T-1184-00
2002 CFPI 569
Sa Majesté la Reine (demanderesse)
c.
Mid-Atlantic Minerals Inc. (défenderesse)
Répertorié: Canada c. Mid-Atlantic Minerals Inc. (1re inst.)
Section de première instance, juge Rouleau--Montréal, 10 avril; Ottawa, 16 mai 2002.
Droit maritime -- La défenderesse a refusé de payer les droits des services à la navigation maritime rendus par la Garde côtière canadienne (GCC) -- Elle a contesté l'action en recouvrement des droits de la demanderesse est contestée au motif que le Barème des droits des services à la navigation maritime sur lequel la réclamation est fondée serait nul et illégal -- Elle avait le droit de contester la légalité du Barème par voie de demande de contrôle judiciaire uniquement et non pas par voie de défense à une action -- La défenderesse a-t-elle été victime de discrimination parce qu'elle a utilisé un navire non canadien? -- L'art. 47 de la Loi sur les océans accorde au ministre un large pouvoir discrétionnaire pour fixer les prix des différents services fournis par les ministères ou organismes fédéraux qui relèvent de sa compétence -- Le pouvoir général de fixer des prix ou des droits pour services rendus par des ministères ou organismes fédéraux permet à l'administration fédérale de fixer des prix par catégorie d'usagers--Le ministre a le pouvoir, en vertu de l'art. 47, de prévoir une tarification différente pour services à la navigation maritime fournis à des navires canadiens ou non canadiens -- Le Barème relève des pouvoirs du ministre.
Pratique -- Actes de procédure -- Appel d'une ordonnance du protonotaire qui a accueilli une action en recouvrement de droits des services à la navigation -- Le protonotaire a erré en droit lorsqu'il a décidé que la défenderesse ne pouvait pas contester la légalité du Barème par voie de défense à une action -- Les art. 175, 178 et 183c) des Règles de la Cour fédérale (1998) indiquent clairement que lorsqu'une action a été intentée contre une personne, cette dernière peut soulever dans sa défense tout point de droit qui pourrait entraîner le rejet de la cause d'action.
Il s'agit d'un appel de la défenderesse à l'encontre d'une ordonnance du protonotaire qui a accueilli l'action simplifiée intentée par la demanderesse en recouvrement des droits des services à la navigation dus en vertu du Barème des droits des services à la navigation maritime. L'appel porte sur la validité de l'article 10 du Barème, adopté en vertu de l'article 47 et suivant de la Loi sur les océans. En 1989, le gouvernement fédéral a mis sur pied une politique visant à recouvrer les coûts d'un certain nombre de services fournis à la navigation maritime dans les eaux canadiennes par lui-même et des organismes qui sont sous son contrôle, notamment la Garde côtière canadienne (GCC). Étant donné qu'aucun navire immatriculé au Canada n'était disponible, la defenderesse a utilisé, en eaux canadiennes, un navire non canadien, le MS Bjorn, en vertu d'un permis d'entrée temporaire, lequel était valide du 9 février au 9 mars 1998. En application de l'article 10 du Barème, la défenderesse a reçu une facture de la part de la demanderesse, laquelle était datée du 3 mars 1998, qui lui réclamait la somme de 8 420,68 $ pour les services à la navigation rendus au navire de la défenderesse pendant la durée de validité de son permis. La défenderesse n'a acquitté qu'un montant de 1 368,62 $ et a refusé de payer le solde. La présente action a été contestée pour le motif que le Barème sur lequel est fondée la réclamation de la demanderesse serait nul et illégal. Selon la défenderesse, le Barème fait une distinction entre navires canadiens et non canadiens et le ministre des Pêches et des Océans n'a pas le pouvoir de prévoir ainsi une tarification par catégorie de navires fondée sur la nationalité. Aucun des faits allégués par la défenderesse dans sa défense n'a été prouvé devant le protonotaire. Le présent appel soulève les deux questions suivantes: 1) le protonotaire a-t-il erré en droit lorsqu'il a décidé que la défenderesse ne pouvait pas contester la légalité du Barème dans le cadre d'une défense à l'action intentée par la demanderesse? 2) le Barème sur lequel la demanderesse a fondé sa réclamation excédait-il la compétence du ministre?
Jugement: l'appel est accueilli quant à la première question et rejeté quant à la deuxième.
1) La décision du protonotaire était entachée d'une erreur en droit et portait sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, de telle sorte que la Cour devait exercer son propre pouvoir discrétionnaire par instruction de novo. Les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale prévoient que le recours intentés contre un office fédéral pour jugement déclaratoire contre une «décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte» de cet office doivent l'être par voie de contrôle judiciaire et pas autrement. Contrairement à la conclusion du protonotaire, ces dispositions ne prévoient pas d'autres exigences prescrites par la loi auxquelles la défenderesse aurait pu «échapper» en déposant une défense à une action intentée par la demanderesse. Rien n'obligeait la défenderesse à contester de façon préventive la «décision» de la demanderesse de lui réclamer une somme d'argent pour services rendus, et ce, dès l'instant où la facture du 3 mars 1998 lui a été envoyée, alors même qu'aucune mesure concrète n'avait encore été prise contre elle. Les articles 175, 178 et l'alinéa 183c) des Règles de la Cour fédérale (1998) sont également très clairs: une fois qu'une action a été intentée contre une personne, cette dernière peut et même doit soulever et plaider dans sa défense tout point de droit qui pourrait entraîner le rejet de la cause d'action.
2) La défenderesse a prétendu qu'il y a eu discrimination en disant qu'un tarif moins élevé lui aurait été imposé si elle avait utilisé un navire canadien puisqu'elle aurait été facturée en vertu du paragraphe 8(2) du Barème, lequel s'applique aux porte-conteneurs et aux transporteurs de vrac canadiens, et non en vertu de l'article 10 qui s'applique aux navires non canadiens. Il n'y a aucune preuve au dossier permettant de conclure que le navire de la défenderesse aurait été facturé en vertu du paragraphe 8(2) s'il avait été un navire canadien ou que le MS Bjorn se qualifiait comme porte-conteneur ou transporteur de vrac. À défaut d'une telle preuve, il faut présumer que si celui-ci avait été un navire canadien, il aurait été assujetti au tarif applicable aux navires canadiens ordinaires, lequel est prévu au paragraphe 8(1) du Barème. Le tarif imposé aux navires canadiens ordinaires (c'est-à-dire les navires qui ne sont ni des porte-conteneurs ni des transporteurs de vrac) en vertu de cette disposition est le même que celui imposé à un navire non canadien exploité en vertu d'un permis de cabotage et visé par l'article 10. Il n'y a aucune preuve au dossier permettant de conclure que la défenderesse aurait été assujettie à un tarif moins élevé si elle avait utilisé un navire canadien. Par conséquent, elle ne peut pas contester la légalité du Barème pour ce motif.
Pour établir la validité de l'article 10 du Barème, la Cour a examiné la Loi sur les océans pour déterminer si elle permet au gouverneur en conseil de faire une distinction entre navires canadiens et navires étrangers lorsqu'il fixe les prix payables par les usagers des services à la navigation maritime. L'article 47 de la Loi accorde au ministre un large pouvoir discrétionnaire pour fixer les prix des différents services fournis par les ministères ou organismes fédéraux qui relèvent de sa compétence, notamment les services à la navigation maritime fournis par la GCC. Les seules limites au pouvoir du ministre sont celles fixées par les paragraphes 47(1), (2) ainsi que par l'article 50. Les conditions mentionnées dans ces dispositions ont toutes été respectées. La disposition habilitante n'impose pas d'autres limites au pouvoir du ministre et permet la création de catégories d'usagers fondées sur la nationalité des navires. Comme le ministre est habilité à fixer «les prix pour la fourniture de services», il peut fixer divers prix, selon différents critères, pour différentes catégories de navires visées par le Barème, et il peut même s'abstenir de fixer des prix pour certaines catégories de navires. Bien que l'article 47 de la Loi n'autorise pas expressément le gouverneur en conseil à édicter des règlements imposant une tarification par catégorie de navires fondée sur la nationalité, l'administration de la Loi exige implicitement, pour de bonnes raisons, que le Barème puisse faire une distinction entre certaines catégories de navires. L'objectif du législateur et la réalité entourant la navigation maritime commerciale permettent de conférer un statut spécial, par exemple, aux transporteurs de vrac et aux porte-conteneurs et permettent aussi de considérer dans une catégorie à part les navires non canadiens pour fins d'imposition de droits. Le principe selon lequel une habilitation générale à fixer des prix ou des droits pour services rendus par des ministères ou organismes fédéraux permet à l'administration fédérale de fixer des prix par catégorie d'usagers est bien établi en jurisprudence. Selon celle-ci, le ministre a le pouvoir, en vertu de l'article 47, de prévoir une tarification différente pour les services à la navigation maritime fournis aux navires canadiens et non canadiens. Le Barème contesté en l'espèce relevait donc de la compétence du Ministre, étant donné que celui-ci avait le pouvoir de créer des catégories d'usagers fondées sur la nationalité des navires aux fins de la tarification de ses services. Le caractère discriminatoire d'un règlement édicté par l'exécutif qui fixe des droits d'usage pour services rendus, en vertu d'une habilitation législative générale, n'a que peu ou pas d'effet sur sa validité. Le pouvoir conféré au ministre en vertu de l'article 47 de la Loi doit être interprété comme l'autorisant à créer différentes catégories d'usagers, y compris une catégorie fondée sur la nationalité des navires (canadiens et non canadiens), aux fins de la fixation des droits pour services rendus.
lois et règlements
Barème des droits 1997-98: prix des services à la navigation maritime fournis par la Garde côtière canadienne, art. 1, 2, 6, 8, 9, 10.
Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C-24. |
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 22 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 69; 1996, ch. 31, art. 82; 2002, ch. 8, art. 31). |
Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, ch. A-3, art. 5. |
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 19(1)a) (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 6). |
Loi sur la radio, S.R.C. 1952, ch. 233, art. 3(1). |
Loi sur le cabotage, L.C. 1992, ch. 31. |
Loi sur les océans, L.C. 1996, ch. 31, art. 41 (mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 170), 47, 50. |
Loi sur les ports et installations portuaires publics, L.R.C. (1985), ch. P-29. |
Règlement sur les intérêts et les frais administratifs, DORS/96-188. |
Règlement sur les prix des services à la navigation maritime, DORS/96-282. |
Règlement sur les taxes des services aéronautiques, C.R.C., ch. 5. |
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 60, 175, 178, 183c)(i), 299. |
jurisprudence
décisions appliquées:
Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425; [1993] 1 C.T.C. 186; (1993), 93 DTC 5080; 149 N.R. 273 (C.A.). Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada, [1987] 3 C.F. 383; (1987), 9 F.T.R. 29 (1re inst.); conf. par (1990), 68 D.L.R. (4th) 220; 107 N.R. 129 (C.A.F.); Procureur général du Canada v. La Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60; (1966), 63 D.L.R. (2d) 396; 66 DTC 5492.
distinction faite d'avec:
Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190; 17 Admin. L.R. (2d) 243; 67 F.T.R. 98 (C.F. 1re inst.); Canada c. St. Lawrence Cruise Lines Inc., [1997] 3 C.F. 899; (1997), 148 D.L.R. (4th) 480; 215 N.R. 278 (C.A.).
décisions examinées:
Assoc. des armateurs canadiens. c. Canada (1997), 3 Admin. L.R. (3d) 36; 137 F.T.R. 216 (C.F. 1re inst.); conf. par (1998), 233 N.R. 162 (C.A.F.); Forget c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 90; (1988), 53 D.L.R. (4th) 432; 32 Admin. L.R. 211; 87 N.R. 37; 17 Q.A.C. 241.
décisions citées:
James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 157; 126 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); Frank Brunckhorst Co. c. Gainers Inc., [1993] A.C.F. no 874 (C.A.) (QL); Symbol Yachts Ltd. c. Pearson, [1996] 2 C.F. 391; (1996), 107 F.T.R. 295 (1re inst.).
doctrine
Keyes, J. M. Executive Legislation: Delegated Law Making by the Executive Branch. Toronto: Butterworths, 1992.
APPEL d'une ordonnance du protonotaire qui a accueilli l'action de la demanderesse visant à recouvrer les droits des services à la navigation maritime dus par la défenderesse en vertu du Barème des droits des services à la navigation maritime. Appel accueilli en ce qui concerne la décision du protonotaire relative au droit de contester la légalité des règlements fédéraux autrement que par une demande de contrôle judiciaire, mais rejeté en ce qui concerne la décision quant au fond.
ont comparu:
Bernard Letarte pour la demanderesse.
André Braën pour la défenderesse.
avocats inscrits au dossier:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Marler & Associés, Montréal, pour la défenderesse.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en français par
[1]Le juge Rouleau: Cet appel de la défenderesse d'une ordonnance datée du 8 mars 2001 rendue par le protonotaire Me Richard Morneau [2001 CFPI 170; [2001] A.C.F. no 327 (1re inst.) (QL)] porte sur la validité de l'article 10 du Barème des droits des services à la navigation maritime [Barème des droits 1997-98: prix des services à la navigation maritime fournis par la Garde côtière canadienne] (le Barème) adopté en vertu de l'article 47 et suivant de la Loi sur les des océans, L.C. 1996, ch. 31 (la Loi). La Cour est appelée, plus précisément, à décider si le ministre des Pêches et des Océans (le ministre) était habilité à fixer les droits payables par les utilisateurs des services à la navigation maritime en distinguant entre navires canadiens et navires étrangers et, dans l'hypothèse d'une telle habilitation, si cette imposition était discriminatoire.
[2]Le débat est né du refus de la société défenderesse de payer les frais en question, ce qui a amené la Couronne à réclamer devant la Cour fédérale le paiement de ces droits1. Le protonotaire a accueilli l'action simplifiée intentée par la demanderesse en recouvrement des droits de services à la navigation payables par la défenderesse aux termes du Barème, et condamné la défenderesse à lui payer la somme de 7 052,36 $ avec intérêts au taux prescrit au Règlement sur les intérêts et les frais administratifs [DORS/96-188], et ce à compter du 2 avril 1998. La défenderesse cherche à obtenir une ordonnance accueillant le présent appel et infirmant l'ordonnance du protonotaire ainsi qu'une ordonnance rejetant l'action de la demanderesse avec intérêts et dépens.
Le contexte législatif
[3]Afin d'être à même de bien comprendre la teneur des questions soulevées par les parties, un examen du contexte législatif dans lequel s'inscrit le présent litige s'impose.
[4]La Garde côtière canadienne (GCC) fournit de nombreux services à la navigation maritime dans les eaux canadiennes. Ces services consistent, notamment, à la mise en place, dans les eaux canadiennes et dans les ports situés dans les eaux canadiennes, au bénéfice des bateaux qui y naviguent, de systèmes d'assistance visuelle tels des bouées, balises, phares, lumières, de systèmes d'assistance radar et de systèmes d'assistance auditive tels des cors à brume, bouées sifflantes, etc. Les services à la navigation maritime fournis par la demanderesse consistent aussi en des services de trafic maritime et de diffusion d'informations par les centres des Services des communications et du trafic maritime de la GCC.
[5]Ainsi, en 1989, le gouvernement fédéral a mis sur pied une politique visant à recouvrer les coûts nécessaires à la fourniture de services rendus par lui et les organismes sous son contrôle, dont la GCC.
[6]Le 1er juin 1996, entra en vigueur le Règlement sur les prix des services à la navigation maritime [DORS/96-282] (le Règlement), le prédécesseur du Barème contesté en l'espèce. Ce règlement était édicté en vertu de l'article 19(1)a) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 6]. Après l'entrée en vigueur du Règlement, le Ministre continua les consultations avec l'industrie maritime afin d'améliorer le système de recouvrement des coûts. Ces consultations se sont poursuivies depuis et se poursuivent encore aujourd'hui. Le système de tarification que constitue le Barème fut donc mis en place après avoir abondamment consulté les représentants de l'industrie maritime.
[7]En 1997, la validité du Règlement fut contestée en cette Cour par l'Association des armateurs canadiens, mais celle-ci rejeta la contestation et son jugement fut maintenu par la Cour d'appel fédérale en 1998. Ces jugements sont rapportés à Assoc. des armateurs canadiens c. Canada (1997), 3 Admin. L.R. (3d) 36, (C.F. 1re inst.); (1998), 233 N.R. 162 (C.A.F.).
[8]Le 1er juillet 1997, le Règlement fut abrogé [DORS/97-295] et le Barème contesté en l'espèce entra en vigueur.
Les faits
[9]La défenderesse Mid-Atlantic Minerals Ltd. est une compagnie canadienne qui s'emploie au transport maritime, incluant sur le fleuve Saint-Laurent. À cette fin, et compte tenu de la non-disponibilité de navires immatriculées au Canada, la défenderesse a exploité dans les eaux canadiennes un navire non-canadien d'une jauge brute de 17,594 tonneaux, le MS Bjorn, en vertu d'un permis d'entrée temporaire délivré sous la Loi sur le cabotage, L.C. 1992 , ch. 31, et valide pour un mois, soit du 9 février au 9 mars 1998.
[10]En application de l'article 10 du Barème, la défenderesse reçut une facture de la demanderesse datée du 3 mars 1998 lui réclamant, dans les trente jours, la somme de 8 420,68 $ pour les services à la navigation rendus par la demanderesse au navire de la défenderesse pendant la durée de validité de son permis.
[11]À ce jour, bien que dûment mise en demeure le 19 juin 2000, la défenderesse n'acquitta qu'un montant de 1 368,62 $, seul montant qu'elle estimait devoir aux termes du Barème, et refuse de payer le solde impayé de la facture du 3 mars 1998, soit 7 052,36 $, d'où la présente action.
[12]Cette action est contestée par la défenderesse pour le seul motif que le Barème, sur lequel est fondée la réclamation de la demanderesse, serait nul et illégal. Le règlement trace une distinction entre navires canadiens et non canadiens et en ce qui concerne les vraquiers (bulk carriers) et porte-conteneurs, il impose une tarification différente et qui favorise nettement les navires canadiens. Selon la défenderesse, le ministre n'a pas le pouvoir de prévoir une tarification par catégories de navire fondée sur la nationalité. Cette distinction est discriminatoire, en conflit avec la loi habilitante et, donc, illégale.
[13]Dans sa défense, la défenderesse a admis tous les faits donnant ouverture à l'application de l'article 10 du Barème précité. Toutefois, la défenderesse n'a produit aucune preuve pour soutenir les allégations de sa défense et, par conséquent, aucun des faits allégués par la défenderesse dans sa défense n'a été prouvé devant le protonotaire.
[14]À l'audition de la cause le 6 mars 2001, le protonotaire a indiqué aux parties qu'il refusait de se prononcer sur la question de la validité du Barème et qu'il n'entendrait pas les arguments des parties à cet effet compte tenu du fait que la défenderesse avait fait défaut d'entreprendre une demande de contrôle judiciaire pour contester la légalité du Barème en question et qu'elle ne pouvait rechercher une conclusion déclarant son illégalité en défense à une action. Plus précisément, le protonotaire refusa de considérer le moyen de défense du défendeur jugeant qu'aucune règle des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98/106] ne permet à une défenderesse de simplement soulever l'illégalité d'un règlement dans une défense et ainsi échapper aux exigences statutaires des articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale.
[15]Par conséquent, le protonotaire accueillit l'action intentée par la demanderesse compte tenu des admissions des parties, tels qu'ils apparaissent au dossier. La défenderesse en appelle maintenant de cette décision.
Les questions en litiges
[16]Le présent appel soulève les deux questions suivantes:
1) Le protonotaire a-t-il erré en droit en décidant que la défenderesse ne pouvait contester la légalité du Barème dans le cadre d'une défense à l'action intentée par la demanderesse, justifiant ainsi l'intervention de cette Cour?
2) Dans l'affirmative, le Barème sur lequel la demanderesse fonde sa réclamation est-il ultra vires des pouvoirs du ministre?
Les prétentions des parties
[17]Quant à la procédure, la défenderesse soumet que le protonotaire a erré en droit en lui refusant le droit à une défense pleine et entière. Il a erré en soulevant, de son propre gré, une question qui ne faisait pas partie des allégations des parties et qui n'était pas incluse dans les mémoires de conférence préparatoire des parties ni des discussions qui ont eu lieu lors de la conférence préparatoire en présence de l'honorable juge Hugessen. La défenderesse soumet également que le protonotaire a erré en droit en jugeant que le seul moyen de contester la légalité d'un règlement fédéral est une demande de contrôle judiciaire basée sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Le protonotaire n'a appuyé sa décision sur aucune jurisprudence ni autorité, et la défenderesse soumet qu'elle n'en a trouvé aucune.
[18]De surcroît, la défenderesse argumente que les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, qui concernent la révision judiciaire par la Cour fédérale des tribunaux fédéraux, n'ont rien à voir avec le droit d'une partie d'invoquer la nullité d'un règlement fédéral comme moyen de défense. Enfin, la défenderesse soumet que le protonotaire a erré en droit en lui refusant de plaider toute question qui pourrait entraîner le rejet d'une cause d'action tel que prévu à la règle 175 et le sous-alinéa 183c)(i) des Règles de la Cour fédérale, (1998).
[19]Quant au fond de l'action, la défenderesse affirme que la loi habilitante et en particulier l'article 47 et suivant de la Loi permettent au ministre de fixer les droits payables par les utilisateurs des services à la navigation maritime. Selon la défenderesse, ces dispositions ont pour objet de permettre aux autorités fédérales de recouvrer les sommes dépensées pour la fourniture de ces services. Elles ne permettent pas, ni explicitement ni implicitement, de distinguer entre navires canadiens et navires étrangers, ni de favoriser au moyen d'une tarification plus avantageuse les premiers au détriment des seconds. La défenderesse soumet que la Cour suprême du Canada a, à maintes reprises, affirmé qu'une telle distinction dans un règlement doit, pour être valide, être expressément autorisée par la loi habilitante, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. De plus, la discrimination exercée entre navires canadiens et non-canadiens n'est absolument pas essentielle pour permettre au ministre d'exercer son pouvoir réglementaire en matière de tarification des services à la navigation maritime.
[20]La défenderesse soumet enfin que le présent cas doit être distingué de celui impliquant l'ancien Règlement, lequel règlement a été jugé valide par cette Cour au motif que les distinctions qu'il traçait étaient autorisées par la loi délégatrice puisque le libellé des dispositions de ce Règlement était bien différente et prévoyait expressément la possibilité de créer des catégories de navires pour les fins de tarification. Par conséquent, la défenderesse demande à la Cour de rejeter la réclamation de la demanderesse au motif qu'elle est fondée sur un barème illégal.
[21]La demanderesse prétend pour sa part que la décision du protonotaire est bien fondée et, à tout événement, que la défenderesse n'a pas fait la preuve qu'elle a fait l'objet d'un traitement différent et préjudiciable en raison de l'origine de son navire. De surcroît, elle prétend que le Barème est intra vires des pouvoirs du ministre.
[22]Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée sur la norme de contrôle d'une décision discrétionnaire d'un protonotaire. Elle exprima sa conclusion comme suit à la page 463 de la décision:
Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.
[23]La décision en cause en est une qui, à mon avis, est entachée d'une erreur de droit et qui porte sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, ce qui fait que la Cour doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire par instruction de novo. Comme l'analyse exposée ci-bas le démontre, la Cour ne peut souscrire à la conclusion à laquelle est arrivée le protonotaire. Il y a donc lieu d'intervenir.
Dispositions législatives et réglementaires pertinentes
[24]Le Barème s'applique à tous les navires commerciaux qui sont exploités en eaux canadiennes, à l'exception des navires exclus de la définition de «navire» de l'article 1 du Barème et à l'exception des navires exemptés aux termes de l'article 2. Outre ces deux dispositions qui prévoient respectivement les définitions et le champ d'application du Barème, celui-ci est divisé en trois parties, soit: partie I, Prix applicables à la région de l'Ouest; partie II, Prix applicables à la région des maritimes, à la région de Terre-Neuve et aux régions Laurentienne et du Centre; partie III, Dispositions générales. Les parties I et II sont toutes deux divisées en deux sections, la première traitant des navires non canadiens et la deuxième, des navires canadiens. La partie III établit, notamment, le prix à payer pour les navires exploités conformément à un permis d'entrée temporaire délivré en vertu de la Loi sur le cabotage. La défenderesse fut facturée en vertu de la partie III du Barème. Avant d'aborder l'analyse, il serait utile de reproduire les dispositions pertinentes de la Loi et du Barème.
1) Loi sur les océans
Facturation
47. (1) Le ministre peut, sous réserve des règlements d'application du présent article éventuellement pris par le Conseil du Trésor, fixer les prix à payer pour la fourniture de services ou d'installations au titre de la présente loi par lui-même ou le ministère, ou tout organisme fédéral dont il est, du moins en partie, responsable.
(2) Les prix fixés dans le cadre du paragraphe (1) ne peuvent excéder les coûts supportés par Sa Majesté du chef du Canada pour la fourniture des services ou des installations. [Mes soulignés.]
2) Barème des droits des services à la navigation maritime
PARTIE II
PRIX APPLICABLES À LA RÉGION DES MARITIMES, À LA RÉGION DE TERRE-NEUVE ET AUX RÉGIONS LAURENTIENNE ET DU CENTRE
Navires non canadiens
6. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3) et des articles 7 et 10, le prix que doit payer, pour des services à la navigation maritime, le navire non canadien qui charge ou décharge une cargaison dans un port canadien est le produit de la multiplication du poids, en tonnes métriques, de la cargaison chargée ou déchargée, jusqu'à concurrence de 50 000 tonnes, par:
a) 0,16 $, pour les régions Laurentienne et du Centre;
[. . .]
(2) Dans le calcul du prix visé au paragraphe (1), le poids de la cargaison chargée ou déchargée ne comprend pas le poids de la cargaison transbordée qu'un autre navire a transportée et pour laquelle un prix a déjà été payé.
(3) Le prix calculé selon le paragraphe (1) ne peut dépasser 0,05 $ par tonne métrique d'agrégats et de 0,15 $ par tonne métrique de gypse.
[. . .]
Navires canadiens
8. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), le prix trimestriel que doit payer, pour des services à la navigation maritime, le navire canadien qui est exploité dans les eaux canadiennes de la région des Maritimes, de la région de Terre-Neuve ou des régions Laurentienne et du Centre est le produit de la multiplication de sa jauge brute par 1,25 $.
(2) Le prix trimestriel que doit payer, pour des services à la navigation maritime, le navire canadien qui est un transporteur de vrac ou un porte-conteneurs exploité dans les eaux canadiennes de la région des Maritimes, de la région de Terre-Neuve ou des régions du Centre et Laurentienne est le produit de la multiplication de 1/100 de la distance parcourue en kilomètres, arrondie au prochain nombre entier le plus élevé, par le nombre de tonnes métriques transportées au prix de 0,0076 $.
[. . .]
PARTIE III
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
9. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le prix que doit payer, pour des services à la navigation maritime, le navire non canadien qui est exploité dans les eaux canadiennes des régions de Terre-Neuve et des Maritimes ou des régions Laurentienne et du Centre et qui n'est pas assujetti aux autres prix fixés par le présent barème des droits est le produit de la multiplication de sa jauge brute par 0,42 $.
(2) Le prix prévu au paragraphe (1) est payé au plus une fois par mois.
10. Le prix que doit payer, pour des services à la navigation maritime, le navire non canadien qui est exploité dans les eaux canadiennes conformément à un permis d'entrée temporaire délivré en vertu de la Loi sur le cabotage est le produit de la multiplication de sa jauge brute par 0,42 $ et le nombre de mois durant lequel le permis est valide. [Mes soulignés.]
La question procédurale
[25]La demanderesse soumet que le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que cette Cour a compétence exclusive pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral et le paragraphe 18(3) de la même loi prévoit que les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par la présentation d'une demande de contrôle judiciaire. Or, en l'espèce, en défense à l'action, la défenderesse demande à cette Cour de déclarer ultra vires et illégal le Barème sur lequel est fondé la réclamation de la demanderesse. Ce faisant, elle demande à cette Cour de rendre un jugement déclaratoire contre un office fédéral, en l'occurrence le ministre. La demanderesse se fonde sur la décision de cette Cour dans l'arrêt Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190 pour argumenter que la jurisprudence est à l'effet qu'un ministre ou le gouverneur en conseil exerçant un pouvoir réglementaire en vertu d'une loi fédérale constitue un office fédéral et, donc, que la seule façon appropriée pour faire déclarer un tel règlement invalide est de procéder par demande de contrôle judiciaire. Ainsi, la demanderesse soumet que le protonotaire a correctement décidé que la défenderesse aurait dû procéder par voie de contrôle judiciaire pour contester la légalité du Barème et, pour ce seul motif, l'appel devrait être rejeté.
[26]La décision de cette Cour dans l'arrêt Saskatchewan Wheat Pool ne présente pas à mon avis une solution définitive à la présente affaire car elle doit être nettement distinguée de cette dernière. Dans cet arrêt, les procédures étaient intentées par la demanderesse Saskatchewan Wheat Pool par voie de contrôle judiciaire contre le procureur général du Canada pour faire déclarer ultra vires les Règlements édictés par le gouverneur en conseil en vertu du la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C-24. Or, en l'espèce, la défenderesse n'a opposé la validité du Barème qu'en réponse à une action qui fut intentée contre elle par la demanderesse pour recouvrement de frais. Je reproduis ici les extraits pertinents de la décision du juge Rothstein (alors juge de première instance) par souci de commodité [aux pages 192 è 194]:
Les procédures ont été commencées au moyen d'un avis de requête en vue d'un contrôle judiciaire, conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée. Lorsque la date d'audition de cette affaire a été fixée, les parties ont examiné la question de savoir si ces procédures devaient être engagées au moyen d'une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l'article 18.1, ou au moyen d'une action et déclaration.
De l'avis de l'avocat de Saskatchewan Wheat Pool, il convenait peut-être d'avoir recours à une action intentée au moyen d'une déclaration. L'avocat de l'intimé ne s'est pas opposé à cette méthode, et l'on s'est entendu pour procéder au moyen d'une action plutôt qu'au moyen d'une demande de contrôle judiciaire. Un document daté du 30 août 1993, intitulé [traduction] «Convention relative à la procédure» a été produit à ce sujet.
À l'heure actuelle, on a déposé une requête en vue d'un contrôle judiciaire ainsi qu'une déclaration visant à l'introduction d'une action et une défense en réponse. Il est certain que, par suite de ces ceux procédures, la Cour est à juste titre saisie de l'affaire (et j'accorderai la prorogation de délai demandée en ce qui concerne le dépôt de la demande de contrôle judiciaire), mais pour plus de clarté, j'exprimerai brièvement mon avis au sujet de la procédure qu'il convient de suivre dans un cas comme celui-ci.
[. . .]
Lorsque le gouverneur en conseil agit conformément à une loi, il constitue un office fédéral. Voir, par exemple, Organisation nationale anti-pauvreté c. Canada (Proc. gén.), [1989] 1 C.F. 208 (1re inst.), infirmé sans qu'aucune remarque ne soit faite sur ce point, [1989] 3 C.F. 684 (C.A.F.)
[. . .]
Ces dispositions [l'article 18] sembleraient laisser entendre qu'en contestant une décision ou une ordonnance que le gouverneur en conseil a prise dans l'exercice d'un pouvoir légal, il faut procéder au moyen d'un avis introductif d'instance en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, comme on l'a initialement fait en l'espèce.
[. . .]
L'article 18 est une disposition légale expresse qui vise les brefs de prérogative et les jugements déclaratoires se rapportant aux décisions et ordonnances des offices fédéraux. Selon mon interprétation, l'article 18 prévoit clairement que les procédures contre le procureur général du Canada, visant à l'obtention d'un jugement déclaratoire relativement à une décision ou à une ordonnance prise par un office fédéral, doivent être engagées au moyen d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1. Le fait que les parties ont convenu que la Cour fédérale doit trancher une question de droit ne change rien. Si la question vise un office fédéral, le contrôle judiciaire est la procédure à suivre. Je ne vois non plus aucune distinction dans la définition de l'office fédéral ou dans l'article 18, qui exclurait le gouverneur en conseil ou tout autre office fédéral agissant à titre législatif du champ d'application de l'article 18.
On n'a donné aucune explication qui me convainc, selon laquelle le législateur entendait que les mesures d'ordre législatif des offices fédéraux soient contestées au moyen d'une action, alors que les décisions ou ordonnances d'une nature judiciaire, quasi judiciaire ou administrative soient contestées au moyen de la présentation d'une demande de contrôle judiciaire. De fait, les modifications apportèes à la Loi sur la Cour fédérale qui sont entrées en vigueur le 1er février 1992 visaient, du moins en partie, à clarifier et à simplifier les procédures devant la Cour fédérale. À l'heure actuelle, les tribunaux ont tendance à s'éloigner des distinctions techniques, et je ne crois pas qu'en approtant des mofidications à la Loi sur la Cour fédérale le 1er février 1992, le législateur ait eu l'intention de faire une distinction subtile entre la façon dont les procédures sont engagées lorsqu'il s'agit de contester des mesures d'ordre législatif par opposition à des mesures d'une nature judiciaire, quasi judiciaire ou administrative. Pareille distinction ne servirait à rien.
Je suis tout à fait convaincu que les prodécures initialement établies en vertu de l'article 18.1 ont été engagées de la façon appropriée. Toutefois, afin d'éviter des objections prodécu-rates inutiles au stade de l'appel, je laisserai telles quelles la déclaration et la convention relative à la procédure qui a été conclue entre les avocats. [Mes soulignés.]
[27]Les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale disposent:
18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour:
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;
b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.
[. . .]
(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire.
18.1 (1) [. . .]
(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut:
a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;
b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral. [Mes soulignés.]
[28]À ma lecture de ces dispositions, il m'apparaît clair que les recours intentés contre un office fédéral pour jugement déclaratoire contre toute «décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte» de cet office doivent l'être par voie de contrôle judiciaire et pas autrement. Contrairement à la conclusion du protonotaire, ces dispositions ne prévoient pas d'autres exigences statutaires auxquelles la défenderesse aurait pu «échapper» en déposant une défense à une action intentée par la demanderesse. Les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale stipulent que toute personne ayant l'intention de se pourvoir contre une «décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte» d'un office fédéral doit procéder par voie de contrôle judiciaire. Or, en l'espèce, rien n'obligeait la défenderesse à attaquer de façon préventive (une sorte de pre-emptive strike) la «décision» de la demanderesse de lui réclamer une somme d'argent pour services rendus et ce, dès l'instant où la facture du 3 mars 1998 lui a été transmise, alors même qu'aucune mesure concrète n'avait encore été prise contre elle. De surcroît, les règles 175, 178 et l'alinéa 183c) sont très claires à l'effet que, une fois une action intentée contre une personne, cette dernière peut et même se doit de soulever et plaider dans sa défense tout point de droit qui pourrait entraîner le rejet d'une cause d'action.
[29]Ce n'est qu'en réponse à une action que la demanderesse a choisi elle-même d'intenter contre la défenderesse que cette dernière cherche à faire déclarer un tel règlement invalide.
La question de fond
La défenderesse a-t-elle été désavantagée parce qu'elle exploitait un navire non canadien?
[30]Pour pouvoir invoquer que le Barème est illégal parce qu'il impose une tarification différente pour les navires canadiens par rapport aux navires non canadiens et qui favorise nettement les navires canadiens en ce qui concerne les vraquiers et porte-conteneurs, la défende-resse devait d'abord établir qu'elle a effectivement été désavantagée en raison de l'exploitation d'un vraquier ou porte-conteneur non canadien. En effet, la défenderesse prétend qu'un tarif moins élevé lui aurait été chargé si elle avait exploité un navire canadien puisque, selon elle, elle aurait été chargée sous le paragraphe 8(2) du Barème applicable aux porte-conteneurs et transporteurs de vrac canadiens et non en vertu de l'article 10. C'est pour cette raison qu'elle prétend qu'il y a discrimination. Or, il n'y a aucune preuve au dossier permettant de conclure que le navire de la défenderesse aurait été chargé en vertu du paragraphe 8(2) s'il avait été un navire canadien. Le paragraphe 8(2) est une disposition d'exception qui ne s'applique qu'aux porte-conteneurs et aux transporteurs de vrac, tels que définis au Barème, et rien dans la preuve ne démontre qu'en l'espèce le MS Bjorn se qualifiait sous l'une ou l'autre de ces définitions, la défenderesse n'ayant produit aucune preuve au dossier à cet effet.
[31]À l'audience devant cette Cour, la demanderesse fit valoir que la défenderesse n'a déposé aucune preuve au dossier devant le protonotaire démontrant que le MV Bjorn était un transporteur de vrac. Une requête a alors été déposée par la défenderesse en vertu de la Règle 60 des Règles de la Cour fédérale (1998) afin de remédier à cette lacune dans sa preuve, alors que l'appel de la décision du protonotaire était déjà pris en délibéré depuis près d'une semaine. Compte tenu de l'état de la présente affaire au stade avancé de l'appel de la décision du protonotaire, je rejetterais la requête de la défenderesse pour les motifs exposés ci-bas.
[32]Il est bien établi en jurisprudence que le juge siégeant en appel d'une décision d'un protonotaire est lié par le dossier tel que constitué devant celui-ci: James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 157 (C.F. 1re inst.), aux pages 168 et 169. Suivant la première branche du test établi par la Cour d'appel fédérale dans Frank Brunckhorst Co. c. Gainers Inc., [1993] A.C.F. no 874 (C.A.) (QL), une partie ne peut être autorisée à déposer de la preuve au stade de l'appel que si elle ne pouvait raisonnablement connaître l'existence de cette preuve en première instance ou que ces éléments de preuve n'étaient pas disponibles à ce moment-là: Symbol Yachts Ltd. c. Pearson, [1996] 2 C.F. 391 (1re inst.), aux pages 398 à 400. En l'espèce, par sa requête, la défenderesse désire mettre en preuve le permis d'entrée temporaire émis en vertu de la Loi sur le cabotage qui, selon elle, démontre que son navire était un transporteur de vrac au sens du Barème et qui indique la quantité de marchandises transportées par elle entre un point A et un point B. Or, ce permis a été délivré à la défenderesse en 1998. Il est donc évident que ce permis et les données factuelles qu'il contient étaient connus de la défenderesse à l'époque où elle pouvait déposer ses affidavits en première instance en vertu de la règle 299 qui prévoit que la preuve dans les actions simplifiées se fait par affidavits. Pour ce seul motif, la requête devrait être rejetée.
[33]De surcroît, à l'audition en première instance, le protonotaire a signalé au procureur de la défenderesse que certaines des allégations contenues à sa défense n'avaient pas été prouvées vu qu'aucun affidavit n'avait été produit par la défenderesse dans le cadre de l'action simplifiée. Suite à cette intervention du protonotaire, jamais le procureur de la défenderesse n'a manifesté son intention de déposer en preuve ledit permis ou quelqu'autre élément de preuve. La défenderesse n'a pas non plus demandé à cette Cour, avant l'audition de l'appel, la permission de déposer la nouvelle preuve et ce, malgré le fait que la demanderesse a clairement indiqué dans son dossier de réponse son argument fondé sur l'insuffisance de la preuve de la défenderesse. Ainsi, il est maintenant trop tard pour le faire et une telle requête pour déposer de la nouvelle preuve ne peut être faite à l'heure actuelle, alors que l'appel a été pris en délibéré.
[34]Devant l'absence de preuve que le MS Bjorn était un transporteur de vrac, il faut présumer que si celui-ci avait été un navire canadien, on lui aurait chargé le tarif applicable aux navires canadiens ordinaires, lequel est prévu au paragraphe 8(1) du Barème. Or, le tarif chargé aux navires canadiens ordinaires (c'est-à-dire qui ne sont ni des porte-conteneurs ni des transporteurs de vrac) en vertu de cette disposition est le même que celui chargé au navire non canadien exploité en vertu d'un permis de cabotage et visé par l'article 10, bien que calculé d'une manière différente. Ainsi, il appert qu'il n'y a aucune preuve au dossier permettant de conclure que la défenderesse aurait été assujettie à un tarif moins élevé si elle avait exploité un navire canadien. La défenderesse n'ayant aucunement démontré qu'elle a été désavantagée parce qu'elle a exploité un navire non canadien, elle ne peut donc fonder son attaque de la légalité du Barème sur cette prémisse.
Le Barème est-il valide même s'il prévoit une tarification par catégories de navire fondée sur la nationalité?
[35]Même en prenant pour acquis que la défenderesse a souffert d'une différence de traitement en raison du fait qu'elle exploitait un navire non canadien, je suis d'avis que le ministre avait le pouvoir d'édicter un barème prévoyant une tarification par catégories de navire fondée sur la nationalité.
[36]La demanderesse a reconnu que le Barème distingue entre navires canadiens et navires étrangers dans l'imposition des droits payables par les utilisateurs des services à la navigation maritime. Il s'agit donc seulement de déterminer si la Loi autorise un tel traitement discriminatoire.
[37]Pour établir la validité de l'article 10 du Barème, il faut interpréter la Loi et déterminer si celle-ci permet au gouverneur en conseil de fixer les droits payables par les utilisateurs des services à la navigation maritime en distinguant entre navires canadiens et navires étrangers. Il est acquis, à partir de documents mis en preuve (affidavit de Tim Meisner), que l'objectif poursuivi par le législateur en adoptant l'article 47 et suivant de la Loi est le recouvrement des bénéficiaires des services de navigation maritime rendus par le gouvernement fédéral et les organismes sous son contrôle d'une partie des coûts nécessaires à la fourniture de ces services. L'objectif recherché par le gouverneur en conseil en adoptant les dispositions du Barème, quant à lui, n'est pas contesté en l'espèce. Il s'agit plutôt ici de déterminer si celui-ci est conforme à celui envisagé par le Parlement dans la loi habilitante2.
[38]L'article 47 de la Loi octroie au ministre un large pouvoir discrétionnaire de fixer des prix pour les différents services fournis par les ministères ou organismes fédéraux sous sa juridiction, dont les services à la navigation maritime fournis par la GCC. Outre les limites de common law telle la mauvaise foi ou l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans un but impropre qui ne s'appliquent pas en l'espèce, les seules limites au pouvoir du ministre sont les suivantes. D'une part, les droits doivent viser, aux termes du paragraphe 47(1) de la Loi, un service relevant de la responsabilité du ministre. En l'espèce, cette condition est respectée vu l'article 41 [mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 170] de la Loi. D'autre part, en vertu du paragraphe 47(2) de la Loi, les droits recouvrés ne doivent pas excéder le coût des services rendus. Enfin, en vertu de l'article 50 de la Loi, le Ministère a l'obligation de consulter les personnes qu'il juge intéressés avant de fixer des prix. Ces deux conditions sont également respectées tel qu'il appert de la preuve.
[39]La disposition habilitante n'impose pas d'autres limites au pouvoir du ministre et, à mon avis, elle permet la création de catégories d'usagers fondée sur la nationalité des navires. En effet, le ministre étant habilité à fixer «les prix pour la fourniture de services», il peut fixer divers prix, selon différents critères, pour différentes catégories de navires visées par le Barème, et il peut même s'abstenir de fixer des prix pour certaines catégories de navires. Le ministre n'est pas limité à fixer un seul prix applicable à toutes catégories de navires pour le même service3. La version anglaise du texte de l'article 47 confirme d'ailleurs cette interprétation. En effet, les mots «may fix the fees to be paid for a service» [soulignement ajouté] démontrent que plusieurs prix peuvent être établis pour le même service sans aucune restriction.
[40]Le procureur de la défenderesse m'invite à décider que l'article 47 n'autorise pas le ministre à fixer les droits payables par les utilisateurs des services à la navigation maritime en distinguant entre catégories de navires puisque le libellé de cet article est différent de celui de l'article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Ce dernier habilitait expressément le ministre «à fixer par règlement [. . .] le prix à payer, individuellement ou par catégorie, par les bénéficiaires des services ou les usagers des installations», ce qui n'est pas le cas de la nouvelle disposition.
[41]Il est évident, à la lecture de l'article 47 de la Loi, que cette dernière n'autorise pas expressément le gouverneur en conseil à édicter des règlements imposant une tarification par catégories de navire fondée sur la nationalité. Cependant, l'administration de la Loi exige implicitement que le Barème puisse distinguer entre certaines catégories de navire pour des raisons valables. L'objectif du législateur et la réalité entourant la navigation maritime commerciale permet, je pense, de conférer un statut spécial, par exemple, aux vraquiers et porte-conteneurs et permettrait aussi, à mon avis, de considérer dans une classe à part les navires non canadiens pour fins d'imposition de frais (affidavit de Tim Meisner, aux paragraphes 7, 21, 41 à 45). Les propos de la Cour fédérale--Section de première instance dans l'affaire Assoc. des armateurs canadiens, précitée, aux paragraphes 3, 10 à 13, 16 sont d'une grande pertinente sur ce point:
Pour les navires canadiens, les droits sont payables annuellement. Les navires non-canadiens payent les droits périodiquement lorsqu'ils entrent ou naviguent dans les eaux canadiennes dans la région de l'Ouest, et lorsqu'ils chargent ou déchargent de la cargaison dans d'autres régions. Le mode d'imposition des droits varie selon le pavillon du navire, le type de navires ou la condition dans laquelle le navire est entré au Canada. Il varie aussi selon qu'il s'agit de la région de l'Ouest, de la région du Centre et de l'Atlantique.
[. . .]
Le Règlement sur le prix des services à la navigation maritime prescrit des droits pour une catégorie d'usagers, à savoir les navires marchands. Le fait que le Règlement prévoit différentes structures de droits et divers modes d'imposition de ces droits au sein de l'industrie de la navigation commerciale ne crée pas de nouvelles catégories d'usagers, ni ne constitue de la discrimination comme l'ont allégué les requérantes. La structure des droits pour la Côte de l'Ouest, après une consultation étendue avec l'industrie de la navigation, repose sur la jauge brute au registre des navires, qui est applicable tant aux navires nationaux qu'aux navires étrangers. Les droits pour les navires d'immatriculation canadienne sont structurés annuellement, parce que la Garde côtière canadienne n'a pas accès à l'activité intérieure sur la base voyage par voyage. Les données sur les activités intérieures sont disponibles annuellement aux fins d'établir et de structurer des droits.
Dans les régions de l'Atlantique et du Centre, les droits pour les navires étrangers reposent sur le tonnage de la cargaison, reflétant la réaction de la part de l'industrie maritime qui indiquait une préférence pour les droits fondés sur la cargaison. Les droits pour les navires d'immatriculation canadienne sont structurés annuellement parce que la Garde côtière n'a pas accès aux activités intérieures telles que les mouvements et les cargaisons chargées/déchargées sur la base voyage par voyage. Les données sur les activités intérieures sont disponibles annuellement aux fins d'établir et de structurer des droits. Les droits pour les autres navires étrangers non-cargo est un tarif par jauge brute au registre du navire puisqu'ils ne chargent ni ne déchargent de cargaison. Les droits pour les paquebots de croisière étrangers sont des prix fixes par visite à un port canadien parce qu'ils ne chargent ni ne déchargent de cargaison et, de même, cela reflète la préférence de l'industrie de la croisière. Les navires marchands caboteurs sont des navires étrangers (cargo et non-cargo) qui doivent obtenir une licence pour opérer dans l'industrie intérieur. Les droits reposent sur la durée de la licence.
De plus, le pouvoir du gouverneur en conseil d'inclure certains types de navires dans le versement des droits ou de les en exclure se trouve tacitement contenu dans le pouvoir discrétionnaire de créer des catégories d'usagers prévu par la loi [. . .]
En conséquence, je suis convaincu que la preuve n'étaye pas l'allégation de discrimination concernant la structure des droits et le mode d'imposition figurant dans le Règlement. Dans tous les cas, il est clair que le règlement a été pris pour des raisons valables et de bonne foi.
[. . .]
En résumé, l'article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques autorise explicitement l'imposition des droits ou des frais pour les services fournis par Sa Majesté aux usagers ou aux catégories d'usagers. La catégorie d'usagers que vise le Règlement sur les prix des services à la navigation maritime est l'industrie de la navigation commerciale opérant dans les eaux canadiennes. Le motif de la structure différente des droits prescrite par le Règlement repose sur la réalité derrière l'exploitation des navires au Canada par l'industrie de la navigation commerciale, et cette structure a été conçue après une consultation étendue entre la Garde côtière canadienne et l'industrie.
[42]Je ne partage donc pas l'avis du procureur de la défenderesse à l'effet que seul un texte législatif exprès permet l'établissement, par règlement, de catégories ou de sous-catégories de navires fondée sur la nationalité pour fins de tarification.
[43]D'ailleurs, le principe selon lequel une habilitation générale à fixer des prix ou des droits pour services rendus par des ministères ou organismes fédéraux permet à l'administration fédérale de fixer des prix par catégories d'usagers est bien établi en jurisprudence.
[44]Dans l'affaire Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada, [1987] 3 C.F. 383 de cette Cour et portée devant la Cour d'appel en 1990 ((1990), 68 D.L.R. (4th) 220), plusieurs compagnies aériennes contestaient le Règlement sur les taxes des services aéronautiques [C.R.C., ch. 5] qui prévoyaient des droits d'atterrissage plus élevées pour certaines catégories de vols. Les vols transocéaniques faisaient l'objet de droits plus élevés que les vols internationaux qui, à leur tour, faisaient l'objet de droits plus élevés que les vols domestiques. Ces taxes étaient établies en fonction du poids des aéronefs et la preuve avait démontré que le coût de construction et d'entretien des pistes et d'accueil des passagers était plus élevé dans le cas des vols transocéaniques. Les compagnies demanderesses qui fournissaient des vols transocéaniques contestaient ledit Règlement au motif, notamment, qu'il était discriminatoire à leur égard. Le Règlement était édicté en vertu de l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, ch. A-3, disposition similaire à l'article 47 de la Loi et qui prévoyait que:
5. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements, ou, en conformité des modalités qu'il peut spécifier, autoriser le Ministre à établir des règlements prescrivant la taxe relative à l'utilisation
a) d'une installation ou d'un service fournis par le Ministre ou en son nom, pour un aéronef ou relativement à un aéronef; et
b) d'une installation ou d'un service qui ne sont pas visés par l'alinéa a) et qui sont fournis à un aéroport, par le Ministre ou en son nom.
[45]Relativement à la portée de cette disposition, le juge Muldoon écrivait ceci aux pages 391 et 392 de la décision en première instance:
Le pouvoir discrétionnaire conféré au gouverneur en conseil et, subsidiairement, au ministre des Transports, est général, étendu et pratiquement absolu. Ce pouvoir discrétion-naire de prescrire une taxe pour l'utilisation de toute installation ou de tout service par le ministre ou en son nom, à tout aéroport et relativement à tout aéronef, comporte celui de taxer ou non l'utilisation de toute installation ou de tout service, ou encore de taxer certains services et non d'autres.
[46]Quant à l'aspect discrimination proprement dit, le juge se dit d'avis que la jurisprudence portant sur la discrimination applicable en droit municipal n'était pas applicable aux règlements adoptés par le gouverneur en conseil ou un ministre de la Couronne et conclut que ni la discrimination ni le caractère déraisonnable des règlements pris par l'exécutif ne constituaient des motifs pour les annuler (pages 399 à 403 de la décision). Selon lui, le pouvoir d'établir des règlements prescrivant une taxe pour l'utilisation d'installations et de services sans autres entraves comporte le pouvoir de créer des catégories d'usagers. Je ne puis souscrire à l'argument du procureur de la défenderesse à l'effet que le ratio de cette affaire ne peut trouver application en l'espèce puisque la Loi sur l'aéronautique prévoyait un pouvoir de taxation et non un pouvoir de recouvrement de frais pour services rendus. À mon avis, le mode d'imposition (taxes/frais) n'a aucun impact sur la question de la validité du Barème en l'espèce.
[47]Dans l'arrêt Procureur général du Canada v. La Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60 sur lequel se fondait le juge Muldoon dans Aerlinte, la Cour Suprême du Canada en était venu à une conclusion similaire relativement à un règlement portant sur les droits de licence à payer en matière de radio-diffusion. Dans cette affaire, l'article 3 de la Loi sur la radio, S.R.C. 1952, ch. 233 stipulait que:
3. (1) Le gouverneur en conseil peut
a) prescrire le tarif des droits à payer pour les licences et pour l'examen relatif aux certificats de capacité détenus et émis en vertu de la présente loi. |
[48]En vertu de cette disposition, le gouverneur en conseil édicta un règlement qui fixait des droits de licence plus élevés pour les compagnies qui avaient des revenus bruts de plus de 200,000 $. La Presse, qui entrait dans cette catégorie, contesta le règlement au motif qu'il était discriminatoire à son égard. Le juge Abbott, pour la majorité, rejeta l'argument en ces termes à la page 75 de la décision:
[traduction] Quant au caractère prétendu discriminatoire du règlement, je ne suis pas convaincu qu'il soit en fait discriminatoire. De toute façon, l'art. 3 de la Loi ne restreint nullement les pouvoirs du gouverneur en conseil de prescrire des droits de licence. Le fait que ces droits puissent être discriminatoires n'est pas, à mon avis, un moyen suffisant pour contester la validité du décret.
[49]Ainsi, l'on remarque que le caractère discriminatoire d'un règlement édicté par l'exécutif, et qui fixe des droits d'usage pour services rendus, en vertu d'une habilitation législative générale a peu ou pas d'effet sur sa validité. La Cour d'appel fédérale dans l'affaire Aerlinte a d'ailleurs confirmé à l'unanimité, à la page 228 de sa décision, les propos du juge Muldoon sous la plume du juge Heald en ces termes:
Compte tenu de cette situation factuelle, la prétention formulée au sujet de la discrimination est mal fondée. Toutefoirs, ceci étant dit, je dois ajouter que même si les faits établis par le dossier permettaient de conclure à la discrimination, le résultat serait le même. Je suis d'accord avec le juge de première instance pour dire que «ni la discrimination ni même le caractère déraisonnable des règlements pris par l'exécutif lui-même ne constituent des motifs de les annuler.» [. . .] Je suis également d'accord avec lui pour dire que:
Le pouvoir d'établir des règlements prescrivant une taxe pour l'utilisation d'installations et de services sans entraves comporte le pouvoir de créer des catégories d'usagers. |
[50]Suivant cette jurisprudence, je suis d'avis que le ministre avait le pouvoir, en vertu de l'article 47 de la Loi, de prévoir une manière différente de tarification pour services à la navigation maritime rendus, à l'égard des navires canadiens et les navires non canadiens. Le Barème contesté en l'espèce est donc intra vires des pouvoirs du ministre, celui-ci ayant le pouvoir de créer des catégories d'usagers fondées sur la nationalité des navires aux fins de la tarification de ses services.
[51]Si l'on acceptait la position de la défenderesse, le ministre serait placé dans une situation où non seulement il devrait charger tous les navires profitant de ses services, mais il devrait aussi les charger selon un seul et même tarif. Il n'y aurait donc qu'un seul prix s'appliquant à tous les navires, peu importe leur catégorie, leurs activités et la région où s'exercent celles-ci. À mon avis, une telle position va non seulement à l'encontre du texte de l'article 47 de la Loi dont le libellé est assez large pour permettre la création de catégories fondées sur la nationalité des navires aux fins de fixer les droits, mais aussi à l'encontre de l'intention du législateur. En effet, celui-ci n'aurait pas octroyé de pouvoirs de fixer des prix si son intention était de fixer un seul prix pour tous puisqu'il n'aurait eu qu'à indiquer ce prix dans la Loi directement. Ainsi, pour pouvoir donner un sens au pouvoir conféré au ministre en vertu de l'article 47 de la Loi, celui-ci doit être interprété comme l'autorisant à créer différentes catégories d'usagers, y compris une catégorisation fondée sur la nationalité des navires (canadiens et non canadiens), aux fins de la fixation des prix pour services rendus.
[52]Je voudrais, en terminant, commenter brièvement la décision de la Cour d'appel dans l'arrêt Canada c. St. Lawrence Cruise Lines Inc., [1997] 3 C.F. 899. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale déclara invalide et ultra vires les dispositions d'un règlement qui imposaient des droits particuliers, calculés en fonction du nombre de passagers, relativement aux seuls navires de croisière utilisés «pour un voyage au cours duquel les passagers sont à bord pour au moins une nuit» pour le motif qu'elles étaient discriminatoires. Le législateur avait pris soin, de manière exceptionnelle, d'ajouter au texte de la Loi sur les ports et installations portuaires publics, L.R.C. (1985), ch. P-29 une exigence de «garantir l'égalité de traitement», ce qui démontrait, selon la Cour d'appel [au paragraphe 16], «qu'il a voulu conférer aux usagers des ports canadiens des droits plus amples que ceux qui découlent de l'exigence implicite de non-discrimination que les tribunaux importent généralement dans les textes de loi». Or, aucune disposition semblable ou analogue n'est contenue dans la Loi sur les océans, ni dans la Loi sur l'aéronautique. Cet arrêt doit donc être nettement distinguée de l'affaire en l'espèce et ne peut être d'aucun secours à la défenderesse.
[53]Puisque je suis arrivé au terme du délibéré, pour les motifs exposés ci-dessus, à la conclusion que le Barème n'était pas discriminatoire en vertu du droit administratif en distinguant entre navires canadiens et navires étrangers pour fins de tarification des services à la navigation maritime, je n'ai pas à décider si les principes applicables en matière de discrimination au sens du droit municipal le sont aussi vis-à-vis les règlements émanant de l'exécutif.
Dispositif
[54]Pour ces motifs, j'accueille l'appel en ce qui a trait à la décision du protonotaire quant à la possibilité de contester la légalité d'un règlement fédéral autrement que par une demande de contrôle judiciaire et le rejette en ce qui concerne la décision sur le fond. La défenderesse est donc tenue au paiement de la somme de 7 052,36 $ avec intérêts au taux prescrit au Règlement sur les intérêts et les frais administratifs, et ce à compter du 2 avril 1998. Les dépens sont adjugés à la demanderesse.
1 La Cour fédérale a compétence pour entendre cette action de la Couronne contre un particulier, en vertu de la compétence générale que lui confère l'art. 22 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 69; 1996, ch. 31, art. 82; 2002, ch. 8, art. 31] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 en matière de droit maritime canadien; l'art. 22(2)s), notamment, donne compétence à la Cour fédérale eu égard à «une demande de remboursement des droits de bassin, de port ou de canaux, notamment des droits perçus pour l'utilisation des installations fournies à cet égard».
2 J. M. Keyes, Executive Legislation: Delegated Law Making by the Executive Branch. Butterworths: Toronto, 1992, aux p. 225 à 227.
3 À ce sujet, il convient de citer l'arrêt Forget c. Québec (Procureur Général), [1988] 2 R.C.S. 90 où le juge Lamer écrivit à la p. 106 du jugement majoritaire de la Cour Suprême du Canada que: «Cette disposition n'oblige pas l'Office à n'adopter qu'un seul moyen pour mesurer le niveau de connaissance du français. Au contraire, l'emploi du terme "peuvent" indique bien que le législateur a entendu conférer à l'Office une discrétion quant aux modalités de preuve qu'il doit établir par règlements. En vertu de l'art. 35 de la loi, l'Office a le pouvoir d'édicter tout mode de preuve qu'il juge nécessaire pour apprécier la connaissance appropriée du français des postulants, notamment la tenue d'examens et la délivrance d'attestations. En donnant à l'Office le droit d'établir, par règlements, diverses façons permettant d'évaluer la connaissance du français, la loi confère implicitement à l'Office le pouvoir de distinguer entre classes de postulants. Si le législateur avait voulu que la connaissance de la langue française s'apprécie par un seul mode de preuve applicable à tous les aspirants professionnels, il aurait clairement exprimé cette intention».