bay qui font du CEEMFC un emplacement idéal pour ces activités. Les motifs du ministre répondaient aux principales oppositions à l'expropriation.

C. LA DÉCISION DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

[11]Le juge des requêt es s'est prononcé sur la demande de contrôle judiciaire sur le fondement de deux motifs. D'abord, il a jugé que l'enquêteur ne s'était pas conformé à une disposition impérative de la Loi sur l'expropriation du fait qu'il avait donné avis des dates et des l ieux des audiences publiques à 570 opposants deux semaines après l'expiration du délai prévu par la loi pour cet avis. Le juge des requêtes a indiqué que les opposants qui avaient reçu un avis tardif avaient effectivement subi un préjudice. Il a conclu que l'inobservation des dispositions procédurales de la Loi sur l'expropriation invalide l'ordonnance prononcée et a donc annulé l'ordonnance d'expropriation de Nanoose Bay.

[12]En deuxième lieu, le juge des requêtes a statué que le rapport de l'enquêteur était vicié parce qu'il n'exposait pas de façon suffisamment détaillée les fondements des diverses oppositions à l'expropriation. Le rapport résumait bien en termes généraux la nature des oppositions, en particulier les menaces à l'environnemen t, à la santé et à la sécurité publiques et aux obligations internationales du Canada qu'entraînait la présence d'ogives nucléaires et de navires à propulsion nucléaire dans le détroit de Georgia, mais il ne décrivait pas de façon adéquate les motifs sur l esquels ces oppositions se fondaient. Le rapport cherchait plutôt à classer les opposants en catégories, en fonction de certaines «caractéristiques collectives», indiquant leur niveau d'activisme politique, y compris l'opposition à la poursuite de l'exploi tation du CEEMFC, ainsi que leurs opinions sur des questions touchant, par exemple, le gouvernement des États-Unis, ses forces militaires et leurs liens avec l'industrie de la défense, la véracité des déclarations des gouvernements du Canada et des États-U nis sur les risques d'accident nucléaire, et les dangers de la prolifération nucléaire. Le juge des requêtes a donc conclu que l'enquêteur ne s'était pas acquitté de l'obligation que lui imposait la loi de faire rapport au ministre «sur la nature et les mo tifs des oppositions».

[13]La SPEC a également contesté la légalité de la procédure suivie par l'enquêteur pour 15 autres motifs, sur la plupart desquels le juge des requêtes n'a pas estimé nécessaire de se prononcer, compte tenu de sa concl usion sur les deux questions indiquées ci-dessus. Toutefois, il a dit (au paragraphe 24) qu'il était convaincu que l'enquêteur avait observé les dispositions procédurales de la Loi, sauf en ce qui concerne le délai prescrit pour l'avis, et (aux paragraphes 95 et 96) que l'enquêteur avait commis une erreur en rejetant des oppositions au motif qu'elles alléguaient la mauvaise foi de la part du gouvernement du Canada.

[14]Des 15 questions soulevées par la SPEC que n'a pas traitées le juge des re quêtes, les avocats en ont retenu trois dans le présent appel, dans le cas où la Cour conclurait que c'est à tort que le juge des requêtes a annulé l'ordonnance d'expropriation pour les motifs sur lesquels il a fondé sa décision. La SPEC plaide que ces vic es, pris séparément ou ensemble, suffisent à justifier l'annulation par la Cour de l'ordonnance d'expropriation. Je décrirai ces trois autres questions lorsque je les traiterai dans la suite.

D. LE RÉGIME LÉGISLATIF

[15]En ce qui concerne le présent appel, la procédure formelle d'expropriation prévue par la Loi sur l'expropriation commence par l'avis que donne le ministre de son intention d'exproprier un bien-fonds. Du fait qu'en l'espèce le ministre estimait que le bien-fonds était requis «à une fin visant la protection ou la sécurité du Canada ou d'un pays allié du Canada ou associé avec lui et qu'il ne serait pas dans l'intérêt public de donner plus de précisions», le ministre n'avait qu'à indiquer, dans l'avis d'exproprier, que l'expropr iation était requise à cette fin, sans autres précisions.

Loi sur l'expropriation, L.R.C. (1985), ch. E-21

5. (1) Chaque fois que, de l'avis du ministre, la Couronne a besoin d'un droit réel immobilier pour un ouvrage public ou pour une aut re fin d'intérêt public, le ministre peut demander au procureur général du Canada d'enregistrer un avis d'intention d'exproprier ce droit, signé par le ministre, et qui, à la fois:

a) décrit le bien-fonds;

b) précise la nature du droit dont l'expropriation est proposée et détermine si ce droit sera assujetti à un droit préexistant sur le bien-fonds;

c) indique l'ouvrage public ou autre fin d'intérêt public pour lequel ou laquelle ce droit est requis;

d) déclare que la Couronne a l'intention d'exproprier le droit.

(2) Lorsqu'il reçoit du ministre une demande d'enregistrement d'un avis d'intention mentionné au présent article, le procureur général du Canada fait enregistrer, au bureau du registrateur du comté, du district ou de la division d'en registrement où se trouve le bien-fonds, cet avis ainsi qu'un plan du bien-fonds visé par l'avis, et, après avoir fait faire les enquêtes et recherches qu'il juge nécessaires ou souhaitables sur le titre du bien-fonds, il fournit au ministre un rapport ind iquant les noms et dernières adresses connues, le cas échéant, des personnes qui paraissent y avoir un droit réel immobilier, dans la mesure où il lui a été possible d'en connaître l'existence.

(3) Lorsque le ministre estime que le droit visé par l'avis d'intention mentionné au présent article est requis par la Couronne à une fin visant la protection ou la sécurité du Canada ou d'un pays allié du Canada ou associé avec lui et qu'il ne serait pas dans l'intérêt public de donner plus de précisions, il suffit que l'avis contienne une déclaration portant que le droit est requis par la Couronne à cette fin pour qu'il soit conforme à l'alinéa (1)c ) sans autres précisions.

[16]La Loi oblige le ministre à donner un avis public de son intention d'expr oprier et prévoit la possibilité pour les membres du public de signifier au ministre une opposition par écrit à l'expropriation envisagée.

8. (1) Lorsqu'un avis d'intention d'exproprier un droit réel immobilier a été enregistré, le ministre:

a) fait publier une copie de l'avis dans au moins un numéro d'une publication ayant une circulation générale dans la région où se trouve le bien-fonds, s'il existe une telle publication, dans les trente jours qui suivent l'enregistrement de l'avis;

b) fait envoyer une copie de l'avis à chacune des personnes dont les noms sont indiqués dans le rapport du procureur général du Canada mentionné au paragraphe 5(2), aussitôt que possible après l'enregistrement de l'avis.

Immédiatement après en avoir fait envoyer par courr ier recommandé une copie à chacune des personnes mentionnées à l'alinéa b ), le ministre fait publier cet avis dans la Gazette du Canada.

[. . .]

(3) Tout avis, sous forme d'original ou de copie, publié ou envoyé comme prévu au paragraphe (1) comporte un énoncé des dispositions de l'article 9 dans la mesure où cet article s'applique à l'expropriation envisagée du droit visé par l'avis.

[. . .]

9. Toute personne qui s'oppose à l'expropriation envisagée d'un droit réel immobilier visé par un avis d'intenti on peut, dans un délai de trente jours à compter du jour où l'avis est donné, signifier au ministre une opposition par écrit indiquant ses nom et adresse et indiquant la nature et les motifs de son opposition et son intérêt à s'opposer à l'expropriation en visagée.

[17]Si des oppositions lui sont signifiées dans un délai de 30 jours à compter du moment où l'avis d'intention d'exproprier a été donné, le ministre doit ordonner la tenue d'une audience publique et demander au procure ur général de nommer un enquêteur pour tenir cette audience au sujet des oppositions.

10. (1) Immédiatement après l'expiration du délai de trente jours visé à l'article 9, le ministre ordonne, si une opposition lui a été signifiée en vertu de cet article, qu'une audience publique soit tenue au sujet de cette opposition et de toute autre opposition à l'expropriation envisagée qui lui a été ou peut lui être signifiée.

(2) Lorsque le ministre ordonne qu'une audience publique soit tenue au sujet d'une ou plus ieurs oppositions, il demande immédiatement au procureur général du Canada de nommer un enquêteur pour tenir cette audience et le procureur général du Canada doit, dès lors, nommer à titre d'enquêteur en l'occurrence une personne compétente qui n'est pas e mployée dans la fonction publique au sens du paragraphe 3(1) de la Loi sur la pension de la fonction publique .

[18]Les principales attributions que la Loi confère à l'enquêteur sont les suivantes:

10. [. . .]

(4) L'enquêteur nommé en vertu du présent article:

a) fixe, dès que possible après sa nomination et en tout cas au plus tard sept jours à compter de la date de celle-ci, les date, heure et lieu convenables pour l'audience publique et fait donner avis de ces date, heure et lieu en le publiant dans au moins un numéro d'une publication ayant une circulation générale dans la région où se trouve le bien-fonds, s'il existe une telle publication, et en envoyant cet avis à chacune des personnes dont les noms sont indiqués dans le rapport du procureur général du Canada mentionné au paragraphe 5(2), et à toute autre personne qui a signifié une opposition au ministre;

b) donne, aux date, heure et lieu fixés pour l'audience publique, l'occasion de se faire entendre à chaque personne y comparaissant qui a signifié une opposition au ministre ou à celles de ces personnes qu'il estime nécessaire d'entendre de manière à faire rapport au ministre sur la nature et les motifs des oppositions;

c) inspecte le bien-fonds comme il le juge nécessaire et reçoit et examine toutes observations écrites qui lui sont soumises avant ou pendant l'audience par toute personne qui a signifié une opposition au ministre;

d) prépare et soumet au ministre, dans les trente jours après sa nomination, un rapport écrit sur la nature et les motifs des oppositions présentées.

[. . .]

(8) À la demande d'un enquêteur, le procureur général du Canada peut prolonger, d'une période ne dépassant pas trente jours, le délai énoncé par le présent article pour préparer et soumettre un rapport au ministre.

[19]S'agissant de la tenue de l'audience, les dispositions suivantes sont pertinentes:

10. [. . .]

(5) S'il lui apparaît qu'une opposition signifiée au ministre en vertu de l'article 9 est vexatoi re ou peu sérieuse ou qu'elle n'est pas faite de bonne foi, l'enquêteur n'est pas tenu de donner d'avis, de tenir des audiences ni de prendre toute autre mesure requise par le paragraphe (4) en ce qui concerne cette opposition et peut toujours ne tenir auc un compte d'une telle opposition.

(6) Toute personne qui, en vertu du présent article, peut être entendue à une audience publique, peut s'y faire représenter par un conseiller juridique.

(7) Une audience publique en vertu du présent articl e est tenue, sous réserve des dispositions contraires du présent article, de la manière que peut déterminer l'enquêteur.

[20]La Loi confère au ministre les pouvoirs suivants après la présentation du rapport de l'enquêteur:

11. (1) Si un avis d'intention a été donné, le ministre peut:

a) soit confirmer l'intention de la manière prévue à l'article 14 si:

[. . .]

(ii) une opposition lui a été faite en vertu de l'article 9 dans le délai de trente jours mentionné dans cet article, après avoir reçu et examiné le rapport d'un enquêteur nommé pour tenir une audience publique à ce sujet,

[. . .]

14. (1) Le ministre peut confirmer une intention d'exproprier un droit réel immobilier visé par un avis d'intention, ou un droit plus restre int y afférent, en demandant au procureur général du Canada d'enregistrer un avis de confirmation, signé par le ministre, contenant:

[. . .]

b) si le droit exproprié est un droit plus restreint que celui visé par l'avis d'intention, une déclaration portant que l'intention d'exproprier le droit visé par l'avis d'intention est confirmée, avec les réserves expressément spécifiées dans la déclaration.

E. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Question 1     Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur de droit en concluant que le fait pour l'enquêteur de ne pas donner un avis à tous les opposants dans le délai prévu à l'alinéa 10(4)a) justifiait l'annulation de l'ordonnance d'expropriation?

[21]Par souci de commodité, je reproduis l'alinéa 10(4)a ).

10. [. . .]

(4) L'enquêteur nommé en vertu du présent article:

a) fixe, dès que possible après sa nomination et en tout cas au plus tard sept jours à compter de la date de celle-ci, les date, heure et lieu convenables pour l'audience publique et fait donner avis de ces date, heure et lieu en le publiant dans au moins un numéro d'une publication ayant une circulation générale dans la région où se trouve le bien-fonds, s'il existe une telle publication, et en envoyant cet avis à chacune des personnes dont les noms sont indiqués dans le rapport du procureur général du Canada mentionné au paragraphe 5(2), et à toute autre personne qui a signifié une opposition au ministre;

[22]Pour la plupart, les faits pertinents par rapport à cette question ne so nt pas contestés. Par suite d'une erreur d'informatique, 570 des 2 465 avis transmis (ces deux chiffres contiennent certains doublons) n'ont pas été envoyés aux opposants pour le 12 juillet, sept jours après la nomination de l'enquêteur survenue le 5 juill et. L'erreur a été découverte au cours des audiences tenues à Nanaimo. Des avis modifiés ont été envoyés le 27 juillet et les audiences prévues à Vancouver ont été prolongées de deux jours. Le même jour, l'enquêteur a expliqué l'erreur et déclaré publiquem ent qu'il la traitait comme une irrégularité et que les audiences se poursuivraient. Il convient d'ajouter que, le 5 juillet, l'enquêteur avait publié des avis des audiences dans trois journaux locaux, même si l'alinéa 10(4)a ) exige seulement que l'avis so it donné dans un numéro d'une publication ayant une circulation générale dans la région.

[23]La seule question litigieuse sur le plan des faits en ce qui concerne l'avis tardif porte sur le point de savoir si les personnes qui n'ont pas reçu un avis individuel en ont subi un préjudice. Sans renvoyer à la preuve, le juge des requêtes a dit qu'elles avaient subi un préjudice. Le procureur général conteste cette conclusion. Je traite cette question plus loin dans les présents moti fs.

[24]Deux aspects de l'analyse juridique semblent clairs. D'abord, l'enquêteur avait l'obligation légale d'envoyer un avis à chaque personne qui avait signifié une opposition au ministre. L'alinéa 10(4)a ) est introduit par les mots «L'enquêteur nommé en vertu du présent article [. . .] fixe» (en anglais, «shall», et non «may»). Donc, si l'enquêteur avait refusé d'envoyer des avis aux opposants, on aurait pu, en principe, obtenir une ordonnance de mandamus pour l'obliger à le faire. Deux ièmement, il est acquis aux débats que l'enquêteur a manqué à l'obligation que lui imposait l'alinéa 10(4)a ): il a signifié les avis le 27 juillet, et non le 12 juillet comme l'exigeait la Loi dans les circonstances de l'affaire. La question en litige n'es t donc pas de savoir si l'enquêteur a manqué à une obligation légale, mais plutôt si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, ce manquement justifie l'annulation de l'ordonnance d'expropriation.

[25]Un autre point préliminaire doit être noté. La SPEC fonde son argument sur la question de l'avis exclusivement sur l'inobservation par l'enquêteur de l'obligation légale que lui imposait l'alinéa 10(4)a ). Les avocats n'ont pas plaidé devant nous que l'erreur de l'enquêteur équivalait égalemen t à un manquement à l'obligation d'équité de la common law exigeant qu'un avis raisonnable soit donné aux personnes qui ont le droit d'être entendues. À cet égard, il est pertinent de rappeler que l'enquêteur a donné un avis public des dates et des lieux d es audiences dans trois journaux locaux et qu'il a prolongé la durée des audiences à Vancouver pour tenter d'atténuer l'atteinte possible au droit d'être entendu par suite de l'omission de donner un avis personnel dans le délai prévu par la Loi.

Dispositions impératives et directives: la jurisprudence

[26]Il fut un temps où les tribunaux, pour déterminer si l'inobservation par une autorité publique d'une règle procédurale ou de forme prévue par la loi invalidait la mesure administrative en c ause, se demandaient si la règle en question était de nature impérative ou directive. S'il s'agissait d'une règle impérative, l'inobservation rendait la mesure en cause nulle, alors que, s'il s'agissait d'une règle directive, l'inobservation n'entraînait p as la nullité. Toutefois, dans certaines affaires, il a été jugé que la mesure administrative est invalide si elle est prise sans observer en substance une disposition procédurale légale, même si elle n'est que directive (voir, par exemple, l'arrêt Medi-Data Inc. & Books Bargains Inc. c. Procureur général du Canada, [1972] C.F. 469 (C.A.) à la page 487), alors que, dans d'autres affaires, une mesure administrative prise en violation d'une disposition impérative a été confirmée au motif qu'il y avait eu resp ect en substance de la disposition (voir, par exemple, l'arrêt Lepage c. Ministère des Affaires extérieures (1984), 60 N.R. 329 (C.A.F.), à la page 330.

[27]Néanmoins, longtemps avant que l'expression «l'analyse pragmatique ou fonctionnelle» n'entre dans la terminologie juridique canadienne et n'imprègne l'analyse qu'ils font des problèmes de droit administratif, les tribunaux n'envisageaient pas la distinction entre les dispositions impératives et directives dans l'abstrait. La question pert inente consistait à savoir si l'invalidation d'une décision administrative pour inobservation de la loi serait inappropriée ou injuste, ou aurait autrement un effet incompatible avec l'objet de la loi en cause. Si l'intervention du tribunal entraînait ces conséquences, on classait la disposition législative comme disposition directive et la mesure administrative attaquée était confirmée ou, encore, le tribunal pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder la réparation demandée, comme ce fu t le cas, par exemple, dans l'arrêt Cleary c. Canada (Service correctionnel) (1990), 44 Admin. L.R. 142 (C.A.F.), aux pages 145 et 146.

[28]La qualification d'une disposition législative et la détermination des conséquences juridiques de son inobservation en fonction des conséquences ou de la gravité de la violation ont une allure résolument pragmatique et fonctionnelle. La formulation classique de cette approche remonte à l'arrêt Montreal Street Railway Company v. Normandin , [1917] A.C. 170 (P.C.), à la page 175, où il a été statué:

[traduction] Lorsque les dispositions d'une loi se rapportent à l'exécution d'un devoir public et que, dans un cas donné, déclarer nuls et non avenus des actes accomplis par manquement à ce devoir entraînerait po ur des personnes qui n'ont aucun contrôle sur ceux chargés de ce devoir une injustice ou des inconvénients généraux graves, et en même temps n'aiderait pas à atteindre l'objet principal visé par le législateur, on conclut habituellement que ces disposition s ne sont que directives [. . .]

[29]Beaucoup plus récemment, dans l'arrêt Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général); Acte concernant le chemin de fer de l'Île de Vancouver (Re), [1994] 2 R.C.S. 41, la Cour suprême du Canada est revenue sur la distinction entre les dispositions impératives et directives. La loi examinée dans cet arrêt prévoyait que, si une demande de suppression d'un service de trains non rentable est refusée, la Commission canadienn e des transports (CCT) devait réexaminer la demande à des intervalles ne dépassant pas cinq ans. La question était de savoir si un décret modifiant une ordonnance de la CCT était invalide du fait que cette dernière ne s'était pas acquittée de son obligatio n légale de réexamen. Le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de la majorité, a conclu, sur l'appel, que l'absence de réexamen par la CCT n'invalidait pas l'ordonnance de manière à la rendre insusceptible de modification par le gouverneur en conseil.

[30]En examinant les conséquences juridiques de l'inobservation d'une obligation procédurale prévue dans une loi, le juge Iacobucci a réaffirmé l'importance d'apprécier «l'injustice ou les inconvénients publics» qu'entraînerait probablement la déci sion d'invalider la mesure administrative en raison de l'inobservation. Il a dit (aux pages 123 et 124):

Les étiquettes «impérative» et «directive» ne sont elles-mêmes d'aucun secours magique pour définir la nature d'une fonction prévue par la loi. L'examen lui-même est plutôt incontestablement axé sur le résultat. 

[. . .]

Ainsi, l'application de la distinction entre ce qui est impératif et ce qui est directif est, la plupart du temps, fondée sur une question de fin et non de moyens. En ce sens [. . .] le principe est «vague» et «utilisé comme expédient». [. . .] Cela signifie que le tribunal appelé à décider ce qui est impératif ou directif ne recourt à aucun outil spécial pour prendre sa décision. La décision repose sur le processus habituel d'inte rprétation législative. Cependant, ce processus suscite peut-être une préoccupation spéciale pour les inconvénients tant publics que privés auxquels donnera lieu l'interprétation adoptée.

[31]Dans l'arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344, à la page 374, Mme le juge McLachlin a écrit, au sujet de l'arrêt précédent:

Depuis, notre Cour a jugé que l'objet de la loi ainsi que la conséquence d'une décision dans un sens ou dans l'autre sont les considérations les plus importantes pour déterminer si une directive a un caractère impératif ou directif [. . .]

Voir également l'arrêt Ginsburg c. Canada, [1996] 3 C.F. 334 (C.A.) et Kyte c. Canada (Ministre du Revenu national--M.R.N.), [1997] 2 C.T.C. 14 (C.A.F.), au paragraphe 9, où notre Cour a adopté une analyse ouvertement axée sur la pondération des divers facteurs en vue de qualifier une disposition de directive ou d'impérative.

[32]L'a rrêt London and Clydeside Estates Ltd. v. Aberdeen District Council , [1980] 1 W.L.R. 182 (H.L.) fait également ressortir le peu d'utilité des concepts abstraits «impératif» et «directif» et «nul» et «annulable» lorsqu'il s'agit d'élaborer des solutions jus tes et sensées à des problèmes rattachés aux faits. Dans cette affaire, la question portait sur le point de savoir si un certificat d'utilisation de remplacement possible délivré par l'intimé était invalide du fait qu'il ne contenait pas la mention légale du droit de l'appelant d'interjeter appel du certificat auprès du secrétaire d'État pour l'Écosse. La validité de la délivrance du certificat avait une incidence sur le montant de l'indemnité que l'intimé devait payer aux appelants pour l'expropriation de leur immeuble.

[33]L'extrait suivant de l'opinion du lord chancelier Hailsham of St. Marylebone (aux pages 189 et 190), bien connu, vaut d'être cité en entier, malgré sa longueur:

[traduction] Lorsque le législateur établit u ne exigence légale pour l'exercice d'un pouvoir légal, il s'attend à ce que son pouvoir soit respecté dans les moindres détails. Mais ce que les tribunaux doivent décider dans une affaire particulière, c'est la conséquence juridique de l'inobservation sur les droits du sujet vus dans le contexte d'une situation concrète et d'une chaîne continue d'événements. Il se peut que les tribunaux ne se trouvent pas tant devant le simple choix d'une branche d'une alternative, que devant une gamme de possibilités dans laquelle un compartiment ou une description se fond graduellement dans une autre. À l'une des extrémités de la gamme on peut trouver des cas où une obligation fondamentale a été méconnue ou violée de façon si outrageante et flagrante que le sujet peut sans risque ne pas tenir compte de ce qui a été fait et le considérer comme dépourvu de conséquence juridique à son endroit. Dans un tel cas, si l'autorité en faute cherche à s'appuyer sur la mesure qu'elle a prise, il se peut que le sujet ait le droit de se s ervir du vice de procédure simplement comme d'une protection ou d'une défense sans avoir fait d'acte positif par lui-même. À l'autre extrémité de la gamme, le vice de procédure peut être si insignifiant ou futile que l'autorité peut sans risque procéder sa ns prendre de mesure corrective, dans la confiance que, si le sujet se méprend au point d'invoquer le vice, les tribunaux refuseront d'entendre sa plainte. Mais dans un très grand nombre de cas, voire dans la majorité, il peut être nécessaire pour le sujet , en vue de se protéger, de s'adresser au tribunal pour lui demander de déclarer ses droits, demande qui pourra bien dépendre du pouvoir discrétionnaire du tribunal, et de la même manière, il peut être sage pour l'autorité (comme cela l'aurait certainement été dans l'espèce) de faire tout en son pouvoir pour corriger le vice de procédure de manière à ne pas priver le sujet de son dû ou à ne pas se priver elle-même de son pouvoir d'agir. Dans ces cas, bien que des termes comme «impératif», «directif», «nul», «annulable», «acte nul», etc., puissent avoir leur utilité dans l'argumentation, ils peuvent être effectivement trompeurs si on les invoque pour démontrer que les tribunaux, dans la détermination des conséquences d'un vice dans l'exercice d'un pouvoir, so nt nécessairement obligés de faire rentrer les faits d'une affaire particulière et une chaîne d'événements en évolution dans des catégories rigides juridiques, ou de les étendre ou de les restreindre sur un lit de Procuste inventé par les avocats pour la c ommodité de l'exposition.

[34]Ces «sages paroles» ont été reprises récemment en Cour d'appel anglaise par lord Woolf M.R. (tel était alors son titre) dans l'arrêt R. v. Immigration Appeal Tribunal, ex parte Jeyeanthan , [2000] 1 W.L.R. 354 (C.A.), à la page 360, où la Cour a effectivement adopté une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer si une mesure administrative était invalidée du fait de l'inobservation d'une règle procédurale légale.

Les dispositions impératives et directives: une analyse pragmatique et fonctionnelle

[35]La jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur la distinction entre les dispositions impératives et directives et l'analyse contextuelle maintenant exigée par l'analyse pragmatique et fonc tionnelle des questions de droit administratif indiquent le besoin de reformuler les critères juridiques pour déterminer dans quels cas la cour de révision devrait annuler une mesure administrative au motif qu'elle a été prise sans observer une disposition législative de nature procédurale ou de forme. Le cadre d'analyse devrait comprendre les considérations suivantes:

1) L'observation de la disposition législative est-elle obligatoire ou facultative? Si elle est facultative, l'analyse s'arrête là parce que la simple inobservation d'une disposition facultative n'entraîne pas normalement de conséquences juridiques. Par contre, si la disposition est obligatoire, il faut déterminer les conséquences de son inobservation en fonction des circonstances de l'espèce, notamment des facteurs énumérés en 4) ci-dessous.

La détermination du caractère obligatoire ou facultatif d'une disposition est une question d'interprétation législative conformément aux principes usuels, notamment le sens ordinaire et grammatical du texte législatif et l'objet de la loi, tant général que particulier. Ainsi, par exemple, l'indicatif («shall» en anglais) indique normalement l'intention du législateur d'imposer une obligation légale d'observer la disposition, tandis que la formule «peut» («may» en anglais) indique normalement que la disposition procédurale est facultative.

2) Si l'observation d'une disposition législative est obligatoire, en cas de refus par une autorité publique de s'y conformer sur demande, il se peut qu'un tribunal soit habilité à prononcer une ordonnance lui enjoignant de s'acquitter de son obligation légale. Les circonstances dans lesquelles un tribunal prononce une ordonnance de mandamus définissent dans quels cas il peut ordonner l'observation d'une disposition législative de forme ou de procédure.

3) Si l'observation d'une disposition législative est obligatoire, en cas d'inobservation, il se peut qu'un tribunal, sur demande de contrôle judiciaire, soit habilité à annuler ou à déclarer invalide une mesure administrative prise en violation de l'obligation légale. L'analyse doit être axée sur l'intention du législateur, pour déterminer aussi bien si une disposition législative est obligatoire ou facultative que, dans le cas d'une disposition obligatoire, quelles devraient être les conséquences juridiques de l'inobservation.

Toutefois, du fait que les circonstances de fait de l'inobservation varient à l'infini, il faut déterminer l'intention du législateur au sujet des conséquences de l'inobservation en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l'espèce. Par contre, le caractère obligatoire ou facultatif d'une disposition ne se détermine pas en fonction de faits particuliers. C'est une question d'interprétation législative qui ne dépend pas des faits d'une affaire particulière.

4) Les facteurs à prendre en considération pour déterminer si l'inobservation d'une disposition législative obligatoire invalide la mesure administrative sont notamment les suivants:

i) L'importance de la disposition, à la fois en ce qui concerne l'objet général du régime législatif et l'objet en vue duquel l'obligation procédurale est imposée. Une grande importance de la disposition par rapport à l'un ou l'autre indique l'intention du législateur que la mesure administrative prise en violation de la disposition procédurale peut être annulée.

ii) La gravité de la violation de l'obligation légale: une violation en droit strict est une indication que le tribunal ne devrait pas intervenir, tandis que l'autorité publique qui fait fi de la règle légale peut s'attendre à l'intervention du tribunal.

iii) Les répercussions de la mesure administrative attaquée sur les droits individuels: plus les droits individuels touchés sont importants et plus l'effet sur ces droits est grave, plus il est probable que la cour de révision annulera la mesure administrative prise en contravention de la disposition procédurale.

iv) Inversement, plus graves sont l'injustice et les inconvénients publics que pourrait entraîner l'invalidation de la mesure administrative, notamment la mise en échec de l'objectif de la loi, les dépenses publiques et le préjudice causé à des tiers, moins il est probable qu'un tribunal conclue que la déclaration d'invalidité est le meilleur moyen de mettre en oeuvre l'intention du législateur.

v) La nature de la procédure administrative visée par la disposition législative: on attachera probablement plus d'importance à la protection méticuleuse des droits procéduraux lorsqu'ils s'inscrivent dans une procédure juridictionnelle au sens large plutôt que dans un processus essentiellement politique aboutissant à une ordonnance d'application générale. Traditionnellement, les tribunaux tendent à exercer une surveillance moins stricte de la procédure (y compris des consultations publiques) selon laquelle les ministres tranchent des vastes questions d'intérêt public polycentriques.

5) Même si elle conclut que l'inobservation d'une disposition de procédure obligatoire dans une loi invalide une mesure administrative, la cour de révision conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser la réparation en fonction d'un ou de plusieurs des motifs de refus discrétionnaire de la réparation. Il se peut que certains de ces motifs aient déjà été pris en compte pour déterminer si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, l'inobservation a invalidé la mesure attaquée, comme la nature bénigne de la contravention et l'inconvénient public. Cependant, d'autres motifs de refus discrétionnaire d'accorder la réparation dans une demande de contrôle judiciaire peuvent encore jouer: le retard, le défaut de qualité et l'existence d'une autre réparation adéquate, par exemple.

L'application de l'analyse aux faits

La disposition sur l'avis est-elle obligatoire ou facultative?

[36]Comme je l'ai déjà indiqué, il n'est pas contesté que l'alinéa 10(4)a ) de la Loi sur l'expropriation imposait à l'enquêteur l'obligation d'envoyer un avis relatif aux audiences publiques dans un délai de 7 jours à compter de sa nomination et que, par suite d'une erreur, il ne s'est pas acquitté de cette obligation parce que les avis envoyés relativement à 570 oppositions étaient en retard de 15 jours. En fait, il se peut que le nombre d'opposants qui ont reçu l'avis en retard ait été inférieur à 570, parce que certains opposants ont déposé plus d'une opposition. Néanmoins, puisque tous les avocats ont accepté que 570 opposants n'ont pas reçu l'avis à temps, je présumerai qu'il en est ainsi dans les présents motifs.

[37]Le juge des requêtes semble avoir considéré la nature obligatoire de la disposition sur l'avis comme presque déterminante au sujet des conséquences juridiques de l'inobservation lorsqu'il a dit (au paragraphe 30):

Étant donné le libellé impératif des dispositions précitées, en l'absence de quelque autre preuve contraire convaincante, il peut être conclu d'une façon générale que les dispositions en question sont impératives.

Si le juge voulait dire qu'une mesure administrative prise en violation d'une obligation procédurale imposée par une loi sera annulée, sur demande de contrôle judiciaire, seulement «en l'absence de quelque autre preuve contraire convaincante», il se méprenait à mon humble avis. Une fois que la loi a été interprétée comme imposant une obligation procédurale, il incombe toujours au demandeur d'établir que, compte tenu de l'ensemble des circonstances, la mesure administrative devrait être annulée pour inobservation de l'obligation.

[38]Les conséquences de l'inobservation d'une obligation procédurale imposée par une loi ne peuvent être déterminées que sur le fondement d'une analyse pragmatiq ue et fonctionnelle plus large. En outre, si l'appréciation contextuelle exigée par cette approche est loin d'être mécanique, ce n'est pas non plus l'«analyse purement subjective» que le juge des requêtes croyait (au paragraphe 36) exigée par l'arrêt Normandin , précité.

La gravité du manquement

[39]Le manquement de l'enquêteur n'était pas caractérisé, mais résultait d'une erreur qu'il a corrigée dès qu'elle a été découverte et à laquelle il a tenté de remédier en offrant plus de temps pour l es audiences qui devaient commencer à Vancouver après que les avis personnels ont été donnés. De plus, les opposants touchés ne constituaient qu'environ 25 % des personnes, fort nombreuses, qui avaient droit à un avis personnel.

[40]Néanmoin s, le fait que l'enquêteur ait donné l'avis 22 jours après sa nomination, alors que la loi prévoit un délai de 7 jours, ne constitue certainement pas un manquement insignifiant. Par contre, on n'a pas allégué devant nous que le manquement avait porté attei nte à la procédure de l'audience publique au point de dénier à 570 opposants une occasion raisonnable d'être entendus conformément à l'obligation d'équité. Il est pertinent de rappeler encore ici que l'enquêteur s'est amplement acquitté de son obligation d e donner un avis public des audiences dans les journaux locaux. Tout compte fait, je conclus que le manquement de l'enquêteur n'était ni grave ni insignifiant. Ce facteur n'indique pas clairement que l'ordonnance d'expropriation devrait être annulée.

L'importance de la disposition sur l'avis dans l'économie de la loi

[41]La possibilité pour les opposants à une ordonnance d'expropriation d'être entendus et de transmettre au ministre le fondement de leur opposition occupe une place importante dans l'économie de la loi. En plus de porter à l'attention du ministre des questions qui peuvent avoir été oubliées ou minimisées lorsque la décision d'exproprier a été prise, la consultation publique insuffle une saine dimension démocratique dans la procédure aboutissant à l'exercice par le ministre d'un vaste pouvoir discrétionnaire: voir l'arrêt Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général), précité, à la page 124. L'avis est généralement considéré comme une condition préalable à l'exercice effectif de droits de participer à l'audience.

[42]Toutefois, je répète que la Loi prévoit non seulement un avis personnel, mais également un avis public, que l'enquêteur doit donner dans un délai raisonnable par la voie des jour naux locaux. De plus, le droit d'être entendu n'est pas absolu, mais est assujetti au pouvoir discrétionnaire de l'enquêteur. Selon l'alinéa 10(4)b ), l'enquêteur doit entendre chaque personne qui a signifié son opposition «ou à celles de ces personnes qu'i l estime nécessaire d'entendre de manière à faire rapport au ministre sur la nature et les motifs des oppositions».

[43]Je conclus que l'alinéa 10(4)a ) constitue un élément important dans la procédure d'expropriation, en ce qu'il vise à garantir que les opposants soient en mesure d'exercer leur droit de se faire entendre avant que le ministre décide s'il confirme l'ordonnance.

La gravité de l'incidence du manquement sur les droits procéduraux

[44]Il s'agit ici de détermin er dans quelle mesure la tardiveté de l'avis a porté atteinte à la capacité des opposants d'exercer effectivement leur droit de participer aux audiences publiques tenues au sujet des oppositions à l'expropriation. En d'autres termes, quel préjudice les 570 opposants ont-ils subi par suite du manquement de l'enquêteur à son obligation de donner un avis des audiences dans les délais?

[45]On pourrait établir le préjudice en démontrant, par exemple, que les opposants qui n'ont pas reçu l'avis dans les délais ne savaient pas quand et où les audiences seraient tenues jusqu'au moment où ils ont reçu l'avis personnel tardif et qu'ils avaient déjà pris des engagements les empêchant d'assister aux audiences à Vancouver. Ou encore on pourr ait démontrer que les opposants n'ont pas eu suffisamment de temps pour préparer leur présentation. Le fait qu'il serait peu commode ou plus coûteux pour les opposants d'assister aux audiences à Vancouver constituerait, dans ce contexte, un préjudice faibl e.

[46]Le juge des requêtes a déduit des faits (au paragraphe 44) que le fait de ne pas avoir donné d'avis dans le délai devait être considéré comme «nuisant effectivement» aux 570 opposants en question. À mon humble avis, toutefois, il ne f aut pas supposer le préjudice sur le fondement des faits de la présente affaire, mais le démontrer au moyen d'éléments de preuve. Le préjudice n'était pas une conséquence nécessaire de l'inobservation de l'alinéa 10(4)a ) parce que l'avis a été de fait donné avant le commencement des audiences à Vancouver, lesquelles ont été prolongées de deux jours. En outre, bon nombre de ceux qui possédaient un intérêt suffisant pour signifier une opposition se tenaient probablement au courant de l'évolution de la procédu re d'expropriation et il se peut qu'ils aient vu les avis publics dans les journaux locaux et qu'ils aient eu connaissance de la couverture dans les médias, notamment des comptes rendus des audiences à Nanaimo.

[47]On ne peut non plus supposer que, s'ils avaient reçu l'avis dans le délai, la plupart des 570 opposants auraient assisté aux audiences. Sur le nombre total des opposants, soit presque 2 400 (après élimination des noms figurant en double), moins de 10 % ont assisté aux audiences.

[48]Les avocats de la SPEC ont concédé qu'on n'avait pas présenté au juge des requêtes de preuve que la tardiveté de l'avis avait empêché une seule personne d'assister aux audiences. Et même, le taux d'assistance parmi les 570 opposants qui on t reçu l'avis tardif était supérieur au double du taux d'assistance de l'ensemble des opposants. Par conséquent, le seul préjudice pertinent consiste en ce que certains des 17 % des 570 opposants qui ont assisté aux audiences ou la totalité d'entre eux aur aient peut-être pu faire des présentations plus efficaces s'ils avaient reçu l'avis à temps.

[49]Deux opposants ont dit que l'avis tardif leur avait effectivement laissé moins de temps pour se préparer. Toutefois, cela ne constitue pas une p reuve suffisante pour que l'on puisse conclure à l'existence d'un préjudice important, qu'on ne peut, compte tenu de l'ensemble des circonstances, supposer. Donc, à mon humble avis, sans la preuve du préjudice, le juge des requêtes a commis une erreur mani feste et déterminante en la déduisant de ces faits.

[50]Que quelques-uns parmi la centaine d'opposants ayant reçu l'avis tardif qui se sont présentés à l'audience auraient pu faire une présentation plus efficace s'ils avaient reçu l'avis dan s le délai ne justifie pas de conclure à l'existence d'un préjudice dans le contexte de la présente affaire. Je note encore une fois que les avocats n'ont pas allégué que l'inobservation de la Loi constituait un manquement à l'obligation d'équité.

L'incidence de l'ordonnance d'expropriation sur les droits matériels des opposants

[51]Outre l'incidence de l'avis tardif sur le droit des opposants d'être entendus, il est pertinent de considérer dans quelle mesure ils ont été lésés par l'ord onnance d'expropriation prononcée en violation des droits procéduraux conférés par la loi. Ils n'avaient pas de droit de propriété sur le bien-fonds exproprié. L'avis a été dûment donné au propriétaire, la province de la Colombie-Britannique, qui a communi qué à l'enquêteur les motifs de son opposition et n'était pas partie à la demande de contrôle judiciaire. Il n'a pas été allégué non plus que l'ordonnance d'expropriation avait privé les opposants de droits publics à l'égard du fond de mer exproprié ou de l'eau au-dessus.

[52]Le fait que l'ordonnance n'a pas nui à des droits des opposants indique que le législateur n'a vraisemblablement pas voulu que l'inobservation de la procédure prévue par la loi justifie l'annulation de l'ordonnance par u ne cour de révision.

La nature de la procédure administrative

[53]Dans l'appréciation de l'importance de l'inobservation d'une disposition procédurale d'une loi, il faut tenir compte de la nature du régime administratif dont fait partie la disposition. Dans le contexte de la Loi sur l'expropriation, il importe d'insister sur le fait que les enquêteurs ne sont aucunement chargés de décider s'il est souhaitable d'exproprier le bien-fonds. À vrai dire, ils ne sont même pas chargés de formuler une recommandation. Leur fonction se limite à présenter un rapport au ministre sur la nature et les motifs des oppositions. Ils n'entendent qu'un côté, les opposants au projet d'expropriation, non l'autre côté, ceux qu i soutiennent le projet.

[54]Le principal rôle de l'enquêteur est donc largement informatif: faire en sorte que le ministre n'exerce pas le pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi sans être au courant du nombre et du fondement des opp ositions au projet d'expropriation. Bon nombre des opposants aux expropriations de Nanoose Bay avaient des préoccupations similaires ou se recoupant. La plupart étaient des oppositions de principe ou fondées sur une préoccupation générale au sujet des dang ers des armes nucléaires et de leur prolifération, au sujet des obligations juridiques internationales du Canada et au sujet des risques pour l'environnement, la santé et la sécurité découlant de l'utilisation de l'énergie nucléaire. D'autres oppositions, par contre, étaient centrées sur la non-convenance de Nanoose Bay, de façon particulière, pour les activités exercées au CEEMFC. Compte tenu du fait que l'enquêteur a entendu 220 opposants, dont le gouvernement de la Colombie-Britannique, et a fait rapport sur leurs oppositions, je ne suis pas convaincu que la qualité de la décision du ministre aurait vraisemblablement été améliorée de façon significative si l'enquêteur avait entendu quelques opposants de plus.

[55]La procédure des audiences publiques comporte également une dimension politique. Elle constitue une forme de consultation publique qui sensibilise le ministre à la nature, à la profondeur et à l'ampleur de l'opposition publique à une expropriation et met en relief la responsabilité politique à l'égard de la décision ultime. De plus, les audiences elles-même et la publicité qu'elles génèrent peuvent contribuer à mobiliser davantage l'opinion publique sur un projet d'expropriation, surtout que le seul côté qui se fait entendre dans les audiences est celui des opposants. Une procédure au terme de laquelle le ministre doit décider s'il confirme l'intention déjà exprimée d'exproprier un bien-fonds pour de grands motifs d'intérêt public est bien loin de la détermination des droits, procédur e dans laquelle les tribunaux ont traditionnellement attaché la plus grande importance à la protection méticuleuse des droits procéduraux des particuliers.

[56]Je ne veux pas minimiser la valeur qu'il faut attacher à la participation publiqu e à l'élaboration d'une décision administrative qui préoccupe un grand nombre de personnes et soulève des questions importantes d'intérêt public. Toutefois, l'échéancier extrêmement serré à l'intérieur duquel la loi imposait à l'enquêteur de mener à terme la procédure constitue une indication que la perfection procédurale ne constituait certainement pas l'unique préoccupation du législateur.

L'inconvénient public

[57]L'inconvénient public susceptible d'être causé par l'invalidation de l'ordo nnance d'expropriation est difficile à apprécier. Si l'ordonnance d'expropriation est annulée, la procédure d'audience devra être reprise, avec les dépenses et les retards qui en résulteront inévitablement. Le ministre a également déclaré que le fait de co ntinuer à disposer du CEEMFC revêt une grande importance stratégique et diplomatique pour le Canada. L'annulation de l'ordonnance causerait sans aucun doute un degré important d'inconvénient public.

Conclusion

[58]Sur le fondement de l'anal yse pragmatique et fonctionnelle qui précède, j'ai conclu que le fait que l'enquêteur n'ait pas donné un avis dans le délai à tous les opposants ne justifie pas l'annulation par la Cour de l'ordonnance d'expropriation. L'inobservation de l'obligation légal e n'était pas caractérisée. Elle résultait d'une erreur que l'enquêteur a corrigée rapidement. Celui-ci a remédié dans la mesure de ses moyens aux effets nuisibles de l'erreur. Il n'y avait aucune preuve d'un préjudice important à ceux qui ont reçu l'avis personnel tardif. Et dans la mesure où les présentations de ces opposants aux audiences ont pu avoir été moins efficaces qu'elles l'auraient été si les opposants avaient reçu un avis personnel à temps, il n'y a guère de raisons de penser que cette diminuti on d'efficacité ait eu un effet appréciable sur la décision ultime du ministre. L'intervention judiciaire dans la procédure administrative a toujours son prix. Compte tenu des motifs invoqués par le ministre pour indiquer en quoi le retard serait préjudici able à l'intérêt public, ce n'est pas à la Cour de rejeter sa préoccupation comme non fondée.

[59]Pour ceux qui aiment bien s'appuyer sur les «repères familiers» du terrain juridique (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 24), une analyse pragmatique et fonctionnelle m'a conduit à conclure qu'en donnant un avis avec deux semaines de retard, l'enquêteur n'a pas respecté une disposition directive de la loi. Dans d'autre s circonstances, l'inobservation de l'alinéa 10(4)a ) pourrait constituer l'inobservation d'une règle impérative. À mon sens, toutefois, l'emploi des étiquettes «impérative» et «directive» est carrément trompeur parce qu'elles semblent attacher à la disposi tion en question des conséquences juridiques dans l'abstrait, sans tenir compte des circonstances de l'inobservation.

La législation sur l'expropriation est-elle exception-nelle?

[60]La SPEC plaide que, indépendamment de la position générale à l'égard de l'inobservation de règles de procédure et de forme dans une loi, les règles contenues dans la législation sur l'expropriation sont exceptionnelles. Une observation stricte s'impose et il faut présumer que l'inobservation invalide l'ordonn ance d'expropriation.

[61]À mon avis, la jurisprudence citée ne va pas si loin. Le juge des requêtes s'est appuyé particulièrement sur l'arrêt Costello et Dickhoff c. Ville de Calgary , [1983] 1 R.C.S. 14, affaire dans laquelle la Ville avait envoyé par la poste aux appelants, avec trois jours de retard, des avis relatifs à une audience qui devait avoir lieu au sujet de l'intention de la Ville d'exproprier le terrain des appelants. Le juge McIntyre a conclu en disant (à la page 26) que de nomb reux arrêts établissaient le principe que:

[. . .] lorsqu'une loi donne à un gouvernement municipal le pouvoir d'exproprier les droits d'un particulier dans un bien-fonds, les conditions prévues par la loi pour l'exercice de ce pouvoir doivent être suivie s rigoureusement.

[62]Toutefois, il semble clair que le juge McIntyre traitait de situations dans lesquelles l'inobservation touchait ceux qui avaient des droits sur le bien-fonds exproprié. Ainsi, il a dit (à la page 21) que les tribunaux

[. . .] ont en général exigé que les municipalités se conforment rigoureusement aux lois qui les autorisent à exercer des pouvoirs extraordinaires ou à adopter des règlements relatifs à l'imposition de taxes, à l'expropriation ou qui comportent quelque atteinte à des droits individuels. [Non souligné dans l'original.]

De même, à propos d'une affaire concernant le refus d'une demande de modification du zonage d'un terrain, le juge McIntyre a fait observer (à la page 25) que ce:

[. . .] jugement appuie l'opinion que l'observation des dispositions relatives à l'avis, lorsque des droits individuels sont en jeu , doit être considérée comme impérative. [Non souligné dans l'original.]

[63]On trouve dans l'arrêt Régie des transports en commun de la région de Toronto c. Dell Holdings Ltd., [1997] 1 R.C.S. 32, au paragraphe 20, une autre affirmation du principe que la législation de l'expropriation doit s'interpréter strictement. Toutefois, à mon avis, cette affaire n'aide guère la SPEC puisque le jug e Cory dit expressément que la loi doit s'interpréter strictement en faveur des personnes dont les droits sont touchés, en raison de l'atteinte grave que porte l'expropriation aux droits privés de propriété.

[64]Je ne puis considérer que ces arrêts établissent une exception à la méthode établie dans l'arrêt Normandin , précité, pour déterminer s'il faut penser que, selon l'intention du législateur, l'inobservation d'une règle de procédure dans une loi invalide la mesure administrative lorsque les personnes dont les droits procéduraux n'ont pas été respectés n'avaient pas de droit de propriété sur le bien-fonds en cause. En l'espèce, bien sûr, les opposants qui n'ont pas reçu l'avis à temps n'avaient pas de droits de propriété sur le bien-fonds exproprié. Le propriétaire du bien-fonds, la province de la Colombie-Britannique, a reçu un avis conformément à la Loi et n'est pas partie à la présente contestation de la validité de l'ordonnance d'expropriation.

[65]Les avocats de la SPEC ont fait valoir que d'autres arrêts établissent que la législation de l'expropriation doit s'interpréter rigoureusement, même dans le cas où les personnes qui contestent l'expropriation n'invoquent pas de droits privés de propriété. Ainsi, p ar exemple, il a été statué dans l'arrêt Thomson v. Halifax Power Co. (1914), 16 D.L.R. 424 (C.S.N.-É.), que le pouvoir, conféré par une loi, d'acquérir [traduction ] «des cours d'eau et les biens-fonds couverts par l'eau» doit s'interpréter strictement de sorte qu'il n'autorise pas une ordonnance d'expropriation qui aurait l'effet de détruire des droits publics de navigation sur un fleuve. De même, dans l'arrêt Ostrom and Sidney (Township) (Re) (1888), 15 O.A.R. 372 (C.A. Ont.), le juge Osler a dit (à la pa ge 374):

[traduction] Il est essentiel à la validité d'un règlement établissant ou fermant une route, en vertu duquel la propriété de personnes privées peut faire l'objet d'une acquisition forcée ou les droits du public peuvent être éteints, que les dispositions de la loi en vertu duquel il est pris soient interprétées strictement. [Non souligné dans l'original.]

[66]Toutefois, ces arrêts ne sont pas d'un grand secours dans le présent appel parce que les avocats de la SPEC n'ont pas cherché à établir les droits publics qui seraient éteints par l'expropriation. Néanmoins, certains opposants ont exprimé leur inquiétude au sujet de l'incidence de l'exploitation du CEEMFC sur la navigation de plaisance.

[67]La question a été traitée par le ministre dans ses motifs de confirmation de l'ordonnance. Il a noté que l'expropriation n'entraînerait pas l'imposition de restrictions supplémentaires à la navigation: le CEEMFC menait des opérations dans Nanoose Bay depuis près de 40 ans lorsque l'ordonnance d'expropriation a été prononcée. Il a signalé qu'un canal est toujours gardé ouvert pour les navires et que le champ de tir est normalement opérationnel pendant les heures de clarté du mardi au vendredi. Il est possible de traverser le champ de tir à d'autres heures et, parfois, avec la permission de la Garde côtière, pendant les heures normales de fonctionnement. Il semble donc qu'il est loin d'être clair que l'ordonnance d'expropriation éteindrait des droits publics existants.

[68]Les avocats de la SPEC ont également invoqué la décision Central Ontario Coalition Concerning Hydro Transmissions Systems v. Ontario Hydro (1984), 46 O.R. (2d) 715 (C. div.). Toutefois, dans cette décision, la Cour a jugé que l'avis donné était si déf icient qu'il constituait un déni de la justice naturelle. La forme de l'avis n'était pas prévue par la loi. En outre, un bon nombre de ceux qui se plaignaient de l'insuffisance de l'avis dans cette affaire étaient propriétaires de terrains qui seraient pro bablement touchés par l'expropriation. La décision Central Ontario Coalition n'est donc d'aucun secours à l'intimée dans le présent appel.

[69]À mon avis, donc, même si l'on suppose que la règle de droit est que toute inobservation d'une disposition procédurale obligatoire dans une loi sur l'expropriation invalide l'ordonnance d'expropriation, cette règle ne s'applique que lorsque les personnes dont les droits d'origine légale ne sont pas respectés possèdent un bien-fonds touché par l'ordonnance ou vont perdre des droits publics sur le bien-fonds. Ce n'est pas le cas en l'espèce.

Question 2     L'enquêteur s'est-il acquitté de son obligation légale de présenter un rapport au ministre «sur la nature et les motifs des oppositions»?

[70]Il n'est pas contesté que l'alinéa 10(4)a ) impose à l'enquêteur l'obligation de présenter un rapport sur la nature et les motifs des oppositions. Le litige porte sur le point de savoir si l'enquêteur en l'espèce ne s'est pas acquitté de son obli gation. C'est seulement s'il est jugé que l'obligation n'a pas été observée qu'il sera nécessaire d'examiner si l'inobservation a invalidé le rapport, et par conséquent, l'ordonnance d'expropriation elle-même.

[71]La plainte essentielle formulée par la SPEC au sujet du rapport de l'enquêteur est qu'il ne décrit pas suffisamment le fondement des oppositions à l'expropriation. À titre d'exemple, l'avocat a plaidé qu'on communique seulement la nature de l'opposition lo rsqu'on la décrit comme fondée sur une allégation que le Canada contreviendrait au droit international en permettant que le CEEMFC soit utilisé par des navires à propulsion nucléaire ou par des navires porteurs d'armes nucléaires. Pour faire rapport au min istre sur les motifs de l'opposition, il faut que l'enquêteur précise les obligations internationales particulières dont les opposants ont allégué qu'elles seraient violées. Sans autres précisions, a-t-on soutenu, le ministre ne pouvait être informé conven ablement du fondement des oppositions et examiner ce fondement avant de décider s'il devait confirmer l'ordonnance d'expropriation et les autres membres du public continueraient à ne pas avoir conscience de la gravité de la question.

[72]L'a vocat a devancé l'argument qu'il n'était pas réaliste de s'attendre à ce que, dans le court délai qui lui était imparti, l'enquêteur ait dû produire un rapport encore plus long que le rapport de 300 pages qu'il a soumis. Il a plaidé que l'enquêteur, s'il n e s'était pas concentré sur le classement des opposants en quatre groupes, décrits en fonction des caractéristiques supposées des opinions politiques de leurs membres, pourrait avoir fourni les renseignements exigés par la loi sans augmenter la longueur gl obale du rapport. En fait, l'accent mis par l'enquêteur sur ce classement des opposants en catégories indique qu'il a mal compris la nature de sa tâche.

[73]Tout en reconnaissant que la méthode de l'enquêteur était dictée en bo nne partie par la tâche difficile consistant à classer et à communiquer dans un délai très court des présentations orales et écrites détaillées faites par un grand nombre de personnes, le juge des requêtes a néanmoins accepté l'argument de la SPEC. Il a di t (au paragraphe 97):

[. . .] je comprends les difficultés auxquelles fait face l'enquêteur, mais à mon avis les difficultés qui existent en pratique ne permettent pas de compromettre les exigences de la Loi. Le ministre a choisi la procédure, et il est l ié par les contraintes qui lui sont imposées.

[74]Ainsi, il a fait observer (aux paragraphes 81 et 82) que les notes rédigées par l'enquêteur à l'intention des participants aux audiences publiques à Nanaimo contenaient une erreur fondamental e au sujet de son rôle, qui a commandé le format de son rapport. Ces notes indiquaient:

[traduction] Le rôle de l'enquêteur consiste à définir la nature des droits touchés par l'avis d'intention d'exproprier ainsi que les motifs de l'opposition. [Non soul igné dans l'original.]

Les opposants doivent indiquer leur intérêt à s'opposer à l'expropriation envisagée (article 9), mais l'enquêteur doit présenter un rapport sur «la nature et les motifs des oppositions». En outre, l'attribution aux opposants individuels des caractéristiques de certains «groupes», conçus par l'enquêteur, tendait à les stéréotyper et à dévaluer leur opposition de manière non équitable.

[75]Le juge des requêtes a aussi conclu que, même si ce n'était pas une solution parfa ite, il n'était pas inapproprié pour l'enquêteur de répartir les oppositions sous un ou plusieurs de 21 chefs d'opposition, comprenant notamment [traduction ] «présence de sous-marins nucléaires et d'armes nucléaires dans les eaux de la Colombie-Britannique», «danger d'accident nucléaire» et «violation de la décision de la Cour internationale de justice--droit international applicable aux armes nucléaires». Toutefois, ces rubriques ne valent que pour le respect de l'obligation de l'enquêteur de faire rapport sur la «nature» des oppositions. En l'absence de renseignements sur ces «chefs d'opposition», on ne peut dire que l'enquêteur a également présenté un rapport sur les «motifs» des oppositions.

[76]À mon avis, les considérations suivantes four nissent un cadre pour examiner si l'enquêteur a manqué à l'obligation imposée par l'alinéa 10(4)b ).

L'obligation, le pouvoir discrétionnaire et la norme de contrôle

[77]D'abord, bien que l'enquêteur ait eu sans aucun doute l'obligation légale de présenter un rapport sur la nature et les motifs des plaintes, il disposait également d'un degré appréciable de pouvoir discrétionnaire à l'égard de la manière de s'en acquitter. La tâche de faire rapport sur près de 2 700 oppositions valides d'une manière informative et dans un court délai est loin d'être mécanique: un degré élevé de synthèse, de résumé et de classement était nécessaire pour réduire les oppositions divergentes mais se chevauchant à des proportions se prêtant au traitement. Lorsqu'u n grand nombre d'oppositions à un projet d'expropriation sont signifiées, comme en l'espèce, il est inexact, à mon avis, de décrire l'enquêteur comme un simple «appareil d'enregistrement humain».

[78]Deuxièmement, dans certaines circonstance s, la cour de révision aura pour fonction de décider si une personne s'est acquittée d'une obligation légale publique imposée par une loi sans accorder de déférence à la personne intéressée. Toutefois, lorsque, comme en l'espèce, l'exécution de l'obligatio n suppose l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire quant au mode d'exécution, il n'appartient pas à la cour de révision d'annuler la mesure administrative pour la raison qu'elle aurait procédé de quelque autre manière en vue d'exécuter l'obligation. Donc, d ans la mesure où le rapport est attaqué au motif que l'enquêteur aurait dû accomplir cette tâche d'une autre manière, la Cour ne peut intervenir que si elle est convaincue qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière déraisonnable. Sans décider de la question, je suis disposé à supposer, dans le cadre du présent appel, que le caractère simplement déraisonnable, plutôt que le caractère manifestement déraisonnable, constitue la norme de contrôle appropriée à l'égard de l'exercice d'un pouvoir disc rétionnaire dans l'exécution de l'obligation de présenter un rapport de l'enquêteur.

«La nature et les motifs des oppositions»

[79]L'enquêteur n'a pas expliqué de quelle façon il comprenait le sens de ces mots. Néanmoins, on peut déduire du contenu du rapport qu'il comprenait ces mots comme incluant probablement: le nombre d'oppositions; une brève description des oppositions, du genre de celle qu'on trouve dans les 21 chefs d'opposition, la mesure dans laquelle les oppositions se fondaient sur des positions idéologiques générales, plutôt que d'être axées sur les éléments particuliers de ce projet d'expropriation, et la mesure dans laquelle les diverses oppositions ont amené les opposants à s'engager politiquement.

[80]Par contre, l'intimée soutient que l'obligation de l'enquêteur de présenter un rapport sur les motifs d'une opposition signifie nécessairement que le ministre doit être informé de la documentation ou de l'argument sur lequel une opposition se fonde. Les renseignements au sujet des opposants, plutôt que des oppositions, sont non pertinents pour une bonne part.

[81]À mon sens, l'interprétation que donne l'intimée de l'expression «la nature et les motifs de l'opposition» est trop formalist e dans le contexte de l'économie de la loi. Ainsi qu'il est devenu évident au cours des débats, il est extrêmement difficile de maintenir en pratique cette sorte de distinction nette sur laquelle insiste le juge des requêtes entre la «nature» d'une opposit ion et ses «motifs».

[82]On ne peut non plus présumer que le ministre ne sait rien de bon nombre des préoccupations générales décrites dans le rapport, ou ne dispose pas du moyen de pousser l'enquête à leur sujet s'il le souhaite. Ainsi, pour reprendre l'exemple discuté au cours des débats, il faut se demander le degré de détails que les avocats auraient exigés pour informer le ministre sur l'opposition ayant trait au fait que la présence d'armes nucléaires dans les eaux canadiennes violer ait le droit international.

[83]De plus, le but du rapport n'est pas de permettre au ministre de trancher un différend, mais de déterminer si l'opposition justifie un supplément d'enquête et l'abandon ou la modification de l'expropriation. L a consultation publique au sujet d'une expropriation de cette nature fait davantage partie d'une procédure politique que d'une procédure judiciaire.

[84]L'article 9 de la Loi sur l'expropriation fournit une autre indication qu'il ne faut pas comprendre les mots «la nature et les motifs» comme imposant à l'enquêteur une obligation aussi large que l'allègue l'intimée. Cet article dispose que la personne qui s'oppose au projet d'expropriation doit indiquer dans l'opposition signifiée au ministre «la nature et les motifs de son opposition». Il me semble hautement invraisemblable que le législateur ait voulu que les opposants à l'expropriation de Nanoose Bay donnent au soutien de leurs oppositions la sorte de renseignements détaillés que l'inspecte ur aurait dû, selon l'intimée, avoir donnés dans son rapport «sur la nature et les motifs des oppositions». Cela introduirait dans une consultation publique un degré de formalisme qui convient mieux aux actes de procédure.

[85]Enfin, il faut interpréter les mots «la nature et les motifs» en tenant compte de l'obligation de l'enquêteur de présenter au ministre un rapport à leur sujet dans un délai de 30 jours ou, lorsqu'une prolongation est accordée, comme en l'espèce, de 60 jours. Ainsi que l'a reconnu le juge des requêtes (aux paragraphes 11 et 97), cet échéancier serré impose des contraintes très considérables sur le type de rapport qu'il est possible de rédiger au sujet d'oppositions aussi nombreuses qu'en l'espèce.

[86]Sur le fondement de ces considérations, je suis persuadé que le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que l'enquêteur, lorsqu'il a présenté son rapport, ne s'est pas acquitté de son obligation de présenter un «rapport sur la nature et les motifs de s oppositions». D'abord, il n'était pas déraisonnable pour l'enquêteur de décider que la compréhension des perspectives différentes de ceux qui avaient signifié des oppositions aiderait le ministre à apprécier les oppositions. Par exemple, en indiquant que des personnes d'opinions politiques différentes s'opposaient à l'expropriation, l'enquêteur pouvait aider le ministre à apprécier l'étendue et la profondeur de l'opposition publique à l'expropriation.

[87]Le regroupement des opposants était relié de façon raisonnable à la compréhension de la nature de leurs oppositions, tout comme la présentation sous forme de tableau que l'enquêteur a adoptée pour les renseignements relatifs aux oppositions. Il a expliqué et développé ces renseignements à la fois dans la lettre de transmission et dans les addenda au rapport, qui exposent également la méthodologie adoptée pour traiter la situation complexe qu'il devait traiter.

[88]D'autres personnes auraient pu donner un compte rendu des oppositions moins quantitatif et fournir, plutôt, un exposé plus discursif. Toutefois, ce n'est pas à la cour de révision de décider comment elle aurait abordé la tâche de l'enquêteur ou de déterminer s'il y avait d'autres moy ens plus efficaces de communiquer au ministre les renseignements prévus par la Loi. Il suffit que la méthode adoptée par l'enquêteur n'ait pas été déraisonnable.

[89]Deuxièmement, l'intimée a adopté une interprétation trop formaliste des mot s «la nature et les motifs» et n'a pas porté suffisamment attention au contexte de la Loi dans laquelle ils sont employés. Sur la base des renseignements au sujet des oppositions fournis par l'enquêteur, le ministre aurait été parfaitement en mesure de com prendre les préoccupations des opposants et, si nécessaire, de demander à ses fonctionnaires de pousser l'enquête plus loin sur certaines oppositions. De même, ceux qui consultent le rapport comme le fondement sur lequel ils peuvent tenir le ministre respo nsable politiquement de la décision d'exproprier y auraient trouvé un bon point de départ en vue d'approfondir leur recherche. Une interprétation de la Loi qui exigerait de l'enquêteur, dans une procédure où les opposants sont si nombreux, qu'il inclue dan s son rapport les renseignements et les arguments présentés au soutien des diverses oppositions serait incompatible avec l'échéancier imposé par la loi et n'est pas non plus exigée par la nature de la procédure.

Conclusion

[90]À mon avis, i l faut féliciter l'enquêteur d'avoir établi si rapidement un document impressionnant qui explique clairement les difficultés logistiques et méthodologiques que posait le défi de devoir tenir quatre semaines d'audiences, d'examiner environ 2 400 op positions écrites et de produire un rapport sur la nature et les motifs des oppositions, le tout dans un délai de deux mois. Le juge des requêtes a assimilé la fonction de l'enquêteur à celle d'un «appareil d'enregistrement humain» (paragraphe 79). À mon h umble avis, dans une affaire aussi complexe que celle-ci, c'est une description simpliste et trompeuse du rôle de l'enquêteur. Elle ne tient pas compte du défi intellectuel considérable de communiquer au ministre de façon succincte et utile les renseigneme nts qu'il doit connaître pour décider s'il doit confirmer, modifier ou abandonner l'expropriation.

[91]Je suis convaincu que l'enquêteur a fait ce que le législateur exigeait de lui. De l'exposé des motifs de l'expropriation dans lequel le m inistre a répondu aux principales préoccupations exprimées par les opposants, il résulte clairement que, tout en n'étant pas d'accord avec les oppositions (sauf dans la mesure où il a réduit la superficie expropriée par suite de l'opposition de la Colombie- Britannique), le ministre comprenait les points qui avaient été soulevés.

Question 3     L'enquêteur a-t-il commis une erreur de droit en refusant d'accepter certaines oppositions au motif qu'elles alléguaient la mauvaise foi?

[92]Le juge des requêtes a conclu (aux paragraphes 95 et 96) que l'enquêteur avait commis une erreur de droit en refusant d'entendre les opposants qui alléguaient que le gouvernement du Canada agissait de mauvaise foi en proposant d'exproprier des biens-fonds à Nanoose B ay, parce que personne n'était présent à l'audience pour répondre au nom du ministre. Il a déclaré que le pouvoir de l'enquêteur de ne pas tenir compte d'oppositions s'applique uniquement «s'il lui apparaît qu'une opposition [. . .] est vexatoire ou peu sérieuse ou qu'elle n'est pas faite de bonne foi»: paragraphe 10(5). Les avocats du procureur général ont plaidé que cette conclusion du juge des requêtes était mal fondée.

[93]Puisque le paragraphe 10(5) laisse l'enquêteur décider si une oppo sition «est vexatoire ou peu sérieuse ou [. . .] n'est pas faite de bonne foi», il n'appartient pas à la Cour de contrôler la décision de l'enquêteur d'exclure une opposition en fonction du caractère correct de celle-ci. Il faut donner une certaine latitud e à l'enquêteur pour déterminer s'il lui apparaît qu'une opposition entre dans les paramètres du paragraphe 10(5). Même s'il n'entrait pas dans les attributions de l'enquêteur d'apprécier le bien-fondé d'une opposition, le pouvoir d'exclure les plaintes ve xatoires, peu sérieuses ou de mauvaise foi est nécessaire pour le déroulement ordonné et efficace des audiences publiques surtout lorsque, comme en l'espèce, il faut entendre de nombreux opposants dans un court délai.

[94]Par conséquent, je ne suis pas persuadé que l'enquêteur a agi déraisonnablement en excluant les oppositions alléguant la mauvaise foi, ce qui, dans ce contexte, semblerait impliquer la malhonnêteté ou quelque autre faute grave, de la part du ministre intervenan t dans l'expropriation. Quoi qu'il en soit, la mention de ces oppositions par l'enquêteur dans son rapport signifiait qu'elles ont été portées à l'attention tant du ministre que des membres intéressés du public. Par conséquent, même si l'enquêteur a commis une erreur en les excluant, l'erreur était relativement sans importance et on ne peut dire qu'elle a vicié le processus au point de justifier la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder la réparation sur la présente demande de contrôle judici aire.

[95]Ayant conclu que le juge des requêtes a commis une erreur sur les motifs pour lesquels il a annulé l'ordonnance d'expropriation, je passe maintenant aux trois autres moyens invoqués par l'intimée dans le présent appel.

Question 4     L'avis d'intention d'exproprier du ministre contenait-il un exposé de la fin pour laquelle le bien-fonds était nécessaire conformément à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur l'expropriation?

[96]La disposition pertinente prévoit que l'avis d'inten tion d'exproprier donné par le ministre notamment:

5. (1) [. . .]

[. . .]

c) indique l'ouvrage public ou autre fin d'intérêt public pour lequel ou laquelle ce droit est requis;

[97]Toutefois, cette disposition est sous réserve du paragraphe 5(3), qui dispose:

5. [. . .]

(3) Lorsque le ministre estime que le droit visé par l'avis d'intention mentionné au présent article est requis par la Couronne à une fin visant la protection ou la sécurité du Canada ou d'un pays allié du Canada ou associé avec lui et qu'il ne serait pas dans l'intérê t public de donner plus de précisions, il suffit que l'avis contienne une déclaration portant que le droit est requis par la Couronne à cette fin pour qu'il soit conforme à l'alinéa (1)c ) sans autres précisions. [Soulignement ajouté.]

[98]Le ministre a invoqué cette disposition et l'avis d'intention ne fait que citer les mots soulignés. Toutefois, dans le communiqué de presse initial et à la conférence de presse tenue lorsque l'avis d'intention a été enregistré, le ministre a donné des précisions supplémentaires concernant la fin de l'expropriation. Dans ses motifs de confirmation de l'ordonnance, le ministre a répondu à la plainte que l'avis d'intention contenait des renseigneme nts insuffisants au sujet de la fin pour laquelle le bien-fonds est requis en renvoyant aux renseignements supplémentaires donnés à l'extérieur de l'avis. Ces renseignements, qui sont aussi contenus dans les motifs du ministre pour l'ordonnance d'expropria tion, fournissent le genre d'explications de l'expropriation que j'ai déjà exposées dans les présents motifs.

[99]La SPEC invite la Cour à déduire des renseignements fournis par le ministre à l'extérieur de l'avis au sujet de la fin de l'exp ropriation que celui-ci ne peut pas avoir pensé au deuxième critère du paragraphe 5(3). Ce texte prévoit que le ministre ne peut omettre dans l'avis d'intention une explication complète de la fin s'«il ne serait pas dans l'intérêt public de donner plus de précisions». Ou alors, a-t-on plaidé, les renseignements donnés à l'extérieur de l'avis sont une preuve de mauvaise foi de la part du ministre, dont il faudrait penser qu'il a invoqué le paragraphe 5(3) pour restreindre l'ampleur des oppositions. En fait, ont plaidé les avocats, le refus de l'enquêteur de permettre aux opposants de faire référence aux documents extérieurs à l'avis comme preuve de l'intention du ministre a restreint injustement leur droit de présenter leurs oppositions.

[100]Je ne puis souscrire à cet argument. Ainsi que les avocats l'ont concédé, c'est l'opinion du ministre «[l]orsque le ministre estime» qui permet au ministre d'invoquer le paragraphe 5(3) et les tribunaux sont très réticents à considérer si l'o pinion d'un ministre est bien fondée, particulièrement, cela va de soi, dans des questions relatives à la défense et à la sécurité nationales: voir, par exemple, les arrêts Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres , [1985] 1 R.C.S. 441, à la page 472; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 85. On ne peut savoir pour quelle raison le ministre était d'opinion qu'il ne serait pas dans l'intérêt public d'expliquer dans l'avis d'intentio n la fin précise pour laquelle le bien-fonds était requis, alors que le ministre lui-même et le ministère de la Défense nationale ont été plus disposés par la suite à parler du sujet.

[101]Toutefois, une conduite de ce genre, qui a une apparence d'incohérence et qui ne s'est pas produite en même temps, ne constitue pas un fondement suffisant, à mon avis, pour conclure que le ministre a agi de mauvaise foi ou ne s'est pas demandé, au moment de la rédaction de l'avis d'intention, si la communic ation n'était pas dans l'intérêt public.

[102]Il est également quelque peu paradoxal que la SPEC cherche à attaquer l'avis d'intention au motif que le ministre a divulgué plus de renseignements par la suite sur la fin de l'expropriation. Même si les motifs de l'expropriation n'avaient pas déjà été largement connus, les explications offertes ultérieurement par le gouvernement du Canada peuvent seulement avoir aidé les opposants à cibler leurs observations. Que l'enquêteur ait exercé son pouvo ir discrétionnaire pour exclure des éléments de preuve extérieurs à l'avis d'intention au sujet de la fin poursuivie par le gouvernement dans l'expropriation du bien-fonds, on ne peut dire que cela ait compromis le droit des opposants de présenter leurs op positions.

Question 5     L'enquêteur a-t-il commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 10(1) lorsqu'il a refusé d'admettre les oppositions reçues après le 21 juin 1999?

[103]L'enquêteur a décidé qu'une personne qui déposait une o pposition après le 21 juin 1999 n'avait pas le droit d'être entendue, puisque le délai légal de signification des oppositions expirait 30 jours après la publication de l'avis d'intention du ministre dans la Gazette du Canada le 22 mai. Environ 260 personnes ont été empêchées de comparaître aux audiences publiques pour ce motif.

[104]L'enquêteur a fondé sa décision sur l'article 9 de la Loi sur l'expropriation, qui dispose:

9. Toute personne qui s'oppose à l'expropriation envisagée d'un droit réel immobilier visé par un avis d'intention peut, dans un délai de trente jours à compter du jour où l'avis est donné, signifier au ministre une opposition par écrit indiquant ses nom et adresse et indiquant la nature et les motifs de son opposition et s on intérêt à s'opposer à l'expropriation envisagée. [Soulignement ajouté.]

[105]La SPEC plaide que cet article, interprété correctement, signifie que, pour donner naissance à l'obligation du ministre d'ordonner une audience publique, il faut qu'une opposition ait été signifiée au ministre dans le délai de 30 jours, et non que seules les personnes qui ont signifié leur opposition dans ce délai ont le droit de comparaître aux audiences. À l'appui de cette interprétation, la SPEC note que l'article 10 envisage la possibilité que des oppositions lui soient signifiées en dehors de ce délai:

10. (1) Immédiatement après l'expiration du délai de trente jours visé à l'article 9, le ministre ordonne, si une opposition lui a été signifiée en vertu de cet article, qu'une audience publique soit tenue au sujet de cette opposition et de toute autre opposition à l'expropriation envisagée qui lui a été ou peut lui être signifiée. [Soulignement ajouté.]

[106]L'argument revient donc à dire que l'article 9 ne dit pas expressément que ceux qui déposent leur opposition après le délai de 30 jours ne peuvent pas comparaître aux audiences. De plus, le paragraphe 10(1), les alinéas 10(4)a ) et b) et le paragraphe 10(9) de la Loi sur l'expropriation parlent de personnes qui ont déposé une opposition, sans décrire celle-ci comme une opposition déposée en vertu de l'article 9. Enfin, la mention au paragraphe 10(1) de toute autre opposition «qui lui a été ou peut lui être signifiée» [soulignement ajouté] indique que les oppositions peuvent être validement signifiées après l'expiration du délai de 30 jours.

[107]Je ne suis pas persuadé par cet argument en faveur d'une interprétation dont les avocats de la SPEC concèdent, dans leur mémoire, qu'elle n'est pas «la façon la plus naturelle d'interpréter [. . .] l'article 9». D'abord, l'interprétation «naturelle» de l'article 9 est soutenue par le fait que bon nombre des dispositions procédurales de la Loi sur l'expropriation sont limitées à des oppositions signifiées en vertu de l'article 9.

[108]Par exemple, le sous-alinéa 11(1)a )(ii) prévoit que, si une opposition a été signifiée en vertu de l'article 9, le ministre doit examiner le rap port de l'enquêteur nommé pour tenir une audience publique «à ce sujet». Ces derniers mots renvoient à une opposition signifiée en vertu de l'article 9. Si l'interprétation des articles 9 et 10 proposée par la SPEC était correcte, l'audience ne s'étendrait pas aux oppositions signifiées après le délai de 30 jours, ce qui réduirait à néant le droit d'être entendu que, selon les prétentions de la SPEC, les opposants tardifs continuent d'avoir.

[109]Je souscris à la position des avocats du procu reur général selon laquelle le régime procédural créé par la Loi sur l'expropriation, vu dans son ensemble, suppose que les opposants doivent signifier leur opposition dans le délai de 30 jours pour être admissibles à être entendus. Cherchant à donner un s ens aux mots «ou peut lui être signifiée» au paragraphe 10(1), les avocats du procureur général ont plaidé que, si des oppositions sont signifiées dans les 10 jours, par exemple, de l'avis d'intention d'exproprier donné par le ministre, ce dernier peut ord onner immédiatement la tenue d'une audience publique. Puisque le ministre n'a pas besoin d'attendre jusqu'à l'expiration du délai de 30 jours, le paragraphe 10(1) prévoit que l'audience doit être tenue au sujet des oppositions déjà signifiées au moment où il ordonne la tenue de l'audience et de toute autre opposition qui «peut lui être signifiée» par la suite, mais dans le délai de 30 jours.

[110]L'avocat de la SPEC a signalé que le paragraphe 10(1) commence par les mots «Immédiatement après l'expiration du délai de trente jours visé à l'article 9». Il en déduisait que le ministre ne pouvait ordonner la tenue d'une audience publique avant la fin du délai de 30 jours et que les mots «peut lui être signifiée» doivent s'entendre de toute oppositi on signifiée après l'expiration du délai. À mon avis, les mots par lesquels s'ouvre le paragraphe 10(1) ne font que définir le moment auquel le ministre doit ordonner la tenue d'une audience publique. Ils ne disent pas qu'il ne peut pas en ordonner la tenue plus tôt, s'il le souhaite.

[111]Néanmoins, même si le ministre ordonne la tenue d'une audience publique dans le délai de 30 jours, les mots «peut lui être signifiée» semblent se rapporter à un moment postérieur à l'expiration du délai, et non à un moment postérieur à la décision d'ordonner la tenue d'audiences publiques, mais antérieur à la fin du délai de 30 jours. Toutefois, je suis convaincu que l'interprétation des dispositions pertinentes adoptée par l'enquêteur constitue la seule int erprétation satisfaisante. Elle convient beaucoup mieux au régime procédural établi par la loi que l'interprétation proposée par la SPEC. Si les opposants pouvaient faire opposition n'importe quand, il serait impossible pour l'enquêteur de savoir combien d'opposants comparaîtront et, donc, comment répartir le temps disponible pour les présentations orales, et de donner un avis approprié au sujet des audiences publiques.

[112]Je conclus donc que l'enquêteur n'a pas commis d'erreur de droit lorsqu'il a interprété la Loi comme limitant le droit d'être entendus à ceux qui ont signifié leur opposition dans le délai de 30 jours à compter de la publication de l'avis d'intention du ministre.

Question 6     L'enquêteur a-t-il mal interprété le paragraphe 3(2) lorsqu'il a refusé d'accepter des oppositions envoyées au ministre au motif que, puisqu'elles avaient été envoyées par courrier ordinaire, elles n'avaient pas été dûment signifiées?

[113]L'enquêteur a rejeté l'opposition d'environ 350 personnes, parce que celles-ci avaient envoyé leur opposition par courrier ordinaire. Il a rejeté ces oppositions sur le fondement des dispositions suivantes de la Loi sur l'expropriation:

3. [. . .]

(2) Lorsqu'un avis d'oppositi on ou autre document doit être signifié au ministre, ce document lui est signifié en le laissant à son bureau ou en l'y envoyant par courrier recommandé, mais dans ce dernier cas le document n'est pas réputé avoir été signifié tant qu'il n'a pas été reçu à ce bureau. [Soulignement ajouté.]

[114]La SPEC plaide que les oppositions envoyées par courrier ont été «laissés à son bureau» par Postes Canada agissant comme mandataire de l'opposant. Si l'on peut penser que l'enquêteur a adopté une inter prétation stricte de la loi en excluant les oppositions envoyées par courrier ordinaire et reçues par le ministre dans le délai de 30 jours, je ne puis dire qu'il a par là mal interprété la Loi et donc commis une erreur de droit.

[115]D'abord, même si le paragraphe 3(2) permet à un opposant de laisser une opposition au bureau du ministre par l'entremise d'un mandataire, je ne suis pas certain que la relation entre une personne qui envoie une lettre par la poste et Postes Canada est un mandat comme l'allègue la SPEC. Deuxièmement, si les mots «en le laissant à son bureau» comprennent, comme le prétend la SPEC, les oppositions envoyées par courrier ordinaire ou recommandé, il était inutile pour le législateur de prévoir expressémen t que les oppositions pouvaient être envoyées par courrier recommandé. Troisièmement, dans l'usage ordinaire, il est plus naturel de dire qu'une opposition mise à la poste a été envoyée, plutôt que laissée, au bureau du ministre.

[116]Sans doute l'enquêteur aurait pu passer outre à cette irrégularité dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Toutefois, il ne l'a pas fait et rien ne permet de conclure que le fait de ne pas passer outre à cette irrégularité dans le mode de signification était de quelque manière illégal. Quoi qu'il en soit, je ferai observer que, si les personnes qui ont envoyé leur opposition tardivement ou par courrier ordinaire n'ont pas été autorisées à participer aux audiences, l'enquêteur a néanmoins lu leurs oppositi ons pour voir si elles contenaient des éléments qui n'avaient pas déjà été couverts dans les autres oppositions.

F. CONCLUSIONS

[117]Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel du procureur général, j'annulerais l'ordonnance du juge des requêt es, je rejetterais l'avis de demande modifié de la SPEC et j'accorderais au procureur général ses dépens en appel et en première instance.

Le juge Malone, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[118]Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris au résultat et à tout le raisonnement de mon collègue. Je voudrais simplement préciser que si mon collègue se montre disposé, au paragraphe 78, à supposer, sans décider la question, que le caractère simplement déraisonnable constitue la norme de contrôle appropriée à l'égard du rapport de l'enquêteur, je ne suis pas disposé à faire cette supposition.

[119]À mon avis, la norme devrait être celle du caractère manifestement déraisonnable. Je reconnais que le résultat de la décision serait le même selon l'une ou l'autre norme, comme le juge Evans conclut qu'il est satisfait en l'espèce à la norme de la décision raisonnable, mais je tiens à exprimer mon inquiétude devant le fait qu'une cour ne fasse même qu'envisager d'appliquer cette norme à l'exercice d'une telle fonction. Mon collègue décrit la fonction comme discrétionnaire et il est clairement implicite dans la Loi que, dans les circonstances de l'es pèce, le pouvoir discrétionnaire est effectivement très large. L'enquêteur doit simplement faire un rapport «sur la nature et les motifs» des oppositions présentées. Les termes «la nature et les motifs» sont imprécis et constituent une invitation à des déc isions subjectives. Il est également très important de noter qu'il est tenu par la Loi de présenter ce rapport dans un délai de 30 jours (pouvant être prolongé à 60 jours) à compter de sa nomination, sans égard au nombre et au contenu des oppositions prése ntées. Comme mon collègue le démontre clairement dans les paragraphes ultérieurs, l'enquêteur n'exerce pas là une fonction juridictionnelle, ni n'aide le ministre à exercer une telle fonction. Il doit simplement recevoir et décrire les oppositions, mais no n les apprécier, pour un ministre qui exerce essentiellement une fonction politique en décidant si les membres du public ont fourni des oppositions qu'il devrait prendre en compte pour déterminer s'il y a lieu de poursuivre l'expropriation. Les parties qui se sont opposées en l'espèce n'avaient pas de droits privés ou publics sur le bien-fonds en question. L'ensemble de l'échéancier, selon lequel l'enquêteur devait présenter son rapport dans les 60 jours suivant sa nomination, indique clairement qu'il devra recourir à divers expédients pour se conformer aux délais selon le nombre et la complexité des oppositions reçues. Je ne puis imaginer un pouvoir discrétionnaire plus large conféré, à la fois expressément et implicitement, à un fonctionnaire sur la façon dont il doit s'acquitter de la fonction qui lui est conférée par la loi et je n'arrive pas à voir comment ou pourquoi un tribunal chercherait à redire à la manière dont il a choisi de s'acquitter de ses obligations en l'absence d'une démonstration du carac tère manifestement déraisonnable de cette manière.

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