A-422-01
2002 CAF 216
SmithKline Beecham Pharma Inc. et Beecham Group p.l.c. (appelantes) (demanderesses)
c.
Apotex Inc. et Le ministre de la Santé (intimés) (défendeurs)
Répertorié: SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (C.A.)
Cour d'appel, juges Linden, Evans et Malone, J.C.A.-- Toronto, 9 mai; Ottawa, 28 mai 2002.
Brevets -- Appel du rejet d'une requête présentée en vertu de l'art. 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité -- SmithKline a obtenu un brevet pour le chlorhydrate de paroxétine formulé selon les méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer -- Par la suite, SmithKline a découvert que le procédé de formulation par voie humide entraîne l'apparition d'une coloration rose non souhaitable -- Elle a obtenu un deuxième brevet pour la paroxétine formulée au moyen d'un procédé sans eau -- Le juge des requêtes a conclu que SmithKline n'avait pu démontrer que l'allégation formulée par Apotex selon laquelle le deuxième brevet était invalide pour cause d'antériorité n'était pas fondée -- Appel rejeté -- Le critère juridique pour l'anticipation consiste à déterminer si la publication antérieure renferme suffisamment d'information pour permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre la nature de l'invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l'aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d'ordre technique -- La question de l'antériorité à l'égard d'une invention est une question mixte de fait et de droit -- Comme le juge des requêtes a utilisé le critère juridique approprié de l'antériorité, la Cour d'appel n'interviendrait que si la conclusion du juge des requêtes constitue une erreur manifeste et dominante -- Le juge des requêtes a constaté que le deuxième brevet n'avait nécessité aucune étape inventive ni aucun génie inventif -- Les appelantes n'ont pas établi que le juge des requêtes a commis une erreur en prenant en considération l'ensemble de la preuve pour arriver à sa conclusion -- La Cour n'est pas disposée à modifier ce qui constitue essentiellement une conclusion de fait.
Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre du rejet d'une requête présentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à l'intimée, Apotex Inc. (Apotex), pour des comprimés de chlorhydrate de paroxétine. Le brevet no 1287060 (le brevet 060) a été délivré à SmithKline pour le chlorhydrate de paroxétine cristallin, formulé selon les méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer. Par la suite, SmithKline a découvert que le procédé de formulation par voie humide entraîne l'apparition d'une coloration rose non souhaitable sur les comprimés. Elle a obtenu le brevet no 2178637 (le brevet 637) pour la paroxétine formulée au moyen d'un procédé sans eau. La divulgation reconnaît que ces techniques sont habituellement connues en sciences pharmaceutiques. Apotex a fait une présentation abrégée de drogue nouvelle en vue d'obtenir un avis de conformité pour sa propre formulation de comprimés de chlorhydrate de paroxétine. Elle a allégué que le brevet 637 de SmithKline est invalide en raison de l'antériorité constituée par le brevet 060. En réponse, SmithKline a demandé une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité. Le juge des requêtes a conclu que SmithKline n'avait pu démontrer que l'allégation formulée par Apotex selon laquelle le brevet 637 était invalide pour cause d'antériorité n'était pas fondée. La question en litige est de savoir si c'est à tort qu'il est arrivé à cette conclusion.
Arrêt: l'appel doit être rejeté.
L'antériorité est difficile à établir. La question qui se pose au plan juridique est de savoir si la publication antérieure (le brevet 060) renferme suffisamment d'information pour permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre la nature de l'invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l'aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d'ordre technique. La question de l'antériorité à l'égard d'une invention revendiquée est une question mixte de fait et de droit, car elle suppose l'application d'une norme juridique à un ensemble de faits. Le juge des requêtes a utilisé le critère juridique approprié de l'antériorité. La Cour d'appel n'interviendrait que si la conclusion du juge des requêtes constitue une erreur manifeste et dominante.
Le juge des requêtes a constaté que le brevet 637 n'avait nécessité «aucune étape inventive ni aucun génie inventif». Les instructions permettant d'arriver à la formulation revendiquée dans le brevet 637 sont clairement et infailliblement présentes dans le brevet 060. Il faut une habileté d'ordre technique, plutôt que du génie inventif, pour appliquer le brevet 060 et arriver au brevet 637. Les appelantes n'ont pas établi que le juge des requêtes a commis une erreur en prenant en considération l'ensemble de la preuve pour arriver à sa conclusion. Le fait que le brevet 060 renferme des renseignements et des instructions supplémentaires, absents du brevet 637, est sans importance pour établir si le brevet 060 contient tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production du brevet 637 sans l'exercice de quelque génie inventif.
L'article 32 de la Loi sur les brevets permet à l'auteur d'un perfectionnement à une invention brevetée d'obtenir un brevet pour ce perfectionnement. Mais le juge des requêtes a conclu qu'il n'y a aucun «perfectionnement» revendiqué dans le brevet 637. La Cour d'appel n'est pas disposée à modifier la conclusion qu'il n'y a rien de nouveau ou de neuf dans le brevet 637, qui constitue essentiellement une conclusion de fait.
SmithKline fait également allusion à l'apparente incohérence de la décision du juge des requêtes, qui conclut que le brevet 637 est antériorisé, mais n'est pas évident. Compte tenu du fait que le brevet 637 est antériorisé, si SmithKline a effectivement raison d'affirmer qu'une invention ne peut à la fois être antériorisée et avoir un caractère non évident, la seule déduction possible dans ce cas serait de conclure à l'évidence de l'invention. Mais comme SmithKline n'a pas contesté la décision du juge des requêtes sur le caractère non évident de l'invention, la Cour d'appel n'a pas à se prononcer sur la question, mais note simplement que les notions de l'antériorité et du caractère évident de l'invention sont distinctes.
lois et règlements
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 28.2(1) (édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 33), 32.
Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.004 (mod. par DORS/95-411, art. 6). |
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 6(1) (mod. par DORS/98-166, art. 5). |
jurisprudence
décisions appliquées:
Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; (2000), 194 D.L.R. (4th) 232; 9 C.P.R. (4th) 168; 263 N.R. 150; Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289; 64 N.R. 287 (C.A.F.).
distinction faite d'avec:
Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F. 1re inst.); Farbwerke Hoechst c. Halocarbon (Ontario) Ltd., [1979] 2 R.C.S. 929; (1979), 104 D.L.R. (3d) 51; 42 C.P.R. (2d) 145; 27 N.R. 582; General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A.).
décisions citées:
Diversified Products Corp. v. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350; 125 N.R. 218 (C.A.F.); Reeves Brothers Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd. (1978), 43 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.); Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577; [2002] 7 W.W.R. 1; 30 M.P.L.R. (3d) 1; 219 Sask. R. 1; 286 N.R. 1 (C.S.C.); E. I. Du Pont de Nemours & Co. (Witsiepe's) Application, [1982] F.S.R. 303 (H.L.).
doctrine
Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed. Toronto: Carswell, 1969.
Hughes and Woodley on Patents, looseleaf ed. Toronto: Butterworths, 1984.
APPEL du rejet d'une requête visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité (SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2001] 4 C.F. 518; (2001), 14 C.P.R. (4th) 76 (1re inst.)). Appel rejeté.
ont comparu:
Anthony George Creber et James E. Mills pour les appelantes (demanderesses).
Harry B. Radomski, Andrew R. Brodkin et Ivor M. Hughes pour l'intimée (défenderesse) Apotex Inc.
Personne n'a comparu au nom de l'intimé (défendeur) le ministre de la Santé.
avocats inscrits au dossier:
Gowling Lafleur Henderson LLP, Ottawa, pour les appelantes (demanderesses).
Goodmans LLP, Toronto, pour l'intimée (défenderesse) Apotex Inc.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé (défendeur) le ministre de la Santé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Linden, J.C.A.:
INTRODUCTION
[1]Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une ordonnance du juge Gibson [[2001] 4 C.F. 518 (1re inst.)] (le juge des requêtes) rejetant une requête présentée en vertu du paragraphe 6(1) [mod. par DORS/98-166, art. 5] du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, (le Règlement). Les appelantes, SmithKline Beecham Pharma Inc. et Beecham Group p.l.c. (SmithKline), voulaient obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à l'intimée, Apotex Inc. (Apotex), pour des comprimés de chlorhydrate de paroxétine. Le juge des requêtes a refusé de prononcer l'ordonnance.
[2]Le présent appel porte essentiellement sur la relation entre deux brevets concernant la paroxétine, médicament courant pour le traitement de la dépression. L'unique question à trancher, selon l'appelante, porte sur le point de savoir si un brevet a été antériorisé par un autre de sorte qu'il est invalide. J'estime que le juge des requêtes n'a pas commis d'erreur en concluant à l'invalidité du second brevet.
LES FAITS
[3]Les lettres patentes canadiennes no 1287060 (le brevet 060), intitulées «Crystalline Paroxetine HCL», ont été délivrées à SmithKline le 30 juillet 1991. Le résumé du brevet 060 indique qu'il concerne [traduction] «le chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté cristallin, ses procédés de préparation et les compositions qui en contiennent». La divulgation du brevet 060 renferme les énoncés suivants, qui intéressent particulièrement le présent appel:
[traduction] Sous son aspect privilégié, la présente invention permet d'obtenir du chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté sous forme acceptable sur le plan pharmaceutique.
La présente invention permet aussi d'obtenir une composition pharmaceutique comprenant du chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté cristallin et un adjuvant acceptable sur le plan pharmaceutique.
Les compositions de cette invention sont habituellement adaptées pour une administration par voie orale, mais les formulations destinées à une dissolution en vue d'une administration parentérale font également partie de cette invention.
La composition adopte généralement des formes posologiques unitaires contenant de 1 à 200 mg, plus souvent de 5 à 100 mg, par exemple de 10 à 50 mg, comme 12,5, 15, 20, 25 ou 30 mg. La composition se prend normalement de 1 à 6 fois par jour, par exemple 2, 3 ou 4 fois par jour, de manière que la dose totale de l'ingrédient actif administré se situe dans la fourchette de 5 à 400 mg.
Les formes posologiques unitaires privilégiées comprennent les comprimés ou les capsules.
La composition de cette invention peut être formulée suivant les méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer. [Soulignement ajouté.]
[4]Après la délivrance du brevet 060, l'apparition d'une teinte ou d'une coloration rose sur certains comprimés de paroxétine produits par SmithKline a constitué un sujet de préoccupation majeur pour SmithKline. Elle a remédié au problème en utilisant un procédé de fabrication sans eau, comme la [traduction] «compression directe» ou la [traduction] «granulation par voie sèche». Après la découverte du procédé qui résolvait le problème, SmithKline a demandé et obtenu les lettres patentes canadiennes nº 2178637 (le brevet 637), qui visaient la divulgation de [traduction] «formulations nouvelles» de paroxétine.
[5]Le brevet 637, intitulé «Paroxetine Tablets and Process to Prepare Them», a été déposé le 14 décembre 1994 et il comporte une date de priorité fixée au 15 décembre 1993. Le résumé du brevet 637 indique qu'il concerne de la [traduction] «paroxétine formulée en comprimés à l'aide d'un procédé sans eau». La divulgation du brevet 637 fait mention de la [traduction] «teinte rose, [ce qui n'est] absolument pas souhaitable» et affirme: [traduction] «Nous avons également découvert à notre grande surprise que la paroxétine formulée en comprimés au moyen d'un procédé sans eau risque beaucoup moins de prendre cette teinte rose.» La divulgation reconnaît que ces techniques sont [traduction] «habituellement connues en sciences pharmaceutiques». Aucune des revendications du brevet 637 ne fait référence au problème de la coloration rose; les revendications se fondent toutes sur la première, qui porte: [traduction] «Une formulation de paroxétine qui est préparée en comprimés sur une base commerciale en utilisant un procédé de fabrication sans eau.»
[6]Apotex a fait une présentation abrégée de drogue nouvelle en vue d'obtenir un avis de conformité en vertu de l'article C.08.004 [mod. par DORS/95-411, art. 6] du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, pour sa propre formulation de comprimés de chlorhydrate de paroxétine. Le 1er mars 1999, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), précité, Apotex a allégué, entre autres éléments ne faisant pas l'objet du présent appel, que le brevet 637 de SmithKline est invalide en raison de l'antériorité constituée par le brevet 060. Le 16 avril 1999, en réponse à l'allégation d'Apotex, SmithKline a demandé une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité.
LA DÉCISION DU JUGE DES REQUÊTES
[7]Le juge des requêtes a fait remarquer au départ qu'Apotex avait le fardeau initial de présenter la preuve de ses allégations, mais qu'une fois les questions mises en jeu, il incombait à SmithKline de réfuter les allégations d'Apotex. Selon le juge des requêtes, SmithKline n'était pas tenue de justifier la validité du brevet ni d'établir la contrefaçon, mais devait simplement réfuter les allégations d'Apotex et, pour ce faire, pouvait s'appuyer sur la «présomption de validité» du brevet.
[8]Le juge des requêtes a conclu qu'Apotex avait produit suffisamment d'éléments de preuve pour mettre en jeu l'antériorité et que les appelantes n'étaient pas parvenues à établir que le brevet 637 n'avait pas été antériorisé par le brevet 060. Il est donc arrivé à la conclusion que SmithKline n'avait pu démontrer que l'allégation d'invalidité d'Apotex n'était pas fondée et il a déclaré [aux paragraphes 40 et 44]:
Ayant conclu que la formulation par voie humide des comprimés de paroxétine suscite un [traduction] «problème de coloration rose», dont l'importance est telle qu'elle pousse une personne au fait de l'art à chercher à le résoudre, à tout le moins en partie, je suis persuadé que logiquement, la première étape de toute personne au fait de l'art serait de se tourner vers les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pour voir si l'un ou l'autre ne résoudrait pas, en totalité ou en partie, le problème. Je suis également persuadé que cette recherche n'impliquerait aucune étape inventive ni aucun génie inventif. Elle mettrait seulement en jeu l'application de l'enseignement du brevet 060.
[. . .]
En résumé, j'arrive donc à la conclusion qu'une personne versée dans l'art, sur la base de l'antériorité citée, soit le brevet 060, et des connaissances courantes aux époques pertinentes, serait arrivée infailliblement à la formulation revendiquée par le brevet 637. Interprétées de manière large, les revendications divulguées dans ce brevet ne comportent aucune étape inventive. SmithKline n'est tout simplement pas parvenue, selon la preuve établie devant moi, à s'acquitter de son «fardeau de persuasion» qui consistait à démontrer que l'allégation d'invalidité n'était pas fondée.
[9]Toutefois, le juge des requêtes a rejeté les autres motifs d'invalidité invoqués dans l'avis d'allégation d'Apotex, notamment le caractère évident et l'absence d'utilité de l'invention, ainsi que l'allégation portant que, si le brevet 637 était valide, les comprimés de chlorhydrate de paroxétine d'Apotex ne constituaient pas une contrefaçon du brevet.
LA QUESTION SOULEVÉE
[10]La seule question soulevée par les appelantes est de savoir si le juge des requêtes a eu raison de décider que SmithKline n'était pas parvenue à réfuter l'allégation d'Apotex visant l'invalidité du brevet pour cause d'antériorité. Comme le juge des requêtes a tranché en faveur des appelantes les autres questions litigieuses entre les parties, SmithKline n'interjette pas appel de ces conclusions.
ANALYSE
[11]Les brevets sont souvent décrits comme un marché en vertu duquel l'inventeur accepte de divulguer son invention au public en contrepartie du droit exclusif de l'exploiter pendant un certain laps de temps (Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 13). Si l'invention censée être divulguée n'est pas nouvelle, alors le public ne reçoit rien en échange du monopole de l'inventeur. C'est là le fondement des notions de connaissance antérieure, d'utilisation antérieure, de publication antérieure et de vente antérieure, désignées collectivement comme l'«antériorité» (Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.), aux pages 360 et 361). Par conséquent, si une invention est antériorisée, l'inventeur n'est pas rétribué par un monopole, qui ne serait pas mérité par la divulgation d'une invention qui n'était pas jusque là accessible au public.
[12]L'antériorité est traitée au paragraphe 28.2(1) [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 33] de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, dont la partie pertinente prévoit:
28.2 (1) L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas:
a) plus d'un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d'un tiers ayant obtenu de lui l'information à cet égard de façon directe ou autrement, l'objet d'une communication qui l'a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;
[13]Il est généralement accepté que les divers modes d'antériorisation d'une invention revendiquée retenus par la jurisprudence sont dissociables plutôt que cumulatifs (voir Reeves Brothers Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd. (1978), 43 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.), à la page 157; Tye-Sil, précité, juge Décary, à la page 361; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F.1re inst.), juge Richard (tel était alors son titre), à la page 553; et Hughes and Woodley on Patents, édition à feuilles mobiles (Toronto: Butterworths, 1984), à la page 328). Il n'est pas nécessaire de s'attarder en détail sur ces divers critères, la Cour suprême du Canada ayant récemment tranché la question de l'antériorité dans l'arrêt Free World Trust, précité.
[14]Dans cet arrêt, le juge Binnie a expliqué que l'antériorité est difficile à établir. Il a confirmé que la question qui se pose au plan juridique est de savoir si la publication antérieure, le brevet 060 en l'espèce [au paragraphe 26] «renferme suffisamment d'information pour permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre, [. . .] [traduction] "la nature de l'inven-tion et de la rendre utilisable en pratique, sans l'aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d'ordre technique"» (citant H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd., Toronto: Carswell, 1969), aux pages 126 et 127). Il a confirmé la pierre de touche classique de l'invention exposée par le juge Hugessen dans l'arrêt Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), à la page 297, qui prescrit:
Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.
[15]Si le juge n'a pas commis d'erreur dans la formulation ou l'application du critère juridique de l'antériorité, la question de l'antériorité à l'égard d'une invention revendiquée est généralement considérée comme une question de fait (Hughes and Woodley on Patents, précité, à la page 328). Il s'agit plus exactement d'une question mixte de fait et de droit, qui suppose l'application d'une norme juridique à un ensemble de faits (Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577 (C.S.C.), au paragraphe 26). Comme la décision relative à l'antériorité est «tributaire du poids accordé à la preuve, les diverses considérations de principe justifiant de faire montre de retenue à l'égard des inférences de fait du juge de première instance justifient également, dans une certaine mesure, de faire de même à l'égard de ses inférences mixtes de fait et de droit» (précité, au paragraphe 32). Personne ne conteste que le juge des requêtes a utilisé le critère juridique approprié de l'antériorité, exposé dans l'arrêt Beloit, précité, et dans l'arrêt Free World Trust, précité. Comme on ne peut tirer aucune proposition juridique générale ayant une valeur de précédent de la conclusion du juge des requêtes au sujet de l'antériorité, la Cour doit faire preuve d'une grande retenue à l'égard de cette décision et n'intervenir que si elle constitue une erreur manifeste et dominante (précité, au paragraphe 37).
[16]Fondamentalement, Apotex prétend que le juge des requêtes a eu raison de conclure que l'invention revendiquée dans le brevet 637 était divulguée dans le brevet 060, et était donc antériorisée par celui-ci. Elle adopte comme position que le juge des requêtes n'a pas commis d'erreur manifeste et dominante en fondant sa conclusion sur «le point de vue unanime des experts». Le brevet 060 concerne la paroxétine formulée suivant les «méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer». Le brevet 637 concerne la paroxétine formulée à l'aide d'un «procédé sans eau». Selon Apotex, les «méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer» comprennent spécifiquement et précisément le «procédé sans eau». Apotex soutient que le brevet 637 est donc couvert par l'objet du brevet 060 et qu'il a été antériorisé par le brevet 060.
[17]Selon la position adoptée par SmithKline, l'objet de l'invention revendiquée dans le brevet 637 n'a pas «fait [. . .] l'objet [. . .] d'une communication qui l'a rendu accessible au public». SmithKline fait valoir que le brevet 060 enseigne une vaste gamme de formulations qui échappent clairement à l'objet du brevet 637, notamment les formulations destinées à l'administration parentérale ainsi que les capsules et les comprimés formulés à l'aide d'un procédé sans eau. Par conséquent, SmithKline prétend que le brevet 060 n'enseigne pas infailliblement l'usage d'une formulation de paroxétine obtenue à l'aide d'un procédé sans eau. Comme les instructions du brevet 060 pourraient mener à d'autres inventions que celle qui est revendiquée par le brevet 637, SmithKline soutient au sujet du brevet 060 qu'il n'est pas vrai «qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée» (dans le brevet 637) (Beloit, précité, à la page 297).
[18]À l'appui de sa position, SmithKline renvoie à la décision Pfizer, précitée, à l'arrêt Farbwerke Hoechst c. Halocarbon (Ontario) Ltd., [1979] 2 R.C.S. 929, à la page 942; et à l'arrêt General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A.). SmithKline fait valoir que, selon cette jurisprudence, une antériorité n'est pas opérante à l'égard d'une invention postérieure si les renseignements fournis dans l'antériorité pouvaient conduire à un produit non visé par les revendications de l'invention postérieure. SmithKline laisse entendre qu'une revendication portant sur un composé chimique particulier ne peut être antériorisée par antériorité qui enseigne exclusivement une catégorie large de composés comprenant le composé particulier, parce que l'antériorité invoquée ne comporte pas d'instructions qui produisent infailliblement le composé spécifique. Selon SmithKline, cet argument s'applique au brevet 060, qui enseigne un vaste éventail de procédés de formulations possibles, et au brevet 637, qui décrit un seul des procédés de formulation possibles.
[19]Je ne me range pas à cet argument. La jurisprudence mentionnée par SmithKline se distingue de la situation que la Cour doit trancher. Dans chacune des décisions citées par SmithKline, les instructions données dans l'antériorité alléguée exposaient une catégorie générale de composés ou de réactions à partir de laquelle on pouvait arriver à l'invention postérieure. Dans ces affaires, les inventions postérieures n'étaient pas antériorisées du fait que les composés particuliers de l'invention revendiquée n'étaient pas identifiés dans l'antériorité alléguée et que, par conséquent, l'identifica-tion des composés particuliers utilisés dans l'invention revendiquée était nouvelle et inventive. Dans ces affaires, l'antériorité n'était pas suffisante pour «permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre [. . .] [traduction] "la nature de l'inven-tion et de la rendre utilisable en pratique, sans l'aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d'ordre technique"» (Free World Trust, précité, au paragraphe 26). Dans ces affaires, comme l'antériorité alléguée ne décrivait pas clairement et simplement l'invention postérieure alléguée, il fallait une étape inventive supplémentaire.
[20]Par contre, en l'espèce, le juge des requêtes a constaté que le brevet 637 n'avait nécessité «aucune étape inventive ni aucun génie inventif». Autrement dit, une personne pouvait arriver au brevet 637 «sans l'aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d'ordre technique». Les instructions permettant d'arriver à la formulation revendiquée dans le brevet 637 sont, par conséquent, clairement et infailliblement présentes dans le brevet 060. Le juge des requêtes a décidé qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que toute personne au fait de l'art qui cherche à résoudre le «problème de coloration rose» se tourne nécessairement vers les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pour trouver la solution, sans activité inventive. Il faut une habileté d'ordre technique, plutôt que du génie inventif, pour appliquer le brevet 060 et arriver au brevet 637. Les appelantes ne m'ont pas persuadé que le juge des requêtes a commis une erreur en prenant en considéra-tion l'ensemble de la preuve pour arriver à sa conclusion. En outre, le fait que le brevet 060 renferme des renseignements et des instructions supplémentaires, absents du brevet 637, est sans importance pour établir si une personne pouvait «s'en remettre [. . .] [au brevet 060] et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production [. . .] [du brevet 637] sans l'exercice de quelque génie inventif» (Beloit, précité, à la page 297).
[21]SmithKline fait valoir que confirmer la conclusion du juge des requêtes aurait pour effet d'annuler un grand nombre de décisions relatives à des brevets de sélection, notamment la décision E. I. Du Pont de Nemours & Co. (Witsiepe's) Application, [1982] F.S.R. 303 (H.L.). Je ne suis pas de cet avis. Il est clair que l'article 32 de la Loi prévoit que «Quiconque est l'auteur d'un perfectionnement à une invention brevetée peut obtenir un brevet pour ce perfectionnement.» Toutefois, étant donné que le juge des requêtes a conclu qu'il n'y a aucun enseignement exposé dans les revendications du brevet 637 qui ne l'est pas également dans le brevet 060, le brevet 637 ne revendique pas un «perfectionnement». Le seul «perfectionnement» mentionné dans la divulgation est simplement la vérification des propriétés d'une substance connue formulée à l'aide de techniques courantes. Même en donnant une interprétation libérale du brevet 637 de manière à ce que l'avantage de la réduction du «problème de coloration rose» tombe dans le champ des revendications de ce brevet, le juge des requêtes a conclu qu'il n'y avait «aucune étape inventive ni aucun génie inventif» dans la sélection d'un procédé parmi d'autres. Tout élément susceptible d'être considéré comme une nouveauté dans le brevet 637 a été divulgué dans le brevet 060 de manière telle qu'une personne au fait de l'art, mais raisonnablement non inventive, ayant attribué le «problème de coloration rose» au procédé par voie humide, puisse produire l'invention revendiquée «infailliblement» (Beloit, précité). Bref, il n'y a rien de nouveau ou de neuf dans le brevet 637. La Cour n'est pas disposée à modifier ce qui est essentiellement une conclusion de fait, fondée sur les circonstances particulières de l'espèce.
[22]SmithKline fait également allusion à l'apparente incohérence de la décision du juge des requêtes, qui conclut que le brevet 637 est antériorisé, mais n'est pas évident. À première vue, cette conclusion semble en effet curieuse. Cependant, compte tenu du fait que le brevet 637 est antériorisé, si SmithKline a effectivement raison d'affirmer qu'une invention ne peut à la fois être antériorisée et avoir un caractère non évident, la seule déduction possible dans ce cas serait de conclure à l'évidence de l'invention. On ne s'étonnera pas que SmithKline ne conteste pas la décision du juge des requêtes sur le caractère non évident de l'invention. La Cour n'a donc pas à se prononcer sur la question. Je note toutefois que les notions de l'antériorité et du caractère évident de l'invention sont distinctes (Hughes and Woodley on Patents, précité, à la page 328). Comme l'a expliqué le juge Hugessen dans l'arrêt Beloit, précité [à la page 293], le caractère évident implique que «n'importe qui aurait pu faire cela», l'antériorité que «votre invention est astucieuse, mais elle était déjà connue».
[23]Je conclurai en faisant observer que, comme la question de la validité du brevet 637 n'a été soulevée que dans le cadre d'une requête d'ordonnance d'interdiction en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, précité, l'issue du présent appel n'est pas nécessairement déterminante à l'égard de toute action ultérieure visant une déclaration d'invalidité du brevet ou de toute action éventuelle en contrefaçon du brevet.
CONCLUSION
[24]Pour ces motifs, je rejetterais l'appel et j'adjugerais les dépens à l'intimée, Apotex.
Le juge Evans, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
Le juge Malone, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.