A-737-01
2003 CAF 119
Le M.V. «African Cape», ses propriétaires, ses administrateurs, DIMKO International Company S.A. (appelants) (défendeurs)
c.
Francosteel Canada Inc. (intimée) (demanderesse)
Répertorié: Francosteel Canada Inc. c. African Cape (L') (C.A.)
Cour d'appel, les juges Desjardins, Létourneau et Nadon, J.C.A.--Montréal, 4 février; Ottawa, 6 mars 2003.
Pratique -- Frais et dépens -- À la suite d'un arbitrage, la demanderesse a obtenu beaucoup moins que la somme qu'elle réclamait et moins que l'offre de règlement des défendeurs -- L'offre de règlement, qui avait été faite au début de l'instance, a été retirée au cours de l'audience d'arbitrage -- Les parties avaient décidé de réserver l'adjudication des dépens à la C.F.P.I. -- Le protonotaire, dont la décision a été confirmée par le juge des requêtes, a accordé les dépens à la demanderesse, qui a obtenu gain de cause -- Le protonotaire a mal appliqué la règle 400 des Règles de la Cour fédérale (1998) en ne tenant pas compte des facteurs pertinents énumérés à la règle 400(3) -- Le fait que l'intimée ait obtenu gain de cause sur la responsabilité n'est pas déterminant sur l'adjudication des dépens -- Le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en restreignant son examen de l'offre de règlement au montant des dépens -- La règle 420(2)a) est injuste pour les défendeurs et va à l'encontre de l'objectif d'encourager un règlement rapide des litiges en vue de favoriser une administration saine et économique de la justice -- Cette règle devrait être révisée -- Les dispositions comparables des Règles ontariennes ont l'avantage de forcer le règlement hâtif du litige.
Il s'agit de l'appel d'une décision par laquelle le juge des requêtes a rejeté l'appel d'une décision d'un protonotaire qui avait accordé à l'intimée une somme globale de 40 000 $ au lieu des dépens taxés. Le litige porte sur la question de savoir si le protonotaire a exercé régulièrement le pouvoir discrétionnaire que lui confère la règle 400 des Règles de la Cour fédérale (1998) dans sa façon d'adjuger les dépens à l'intimée.
Dans sa déclaration, l'intimée réclamait à l'origine une somme de plus de 5 000 000 $ pour inexécution d'un contrat de transport de tôles en acier entre la Lithuanie et Montréal. Cette somme a par la suite été ramenée à 485 117,99 $. Avant le dépôt de leur défense, les appelants ont offert à l'intimée de régler le litige pour une somme globale de 125 000 $, mais l'intimée a rejeté cette offre. Avant le procès, les parties ont accepté de faire trancher le litige par un arbitre et de réserver l'adjudication des dépens à la Section de première instance. Les appelants ont réitéré leur offre globale de 125 000 $, que l'intimée a une fois de plus rejetée, et l'ont finalement retirée. L'arbitre a accordé à l'intimée une indemnité de 85 879,44 $ avec intérêts, pour un total de 108 887,75 $.
Arrêt: l'appel est accueilli.
Il n'y a aucun doute que le protonotaire a mal appliqué la règle 400 en faisant défaut de tenir compte de deux facteurs: 1) les montants réclamés et obtenus; 2) l'offre de règlement écrite. Parce que l'intimée avait obtenu gain de cause devant l'arbitre sur la question de la responsabilité, le protonotaire a conclu que l'intimée avait droit à ses dépens. Le protonotaire a reconnu que le montant des dépens devait être diminué, étant donné que la somme obtenue était beaucoup moindre que la somme réclamée. Il a par conséquent réduit d'environ 15 000 $ le montant des dépens adjugés. L'offre de règlement faite plus tôt dans le cadre de l'instance par les appelants dépassait la somme finalement obtenue. Si l'offre avait été acceptée, les deux parties auraient épargné des frais considérables. Compte tenu de tous les facteurs pertinents, les appelants ont droit à leurs dépens.
Le juge Létourneau (motifs concordants): L'alinéa 420(2)a) des Règles, que les appelants ont invoqué devant le protonotaire, risque fort de causer des injustices. Si l'offre est révoquée--ne serait-ce que la veille du prononcé du jugement--le défendeur ne peut plus se prévaloir de cette disposition et doit s'en remettre à l'exercice presque illimité du pouvoir discrétionnaire prévu à la règle 400. Si le défendeur maintient son offre, le demandeur peut toujours l'accepter, même après un long procès où les témoins de la défense se sont montrés convaincants. L'alinéa 420(2)a) fait pencher injustement la balance en faveur du demandeur et va à l'encontre de l'objectif précis d'obtenir dès le départ le règlement des litiges en vue de favoriser une administration saine et économique de la justice et de préserver les ressources judiciaires limitées. En comparaison, les dispositions comparables des Règles ontariennes encouragent le règlement hâtif du litige en forçant le demandeur à décider avant l'ouverture de l'audience s'il accepte ou non l'offre, à défaut de quoi il s'expose à devoir payer tous les frais engagés subséquemment par le défendeur. Il est nécessaire de réviser la règle 420.
lois et règlements
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 400, 420(2), Tarif B, colonne III.
Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règle 49.10(2) (mod. par Règl. de l'Ont. 284/-01, art. 11). |
jurisprudence
décision appliquée:
Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394; (1994), 116 D.L.R. (4th) 61; 21 C.R.R. (2d) 236; 24 Imm. L.R. (2d) 117; 167 N.R. 282; 72 O.A.C. 348.
APPEL d'une décision par laquelle un juge des requêtes (2001 CFPI 1363; [2001] A.C.F. no 1866 (1re inst.) (QL)) a rejeté l'appel d'une décision publiée à (2001), 213 F.T.R. 130 par laquelle un protonotaire avait accordé à l'intimée une somme globale à titre de dépens. Appel accueilli.
ont comparu:
Victor DeMarco pour les appelants (défendeurs).
Richard L. Desgagnés pour l'intimée (demande-resse).
avocats inscrits au dossier:
Brisset Bishop, Montréal, pour les appelants (défendeurs).
Ogilvy Renaud, Montréal, pour l'intimée (demande-resse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Nadon, J.C.A.: La Cour est saisie de l'appel d'une décision en date du 11 décembre 2001 [2001 CFPI 1363; [2001] A.C.F. no 1866 (1re inst.) (QL)] par laquelle le juge des requêtes a rejeté l'appel interjeté par les appelants de la décision rendue le 6 novembre 2001 [(2001), 213 F.T.R. 130 (C.F. 1re inst.)] par le protonotaire Richard Morneau.
[2]Le protonotaire était saisi d'une requête conjointe présentée par les parties en vue d'obtenir que les dépens soient adjugés en vertu de la règle 400 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106]. Aux termes de son ordonnance, le protonotaire a accordé à l'intimée une somme globale de 40 000 $ au lieu des dépens taxés.
[3]La question en litige qui nous est soumise est celle de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que le protonotaire avait exercé régulièrement le pouvoir discrétionnaire que lui confère la règle 400 dans sa façon d'adjuger les dépens à l'intimée.
[4]Un bref résumé des faits nous permettra de situer le présent appel dans son contexte.
[5]Le 4 avril 1997, l'intimée a introduit une instance devant notre Cour en vue de réclamer aux appelants des dommages-intérêts pour inexécution d'un contrat de transport de tôles minces en acier entre la Lithuanie et Montréal. Dans sa déclaration, l'intimée réclamait à l'origine une somme de plus de 5 000 000 $. Cette somme a par la suite été ramenée à 485 117,99 $.
[6]Par lettre datée du 29 septembre 1997, avant le dépôt de leur défense, les appelants ont offert à l'intimée de régler le litige pour une somme globale de 125 000 $. Le 17 octobre 1997, l'intimée a rejeté l'offre de règlement des appelants.
[7]Avant que la Cour ne commence à instruire l'affaire, les parties ont accepté de faire trancher le litige par un arbitre unique, qui devait se prononcer tant sur la responsabilité que sur le montant de l'indemnité. Les parties ont en outre convenu que la question des dépens ne serait pas soumise à l'arbitre et qu'elle serait, après la décision de ce dernier, confiée à la Section de première instance pour qu'elle la tranche.
[8]Je tiens à souligner, avant d'aller plus loin, qu'en mars 2000, les appelants ont réitéré leur offre globale de 125 000 $, que l'intimée a une fois de plus rejetée. Finalement, le 9 novembre 2000, au début de la quatrième journée de l'audience se déroulant devant l'arbitre, les appelants ont retiré leur offre.
[9]L'arbitre a rendu sa sentence le 21 décembre 2000. Il a statué que l'intimée avait droit à une indemnité de 85 879,44 $ avec intérêts simples calculés au taux de 7 % à compter du 3 avril 1997 et jusqu'à la date du paiement. Le 30 janvier 1998, les appelants ont payé à l'intimée la somme de 108 887,75 $, qui comprenait le capital et les intérêts, exécutant ainsi intégralement la sentence arbitrale.
[10]Aux termes d'une ordonnance datée du 2 mars 2001, le protonotaire a homologué la sentence arbitrale. En avril 2001, les parties ont déposé une requête conjointe par laquelle elles demandaient la tenue d'une audience spéciale sur les dépens et, aux termes de l'ordonnance qu'il a rendue le 3 mai 2001, le protono-taire a ordonné que la question des dépens soit instruite lors d'une audience spéciale devant avoir lieu à Montréal le 26 septembre 2001.
[11]Lors de l'instruction de la requête conjointe relative aux dépens, l'intimée a soutenu que, comme elle avait obtenu gain de cause devant l'arbitre sur la question de la responsabilité, elle avait donc droit à ses dépens. Les appelants ont adopté un point de vue différent et ont soutenu qu'ils avaient droit à leurs dépens, principalement au motif que la somme de 125 000 $ qu'ils avaient offerte en règlement de l'action de l'intimée dépassait le montant que l'intimée avait obtenu aux termes de la sentence arbitrale.
[12]Le protonotaire a donné gain de cause à l'intimée et lui a adjugé la somme de 40 000 $ à titre de dépens. Par requête datée du 16 novembre 2001, les appelants ont interjeté appel de l'ordonnance du protonotaire devant la Section de première instance. Parce qu'elle était d'avis que le protonotaire n'avait pas mal appliqué la règle 40, le juge des requêtes a rejeté l'appel.
[13]Les appelants soutiennent essentiellement que le protonotaire a de toute évidence mal appliqué la règle 400 et que le juge des requêtes a par conséquent commis une erreur en concluant que le protonotaire avait régulièrement appliqué cet article. À mon avis, cet argument est bien fondé.
[14]Voici les dispositions pertinentes de la règle 400:
400. (1) La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.
[. . .]
(3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants:
a) le résultat de l'instance;
b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;
[. . .]
e) toute offre écrite de règlement;
[15]Le paragraphe 400(1) prévoit que la Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer. Pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, le juge ou le protonotaire peut tenir compte de l'un quelconque des 14 facteurs énumérés au paragraphe 400(3). Ainsi, pour rendre une décision en vertu de cette règle, la Cour tient compte de tous les facteurs pertinents.
[16]Il n'y a pas le moindre doute que le protonotaire a mal appliqué la règle 400, étant donné qu'il a fait défaut de tenir compte de deux des facteurs pertinents énumérés au paragraphe 400(3), en l'occurrence les facteurs b) et e). Après avoir conclu qu'il ne pouvait tenir compte de l'alinéa 420(2)a) parce que l'offre des appelants avait été révoquée au cours de l'audience d'arbitrage, il s'est ensuite penché sur la règle 400. Il s'est dit d'avis que seul le facteur prévu à l'alinéa 400(3)a), c'est-à-dire celui relatif au résultat de l'instance, était pertinent lorsqu'il s'agissait de déterminer laquelle des parties devait être condamnée aux dépens. Aux paragraphes 17 et 18 de ses motifs, le protonotaire déclare:
Au niveau de l'octroi des dépens à l'une ou l'autre des parties, l'autre facteur qui mérite d'être envisagé--et qui doit selon moi gouverner l'octroi des dépens--est le résultat des procédures au sens de la règle 400(3)a).
Sous cet aspect, il m'apparaît que l'on doit considérer que c'est la demanderesse qui doit ici être vue comme victorieuse. En effet, l'arbitre a tranché l'élément de responsabilité en sa faveur. Il est indéniable que l'aspect responsabilité fut l'élément le plus préoccupant du débat lors de la préparation de l'arbitrage et lors de celui-ci. [Non souligné dans l'original.]
[17]Parce que l'intimée avait obtenu gain de cause devant l'arbitre sur la question de la responsabilité, laquelle question était à son avis cruciale, le protonotaire a conclu que l'intimée était victorieuse et que le facteur a) la favorisait. En conséquence, l'intimée avait selon lui droit à ses dépens.
[18]Bien qu'il n'ait pas tenu compte des facteurs b) et e) pour décider laquelle des parties devait être condamnée aux dépens, le protonotaire a effectivement tenu compte de ces mêmes facteurs pour déterminer le montant de l'indemnité que les appelants devaient payer, comme le démontre à l'évidence l'extrait suivant du paragraphe 19 de ses motifs:
De plus, une partie des dommages que la demanderesse réclamait lui fut octroyée. Le fait que la somme obtenue par la demanderesse soit fortement moindre que la somme réclamée pourra, tout comme le fait qu'il y ait eu une offre écrite, porter quant au quantum des dépends à accorder à la demanderesse.
[19]Bien qu'il se soit dit d'avis que les dépens de l'intimée s'élevaient à 55 137,02 $, le protonotaire a ramené cette somme à 40 000 $ parce que les appelants avaient fait une offre de règlement écrite et parce que la somme récupérée par l'intimée était inférieure à la somme réclamée.
[20]Il ressort à l'évidence de la règle 400 qu'il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer, non seulement le montant des dépens, mais aussi pour les répartir et pour désigner les personnes qui doivent les payer. Ainsi, en restreignant son examen des facteurs pertinents au seul facteur a) pour déterminer qui devait être condamné aux dépens, le protonotaire a mal appliqué la règle 400.
[21]Il n'y a aucun doute que les facteurs b) et e) constituaient des facteurs très pertinents, eu égars aux circonstances de l'espèce, et plus particulièrement le facteur e), en l'occurrence l'offre de règlement faite par les appelants. Le protonotaire devait tenir compte de ces facteurs dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire pour déterminer qui, de l'intimée ou des appelants, devait supporter les dépens. Or, le protonotaire a de toute évidence omis de le faire.
[22]C'est manifestement à tort que le juge des requêtes a estimé que le protonotaire n'avait pas mal appliqué la règle 400. À l'instar du protonotaire, le juge s'est dite d'avis que de restreindre l'examen de l'offre de règlement des appelants à la fixation du montant des dépens constituait un exercice régulier du pouvoir discrétionnaire prévu à la règle 400. À mon humble avis, le juge des requêtes a commis la même erreur que le protonotaire, et elle a donc mal appliqué la règle 400. Cette erreur ressort à l'évidence à la lecture des paragraphes 8 à 11 de ses motifs, que je reproduis:
La règle générale veut que les dépens soient normalement accordés à la partie qui a gain de cause, (Merck & Co. c. Novopharm Ltd. (1998), 152 F.T.R. 74 (C.F. 1re inst.); Ticketnet Corp. c. Canada (1999), 99 D.T.C. 5429). En l'espèce, le protonotaire Morneau a décidé que la demanderesse avait eu gain de cause et lui a donc accordé les dépens.
L'article 400 des Règles confère à la Cour un large pouvoir discrétionnaire relativement aux dépens. Le paragraphe 400(3) des Règles énumère un certain nombre de facteurs que la Cour peut vouloir prendre en considération dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cependant, je note également que cette liste n'est pas limitative et que la Cour peut prendre en considération toute autre question qu'elle juge pertinente (article 400(3)o) des Règles). Le montant des dommages-intérêts accordés n'est qu'un des facteurs à prendre en compte dans la détermination du montant des dépens. (Doyle c. Sparrow (1979), 106 D.L.R. (3d) 551 (C.A. Ont.)).
Par ailleurs, le protonotaire n'a pas dit qu'une offre de règlement à l'amiable n'avait aucune influence sur la décision relative au droit aux dépens. Il a plutôt dit qu'elle n'avait aucune influence sur sa prise en compte discrétionnaire du «résultat des procédures» . En fait, le protonotaire Morneau a pris en considération l'offre de règlement dans la détermination du montant à accorder à titre de dépens. (voir paragraphes 16, 19 et 28 de son ordonnance).
Pour ces motifs, je rejette l'argument des défendeurs selon lequel le protonotaire n'a pas appliqué correctement l'article 400 des Règles et, en conséquence, l'appel est rejeté.
[23]Comme le protonotaire n'avait pas accordé suffisamment d'importance à tous les facteurs pertinents, le juge des requêtes aurait dû réviser sa décision (voir l'arrêt Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, à la page 404).
[24]Je suis convaincu que, si le protonotaire avait tenu dûment compte des facteurs b) et e), comme il avait l'obligation de le faire, il en serait arrivé à une conclusion différente sur la partie qui devait être condamnée aux dépens de l'instance.
[25]En premier lieu, ainsi qu'il l'a lui-même fait remarquer au sujet de la détermination du montant des dépens auquel l'intimée avait droit, le montant des dommages-intérêts obtenus par l'intimée en vertu de la sentence arbitrale était considérablement moindre que la somme qui était réclamée dans la déclaration. Deuxièmement, l'offre de règlement faite par les appelants dépassait la somme que l'intimée avait finalement obtenue. L'offre était sans équivoque et elle avait été faite dès le début de l'instance. Si elle avait été acceptée par l'intimée, les parties n'auraient pas engagé les frais considérables qu'elles ont finalement dû supporter. Troisièmement, si l'on tient compte du fait que l'offre de règlement dépassait la somme accordée par l'arbitre, on ne peut affirmer que l'intimée a amélioré sa situation en passant à l'étape de l'audience d'arbitrage. En fin de compte, l'intimée se serait retrouvée dans une situation plus avantageuse si elle avait accepté l'offre de règlement.
[26]Je suis par conséquent d'avis, après avoir tenu dûment compte de tous les facteurs pertinents, que les appelants ont droit à leurs dépens. Je tiens à signaler qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, priver les appelants de leurs dépens aurait pour effet de vider l'offre de règlement de son sens.
[27]Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens tant devant notre Cour que devant la Section de première instance, d'annuler l'ordonnance rendue par le juge des requêtes le 11 décembre 2001 et, rendant le jugement que le juge des requêtes aurait dû prononcer, d'accueillir l'appel interjeté par les appelants de l'ordonnance du protonotaire et d'adjuger aux appelants leurs dépens, qui devront être taxés conformément à la colonne III du tarif B.
Le juge Desjardins, J.C.A.: Je suis du même avis.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[28]Le juge Létourneau, J.C.A.: Je suis d'accord avec mon collègue et je trancherais l'appel de la manière qu'il propose. J'aimerais ajouter de brefs commentaires sur l'alinéa 420(2)a) que les défendeurs [appellants] ont invoqué devant le protonotaire. Cet alinéa est ainsi rédigé:
420. [. . .]
(2) Sauf ordonnance contraire de la Cour, lorsque le défendeur présente par écrit une offre de règlement qui n'est pas révoquée et que le demandeur:
a) obtient un jugement moins avantageux que les conditions de l'offre, le demandeur a droit aux dépens partie-partie jusqu'à la date de signification de l'offre et le défendeur a droit au double de ces dépens, à l'exclusion des débours, à compter du lendemain de cette date jusqu'à la date du jugement;
[29]Dans la plaidoirie qu'il a prononcée devant le protonotaire, l'avocat des défendeurs soutenait que l'on devait lire, du moins implicitement, dans l'alinéa 420(2)a) les prescriptions suivantes que l'on trouve au paragraphe 49.10(2) [mod. par Règl. de l'Ont. 284/01, art. 11] des Règles de procédure civile [R.R.O. 1990, Règl. 194] de l'Ontario:
49.10 [. . .]
(2) Si une offre de transaction:
a) est présentée par un défendeur au moins sept jours avant le début de l'audience;
b) n'est pas retirée et n'expire pas avant le début de l'audience;
c) n'est pas acceptée parle demandeur,
et que le demandeur obtient un jugement aussi favorable, ou moins favorable, que les conditions de l'offre, le demandeur a droit aux dépens d'indemnisation partielle à la date de la signification de l'offre et le défendeur a droit aux dépens d'indemnisation partielle à compter de cette date, sauf ordonnance contraire du tribunal.
Le protonotaire a, à bon droit, refusé de retenir l'argument de l'avocat et a conclu que, dans sa rédaction actuelle, l'alinéa 420(2)a), ne s'appliquait pas en l'espèce parce que l'offre écrite présentée par les défendeurs avait été révoquée le quatrième jour de l'audience présidée par l'arbitre. Le défendeurs ont décidé pour plusieurs raisons de retirer leur offre ferme alors que le tiers de l'audience s'était déjà déroulé. Premièrement, l'offre avait été faite tôt pour éviter un procès. Deuxièmement, les défendeurs avaient déjà englouti des sommes considérables pour contester la demande sur ce point. Troisièmement, comme la preuve évoluait, les défendeurs croyaient que leur offre était trop généreuse: ils craignaient qu'elle soit acceptée à la fin de l'audience d'arbitrage et de se retrouver avec des frais irrécouvrables considérables.
[30]Dans sa rédaction actuelle, l'alinéa 420(2)a) risque fort de causer des injustices. Ainsi que la présente instance le démontre, si l'offre est révoquée, ne serait-ce que la veille du prononcé du jugement ou de la mise en délibéré, le défendeur ne peut plus se prévaloir de cette disposition et doit s'en remettre à l'exercice presque illimité du pouvoir discrétionnaire prévu à la règle 400. Comme la présente espèce le démontre selon moi, rien ne garantit que, même avec les meilleures intentions du monde, celui qui est investi de ce pouvoir l'exercera de façon judiciaire. De plus, le défendeur doit s'acquitter de la lourde et difficile charge de prouver que le pouvoir discrétionnaire en question n'a pas été exercé de façon régulière.
[31]La situation du défendeur n'est pas meilleure s'il maintient son offre comme l'exige l'alinéa 420(2)a). Après neuf jours de procès, le demandeur qui s'aperçoit que les témoins de la défense sont convaincants et qu'en conséquence, ses chances de gagner diminuent peut décider d'accepter une offre non révoquée. Le défendeur se retrouve alors dans une situation peu reluisante. D'une part, il ne peut réclamer le double des dépens comme le lui permet cet article des Règles parce qu'aucun jugement ne sera rendu. Il ne saura jamais si l'offre aurait été égale ou supérieure à ce qui aurait été accordé. Il risque aussi d'être doublement pénalisé si son offre comprenait les dépens du demandeur qu'il n'aurait peut-être pas eu à payer si un jugement avait été rendu. D'autre part, à cause de l'acceptation tardive de l'offre, il doit engager des frais judiciaires élevés même si son offre, comme en l'espèce, a été faite longtemps avant le début de l'audience. Le défendeur ne peut par la suite récupérer les frais d'audience engendrés par le défaut du demandeur d'accepter l'offre en temps utile.
[32]Dans sa rédaction actuelle, l'alinéa 420(2)a) fait pencher injustement la balance en faveur du demandeur et désavantage le défendeur, qui supporte tous les risques de la non-révocation de l'offre. Il ne facilite pas l'atteinte de l'objectif précis d'obtenir dès le départ le règlement des litiges en vue de favoriser une administration saine et économique de la justice et des ressources judiciaires limitées; en fait, il va à l'encontre du but recherché. En comparaison, les dispositions précitées des Règles ontariennes ont l'avantage de forcer le règlement hâtif du litige en donnant suite à l'offre de transaction. Le demandeur doit décider avant l'ouverture de l'audience s'il accepte ou non l'offre, à défaut de quoi il s'expose à devoir payer tous les frais engagés subséquemment par le défendeur s'il n'accepte pas l'offre au moment où il devait le faire. Qui plus est, les Règles ontariennes semblent être meilleures et mieux encadrer l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans l'intérêt supérieur de la justice et de l'efficacité.
[33]En conclusion, la présente affaire, qui a donné lieu à un procès long et coûteux sur la question des dépens, illustre bien, à mon avis, la nécessité de réviser la règle 420.