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A-552-01

2002 CAF 453

Penner International Inc. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

et

Bison Diversified Inc. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Penner International Inc. c. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Rothstein, Noël et Sexton, J.C.A.-- Winnipeg, 7 octobre; Ottawa, 20 novembre 2002.

Douanes et accise -- Loi sur la taxe d'accise -- Le carburant diesel acheté au Canada et consommé aux États-Unis par des camions faisant le transport commercial de marchandises à partir du Canada a-t-il été «exporté» et donne-t-il droit à un remboursement aux termes de l'art. 68.1(1) de la Loi sur la taxe d'accise? -- Il ne donne pas droit à des «drawbacks» aux termes de l'art. 70(1)a) vu l'absence de preuves indiquant que le carburant a été importé au Canada ou utilisé pour produire des marchandises exportées -- La C.S.C a défini dans l'arrêt Carling Export Brewing le sens qu'avait le mot «exporter» dans un contexte fiscal: le prélèvement de marchandises sur la masse des biens appartenant à notre pays avec l'intention de les fondre à la masse des biens appartenant à un pays étranger et transporter les biens exportés au-delà des frontières du Canada -- L'affaire Carling Export Brewing concernait l'expédition de bière aux États-Unis pendant la Prohibition; la C.S.C. a jugé qu'il était impossible de considérer cette opération comme une exportation commerciale ou une exportation au sens de la loi -- La définition que le dictionnaire donne du mot «exporter» n'est peut-être pas appropriée dans les affaires fiscales -- Il ne faut pas interpréter littéralement les motifs de l'arrêt Carling Export Brewing -- Les faits de la présente espèce correspondent au sens donné au mot «exporter» dans Carling Export Brewing -- Il suffit que les marchandises soient utilisées dans un pays étranger par la personne qui les a emporté du Canada -- Il n'est pas nécessaire que les marchandises aient été vendues dans un pays étranger -- Art. 252(1) de la Loi sur la taxe d'accise examiné -- Jurisprudence américaine examinée de façon détaillée dans les motifs dissidents du juge Sexton, J.C.A. -- Le juge Noël, J.C.A.: même en acceptant la définition plus étroite du mot «exportées» retenue par le juge Sexton. J.C.A., le carburant en question a été transporté à l'extérieur du Canada dans un contexte commercial et «déchargé» aux États-Unis -- Une décision favorable aux appelantes n'entraînerait pas un chaos administratif étant donné que l'énoncé des faits conjoints indique que le carburant a été envoyé à l'extérieur du pays dans le cadre d'une opération commerciale et non par des conducteurs d'automobile privée -- Il n'appartient pas à la Cour de restreindre le sens d'une disposition législative pour faciliter le travail des autorités administratives.

Il s'agit d'un appel formé contre une décision de la Section de première instance selon laquelle le carburant diesel acheté au Canada mais consommé aux États-Unis par des camions exploités commercialement pour transporter des marchandises entre le Canada e t les États-Unis ne constitue pas des marchandises «exportées» du Canada aux fins du remboursement de la taxe d'accise prévu par le paragraphe  68.1(1) de la Loi sur la taxe d'accise. Les années en question sont les années  1989, 1990, 1991 et 1992. Les appelantes soutiennent avoir droit au remboursement de la taxe fédérale de vente et de la taxe d'accise pour les années  1989 et 1990, et à celui de la taxe d'accise pour les années  1991 et 1992. Les appelantes admettent que les demandes concernant les deux premières années sont forcloses aux termes de l'article  68.1, mais elles affirment avoir droit à des «drawbacks» à l'égard de ces années-là aux termes de l'alinéa  70(1)a) de la Loi.

Jugement (le juge Sexton, J.C.A., étant dissident): l'appel est accueilli.

Le juge Rothstein, J.C.A.: Les appelantes n'ont pas droit à des drawbacks, étant donné que l'article  3 du Règlement sur les drawbacks relatifs aux marchandises de fabrication canadienne exportées accorde uniquement des drawbacks à l'égard des droits de dou ane et des taxes d'accise payés pour des matières importées qui ont été employées ou consommées dans la production de marchandises exportées. Il n'existe aucune preuve que le carburant diesel en question ait été importé au Canada, ni qu'il ait été utilisé pour produire des marchandises exportées.

«Exporter» veut dire «expédier d'un pays à un autre». Le carburant en question est visé par la définition du dictionnaire. Cependant, dans le domaine de la fiscalité, l'interprétation qui a été fournie par la Cour suprême du Canada dans un arrêt de  1930, The King c. Carling Export Brewing and Malting Co. Ltd. est impérative: «exporter sous-entend [.  . .] l'idée d'un prélèvement de marchandises sur la masse des biens appartenant à notre pays avec l'intention de les fondre à la masse des biens appartenant à un pays étranger. Ce terme sous-entend aussi l'idée de transporter les biens exportés au-delà des frontières de notre pays avec la réelle intention de ce faire». Dans cette affaire, le contribua ble avait fourni de la bière pendant la Prohibition, la période au cours de laquelle la fabrication et la vente de boissons alcooliques étaient interdites par la loi aux États-Unis. Le juge Duff a retenu l'argument de la Couronne selon lequel il n'était pa s facile de concilier la notion ordinaire d'exportation, telle qu'elle est habituellement comprise dans le commerce et telle qu'elle est envisagée par la loi avec le fait d'envoyer des marchandises aux États-Unis en violant délibérément les lois américaine s. En l'espèce, il n'est aucunement question d'activités illégales, mais l'arrêt Carling Export Brewing nous indique que la définition du mot «exporter» que donne le dictionnaire n'est pas toujours applicable aux affaires fiscales. Il s'agit ici de savoir si le carburant a été prélevé sur la masse des biens appartenant au Canada dans l'intention de le fondre à la masse des biens appartenant aux États-Unis.

Il ne faut pas bien sûr prendre les termes utilisés dans les motifs de l'arrêt Carling Export Brewing dans leur sens littéral. «Appartenant à» ne veut pas dire que les marchandises étaient la propriété d'un État et «prélèvement» et «fusion» ne font pas non plus référence à la séparation ou à l'union physique des marchandises. Dans ce contexte, cette notio n faisait référence à l'enlèvement de marchandises se trouvant dans un pays dans l'intention de les expédier dans un autre pays, où elles seraient utilisées ou vendues, sans qu'elles reviennent dans leur pays d'origine. Le carburant en question a été utili sé par des camions aux États-Unis et n'a donc pas été renvoyé au Canada. Les faits de la présente espèce répondent à l'interprétation du mot «exporter» établie dans Carling Export Brewing . Le mot «exporter» fait habituellement référence à l'expédition de m archandises destinées à être vendues dans un autre pays, mais ce mot n'est pas uniquement lié à des ventes faites dans un pays étranger et il n'est pas nécessaire de donner à ce terme une interprétation si étroite qu'elle n'englobe pas le fait d'utiliser a ux États-Unis des marchandises transportées du Canada vers ce pays. Cette interprétation est confortée par le paragraphe  252(1) de la Loi sur la taxe d'accise qui énonce que le carburant diesel, comme celui qui est en cause ici, ne donne pas droit à un rem boursement de la TPS mais est décrit comme ayant été exporté.

Le juge Sexton, J.C.A., (dissident): l'appel doit être rejeté.

Aux fins de la Loi sur la taxe d'accise, le verbe «exporter» veut dire «envoyer à l'extérieur du pays» aux fins d'effectuer une vente ou une transaction, ou dans l'intention de rechercher un acheteur étranger pour les marchandises ou dans le but de «débarquer» les marchandises dans un pays étranger. Le seul fait de consommer un bien dans un pays étranger ne répond pas au critère énoncé dans Carling Export Brewing . Dans Swan and Finch Company v. United States (arrêt approuvé par notre Cour suprême dans Carling Export Brewing ), la Cour suprême des É.-U. a refusé d'accorder un drawback à l'égard de l'huile de colza qui av ait été consommée, et a jugé que seule l'huile ayant été «expédiée vers des pays étrangers et qui y avait été débarquée» avait été exportée. Pour se conformer au critère à deux volets découlant de l'arrêt Swan and Finch Company , il faut démontrer que le ca rburant diesel en question 1) a été prélevé sur les marchandises appartenant au Canada 2)  dans l'intention de le fondre à la masse des biens appartenant aux États-Unis. Selon la jurisprudence américaine, la fusion des marchandises à la masse des biens du p ays étranger peut s'effectuer de trois façons: 1)  par la vente, 2) par la recherche d'un acheteur étranger, 3)  par le débarquement des marchandises dans un pays étranger. Toutes ces méthodes découlent de l'idée que les marchandises doivent être fusionnées aux activités commerciales d'un pays étranger. L'arrêt Carling Export Brewing va dans le même sens, puisque la Cour a estimé que le mot «exportation» n'englobait pas un type d'exportation qui était tout à fait étranger aux activités commerciales habituelle s. Plus récemment, dans l'arrêt Flavell c. Sous-ministre du Revenu national, Douanes et accise , la Section de la première instance de notre Cour a déclaré qu'il fallait interpréter le mot «exporter» dans un contexte commercial et non pas comme une simple n otion de mouvement mécanique d'un pays à un autre. De nombreux dictionnaires indiquent que ce terme a une connotation commerciale. Une vente n'est peut-être pas absolument nécessaire pour qu'il y ait «exportation», mais l'expédition de la marchandise doit néanmoins avoir un autre but que la seule consommation. L'expédition de marchandises dans l'intention de rechercher un acheteur étranger répondrait au critère du caractère commercial. Il existe peu de décisions canadiennes qui traitent du sens du mot «expo rter» dans le contexte de la vente de marchandises, mais il existe de nombreuses décisions américaines qui appuient la proposition qui vient d'être formulée. Une autre méthode visant à fondre les marchandises avec la masse des biens appartenant à un pays étranger est de les débarquer dans l'intention de les fusionner aux activités commerciales du pays étranger. Ce n'est pas ce qui s'est produit dans le cas du carburant diesel en question. La seule consommation du carburant ne faisait même p as partie des activités d'exportation, et constituait encore moins une «marchandise exportée». Ce point de vue a été adopté dans des décisions américaines récentes et anciennes: «l'huile [.  . .] consommée au cours des expéditions maritimes n'a pas été expo rtée. Nous pourrions aussi bien dire que les provisions qui ont été embarquées sur le même navire pour qu'elles soient utilisées au cours du voyage sont exportées». Les appelantes ont été obligées d'utiliser une partie du carburant au Canada avant de franc hir la frontière des États-Unis. L'achat de carburant constituait donc une opération intérieure et non une exportation. Il n'est pas certain que ce carburant ait été prélevé sur la masse des biens se trouvant au Canada.

L'analyse fondée sur les dispositio ns de la Loi sur la taxe d'accise relatives à la TPS ne permet pas de conforter la conclusion à laquelle en est arrivé le juge  Rothstein, J.C.A. La règle a été établie dans Carling Export Brewing et il n'y a pas lieu de supposer que le législateur a eu l'i ntention de modifier le sens juridique du mot «exportation» dans le contexte de la Loi sur la taxe d'accise, lorsqu'il a modifié une partie de cette loi pour imposer une taxe complètement différente (la TPS).

Enfin, le fait de déclarer que le carburant co nsommé constitue une marchandise «exportée» entraînerait un résultat absurde et illogique et aurait des répercussions négatives sur le plan des politiques: chaque automobile qui consomme du carburant au moment où elle traverse la frontière des États-Unis e xporterait ce carburant et aurait droit à un remboursement de taxe. Cela entraînerait un chaos administratif.

Le juge Noël, J.C.A. (a souscrit aux motifs du juge Rothstein, J.C.A.): Même dans le cas où l'adjectif «exportées» aurait le sens limité que lui attribue mon collègue le juge  Sexton, J.C.A., il est clair que le carburant diesel en question a été transporté à l'extérieur du Canada dans un contexte commercial. Il a été envoyé à l'extérieur du Canada dans l'intention qu'il soit consommé aux États-Unis dans l'exercice de l'activité commerciale consistant à transporter des marchandises. Ce carburant a en outre été «déchargé» aux États-Unis dans tous les sens de ce mot: les réservoirs des camions ont été vidés de leur contenu dans ce pays.

Rien ne permet non plus de penser qu'une décision favorable aux appelantes entraînerait un chaos administratif: l'énoncé conjoint des faits indique que le carburant en question a été expédié du Canada dans le cadre d'une opération commerciale et non par le conducteur d'un véhicule privé. De toute façon, il n'appartient pas à la Cour de restreindre le sens d'une disposition législative pour faciliter le travail de l'administration.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 68.1(1) (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 34; L.C. 1993, ch. 25, art. 60), 70(1)a) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 34; L.C. 1993, ch. 25, art. 62), 252(1) (mod. par L.C. 1993, ch. 27, art. 107; 1997, c. 10, art. 58).

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13.

Ontario Temperance Act (The), S.O. 1916, ch. 50.

Règlement sur les drawbacks relatifs aux marchandises de fabrication canadienne exportées, DORS/78-373, art. 3.

jurisprudence

décision suivie: 

The King v. Carling Export Brewing and Malting Co. Ltd., [1930] R.C.S. 361; [1930] 2 D.L.R. 725; inf. par [1931] 2 D.L.R. 545; [1931] 2 W.W.R. 258; [1931] A.C. 435 (P.C.).

décision appliquée:

Swan and Finch Company v. United States, 190 U.S. 143 (1903).

distinction faite d'avec:

Richfield Oil Corp. v. State Board, 329 U.S. 69 (1946); Hess Oil Virgin Islands Corp. v. Quinn, 16 V.I. 380 (1979); Shell Oil Company v. State Board of Equalization, 64 Cal. 2d 713 (1966); Rice Growers' Association of California v. County of Yolo, 17 Cal. App. 3d 227 (1971); Itel Containers International Corp. v. Huddleston, 507 U.S. 60 (1993).

décisions examinées:

Rex v. Gooderham & Worts Ltd. (1928), 62 O.L.R. 218 (H.C. Ont.); Flavell c. Sous-ministre M.R.N., Douanes et accise, [1997] 1 C.F. 640; (1996), 137 D.L.R. (4th) 45; 117 F.T.R. 1 (1re inst.); inf. (1992), 8 T.T.R. 197 (T.C.C.E.); Old HW-GW Ltd. c. Canada, [1991] 1 C.T.C. 460; (1991), 91 DTC 5327; 43 F.T.R. 197 (C.F. 1re inst ); Molson Companies Ltd. c. Moosehead Breweries Ltd. (1990), 32 C.P.R. (3d) 363; 36 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.); U.S. v. Ehsan, 163 F.3d 855 (4th Cir. 1998); Will-Kare Paving & Contracting Ltd. v. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915; (2000), 188 D.L.R. (4th) 242; [2000] 3 C.T.C. 463; 2000 DTC 6469; Nassau Distributing Co., Inc. v. United States, 29 Cust. Ct. 151 (1952); United States v. National Sugar Refining Co., 39 C.C.P.A. 96 (1951); United States v. Ten Thousand Cigars, 28 Fed. Cas. 38 (1867); The Mary, 16 Fed. Cas. 932 (1812); Canton Railroad Co. v. Rogan, 340 U.S. 511 (1951); Clarke et al. v. Clarke et al., 5 Fed. Cas. 943 (1877); Brown v. The State of Maryland, 25 U.S. 419 (1827); Ammex, Inc. v. Department of Treasury, 237 Mich. App. 455 (1999); R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; (1995), 95 C.C.C. (3d) 481; 36 C.R. (4th) 171; 178 N.R. 161; 79 O.A.C. 81; Swan and Finch Company, 37 Ct. Cls. R. 101 (1901).

décisions citées:

Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100; (2001), 199 D.L.R. (4th) 598; 29 Admin. L.R. (3d) 56; 12 C.P.R. (4th) 417; 270 N.R. 153; United States v. Vowell and M'Clean, 9 U.S. 368 (1809); Grey v. Pearson (1857), 29 L.T.O.S. 67; 10 E.R. 1216 (H.L.).

doctrine

Black's Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1990. «export».

Canadian Dictionary of the English Language: An Encyclopaedic Reference. Toronto: ITP Nelson, 1996. «export».

Concise Oxford Dictionary of Current English, 10th ed. Oxford: Clarendon Press, 2001. «unladen».

Random House Dictionary of the English Language, 2nd ed. New York: Random House, 1987. «exportation».

Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, 3rd ed. Oxford: Clarendon Press, 1990. «export».

Webster's Third New International Dictionary of the English Language. Springfield, Massachussetts: Merriam--Webster Inc. Publishers, 1986. «export».

APPEL d'une décision de la Section de première instance (Penner International Inc. c. Canada (2001), 211 F.T.R. 72) refusant d'accorder un remboursement aux termes de la Loi sur la taxe d'accise sur du carburant diesel acheté au Canada mais consommé aux États-Unis, parce qu'il n'avait pas été «exporté» du Canada. Appel accueilli.

ont comparu: 

Israel A. Ludwig pour l'appelante.

Frederick B. Woyiwada pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Duboff, Edwards, Haight & Schachter, Winnipeg, pour l'appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A.:

LA QUESTION EN LITIGE

[1]La question en litige dans le présent appel formé contre une décision de la Section de première instance ((2001), 211 F.T.R. 72 (C.F. 1re inst.)) est celle de savoir si le combustible diesel acheté au Canada mais consommé aux États-Unis par des camions exploités commercialement pour transporter des marchandises entre le Canada et les États-Unis constitue une marchandise «exportée» du Canada aux fins du remboursement de la taxe d'accise prévu par le paragraphe 68.1(1) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 34; L.C. 1993, ch. 25, art. 60] de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15. Le paragraphe 68.1(1) énonce:

68.1 (1) Lorsque la taxe prévue par la présente loi a été payée sur des marchandises qu'une personne a exportées du Canada en conformité avec les règlements pris par le ministre, un montant égal à cette taxe est, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, payé à la personne si elle en fait la demande dans les deux ans suivant l'exportation des marchandises. [Je souligne.]

[2]Le juge de première instance a déclaré que le combustible diesel n'avait pas été exporté et que, par conséquent, le paragraphe 68.1(1) ne permettait pas le remboursement de la taxe d'accise payée sur ce combustible.

LES ANNÉES D'IMPOSITION EN QUESTION

[3]Les années en question sont les années 1989, 1990, 1991 et 1992. Les appelantes soutiennent avoir droit au remboursement de la taxe fédérale de vente et de la taxe d'accise pour les années 1989 et 1990 et à celui de la taxe d'accise pour les années 1991 et 1992. Leur demande de remboursement porte la date du 30 décembre 1992. Les appelantes admettent que les demandes concernant les années 1989 et 1990 ont été présentées après l'expiration du délai prévu à l'article 68.1. Elles affirment cependant avoir droit à un «drawback» à l'égard de ces années-là aux termes de l'alinéa 70(1)a) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 34; L.C. 1993, ch. 25, art. 62] de la Loi. L'alinéa 70(1)a) énonce:

70. (1) Sous réserve du paragraphe (5), le ministre saisi d'une demande peut, en application de règlements du gouverneur en conseil, accorder un drawback des taxes imposées par les parties III, IV, V ou VI payées à l'égard des marchandises:

a) exportées du Canada;

[4]L'article 3 du Règlement sur les drawbacks relatifs aux marchandises de fabrication canadienne exportées, DORS/78-373, autorise uniquement le drawback à l'égard des droits de douane et des taxes d'accise et de vente payées pour les pièces et matières importées qui ont été employées ou consommées dans la fabrication ou la production de marchandises exportées. Il n'existe aucune preuve que le combustible diesel en question ici ait été importé au Canada. Aucun élément n'indique non plus qu'il ait été employé pour fabriquer des marchandises exportées. Par conséquent, la taxe d'accise qui a été payée à l'égard du combustible diesel ne peut être récupérée sous la forme d'un drawback aux termes de l'alinéa 70(1)a) de la Loi. Seule la taxe d'accise pour les années 1991 et 1992 est donc en litige ici.

ANALYSE

[5]Selon le dictionnaire, le terme «exporter» veut dire [traduction] «envoyer ou emporter» ou «expédier [des marchandises] d'un pays à un autre». (The Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, 3e éd., 1990). Il est clair que le combustible diesel acheté au Canada mais consommé aux États-Unis par des camions transportant des marchandises entre le Canada et les États-Unis est visé par la définition que donne le dictionnaire du mot «exporter». La Cour suprême du Canada a toutefois donné une interprétation de ce terme qui fait autorité dans le domaine de la fiscalité et qui lie notre Cour; elle doit donc être appliquée. Il est intéressant de noter que cette interprétation semble provenir d'un avis qui a été donné en 1883 au président des États-Unis, M. Chester A. Arthur, par le solliciteur général et procureur général suppléant des États-Unis, M. Samuel F. Phillips. Les mots utilisés dans l'avis de Phillips ont été adoptés textuellement par la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Swan and Finch Company v. United States, 190 U.S. 143 (1903). Aux pages 144 et 145, le juge Brewer a déclaré:

[traduction] Quel que puisse être le sens premier que peut avoir ce terme en se basant sur son étymologie, le mot «exporter» tel qu'il est utilisé dans la Constitution et dans les lois des États-Unis a généralement le sens de transporter des marchandises entre notre pays et un pays étranger. «Tout comme la notion juridique d'émigration veut dire se rendre dans un pays étranger sans intention de revenir dans son pays, celle d'exportation consiste à prélever des marchandises sur la masse des biens appartenant à notre pays avec l'intention de les fondre à la masse des biens appartenant à un pays étranger.» 17 Op. Attys. Gen. 583. [Non souligné dans l'original.]

[6]Dans Swan and Finch, la Cour a jugé que l'huile de colza utilisée et consommée sur les navires faisant route vers des ports étrangers n'était pas exportée et ne donnait donc pas droit au drawback des droits payés sur l'huile de colza au moment où elle avait été initialement importée.

[7]Les termes utilisés par la Cour suprême des États-Unis dans Swan and Finch ont été adoptés presque textuellement par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt The King v. Carling Export Brewing and Malting Co. Ltd., [1930] R.C.S. 361, aux pages 371 et 372:

[traduction] De façon générale, exporter sous-entend sans aucun doute l'idée d'un prélèvement de marchandises sur la masse des biens appartenant à notre pays avec l'intention de les fondre à la masse des biens appartenant à un pays étranger. Ce terme sous-entend aussi l'idée de transporter les biens exportés au-delà des frontières de notre pays avec la réelle intention de ce faire. [Soulignement ajouté.]

Cette affaire concernait la prétendue exportation de bière par le Canada aux États-Unis entre 1924 et 1927. S'il y avait eu exportation de bière, celle-ci était exonérée de la taxe de vente et de la taxe d'accise sur la quantité de gallons. C'était à l'époque de la «prohibition» aux États-Unis. Le juge Duff a déclaré à la page 372:

[traduction] Comme je le signalerai plus loin, il n'est pas facile de concilier la notion ordinaire d'exporter, telle qu'elle est habituellement comprise dans le commerce, et telle qu'elle est envisagée par cette loi, avec le genre d'opérations auxquelles se livraient les intimées.

Il a poursuivi à la page 374:

[traduction] La Couronne soutient qu'étant donné que l'exportation alléguée dans cette affaire constitue, comme nous l'avons déjà signalé, une violation délibérée des lois des États-Unis, il est impossible de considérer cette opération comme une «exportation» au sens de la loi. Je suis très favorable au point de vue selon lequel le verbe «exporter» au sens de cette loi n'englobe pas un type d'exportation qui est tout à fait étranger aux activités commerciales habituelles. Les considérations qui militent en faveur de ce point de vue sont si nombreuses et si évidentes qu'il n'y a pas lieu de les préciser davantage.

L'arrêt Carling Export Brewing de la Cour suprême a été infirmé par le Conseil privé, [1931] 2 D.L.R. 545, mais sur un autre point.

[8]Les arrêts Swan and Finch et Carling Export Brewing montrent que la définition que donnent les dictionnaires du verbe «exporter», dans son sens le plus large, n'est peut-être pas celle qu'il faut retenir pour trancher les questions de fiscalité applicables aux marchandises expédiées à l'étranger. Il n'est pas question ici d'illégalité comme dans l'arrêt Carling Export Brewing. Les faits de la présente affaire sont toutefois similaires, sur certains points, à ceux de l'arrêt Swan and Finch. Compte tenu de l'interprétation qu'a donnée la Cour suprême au terme «exporter», il s'agit de savoir si le combustible diesel en question ici a été prélevé sur la masse des biens appartenant au Canada avec l'intention de le fondre à la masse des biens appartenant aux États-Unis.

[9]Il convient de noter tout d'abord qu'il faut interpréter les termes utilisés par la Cour suprême en tenant compte du contexte et non uniquement de leur sens littéral. L'expression «appartenant à» ne veut pas dire que le Canada ou les États-Unis sont propriétaires des biens en question. Les gouvernements des États-Unis ou du Canada n'étaient pas propriétaires, dans un sens littéral, de l'huile de colza dans Swan and Finch, ni de la bière dans Carling Export Brewing. Les mots «prélèvement» et «fusion» ne font pas non plus référence à la séparation ou à l'union physique des marchandises.

[10]Compte tenu du contexte, il me semble que cette notion fait référence à l'enlèvement de marchandises se trouvant dans un pays dans l'intention de les expédier dans un autre pays, où elles seront utilisées ou vendues, sans qu'elles reviennent dans leur pays d'origine. Ce point de vue est conforté par les termes utilisés par la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Swan and Finch, précité, à la page 145.

[traduction] Pour qu'il y ait exportation, il est essentiel que la destination prévue pour les marchandises soit un autre pays ou un autre État.

[11]Il n'est pas contesté que les appelantes ont acquis le combustible diesel au Canada pour l'utiliser dans l'exploitation de camions qui devaient se rendre aux États-Unis. Les demandes de remboursement présentées aux termes du paragraphe 68.1(1) visaient le combustible que les camions avaient consommé pendant qu'ils se déplaçaient aux États-Unis. Le combustible diesel en question n'a donc pas été renvoyé au Canada. Du point de vue de l'interprétation qu'a donnée la Cour suprême au mot «exporter», on peut dire que le combustible diesel a été prélevé au Canada et expédié aux États-Unis dans l'intention qu'il demeure dans ce pays et qu'il y soit utilisé sans être rapporté au Canada. J'estime que cela constitue un prélèvement de combustible diesel sur la masse des biens appartenant au Canada et une fusion de ce combustible à la masse des biens appartenant aux États-Unis. Cette opération est donc conforme à l'interprétation qu'a donnée la Cour suprême à l'expression marchandises «exportées».

[12]On pourrait facilement penser que l'exportation est reliée au transport de marchandises destinées à être vendues dans un autre pays. Certaines définitions du mot exportation citées dans l'arrêt prononcé par la Court of Claims dans Swan and Finch Company, 37 Ct. Cls. R. 101 (1901), tendent à conforter cette opinion. Je ne pense toutefois pas que le mot «exportées» doive être défini si étroitement qu'il soit obligatoire que les marchandises en question fassent l'objet d'une transaction commerciale aux États-Unis. Le juge de première instance a elle-même déclaré, au paragraphe 35, que le mot «exportation» est associé à des échanges «qui constituent habituellement une forme d'opération économique» et je pense que cela est vrai en général. Mais le fait qu'elle ait utilisé le mot «habituellement» indique qu'elle estimait que ce mot n'était pas exclusivement relié à des ventes ou à des transactions portant sur ces marchandises aux États-Unis. Je ne vois pas pourquoi le terme «exportées» ne devrait pas également englober le fait d'utiliser aux États-Unis des marchandises transportées du Canada aux États-Unis.

[13]Au paragraphe 35, le juge de première instance souligne que la Loi sur la taxe d'accise est une loi fiscale qui vise à générer des revenus pour le gouvernement. Je suis d'accord avec elle. Cette Loi prévoit néanmoins des remboursements et il convient de donner effet aux dispositions accordant ces remboursements.

[14]À mon avis, l'interprétation que j'ai donnée au terme «exportées», tel qu'il est utilisé dans le paragraphe 68.1(1), est conforté par les termes qu'a utilisés le législateur au paragraphe 252(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 27 art. 107; 1997, ch. 10, art. 58] de la Loi sur la taxe d'accise qui traite de la taxe sur les produits et les services. J'estime qu'il est pertinent que le législateur ait utilisé ces mots-là au paragraphe 252(1) parce qu'ils se retrouvent dans la même Loi au paragraphe 68.1(1) et parce qu'ils traitent précisément des aspects qui nous concernent ici. Le paragraphe 252(1) énonce:

252. (1) Dans le cas où une personne non-résidente est l'acquéreur d'une fourniture de biens meubles corporels qu'elle acquiert pour utilisation principale à l'étranger et qu'elle exporte dans les 60 jours suivant le jour où ils lui sont livrés, le ministre rembourse à la personne, sous réserve de l'article 252.2, un montant égal à la taxe qu'elle a payée relativement à la fourniture, sauf si la fourniture porte sur les biens suivants:

a) des produits soumis à l'accise;

b) le vin;

c) l'essence, le combustible diesel ou autre carburant, sauf le carburant qui:

(i) d'une part, est transporté dans un véhicule conçu pour le transport en vrac d'essence, de combustible diesel ou d'autre carburant,

(ii) d'autre part, est destiné à être utilisé autrement que dans ce véhicule. [Je souligne.]

[15]Selon mon interprétation du sous-alinéa 252(1)c)(ii), le combustible qui a été acquis au Canada pour être principalement utilisé aux États-Unis par le véhicule dans lequel il est transporté ne donne pas droit à un remboursement de la TPS. Cette disposition qualifie néanmoins d'exporté le bien corporel en question. Autrement dit, ce n'est pas parce que ce combustible ne donne pas droit au remboursement de la TPS qu'il n'a pas été exporté. En fait, selon le sous-alinéa 252(1)c)(ii), le combustible diesel est exporté mais ne donne pas droit à un remboursement.

[16]L'intimée soutient qu'il est important de noter que le paragraphe 252(1) traite uniquement des non-résidents. Je ne vois pas la valeur de cet argument. Il est vrai que le paragraphe 252(1) s'applique uniquement aux non-résidents. Mais cela ne veut pas dire, à mon avis, qu'un produit est exporté lorsqu'il se trouve en la possession d'un non-résident mais qu'il n'est pas exporté s'il se trouve en la possession d'un résident. Par exemple, si quelqu'un achète du vin au Canada, se rend aux États-Unis et le consomme dans ce pays, il me semble que l'on doit dire que le vin a été exporté, que cette personne soit résidente ou non résidente, même si celle-ci n'a pas le droit au remboursement de la TPS qu'elle a payée sur ce vin.

[17]Selon le sous-alinéa 252(1)c)(ii), le combustible diesel qui a été utilisé par le véhicule dans lequel il a été transporté doit être considéré comme ayant été exporté. Il me paraît difficile de penser que le législateur ait pu considérer que le terme «exportées» qui figure au paragraphe 68.1(1) puisse avoir un sens différent. Je pense que le combustible diesel qui a été utilisé par le véhicule dans lequel il a été transporté doit être qualifié d'exporté aux fins du paragraphe 68.1(1). Il donne donc droit au remboursement de la taxe d'accise conformément à cette disposition.

[18]J'ai lu le projet de motifs concordants préparé par le juge Noël et je souscris entièrement à ses motifs.

CONCLUSION

[19]J'accueillerais l'appel avec dépens devant la Section de première instance et devant notre Cour et renverrais l'affaire devant le ministre du Revenu national pour qu'il établisse une nouvelle cotisation conformément aux présents motifs. Les parties ont convenu que les remboursements demandés n'ayant pas été vérifiés, le ministre du Revenu national procédera à une vérification en vue de déterminer le montant des taxes payées et celui des remboursements auxquels les appelantes ont droit et la Cour en ordonne ainsi.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Sexton, J.C.A. (dissident):

Introduction

[20]La question en litige en l'espèce est de savoir si le seul fait de consommer du carburant acheté au Canada mais utilisé par la suite par des camions voyageant aux États-Unis permet de qualifier ce carburant de «marchandise exportée» au sens de la Loi sur la taxe d'accise. Ma conclusion est que, d'après la jurisprudence, le verbe «exporter» est utilisé dans la Loi sur la taxe d'accise dans un sens commercial, à savoir dans le sens d'«expédier à l'étranger» aux fins d'effectuer une vente ou une transaction, ou dans l'intention de rechercher un acheteur étranger pour les marchandises ou dans le but de «débarquer» les marchandises dans un pays étranger.

Analyse

[21]Je ne peux malheureusement pas souscrire à l'interprétation qu'a donnée le juge Rothstein au mot «exporter». Je reconnais que le critère applicable en matière d'exportation semble venir d'un avis fourni, en 1883, au président des États-Unis par le solliciteur général et procureur général suppléant, Samuel F. Phillips, qui a été repris textuellement par la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Swan and Finch Company v. United States, 190 U.S. 143 (1903) (Swan) et qui a été adopté, à son tour, par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt The King v. Carling Export Brewing and Malting Co. Ltd., [1930] R.C.S. 361 (Carling). Je ne peux toutefois accepter que le seul fait de consommer un bien dans un pays étranger réponde à ce critère. Je ne puis donner au mot «exporter» un sens aussi large.

[22]Dans l'arrêt Swan, la Cour suprême des États-Unis a cité à la page 145 le passage suivant qui a été par la suite adopté comme formulation du critère applicable à la question de savoir s'il y a eu exportation:

[traduction] «Tout comme la notion juridique d'émigration veut dire se rendre dans un pays étranger sans intention de revenir dans son pays, celle d'exportation consiste à prélever des marchandises sur la masse des biens appartenant à notre pays avec l'intention de les fondre à la masse des biens appartenant à un pays étranger.»

[23]Dans l'arrêt Swan, la Cour suprême a jugé que l'huile de colza qui avait été consommée, à la différence de celle qui avait été transportée en vue d'être vendue, n'avait pas été exportée. La Cour a refusé d'infirmer la décision de la United States Court of Claims à l'égard de l'huile consommée, qui avait conclu que seule l'huile ayant été «expédiée vers des pays étrangers et qui y avait été débarquée» (au Japon) avait été exportée et donnait donc droit à un drawback (à la page 144).

[24]Les appelantes affirment à la page 8, point 10, de leur mémoire que l'arrêt Swan de la Cour suprême permet d'affirmer ce qui suit:

[traduction] Il est intéressant de noter que, dans le contexte américain, les marchandises se trouvant dans les eaux internationales n'ont été qualifiées d'exportées qu'au moment où elles sont effectivement arrivées dans les eaux territoriales du pays auquel elles étaient destinées, le Japon en l'espèce. Une fois les marchandises arrivées dans les eaux territoriales du Japon, le tribunal a estimé que la consommation de ces marchandises pour la lubrification des moteurs a eu pour effet de les fondre à la masse des biens appartenant à un pays étranger.

[25]Je ne peux accepter l'argument des appelantes. Il y a lieu de noter que la Cour a clairement jugé que la partie de l'huile de colza qui était entrée dans les eaux territoriales du Japon et y avait été consommée ne constituait pas une marchandise exportée, étant donné qu'elle a déclaré que seule l'huile qui avait été débarquée avait été exportée. La Cour a refusé de juger que l'huile de colza qui avait été consommée constituait une marchandise exportée, et, par conséquent, que l'huile consommée n'avait pas été fondue dans la masse des biens au Japon. Il est donc possible de soutenir que le seul fait de consommer un bien ne répond pas au critère de common law de la fusion des marchandises à la masse des biens d'un pays étranger. Dans Swan, c'est le «débarquement» de l'huile qui répondait à ce critère.

[26]Le critère de common law découlant de l'arrêt Swan est en fait un critère à deux volets, dont les deux conditions doivent être remplies pour qu'il y ait juridiquement exportation: 1) le prélèvement de marchandises sur la masse des biens appartenant à notre pays et 2) l'intention de les fondre à la masse des biens appartenant à un pays étranger. Par conséquent, la question est de savoir si le combustible diesel en question ici a été prélevé de la masse des biens appartenant au Canada dans l'intention de le fondre à la masse des biens appartenant aux États-Unis.

[27]La Cour suprême du Canada a adopté ce critère dans l'arrêt Carling et a déclaré [aux pages 371 et 372]:

[traduction] De façon générale, exporter sous-entend sans aucun doute l'idée d'un prélèvement de marchandises sur la masse des biens appartenant à notre pays avec l'intention de les fondre à la masse des biens appartenant à un pays étranger. Ce terme sous-entend aussi l'idée de transporter les biens exportés au-delà des frontières de notre pays avec la réelle intention de ce faire.

La jurisprudence concernant l'interprétation du mot «exporter», en particulier le critère du prélèvement et de la fusion, a donc été introduite dans le droit canadien par l'arrêt Carling en 1930. Il n'existe pas beaucoup d'autres décisions canadiennes qui traitent précisément de l'interprétation du mot «exportation» en tant que prélèvement et fusion de marchandises à la masse des biens appartenant à un pays étranger. L'arrêt Rex v. Gooderham & Worts Ltd. (1928), 62 O.L.R. 218 (Gooderham) de la Haute Cour de l'Ontario, qui portait sur l'imposition d'une taxe de vente sur les boissons alcoolisées, est néanmoins une de ces décisions. Cet arrêt est toutefois antérieur à l'arrêt Carling de la Cour suprême.

[28]J'estime que le combustible diesel utilisé ou consommé par des camions se rendant aux États-Unis n'est pas une marchandise qui répond au critère exposé dans l'arrêt Swan. Je ne suis pas certain que le premier volet du critère concernant le prélèvement soit respecté. Si le combustible diesel a physiquement été emporté à l'extérieur du pays dans les réservoirs des camions, il a néanmoins été acheté au Canada et une partie de ce combustible a été consommé au Canada. Je reviendrai toutefois plus loin sur cet aspect.

[29]Même en supposant qu'il y ait eu prélèvement du combustible sur la masse des biens appartenant au Canada, le fait qu'il a été consommé aux États-Unis ne veut pas nécessairement dire qu'il y ait eu immédiatement fusion du combustible à la masse des biens appartenant aux États-Unis. Il y a lieu d'analyser de façon plus approfondie la définition de l'exportation considérée comme un prélèvement et une fusion. Cette analyse révèle que l'intention de fondre les marchandises à la masse des biens du pays étranger ne peut se déduire de la seule consommation. L'examen de la jurisprudence américaine indique que «la fusion des marchandises à la masse des biens» d'un pays étranger peut s'effectuer d'au moins trois façons différentes: par la vente, par la recherche d'un acheteur étranger ou par le débarquement des marchandises dans un pays étranger. Toutes ces méthodes indiquent que, pour qu'il y ait exportation de marchandises, il faut qu'il y ait fusion des marchandises aux activités commerciales d'un pays étranger. La Cour suprême du Canada a noté cet aspect commercial dans l'arrêt Carling, lorsqu'elle a déclaré à la page 374:

[traduction] La Couronne soutient qu'étant donné que l'exportation alléguée dans cette affaire constitue, comme nous l'avons déjà signalé, une violation délibérée des lois des États-Unis, il est impossible de considérer cette opération comme une «exportation» au sens de la loi. Je suis très favorable au point de vue selon lequel le verbe «exporter» au sens de cette loi n'englobe pas un type d'exportation qui est tout à fait étranger aux activités commerciales habituelles. Les considérations qui militent en faveur de ce point de vue sont si nombreuses et si évidentes qu'il n'y a pas lieu de les préciser davantage. [Non souligné dans l'original.]

[30]De la même façon, dans Gooderham, une affaire touchant l'imposition d'une taxe de vente sur les boissons alcoolisées et les amendes prévues par The Ontario Temperance Act [S.O. 1916, ch. 50], la Cour de l'Ontario a déclaré à la page 227 que le mot «exporté» est utilisé dans un sens commercial:

[traduction] La vente de marchandises déclenche l'imposition de la taxe et il me semble que ce mot est utilisé ici dans son sens commercial. Le Murray's English Dictionary décrit ainsi le sens du mot «exporter» dans son utilisation commerciale, «envoyer des marchandises quelles qu'elles soient d'un pays à un autre». Une telle interprétation serait conforme à l'objectif évident de la disposition accordant une exemption, comme nous l'avons déjà noté. C'est également le sens que l'on donne à ce mot dans son acception habituelle dans les activités commerciales (dans notre pays).

La Cour a donc retenu le sens commercial du mot «exporter».

[31]L'arrêt Swan and Finch Company prononcé par la Court of Claims, 37 Ct. Cls. R. 101 (1901), qui a été approuvé par la Cour suprême des États-Unis, indique également qu'il y a lieu de donner au mot «exporter» un sens commercial. À la page 104, la Cour a déclaré:

[traduction] Si on se limite à la définition générale de ce terme, dont le sens étymologique est celui «d'expédier à l'extérieur de», l'argument [selon lequel l'expédition d'huile sur des bateaux à vapeur et la consommation de cette huile par ces bateaux constitue une exportation] permettrait de régler la présente affaire. Les dictionnaires vont toutefois plus loin. Le mot «exporter» a un sens précis. Il veut dire «envoyer au loin, en tant que marchandises, expédier en vue de la vente ou d'un échange dans un autre lieu ou pays». Les exportations désignent les marchandises expédiées commercialement vers des pays étrangers. L'exportateur est celui qui expédie des marchandises, des biens, de différentes sortes, vers un pays étranger ou vers un lieu éloigné en vue de les vendre. L'exportation est le fait d'exporter ou d'expédier des marchandises d'un pays vers un autre en vue d'en faire le commerce ou la vente. Ces définitions tirées de dictionnaires courants montrent que le seul fait de transporter des marchandises à l'étranger n'est pas le seul élément essentiel de l'exportation. Sur le plan commercial, les marchandises doivent être expédiées à l'étranger à partir d'un port d'origine.

Comme la Court of Claims l'a également déclaré dans Swan à la page 107:

[traduction] L'importation ne désigne pas simplement le fait d'introduire des marchandises. Elle s'effectue au moment où le navire arrive dans un port d'entrée, dans l'intention d'y débarquer son chargement. Cette intention qualifie l'acte et en détermine la nature juridique.

Enfin, à la page 111, la Cour cite le passage suivant:

«Les mots "importations" et "exportations" sont souvent utilisés dans la Constitution. Il existe un lien entre ces deux mots. Il est possible d'affirmer, d'après nos recherches, que chaque fois que les mots "exportation", "importation" ou "impôt" sont utilisés dans des analyses traitant de cette question, telles que nous les avons retrouvées, ils font toujours référence au commerce international, et ils sont toujours accompagnés de certains termes qui indiquent que l'on parle de commerce international.»

Par conséquent, dans l'arrêt Swan, confirmé par la Cour suprême, la Court of Claims a répété à plusieurs reprises que le mot «exporter» devait être utilisé ou interprété dans un sens commercial.

[32]Dans l'arrêt Flavell c. Sous-ministre M.R.N., Douanes et accise, [1997] 1 C.F. 640 de la Section de première instance de la Cour fédérale, la Cour a déclaré qu'il fallait donner au mot «exporter» un sens commercial. M. Flavell interjetait appel de la décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE). La Cour fédérale a fait droit à l'appel de M. Flavell. Dans Flavell, la Cour a analysé de la façon suivante l'interprétation erronée qu'a donnée le TCCE des motifs du juge Strayer dans l'arrêt Old HW-GW Ltd. c. Canada, [1991] 1 C.T.C. 460 (C.F. 1re inst.) (Old HW-GW) [aux paragraphes 23 et 24]:

L'erreur commise par la majorité [du TCCE] est d'avoir conclu, en s'appuyant sur le raisonnement du juge Strayer [Old HW-GW], que le sens du mot «exporter» n'était qu'une simple notion de mouvement mécanique d'un pays à un autre. Pourtant, le raisonnement du juge Strayer en dit beaucoup plus, c'est-à-dire qu'il mentionne un «transfert» de marchandises d'un pays à un autre ou un «envoi» dans un contexte commercial.

En fait, la question est de savoir comment «monsieur Tout-le-monde», comme l'appelle à juste titre [Pierre-André] Coté, interpréterait les mots «exporter» et «importer» utilisés dans une loi régissant la perception des droits de douane. D'après ce que je sais des personnes moyennement informées, il ne fait aucun doute que le commerce international suscite immédiatement à leur esprit des images de camions et de navires transportant des marchandises à destination et en provenance du Canada et d'autres pays du monde entier. Donc, ces mots doivent être interprétés dans ce contexte commercial manifeste. [Non souligné dans l'original.]

[33]Le lien avec le commerce et l'économie doit être plus étroit que le simple fait de consommer un produit canadien de l'autre côté de la frontière avec les États-Unis. Dans l'arrêt U.S. v. Ehsan, 163 F.3d 855 (4th Cir. 1998) (Ehsan), la Maryland Court of Appeals for the Fourth Circuit a déclaré à la page 858 que le sens du mot «exportation» était clair. La Cour a cité le Random House Dictionary of the English Language et noté que «exportation» y est défini comme étant [traduction] «le fait d'exporter, le fait d'envoyer des marchandises à l'extérieur du pays, habituellement pour en faire le commerce» et «le prélèvement de marchandises de la masse générale des biens appartenant aux États-Unis dans l'intention de les fondre dans la masse des biens appartenant à un pays étranger». La Cour a également noté que le verbe «exporter» est défini de la façon suivante dans le Blacks Law Dictionary (6e éd., 1990): [traduction] «envoyer, expédier un article commercial à l'étranger». La Cour a jugé à la page 858 que «toutes» ces définitions, y compris celle qui est basée sur le prélèvement et la fusion, «indiquent clairement que l'exportation fait référence à l'expédition de marchandises d'un pays à un autre dans un but commercial»:

[traduction] Tout au long de cette histoire, «exportation» a toujours voulu dire l'expédition de marchandises vers un pays étranger dans l'intention de fondre ces marchandises dans les activités commerciales de ce pays. «L'intention qualifie l'acte et en détermine la nature juridique». [Non souligné dans l'original.]

[34]Il est possible de trouver d'autres définitions du mot «exportation» qui confirment son association à la notion de commerce, notamment dans le Canadian Dictionary of the English Language: An Encyclopaedic Reference (Toronto: ITP Nelson, 1996), selon lequel le verbe «exporter» veut dire [traduction] «envoyer ou transporter (à titre de marchandises) à l'étranger, en particulier pour le commerce» ou «exporter des marchandises, en particulier pour le commerce». Également, dans le Websters' Third New International Dictionary of the English Language (Springfield, Massachusetts: Merriam--Webster Inc. Publishers, 1986), le mot «exportation» est défini ainsi: [traduction] «ce qui est exporté: marchandise expédiée d'un pays ou d'une région à une autre à des fins commerciales» et «exportateur» veut dire précisément «grossiste qui vend des marchandises à des commerçants ou à des consommateurs industriels dans des pays étrangers».

[35]La Cour a adopté le sens commercial du mot «exporter» lorsqu'elle a interprété la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13]. Si le mot «exporter» est utilisé de cette façon dans cette Loi, il serait logique que le mot «exporter» soit également utilisé dans le sens commercial dans la Loi sur la taxe d'accise. Dans la décision Molson Companies Ltd. c. Moosehead Breweries Ltd. (1990), 32 C.P.R. (3d) 363, de la Section de première instance de la Cour fédérale, la Cour a déclaré ce qui suit aux pages 372 et 373, au sujet de l'objectif législatif de la Loi sur les marques de commerce:

Ce but est manifestement de permettre l'enregistrement et d'assurer le contrôle des marques de commerce utilisées dans le commerce, qu'il s'agisse de commerce intérieur ou international. À mon sens, on atteint ce but en interprétant le mot «exportées» du paragraphe 4(3) comme ayant un sens dépassant celui qui est fondé sur la dérivation latine du mot «exporter», qui signifie porter au dehors, emporter ou envoyer à l'extérieur. Dans le contexte de l'ensemble de la Loi sur les marques de commerce, il faut interpréter les mots «exportées du Canada» comme signifiant «envoyées du Canada à un autre pays dans la pratique du commerce» ou «transporter du Canada à un autre pays dans la pratique du commerce». [Non souligné dans l'original.]

Ainsi, le mot «exporter» utilisé dans la Loi sur la taxe d'accise devrait également vouloir dire envoyer du Canada vers un autre pays dans la pratique du commerce ou transporter du Canada à un autre pays dans la pratique du commerce. Il doit être utilisé dans un sens commercial.

[36]La Cour suprême du Canada a utilisé un raisonnement analogue dans l'arrêt Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915, qui traitait du sens du mot «vente» dans la Loi de l'impôt sur le revenu. La Cour a déclaré aux paragraphes 30 et 31 que le mot «vente» devait être utilisé dans le sens plus général du droit commercial:

Sauf indication contraire expresse, il y a lieu de recourir à l'interprétation qui découle des règles bien établies du droit commercial.

Interpréter en l'espèce le mot vente selon son «sens ordinaire» supposerait que la Loi s'applique en vase clos sans tenir aucun compte de la qualification juridique des rapports commerciaux plus généraux qu'elle vise. Il ne s'agit pas d'un code du commerce qui s'ajoute à une loi fiscale. Notre Cour a tenu pour acquis, dans des arrêts antérieurs, qu'il faut s'en remettre aux règles plus générales du droit commercial pour attribuer un sens à des mots qui, indépendamment de la Loi, sont bien définis.

[37]En dehors de la Loi sur la taxe d'accise, le mot «exporter» est associé au commerce et interprété dans un sens commercial. En l'absence de directive expresse du législateur indiquant que le mot «exporter» utilisé dans la Loi sur la taxe d'accise doit être interprété autrement que selon les règles bien établies du droit commercial, il y a lieu d'utiliser le mot «exporter» dans son sens commercial.

[38]Ainsi, si l'on examine le sens que donnent les lexiques (qui contiennent le vocabulaire d'une branche de connaissances, notamment le commerce) aux termes «marchandise exportée» et «exportation», ainsi que le sens commercial donné au mot «exporter» par la jurisprudence, il est évident qu'il ne suffit pas que des marchandises soient consommées pour qu'il y ait exportation. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il faut procéder à une transaction, comme la vente ou l'échange de marchandises, pour qu'il y ait exportation, même si une telle opération répondrait à l'exigence d'un aspect commercial. Le transport de combustible doit néanmoins avoir un autre but que la simple consommation. Les décisions indiquent quels peuvent être ces buts. Un de ces buts peut être la vente de marchandises dans un pays étranger. Un autre est l'intention de rechercher un acheteur étranger pour les marchandises dont le propriétaire revendique le statut de marchandises exportées. Un autre encore est l'intention de débarquer des marchandises dans l'intention de les fusionner aux activités commerciales du pays étranger.

La vente de biens

[39]Étant donné l'absence de jurisprudence canadienne sur le sens des mots «marchandise exportée», il est utile d'examiner la jurisprudence américaine pour étudier l'application du critère du prélèvement et de la fusion. En fait, la Cour suprême du Canada a eu recours à la jurisprudence américaine pour interpréter des lois traitant d'exportations et d'importations (Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100).

[40]La vente de marchandises expédiées dans un pays étranger répond manifestement à l'exigence d'un «but commercial». Les marchandises exportées vers un pays étranger dans le but d'y être vendues constituent certainement des marchandises exportées, puisque, par l'effet de la vente, elles sont physiquement prélevées sur les marchandises détenues par l'exportateur et fusionnées aux autres marchandises comparables se trouvant aux États-Unis. Lorsque les biens d'un pays sont vendus à des parties se trouvant dans un pays étranger, ils sont échangés pour de l'argent ou pour une contrepartie provenant de ce pays étranger et ils font donc manifestement partie des activités commerciales de ce pays étranger. Par exemple, dans Richfield Oil Corp. v. State Board, 329 U.S. 69 (1946) (Richfield), la Cour suprême a déclaré à la page 78:

[traduction] Demeurent les questions de savoir s'il s'agit ici d'une exportation au sens de la disposition constitutionnelle et, dans ce cas, si cette taxe a été imposée à tort sur ces marchandises.

La condition selon laquelle il doit s'agir de commerce international [. . .] est remplie, parce qu'il est admis que le pétrole a été vendu pour qu'il soit expédié à l'étranger.

L'intention de rechercher un acheteur étranger

[41]Les tribunaux ont jugé que l'intention d'expédier les marchandises combinée à l'intention de rechercher un acheteur étranger répondait au critère de l'aspect commercial.

[42]Dans Ehsan, précité, la Cour a semblé laisser entendre que «la fusion à la masse des biens appartenant à un pays étranger» voulait dire avoir l'intention de rechercher un acheteur étranger. Dans Ehsan, le président Clinton, au pouvoir à l'époque, avait interdit l'importation, l'exportation et la réexportation de marchandises entre les États-Unis et l'Iran, et il était allégué que le défendeur, Ehsan, avait expédié du matériel en violation de cet embargo. Pour contourner l'embargo, Ehsan avait projeté d'expédier le matériel aux Émirats arabes unis et de les réexpédier ensuite vers l'Iran. Ehsan demandait le renvoi des accusations en invoquant le fait que l'expédition de cet équipement vers les Émirats arabes unis était autorisée et que cet équipement avait été seulement réexporté vers l'Iran. La Cour a néanmoins jugé qu'il y avait lieu de maintenir les accusations portées contre Ehsan, étant donné que «réexporter» voulait simplement dire «exporter à nouveau». Aux pages 858 et 859, la Cour a tranché la question de savoir si l'équipement avait effectivement été exporté en Iran en examinant si Ehsan avait véritablement eu l'intention de chercher à le vendre en Iran; la Cour a déclaré que, si tel était le but recherché par Ehsan, le matériel expédié constituait une «exportation» dans le sens courant de ce terme:

[traduction] Si Ehsan avait véritablement l'intention de vendre cet équipement à Dubai, il s'agissait alors d'une exportation vers les Émirats arabes unis [. . .] Cependant, s'il avait l'intention de vendre ces marchandises en Iran, l'expédition du matériel constituait une «exportation», au sens courant de ce terme, vers l'Iran.

Le mot «exportation» a été ainsi associé au fait de rechercher un acheteur étranger. Il est donc évident que le seul fait d'expédier les marchandises aux Émirats arabes unis ne constituait pas une exportation parce que l'expéditeur n'avait pas l'intention de chercher un acheteur étranger. Cependant, étant donné que celui-ci avait l'intention de rechercher un acheteur étranger en Iran, la Cour a conclu qu'il y avait eu exportation vers l'Iran, en violation de l'embargo.

[43]D'autres affaires font ressortir l'importance de l'intention de rechercher un acheteur étranger. Dans Nassau Distributing Co., Inc. v. United States, 29 Cust. Ct. 151 (1952) (Nassau Distributing), la Customs Court, Third Division a déclaré à la page 153 que l'élément déterminant du critère de l'arrêt Swan était, d'après la jurisprudence, l'intention des parties au moment de l'expédition des marchandises. La Cour a jugé à la page 154 que Nassau Distributing Co. avait l'intention exigée: elle avait agi de bonne foi dans le but immédiat de chercher un acheteur étranger.

[44]Dans Nassau Distributing, la Cour a cité United States v. National Sugar Refining Co., 39 C.C.P.A. 96 (1951) (National Sugar) en l'approuvant. Dans National Sugar, la Customs Court a noté à la page 100 que l'intention exigée pour qu'il y ait exportation par prélèvement et fusion est présente [traduction] «dès que l'objectif véritable de rechercher un acheteur à l'étranger coïncide avec une expédition faite de bonne foi». Par conséquent, étant donné que l'intention est, d'après les tribunaux, ce qui qualifie l'acte et en détermine la nature juridique, et que l'intention de prélever et de fusionner a souvent été citée pour indiquer l'existence d'un objectif véritable de rechercher un acheteur étranger, le combustible en question dans l'affaire qui nous occupe ne répond pas au critère du prélèvement et de la fusion. Les appelantes n'avaient pas véritablement l'intention de chercher un acheteur étranger pour le combustible en question, un acheteur distinct de celui des marchandises transportées grâce à la consommation de ce combustible.

L'intention de débarquer les marchandises

[45]Une autre méthode visant à fondre les marchandises avec la masse des biens appartenant à un pays étranger a souvent été citée, la voici: il faut qu'il y ait l'intention de débarquer les marchandises, ou de les décharger, dans l'intention de les fusionner aux activités commerciales du pays étranger. Je ne pense pas que ce critère soit rempli dans le cas du combustible diesel en question ici. Par exemple, dans United States v. Ten Thousand Cigars, 28 Fed. Cas. 38 (1867), la Cour a cité le jugement du juge Marshall de la Cour suprême dans l'arrêt United States v. Vowell and M'Clean, 9 U.S. 368 (1809) (Vowell) pour formuler la proposition suivante: [traduction] «Il y a importation lorsque les marchandises sont introduites à l'intérieur des limites d'un port d'entrée, dans l'intention de les y débarquer». D'après le Concise Oxford Dictionary of Current English (10e éd., 2001), «déchargé» (unladen) désigne [traduction] «le fait de ne pas transporter une cargaison». Par conséquent, «débarquement» (unlading) implique le déchargement d'une cargaison. Le débarquement ou le déchargement d'une cargaison est donc un élément essentiel de l'importation selon ce critère. En outre, l'importation étant le contraire exact de l'exportation, les définitions et les interprétations qui s'appliquent à l'importation s'appliquent également à l'exportation. C'est la raison pour laquelle j'estime qu'une des façons de fusionner les marchandises avec la masse des biens appartenant au pays étranger est de débarquer ou de décharger ces marchandises dans le pays étranger. Cela implique un but commercial.

[46]De la même façon, dans The Mary, 16 Fed. Cas. 932 (1812), le juge Story de la Circuit Court of Massachusetts a déclaré que le débarquement et le déchargement des marchandises étaient un élément essentiel de l'exportation. À la page 933, le juge Story a déclaré qu'il était [traduction] «convaincu qu'il n'avait pas été projeté que les marchandises seraient débarquées dans un des ports des États-Unis [. . .] et que les marchandises n'avaient donc pas été placées à bord dans ce but». Tout en citant l'arrêt Vowell, précité, le juge Story a déclaré à la page 934 que l'intention de décharger les marchandises était un élément constitutif de l'importation. Les procureurs des États-Unis soutenaient que le mot «importer» voulait simplement dire «introduire» dans un pays mais le juge Story a répondu à cet argument à la page 933 en déclarant:

[traduction] Il est possible que l'argument qu'a présenté le procureur soit tout à fait conforme au jus gentium, mais pour ce qui est des lois fiscales, je suis tout à fait convaincu que, pour qu'il y ait importation aux États-Unis, il ne suffit pas d'introduire des marchandises à l'intérieur de nos frontières. Il faut également les introduire dans un port, ou havre, dans l'intention d'y débarquer les marchandises.

En l'espèce, le combustible diesel en question n'a pas été débarqué ni déchargé aux États-Unis. Les appelantes reconnaissent ce fait à la page 2, point quatre, de leur mémoire:

[traduction] Le combustible a été transporté à l'extérieur du Canada dans les réservoirs des camions. Il a été consommé par les camions au cours de leurs opérations. Il n'a pas été déchargé dans un lieu situé à l'extérieur du Canada. Ce combustible n'était pas destiné, outre la livraison des marchandises expédiées, à être vendu ou fourni à un client étranger.

[47]L'affaire Canton Railroad Co. v. Rogan, 340 U.S. 511 (1951) (Canton Railroad) est une autre affaire qui fait ressortir l'importance du débarquement des marchandises dans le pays étranger pour qu'il y ait exportation. Il s'agissait dans cette affaire d'un impôt de franchise exigé par le Maryland des compagnies de chemin de fer, et qui était calculé en fonction de leurs recettes brutes et de la longueur de leurs voies dans cet État. La compagnie de chemin de fer soutenait qu'une partie de ses recettes brutes était exonérée d'impôt parce qu'elle provenait d'activités liées au commerce international sous la forme de manutention de marchandises destinées à l'exportation. La Cour a refusé d'exonérer la société et exigé l'impôt, en déclarant que celui-ci était constitutionnel parce que conforme à la clause de la Constitution des États-Unis en matière d'importation et d'exportation. Cet article relatif aux importations et aux exportations énonce ce qui suit [à la page 513]:

[traduction] «Aucun État ne pourra, sans le consentement du Congrès, lever des impôts ou des droits sur les importations ou les exportations autres que ceux qui seront absolument nécessaires pour l'exécution de ses lois d'inspection [. . .]»

L'impôt en question ne visait pas les marchandises mais la manutention des marchandises dans le port. La Cour suprême des États-Unis a conclu à la page 515:

[traduction] [. . .] toute activité plus éloignée que celle-ci [l'embarquement pour l'exportation et le débarquement pour l'importation] ne marque pas l'expédition des marchandises vers l'étranger ni ne constitue leur arrivée, et par conséquent, ne fait pas partie du processus d'exportation ou d'importation.

Par analogie, la simple consommation du carburant ne peut être considérée comme faisant partie du processus d'exportation, et encore moins, constituer une «exportation». J'estime que le fait de remplir un réservoir au Canada, de consommer ce combustible en traversant la frontière des États-Unis pour y transporter d'autres marchandises, sans jamais débarquer ou décharger ce combustible est plus éloigné que l'embarquement l'est pour l'exportation ou le débarquement pour l'importation, et ne fait pas partie du processus d'exportation et d'importation.

[48]De même, dans Clarke et al. v. Clarke et al., 5 Fed. Cas. 943 (1877), une affaire concernant l'exportation de bois de sciage, la Cour de l'État de la Géorgie a jugé [àla page 945]:

[traduction] [. . .] les marchandises ne perdent pas leur nature d'importation et ne sont pas incorporées à la masse des biens de l'État tant qu'elles n'ont pas quitté la garde de l'importateur ou que celui-ci ne les a pas sorties de leurs caisses. [Non souligné dans l'original.]

En l'espèce, le combustible a été consommé par les camions. Il n'a pas été mis de côté pour être utilisé commercialement aux États-Unis.

[49]De la même façon, dans Brown v. The State of Maryland, 25 U.S. 419 (1827), une affaire concernant l'inconstitutionnalité de l'exercice d'un pouvoir de taxation par rapport à l'article de la Constitution des États-Unis relatif aux importations et aux exportations, la Cour suprême a déclaré aux pages 441 et 442:

[traduction] Il suffit de dire pour l'affaire qui nous occupe que, d'une façon générale, lorsque l'importateur a manipulé la chose importée pour qu'elle s'incorpore et se mélange à la masse des biens du pays, cette chose a peut-être perdu son caractère distinctif d'objet importé et est devenue sujette au pouvoir de taxation de l'État; mais tant qu'elle demeure la propriété de l'importateur, dans son entrepôt, sous sa forme ou dans son emballage original dans lequel elle a été importée, une taxe prélevée sur elle constitue de toute évidente un droit sur des importations et ne peut échapper à l'interdiction énoncée dans la Constitution. [Non souligné dans l'original.]

Il est donc possible de déduire de cette affirmation que l'incorporation ou le mélange d'une marchandise dans la masse des biens d'un pays exige que cette marchandise ait perdu la forme ou l'emballage initial dans lequel elle a été importée. Cela implique un acte positif au moment du débarquement ou du déchargement des marchandises. Le combustible en question n'a jamais quitté son emballage initial dans la mesure où il n'a pas été déchargé ou extrait de son emballage. Il a simplement été consommé. La seule consommation n'est pas compatible avec la notion d'incorporation ou de fusion.

[50]À mon avis, les appelantes n'ont pas établi que les deux conditions du critère applicable étaient remplies. Plus précisément, elles n'ont pas établi que le combustible en question avait été fusionné avec la masse des biens des États-Unis en prouvant qu'il y avait eu une vente ou une opération, ou en établissant l'intention de rechercher un acheteur étranger pour le combustible en question, ou en déchargeant ou débarquant le combustible aux États-Unis. Bref, elles n'ont jamais eu l'intention de fusionner le combustible aux activités commerciales des États-Unis. Comme la Court of Claims l'a déclaré dans l'arrêt Swan, précité, aux pages 108 et 109:

[traduction] Il convient de donner une valeur probante spéciale à l'interprétation du ministère pour tenir compte du fait qu'aucune décision n'a été prise au cours du siècle qui a suivi la loi de 1799 indiquant que le ministère ait considéré que le mot «exportation» faisait référence à autre chose qu'au commerce international.

Insuffisance du seul fait de consommer

[51]Lorsqu'on va au-delà du critère à deux volets, on constate que la jurisprudence américaine plus récente indique que le seul fait de consommer un combustible ne montre pas, à lui seul, qu'il y a eu «exportation». Ce refus de qualifier d'exportation la consommation de combustible s'explique notamment par le fait que le combustible est une des provisions ou des fournitures qu'utilisent les navires qui transportent des marchandises vers des pays étrangers. Il serait illogique de qualifier le combustible de marchandise exportée. Par exemple, dans Swan, précité, décision qui a été approuvée par l'arrêt de 1903 de la Cour suprême, la Court of Claims a jugé à la page 112 qu'on ne pouvait dire que ces produits avaient été exportés:

[traduction] Par conséquent, l'huile chargée dans notre pays et consommée au cours d'une expédition maritime n'a pas été exportée. Nous pourrions aussi bien dire que les provisions qui ont été embarquées sur le même navire pour qu'elles soient utilisées au cours du voyage sont exportées.

[52]Dans Hess Oil Virgin Islands Corp. v. Quinn, 16 V.I. 380 (1979) (Hess Oil), la Cour devait déterminer si Hess devait au gouvernement des îles Vierges des impôts sur ses recettes brutes provenant de la vente de diesel-navire. Hess avait conclu une entente avec le gouvernement des îles Vierges qui accordait à Hess et ses sociétés affiliées une exonération de toutes les taxes sur les recettes brutes provenant de marchandises exportées. Cette exonération ne visait pas les ventes à des tiers indépendants. Après avoir signé cet accord, Hess a commencé à vendre du diesel-navire aux navires faisant le transport de produits pétroliers à destination de sa raffinerie de Sainte-Croix et en provenance de cette raffinerie. Ces navires utilisaient le diesel-navire comme combustible pour se rendre à leurs destinations. Ce combustible était également vendu à des tiers indépendants, autres que Hess ou des sociétés affiliées de Hess, pour alimenter en carburant leurs navires en mer. Il s'agissait de savoir si ces ventes de diesel-navire à des tiers constituaient des «exportations». La Cour a jugé aux pages 386 et 387 que le diesel-navire en question n'était pas une marchandise exportée, étant donné que les ventes représentaient principalement des opérations commerciales locales. Le combustible diesel qu'achetaient les navires n'était qu'un des produits emmagasinés dans les navires et achetés au port pour répondre aux besoins de ces navires au cours de leurs voyages en mer.

[53]De la même façon, le combustible diesel en question ici n'était qu'un des produits qu'utilisaient les camions pour traverser la frontière des États-Unis et n'était donc pas une marchandise exportée. Parmi les produits semblables se trouvant dans le camion, il y avait des produits comme l'huile et le liquide de lave-glace, qui sont consommés en route. Si l'on devait considérer tous ces produits comme des exportations, il faudrait alors logiquement considérer de la même façon les pièces qui s'usent après avoir traversé la frontière. Ces pièces pourraient comprendre les moteurs et les pneus.

[54]La Cour a jugé que le diesel-navire n'était pas une exportation dans Hess Oil, en appliquant l'arrêt Shell Oil Company v. State Board of Equalization, 64 Cal. 2d 713 (1966) (Shell Oil), une affaire qui concernait les droits perçus sur la vente de diesel-navire aux navires faisant du commerce interétatique et international. Dans Shell Oil, la juridiction californienne a jugé que le combustible diesel vendu pour être consommé par des navires «en haute mer pour atteindre des ports étrangers» n'était pas un bien d'«exportation» au sens de l'article de la Constitution des États-Unis relatif aux importations et aux exportations et par conséquent pouvait être taxé (aux pages 718 et 729).

[55]Plus précisément, dans Shell Oil, le tribunal a jugé aux pages 718 et 719 qu'il semblait peu probable que le combustible et les autres biens fongibles utilisés pendant la traversée entre les États-Unis et les rivages étrangers pouvaient être qualifiés d'exportations. Aux pages 721 et 722, le tribunal a déclaré qu'annuler une taxe touchant les produits, processus et services reliés et nécessaires à l'exportation aurait pour effet:

[traduction] [. . .] de viser toutes les forêts, mines et usines du pays et de créer une zone d'immunité fiscale inimaginable jusqu'ici. Une interprétation aussi large et extensive de l'article relatif aux exportations n'a jamais été retenue.

Le tribunal a décidé que la taxe de vente perçue sur le diesel-navire vendu à un navire de transport n'est aucunement reliée aux produits d'exportation que ce navire peut contenir. La taxe ne vise pas les marchandises expédiées à titre d'exportation mais le combustible utilisé pour effectuer le transport de ces marchandises, c'est-à-dire un «bien distinct et différent» qui peut être assujetti à une taxe. Le tribunal a ainsi jugé que la taxe imposée ne violait pas l'article de la Constitution relatif aux importations et aux exportations, étant donné que les marchandises exportées n'étaient pas les biens (le combustible) qui étaient taxés. Le combustible utilisé pour transporter d'autres marchandises n'est pas une marchandise exportée. De la même façon, dans Canton Railroad, précité, la Cour suprême a jugé à la page 515 que lorsque la taxe vise des activités reliées à l'exportation et à l'importation, l'exonération accordée ne peut avoir une portée aussi large. Ainsi, le combustible consommé par les appelantes en question, s'il facilitait les activités d'exportation, ne doit pas être considéré comme étant exonéré de taxe en vertu d'un prétendu statut de «marchandise exportée».

[56]De plus, dans l'affaire Rice Growers' Association of California v. County of Yolo, 17 Cal. App. 3d 227 (1971), à la page 241, qui concernait la constitutionnalité d'une taxe par rapport à l'article de la Constitution des États-Unis relatif aux importations et aux exportations, la Cour d'appel de la Californie a résumé ce qui était établi par la jurisprudence et déclaré ceci à la page 239:

[traduction] Pour résumer: il est de jurisprudence constante que:

[. . .]

(9) Les marchandises ne deviennent pas des «marchandises exportées» du seul fait qu'elles quittent le pays. Par conséquent, le diesel livré à un navire pour qu'il soit utilisé par celui-ci pour se propulser ne constitue pas une marchandise exportée.

[57]Plus précisément, pour ce qui est de l'utilisation en général d'un combustible pour traverser une frontière internationale, il est utile d'examiner l'affaire Ammex, Inc. v. Department of Treasury, 237 Mich. App. 455 (1999) (Ammex). Dans cette affaire, la demanderesse, un distributeur d'essence, demandait le remboursement des taxes sur la vente au détail et sur les carburants qu'elle avait payés en faisant opposition. Il est nécessaire d'examiner les lois qui prévoyaient les taxes en question pour comprendre la décision prononcée. La Loi relative à la taxe sur les carburants en question établissait une taxe à un taux fixe sur chaque gallon de carburant et d'essence vendu au Michigan ou utilisé pour propulser les véhicules à moteur sur les voies et les chemins publics du Michigan. L'objectif de la loi était [traduction] «de taxer l'utilisation des voies publiques par les propriétaires et les conducteurs de véhicules à moteur». Cette taxe était perçue par le fournisseur au moment de la distribution et devait être imposée au consommateur final de l'essence ou du combustible diesel. Dans cette affaire, la demanderesse avait payé la taxe sur le carburant au moment où elle avait acheté l'essence et le carburant diesel auprès de ses fournisseurs. Cette loi prévoyait cependant que «l'acheteur» de l'essence ou du diesel utilisé dans un but autre que l'exploitation d'un véhicule à moteur sur les voies et les chemins publics du Michigan pouvait demander le remboursement de la taxe payée. (Aux pages 459 et 460) La Loi sur la taxe générale de vente en question obligeait le vendeur à payer une taxe pour le privilège d'exercer des activités de vente au détail de biens meubles corporels au Michigan. Lorsque le bien vendu au détail était de l'essence, le détaillant versait la taxe de vente avant d'effectuer la vente, de façon très semblable à celle utilisée pour la perception de la taxe sur le carburant. Dans Ammex, la demanderesse soutenait que l'imposition par l'État des deux taxes constituait une violation de l'article de la Constitution des États-Unis relatif aux importations et aux exportations.

[58]Dans cet arrêt, la Cour a néanmoins conclu que l'essence et le carburant diesel acheté à la demanderesse n'étaient pas des exportations au sens de l'article relatif aux importations et aux exportations. La demanderesse vendait dans son établissement diverses marchandises en quantités adaptées à un «usage personnel», notamment de l'essence et du carburant diesel qu'elle versait directement dans le réservoir des véhicules de ses clients. Chaque client qui pénétrait dans l'établissement de la demanderesse devait en sortir en empruntant le pont Ambassador et entrer au Canada, qui se trouvait à moins de deux milles de l'établissement. La Cour a ainsi conclu que le consommateur final qui achetait du carburant dans l'établissement de la demanderesse au Michigan devait nécessairement utiliser une partie de ce carburant aux États-Unis avant d'entrer au Canada et que, par conséquent, l'essence et le carburant diesel achetés auprès de la demanderesse ne constituaient pas une «exportation» au sens de l'article relatif aux importations et aux exportations. La Cour a déclaré aux pages 464 et 465:

[traduction] [. . .] nous concluons que l'essence et le carburant diesel achetés à la demanderesse n'étaient pas des «exportations» au sens de l'article relatif aux importations et aux exportations. Il est clair que le consommateur final qui achetait du carburant à la demanderesse dans son établissement situé au Michigan devait nécessairement consommer une partie de ce carburant aux États-Unis avant d'entrer au Canada. Par conséquent, Richfield Oil ne s'applique pas directement aux faits de l'espèce. Comme le juge Scalia l'a noté dans son opinion concordante dans Itel Containers, précitée, à la page 82, dans Richfield Oil, aucune quantité de la marchandise «exportée» n'avait été «utilisée ou consommée aux États-Unis» et il n'existait aucune possibilité qu'elle soit «détournée pour un usage intérieur». Étant donné qu'une certaine quantité du carburant achetée par les clients à la demanderesse était nécessairement utilisée aux États-Unis, les opérations en question ne constituaient pas des exportations. Bien au contraire, il s'agissait de simples opérations intérieures qui s'effectuaient dans un lieu situé près de la frontière internationale.

En l'espèce, les appelantes ont été obligées d'utiliser une partie du carburant au Canada avant de franchir la frontière des États-Unis. L'achat du carburant constituait donc une opération intérieure et, selon Ammex, ne constituait donc pas une exportation.

[59]Dans Richfield, précité, l'appelante avait conclu un contrat de vente de pétrole avec le gouvernement de la Nouvelle-Zélande. L'appelante avait livré le pétrole dans la soute d'un navire appartenant au gouvernement de la Nouvelle-Zélande à partir de réservoirs situés à quai, et le pétrole avait ensuite été expédié en Nouvelle-Zélande. Ce pétrole n'avait pas été utilisé ou consommé aux États-Unis. La Cour suprême a jugé que l'impôt perçu sur l'opération était une taxe sur une marchandise exportée, au sens de l'article de la Constitution américaine relatif aux importations et aux exportations et était donc par conséquent inconstitutionnel. Dans son jugement, la Cour a néanmoins déclaré à la page 83:

[traduction] [. . .] au moment où le pétrole a été pompé dans la soute du navire, il est passé sous la garde de l'acheteur étranger et cette opération ne comportait aucun élément ambigu susceptible de rendre, ne serait-ce que probable, le détournement du pétrole en vue d'un usage intérieur. Il n'aurait pas été plus évident que le pétrole avait été expédié en vue de son exportation s'il avait été livré à un transporteur en un lieu situé à l'intérieur du pays.

Le carburant en question en l'espèce n'est jamais passé sous la garde d'un acheteur étranger; il a également été utilisé au Canada avant d'entrer aux États-Unis. Il était donc certain qu'une partie du carburant serait détourné pour un usage intérieur et il existait la possibilité que ce carburant soit entièrement détourné pour un tel usage. Il n'est donc pas clair que ce carburant ait été prélevé sur la masse des biens se trouvant au Canada.

[60]Dans Itel Containers International Corp. v. Huddleston, 507 U.S. 60 (1993), la Cour suprême des États-Unis a établi une distinction avec l'arrêt Richfield et confirmé la validité de la taxe de vente étatique payée par Itel Containers, une société nationale qui faisait la location de conteneurs destinés à être utilisés exclusivement pour les expéditions maritimes internationales. Itel a contesté en vain la constitution-nalité de la taxe en invoquant l'article de la Constitution des États-Unis relatif aux importations et aux exporta-tions. La Cour a jugé aux pages 64 et 78 que cette taxe n'était ni une taxe sur l'importation ou sur les marchandises importées, ni une taxe directe sur les importations et les exportations en transit au sens de l'arrêt Richfield. Il ne s'agissait pas non plus d'une taxe directe sur la valeur des marchandises destinées à l'exportation. Le [traduction] «prélèvement fiscal frappe un service distinct des marchandises [importées] et de leur valeur». Dans un jugement concordant, le juge Scalia a déclaré à la page 82:

[traduction] Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'une marchandise a été exportée lorsqu'elle est destinée à être utilisée dans ce pays, pour la fin à laquelle elle est destinée, avant d'être expédiée à l'étranger [. . .] Dans Richfield, la Cour a noté non seulement qu'aucune partie du pétrole n'était «utilisée ou consommée aux États-Unis» [. . .] mais également que «cette opération ne comportait aucun élément ambigu susceptible de rendre, ne serait-ce que probable, le détournement du pétrole en vue d'un usage intérieur». [. . .] Pour ce qui est des conteneurs dont il s'agit ici, il était, par contre, tout à fait certain qu'après le moment auquel la taxe devenait exigible (c.-à-d., au moment de la livraison des conteneurs vides au preneur) ils seraient utilisés dans ce pays, dans le but d'être remplis de marchandises destinées à l'exportation [. . .] Il n'était pas possible d'affirmer, au moment où la taxe est devenue exigible, que «le processus de [leur] exportation avait commencé».

Par conséquent, étant donné que le carburant en question ici devait nécessairement être utilisé, pour la fin à laquelle il était destiné, à l'intérieur du Canada, avant de traverser la frontière des États-Unis, il ne peut être qualifié de marchandise exportée. L'exportation du carburant n'avait pas commencé au moment où la taxe sur le carburant est devenue exigible.

L'article 252 et ses répercussions

[61]Le juge Rothstein, J.C.A. cite le paragraphe 252(1) de la Loi sur la taxe d'accise pour appuyer son opinion selon laquelle le mot «exportation» comprend le combustible diesel consommé pendant le transport des marchandises en route vers les États-Unis. D'après le juge Rothstein, le sous-alinéa 252(1)c)(ii) énonce que le combustible acquis au Canada pour être utilisé principalement aux États-Unis par le véhicule dans lequel il est transporté ne donne pas lieu à un remboursement mais constitue un bien meuble qui est, selon cette disposition, exporté.

[62]Je ne peux convenir, comme le fait le juge Rothstein, de l'utilité d'une analyse fondée sur une disposition relative à la TPS. L'exportation a été définie comme étant le fait de prélever une marchandise de la masse des biens d'un pays pour le fusionner avec la masse des biens appartenant à un pays étranger dans l'affaire Carling en 1930. Il n'y a pas lieu de supposer que le législateur a eu l'intention de modifier la définition commerciale d' «exportation» applicable à la taxe d'accise en modifiant la partie de la Loi sur la taxe d'accise en 1990 pour imposer une taxe complètement différente (la taxe sur les produits et services). Il est impossible de supposer que le législateur aurait modifié la définition d'«exportation» d'une façon aussi détournée; il l'aurait fait directement. Par conséquent, tant que le législateur n'aura pas modifié directement cette définition qui concerne la partie de la Loi sur la taxe d'accise relative à cette dernière taxe, il m'est impossible de donner au mot «exportation» un sens qui permettrait de qualifier ainsi le combustible diesel consommé au cours du transport d'autres marchandises vers un pays étranger.

Répercussions sur le plan des politiques

[63]Enfin, si notre Cour devait décider que la consommation de combustible diesel constitue une exportation, cela entraînerait des répercussions négatives sur le plan des politiques. Il y a lieu d'interpréter de façon pragmatique la Loi sur la taxe d'accise, de sorte qu'il faut s'interroger sur les effets que pourrait avoir l'interprétation retenue. Les lois doivent être interprétées de façon à éviter les résultats illogiques. Lorsqu'il s'agit de préciser une formulation ambiguë, comme c'est le cas ici à l'égard de la définition imprécise que donne la Loi sur la taxe d'accise du mot «exportation», l'absurdité des résultats peut être un facteur dont il y a lieu de tenir compte pour interpréter cette expression (R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, à la page 704):

En conséquence, ce n'est que lorsqu'un texte législatif est ambigu, et peut donc raisonnablement donner lieu à deux interprétations, que les résultats absurdes susceptibles de découler de l'une de ces interprétations justifieront de la rejeter ou de préférer l'autre. L'absurdité est un facteur dont il faut tenir compte dans l'interprétation de dispositions législatives ambiguës; cependant, il n'existe pas de méthode distincte d'«analyse fondée sur l'absurdité».

En l'espèce, qualifier de marchandise «exportée» le combustible consommé entraînerait un résultat absurde et illogique. Si le seul fait de consommer le carburant suffisait à prélever ce carburant de la masse des biens d'un pays et de le fusionner avec la masse des biens d'un pays étranger, alors chaque automobile qui consomme du carburant au moment où elle traverse la frontière des États-Unis exporterait ce carburant et aurait droit à un remboursement. Un tel résultat serait incongru par rapport à ce que l'on considère couramment comme étant une «exportation» et entraînerait un chaos administratif. Il est impossible que cette mesure législative ait un effet aussi absurde. Il convient de laisser au législateur le soin d'étendre de cette façon la portée de l'exonération accordée aux marchandises «exportées».

[64]Par conséquent, étant donné qu'il n'est pas possible d'affirmer qu'il y avait en l'espèce l'intention de fusionner le combustible avec la masse des biens des États-Unis dans un sens commercial, et que la jurisprudence établit, d'une façon générale, que la consommation de carburant ne constitue pas une exportation, le combustible diesel en question ne constitue pas une marchandise exportée et n'est donc pas exonéré de la taxe d'accise.

[65]Je serais donc d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[66]Le juge Noël, J.C.A. (motifs concordants): J'ai eu la possibilité de lire le projet de motifs des juges Rothstein et Sexton. J'estime que le juge Rothstein en est arrivé à la conclusion correcte pour les motifs qu'il a fournis. Je tiens uniquement à ajouter quelques brefs commentaires au sujet des motifs du juge Sexton.

[67]Dans l'arrêt Swan de la Cour suprême des États-Unis, il n'est aucunement fait mention des eaux territoriales du Japon (motifs du juge Rothstein, au paragraphe 25). La consommation de l'huile de colza dans les eaux territoriales du Japon aurait certainement été interprétée comme un simple détail qui n'était pas en litige dans cette affaire. La question en litige était celle de savoir si l'huile de colza consommée en haute mer avait été exportée. Étant donné que cette huile avait été consommée avant d'entrer dans un autre pays, la condition selon laquelle les marchandises doivent être destinées à un autre pays ou État pour qu'il y ait exportation n'était pas remplie et la Cour a jugé que l'huile de colza n'avait pas été exportée. Le même commentaire s'applique à l'arrêt Hess Oil (précité, au paragraphe 54 des motifs du juge Sexton) de la U.S. District Court, à l'arrêt Shell Oil (précité, ibid) de la California Court et à l'arrêt Rice Growers' Association of California (précité, paragraphe 56 des motifs du juge Sexton) de la California Court of Appeal. En l'espèce, il n'est pas contesté que la destination du combustible diesel en question était les États-Unis.

[68]Les motifs majoritaires ne limitent pas la notion de marchandises «exportées» aux fins du paragraphe 68.1(1) au seul contexte commercial. Il n'est pas nécessaire d'en dire davantage au sujet de la justesse de ce point de vue. Mais même au cas où le sens de l'adjectif «exportées» aurait le sens limité que lui attribue mon collègue (motifs du juge Sexton, au paragraphe 37), il est clair que le combustible diesel a été transporté à l'extérieur du pays dans un contexte commercial. En fait, il a été envoyé à l'extérieur du Canada dans l'intention qu'il soit consommé aux États-Unis dans l'exercice de l'activité commerciale consistant à transporter des marchandises. Il en résulte que le combustible en question a été expédié et utilisé «dans la pratique du commerce» (voir Moosehead Breweries, précité, au paragraphe 35 des motifs du juge Sexton) et dans un «contexte commercial» (voir Old HW-GW Ltd. c. Canada, précité, au paragraphe 32 des motifs du juge Sexton).

[69]Mon collègue semble considérer que, pour qu'il y ait «exportation» il faut qu'il y ait une vente, l'intention de vendre, ou à tout le moins, que les marchandises soient débarquées dans le pays de destination. Je reconnais qu'en l'espèce le combustible diesel n'a pas été vendu et que telle n'était pas l'intention des appelantes. Ce combustible a néanmoins été «déchargé» aux États-Unis dans tous les sens de ce mot (motifs du juge Sexton, au paragraphe 45). Il est constant que le combustible en question a été consommé aux États-Unis, et que les réservoirs des camions ont été vidés ou déchargés de leur contenu dans ce pays. Il est également constant qu'en introduisant aux États-Unis du combustible acheté au Canada, les appelantes n'ont pas, dans cette mesure, acheté de combustible aux États-Unis. Il s'ensuit que le combustible d'origine canadienne a été «déchargé» aux États-Unis que l'on donne à ce mot le sens que lui donne le dictionnaire ou celui que lui attribue la jurisprudence (motifs du juge Sexton, aux paragraphes 46 à 50).

[70]Pour ce qui est des commentaires que fait mon collègue aux paragraphes 59 et 60 de ses motifs, les arrêts Richfield et Itel Containers ne concernent pas des faits semblables à ceux du présent appel. Le combustible diesel en question ici a uniquement été utilisé aux États-Unis pour faire fonctionner les camions d'une entreprise. Il n'est pas question ici d'un détournement de combustible pour une utilisation intérieure. Les remboursements visent uniquement le combustible utilisé aux États-Unis et, selon l'entente conclue par les parties, ils feront l'objet d'une vérification.

[71]Pour ce qui est des commentaires de mon collègue au sujet des politiques (motifs du juge Sexton, aux paragraphes 63 et 64), je ne pense pas que l'idée que le combustible contenu dans le réservoir d'un véhicule qui quitte le pays soit qualifié d'«exporté» au sens de la loi soit absurde. En fait, le paragraphe 252(1) a été rédigé de façon à ce que, lorsque les autres conditions sont réunies, le combustible se trouvant dans le réservoir d'un véhicule qui traverse la frontière est du fait même exporté. Je ne pense pas qu'il nous appartient d'écarter cette disposition pour le motif que le législateur aurait agi de façon irrationnelle en l'adoptant (comparer Grey v. Pearson (1857), 29 L.T.O.S. 67 (H.L.), à la page 71; 10 E.R. 1216).

[72]Enfin, rien ne permet de penser qu'une décision favorable aux appelantes en l'espèce entraînerait un chaos administratif. Sur ce point, j'insiste sur le fait que, d'après l'exposé conjoint des faits, le combustible en question a été envoyé à l'extérieur du pays dans le cadre d'une opération commerciale (et non par le conducteur d'un véhicule privé) et que, quelles que soient les circonstances, il incombe au contribuable qui demande un remboursement d'établir la quantité réelle du combustible qui a été exportée. De toute façon, il n'appartient pas à la Cour de restreindre le sens d'une disposition législative dans le but de faciliter le travail des autorités administratives.

[73]Je disposerais de l'appel comme l'a suggéré le juge Rothstein.

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