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T-1103-01

2002 CFPI 706

Pfizer Canada Inc. (demanderesse)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

et

L'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (intervenante)

T-1104-01

Schering Canada Inc. (demanderesse)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

T-1120-01

Pfizer Canada Inc. (demanderesse)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

et

L'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (intervenante)

Répertorié: Pfizer Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Blanchard--Ottawa, 15 avril et 25 juin 2002.

Brevets -- Enregistrement -- Suivant l'art. 4(4) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), les brevets dont il est question en l'espèce ne pouvaient être ajoutés au registre des brevets puisque la date de dépôt des demandes de brevet au Canada n'était pas antérieure à celle de la présentation supplémentaire de drogue nouvelle -- Les mots «date de dépôt» font référence uniquement à la date de dépôt d'une demande au Canada et non à une date de dépôt prioritaire ou à une date de dépôt aux États-Unis.

Interprétation des lois -- Interprétation des mots «date de dépôt» figurant à l'art. 4(4) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) -- Lorsqu'il y a une ambiguïté ou une contradiction entre deux versions officielles d'un texte législatif, la version claire et non équivoque est favorisée (la version française en l'espèce) -- Les tribunaux ont également adopté une approche qui favorise un sens plus étroit lorsqu'il est question de tenter de trouver un sens commun entre deux versions d'un texte -- Les brevets dont il est question en l'espèce ne pouvaient être ajoutés au registre des brevets puisque la date de dépôt des demandes de brevet au Canada n'était pas antérieure à celle de la présentation supplémentaire de drogue nouvelle.

Le représentant du ministre de la Santé a refusé d'ajouter certains brevets des demanderesses au registre des brevets parce qu'ils ne respectaient pas les délais requis par le paragraphe 4(4) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité): la date de dépôt des demandes de brevet n'était pas antérieure à celle de la présentation supplémentaire de drogue nouvelle. Des demandes de brevets américains ont été déposées relativement à tous les brevets dont il est question en l'espèce.

Dans les trois cas, les demanderesses soutiennent que la «date de dépôt» prévue au paragraphe 4(4) du Règlement devrait être interprétée comme la date de dépôt prioritaire, ce qui correspondrait à la date de dépôt aux États-Unis et non à la date de dépôt au Canada.

La question en litige consistait à savoir si les mots «date de dépôt», figurant au paragraphe 4(4) du Règlement, font référence uniquement à la date de dépôt d'une demande de brevet au Canada ou s'ils peuvent également faire référence à une date de dépôt prioritaire.

Il s'agissait de demandes de contrôle judiciaire des décisions par lesquelles le ministre de la Santé a refusé d'ajouter les brevets au registre des brevets.

Jugement: les demandes sont rejetées.

La norme de contrôle appropriée en l'espèce était celle de la décision correcte.

L'ambiguïté qui peut avoir été créée par l'emploi de l'article indéfini dans la version anglaise du paragraphe 4(4) du Règlement («a» au lieu de «the») a été corrigée par la version française qui emploie l'article défini et qui est ainsi rédigée: «dont la date de dépôt est antérieure». Dans le cas où une version en elle-même est ambiguë alors que l'autre est claire et non équivoque, les tribunaux ont favorisé cette dernière version. Ils ont également adopté une approche qui favoriserait un sens plus étroit lorsqu'il est question de tenter de trouver un sens commun entre les deux versions d'un texte législatif. La version française en l'espèce étaye la position du défendeur selon laquelle l'expression «filing date» («date de dépôt») fait référence uniquement à une date, à savoir la date de dépôt au Canada. Le sens plus étroit de la version française du texte législatif a été favorisé. L'adoption d'un sens étroit et l'interprétation de «date de dépôt» de façon à signifier «date de dépôt au Canada» sont compatibles avec l'intention du législateur puisque l'expression «date de dépôt» est expressément définie dans la Loi sur les brevets comme la date de dépôt au Canada.

L'expression «date de dépôt» n'est pas définie dans le Règlement, mais plutôt à l'article 2 et au paragraphe 28(1) de la Loi sur les brevets. La définition de «date de dépôt» à l'article 2 de la Loi sur les brevets est exhaustive et non ambiguë: la date à laquelle une demande de brevet est déposée au Canada et non la date prioritaire. De plus, la version française ne laisse aucun doute que la «date de dépôt» fait référence à la date de dépôt au Canada selon la définition de l'article 28. De plus, l'expression «date de dépôt» est constamment employée dans la Loi sur les brevets pour faire référence à la date à laquelle la demande est déposée au Canada. La version anglaise de la Loi emploie l'expression «claim date» («date de la revendication») et non l'expression «filing date» («date de dépôt») pour faire référence à une demande antérieurement déposée ou à la date prioritaire. Et la définition de «claim date» à l'article 2 de la Loi serait vide de sens si les expressions «date de dépôt» et «date prioritaire» pouvaient être employées de façon interchangeable. Si le gouverneur en conseil avait eu l'intention de faire référence à la date prioritaire au paragraphe 4(4) du Règlement, l'expression «claim date» aurait été employée. Les mots «date de dépôt», lus dans leur contexte entier et selon leur sens grammatical et ordinaire, harmonieusement avec le modèle de la Loi et l'intention du législateur, devraient être interprétés comme étant exhaustifs et comme faisant référence à la date de dépôt d'une demande de brevet au Canada. Une distinction a été faite avec la décision Bayer AG c. Apotex Inc. (1998), 84 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst.) où la Cour, en examinant l'ancien article 28 de la Loi, a conclu qu'un brevet canadien donnait droit au bénéfice de la date de dépôt prioritaire.

Comme il a été décidé que le paragraphe 4(4) du Règlement et l'article 2 ainsi que le paragraphe 28(1) de la Loi sont clairs et non ambigus, il n'était pas nécessaire d'avoir recours aux conventions internationales comme outils intrinsèques pour leur interprétation. Même dans un tel cas, l'interprétation qu'a faite le ministre de ces dispositions n'était pas incompatible avec la Convention de Paris, l'Accord de libre-échange nord-américain ou l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.

lois et règlements        

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouver-nement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. n2.

Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, Annexe 1C de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, signé à Marrakech, Maroc, le 15 avril 1994, 1867 N.U.R.T. 3, art. 2.

Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, 20 mars 1883, révisée à Bruxelles le 14 décembre 1900, à Washington le 2 juin 1911, à La Haye le 6 novembre 1925, à Londres le 2 juin 1934, à Lisbonne le 31 octobre 1958 et à Stockholm le 14 juillet 1967, 828 N.U.R.T. 305, art. 2, 4B.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 2 «date de dépôt» (édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 26), 27(1) (mod., idem, art. 31), 28 (mod., idem, art. 33), 28.1 (édicté, idem), 28.2 (édicté, idem), 28.3 (édicté, idem), 28.4 (édicté, idem).

Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P-4, art. 28.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 4(4) (mod. par DORS/98-166, art. 3).

Traité de coopération en matière de brevets, 19 juin 1970, [1990] R.T. Can. n22.

jurisprudence

distinction faite d'avec:

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Bayer AG c. Apotex Inc. (1998), 84 C.P.R. (3d) 23; 156 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées:

R. c. Cook, [1998] 2 R.C.S. 597; (1998), 164 D.L.R. (4th) 1; [1999] 5 W.W.R. 582; 112 B.C.A.C. 1; 57 B.C.L.R. (3d) 215; 128 C.C.C. (3d) 1; 230 N.R. 83; Daniels c. White and The Queen, [1968] R.C.S. 517; (1968), 2 D.L.R. (3d) 1; 64 W.W.R. 385; [1969] 1 C.C.C. 299; 6 C.N.L.C. 199; 4 C.R.N.S. 176.

décisions citées:

Tupper c. The Queen, [1967] R.C.S. 589; (1967), 63 D.L.R. (2d) 289; [1968] 1 C.C.C. 253; 2 C.R.N.S. 35; Merck & Co. c. Canada (Procureur général) (1999), 176 F.T.R. 21 (C.F. 1re inst.); conf. sub nom. Merck & Co. c. Nu-Pharm Inc. (2000), 5 C.P.R. (4th) 138; 254 N.R. 68 (C.A.F.).

doctrine

Côté, Pierre-André, Interprétation des lois, 3e éd. Montréal: Éditions Thémis, 1999.

Driedger, E. A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

DEMANDES de contrôle judiciaire des décisions du ministre selon lesquelles les brevets des demanderesses ne pouvaient être ajoutés au registre des brevets parce qu'ils ne respectaient pas les exigences réglementaires du paragraphe 4(4) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Demandes rejetées.

ont comparu:

Anthony G. Creber et Jennifer L. Wilkie pour les demanderesses.

Marie Crowley pour le défendeur.

Edward J. B. Hore pour l'intervenante.

avocats inscrits au dossier:

Gowling Lafleur Henderson LLP, Ottawa, pour les demanderesses.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Hazzard & Hore, Toronto, pour l'intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendu par

[1]Le juge Blanchard: La Cour est saisie de trois demandes de contrôle judiciaire de décisions rendues par le ministre de la Santé dans lesquelles le représentant du ministre a refusé d'ajouter certains brevets canadiens au registre des brevets tenu en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, dans sa version modifiée, (le Règlement). Le ministre a décidé que les brevets ne pouvaient être ajoutés au registre des brevets puisqu'ils ne respectaient pas les exigences réglementaires prévues au paragraphe 4(4) [mod. par DORS/98-166, art. 3] du Règlement.

[2]Conformément au paragraphe 4(4) du Règlement, les premières personnes, comme les demanderesses, peuvent, après le dépôt de la demande d'avis de conformité et dans les 30 jours suivant la délivrance d'un brevet qui est fondée sur une demande de brevet dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande d'avis de conformité, soumettre une liste de brevets ou une modification apportée à une liste de brevets.

[3]Selon le ministre, les mots «date de dépôt» du paragraphe 4(4) du Règlement font référence uniquement à la date du dépôt de la demande du brevet au Canada et il a conclu que les brevets ne pouvaient être ajoutés au registre des brevets puisque la date de dépôt de la demande de brevet n'était pas antérieure à celle de la présentation supplémentaire de drogue nouvelle.

Faits

[4]Voici une chronologie des faits relatifs à chaque demande.

T-1103-01, demanderesse: Pfizer Canada Inc. (ci-après Pfizer), produit: Zithromax, dihydrate d'azithromycine (ci-après Zithromax)

[5]Pfizer constitue une société qui exploite une entreprise de fabrication et de distribution de produits pharmaceutiques.

[6]Le 29 avril 1994, une demande de brevet américain 80/235,069 a été déposée aux États-Unis au sujet de nouvelles unités posologiques orales de Zithromax. Ces nouvelles unités posologiques orales ne présentent pas d'effet indésirable à la prise de nourriture, ce qui signifie qu'elles peuvent être prises sans égard aux repas.

[7]Le 15 septembre 1994, Pfizer a déposé au Canada une présentation supplémentaire de drogue nouvelle pour de nouvelles unités posologiques orales de Zithromax, des comprimés de 250 mg. Cette présentation a été approuvée, et un avis de conformité a été émis le 21 février 1996.

[8]Le 27 avril 1995, Pfizer a déposé une demande de brevet canadien no 2148071 à l'égard de nouveaux comprimés en unités posologiques de Zithromax (la date de dépôt au Canada). Le brevet a été délivré le 17 octobre 2000 (le brevet 071).

[9]Le 6 mars 1996, Pfizer a déposé une autre présentation supplémentaire de drogue nouvelle pour une nouvelle dose de Zithromax, à savoir des comprimés de 600 mg. Cette présentation a été approuvée, et un avis de conformité a été émis le 17 avril 1997.

[10]Le 13 novembre 2000, Pfizer a cherché à obtenir l'ajout du brevet 071 au registre des brevets relativement aux comprimés de 250 mg et de 600 mg de Zithromax.

[11]Au moyen d'une lettre datée du 23 novembre 2000, le ministre a informé Pfizer que le brevet 071 pouvait être ajouté à la liste relativement aux comprimés de 600 mg de Zithromax, mais non pas relativement aux comprimés de 250 mg puisque la date de dépôt au Canada de la demande de brevet (27 avril 1995) n'était pas antérieure à la date de dépôt de la demande relative aux comprimés de 250 mg (15 septembre 1994).

T-1120-01, demanderesse: Pfizer, produit: Lipitor, calcium d'atorvastatine (ci-après Lipitor)

[12]Pfizer, par l'entremise de Parke-Davis Canada, l'ancien fabricant et copromoteur, a cherché à obtenir l'approbation d'une nouveau médicament, connu comme le Lipitor, un régulateur du métabolisme lipidique.

[13]Le 17 juillet 1995, une demande de brevet américain 60/001,452 a été déposée aux États-Unis en rapport avec cette invention.

[14]Le 21 juin 1996, Pfizer a déposé une présentation de drogue nouvelle pour ses comprimés de 10, de 20 et de 40 mg de Lipitor. Le 19 février 1997, la présentation a été approuvée et un avis de conformité a été émis. D'autres présentations ont été déposées le 25 septembre 1997, le 31 décembre 1998 et le 16 décembre 2000. Les avis de conformité pour ces présentations ont été émis respectivement le 12 janvier 1999, le 16 juin 2000 et le 8 décembre 2000.

[15]Le 8 juillet 1996, une demande de brevet canadien a été déposée et, le 17 avril 2001, le brevet 2220018 (le brevet 018) a été délivré.

[16]Le 2 mai 2001, Pfizer a cherché à obtenir l'ajout du brevet 018 au registre des brevets.

[17]Au moyen d'une lettre datée du 23 mai 2001, le ministre a déclaré que le brevet 018 ne pouvait être ajouté au registre des brevets puisque la date de dépôt au Canada de la demande de brevet (8 juillet 1996) pour le brevet 018 n'était pas antérieure à la date de dépôt de la présentation (21 juin 1996).

T-1104, demanderesse: Schering Canada Inc. (ci-après Schering), produit: Rebetron, ribavirine et interféron (ci-après Rebetron)

[18]Schering constitue une société qui exploite une entreprise de fabrication et de distribution de produits pharmaceutiques. Le Rebetron constitue un produit utilisé dans le traitement du virus de l'hépatite C.

[19]Ce nouveau produit était en cours de mise au point en 1997. Dans le cadre de cette mise au point, des inventions ont été créées par les scientifiques de Schering en ce qui concerne une nouvelle préparation de gélules de Rebetron. Le 22 décembre 1997, des demandes de brevets américains 08/997,172 et 08/997,169 ont été déposées pour ces inventions.

[20]Le 27 avril 1998, Schering a déposé une présentation de drogue nouvelle même si le travail clinique n'était pas encore terminé. Le 28 octobre 1998, Schering a déposé une autre présentation en ce qui concerne l'indicateur novice de ce produit. Les avis de conformité de ces présentations ont été émis respectivement le 26 février 1999 et le 22 avril 1999.

[21]Le 21 décembre 1998, des demandes de brevets canadiens ont été déposées, et les brevets 2287056 (brevet 056) et 2300452 (le brevet 452) ont été délivrés.

[22]Le 15 août 2000 et le 28 novembre 2000, Schering a cherché à faire ajouter le brevet 056 et le brevet 452, respectivement, au registre des brevets. Au moyen de lettres datées du 7 septembre 2000 et du 11 décembre 2000, le ministre a rejeté la demande d'ajout au registre au motif que la date de dépôt au Canada des demandes de brevets (21 décembre 1998) n'était pas antérieure à la date de dépôt des présentations (27 avril 1998).

Dates de dépôt des demandes de brevets

[23]Dans les trois cas, les demanderesses soutiennent que la «date de dépôt» prévue au paragraphe 4(4) du Règlement devrait être interprétée comme la date de dépôt prioritaire, ce qui correspondrait à la date de dépôt aux États-Unis et non à la date de dépôt au Canada.

[24]Dans une lettre datée du 23 janvier 2001, l'avocate du ministre de la Santé a informé la demanderesse Pfizer que la politique actuelle liée aux dates de dépôt pouvait changer puisque la question avait été renvoyée pour consultation.

[25]Le Programme des produits thérapeutiques du ministère de la Santé a alors proposé une modification au document d'orientation sur les médicaments brevetés (avis de conformité) au moyen d'une lettre datée du 12 février 2001. La lettre souhaitait la participation des [traduction] «principales associations profession-nelles», dont l'intervenante aux présentes demandes. La modification proposée ferait désormais en sorte que la date prioritaire soit englobée dans la «date de dépôt».

[26]À la suite de l'exercice de consultation, le ministre a refusé de mettre en oeuvre les changements proposés, ce qui a eu pour effet de maintenir la pratique selon laquelle la date prioritaire ne pouvait être utilisée afin de respecter les délais requis en vertu du paragraphe 4(4) du Règlement. Une analyse de la question intitulée «Date de dépôt d'une demande de brevet, Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)» a été transmise à tous les intervenants.

[27]L'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (ACFPP), une association représentant des fabricants de médicaments génériques en ce qui concerne les questions d'ordre commercial, politique et juridique, a été ajoutée à titre d'intervenante par ordonnance de cette Cour datée du 26 octobre 2001. L'ordonnance prévoyait que le droit d'appel de l'intervenante devrait être tranché par le juge entendant les demandes de contrôle judiciaire.

Cadre législatif

[28]Il est utile de reproduire les dispositions législatives et réglementaires pertinentes.

[29]Le ministre de la Santé représente l'autorité responsable de créer et de tenir le registre des brevets en vertu de l'article 3 [mod. par DORS/98-166, art. 2] du Règlement:

3. (1) Le ministre tient un registre des renseignements fournis aux termes de l'article 4. À cette fin, il peut refuser d'y ajouter ou en supprimer tout renseignement qui n'est pas conforme aux exigences de cet article.

Le paragraphe 4(4) du Règlement est ainsi rédigé:

4. (1) [. . .]

(4) La première personne peut, après la date de dépôt de la demande d'avis de conformité et dans les 30 jours suivant la délivrance d'un brevet qui est fondée sur une demande de brevet dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande d'avis de conformité, soumettre une liste de brevets, ou toute modification apportée à une liste de brevets, qui contient les renseignements visés au paragraphe (2).

Bien que la «date de dépôt» ne soit pas définie dans le Règlement, elle est définie à l'article 2 [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 26] de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, dans sa version modifiée:

2. [. . .]

«date de dépôt» La date du dépôt d'une demande de brevet, déterminée conformément à l'article 28.

L'article 28 [mod., idem, art. 33]de la Loi sur les brevets est ainsi rédigé:

28. (1) La date de dépôt d'une demande de brevet est la date à laquelle le commissaire reçoit les documents, renseignements et taxes réglementaires prévus pour l'application du présent article. S'ils sont reçus à des dates différentes, il s'agit de la dernière d'entre elles.

(2) Pour l'application du paragraphe (1), le commissaire peut, s'il estime que cela est équitable, fixer une date de réception des taxes antérieure à celle à laquelle elles ont été reçues.

[30]Les articles 28.1 à 28.4 de la Loi sur les brevets [édictés, idem] traitent essentiellement des revendica-tions antérieurement déposées de façon régulière au Canada et dans d'autres pays.

28.1 (1) La date de la revendication d'une demande de brevet est la date de dépôt de celle-ci, sauf si:

a) la demande est déposée, selon le cas:

(i) par une personne qui a antérieurement déposé de façon régulière, au Canada ou pour le Canada, ou dont l'agent, le représentant légal ou le prédécesseur en droit l'a fait, une demande de brevet divulguant l'objet que définit la revendication,

(ii) par une personne qui a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre pays ou pour un autre pays, ou dont l'agent, le représentant légal ou le prédécesseur en droit l'a fait, une demande de brevet divulguant l'objet que définit la revendication, dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relatif aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada;

b) elle est déposée dans les douze mois de la date de dépôt de la demande déposée antérieurement;

c) le demandeur a présenté, à l'égard de sa demande, une demande de priorité fondée sur la demande déposée antérieurement.

(2) Dans le cas où les alinéas (1)a) à c) s'appliquent, la date de la revendication est la date de dépôt de la demande antérieurement déposée de façon régulière.

28.2 (1) L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas:

a) plus d'un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d'un tiers ayant obtenu de lui l'information à cet égard de façon directe ou autrement, l'objet d'une communication qui l'a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d'une autre personne, l'objet d'une communication qui l'a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

c) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l'alinéa (1)a);

d) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt correspond ou est postérieure à la date de la revendication de la demande visée à l'alinéa (1)a) si:

(i) cette personne, son agent, son représentant légal ou son prédécesseur en droit, selon le cas:

(A) a antérieurement déposé de façon régulière, au Canada ou pour le Canada, une demande de brevet divulguant l'objet que définit la revendication de la demande visée à l'alinéa (1)a),

(B) a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre pays ou pour un autre pays, une demande de brevet divulguant l'objet que définit la revendication de la demande visée à l'alinéa (1)a), dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relatif aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada,

(ii) la date de dépôt de la demande déposée antérieurement est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l'alinéa a),

(iii) à la date de dépôt de la demande, il s'est écoulé, depuis la date de dépôt de la demande déposée antérieurement, au plus douze mois,

(iv) cette personne a présenté, à l'égard de sa demande, une demande de priorité fondée sur la demande déposée antérieurement.

(2) Si la demande de brevet visée à l'alinéa (1)c) ou celle visée à l'alinéa (1)d) a été retirée avant d'être devenue accessible au public, elle est réputée, pour l'application des paragraphes (1) ou (2), n'avoir jamais été déposée.

28.3 L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'objet, eu égard à toute communication:

a) qui a été faite, plus d'un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l'information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu'elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu'elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

28.4 (1) Pour l'application des articles 28.1, 28.2 et 78.3, le demandeur de brevet peut présenter une demande de priorité fondée sur une ou plusieurs demandes de brevet antérieurement déposées de façon régulière.

(2) Le demandeur la présente selon les modalités réglementaires; il doit aussi informer le commissaire du nom du pays où a été déposée toute demande de brevet sur laquelle la demande de priorité est fondée, ainsi que de la date de dépôt et du numéro de cette demande de brevet.

(3) Il peut, selon les modalités réglementaires, la retirer à l'égard de la demande déposée antérieurement; dans les cas où la demande de priorité est fondée sur plusieurs demandes, il peut la retirer à l'égard de toutes celles-ci ou d'une ou de plusieurs d'entre elles.

(4) Dans le cas où plusieurs demandes de brevet ont été déposées antérieurement dans le même pays ou non:

a) la date de dépôt de la première demande est retenue pour l'application de l'alinéa 28.1(1)b), du sous-alinéa 28.2(1)d)(iii) et des alinéas 78.3(1)b) et (2)b), selon le cas;

b) la date de dépôt de la première des demandes sur lesquelles la demande de priorité est fondée est retenue pour l'application du paragraphe 28.1(2), du sous-alinéa 28.2(1)d)(ii) et des alinéas 78.3(1)d) et (2)d), selon le cas.

(5) Pour l'application des articles 28.1 et 28.2 et des paragraphes 78.3(1) et (2), une demande de brevet déposée antérieurement est réputée ne pas l'avoir été si les conditions suivantes sont réunies:

a) la demande a été déposée plus de douze mois avant la date de dépôt de la demande à l'égard de laquelle une demande de priorité a été présentée;

b) avant la date de dépôt de la demande à l'égard de laquelle une demande de priorité a été présentée, une autre demande de brevet divulguant l'objet que définit la revendication de celle-ci a été déposée:

(i) par la personne qui a déposé la demande antérieurement déposée, ou par l'agent, le représentant légal ou le prédécesseur en droit de celle-ci,

(ii) dans le pays ou pour le pays où l'a été la demande antérieurement déposée;

c) à la date de dépôt de cette autre demande -- ou s'il y en a plusieurs, à la date de dépôt de la première demande --, la demande antérieurement déposée a été retirée, abandonnée ou refusée, sans avoir été accessible pour consultation et sans laisser subsister de droits, et n'a pas été invoquée pour réclamer une priorité au Canada ou ailleurs.

La décision du ministre

[31]Selon la décision du ministre relative à chacune des trois demandes, chaque brevet en question ne pouvait être ajouté au registre des brevets puisqu'il ne respectait pas les conditions relatives au délai du paragraphe 4(4) du Règlement. Bien que la liste de brevets ait été présentée au cours des 30 jours suivant la délivrance du brevet, la date de dépôt de la demande de brevet au Canada n'était pas antérieure à la date de dépôt de la présentation de drogue nouvelle.

[32]Par ordonnance de cette Cour datée du 28 décembre 2001, les trois présentes demandes de contrôle judiciaire contenues dans les dossiers de la Cour T-1103-01, T-1104-01 et T-1120-01 devaient être entendues ensemble de façon accélérée.

Questions en litige

[33]L'unique question en litige est celle qui consiste à savoir si les mots «date de dépôt», figurant au paragraphe 4(4) du Règlement, font référence uniquement à la date de dépôt d'une demande de brevet au Canada ou s'ils peuvent également faire référence à une date de dépôt prioritaire.

Norme de contrôle

[34]La norme de contrôle applicable n'est pas contestée. La question dont je suis saisi porte sur l'interprétation d'une disposition réglementaire et concerne une question de droit. La jurisprudence a établi qu'en de tels cas, il n'est pas nécessaire de faire preuve d'une grande retenue à l'égard de la décision du ministre et que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte. Il s'agit de la norme que j'appliquerai dans le cadre des présentes demandes de contrôle judiciaire. (Voir Merck & Co. c. Canada (Procureur général) (1999), 176 F.T.R. 21 (C.F. 1re inst.), confirmé par [sub nom. Merck & Co. v. Nu-Pharm] (2000), 5 C.P.R. (4th) 138 (C.A.F.).)

Analyse

[35]Les demanderesses prétendent que l'interprétation que le ministre fait du paragraphe 4(4) du Règlement est incorrecte et que sa décision de refuser d'ajouter les brevets à la liste était donc erronée. Elles soutiennent que l'interprétation correcte du paragraphe 4(4) prévoit que les mots «la date de dépôt» comprennent une date de dépôt prioritaire et que l'expression «la date de dépôt» devrait être interprétée grâce à l'approche établie par la Cour suprême dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, à la page 41, où la Cour a approuvé l'approche d'Elmer Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983):

[traduction] [. . .] il faut lire les termes [. . .] dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[36]Selon les demanderesses, le sens ordinaire de l'article et l'emploi des mots, dans la version anglaise, «a filing date» («une date de dépôt») plutôt que «the filing date» («la date de dépôt») ou «a filing date of the application in Canada» («une date de dépôt au Canada») ne pouvaient que mener à la conclusion selon laquelle du moment qu'il y a une date de dépôt pour la demande de brevet qui est antérieure à la date de dépôt de la demande et du moment que la liste de brevets est fournie au cours des 30 jours suivant la délivrance du brevet, la première personne a le droit d'ajouter le brevet à la liste. Elles soutiennent qu'une telle interprétation est compatible avec le sens ordinaire de ces mots et avec l'objet du Règlement, à savoir empêcher la violation du brevet et des obligations conventionnelles internationales du Canada.

[37]Les demanderesses soulèvent quatre arguments au soutien de leur position, qui sont contestés par le défendeur et l'intervenante:

a) l'emploi, dans la version anglaise du paragraphe 4(4) du Règlement, de l'article indéfini «a», devant les mots «filing date» («date de dépôt»), soutient la proposition selon laquelle les mots «filing date» («date de dépôt») peuvent faire référence à toute date de dépôt, y compris la date prioritaire;

b) les mots «date de dépôt» sont parfois employés dans certaines dispositions de la Loi sur les brevets pour faire référence à une date prioritaire (c.-à-d. l'alinéa 28.1(1)b));

c) dans l'arrêt Bayer AG c. Apotex Inc. (1998), 84 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst.), les mots «dépôt d'une demande au Canada» de l'ancien article 28 de la Loi sur les brevets [S.R.C. 1970, ch. P-4] ont été interprétés par cette Cour de façon à inclure la date de dépôt prioritaire d'une demande de brevet;

d) l'interprétation faite par le ministre du paragraphe 4(4) du Règlement n'est pas compatible avec les obligations conventionnelles internationales du Canada, plus particulièrement celles de la Convention de Paris [Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, 20 mars 1883, revisée à Bruxelles le 14 décembre 1900, à Washington le 2 juin 1911, à La Haye le 6 novembre 1925, à Londres le 2 juin 1934, à Lisbonne le 31 octobre 1958 et à Stockholm le 14 juillet 1967, 828 N.U. R.T. 305].

Je me pencherai sur chacun de ces arguments.

[38]Les demanderesses soutiennent que l'emploi, dans la version anglaise du paragraphe 4(4) du Règlement, de l'article indéfini «a», par opposition à l'article défini «the», appuie l'interprétation selon laquelle une date de dépôt ne doit pas être restreinte à une seule date de dépôt (c.-à-d. la date de dépôt au Canada), mais à tout autre date de dépôt (c.-à-d. la date de dépôt prioritaire ou la date de dépôt au Canada).

[39]Une ambiguïté qui peut avoir été créée par l'emploi de l'article indéfini dans la version anglaise du Règlement peut être corrigée par la version française qui emploie l'article défini et qui est ainsi rédigée: «dont la date de dépôt est antérieure». La version française étayerait la position du défendeur selon laquelle l'expression «filing date» «date de dépôt» fait référence uniquement à une date, à savoir la date de dépôt au Canada.

[40]Lorsqu'il y a une ambiguïté ou une contradiction entre deux versions officielles d'un texte législatif, il faut tenter de les concilier. Dans les cas où une version en elle-même est ambiguë alors que l'autre est claire et non équivoque, la jurisprudence a favorisé cette dernière version. (Voir Tupper c. The Queen, [1967] R.C.S. 589.) Les tribunaux ont également adopté une approche qui favoriserait un sens plus étroit lorsqu'il est question de tenter de trouver un sens commun entre les deux versions d'un texte législatif. (Voir P.-A. Coté, Interprétation des lois, 3e éd. (Montréal: Éditions Thémis, 1999, à la page 412.)

[41]Je suis guidé par les textes cités pour tenter de trouver un sens qui est commun aux deux versions. La version française en l'espèce n'est pas ambiguë et a un sens plus étroit que l'interprétation de la version anglaise présentée par les demanderesses puisqu'elle fait référence à «la date de dépôt» par opposition à «a filing date». Par conséquent, je n'ai aucune difficulté à favoriser le sens plus étroit de la version française du texte législatif.

[42]Je suis également d'avis que l'adoption d'un sens étroit et l'interprétation de «date de dépôt» de façon à signifier «date de dépôt au Canada» sont compatibles avec l'intention du législateur puisque l'expression «date de dépôt» est expressément définie dans la Loi sur les brevets comme la date de dépôt au Canada.

[43]La détermination de la principale question en litige dans les présentes demandes, soit celle de l'interprétation des mots «date de dépôt», ne tournera pas autour de l'emploi d'un article indéfini ou défini dans le Règlement, même s'il s'agit d'un facteur à considérer.

[44]L'expression «date de dépôt» n'est pas définie dans le Règlement, mais plutôt à l'article 2 et au paragraphe 28(1) de la Loi sur les brevets.

[45]La définition de «date de dépôt» de l'article 2 de la Loi sur les brevets est exhaustive et, à mon avis, non ambiguë. La «date de dépôt» de la Loi sur les brevets est expressément définie comme la date à laquelle une demande de brevet est déposée au Canada et non la date prioritaire. De plus, comme on l'a indiqué ci-dessus, la version française ne laisse aucun doute que la «date de dépôt» fait référence à la date de dépôt au Canada selon la définition de l'article 28. Le pouvoir découlant du Règlement doit être exercé dans le cadre de la portée de la Loi sur les brevets. Compte tenu de la définition de «date de dépôt» de l'article 2 de la Loi sur les brevets, il ne serait pas raisonnable, à mon avis, d'attribuer un sens à «date de dépôt» autre que celui attribué par la Loi, soit la date de dépôt au Canada.

[46]Les demanderesses prétendent, en outre, que l'expression «date de dépôt» est employée dans au moins trois contextes en vertu de la Loi sur les brevets:

1. la date de dépôt au Canada;

2. la date de dépôt prioritaire;

3. la date de dépôt international lorsqu'une demande est déposée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets [19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 22].

[47]Les demanderesses soulignent les articles suivants de la Loi au soutien de l'argument selon lequel l'expression «date de dépôt» n'est pas limitée à une date de dépôt au Canada mais pourrait également inclure une date de dépôt prioritaire:

a) dans chacun des paragraphes 28.4(2) et 28.4(4), la référence à «date de dépôt» ne fait manifestement référence qu'à la date de dépôt prioritaire;

b) à l'alinéa 28.1(1)b), l'expression «date de dépôt» est employée deux fois, une fois pour faire référence à la date de dépôt au Canada et la deuxième fois pour faire référence à la date de dépôt prioritaire;

c) au paragraphe 28(1), la référence à la «date de dépôt» vise la date de dépôt au Canada;

d) au paragraphe 10(1), la référence à la «date de dépôt» est employée deux fois, une pour désigner la date de dépôt au Canada et la deuxième fois pour désigner la date de dépôt prioritaire;

e) dans certains cas, elle peut même faire référence à la date de dépôt international.

[48]Je ne souscris pas à l'argument des demanderesses. L'alinéa 28.1(1)b) et les paragraphes 28.4(2) et 28.4(4) de la Loi traitent essentiellement des demandes antérieurement déposées de façon régulière dans d'autres pays. Comme l'expression «filing date» («date de dépôt») du paragraphe 4(4) du Règlement fait référence à des brevets canadiens, la référence à d'autres dispositions de la Loi portant sur des brevets déposés dans d'autres pays n'est pas très utile pour interpréter le paragraphe 4(4). L'expression «date de dépôt» est constamment employée dans la Loi sur les brevets pour faire référence à la date à laquelle la demande est déposée au Canada.

[49]Je souscris aux arguments de l'intervenante selon lesquels la version anglaise de la Loi emploie l'expression «claim date» (date de la revendication) et non l'expression «filing date» («date de dépôt»), pour faire référence à une demande antérieurement déposée de façon régulière ou à la date prioritaire. L'article 2 de la version anglaise de la Loi définit ainsi l'expression «claim date» [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 26]:

2. [. . .]

"claim date" means the date of a claim in an application for a patent in Canada, as determined in accordance with section 28.1.

Le paragraphe 28.1(1) prévoit que la date de la revendication est la date prioritaire si les trois conditions des alinéas 28(1)a) à c) sont remplies. Je suis d'avis que la définition de «claim date» serait vide de sens si les expressions «date de dépôt» et «date prioritaire» pouvaient être employées de façon interchangeable. Par conséquent, il est raisonnable de conclure que si le gouverneur en conseil avait eu l'intention de faire référence à la date prioritaire au paragraphe 4(4) du Règlement, le terme «claim date» aurait été employé.

[50]Même si ce que j'énonce peut sembler une évidence, la Loi sur les brevets est une loi canadienne et prévoit l'octroi d'un brevet à un inventeur «if an application for the patent in Canada is filed» (si la demande de brevet est déposée) (voir la version anglaise du paragraphe 27(1) [mod., idem, art. 31] de la Loi sur les brevets). En outre, la Loi sur les brevets définit précisément la «date de dépôt» comme la date de dépôt au Canada. À mon avis, toute référence à la «date de dépôt» dans la Loi ou dans le Règlement adopté sous son régime doit être lue en regard de cette définition. Une telle interprétation est compatible avec d'autres dispositions de la Loi sur les brevets et du Règlement qui, en grande partie, établissent explicitement, dans le contexte de l'article en particulier, à quel moment la «date de dépôt» signifie une autre date que la date de dépôt au Canada.

[51]Par conséquent, je conclus que les mots «date de dépôt», lus dans leur contexte entier et selon leur sens grammatical et ordinaire, harmonieusement avec le modèle de la Loi et l'intention du législateur, devraient être interprétés comme étant exhaustifs et comme faisant référence uniquement à la date de dépôt d'une demande de brevet au Canada.

[52]Les demanderesses se fondent sur une décision de M. le juge Gibson rendue dans l'arrêt Bayer AG c. Apotex Inc. (1998), 84 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst.) (Bayer) où mon collègue, en examinant l'ancien article 28, a conclu qu'un brevet canadien donnait droit au bénéfice de la date de dépôt prioritaire.

[53]Dans l'arrêt Bayer, le juge Gibson a conclu que le «brevet» chilien n'avait pas été accordé lors du dépôt de la demande au Canada et a conclu que l'«empêchement en raison d'un brevet étranger» prévue dans l'ancien paragraphe 28(2) de la Loi sur les brevets ne privait pas Bayer de son droit d'obtenir un brevet canadien. Au moyen d'une remarque incidente, le juge Gibson a ajouté que, selon les faits de cette affaire et la Loi ainsi qu'elle était rédigée, «les mentions relatives au "dépôt" d'une demande au Canada au paragraphe 28(2) ne visent pas simplement le dépôt réel, mais toute date où prend effet le dépôt ou date prioritaire à laquelle a droit le requérant en vertu du paragraphe 29(1)» (paragraphe 55 de la décision Bayer.)

[54]Je suis d'avis que l'arrêt Bayer possède une application limitée à la présente affaire. Le juge Gibson devait se pencher sur les exigences de nouveauté en vertu de la Loi sur les brevets, ainsi qu'elle était rédigée, et n'a pas examiné le Règlement. En outre, les dispositions actuelles de la Loi sur les brevets établissent manifestement une distinction entre la «date de dépôt» et la date prioritaire ou celle de la revendication. Cette distinction ne faisait pas partie de la Loi sur les brevets qu'a examinée le juge Gibson dans l'arrêt Bayer.

[55]Ayant décidé que le paragraphe 4(4) du Règlement et l'article 2 ainsi que le paragraphe 28(2) de la Loi sont clairs et non ambigus, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'avoir recours aux conventions internationales comme outils intrinsèques pour leur interprétation. M. le juge Bastarache dans l'arrêt R. c. Cook, [1998] 2 R.C.S. 597, au paragraphe 129, a indiqué que lorsqu'une disposition législative va à l'encontre des principes du droit international en matière de compétence, une présomption veut que la disposition soit interprétée de manière compatible avec les principes du droit international, à moins que l'interprétation contraire au droit international ne soit claire et dénuée de toute ambiguïté. Le savant juge a cité M. le juge Pigeon dans l'arrêt Daniels c. White and The Queen, [1968] R.C.S. 517, à la page 541:

[traduction] [. . .] le législateur est réputé ne pas légiférer en violation d'un traité ni à l'encontre de la courtoisie internationale ou des règles établies de droit international. [. . .] si une loi est dénuée d'ambiguïté, ses dispositions doivent être observées même si elles s'opposent au droit international, comme il a été jugé récemment dans Inland Revenue Commissioners c. Collco Dealings Ltd. ([1962] A.C. 1), où toute la jurisprudence pertinente a été évoquée. Dans cette affaire, la Chambre des lords a conclu que la volonté du législateur était claire et dénuée de toute ambiguïté et, par conséquent, que les termes sans équivoque d'une loi ne pouvaient être écartés afin d'observer la courtoisie internationale et les principes reconnus de droit international. Cependant, il y avait lieu d'appliquer ce principe d'interprétation dans les cas s'y prêtant.

[56]Même si j'avais conclu qu'il y avait une ambiguïté dans la Loi et le Règlement, en ce qui concerne l'interprétation à accorder à la «date de dépôt», je ne suis pas convaincu que l'interprétation qu'a fait le ministre du paragraphe 4(4) du Règlement ou de l'article 2 et du paragraphe 28(1) de la Loi sur les brevets était incompatible avec la Convention de Paris, l'Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique [le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2] (ALÉNA) ou l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce [Annexe 1C de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, signé à Marrakech, au Maroc, le 15 avril 1994, 1867 N.U.R.T. 3] (l'Accord sur les ADPIC).

[57]L'ALÉNA et l'Accord sur les ADPIC imposent une obligation de respect de la Convention de Paris. Par conséquent, il est utile de reproduire les articles pertinents de la Convention de Paris.

L'alinéa 1 de l'article 2 de la Convention de Paris prévoit que:

Article 2

(1) Les ressortissants de chacun des pays de l'Union jouiront dans tous les autres pays de l'Union, en ce qui concerne la protection de la propriété industrielle, des avantages que les lois respectives accordent actuellement ou accorderont par la suite aux nationaux, le tout sans préjudice des droits spécialement prévus par la présente Convention. En conséquence, ils auront la même protection que ceux-ci et le même recours légal contre toute atteinte portée à leurs droits, sous réserve de l'accomplissement des conditions et formalités imposées aux nationaux. [Soulignement ajouté.]

L'article 4B de la Convention de Paris prévoit que:

Article 4

B. -- En conséquence, le dépôt ultérieurement opéré dans l'un des autres pays de l'Union, avant l'expiration de ces délais, ne pourra être invalidé par des faits accomplis dans l'intervalle, soit, notamment, par un autre dépôt, par la publication de l'invention ou son exploitation, par la mise en vente d'exemplaires du dessin ou du modèle, par l'emploi de la marque, et ces faits ne pourront faire naître aucun droit de tiers ni aucune possession personnelle. Les droits acquis par des tiers avant le jour de la première demande qui sert de base au droit de priorité sont réservés par l'effet de la législation intérieure de chaque pays de l'Union.

[58]Les demanderesses soutiennent que l'interprétation du ministre de la «date de dépôt» au paragraphe 4(4) du Règlement place les brevetés qui déposent leur demande de brevet en premier dans un autre pays que le Canada en désavantage comparativement aux brevetés qui choisissent de déposer en premier leur demande au Canada. Une telle interprétation entraîne un traitement inégal en fonction du pays où ils ont déposé leur demande en premier et, selon les demanderesses, est contraire à l'article 2, paragraphe 1 de l'Accord sur les ADPIC qui prévoit que les États membres doivent se conformer à la Convention de Paris.

[59]Essentiellement, les demanderesses soutiennent qu'une interprétation de la «date de dépôt» du paragraphe 4(4) du Règlement qui fait référence uniquement à la date de dépôt au Canada entraînerait la perte de droits lors de la période prioritaire, ce qui serait contraire à la Convention de Paris, en particulier à l'égalité du traitement national prévu à l'article 2.

[60]Un examen minutieux des articles pertinents de la Convention de Paris m'amène à adopter la position la plus convaincante avancée par l'intervenante relativement à cette question que j'intègre dans les paragraphes suivants des présents motifs.

[61]En vertu du paragraphe 4(4) du Règlement, les «nationaux» du Canada et les «nationaux» de tout autre pays ont droit aux mêmes avantages dans la mesure où ils se conforment aux mêmes conditions et formalités. Cette exigence de respect des mêmes conditions et formalités est précisément prévue à l'alinéa 1 de l'article 2 de la Convention de Paris.

[62]En outre, l'article 4B de la Convention de Paris indique qu'un dépôt ultérieurement opéré «ne pourra être invalidé» par des faits nouveaux. Je suis d'avis que le Canada se conforme à l'article 4B en permettant à une partie qui dépose une demande de brevet étranger de revendiquer la priorité au Canada en vertu de l'alinéa 28.1(1)c) de la Loi, dans les circonstances établies aux alinéas 28.1(1)a) et b). L'effet d'une telle priorité est établi aux articles 28.1 à 28.4 de la Loi. L'interprétation de la «date de dépôt» comme étant la date de dépôt au Canada, telle qu'adoptée par le ministre, ne constitue pas un «fait» qui «invalide» le dépôt canadien ultérieur. Un brevet qui ne peut être ajouté à une liste en vertu du Règlement ne devient donc pas invalide. Le breveté peut toujours faire appliquer ses droits afférents au brevet au moyen d'une action. La portée du Règlement n'a pas d'incidence sur les droits afférents au brevet.

[63]Pour les motifs précités, je conclus que le ministre avait raison d'interpréter l'expression «date de dépôt» du paragraphe 4(4) du Règlement comme faisant référence uniquement à la date de dépôt d'une demande de brevet au Canada. Le refus du ministre d'ajouter les brevets à la liste était donc correct.

[64]En conséquence, les demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.

[65]À la lumière du fait que ma décision favorise la position mise de l'avant par l'intervenante, il n'est pas nécessaire que je décide si une autorisation d'en appeler doit être accordée à l'intervenante.

ORDONNANCE

[66]CETTE COUR ORDONNE que:

1. les demandes de contrôle judiciaire soient rejetées;

2. le défendeur ait droit à ses dépens pour chacune des demandes.

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