A-739-00
2002 CAF 218
Ordre des architectes de l'Ontario (appelant)
c.
Association of Architectural Technologists of Ontario (intimée)
Répertorié: Ordre des architectes de l'Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario (C.A.)
Cour d'appel, juges Stone, Evans et Sharlow, J.C.A.-- Toronto, 23 avril; Ottawa, 28 mai 2002.
Marques de commerce -- Marques officielles -- Appel d'une décision de la Section de première instance qui a rejeté une demande visant à infirmer la décision du registraire des marques de commerce de donner un avis public d'adoption et emploi d'une marque officielle par l'Association of Architectural Technologists of Ontario (AATO) -- Seule une autorité publique peut enregistrer une marque officielle en vertu de l'art. 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce -- L'AATO est une personne morale à but non lucratif qui a été constituée par lettres patentes et prorogée par une loi privée de la législature de l'Ontario -- Le juge saisi de la demande a statué que l'AATO est une autorité publique relevant du contrôle de l'assemblée législative qui peut modifier sa loi habilitante -- Appel accueilli -- Application du critère en deux volets du contrôle gouvernemental et du bien public pour déterminer s'il s'agit d'une autorité publique -- L'obligation de faire quelque chose qui profite à l'ensemble du public (troisième volet du critère établi par la jurisprudence anglaise) peut être pertinente comme élément de l'intérêt public -- Le contrôle gouvernemental d'un organisme par ailleurs privé commande une supervision gouvernementale continue des activités -- Le pouvoir exclusif du législateur de modifier les objets, pouvoirs et devoirs de l'AATO est insuffisant pour satisfaire au critère du contrôle gouvernemental parce qu'il ne permet pas au gouvernement d'exercer une influence continue -- Les activités de l'AATO profitent au public -- En établissant et en appliquant des normes de compétence régissant en partie l'exercice de la profession, elle offre au public une certaine assurance quant à la compétence et à l'honnêteté de ses membres -- Le fait que des activités peuvent aussi profiter à des membres n'empêche pas fatalement qu'elles puissent profiter au public.
Marques de commerce -- Pratique -- Le registraire des marques de commerce a donné un avis public de l'adoption et emploi de marques officielles par l'Association of Architectural Technologists of Ontario (AATO) -- L'Ordre des architectes de l'Ontario a demandé à la Section de première instance d'annuler la décision du registraire en invoquant les Règles de la Cour fédérale (1998) qui régissent à la fois les demandes de contrôle judiciaire et les appels en vertu de l'art. 56 de la Loi sur les marques de commerce, sans toutefois préciser quelle avenue il entendait suivre -- La demande devait être considérée comme une demande de contrôle judiciaire et non comme un appel -- Rien dans l'esprit de l'art. 9(1) de la Loi sur les marques de commerce justifie de s'écarter du principe normal selon lequel une personne qui n'était ni partie ni intervenante aux procédures n'a pas qualité pour exercer un droit d'appel.
Il s'agissait de l'appel d'une décision de la Section de première instance qui a rejeté une demande de l'Ordre des architectes de l'Ontario (OAO) visant à infirmer la décision du registraire des marques de commerce de donner un avis public de l'adoption et emploi comme marques officielles par l'Association of Architectural Technologists of Ontario (AATO) des termes «architectural technician», «architecte-technicien», «architectural technologist», «architecte-technologue». Seule une autorité publique peut enregistrer une marque officielle en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce. Le juge saisi de la demande a statué que le registraire n'avait commis aucune erreur en concluant que l'AATO est une autorité publique. L'AATO est une personne morale ontarienne à but non lucratif et sans capital-actions. Elle a été constituée par lettres patentes en 1969 et par la suite prorogée par une loi privée de la législature de l'Ontario. L'OAO a présenté une demande à la Section de première instance conformément à la règle 300 des Règles de la Cour fédérale (1998), qui régit à la fois les demandes de contrôle judiciaire et les appels en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, sans préciser quelle avenue il entendait suivre. L'article 56 prévoit qu'un appel peut être interjeté à la Cour fédérale de toute décision rendue par le registraire. Le juge saisi de la demande a décidé que l'OAO n'avait pas qualité sous le régime de l'article 56 pour interjeter appel d'une décision du registraire à laquelle il n'avait pas été partie. Toutefois, étant donné que la décision du registraire restreignait le droit des membres de l'OAO d'employer les marques de l'AATO pour leurs services, l'OAO était concerné par la décision et avait qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Le juge a estimé qu'en tant qu'organisme créé par une loi, l'AATO relève du contrôle de l'assemblée législative qui l'a créée parce que sa loi habilitante peut être modifiée en tout temps et que, par conséquent, l'AATO est une autorité publique.
Les questions en litige étaient les suivantes: 1) est-ce une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale ou un appel en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce qui constitue la procédure appropriée par laquelle une personne intéressée peut contester l'avis public d'adoption d'une marque officielle donné par le registraire, et 2) l'AATO, un organisme professionnel autonome, est-elle une autorité publique aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii).
Arrêt: l'appel est accueilli.
1) La présente demande devait être considérée comme une demande de contrôle judiciaire et non comme un appel fondé sur l'article 56. Normalement, les droits d'appel sont limités aux parties ou aux intervenants. En l'absence de jurisprudence pertinente, rien dans l'esprit du paragraphe 9(1) justifierait de s'écarter du principe normal. Il serait étrange que le législateur accorde à une personne qui n'avait aucun droit d'être partie devant le registraire le droit d'interjeter appel en vertu de l'article 56, avec son caractère inhabituel de procès de novo. Si l'article 56 est quelque peu irrégulier en ce qu'il accorde aux parties devant le registraire, un tribunal spécialisé, le droit de présenter une preuve additionnelle dans le cadre d'un appel à la Cour fédérale, il faut prendre soin de ne pas aggraver l'anomalie en étendant ce droit à ceux qui n'avaient pas le droit de présenter une preuve ou une argumentation devant le registraire et qui, de fait, s'en sont abstenus. Par contre, une personne pourrait avoir qualité pour interjeter appel si elle a appris de quelque autre façon l'existence de la demande au titre du sous-alinéa 9(1)n)(iii) et a présenté au registraire des observations à l'encontre de l'avis public d'adoption et emploi de la marque comme marque officielle. De plus, il est peu probable que le droit de présenter une preuve dont ne disposait pas le registraire puisse faciliter l'examen de la gamme restreinte des questions décidées par le registraire lorsqu'il donne avis public conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii). Comme le législateur a créé une procédure sommaire, non contradictoire, pour trancher la gamme restreinte des questions qui se posent dans le cadre d'une demande en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii), il serait étrange d'attribuer au législateur l'intention de permettre la production d'une telle preuve par voie d'appel à la Section de première instance.
2) Même si un critère en trois volets assorti d'une obligation envers le public en général a été adopté dans la jurisprudence anglaise, au Canada, le degré de contrôle gouvernemental et la mesure dans laquelle le public profite des activités de l'organisme sont considérés comme les facteurs les plus importants pour déterminer si un organisme est une autorité publique aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii). Notre Cour a considéré le critère de l'obligation envers le public comme inapproprié dans le contexte du sous-alinéa 9(1)n)(iii), du moins dans la façon dont l'a appliqué une certaine jurisprudence concernant les autorités publiques et les courts délais de prescription. La jurisprudence n'est pas unanime sur la pertinence d'examiner si un organisme est assujetti à des obligations envers le public. Il n'y a aucun motif de s'écarter du critère en deux volets du contrôle gouvernemental et du bien public. Toutefois, pour déterminer si les fonctions d'un organisme sont suffisamment axées sur l'intérêt public, la cour peut prendre en considération ses objets, devoirs et pouvoirs, y compris la distribution de ses biens. Dans ce contexte, l'obligation de faire quelque chose qui profite à l'ensemble du public est pertinente comme élément de «l'intérêt public», même s'il ne s'agit pas d'une «obligation publique» dans le sens où elle serait légalement exécutoire par un recours de droit public, tel le bref de mandamus ou son équivalent. Le juge saisi de la demande a bien formulé en droit le critère applicable pour déterminer si l'AATO est une autorité publique.
Le critère du contrôle gouvernemental d'un organisme par ailleurs privé exige une supervision gouvernementale continue des activités de l'organisme qui réclame le statut d'autorité publique aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii). Le pouvoir exclusif du législateur de modifier les objets, pouvoirs et devoirs de l'AATO est insuffisant pour satisfaire au critère du contrôle gouvernemental parce que ce n'est pas un pouvoir qui permet au gouvernement, directement ou par l'intermédiaire des membres qu'il désigne, d'exercer sur la gouvernance et la prise de décision de l'organisme une influence continue semblable à celle qu'on retrouve souvent dans les lois portant sur les organismes qui régissent une profession en en contrôlant l'exercice par la délivrance de permis, comme l'architecture et le droit. Si on garde à l'esprit le contexte législatif dans lequel s'est posée cette question (c.-à-d. le sous-alinéa 9(1)n)(iii)), il ne faut pas donner à ce sous-alinéa un sens extensif en mettant sur le même pied la nécessité d'une modification législative et le contrôle gouvernemental. Le fait qu'un organisme autonome soit d'origine législative et que ses objets et pouvoirs puissent être unilatéralement et exclusivement modifiés par le législateur qui l'a créé, ne constitue pas en droit un «contrôle gouvernemental» dans le présent contexte.
Par souci de vider complètement la question, l'AATO a satisfait à l'élément «intérêt du public» aux fins sous-alinéa 9(1)n)(iii). Même si elle ne régit pas une profession au sens où elle contrôle les activités professionnelles que seuls ses membres peuvent légalement exercer, en établissant et en appliquant des normes de compétence et de déontologie pour ses membres, l'AATO régit en partie l'exercice de la profession, c'est-à-dire qu'elle régit la partie de la profession qui touche l'emploi que font les praticiens de leur qualité de membres de l'AATO et des désignations légales, dont les titres d'architecte-technicien ou architecte-technologue, en liaison avec les services qu'ils rendent. De plus, les activités de régie de l'AATO profitent au public. Lorsqu'il engage un membre de l'AATO, le client a une certaine assurance que la personne engagée est compétente et honnête. Le fait que les activités de l'AATO puissent aussi profiter à ses membres n'empêchait pas fatalement qu'elles puissent profiter au public. Enfin, les décisions de l'AATO touchant le refus d'accorder la qualité de membre et les sanctions disciplinaires sont susceptibles d'appel à la Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice sur des questions de fait et de droit. En étendant quelque peu la portée du contrôle judiciaire auquel de telles décisions seraient par ailleurs soumises, le législateur a fourni une autre indication que le public profite de l'exercice approprié des fonctions de l'AATO.
lois et règlements
Association of Architectural Technologists of Ontario Act, 1996, L.O. 1996, ch. Pr20, art. 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées, L.O. 1991, ch. 18, art. 2, 3, 5, 6. |
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5). |
Loi sur les architectes, L.R.O. 1990, ch. A.26, art. 2(1),(2),(3), 3(2)b), 6, 7(1), 11(1), 13(1), 29(1)b), 31(1), 33(1)b), 46(8)c). |
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 9(1)n)(iii), 11.13(1) (édicté par L.C. 1994, ch. 47, art. 192), 37(1), 38 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 134), 56. |
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 300, 312. |
jurisprudence
décision appliquée:
Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577; [2002] 7 W.W.R. 1; 10 C.C.L.T. (3d) 157; 30 M.P.L.R. (3d) 1; 286 N.R. 1; 219 Sask. R. 1 (C.S.C.).
décisions examinées:
Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Association of Parents for Fairness in Education et autres, [1986] 1 R.C.S. 549; (1986), 67 N.B.R. (2d) 271; 27 D.L.R. (4th) 406; 177 A.P.R. 271; 19 Admin. L.R. 211; 23 C.R.R. 119; 66 N.R. 173; Registraire des marques de commerce (Le) c. L'Association olympique canadienne, [1983] 1 C.F. 692; (1982), 139 D.L.R. (3d) 190; 67 C.P.R. (2d) 59; 43 N.R. 52 (C.A.); Assoc. olympique canadienne c. USA Hockey, Inc. (1997), 74 C.P.R. (3d) 348 (C.F. 1re inst.); Assoc. olympique canadienne c. USA Hockey, Inc. (1999), 3 C.P.R. (4th) 259 (C.A.F.); Magnotta Winery Corp. c. Vintners Quality Alliance of Canada (1999), 1 C.P.R. (4th) 68; 163 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.); Société canadienne des postes c. Post Office, [2001] 2 C.F. 63; (2000), 8 C.P.R. (4th) 289; 191 F.T.R. 300 (1re inst.); Maple Leaf Meats Inc. c. Consorzio Del Prosciutto Di Parma (2000), 9 C.P.R. (4th) 485; 197 F.T.R. 272 (C.F. 1re inst.); Restaurants Pacini Inc. c. Pachino's Pizza Ltd. (1994), 112 F.T.R. 29 (C.F. 1re inst.); Assoc, des Grandes Soeurs de l'Ontario c. Grands Frères du Canada (1997), 75 C.P.R. (3d) 177 (C.F. 1re inst.); conf. par (1999), 86 C.P.R. (3d) 504; 242 N.R. 171 (C.A.F.); Anne of Green Gables Licensing Authority Inc. v. Avonlea Traditions Inc. (2000), 4 C.P.R. (4th) 289; [2000] O.T.C. 133 (C.S. Ont.); conf. par (2000), 6 C.P.R. (4th) 57; 130 O.A.C. 369 (C.A. Ont.).
décisions mentionnées:
Assoc. Olympique canadienne c. USA Basketball, 1997 A.C.F. no 825 (1re inst.) (QL); Molson Breweries c. John Labatt Ltd., [2000] 3 C.F. 145; (2000), 5 C.P.R. (4th) 180; 252 N.R. 91 (C.A.); Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co. (1999), 23 Admin. L.R. (3d) 153; 3 C.P.R. (4th) 224; 176 F.T.R. 80 (C.F. 1re inst.); Canadian Pasta Manufacturers' Assn. c. Aurora Importing & Distributing Ltd. (1997), 208 N.R. 329 (C.A.F.); Austin Nichols & Co., Inc. c. Cinnabon Inc., [1998] 4 C.F. 569; (1998), 82 C.P.R. (3d) 513; 231 N.R. 362 (C.A.); Assoc. Olympique canadienne c. Konica Canada Inc., [1992] 1 C.F. 797; (1991), 85 D.L.R. (4th) 719; 39 C.P.R. (3d) 400; 135 N.R. 143 (C.A.); Mihaljevic c. Colombie-Britannique (1988), 22 F.T.R. 59 (C.F. 1re inst.); conf. par (1990), 34 C.P.R. (3d) 54; 116 N.R. 218 (C.A.F.); Glaxo Wellcome plc c. M.R.N., [1998] 4 C.F. 439; (1998), 162 D.L.R. (4th) 433; 7 Admin. L.R. (3d) 147; 20 C.P.C. (4th) 243; 81 C.P.R. (3d) 372; 228 N.R. 164 (C.A.); Stadium Corporation of Ontario Ltd. c. Wagon-Wheel Concessions Ltd., [1989] 3 C.F. 132; (1989), 24 C.I.P.R. 24; 25 C.P.R. (3d) 293; 29 F.T.R. 241 (1re inst.).
doctrine
Hughes, Roger T. and T. P. Ashton. Hughes on Trade Marks, looseleaf (Toronto: Butterworths, 1984).
APPEL de la décision de la Section de première instance qui a rejeté une demande de l'Ordre des architectes de l'Ontario (Ordre des architectes de l'Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, [2001] 1 C.F. 577; (2000), 9 C.P.R. (4th) 496; 196 F.T.R. 208) visant à infirmer la décision du registraire des marques de commerce de donner un avis public d'adoption et emploi par l'Association of Architectural Technologists of Ontario (AATO) comme marques officielles des termes «architectural technician», «architecte-technicien», «architectural technologist», «architecte-technologue». Appel accueilli pour le motif que le pouvoir exclusif du législateur de modifier les objets, pouvoirs et devoirs de l'AATO était insuffisant pour satisfaire au critère du contrôle gouvernemental dans le cas d'une autorité publique.
ont comparu:
Glen A. Bloom pour l'appelant.
Leon J. Melconian pour l'intimée.
avocats inscrits au dossier:
Osler, Hoskin & Harcourt LLP, Ottawa, pour l'appelant.
Melconian Law Office, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Evans, J.C.A.:
A. INTRODUCTION
[1]Le registraire des marques de commerce a donné un avis public indiquant que l'Association of Architectural Technologists of Ontario (AATO) a adopté et employé comme marques officielles pour ses services les termes «architectural technician», «architecte-technicien», «architectural technologist», «architecte-technologue».
[2]Ainsi, les membres de l'appelant, l'Ordre des architectes de l'Ontario (OAO), peuvent être empêchés d'employer l'un de ces termes pour leurs services professionnels, sauf s'ils avaient commencé à les employer avant le 28 avril 1999, date à laquelle le registraire a publié dans le Journal des marques de commerce un avis public d'adoption et emploi de ces termes par l'AATO à titre de marques officielles.
[3]Il s'agit de l'appel d'une décision de la Section de première instance qui a rejeté une demande de l'OAO visant à infirmer la décision de donner un avis public d'adoption et emploi des marques officielles. Le juge saisi de la demande a estimé que le registraire n'avait commis aucune erreur susceptible d'examen en concluant que l'AATO est une autorité publique et qu'elle a adopté et employé les marques à titre de marques officielles pour des services. La décision est publiée sous l'intitulé Ordre des architectes de l'Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, [2001] 1 C.F. 577 (1re inst.).
[4]La faculté de demander une marque officielle au lieu d'une simple marque de commerce comporte de grands avantages pour un organisme. Toutefois, seule une autorité publique peut enregistrer une marque officielle en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13. La question principale qui se pose dans le présent appel est de savoir si l'AATO, un organisme professionnel autonome, est une autorité publique aux fins de cette disposition et est ainsi habilitée à demander au registraire de donner un avis public d'adoption et emploi d'une marque comme marque officielle.
[5]Une question accessoire se pose aussi, celle de savoir si c'est la demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, ou l'appel en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, qui constitue la procédure appropriée par laquelle une personne intéressée peut contester l'avis public d'adoption d'une marque officielle donné par le registraire. La présente instance n'exige pas la résolution de cette question mais je me propose de l'aborder dans les présents motifs puisqu'il existe dans la profession une incertitude justifiable quant au recours approprié dans ce genre d'affaires.
B. LES FAITS
[6]L'AATO est une personne morale ontarienne à but non lucratif et sans capital-actions. Elle a été constituée par lettres patentes en 1969 et par la suite prorogée par une loi privée de la législature de l'Ontario, intitulée Association of Architectural Technologists of Ontario Act, 1996, L.O. 1996, ch. Pr20 (Loi AATO).
[7]Le 5 octobre 1998, les avocats de l'AATO ont écrit au registraire pour lui demander de donner avis public de ses marques officielles. La demande formelle s'énonçait comme suit: [traduction] «La marque officielle a été adoptée et employée par la demanderesse en rapport avec des services.» Aucune autre preuve de l'adoption ou de l'emploi des marques par l'Association n'a été fournie.
[8]Dans sa réponse en date du 23 novembre 1998, un examinateur de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada demandait à l'AATO si elle était assujettie à un degré suffisant de contrôle gouvernemental pour se qualifier comme autorité publique sous le régime du sous-alinéa 9(1)n)(iii). Les avocats de l'AATO étaient priés de considérer les cinq facteurs énoncés dans l'arrêt Registraire des marques de commerce (Le) c. L'Association olympique canadienne, [1983] 1 C.F. 692 (C.A.), concernant le critère du contrôle gouvernemental. Leur réponse à cette requête a manifestement convaincu l'examinateur, et l'avis public d'adoption et emploi par l'AATO des marques à titre de marques officielles a été publié dans le Journal des marques de commerce du 28 avril 1999.
[9]L'Ordre des architectes de l'Ontario (OAO) est une personne morale constituée en vertu des lois de l'Ontario et prorogée à titre de personne morale sans capital-actions en vertu de la Loi sur les architectes, L.R.O. 1990, ch. A.26. Les objets de l'OAO comprennent la réglementation de l'exercice de l'architecture en Ontario et de la conduite de ses membres: paragraphes 2(1) et (2). Les permis d'exercer la profession d'architecte en Ontario sont délivrés par le registraire de l'OAO aux personnes qui ont satisfait aux exigences: paragraphe 13(1). Seuls les titulaires de permis ou de certificats d'exercice peuvent exercer la profession d'architecte dans la province: paragraphe 11(1).
[10]Le 23 juin 1999, l'OAO a demandé à la Section de première instance d'annuler la décision du registraire de donner un avis public d'adoption et emploi des marques officielles par l'AATO. La demande a été faite conformément à la règle 300 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, qui régit à la fois les demandes de contrôle judiciaire et les appels en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce. Toutefois, le demandeur n'a pas précisé quelle avenue il entendait suivre.
C. LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE
[11]Le juge saisi de la demande a d'abord décidé que l'OAO n'avait pas qualité, sous le régime de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, pour interjeter appel d'une décision du registraire à laquelle il n'avait pas été partie. Toutefois, étant donné que la décision du registraire restreignait le droit des membres de l'OAO d'employer les marques de l'AATO pour leurs services, l'OAO était concerné par la décision et avait qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Il a donc traité la demande comme s'il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire. Comme l'OAO avait déposé son avis de demande après le délai imparti pour la présentation d'une demande de contrôle judiciaire, mais dans le délai prévu pour un appel, le juge a dû implicitement accorder une prorogation de délai.
[12]En second lieu, le juge a estimé que l'AATO était une autorité publique et que de ce fait, elle avait le droit de demander qu'un avis public d'adoption et emploi de marques officielles soit donné. Il a considéré (au paragraphe 18) qu'en tant qu'organisme créé par une loi, l'AATO relève du contrôle de l'assemblée législative qui l'a créée: «Sa loi habilitante peut être modifiée ou abrogée par le gouvernement de l'Ontario en tout temps.»
[13]Appliquant les éléments «obligation publique» et «fonction publique» que comporte le critère à appliquer pour déterminer si un organisme est une autorité publique, le juge a conclu (au paragraphe 19) que, même si l'AATO sert indubitablement les intérêts de ses membres, elle est aussi redevable «envers le public en ce qui concerne la réglementation de l'exercice de la profession» par l'application de normes de déontologie et de compétence à l'endroit de ses membres. Il a ajouté que les revenus de l'AATO doivent servir à la promotion des fonctions réglementaires et non au profit de ses membres. Aussi le juge a-t-il conclu que les objets constitutifs de l'AATO ainsi que les pouvoirs qu'elle exerçait sur ses membres suffisaient à lui imposer des responsabilités envers le public et à lui conférer une fonction publique. En conséquence, ses activités servaient à l'intérêt du public.
[14]En troisième lieu, le juge s'est dit convaincu qu'en déclarant simplement dans sa demande au registraire qu'elle avait adopté et employé les marques à titre de marques officielles, l'AATO s'était acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait quant au respect de cette exigence de la loi.
C. LE CADRE LÉGISLATIF
Loi sur les marques de commerce,
L.R.C. (1985), ch. T-13.
9. (1) [. . .]
n) tout insigne, écusson, marque ou emblème:
[. . .]
(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services,
à l'égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d'adoption et emploi;
[. . .]
56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.
Association of Architectural Technologists
of Ontario Act, 1996, L.O. 1996, ch. Pr20.
[15]Il convient ici de mentionner les dispositions de la Loi AATO applicables au présent appel. L'article 2 établit les principaux objets de l'AATO, lesquels sont virtuellement identiques à ceux de ses lettres patentes que la Loi a remplacées.
[traduction]
2. Les objets de l'Association sont les suivants:
a) accroître les connaissances, les aptitudes et la compétence des architectes-technologues, architectes- techniciens, technologues en bâtiment et techniciens en bâtiment et accorder la reconnaissance professionnelle à ces personnes; |
b) promouvoir le respect de la plus haute norme de qualité et de compétence dans le domaine de la technologie de l'architecture; |
c) établir, réviser et appliquer des règles de déontologie strictes à l'endroit des membres de l'Association dans le domaine de la technologie de l'architecture; |
d) informer le public des buts et objets de l'Association; |
e) promouvoir Les relations harmonieuses entre les membres de l'Association afin de stimuler le développement de l'Association et d'accroître sa réputation dans le public. |
Tout surplus de fonds provenant des activités de l'AATO doit être affecté uniquement à la poursuite de ses objets et ne doit pas être réparti entre ses membres: article 13.
[16]L'article 3 de la Loi crée un conseil qui dirige les activités de l'AATO, et prévoit l'élection des membres du conseil. L'article 4 confère au conseil le pouvoir d'établir des règlements, auxquels le public doit avoir accès.
[17]L'AATO doit accorder la qualité de membre à tous les candidats qui sont citoyens canadiens, ont une bonne réputation et qui, de l'avis de sa commission d'attestation, répondent aux exigences réglementaires ou possèdent des qualifications équivalentes: article 5. Le registraire de l'AATO a l'obligation de tenir un registre des membres en règle, lequel doit être accessible au public (article 7), et de rayer du registre les noms de membres dont l'inscription a été suspendue ou révoquée par suite de mesures disciplinaires ou dont la qualité de membre est échue pour d'autres motifs (article 8). Une copie du registre, certifiée conforme par le registraire, fait dans toute procédure, en l'absence de preuve contraire, preuve de la qualité de membre de l'AATO: article 11. Quiconque se voit refuser la qualité de membre de l'AATO ou fait l'objet d'une mesure disciplinaire peut interjeter appel à la Cour divisionnaire sur des questions de fait ou de droit: article 10.
[18]L'article 9 définit l'étendue du monopole créé par la Loi. Le paragraphe 9(1) prévoit qu'un membre inscrit à l'AATO peut employer la désignation «M.A.A.T.O.» et l'une ou l'autre des désignations suivantes: «architectural technician» ou «architecte-technicien»; «architectural technologist» ou «architecte-technologue»; «registered building technologist» ou «registered building technician» . Quiconque n'est pas membre inscrit de l'AATO et emploie ces titres ou prétend être membre inscrit commet une infraction: paragraphe 9(2). Toutefois, à la suite d'observations présentées par l'OAO, on a ajouté le paragraphe 9(3) qui crée une exception importante au paragraphe (2): ainsi, le fait d'employer des titres réservés à l'usage exclusif des membres de l'AATO ne constitue pas une infraction pour les détenteurs de permis ou de certificat d'exercice décernés sous le régime de la Loi sur les architectes, ou pour ceux qui ont, en vertu de l'alinéa 46(8)c) de cette Loi, le droit d'employer les titres «architect» ou «architecte».
[19]L'article 12 met en lumière l'étendue relativement restreinte du monopole accordé par la Loi. Il prévoit que, sous réserve du paragraphe 9(2), rien dans la Loi n'empêche ceux qui ne sont pas membres de l'AATO de se désigner comme «building technologists» ou «building technicians», d'être embauché à ce titre ou d'offrir ou de fournir des services semblables à ceux qui sont offerts ou fournis par les architectes-technologues ou les architectes-techniciens.
D. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE
Première question L'appelant aurait-il dû procéder par voie de demande de contrôle judiciaire ou par voie d'appel? |
a) Historique judiciaire
[20]Avant la décision frappée d'appel, il existait un doute à la Section de première instance quant à savoir si la contestation juridique d'un avis public donné conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce devait se faire par voie de demande de contrôle judiciaire ou par voie d'appel en vertu de l'article 56.
[21]Dans l'une des premières décisions abordant cette question, le juge en chef adjoint Jerome a dit que le demandeur aurait pu interjeter appel d'un avis public d'adoption et emploi d'une marque officielle, «en présumant qu'il avait qualité pour agir»: Assoc. Olympique canadienne c. USA Hockey, Inc. (1997), 74 C.P.R. (3d) 348 (C.F. 1re inst.), à la page 350. Au même effet, voir aussi Assoc. Olympique canadienne c. USA Basketball, 1997 A.C.F. no 825 (1re inst.) (QL).
[22]En appel, la question a été soulevée mais non réglée dans un bref jugement oral. La Cour a simplement convenu que l'institution d'une action n'était pas la procédure appropriée pour contester la décision implicite du registraire selon laquelle les intimées étaient des autorités publiques aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii): Assoc. Olympique canadienne. c. USA Hockey, Inc. (1999), 3 C.P.R. (4th) 259 (C.A.F.), à la page 260, le juge Desjardins.
[23]La question a ensuite été examinée dans la décision Magnotta Winery Corp. c. Vintners Quality Alliance of Canada (1999), 1 C.P.R. (4th) 68 (C.F. 1re inst.), une affaire portant sur une requête en prorogation du délai imparti pour la présentation d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Le juge Reed ayant accordé la prorogation (au paragraphe 24), elle n'a pas eu à décider si la procédure appropriée était la demande de contrôle judiciaire ou l'appel.
[24]Elle a toutefois pris acte (au paragraphe 20) des décisions précitées mettant en cause l'Association olympique canadienne ainsi que de l'opinion exprimée par R. Hughes et al., dans Hughes on Trade Marks (Toronto: Butterworths, 1984), note 27, aux pages 453 à 457, selon laquelle la personne qui s'est vu refuser par le registraire une demande d'avis public pouvait interjeter appel. Après avoir constaté (au paragraphe 27) que d'autres demandeurs semblaient néanmoins avoir institué des procédures en vertu de l'article 56, le juge Reed a conclu: «Il ne fait aucun doute que ce n'est pas la présente Cour qui se prononcera sur la procédure appropriée. Cette décision appartient à la Cour d'appel.» Elle a indiqué que les demandeurs pourraient éviter le problème procédural en faisant simultanément une demande d'appel et une demande de contrôle judiciaire.
[25]Plus récemment, après avoir souligné l'absence de clarté sur la question, le juge Tremblay-Lamer a dit ceci dans Société canadienne des postes c. Post Office, [2001] 2 C.F. 63 (1re inst.), au paragraphe 31: «comme la demanderesse n'était pas partie à l'avis donné par le registraire, la demande de contrôle judiciaire me semble un recours plus approprié». Toutefois, étant donné que l'intimée dans cette affaire avait à la fois qualité pour interjeter appel et pour demander le contrôle judiciaire, le juge a autorisé la procédure par voie d'appel et, à l'instar du juge Reed, a préféré laisser à la présente Cour la question de la procédure appropriée.
[26]La décision faisant l'objet du présent appel est donc la première où un juge de première instance a décidé sans équivoque qu'une personne qui n'a pas participé à une procédure d'avis public devant le registraire n'a pas qualité pour interjeter appel. Toute contestation doit être faite par voie de demande de contrôle judiciaire. Cette décision a été suivie par le juge O'Keefe dans Maple Leaf Meats Inc. c. Consorzio Del Prosciutto Di Parma (2000), 9 C.P.R. (4th) 485 (C.F. 1re inst.), qui a refusé de transformer l'appel en demande de contrôle judiciaire tant qu'il n'aurait pas entendu tous les arguments à l'appui d'une demande de prorogation du délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Un avis de désistement de cet appel (dossier no A-836-00) a été déposé au nom de l'appelant le 25 avril 2002.
b) Comparaison de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale et de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce
[27]Afin de définir le contexte dans lequel se pose la question procédurale examinée, il est pertinent de comparer les caractéristiques de l'appel en vertu de l'article 56 et celles de la demande de contrôle judiciaire. Elles sont similaires sur au moins deux aspects. Premièrement, les deux procédures commencent par une demande: Règles de la Cour fédérale (1998), alinéas 300a) et d).
[28]Deuxièmement, il est peu probable que la norme d'examen des questions de droit relevant de l'expertise du registraire dépende du cadre procédural dans lequel les décisions sont contestées. Malgré le caractère de novo de l'appel fondé sur l'article 56, les décisions sur les questions relevant de l'expertise du registraire ont été considérées comme susceptibles d' examen du fait de leur caractère déraisonnable, à moins qu'une preuve additionnelle sur une question de fait soit présentée à la Section de première instance: Molson Breweries c. John Labbatt Ltd., [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), au paragraphe 51. Il est difficilement imaginable que, s'agissant d'une demande de contrôle judiciaire, une norme moins déférente serait appliquée à une question de droit relevant de l'expertise du registraire. En l'absence d'une clause limitative, on ne s'attendrait pas non plus à ce que la Cour adopte la norme plus déférente du caractère manifestement déraisonnable.
[29]D'autre part, il existe deux différences principales entre les appels en vertu de l'article 56 et les demandes de contrôle judiciaire. La première concerne la norme et le champ d'examen des conclusions de fait du registraire, y compris les faits qui relèvent du pouvoir discrétionnaire. Dans un appel en vertu de l'article 56, le demandeur a le droit de présenter une preuve qui n'était pas devant le registraire. Quand une preuve additionnelle est présentée, le juge de première instance qui entend l'appel doit examiner les conclusions de fait selon la norme de la décision correcte. Toutefois, vu l'expertise spécialisée du registraire et la déférence correspondante accordée à ses décisions, le droit des parties de transformer l'appel d'une décision du registraire en un nouveau procès semble quelque peu anormal et est susceptible d'inciter les parties à considérer le processus administratif comme un simple relais vers la Cour fédérale: Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co. (1999), 23 Admin. L.R. (3d) 153 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 41; Molson Breweries, précité, aux paragraphes 45 à 48.
[30]Par contre, les demandes de contrôle judiciaire sont normalement jugées sur la base des documents soumis au décideur administratif. Une preuve par affidavit est toutefois recevable sur des questions d'équité procédurale et de compétence. Le dépôt d'affidavits supplémentaires et le contre-interrogatoire sur ces derniers exigent l'autorisation de la Cour: Règles de la Cour fédérale (1998), règle 312.
[31]De plus, si aucune preuve additionnelle n'est présentée devant la Section de première instance, la norme d'examen des conclusions de fait du registraire lors d'un appel est celle du caractère déraisonable: Molson Breweries, précité. Toutefois, suivant l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, la norme d'examen des conclusions de fait erronées est plus déférente et s'apparente à la norme du caractère manifestement déraisonnable: Canadian Pasta Manufacturers' Assn. c. Aurora Importing & Distributing Ltd. (1997), 208 N.R. 329 (C.A.F.), aux paragraphes 5 à 7.
[32]Une deuxième différence, quoique généralement moins importante, entre l'appel fondé sur l'article 56 et la demande de contrôle judiciaire, a trait aux délais de prescription. La demande de contrôle judiciaire doit normalement être présentée dans les 30 jours suivant la date où le demandeur reçoit avis de la décision administrative en cause: paragraphe 18.1(2). D'autre part, le demandeur a deux mois pour déposer et signifier l'avis d'appel: paragraphe 56(2). Toutefois, puisque les deux dispositions confèrent à la Cour le pouvoir discrétionnaire de proroger ces délais de prescription, cette différence ne sera généralement pas appréciable.
c) Le sous-alinéa 9(1)n)(iii)
[33]Le paragraphe 9(1) est aussi un élément contextuel important pour statuer sur la question procédurale. Il est muet sur les recours par lesquels une personne peut demander au registraire de donner avis d'une marque officielle ou faire valoir qu'elle est lésée ou par ailleurs concernée par la décision du registraire. Or, le droit d'appel en vertu de l'article 56 est de nature générale parce qu'il s'applique «à tous les appels interjetés par quelque partie que ce soit à l'égard de toute instance devant le registraire»: ;Austin Nichols & Co., Inc. c. Cinnabon Inc., [1998] 4 C.F. 569 (C.A.), au paragraphe 10, le juge Décary. Il s'applique donc en principe à la décision du registraire de donner un avis public d'adoption et emploi d'une marque officielle conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii). La seule question procédurale litigieuse dans le présent appel est de savoir si, eu égard aux faits qui nous sont soumis, l'AATO a qualité pour interjeter appel en vertu de l'article 56.
[34]L'avis public donné conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii) a un effet important, celui d'empêcher d'autres personnes, à partir de cette date, d'employer toute marque, «comme marque de commerce ou autrement», qui est susceptible d'être confondue avec la marque officielle (article 11), sauf pour les marchandises ou services porteurs de la marque avant la date de l'avis public de la marque officielle: Assoc. Olympique Canadienne c. Konica Canada Inc., [1992] 1 C.F. 797 (C.A.), aux paragraphes 21 à 23. De plus, le registraire ne peut refuser de donner avis public d'adoption et emploi d'une marque comme marque officielle pour des marchandises ou services pour le motif qu'elle est simplement descriptive, qu'elle ne permet pas de distinguer les marchandises ou services de l'autorité publique ou qu'elle est susceptible d'être confondue avec la marque d'un tiers. De fait, le registraire n'a virtuellement pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner avis public d'adoption et emploi d'une marque comme marque officielle, une fois que l'auteur de la demande établit qu'il a satisfait aux critères de la loi: Mihaljevic c. Colombie-Britannique (1988), 22 F.T.R. 59 (C.F. 1re inst.), aux pages 88 et 89; conf. par (1990), 34 C.P.R. (3d) 54 (C.A.F.).
[35]Toutefois, l'article 56 n'impose au registraire aucune obligation de donner un préavis d'une demande présentée au titre du sous-alinéa 9(1)n)(iii) et aucune disposition ne prévoit l'audition d'un opposant avant que le registraire n'accorde la demande, peut-être à cause de la portée restreinte des questions que le registraire doit trancher. Cela est évidemment bien différent de l'enregistrement d'une marque de commerce, lequel est précédé d'un avis public de la demande et d'une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce fondée sur les prétentions de l'auteur de la demande d'enregistrement et de tout opposant: Loi sur les marques de commerce, paragraphes 11.13(1) [édicté par L.C. 1994, ch. 47, art. 192], 37(1) et 38(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 134].
[36]Ainsi, comme le registraire n'est aucunement tenu de donner avis préalable d'une demande faite au titre du sous-alinéa 9(1)n)(iii) ou d'inviter les personnes intéressées à déposer des oppositions, l'organisme auteur de la demande sera habituellement la seule partie aux procédures ainsi engagées. Il se pourrait que, par suite d'un préavis donné volontairement par le registraire ou par un autre moyen, une personne apprenne l'existence d'une demande en instance en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) et présente des arguments pour s'opposer à la marque officielle. Cette personne aurait peut-être un droit d'appel en vertu de l'article 56 en tant que partie à la procédure. Toutefois, il n'y a pas lieu de trancher cette question ici.
d) Conclusion
[37]Dans Restaurants Pacini Inc. c. Pachino's Pizza Ltd. (1994), 112 F.T.R. 29 (C.F. 1re inst.), à la page 32, le juge Pinard a dit: «À mon avis, bien que l'appel statutaire énoncé au paragraphe 56(1) ne soit pas expressément réservé à quiconque en particulier, cela ne veut pas dire pour autant que toute personne peut exercer ce droit exceptionnel», puisque le droit d'appel est de nature exceptionnelle. De fait, les remarques incidentes du juge Décary dans l'arrêt Austin Nichols, précité, limitent le droit d'appel en vertu du paragraphe 56(1) aux parties aux procédures devant le registraire.
[38]Par conséquent, la question dans le présent appel est de savoir si la Cour doit conclure que le droit d'appel à l'article 56 est implicitement limité à la personne qui présente la demande au registraire en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii), en tant que seule partie à la procédure administrative, ou s'il s'étend aussi aux personnes ayant un intérêt à l'égard de la décision du fait que l'avis public d'adoption et emploi des marques officielles donné par le registraire peut porter atteinte à leurs intérêts (ou, comme en l'espèce, aux intérêts de leurs membres).
[39]À mon avis, le juge saisi de la demande était justifié de conclure que la présente demande devait être considérée comme une demande de contrôle judiciaire et non comme un appel fondé sur l'article 56, même si l'OAO n'est pas un simple spectateur passif et qu'il possède un intérêt suffisant pour lui conférer la qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1.
[40]Normalement, les droits d'appel sont limités aux parties et, parfois, aux intervenants engagés dans les procédures ayant mené à la décision contestée. Les cours d'appel peuvent permettre une intervention dans un appel interjeté par une partie, même si l'intervenant n'a pas participé aux procédures antérieures. Or tel n'est pas notre cas. L'OAO tente en effet d'interjeter appel en son propre nom et non pas d'intervenir dans un appel interjeté par un tiers.
[41]L'avocat a aussi attiré notre attention sur l'arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Association of Parents for Fairness in Education et autres, [1986] 1 R.C.S. 549. Dans cet arrêt, la Cour a confirmé la compétence inhérente de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, héritée de la Cour anglaise de chancellerie, pour autoriser un intervenant à faire appel, même si l'intervenant n'était pas partie à l'action initiale. Encore là, je ne suis pas convaincu de l'utilité de cette analogie. Même si la Cour, en tant que tribunal d'equity, a aussi hérité de cette compétence (voir généralement à ce sujet l'arrêtGlaxo Wellcome plc c. M.R.N., [1998] 4 C.F. 439 (C.A.)), le raisonnement sous-tendant le pouvoir de la Cour de chancellerie d'autoriser des intervenants à interjeter appel était d'assurer justice à tous ceux dont les intérêts seraient autrement affectés par la décision. Or il n'est pas nécessaire d'autoriser l'appel de l'OAO contre la décision du registraire puisqu'un autre recours lui est ouvert, à savoir la demande de contrôle judiciaire. L'OAO tente seulement en l'occurrence de se prévaloir d'un droit d'appel fort inusité à l'encontre d'un tribunal administratif.
[42]En l'absence de jurisprudence pertinente, je ne vois rien dans l'esprit du paragraphe 9(1) qui justifierait de s'écarter du principe normal selon lequel une personne qui n'était ni partie ni intervenante aux procédures initiales n'a pas qualité pour exercer un droit d'appel.
[43]Au contraire, il serait bien étrange à mon avis que le législateur accorde à une personne qui n'avait aucun droit d'être partie devant le registraire le droit d'interjeter appel en vertu de l'article 56, avec son caractère inhabituel de procès de novo. Que le législateur décide d'autoriser une partie à une procédure devant le registraire à présenter une preuve pour la première fois en appel est une chose, mais c'en est une tout autre que de conclure que ce droit s'étend à une personne qui n'a ni participé, ni n'avait le droit de participer à la procédure ayant mené à la décision frappée d'appel.
[44]Si, comme je l'ai indiqué, l'article 56 est quelque peu irrégulier en ce qu'il accorde aux parties devant le registraire, un tribunal spécialisé, le droit de présenter une preuve additionnelle dans le cadre d'un appel à la Cour fédérale, il faut prendre soin de ne pas aggraver l'anomalie en étendant ce droit à ceux qui n'avaient pas le droit de présenter une preuve ou une argumentation devant le registraire et qui, de fait, s'en sont abstenus. D'autre part, une personne pourrait avoir qualité pour interjeter appel si elle a appris de quelque autre façon l'existence de la demande au titre du sous- alinéa 9(1)n)(iii), et a présenté au registraire des observations à l'encontre de l'avis public d'adoption et emploi de la marque comme marque officielle.
[45]De plus, il est généralement peu probable que l'examen de la gamme restreinte des questions décidées par le registraire lorsqu'il donne avis public conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii) gagnerait en efficacité si l'on y ajoutait le droit de présenter une preuve dont ne disposait pas le registraire. Après tout, c'est là la principale caractéristique procédurale de l'appel en vertu de l'article 56 qui le distingue d'une demande de contrôle judiciaire.
[46]Certes, une preuve additionnelle pourrait être présentée par un opposant pour établir que l'autorité publique n'a pas adopté et employé la marque comme marque officielle pour ses marchandises ou services, ce qui la mettrait ainsi en devoir de prouver l'adoption et l'emploi simplement affirmés. Or le législateur n'a pas cru bon de fournir à un opposant éventuel à l'avis public l'occasion de présenter une telle preuve au registraire, mais a plutôt créé une procédure sommaire, non contradictoire, pour trancher la gamme restreinte des questions qui se posent dans le cadre d'une demande en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii). Dans ces circonstances, il serait certainement étrange d'attribuer au législateur l'intention de permettre la production d'une telle preuve par voie d'appel à la Section de première instance.
Deuxième question L'AATO est-elle une autorité publique aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii)? |
a) Définition du critère
[47]Un critère en trois volets a été adopté dans la jurisprudence anglaise pour déterminer si un organisme est une autorité publique, particulièrement dans le contexte des brefs délais de prescription visant à protéger les autorités publiques contre les poursuites en responsabilité. Les éléments de ce critère ont été définis comme suit dans un arrêt portant sur le sous-alinéa 9(1)n)(iii), Registraire des marques de commerce (Le) c. L'Association olympique canadienne, précité, à la page 699:
a) il doit avoir une obligation envers le public en général; |
b) il doit, dans une mesure importante, être soumis au contrôle gouvernemental; et |
c) les bénéfices ne doivent pas servir un intérêt privé mais doivent profiter à l'ensemble du public |
[48]Toutefois, la Cour a aussi déclaré, à la page 699, que le droit sur cette question au Canada était incertain. Ainsi, il n'était pas certain si la définition d'une autorité publique inclut ou non le premier critère, à savoir que l'organisme a des obligations légalement exécutoires envers le public. De façon plus importante, la Cour dit, à la page 700, que le sens du terme autorité publique «peut varier suivant le contexte législatif» et que, à la page 703:
[. . .] la necessité de trouver ces obligations ou devoirs envers le public n'établit pas nécessairement que l'organisme public est une «autorité publique» au sens dans lequel cette expression est employée dans le contexte de la Loi en l'espèce.
[49]La Cour a considéré que le degré de contrôle gouvernemental et la mesure dans laquelle le public profitait des activités de l'organisme étaient les facteurs les plus importants pour déterminer si un organisme est une autorité publique aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii). Elle a aussi pris en compte les dispositions relatives à la disposition des biens de l'Association olympique canadienne lors de l'abandon de sa charte, probablement comme un facteur pour déterminer si l'Association existait dans l'intérêt du public plutôt que dans celui de ses membres. Le critère à deux volets de «l'intérêt du public et [du] contrôle gouvernemental» a aussi été utilisé dans Stadium Corporation of Ontario Ltd. c. Wagon-Wheel Concessions Ltd., [1989] 3 C.F. 132 (1re inst.), à la page 140; et Assoc. Olympique canadienne c. Konica Canada Inc., précité, au paragraphe 6.
[50]Toutefois, la jurisprudence n'est pas unanime sur la pertinence d'examiner si un organisme est assujetti à des obligations envers le public pour pouvoir le qualifier d'autorité publique au sens du sous-alinéa 9(1)n)(iii). Par exemple, dans l'arrêt Assoc. des Grandes Soeurs de l'Ontario c. Grands Frères du Canada (1997), 75 C.P.R. (3d) 177 (C.F. 1re inst.); conf. par (1999), 86 C.P.R. (3d) 504 (C.A.F.), le juge Gibson n'était pas convaincu (à la page 216) que les parties étaient des autorités publiques aux fins de l'article 9, même si elles n'avaient pas soulevé la question. Il était d'avis (à la page 215) que la Cour, dans l'arrêt Registraire des marques de commerce c. Association olympique canadienne, précité, avait adopté «implicitement» le moyen selon lequel, pour être considéré comme une autorité publique, un organisme doit avoir une obligation envers le public en général. Il n'était pas certain que les parties à l'instance satisfassent à cette exigence.
[51]Dans la décision sous appel, le juge a souligné (aux paragraphes 16 et 17) que l'exigence d'une obligation envers le public avait été omise dans certaines décisions et retenue dans d'autres et, bien que mentionnée dans l'arrêt Registraire des marques de commerce c. Association olympique canadienne, précité, n'y avait pas été de fait appliquée. Citant l'arrêt Anne of Green Gables Licensing Authority Inc. v. Avonlea Traditions Inc. (2000), 4 C.P.R. (4th) 289 (C.S. Ont.), au paragraphe 170; conf. par (2000), 6 C.P.R. (4th) 57 (C.A. Ont.), il a adopté «le critère combiné du contrôle, de l'influence et de l'objet de promouvoir l'intérêt public». L'influence me semble pouvoir être considérée comme un aspect du contrôle, de sorte que les critères généraux pour déterminer si un organisme est une autorité publique aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii) soit le contrôle gouvernemental et l'intérêt public.
[52]Comme la plupart des décisions subséquentes l'ont reconnu, notre Cour a, dans l'arrêt Registraire des marques de commerce c. Association olympique canadienne, précité, considéré le critère de l'obligation envers le public comme inapproprié dans le contexte du sous-alinéa 9(1)n)(iii), du moins dans la façon dont l'a appliqué une certaine jurisprudence concernant les autorités publiques et les courts délais de prescription. Je ne vois aucun motif de s'écarter du critère en deux volets du contrôle gouvernemental et du bien public. Toutefois, pour déterminer si les fonctions d'un organisme sont suffisamment axées sur l'intérêt public, la cour peut prendre en considération ses objets, devoirs et pouvoirs, y compris la distribution de ses biens. Dans ce contexte, l'obligation de faire quelque chose qui profite à l'ensemble du public est pertinent comme élément de «l'intérêt public», même s'il ne s'agit pas d'une «obligation publique» dans le sens où elle serait légalement exécutoire par un recours de droit public, tel le bref de mandamus ou son équivalent.
[53]En conséquence, le juge saisi a bien formulé en droit le critère applicable pour déterminer si l'AATO est une autorité publique.
b) Application du critère
[54]Même si le juge a dit que la norme d'examen applicable à la décision du registraire est celle de la décision déraisonnable, rien dans ses motifs n'indique qu'il a de fait montré de la déférence. Si je ne m'abuse, il a plutôt déterminé pour lui-même si l'AATO était une autorité publique en appliquant les critères de l'intérêt du public et du contrôle gouvernemental, peut-être parce que le registraire n'a pas motivé sa décision. Évidemment, comme il arrivait à la même conclusion que le registraire, la norme d'examen avait moins d'importance pratique qu'elle n'en aurait eue s'il n'avait pas été du même avis que lui.
[55]L'arrêt Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577, a défini les normes d'examen qu'un tribunal d'appel doit appliquer lorsqu'il se prononce sur l'appel d'une décision d'un juge d'instance inférieure. Ainsi, notre Cour peut examiner le bien-fondé de toute question de droit décidée par le juge saisi lorsqu'il applique aux faits qui lui sont soumis le critère en deux volets de l'autorité publique. S'il appert de ses motifs que le juge a commis une erreur substantielle de droit, la Cour doit alors examiner la décision du registraire. Toutefois, s'il ne s'en dégage aucune erreur apparente de droit, son application du critère pour déterminer si l'AATO est une autorité publique implique une question de droit et de fait, qui n'est alors susceptible d'examen que pour cause d'erreur manifeste et dominante.
[56]Je vais maintenant considérer chaque élément de la définition d'une autorité publique dans le contexte des faits qui nous sont soumis.
(i) contrôle gouvernemental |
[57]L'avocat de l'OAO a plaidé que le juge a erré en droit en concluant que du seul fait qu'elle soit une création de la loi, l'AATO est soumise dans une mesure importante au contrôle gouvernemental. Le juge a expliqué ainsi sa conclusion au paragraphe 18: «Sa loi habilitante peut être modifiée ou abrogée par le gouvernement de l'Ontario en tout temps.» On pourrait peut-être exprimer plus fortement cette idée en disant que l'AATO est soumise au contrôle gouvernemental parce qu'elle est un organisme d'origine législative à qui l'on n'a délégué aucun pouvoir de changer ses pouvoirs, objets ou fonctions sans modification de sa loi constitutive.
[58]Ainsi, la question essentielle est de savoir si le fait que l'AATO doive obtenir une modification législative pour changer ses objets, pouvoirs ou devoirs constitue une mesure de contrôle gouvernemental suffisamment importante pour satisfaire à cet élément du critère permettant de déterminer si un organisme est une autorité publique. À mon humble avis, le juge a commis une erreur en concluant que l'origine législative de l'AATO est en soi suffisante pour en faire une autorité publique. Cette conclusion est révisable quant à son bien-fondé parce qu'elle est susceptible d'avoir valeur de précédent dans les instances futures où la qualité qu'autorité publique d'un organisme sera contestée: voir Housen c. Nikolaisen, précité, au paragraphe 28.
[59]Même si le critère du contrôle gouvernemental d'un organisme par ailleurs privé n'exige pas que ce contrôle soit exercé par le pouvoir exécutif, par opposition au contrôle exercé par la législature, il commande bel et bien une supervision gouvernementale continue des activités de l'organisme qui réclame le statut d'autorité publique aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii).
[60]Une comparaison avec la Loi sur les architectes met en évidence les modes de contrôle gouvernemental souvent prévus dans les lois ontariennes qui créent des organismes professionnels autonomes. Par exemple, l'article 6 accorde au ministre concerné le pouvoir d'examiner les activités du Conseil de l'OAO, de demander au Conseil d'entreprendre les activités que le ministre estime nécessaires et souhaitables pour réaliser l'objet de la Loi, et de conseiller le Conseil relativement à l'application de la Loi. De plus, le Conseil a le pouvoir d'établir des règlements avec l'approbation du lieutenant-gouverneur en conseil: paragraphe 7(1). Le lieutenant-gouverneur en conseil a aussi le pouvoir de nommer trois à cinq membres du Conseil (alinéa 3(2)b)), un membre du comité des plaintes (alinéa 29(1)b)) et du comité de discipline (alinéa 33(1)b)), ainsi que le conseiller médiateur (alinéa 31(1)).
[61]Des dispositions semblables figurent dans la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées, L.O. 1991, ch. 18, articles 2, 3, 5 et 6, et les lois réglementant les diverses disciplines de la santé.
[62]À mon avis, c'est à ce type de surveillance gouvernementale qu'un organisme professionnel autonome doit être soumis pour qu'on puisse conclure à une mesure importante de contrôle gouvernemental aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii). L'avocat de l'AATO a reconnu que la seule forme de contrôle gouvernemental qu'il pouvait invoquer était celle que le législateur pouvait exercer par le biais de son pouvoir exclusif de modifier les objets, pouvoirs et devoirs de l'AATO. C'est insuffisant pour satisfaire au critère du contrôle gouvernemental parce que ce n'est pas un pouvoir qui permet au gouvernement, directement ou par l'intermédiaire des membres qu'il désigne, d'exercer sur la gouvernance et la prise de décision de l'organisme une influence continue semblable à celle qu'on retrouve souvent dans les lois portant sur les organismes qui régissent une profession en en contrôlant l'exercice par la délivrance de permis, comme l'architecture et le droit.
[63]Pour arriver à cette conclusion, j'ai gardé à l'esprit le contexte législatif dans lequel se pose la question, à savoir le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce. Cette disposition, rappelons-le, confère des avantages très importants dont ne jouissent pas les titulaires de marques de commerce, ce qui la rend susceptible de léser tant les titulaires existants de marques de commerce que le public. Une marque officielle n'a pas à distinguer des marchandises ou des services, elle peut être simplement descriptive et elle peut créer de la confusion avec la marque d'un tiers. Une fois qu'avis public de son adoption et emploi a été donné, une marque officielle est [traduction] «résistante et pratiquement ineffaçable»:(Mihaljevic c. Colombie-Britannique, précité, à la page 89) et, une fois que le registraire a donné avis public en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii), aucune marque susceptible d'être confondue avec une marque officielle ne peut être employée.
[64]Ces considérations me convainquent qu'il faut se garder de donner au sous-alinéa 9(1)n)(iii) un sens extensif en mettant sur le même pied la nécessité d'une modification législative et le contrôle gouvernemental. Maintenir que tout organisme créé par la loi satisfait au critère du contrôle gouvernemental élargirait en effet considérablement la gamme des organismes habilités à se prévaloir d'une marque officielle. Un organisme qui a réussi à obtenir une loi privée du législateur serait reconnu comme une autorité publique s'il pouvait aussi démontrer que ses activités profitent au public. Et, selon le juge, le fait que l'organisme avantage aussi ses membres n'empêche pas de conclure à un avantage pour le public en général. En conséquence, le fait qu'un organisme autonome soit d'origine législative et que ses objets et pouvoirs puissent être unilatéralement et exclusivement modifiés par le législateur qui l'a créé, ne constitue pas en droit un «contrôle gouvernemental» dans le présent contexte.
(ii) l'intérêt du public |
[65]Vu ma conclusion que l'AATO n'est pas soumise à un degré suffisamment important de contrôle gouvernemental pour qu'on puisse la considérer comme une autorité publique, il n'est pas strictement nécessaire que j'examine si ses activités satisfont à l'exigence de l'intérêt du public. Toutefois, je vais traiter de la question puisqu'elle a été discutée à fond dans les plaidoiries et qu'elle constitue l'autre moitié de la définition d'autorité publique.
[66]L'avocat de l'OAO a prétendu que le juge saisi de la demande a commis une erreur de droit en déclarant (aux paragraphes 19 et 22) que l'AATO régissait les professions d'architecte-technicien et d'architecte- technologue. Il a dit que, contrairement à la Loi sur les architectes, paragraphe 2(3), les objets de l'AATO n'incluent pas la réglementation de l'exercice de la profession. Tout au plus, l'AATO régit la conduite de ses membres et, dans le cadre de son pouvoir d'établir des normes et de définir les conditions d'adhésion, décide qui peut revendiquer la qualité de membre et utiliser les désignations d'usage quasi exclusif.
[67]Je conviens que l'AATO ne régit pas une profession au sens où elle contrôlait les activités professionnelles que seuls ses membres peuvent légalement exercer. Toutefois, je ne suis pas d'accord pour dire que le juge a erré en droit en s'exprimant comme il l'a fait. Ainsi que l'avocat de l'AATO l'a souligné, en établissant et en appliquant des normes de compétence et de déontologie pour ses membres, l'AATO régit en partie l'exercice de la profession. C'est-à-dire qu'elle régit la partie de la profession qui touche l'emploi que font les praticiens de leur qualité de membre de l'AATO et des désignations légales, dont les titres d'architecte-technicien ou architecte-technologue, en liaison avec les services qu'ils rendent.
[68]En outre, il était tout à fait raisonnable à mon avis que le juge conclue que les activités de régie de l'AATO profitent au public. Lorsqu'il engage un membre de l'AATO, le client qui demande les services qu'offrent les architectes-techniciens ou les architectes-technologues a une certaine assurance que la personne engagée est compétente et honnête. De plus, du fait que le registraire de l'AATO a l'obligation de veiller à l'exactitude du registre, lequel doit être accessible au public, les clients ou employeurs potentiels peuvent vérifier si une personne donnée est membre de l'association.
[69]Je conviens aussi avec le juge que le fait que les activités de l'AATO puissent aussi profiter à ses membres n'empêche pas fatalement qu'elles puissent profiter au public. L'alliage de l'intérêt public et de l'intérêt privé tend à être une caractéristique de l'autonomie professionnelle, même si, comme dans le cas de la profession juridique par exemple, un organisme d'origine législative régit l'exercice de la profession et un organisme non législatif agit comme son défenseur. Les deux accomplissent des fonctions (par exemple la formation professionnelle) qui servent les intérêts du public en tant que citoyens et clients, au même titre que ceux des membres de la profession.
[70]De la même manière, je ne suis pas convaincu par l'autre argument voulant que l'AATO n'existe pas dans l'intérêt du public parce que l'article 13 de la Loi AATO prévoit que tout surplus découlant des activités de l'association doit servir à la réalisation de ses objets et ne pas être réparti entre les membres. L'avocat de l'OAO prétend que l'alinéa 2e) de la Loi prévoit que l'un des objets de l'AATO est de promouvoir des rapports harmonieux entre les membres afin de stimuler le développement de l'association et d'accroître sa réputation. Par conséquent, plaide-t-il, tout le surplus pourrait être affecté à cette fin, ce qui profite aux membres de l'AATO et non au public.
[71]Toutefois, cet objet a à mon sens une double fonction: encourager le public à rechercher les services de membres de l'AATO en éliminant les cas d'inconduite et en accroissant ainsi la réputation de l'AATO et de ses membres, et augmenter ainsi le revenu professionnel des membres. L'article 13 et l'alinéa 2e) ne sont pas, à mon avis, incompatibles avec la conclusion que les activités de l'AATO profitent au public.
[72]Par conséquent, le juge saisi de la demande n'a commis aucune erreur révisable en concluant que l'AATO a satisfait à l'élément «intérêt du public» de la définition d'autorité publique aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii).
[73]Enfin, je prends acte que, à l'instar de nombreux autres organismes professionnels autonomes constitués par la loi en Ontario, y compris l'OAO, les décisions de l'AATO touchant le refus d'accorder la qualité de membre et les sanctions disciplinaires sont susceptibles d'appel à la Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice sur des questions de fait et de droit. En étendant quelque peu la portée du contrôle judiciaire auquel de telles décisions seraient par ailleurs soumises, le législateur a fourni une autre indication que le public profite de l'exercice approprié des fonctions de l'AATO.
E. CONCLUSIONS
[74]Vu ma conclusion que le juge a erré en droit en concluant que l'AATO a établi qu'elle était soumise dans une mesure importante au contrôle gouvernemental du simple fait qu'elle a été créée par la loi, je n'aborderai pas la question distincte de savoir si l'AATO avait établi qu'elle avait adopté et employé les marques comme marques officielles pour des services.
[75]L'erreur commise par le juge commande d'accueillir l'appel. De plus, du fait que le seul lien entre l'AATO et le gouvernement est celui d'avoir été créée par une loi, et de son inhabilité consécutive à modifier ses objets, pouvoirs et devoirs sans une modification législative, la décision du registraire de donner avis public conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii) soit était une application déraisonnable de la loi aux faits, soit était fondée sur une erreur de droit, à savoir que, en tant qu'organisme créé par la loi, l'AATO était de ce fait soumise au contrôle gouvernemental dans une mesure suffisamment importante pour être une autorité publique.
[76]Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens et j'annulerais l'ordonnance de la Section de première instance, j'accorderais la demande de contrôle judiciaire avec dépens, et j'annulerais l'avis public, donné par le registraire, des marques adoptées et utilisées par l'AATO comme marques officielles pour des services.
Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris.
Le juge Sharlow, J.C.A.: Je souscris.