IMM-1338-00
2003 CFPI 379
Rogelio Cuevas Fuentes (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)
Répertorié: Fuentes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)
Section de première instance, juge Lemieux--Toronto, 18 juin 2002; Ottawa, 31 mars 2003.
Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes non admissibles -- L'arbitre avait conclu que le demandeur était non admissible en application de l'art. 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration parce qu'il était membre d'une organisation se livrant à des activités terroristes -- Définition du mot «terrorisme» donnée par la C.S.C. dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) -- Exigences de preuve -- Les conclusions de fait de l'arbitre n'étaient aucunement fondées sur la preuve et attestaient une incompréhension de la preuve -- Les deux erreurs étaient visées par l'art. 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.
Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- L'arbitre avait estimé que le demandeur était membre d'une organisation qui se livrait à des activités terroristes, selon l'art. 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration -- Il n'existait aucune définition du mot «terrorisme» qui fait autorité dans la Loi, mais la C.S.C. a donné une telle définition dans l'arrêt Suresh -- Insuffisance de la preuve tendant à montrer que l'organisation se livrait au terrorisme -- Absence, dans le dossier, d'une preuve crédible donnant à penser que des actes de terrorisme résultaient d'enlèvements -- L'arbitre n'a pas indiqué pourquoi elle avait préféré la preuve documentaire au témoignage du demandeur.
Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'une arbitre qui avait conclu que le demandeur était une personne non admissible à la résidence permanente au Canada, en application de la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration. Le demandeur est un ressortissant mexicain qui est arrivé au Canada en mars 1999 et qui a revendiqué le statut de réfugié en alléguant avoir été victime de torture aux mains de l'armée mexicaine. Il a avoué avoir été, pendant environ un an, un combattant, puis un sergent en second, dans l'Ejercito Popular Revolucionario (EPR), communément appelée l'Armée révolutionnaire du peuple. La preuve de ce que l'EPR faisait au cours de ses opérations venait de deux sources: le demandeur, et la preuve documentaire diffusée dans le public. La Loi sur l'immigration ne renferme aucune définition de «terrorisme», mais la Cour suprême du Canada a innové en offrant une telle définition, lorsqu'elle a rendu son arrêt dans l'affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), le 11 janvier 2002. Peu avant cet arrêt, le Parlement adoptait la Loi antiterroriste, en réaction aux événements tragiques du 11 septembre 2001. La définition de «activité terroriste» apparaît dans l'article 83.01 du Code criminel, une disposition promulguée par l'article 4 de la Loi antiterroriste. Le seul point que devait décider l'arbitre était de savoir si l'EPR était une organisation «dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme». L'arbitre a retenu qu'une partie de la preuve documentaire était lacunaire à maints égards, mais elle a néanmoins conclu, au vu de l'ensemble de la preuve, que l'EPR était un groupe insurrectionnel armé illégal, du genre guérilla, qui tentait d'atteindre certains buts politiques et sociaux et qui pour cela s'était livré à des attaques armées éclairs et à des attaques surprises contre diverses cibles, et que ces attaques pouvaient être considérées comme des activités terroristes. Elle a aussi conclu, sur la foi de cette même preuve «lacunaire», et du témoignage du demandeur, que des enlèvements avaient été perpétrés pour financer l'organisation.
Jugement: la demande est accueillie.
Dans l'arrêt Suresh, la Cour suprême du Canada a reconnu qu'il n'existait pas une définition du «terrorisme», qui fait autorité que la Loi sur l'immigration ne définissait pas ce terme et qu'aucune définition précise n'était reconnue au niveau international. Elle a souligné que l'absence d'une définition faisant autorité signifiait que, «du moins dans les cas limites», le terme se prête «aux manipulations à des fins politiques, aux conjectures et aux interprétations polémiques». L'avocat du ministre a avancé l'argument selon lequel le mot «terrorisme» doit recevoir une interprétation libérale. Cet argument ne pouvait être accepté parce qu'il ignorait le fait que la Cour suprême du Canada avait donné une définition de «terrorisme» qui, à son avis, «traduit bien ce que l'on entend essentiellement par terrorisme», faisant observer cependant que «des situations particulières, à la limite de l'activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords». La définition de terrorisme adoptée par la Cour suprême du Canada se concentre sur la protection des civils--un élément central du droit humanitaire international qui trouve sa source dans les quatre Conventions de Genève adoptées le 12 juin 1949, et dans leurs deux protocoles additionnels, instruments qui ont tous été incorporés dans le droit canadien. En choisissant sa définition du «terrorisme», la Cour suprême donnait de l'espace, en les harmonisant, à chacune des notions clés que l'on trouve dans l'article 19 de la Loi: subversion, terrorisme, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de droit commun. Chacune de ces notions est distincte et joue un rôle propre en droit.
Il y a deux raisons principales pour lesquelles la décision de l'arbitre devait être annulée: 1) elle s'était écartée de la définition de «terrorisme» retenue par la Cour suprême du Canada, et 2) l'insuffisance de la preuve au soutien de la conclusion selon laquelle l'EPR se livrait à des actes de terrorisme, compte tenu que la norme de preuve est celle qui, sans être la probabilité la plus forte, suggère néanmoins la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi. Bien que la preuve de ce à quoi se livrait l'EPR fût restreinte et lacunaire dans son contenu et ses détails, et bien que la documentation fût lacunaire et limitée, l'arbitre a conclu que l'EPR se livrait à des activités terroristes, au lieu de dire que le ministre n'avait pas apporté la preuve requise. La Cour d'appel fédérale a souligné l'importance d'articuler les conclusions de fait, sur les crimes contre l'humanité que le demandeur était présumé avoir commis. Cette nécessité d'une désignation précise des actes de terrorisme est illustrée dans plusieurs jugements de cette Cour. Certaines conclusions de fait tirées par l'arbitre devaient être annulées parce qu'elles n'étaient pas fondées sur la preuve ou parce qu'elles attestaient une incompréhension de la preuve, deux erreurs qui entrent dans le champ de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. La preuve se rapportant à la prise d'otages était dépourvue de détails et de circonstances de telle sorte qu'il n'existait dans le dossier aucune preuve crédible pouvant nourrir, dans l'esprit de l'arbitre, une raison sérieuse de croire qu'un acte de terrorisme avait résulté des enlèvements. On ne savait pas si cette prise d'otages était réelle ou imaginaire, qui avait été enlevé (un militaire ou un civil), combien d'enlèvements avaient eu lieu et si ces enlèvements avaient été condamnés par l'EPR. Pour cette raison, la conclusion de l'arbitre ne pouvait subsister. Il est bien établi en droit que l'arbitre peut préférer une preuve documentaire au témoignage d'un revendicateur, mais il doit expliquer, en des termes clairs et indubitables, pourquoi la preuve documentaire devrait être préférée au témoignage du demandeur. C'est ce que l'arbitre n'avait pas fait ici.
lois et règlements
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 83.01 (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4).
Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, qui est l'annexe III de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, Article 4. |
Convention internationale contre la prise d'otages, adoptée par l'Assemblée générale le 17 décembre 1979, art. 1. |
Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, Rés. AG 52/164, 15 décembre 1997, arts. 1, 2. |
Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, Rés. AG 54/109, 9 décembre 1999, art. 2. |
Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, art. 4. |
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5). |
Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, ann. I, II, III, IV, V (mod. par L.C. 1990, ch. 14, art. 6), VI (mod., idem). |
Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, art. 4. |
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 9(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4), 19(1)c.2) (mod. par L.C. 1996, ch. 19, art. 83), e) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), (i) (mod., idem), (ii) (mod., idem), (iii) (mod., idem), (iv) (mod., idem), (A) (mod., idem), (B) (mod., idem), (C) (mod., idem), f)(iii)(A) (mod., idem, art. 11), (B) (mod., idem), g), j) (mod. par L.C. 2000, ch. 24, art. 55), 20 (mod., idem, art. 12), 32.1(3) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 12; L.C. 1992, ch. 49, art. 23), 46.01(1)e) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 12; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9), 53(1)b) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43). |
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), qui est l'annexe V de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3 (mod. par L.C. 1990, ch. 14, art. 6), Article 50. |
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), qui est l'annexe VI de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3 (mod. par L.C. 1990, ch. 14, art. 6), Articles 4, 13. |
Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Doc. NU A/CONF. 183/9 (1998). |
jurisprudence
décision suivie:
Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 2 C.F. 592; (2000), 183 D.L.R. (4th) 629; 18 Admin. L.R. (3d) 159; 5 Imm. L.R. (3d) 1; 252 N.R. 1 (C.A.); infirmé [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 159; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1.
décisions appliquées:
Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297; (2000), 195 D.L.R. (4th) 422; 265 N.R. 121 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433; (1993), 163 N.R. 197 (C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298; (1993), 107 D.L.R. (4th) 424; 21 Imm. L.R. (2d) 221; 159 N.R. 210 (C.A.).
décisions citées:
Suresh, Re (1997), 140 F.T.R. 88; 40 Imm. L.R. (2d) 247 (C.F. 1re inst.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 50 Imm. L.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.); Baroud (Re) (1995), 98 F.T.R. 99 (C.F. 1re inst.); McAllister c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] 2 C.F. 190; (1996), 108 F.T.R. 1 (1re inst.); Ikhlef (Re) (2002), 223 F.T.R. 233 (C.F. 1re inst.); Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 157 N.R. 387 (C.A.F.).
doctrine
Chambers 20th Century Dictionary, edited by E. M. Kirkpatrick. Cambridge: Cambridge University Press, 1983.
Concise Oxford Dictionary of Current English, 8th ed. Oxford: Clarendon Press, 1990.
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d'une arbitre qui avait conclu que le demandeur n'était pas admissible à la résidence permanente au Canada, en application de la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration, parce qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'il était membre d'une organisation qui se livrait au terrorisme. Demande accueillie.
ont comparu:
Jack Martin pour le demandeur.
Amina Riaz et David W. Tyndale pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Jack Martin, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
Le juge Lemieux:
A. INTRODUCTION ET RAPPEL DES FAITS
[1]Rogelio Cuevas Fuentes (le demandeur), de nationalité mexicaine, est arrivé au Canada en mars 1999 et a immédiatement revendiqué le statut de réfugié en alléguant avoir été victime de torture aux mains de l'armée mexicaine. Il voudrait que soit annulée la décision de l'arbitre Angela Martens (l'arbitre), datée du 29 février 2000, pour qui il était assujetti à la division 19(1)f )(iii)(B) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11] de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] (la Loi), ainsi formulée:
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:
[. . .]
f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles:
[. . .]
(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée:
(A) soit à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s'entend au Canada,
(B) soit à des actes de terrorisme ,
le présent alinéa ne visant toutefois pa s les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national; [Non souligné dans l'original.]
[2]Lorsqu'elle a rendu sa décision, l'arbitre avait l'avantage de pouvoir s'en rapporter à l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 2 C.F. 592, qui à l'époque faisait l'objet d'une demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada [[2002 ] 1 R.C.S. 3]. La Loi ne renferme aucune définition de «terrorisme», et la Cour d'appel fédérale n'en a donné aucune, adoptant plutôt la méthode consistant à reconnaître les actes de terrorisme. La Cour suprême du Canada a innové en offrant une telle défin ition.
[3]En raison de la décision de l'arbitre, le demandeur n'était pas admissible, en tant qu'immigrant au Canada, à la résidence permanente, à moins qu'il ne convainque le ministre que son admission ne serait pas préjudiciable à l'intérêt national. Le deuxième effet de la décision de l'arbitre était de bloquer, en application de l'alinéa 46.01(1)e ) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9] de la Loi, sa revendication du statut de réfugié si le ministre estimait qu'il serait contraire à l'intérêt public que sa revendication soit considérée selon la Loi. Il ne semble pas que des procédures aient été engagées en vue d'obtenir l'une ou l'autre des décisions ministérielles.
[4]La décision de l'arbitre avait été prise dans le contexte d'un rapport prévu à l'article 20 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 12] de la Loi sur l'immigration, rapport qui à l'origine parlait de l'appartenance à une organisat ion se livrant à des activités au sens de la division 19(1)f )(iii)(A) [mod., idem, art. 11], voie qui fut abandonnée, puisque la non-admissibilité du demandeur lui fut plutôt notifiée selon la division 19(1)f )(iii)(B), sans modification du rapport.
[5]Après sa décision, fondée sur l'aveu du demandeur selon lequel il était arrivé au Canada pour y résider, et puisqu'il n'avait pas un visa d'immigrant ainsi que le requiert le paragraphe 9(1) [mod., idem , art. 4] de la Loi, l'arbitre Martens a prononcé une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle en application du paragraphe 32.1(3) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 12; L.C. 1992, ch. 49, art. 23] de la Loi. Puis elle a exploré les aspects entourant la n on-admissibilité du demandeur selon la division 19(1)f )(iii)(B) et, ayant jugé qu'il n'était pas admissible, elle a prononcé contre lui une deuxième mesure d'expulsion conditionnelle.
[6]La Cour suprême du Canada a rendu le 11 janvier 2002 s on arrêt dans l'affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), précité, en donnant la définition suivante non limitative de «terrorisme», extraite de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme des Nations Unies [Rés. AG 54/109, 9 décembre 1999] (la Convention) [au paragraphe 98]:
[. . .] que le terme «terrorisme» employé à l'art. 19 de la Loi inclut tout «acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque». [Non souligné dans l'original.]
[7]Également, trois semaines avant que soit rendu l'arrêt Suresh , le Parlement édictait la Loi antiterroriste , L.C. 2001, ch. 41, après avoir l'année précédente édicté la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24.
[8]La Loi antiterroriste, édictée à la suite des événements tragiques du 11 septembre 2001, renferme une définition de l'expression «activité terroriste», à l'a rticle 4 qui édicte l'article 83.01 du Code criminel , L.R.C. (1985), ch. C-46, ainsi rédigé:
83.01 (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.
[. . .]
«activité terroriste»
a) Soit un acte--action ou omission, commise au Canada ou à l'étranger--qui, au Canada, constitue une des infractions suivantes:
(i) les infractions visées au paragraphe 7(2) et mettant en oeuvre la Convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs, signée à la Haye le 16 décembre 1970,
(ii) les infractions visées au paragraphe 7(2) et mettant en oeuvre la Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile, signée à Montréal le 23 septembre 1971,
(iii) les infractions visées au paragraphe 7(3) et mettant en oeuvre la Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1973,
(iv) les infractions visées au paragraphe 7(3.1) et mettant en oeuvre la Convention internationale contre la prise d'otages, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979,
(v) les infractions visées aux paragraphes 7(3.4) ou (3.6) et mettant en oeuvre la Convention sur la protection physique des matières nucléaires, conclue à New York et Vienne le 3 mars 1980,
(vi) les infractions visées au paragraphe 7(2) et mettant en oeuvre le Protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l'aviation civile internationale, complémentaire à la Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile, signé à Montréal le 24 février 1988,
(vii) les infractions visées au paragraphe 7(2.1) et mettant en oeuvre la Convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime, conclue à Rome le 10 mars 1988,
(viii) les infractions visées aux paragraphes 7(2.1) ou (2.2.) et mettant en oeuvre le Protocole pour la répression d'actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, conclu à Rome le 10 mars 1988,
(ix) les infractions visées au paragraphe 7(3.72) et mettant en oeuvre la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1997,
(x) les infractions visées au paragraphe 7(3.73) et mettant en oeuvre la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1999;
b) soit un acte--action ou omission, commise au Canada ou à l'étranger:
(i) d'une part, commis à la fois:
(A) au nom--exclusivement ou non--d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique, à
(B) en vue--exclusivement ou non--d'intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de cont raindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s'en abstenir, que la personne, la population, le gouvernement ou l'organisation soit ou non au Canada,
(iii) d'autre part, qui intentionnellement selon le cas,:
(A) cause des blessures graves à une personne ou la mort de celle-ci, par l'usage de la violence,
(B) met en danger la vie d'une personne,
(C) compromet gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population,
(D) cause des dommages matériels considérables, que les biens visés soient publics ou privés, dans des circonstances telles qu'il est probable que l'une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C) en résultera,
(E) perturbe gravement ou paralyse des services, installations ou systèmes essentiels, publics ou privés, sauf dans le cadre de revendications, de protestations ou de manifestations d'un désaccord ou d'un arrêt de travail qui n'ont pas pour but de provoquer l'une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C).
Sont visés par la présente définition, relativement à un tel acte, le complot, la tentative, la menace, la complicité après le fait et l'encouragement à la perpétration; il est entendu que sont exclus de la présente définition l'acte--action ou omission--commis au cours d'un conflit armé et conforme, au moment et au lieu de la perpétration, au droit international coutumier ou au droit international conventionnel applicable au conflit ainsi que les activités menées par les forces ar mées d'un État dans l'exercice de leurs fonctions officielles, dans la mesure où ces activités sont régies par d'autres règles de droit international.
[9]L'expression «groupe terroriste» est définie ainsi dans le paragraphe:
83.01 (1) [. . .]
«groupe terroriste»
a) Soit une entité dont l'un des objets ou l'une des activités est de se livrer à des activités terroristes ou de les faciliter;
b) soit une entité inscrite.
Est assimilé à un groupe terroriste un groupe ou une association formé de groupes terroristes au sens de la présente définition.
[10]La Loi antiterroriste fait de la participation à un group terroriste ou à des activités terroristes un acte criminel.
[11]La Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre donne effet aux obligations assumées par le Canada en vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale [Doc. NU A/CONF. 183/9 (1998)]. Elle renferme la définition suivante de «crime contre l'humanité» et de «crime de guerre [a rticle 4]»:
4. [. . .]
(3) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.
«crime contre l'humanité» Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait--acte ou omission--inhumain, d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d'autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l'humanité selon le droit international coutumier ou le droi t international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations, qu'il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.
[. . .]
«crime de guerre» Fait--acte ou omission--commis au cours d'un conflit armé et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un crime de guerre selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel applicables à ces conflits, qu'il co nstitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.
[12]Il convient de noter qu'un crime contre l'humanité n'est pas lié à l'existence d'un conflit armé, contrairement à un crime de guerre.
[13]Le demandeur a avoué avoir été, pendant environ un an, un combattant, puis un sergent en second dans l'Ejercito Popular Revolucionario (EPR), communément appelé l'Armée révolutionnaire du peuple. L'EPR a également été décrit comme l'aile militaire d'un par ti politique appelé Partido Democratico del Pueblo Revolucionario (PDPR).
[14]Le demandeur ayant admis une appartenance passée, le seul point que devait décider l'arbitre était de savoir si l'EPR était une organisation «dont il y a des motif s raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme».
[15]La preuve de ce que l'EPR faisait au cours de ses opérations venait de deux sources: 1) M. Fuentes, qui était l'unique témoin à déposer (son témoignage fut très bref, puisqu'il n'a été interrogé que par l'agent chargé de présenter les cas (ACPC). Il ne couvre que 10 pages de la transcription, soit les pages 463 à 473 (du dossier certifié du tribunal) devant l'arbitre, et les notes de l'ent revue conjointe du demandeur avec des représentants du SCRS et de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC); 2) la preuve documentaire produite par l'ACPC et par l'avocat du demandeur, une preuve comprenant:
(i) une trousse d'information sur les droits de l'homme, préparée à partir de documents publics par la Direction de la recherche de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (pièce 2); et
(ii) divers rapports d'organisations des droits de l'homme sur le Mexique.
B. LA DÉCISION DE L'ARBITRE
[16]L'arbitre n'a pas dit que le demandeur n'était pas crédible.
[17]L'arbitre a entrepris d'examiner s'il existait des motifs raisonnables de croire que l'EPR se livrait ou s'était livré à des actes de terrorisme
[traduction] Je crois que je dois ici me demander et décider s'il existe dans cette enquête des éléments de preuve crédibles et dignes de foi établissant l'existence de motifs raisonnables qui permettent de croire que l'EPR a commis des actes ou s'est livré à des activités qui sont de nature terroriste ou qui constituent du terrorisme. [Non souligné dans l'original.]
[18]Elle a fait observer qu'il n'existait aucune définition de «terrorisme» dans la Loi, qu'il était généralement admis qu'il n'y avait pas de norme ou de définition universelle de ce en quoi constitue le terrorisme, et qu'elle n'avait connaissance d'aucune décision des tribunaux supérieurs [traduction ] «offrant une définition de ce mot ou donnant des indications précises sur ce que sont les frontières des activités terroristes».
[19]Elle s'est référée à l'arrêt Suresh de la Cour d'appel fédérale, en ajoutant que la Cour s'était focalisée sur les activités des LTTE et «plus précisément sur les actes violents perpétrés c ontre les populations civiles». Elle a ajouté:
[traduction] Malgré cela cependant, je n'ai connaissance d'aucune règle limitant le sens du mot terrorisme aux seules actions commises contre des civils. Je crois que sur ce point c'est la nature des actes et des activités qu'il faut prendre en considération. [Non souligné dans l'original.]
[20]L'arbitre, examinant les définitions des dictionnaires, a pris note de la définition de «terrorisme» donnée par le Chambers 20th Century Dictionary : [traduction] «un système organisé d'intimidation», ainsi que de la définition de «terroriste» donnée par le Concise Oxford Dictionary , pour qui ce mot s'entend d'une personne «qui utilise ou privilégie des méthodes fondées sur la violence et l'intimidation pour contraindre un gouvernement ou une collectivité à agir». Elle a conclu ainsi:
[traduction] Il existe de nombreux dictionnaires, et je crois que les nombreuses définitions de ces mots comportent de nombreuses similitudes et certaines différences. Je crois que, en général, la définition de «terrorisme» donnée par les dictionnaires est une définition restreinte. Le terrorisme s'entend des actions qui font appel à la force et à l'intimidation à l'encontre de gouvernements ou de populations. Je crois que des définitions comme celles-ci ne sont ni concluantes ni exhaustives. [Non souligné dans l'original.]
[21]Selon elle, elle devait se focaliser sur la preuve «des activités de cette organisation. [. . .] Je dois me demander si la preuve donne des motifs raisonnables de croire que cette organisation a fait certaines choses et, si tel est le cas, je dois alors me demander si telles activités relèvent du terrorisme». [Non souligné dans l'original.]
[22]Elle a ensuite examiné la preuve et s'est exprimée sur la preuve documentaire produite par l'avocat du demandeur, preuve qui «ne m'a pas permis de comprendre pourquoi ces documents ont été produits». Elle a dit que les documents en question renfermaient «très peu d'info rmation sur les activités réelles de l'EPR» et qu'il existait «certains renseignements du genre, souvent de portée très restreinte, selon lesquels l'EPR était un groupe armé dissident, qui utilisait des uniformes, des armes et une organisation militaire» ( non souligné dans l'original). Elle a indiqué que ces documents n'offraient «aucune preuve tendant à montrer que les abus abondamment décrits en matière de droits de l'homme représentaient la politique officielle» et que l'avocat du demandeur «n'a pas cher ché à soutenir que la justification était un facteur». Elle a relevé que les documents donnaient «des renseignements considérables sur les activités de l'armée et de la police au Mexique, ainsi que sur la mesure dans laquelle ces forces sont jugées semblab les ou similaires par la population en général».
[23]Elle a fait appel au témoignage du demandeur. Selon ce témoignage, «l'EPR se livrait à des activités militaires dans un dessein politique [. . .] l'organisation se livrait à des attaques armées contre l'armée et la police [. . .] des personnes étaient parfois tuées dans les deux camps». (Non souligné dans l'original.) Elle a relevé que, selon le témoignage du demandeur, l'EPR était illégal et possédait des armes qui elles aussi étaient il légales.
[24]Elle a ensuite examiné les notes rédigées par l'agent d'immigration au cours de l'entrevue conjointe organisée par les représentants du SCRS et de CIC, entrevue durant laquelle le demandeur a mentionné que l'EPR:
[traduction] [. . .] observait les allées et venues des militai-res, observait les mouvements de l'armée, guettant le moment propice pour passer à l'attaque. Il a aussi témoigné à propos des genres d'armes, et il a aussi déclaré que certaines menaces étaient proférées contre le gouvernement ou contre des fonctionnaires. Il a dit que cela n'était pas fait directement, mais par l'entremise des journaux. [Non souligné dans l'original.]
[25]L'arbitre a ensuite examiné la pièce 2, la trousse relative aux droits de l'homme déposée par l'ACPC. Elle a trouvé que cette pièce était la plus informative sur les activités de l'EPR, et elle l'a résumée ainsi:
[traduction] Ce document mentionne encore une fois que l'EPR était ou est un groupe très bien armé, qu'il s'est livré à des attaques contre diverses cibles, qu'il a usé de tactiques violentes, plus violentes que certains autres groupes ayant des objectifs similaires. Le document mentionne que l'EPR a mis à exécution une stratégie dite de raids éclairs, qui consiste à mener des attaques armées contre des postes de police, des installations militaires et des édifices gouvernementaux. Ce rapport fait état de pertes humaines qui à une occasion se sont chiffrées à 96, d'un certain nombre d'attaques, d'un certain nombre de personnes tuées ou blessées, en mentionnant à une occasion une série d'attaques d'une durée d'une semaine menées contre des cibles militaires et policières, au cours desquelles au moins six policiers furent tués. [Non souligné dans l'original.]
[26]L'arbitre s'est également montrée critique à l'endroit de la pièce 2, qui selon elle:
[traduction] [. . .] est un document qui est certainement lacunaire à maints égards. Dans son argumentation, l'avocat a fait ressortir les limites de l'information qui y figure. Je ne suis pas en désaccord avec cette observation. Néanmoins, dans sa substance, je considère qu'il s'agit là d'une preuve crédible et digne de foi, si limitée qu'elle puisse être, concernant les activités de cette organisation. [Non souligné dans l'original.]
[27]Puis elle a conclu ainsi:
[traduction] L'ensemble de la preuve montre que l'EPR était, et est peut-être encore, un groupe insurrectionnel armé illégal, du genre guérilla, qui tente d'atteindre certains buts politiques et sociaux et qui pour cela s'est livré à des attaques armées éclairs et à des attaques surprises contre diverses cibles, militaires, policières et gouvernementales. [Non souligné dans l'original.]
[28]L'arbitre n'a pas accepté l'argument du demandeur pour qui il existait une guerre civile ou un état de guerre, et pour qui les activités de l'EPR devraient être examinées dans ce contexte, c'est-à -dire «que ce qui se déroulait, c'était des actes de guerre, c'était des affrontement s militaires». Elle n'a pas accepté cet argument, pour la raison suivante:
[traduction] Ma conclusion est que les attaques armées menées par surprise qui ont été décrites dans les témoignages produits durant cette enquête ne sont pas la même chose que de simples affrontements militaires, et je crois qu'on peut les considérer comme des activités terroristes et qu'on devrait les décrire ainsi dans la présente affaire. [Non souligné dans l'original.]
[29]L'arbitre Martens a ensu ite passé en revue certains éléments de preuve qui, selon elle, «montrent que les activités de l'EPR étaient plus étendues que les affrontements ou les attaques qui viennent d'être évoqués».
[30]Elle a de nouveau fait état des «menaces insérées dans les médias, ou dans les journaux, proférées à l'encontre de hauts fonctionnaires».
[31]Elle a relevé que la preuve faisait état «d'attaques non seulement contre des installations militaires, mais contre les forces policières», ajout ant que «quelle que soit la mesure dans laquelle les forces policières du Mexique peuvent aujourd'hui être associées à l'armée, je ne crois pas que l'on puisse conclure qu'il s'agit à tous égards de la même et unique force. Je ne crois pas que l'on puisse les considérer à toutes fins comme des soldats en campagne».
[32]Elle a relevé que l'on faisait état d'attaques menées contre des édifices gouvernementaux, mais a fait cette mise en garde:
[traduction] La preuve étant si lacunaire dans son contenu et dans ses détails, nous ne savons pas ce qui a pu se produire d'autre. [Non souligné dans l'original.]
[33]Finalement, l'arbitre est revenue sur la pièce 2 selon laquelle l'EPR avait commis des enlèvements pour financer ses opérati ons. Elle a indiqué que le demandeur avait nié que cela fût vrai et avait témoigné que sa hiérarchie lui avait dit que ce n'était pas vrai. Elle s'est référée à son témoignage additionnel selon lequel il n'avait pas lui-même participé à des opérations de f inancement et selon lequel il ne savait pas en réalité de quelle manière des fonds étaient recueillis pour cette organisation. Elle a, sans plus, conclu ainsi:
[traduction] Eu égard à la pièce 2, et après examen du témoignage de M. Cuevas [sic ], je crois qu'il y a des motifs raisonnables de croire que des enlèvements ont été perpétrés pour financer l'organisation.
D. ANALYSE
1) Ce qu'a dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh |
[34]Les propos de la Cour suprême du Canada concernant le terrorisme figurent aux paragraphes 93 à 99 de son arrêt. La Cour a souligné, au paragraphe 93, qu'elle n'entendait pas définir le terrorisme d'une manière exhaustive--«[une] tâche notoirement difficile» --affirmant que ce mot fournissait un fondement su ffisant pour qu'une décision soit rendue et qu'il n'est pas ambigu en soi «même si toute [s]a portée [. . .] doit être établie progressivement». La Cour suprême reprenait ici les mots employés par le juge Robertson, qui avait rédigé les motifs de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Suresh .
[35]Au paragraphe 94, la Cour suprême reconnaissait qu'il n'existait pas une définition du «terrorisme», qui fait autorité que la Loi ne définissait pas ce terme et qu'aucune définition précise n'était reconnue au niveau international. Elle a relevé que l'absence d'une décision faisant autorité signifiait que, «du moins dans les cas limites», le terme se prête «aux manipulations à des fins politiques, aux conjectures et aux interprétations polémique s». Elle a cité un auteur pour qui le terme «terrorisme» est «assez malléable--il désigne ce que l'on veut», et un autre auteur (au paragraphe 95) affirmant que «[u]n même acte peut être considéré comme un acte de terrorisme pas un État et comme un acte de résistance légitime par un autre».
[36]La Cour suprême, se tournant alors vers la Convention, a relevé qu'elle abordait selon deux méthodes le problème de la définition du terrorisme: une méthode fonctionnelle et une méthode s tipulative. La méthode fonctionnelle consiste à définir le terrorisme par référence [au paragraphe 97] à des actes de violence précis (par exemple [traduction ] "le détournement d'avion, la prise d'otages et l'attentat terroriste à l'explosif"), énoncés dan s l'annexe de la Convention énumérant les traités que, selon la Cour suprême [au paragraphe 96], «l'on considère habituellement comme concernant les actes de terrorisme». Ces traités sont énumérés à l'alinéa 83.01(1)a ) de la Loi antiterroriste, qui aujourd'hui qualifie d'infractions selon le droit canadien les infractions prévues par la Convention.
[37]L'un des traités annexés est la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, une Convention adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1997. Son article 2 est ainsi rédigé:
Article 2
1. Commet une infraction au sens de la présente Convention toute personne qui illicitement et intentionnellement livre, pose, ou fait exploser ou détonner un engin explosif ou autre engin meurtrier dans ou contre un lieu public, une installation gouvernementale ou une autre installation publique, un système de transport public ou une infrastructure:
a) dans l'intention de provoquer la mort ou des dommages corporels graves; ou
b) dans l'intention de causer des destructions massives de ce lieu, de cette installation, de ce système ou de cette infrastructure, lorsque ces destructions entraînent ou risquent d'entraîner des pertes économiques considérables.
[38]Dans cette Convention [à l'article premier], l'expression «lieu public» est définie ainsi: «s'entend des parties de tout bâtiment, terrain, voie publique, cours d'eau, et autre endroit qui sont accessibles ou ouvertes au public, de façon continue, périodique ou occasionnelle, et comprend tout lieu à usage commercial, culturel, historique, éducatif, religieux, officiel, ludique, récréatif ou autre qui est ainsi accessible ou ouvert au public».
[39]Un autre traité annexé est la Convention internationale contre la prise d'otages, adoptée par l'Assemblée générale le 17 décembre 1979 et entrée en vigueur le 3 juin 1983. Son article premier est ainsi rédigé:
Article 1
1. Commet l'infraction de prise d'otages au sens de la Convention, quiconque s'empare d'une personne (ci-après dénommée «otage»), ou la détient et menace de la tuer, de la blesser ou de continuer à la détenir afin de contraindre une tierce partie, à savoir un État, une organisation internationale intergouverne mentale, une personne physique ou morale ou un groupe de personnes, à accomplir un acte quelconque ou à s'en abstenir en tant que condition explicite ou implicite de la libération de l'otage.
[40]Comme on l'a dit plus haut, la Cour suprême d u Canada a donné la définition stipulative du terrorisme par référence à l'article 2 de la Convention, qui définit ainsi le terrorisme:
Article 2
[. . .]
b) Tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne partic ipe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomp lir un acte quelconque.
[41]La Cour a analysé les avantages et les inconvénients de chaque méthode, en faisant observer que la méthode fonctionnelle, qui parle d'actes de violence précis, avait bénéficié d'un fort appui, mais elle a exprimé l'avis suivant, au paragraphe 97:
Nous sommes conscients que le terme «terrorisme» se prête à la manipulation, mais nous ne sommes pas persuadés qu'il est nécessaire ou souhaitable d'écarter d'emblée toute définition stipulative au profit d'une énumération susceptible de changer avec le temps et de nécessiter, en fin de compte, que l'on distingue certains actes (proscrits) d'autres actes (non proscrits) en employant un terme comme «terrorisme». [Non souligné dans l'original.]
[42]La Cour, à l'unanimité, a conclu ainsi, au paragraphe 98:
[. . .] que le terme «terrorisme» employé à l'art. 19 de la Loi inclut tout «acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux ho stilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque». Cette définition traduit bien ce que l'on entend essentiellement par «terrorisme» à l'échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l'activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. [Non souligné dans l'original.]
[43]Exposant ses motifs pour la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Suresh , le juge Robertson s'était référé à la décision du juge Teitelbaum Suresh, Re (1997), 140 F.T.R. 88 (C.F. 1re inst.), qui avait confirmé le caractère raisonnable d'un certificat délivré par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, certificat selon lequel M. Suresh était une personne à laquelle s'appliquaient tro is des catégories non admissibles indiquées dans l'article 19 de la Loi sur l'immigration. Le juge Robertson [au paragraphe 38] avait extrait le passage suivant des motifs du juge Teitelbaum [aux paragraphes 30 à 32]:
Je n'ai pas l'intention d'énumérer le s incidents concernant des actes que les LTTE auraient commis. Il n'y a qu'à se reporter à l'annexe B où sont énumérés quelque cent quarante incidents, qu'il s'agisse de l'assassinat du maire progouvernement de Jaffna, Alfred Duraippah, survenu le 27 juill et 1975 et vraisemblablement perpétré par les LTTE, ou de l'incident survenu le 10 septembre 1995 et au cours duquel les LTTE auraient tué sept soldats qui, semble-t-il, faisaient partie d'une patrouille d'ouverture de routes.
Des témoins cités par M. Sur esh ont nié le caractère «terroriste» de la plupart de ces incidents étant donné que les LTTE peuvent, selon eux, être considérés comme des combattants de la liberté et, partant, ont le «droit» de tirer sur des soldats ou des personnes qui n'appuient pas c ette organisation ou ses objectifs.
Il ne me paraît pas possible de partager cet avis. Même si c'était le cas, l'assassinat du maire de Jaffna par les LTTE le 27 juillet 1975 pour la seule raison qu'il avait des tendances progouvernementales me paraît êtr e un acte qu'on peut considérer comme du «terrorisme». L'exécution d'un agent de la paix le 14 février 1977 permet raisonnablement de conclure qu'un «acte de terrorisme» a été commis. Le meurtre d'un député est un «acte de terrorisme». La destruction par e xplosion d'un avion civil est un «acte de terrorisme». Des attentats commis contre des civils sont, comme je l'ai dit, des «actes de terrorisme», peu importe que la cible soit un village de pêcheurs ou des fermes. L'attentat commis le 16 mai 1985 à Anuradh apura au Sri Lanka, au cours duquel entre cent trente-huit et cent quarante-six civils ont été massacrés et tués, peut être considéré comme un «acte de terrorisme».
[44]Puis, au paragraphe 39 de ses motifs, le juge Robertson reprend un passage des motifs du juge McKeown qui fait état d'éléments de preuve établissant que les LTTE ont commis des actes de terrorisme. Dans son jugement, publié à (1999), 50 Imm. L.R. (2d) 183, le juge McKeown avait rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Suresh, qui contestait la décision prise par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en vertu de l'alinéa 53(1)b ) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43] de la Loi sur l'immigration:
Le juge McKeown mentionne aussi dans ses motifs des éléments de preuve qui établissent que les LTTE ont commis des actes de terrorisme [aux paragraphes 31 à 33, pages 198 et 199]:
Le demandeur a soutenu tant devant le ministre que devant le juge Teitelbaum que les LTTE sont un mouvement qui lutte pour l'auto- détermination du peuple tamoul. Or, les éléments de preuve documentaire soumis par le demandeur lui-même donnent à penser le contraire. Suivant ces éléments de preuve, les LTTE auraient été impliqués dans le pire attentat à la bombe qui a eu lieu à Colombo en 1996 et au cours duquel des explosifs ont été lancés dans la Banque centrale, tuant une centaine de personnes et en blessant plus de 1 200.
Dans le Sri Lanka Country Report on Human Rights Practices for 1996 du département d'État américa in (le rapport du département d'État américain) que le demandeur a soumis, il est fait mention de l'exécution par les LTTE de 14 villageois cinghalais de la région de Puttalam et du meurtre par les LTTE de 11 voyageurs cinghalais dans une embuscade tendue à un autocar dans la région d'Ampara. Dans les documents que le demandeur a soumis, il est également affirmé que les LTTE auraient [traduction ] «procédé à l'exécution de personnes soupçonnées d'être des informateurs du gouvernement et se seraient livrés à des massacres et à des assassinats de villageois cinghalais musulmans à titre de mesure de représailles, auraient torturé et maltraité des prisonniers, auraient enrôlé de force des enfants et auraient procédé à des enlèvements». Les LTTE font de l'intimida tion en procédant à des exécutions en public.
Les LTTE refusent aux gens qui sont assujettis à leur pouvoir le droit de changer de gouvernement. Ils ne tolèrent pas la liberté d'expression. Ils ne respectent pas la liberté de l'enseignement. Les Tamouls q ui n'appuient pas les LTTE font l'objet de violation des droits de la personne.
[45]Le juge Robertson avait conclu ainsi, au paragraphe 40:
En résumé, il existe une preuve suffisante et concluante que les LTTE tuent et torturent des civils innocents au hasard, commettant ainsi des actes que le droit international considère comme des «crimes contre l'humanité. Je m'empresse d'ajouter que la Cour l'a établi catégoriquement dès 1994, dans l'arrêt Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.). [Non souligné dans l'original.]
[46]La Cour suprême du Canada n'a eu aucune difficulté à dire que les LTTE étaient une organisation terroriste parce qu'ils s'étaient livrés à d es activités terroristes (voir paragraphe 109).
2) Ce que la preuve révèle ici |
[47]J'ai examiné la transcription et la preuve documentaire figurant dans le dossier certifié du tribunal. Dans son mémoire, le demandeur a commodément résumé cette preuve d'une manière qui, je crois, en reflète fidèlement le contenu. Je reproduis le passage suivant du mémoire du demandeur:
[traduction] 7. Après son arrivée, le revendicateur a été interrogé simultanément par le SCRS et par Immigration Canada. La preuve relative aux activités exercées par le demandeur au nom de l'EPR vient de cette entrevue ainsi que de l'interrogatoire du revendicateur conduit par l'ACPC durant l'enquête.
8. Le demandeur a dit qu'il avait été membre du PDPR (Por la republica democratic popular) et de son aile armée, l'EPR (Ejercito Popular Revolucionario) pendant une année avant qu'il ne soit enlevé et emprisonné par le renseignement militaire mexicain, et détenu par lui à Acapulco et à Mexico pendant un an, deux mois et 23 j ours. Pendant qu'il était membre de l'EPR, il avait débuté comme combattant, puis était devenu sergent en second. Durant sa captivité, il avait été battu et torturé. Durant son emprisonnement, il pouvait entendre d'autres membres qui étaient interrogés et torturés. Il a été libéré le 27 août 1998. Après sa libération, il a rompu ses liens avec le groupe.
9. Il a dit que l'EPR se livrait à des activités militaires, mais dans un but politique. Selon lui, les objectifs du PDPR et de l'EPR étaient de prendre l e contrôle du gouvernement et d'établir un pays démocratique.
10. On lui a demandé si le PDPR avait jamais proféré des menaces contre des représentants du gouvernement. Il a dit «pas contre quelqu'un en particulier et pas directement; le PD PR publiait des choses dans les journaux. On lui a demandé à quels genres d'activités militaires se livrait l'EPR. Il a dit que c'était pour réagir en autodéfense à des actes de répression et de torture et à des disparitions dont l'armée mexicaine était l'auteur. Il a dit que, dans certaines zones, lorsque la répression était excessive, le parti envoyait des communiqués aux médias afin de faire cesser la répression, en essayant d'abord d'atteindre ses buts par des moyens pacifiques. Si la répression ne cess ait pas, alors l'organisation répondait par des attaques armées sur les «compagnies», mot qui, selon le demandeur, signifiait l'armée et la police.
11. Il a dit que l'EPR obtenait ses ordres du PDPR et que les ordres englobaient des stratégies militaires: il s'agissait de surveiller les allées et venues des militaires. Il a dit que, dans certains secteurs des petites localités, les populations autochtones étaient harcelées par l'armée. L'EPR effectuait donc une surveillance et attendait l'occasion d'attaqu er la zone militaire pour que l'armée cesse d'ennuyer la population. Il a dit que, durant son appartenance à l'EPR, il avait eu connaissance d'environ 10 attaques du genre, mais qu'il y avait eu d'autres affrontements. Sur les 10 attaques, il avait partici pé comme chauffeur à deux d'entre elles. Il a dit qu'il n'avait pas participé personnellement aux attaques. Son rôle était de conduire ses camarades vers la zone où il y avait une activité et de les prendre au même endroit. Il a dit que les incidents auxqu els il avait été mêlé s'étaient déroulés à Cuacalco, dans l'État de Mexico, ainsi qu'à Naucalpan. Il a dit que, durant les deux attaques, une personne avait été tuée au cours de l'une d'elles qui avait été lancée pour faire cesser la répression.
12. Il a dit que l'EPR intervenait aussi dans des actions de solidarité auprès de la population, notamment en lui procurant des vêtements, des enseignants et des médecins.
13. Il a dit que, à sa connaissance, l'organisation ne commettait pas d'enlèvements. Il a dit qu'il ne savait pas où l'organisation obtenait son argent, mais qu'elle disposait d'une base sociale très large d'où elle obtenait ses fonds, mais il n'en connaissait pas le détail.
14. On lui a demandé s'il avait déjà gardé du matériel chez lui. Il a dit qu'il avait gardé des armes, y compris des armes reflex, des AK47, des pistolets et des grenades chez lui, ainsi que des tracts de l'EPR. Il a dit qu'il avait entreposé des armes illégales à quatre ou cinq reprises.
15. Dans la preuve documentaire, l'EPR était désigné comme un groupe armé d'opposition, un mouvement de guérilla et un groupe dissident armé. Le rapport de la Commission interaméricaine des droits de l'homme faisait état de zones de conflit, dans une section du rapport qui pa rlait aussi de la torture de présumés membres de l'EPR. On y affirme qu'un conflit armé de faible intensité avait lieu au Mexique.
16. L'unique groupe pour qui l'EPR était un groupe terroriste était l'État mexicain lui-même, qui justifiait cette désignati on par le fait que l'EPR attaquait des installations militaires et blessait, voire tuait, des membres des forces armées.
17. La preuve documentaire faisait état de la militarisation des commandements policiers, et de la militarisation croissante du Mexiqu e, en particulier dans les zones indigènes, ainsi que des actions combinées de l'armée et de la police. L'EPR s'était livré à des attaques sur le personnel des forces de sécurité. Les forces armées s'étaient livrées à des actes de torture en toute impunité.
3) Norme de preuve |
[48]Dans l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297, la Cour d'appel fédérale avait examiné le sens des mots «motifs raisonnables de croire», à l'article 19 de la Loi, et, selon elle, ces mots constituaient [au paragraphe 60] «une norme de preuve qui, sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins "la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi"».
4) Examen |
[49]L'arbitre a estimé que le demandeur était une personne dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est ou a été membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est liv rée à des actes de terrorisme.
[50]Cette disposition fait partie de l'article 19, qui se trouve dans la partie III de la Loi intitulée «Exclusion et renvoi». Les personnes visées par l'article 19 ne peuvent, sauf si le ministre exerce favorablement son pouvoir discrétionnaire, être admises au Canada pour autorisation de séjour ou droit d'établissement. Pour situer le contexte de l'alinéa 19(1)f ) de la Loi, il est utile de reproduire les dispositions des alinéas 19(1)c .2), 19(1)e), 19(1)g) et 19(1)j):
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:
[. . .]
c.2) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction au Code criminel ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui peut être punissable par mise en accusation ou a commis à l'étranger un fait--acte ou omission--qui, s'il avait été commis au Canada, constituerait une telle infraction, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;
[. . .]
e) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles:
(i) soit commettront des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s'entend au Canada,
(ii) soit, pendant leur séjour au Canada, travailleront ou inciteront au renversement d'un gouvernement par la force,
(iii) soit commettront des actes de terrorisme,
(iv) soit sont membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle:
(A) soit commettra des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s'entend au Canada,
(B) soit travaillera ou incitera au renversement d'un gouvernement par la force,
(C) soit commettra des actes de terrorisme;
[. . .]
g) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, ou qu'elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre de tels actes ou qu'elles sont susceptibles de prendre part aux activités illégales d'une telle organisation;
[. . .]
j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis une infraction visée à l'un des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre; [Soulignement ajouté.]
[51]Ces dispositions font intervenir des questions de sécurité nationale en ce qui a trait aux personnes qui ne sont pas citoyens canadiens ou résidents permanents, mais qui voudraient entrer au Canada à titre de visiteurs ou pour s'y établir. Néanmoins, d'importants intérêts in dividuels sont en jeu, en particulier si le statut de réfugié est bloqué et que l'intéressé peut justifier d'une crainte fondée de persécution.
[52]Dans ses motifs, l'arbitre a évoqué les activités suivantes auxquelles se livrait l'EPR:
1) attaques armées contre les militaires, qui entraînaient des morts et des blessés;
2) attaques armées contre les forces policières, au cours desquelles des personnes des deux camps étaient tuées ou blessées;
3) menaces proférées contre des hautes personnalités et des fonctionnaires;
4) attaques menées contre des édifices gouvernementaux; et
5) enlèvements en vue de financer les activités de l'organisation.
[53]L'avocat du ministre a avancé un argument de taille selon lequel le mot «terrori sme» doit recevoir une interprétation libérale, invoquant sur ce point des jugements antérieurs de la Section de première instance de la Cour fédérale, à savoir la décision du juge Denault dans l'affaire Baroud (Re) (1995), 98 F.T.R. 99 (C.F. 1re inst.), celle du juge Teitelbaum dans l'affaire Re Suresh , précitée, et celle du juge MacKay dans l'affaire McAllister c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] 2 C.F. 190 (1re inst.).
[54]Cet argument du ministre s'arc- boute sur des propos tenus par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh : elle ne cherchait pas à définir le terrorisme d'une manière exhaustive--une tâche notoirement difficile --, mais se contentait de dire que ce terme offrait un fondement suffisant p our qu'une décision soit rendue; elle approuvait l'opinion du juge Robertson selon laquelle la portée tout entière de ce terme devait être établie progressivement; elle constatait qu'il n'existait aucune définition du terme «terrorisme» faisant autorité; e nfin, elle constatait qu'aucune définition précise n'était reconnue à l'échelle internationale.
[55]L'argument du ministre ne peut pas être accepté parce qu'il ignore le fait que la Cour suprême du Canada a donné une définition de «terrorism e» qui, à son avis, «traduit bien ce que l'on entend essentiellement par "terrorisme"», faisant observer cependant que «des situations particulières, à la limite de l'activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords» (non souligné dans l'orig inal).
[56]La définition de terrorisme adoptée par la Cour suprême du Canada se concentre sur la protection des civils--un élément central du droit humanitaire international qui trouve sa source dans les quatre Conventions de Genève adoptées le 12 juin 1949 et dans leurs deux protocoles additionnels, instruments qui ont tous été incorporés dans le droit canadien et en font partie intégrante (voir Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, ann. I, II, III, IV, V (mod. par L.C. 1990, ch. 14, art. 6), VI (mod., idem) sauf, dans un cas, l'existence de réserves.
[57]Je reprends ici les propos du juge Robertson dans l'arrêt Suresh , supra [au paragraphe 36]:
Personne ne met en doute le droit d'avoir recours à la force pour parvenir à l'indépendance politique dans la mesure où ce sont deux combattants qui se font la lutte. Personne ne remet non plus en cause le fait que les LTTE prétendent représenter la minorité tamoule et s'efforcent de réalise r son droit à l'autodétermination et à un territoire indépendant dans le nord du Sri Lanka. Enfin, personne ne conteste que la lutte pour l'indépendance tamoule est menée par une minorité contre la majorité cinghalaise, représentée par le parti au pouvoir. Ce qui est remis en question, ce sont les moyens utilisés pour atteindre ces fins politiques. Il est clair que diverses avenues s'offrent aux citoyens pour s'opposer au gouvernement en place et que tous les gouvernements ne sont évidemment pas aussi ouver ts à la critique. Toutefois, il faut tracer quelque part la ligne entre les moyens de protestation acceptables de ceux qui ne le sont pas. Selon moi, le terrorisme constitue un moyen inacceptable d'obtenir un changement politique. On ne retrouve nulle part dans la jurisprudence des éléments à l'appui de la prétention qu'une personne a le droit inhérent de se livrer au terrorisme pour affirmer son droit à l'autodétermination. Ce motif suffit à écarter l'argument de l'appelant. [Non souligné dans l'original.]
[58]L'opinion du juge Robertson selon laquelle la protection des civils est l'élément central du droit humanitaire international est confirmée par un examen des Conventions de Genève de 1949 et de leurs deux protocoles.
[59]L'article 50 du premier Protocole [Protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), qui est l'annexe V de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3 (mod. par L.C. 1990, ch. 14, art. 6)] définit un civil comme essentiellement toute personne qui ne prend pas les armes dans un conflit armé, ce qui exclut les membres des forces armées, les milices et les groupes de volontaires prenant les armes, les membres d'un groupe de résistance et les habitants d'un territoire non occupé qui, à l'approche d'un ennemi, prennent spontanément les armes pour résister aux forces d'invasion (voir l'article 4 de la 3e Convention de Genève de 1949 [Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, qui est l'annexe III de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3]).
[60]Le deuxième Protocole [Protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), qui est l'annexe VI de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3 (mod. par L.C. 1990, ch. 14, art. 6)] des Conventions de Genève de 1949 s'app lique aux conflits armés non internationaux, c'est-à -dire aux conflits entre les forces armées d'un État et les forces armées dissidentes ou autres groupes armés organisés, qui sont sous commandement autonome et qui sont maîtres d'une partie du territoire de l'État. Le deuxième Protocole interdit aux deux camps de commettre des actes de terrorisme (voir l'alinéa 2d ) de l'article 4). Également prohibés sont «les actes ou menaces de violence dont l'objet principal est de répandre la terreur parmi la populatio n civile» (voir le paragraphe 2 de l'article 13). D'autres éléments clés de la définition de terrorisme sont adoptés par la Cour suprême du Canada, à savoir:
1) les civils ou autres personnes ne doivent pas, dans une situation de conflit armé, prendre une part active aux hostilités, ce qui encore une fois fait intervenir des notions connues du droit international public; et
2) l'objet de l'acte destiné à causer la mort ou des blessures graves (qui sont des crimes connus du droit interne et du droit international (crimes de guerre ou crimes contre l'humanité)), qui donne à cet acte sa qualité d'acte terroriste, doit être, par sa nature ou son contexte, d'intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque.
[61]Par ailleurs, la Cour suprême du Canada savait très bien que la notion de terrorisme peut être l'objet d'une manipulation politique, et c'est la raison pour laquelle elle a voulu circonsc rire sa portée en définissant les éléments précis de ce qu'est le terrorisme, sans pour autant, à la limite ou à la lisière, fermer la catégorie aux activités terroristes, ce qui offre une certaine flexibilité et certains modes d'adaptation.
[62]Au surplus, selon moi, en choisissant sa définition du «terrorisme», la Cour suprême donnait de l'espace, en les harmonisant, à chacune des notions clés que l'on trouve dans l'article 19 de la Loi: subversion, terrorisme, crimes contre l'humanité, cri mes de guerre et crimes de droit commun. Chacune de ces notions est distincte et joue un rôle propre en droit.
[63]Il y a deux raisons principales pour lesquelles la décision de l'arbitre doit être annulée:
1) l'arbitre s'est écartée de la définition de «terrorisme» retenue par la Cour suprême du Canada, définition dont ne disposait pas l'arbitre; et
2) l'insuffisance de la preuve au soutien de la conclusion selon laquelle l'EPR se livrait à des actes de terrorisme, compte tenu que la norme de preuve est celle qui, sans être la probabilité la plus forte, suggère néanmoins la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi.
[64]Sur ce deuxième point, l'arbitre s'est rendu c ompte que les arguments du ministre étaient faibles, un fait reconnu par l'ACPC durant son argumentation devant l'arbitre (dossier certifié, pages 419 et 420, lignes 40 à 10. L'ACPC avait fait reposer ses espoirs d'activité terroriste sur le compte rendu d'enlèvements), la preuve de ce à quoi se livrait l'EPR était restreinte et «lacunaire dans son contenu et ses détails», et la documentation, en particulier la pièce 2, était insuffisante et limitée. Or, malgré ces constatations, l'arbitre a conclu que cett e preuve l'autorisait à dire que l'EPR se livrait à des activités terroristes, au lieu de dire que le ministre n'avait pas apporté la preuve requise.
[65]Il ressort des motifs de l'arbitre que, selon elle, le terrorisme ne pouvait se restre indre «aux seules actions menées contre des civils» et avait une signification beaucoup plus large qui englobait, comme cible du terrorisme, les forces armées d'un État combattant un groupe insurrectionnel armé--une situation de conflit armé. Le droit inter national humanitaire fait en général une distinction entre des combattants dont les activités sont régies par les règles de la guerre, dont la violation peut constituer un crime de guerre, et des civils qui bénéficient d'une protection selon les Convention s de Genève de 1949 et leurs deux protocoles. L'arrêt Suresh , précité, a adopté cette ligne de démarcation.
[66]La preuve qu'a invoquée le ministre pour dire que l'EPR était une organisation terroriste était, comme je l'ai dit, faible. Cette preuve se concentre sur la pièce 2, mais, plus précisément, sur un document qui n'est pas identifié et qui se trouve entre les pages 56 et 63 du dossier certifié du tribunal. Le document est incomplet, seules les pages 16 à 23 étant r eproduites.
[67]Le dossier certifié ne reproduit que la section 4 de ce document, qui traite de l'EPR, et la teneur de ce document semble puiser surtout à divers journaux, qui sont des sources secondaires.
[68]Je reproduis les exemples suivants:
1) «L'EPR affirme que sa source de financement et sa base sociale sont la population en général, laquelle n'est pas nécessairement organisée. Le mouvement a commis des enlèvements afin de financer ses activités et a indiqué qu'il pourrait imposer une taxe de guerre» (AFP, 3 février 1997; EIU, quatrième trimestre, 1996, 13);
2) «L'EPR [. . .] a opté pour une stratégie d'attaques armées éclairs contre des postes de police, des installations militaires et des édifices publics», citant Latinamerica Press, 15 août 1996; AFP, 3 février 1997, Proceso, 1er septembre 1996 et Le Monde diplomatique, janvier 1997, 12;
3) «L'EPR affirme avoir infligé au moins 96 pertes de vies au personnel des Forces de sécurité entre sa première apparition le 28 juin 1996 et le début de février 1997» (AFP, 3 février 1997);
4) «Le 28 août 1996, l'EPR a lancé 18 attaques contre le gouvernement, la police et l'armée dans 7 États, tuant au moins 12 personnes et en blessant 23»; on donne comme source les dossiers d'information sur les pays pour l'année 1996-1997, ainsi que d'autres journaux, notamment le Houston Chronicle du 8 septembre 1996;
5) «Le lendemain de l'expiration du cessez-le-feu, l'EPR a lancé une série d'attaques, durant une semaine entière, contre des cibles militaires et policières dans les États de Guerrero et Mexico, y compris près de la ville de Mexico», extrait du Dallas Morning News, du Reforma et du Washington Post. «Au moins six policiers ont été tués au cours des attaques», extrait du Dallas Morning News du 2 novembre 1996.
[69]Ces passages tirés du document non identifié confirme l'observation de l'arbitre relative aux lacunes et à l'insuffisance de la preuve. Cette preuve ne dit rien sur le qui, le quoi, le quand, le où et le co mment, éléments qui sont nécessaires si l'on veut évaluer convenablement la preuve du ministre par rapport à la norme établie.
[70]Dans l'arrêt Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433, la Cour d'appel fédérale avait souligné l'importance d'articuler les conclusions de fait, sur les crimes contre l'humanité que le demandeur était présumé avoir commis. Le juge Linden écrivait, à la page 449:
Par exemple, le rapport de 1989 d'Amnistie int ernationale indique que le gouvernement du Sri Lanka est responsable d'arrestations et de détentions arbitraires sans inculpation ni condamnation, de «disparitions», de tortures, de morts durant la détention et d'exécutions extrajudiciaires. Vu la gravité des conséquences éventuelles du rejet, fondé sur la section Fa) de l'article premier de la Convention, de la revendication de l'appelant et la norme de preuve relativement peu rigoureuse à laquelle doit satisfaire le ministre, il est crucial que la section du statut rapporte dans ses motifs de décision les crimes contre l'humanité dont elle a des raisons sérieuses de penser que le demandeur les a commis. On peut dire que faute d'avoir tiré les conclusions nécessaires sur les faits, la section du statut a co mmis une erreur de droit.
[71]Le juge Robertson avait exprimé le même point de vue dans l'affaire Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), à la page 314, après avoir examiné quels étaient les poi nts de droit et les points de fait; selon lui, la question de savoir si la mort de civils causée par des opérations militaires pouvait être qualifiée de crime contre l'humanité était un point de droit. Il avait écrit:
Il semble évident que les questions d e droit ne se prêtent pas à des décisions qui renvoient à des concepts juridiques enchâssés dans une théorie des probabilités. Toutefois, il existe d'autres raisons d'exempter les questions de droit de l'application d'une norme de preuve. Certes, la norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil, établie dans l'arrêt Ramirez , affermit l'opinion voulant qu'il était dans l'intention des signataires de la Convention d'exclure les personnes ne méritant aucune protection. Mais il est difficile de leur prêter l'intention d'établir une norme de preuve préliminaire qui, virtuellement, garantit l'exclusion du demandeur de statut dès que le ministre démontre qu'il existe de «sérieuses raisons de penser» que les gestes ou les omissions du demandeur pourraient être qualifiés de crime contre l'humanité.
[72]Puis, il continue:
À mon avis, il s'agit là d'une question de droit qui doit être tranchée conformément aux principes juridiques plutôt que par référence à une norme de preuve. (Ces principes juridiques seront appliqués à un ensemble de faits établis conformément au fardeau de preuve inférieur à la norme prévue en droit civil, [. . .]
[73]Les commentaires du juge Robertson sont tout à fait à propos dans le cas présent, où une seule fois l'arbitre conclut à une activité terroriste de la part de l'EPR. Selon elle, cette activité s'inscrit dans «les attaques armées menées par surprise qui ont été décrites dans les témoignages produits durant cett e enquête comme autre chose que de simples affrontements militaires».
[74]Cette nécessité d'une désignation précise des actes de terrorisme est illustrée dans plusieurs jugements de la Section de première instance, outre ceux dont fait état le juge Robertson. J'ai à l'esprit les motifs du juge Denault dans l'affaire Baroud , précitée, les motifs du juge Mackay dans l'affaire McAllister , précitée, et la décision récente du juge Blais dans l'affaire Iklhef (Re) (2002) 223 F.T.R. 233 (C.F. 1re inst.).
[75]J'aborderai brièvement certaines conclusions de fait tirées par l'arbitre, qui doivent être annulées parce qu'elles n'ont pas de fondement dans la preuve ou parce qu'elles attestent une incompréhension de la preuve, deux erreurs qu i entrent dans le champ de l'alinéa 18.1(4)d ) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)].
[76]D'abord, l'arbitre, se référant au document non identifié, dit que «ce rapport fait état de pert es humaines qui à une occasion se sont chiffrées à 96». Il ressort clairement du document (dossier certifié, page 59) que les victimes en question étaient des membres des forces de sécurité, et non des civils.
[77]Deuxièmemen t, la conclusion de l'arbitre selon laquelle l'EPR attaquait des édifices gouvernementaux, pour affirmer qu'il s'agissait là d'un acte de terrorisme, n'est pas suffisamment et raisonnablement étayée. Certes, j'admets qu'une bombe ou autre attaque armée lan cée contre un édifice gouvernemental qui est occupé par des employés de l'État serait facilement, avec l'objet requis, considérée comme un acte de terrorisme au sens de l'arrêt Suresh , ou au sens de l'expression «activité terroriste» définie dans la Loi antiterroriste . Le problème ici, c'est que nous ne connaissons pas les circonstances qui ont entouré de telles attaques. L'arbitre a expressément reconnu ce fait lorsqu'elle a dit: [traduction] «La preuve étant si lacunaire dans son contenu et dans ses détai ls, nous ne savons pas ce qui a pu se produire d'autre».
[78]Troisièmement, la preuve produite par l'avocat du demandeur montre que la police agissait en concertation avec les Forces armées mexicaines contre l'EPR, et elle atteste la militar isation de la police dans les zones de conflit (transcription certifiée, pages 171, 284, 302, 332 et 335), ce que semble avoir admis l'arbitre, pour qui «quelle que soit la mesure dans laquelle les forces policières du Mexique peuvent aujourd'hui être asso ciées à l'armée, je ne crois pas que l'on puisse conclure qu'il s'agit à tous égards de la même et unique force. Je ne crois pas que l'on puisse les considérer à toutes fins comme des soldats en campagne». L'arbitre ne cite aucune preuve à l'appui de cette conclusion, qui semble être une déduction dépourvue de force probante. Encore une fois, je pourrais discerner une activité terroriste, sous réserve de l'objet requis, dans une attaque menée contre un policier exerçant des fonctions non militaires d'agent de la paix, mais ce n'est pas ce que révèle l'ensemble de la preuve, qui indique plutôt une police militarisée se livrant à des opérations conjointes avec les Forces armées. Le dossier certifié ne renferme aucune preuve de ce que j'appellerais un policier au sens habituel qui est tué ou blessé à des fins terroristes. Si un policier mexicain était blessé au cours d'une attaque menée par l'EPR, les auteurs de l'attaque pourraient être poursuivis selon le droit pénal mexicain, qu'il s'agisse du code pénal de c e pays ou d'une autre loi, mais cela ne suffit pas en soi pour que soit appliqué aux auteurs le qualificatif de «terroriste» aux fins de l'application de l'article 19 de la Loi.
[79]Quatrièmement, l'arbitre a parlé des menaces proférées à l'encontre de hautes personnalités par l'entremise de médias ou de journaux. Cette conclusion doit être infirmée parce que l'arbitre n'a pas considéré l'ensemble de la preuve. Durant l'audience, le demandeur a expliqué ce que signifient les notes de l'entrev ue conjointe menée par le SCRS et CIC. À la page 466, il expliquait que le DPPR (le parti politique) dirigeant l'EPR envoyait un communiqué à tous les médias dans les zones où sévissait une répression excessive, «et, dans le communiqué, il leur demandait d e bien vouloir mettre fin à vos actes de répression contre nos populations. Autrement, il n'y avait pas d'autre moyen de réagir à une telle agression, pour qui voulait y mettre un terme.»
[80]Finalement, j'aborde la question des enlèvements commis pour financer les activités de l'EPR. Comme on l'a vu, la preuve sur laquelle s'est fondée l'arbitre figure dans le document non identifié de la pièce 2. La pièce tout entière, comme je l'ai déjà mentionné, est contenue dans la phrase suivante:
[traduction] Le mouvement a commis des enlèvements afin de financer ses activités et a indiqué qu'il pourrait imposer une taxe de guerre (AFP, 3 février 1997; EIU, 4e trimestre, 1996, 13).
[81]Je souscris à l'argument de l'avocat du demandeur s elon lequel un enlèvement, sans plus, ne peut automatiquement être assimilé à un acte de terrorisme. Cela dit, je reconnais que la communauté internationale, par l'entremise de sa Convention contre la prise d'otages, proscrit la prise d'otages, qu'elle qua lifie, dans les circonstances que précise cette Convention, d'acte de terrorisme.
[82]Le problème que pose la preuve sur ce point, c'est qu'elle est dépourvue de détails et de circonstances de telle sorte qu'il n'existe dans le dossier aucun e preuve crédible pouvant nourrir, dans l'esprit de l'arbitre, une raison sérieuse de croire qu'un acte de terrorisme avait résulté des enlèvements. Nous ne savons pas si cette prise d'otages est réelle ou imaginaire, qui a été enlevé (un militaire ou un c ivil), combien d'enlèvements ont eu lieu et si ces enlèvements, si tant est qu'ils aient été commis, étaient condamnés par l'EPR. Pour cette raison, la conclusion de l'arbitre ne peut subsister.
[83]La question des enlèvements a été soulevée durant l'interrogatoire du demandeur et elle est reproduite aux pages 470 à 473 du dossier certifié. L'ACPC a posé au demandeur plusieurs questions sur le sujet. Le demandeur a répondu qu'il ne savait pas comment l'organisation obten ait son argent, mais il a nié que l'EPR pratiquât des enlèvements, affirmant que l'EPR bénéficiait d'une base sociale très large grâce à laquelle il obtenait son argent, mais il ne connaissait pas en détail la manière dont cet argent était recueilli. Appelé à préciser ces propos, à la page 472 du dossier certifié, le demandeur a de nouveau affirmé que l'organisation ne commettait pas d'enlèvements, et il savait cela parce que le commandant et des officiers de haut rang l'avaient dit.
[84]Il est bien établi en droit que l'arbitre peut préférer une preuve documentaire au témoignage d'un revendicateur, mais l'arbitre devait expliquer en termes clairs et indubitables pourquoi elle préférait la preuve documentaire au témoignage du demandeur (voir l'arrêt Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 157 N.R. 387 (C.A.F.)). C'est ce que l'arbitre n'a pas fait.
[85]Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'arbitre datée du 29 février 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre arbitre.
[86]Pour ce qui est des questions susceptibles d'être certifiées, je sais que les parties m'ont écrit à ce sujet. Cependant, d'autres questions certifiées découlant des présents motifs pourraient être proposées. Si l'une ou l'autre des parties veut proposer le texte d'une ou de plusieurs questions à certifier, elle devra le faire avant la fin de la journée du mardi 8 avril 2003, et, si l'autre partie souhaite s'exprimer sur une question proposée, elle devra déposer ses observations au greffe de la Cour à la fin de la journée du mardi 15 avril 2003.