A-367-01
2002 CAF 309
Percy Schmeiser et Schmeiser Enterprises Ltd. (appelants) (défendeurs)
c.
Monsanto Canada Inc. et Monsanto Company (intimées) (demanderesses)
Répertorié: Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser (C.A.)
Cour d'appel, juges Isaac, Noël et Sharlow, J.C.A.-- Saskatoon, les 15 et 16 mai; Ottawa, le 4 septembre 2002.
Brevets -- Contrefaçon -- Les intimées étaient respectivement propriétaire et titulaire d'un brevet appelé «Plantes résistant au glyphosate» -- Le juge de première instance a conclu que le brevet avait été contrefait -- Les moyens d'appel se rapportaient à la contrefaçon et aux réparations -- La contrefaçon est fonction de l'étendue du monopole conféré par la loi -- Examen des principes applicables à l'interprétation des revendications d'un brevet -- Le juge de première instance a correctement appliqué ces principes -- Il n'a pas mal interprété la preuve et n'a pas tenu compte d'éléments de preuve non admissibles.
Agriculture -- Les appelants auraient contrefait le brevet canadien de Monsanto en plantant, aux fins de la récolte, du canola résistant au glyphosate contenant un insert génétique breveté -- Des graines de canola contenant le gène Monsanto étaient produites au Canada depuis 1996 en vertu d'une licence accordée par Monsanto, et commercialisées auprès des agriculteurs sous le nom commercial «Round Ready Canola» -- Monsanto n'avait pas renoncé au droit de revendiquer les droits qu'elle possédait sur le brevet à l'encontre de l'appelant en laissant du canola résistant au glyphosate s'échapper dans l'environnement -- La culture du canola à l'aide de graines provenant de plantes résistant au glyphosate violait le brevet.
Dommages-intérêts -- Compensatoires -- En vertu de l'art. 55(1) de la Loi sur les brevets, la personne qui contrefait un brevet est responsable de tous les dommages-intérêts subis par le titulaire du brevet en raison de la contrefaçon -- L'injonction interdisant l'utilisation de graines qui contenaient les gènes brevetés, ce que les appelants «savaient ou auraient dû savoir», n'était pas trop générale -- Le montant accordé au titre des dommages-intérêts n'était pas excessif -- Les coûts pris en considération dans la comptabilisation des bénéfices sont ceux qui se rattachaient directement à l'activité de contrefaçon -- L'octroi des profits comme réparation à la suite de la contrefaçon d'un brevet constitue une réparation en equity -- Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en réduisant le montant adjugé de façon qu'il soit tenu compte d'un montant raisonnable refétant le travail de l'agriculteur.
Il s'agissait d'un appel et d'un appel incident d'une décision de la Section de première instance qui avait conclu que certaines revendications du brevet canadien de Monsanto avaient été contrefaites et qui accordait à Monsanto une injonction, une ordonnance de remise, des dommages-intérêts, l'intérêt avant et après jugement et les dépens. Monsanto Company et Monsanto Canada Inc. sont respectivement propriétaire et titulaire d'un brevet divulguant l'invention d'un insert génétique qui, lorsqu'il est introduit dans l'ADN des cellules de canola par un vecteur de transformation, produit une variété de canola qui résiste fortement au glyphosate. La plupart des plantes qui sont traitées par pulvérisation avec un herbicide à base de glyphosate ne survivent pas. Toutefois, une plante de canola qui est produit à partir d'une graine contenant le gène modifié survivra s'il est traité avec un herbicide à base de glyphosate. C'est le gène modifié (le «gène Monsanto») qui fait l'objet du brevet de Monsanto. Depuis 1996, des graines de canola contenant le gène Monsanto ont été produites au Canada en vertu d'une licence accordée par Monsanto, et commercialisées auprès des agriculteurs sous le nom commercial «Roundup Ready Canola». Ce nom commercial indique que la graine est résistante à un herbicide vendu sous le nom commercial «Roundup», qui est un herbicide à base de glyphosate. L'agriculteur qui veut cultiver le canola Roundup Ready doit conclure un accord de licence appelé l'Entente sur les utilisations technologiques (EUT) et doit payer des droits de licence pour chaque acre sur lequel il plante le canola Roundup Ready. M. Schmeiser, l'un des appelants, cultive du canola depuis les années 1950, mais il n'a jamais acheté de canola Roundup Ready et il n'a jamais signé une EUT à l'égard du canola Roundup Ready. En 1996, un voisin cultivait du canola Roundup Ready dans un champ situé en diagonale, juste à côté du champ des Schmeiser. En 1997, M. Schmeiser a remarqué qu'un grand nombre de plants de canola provenant de graines de ce champ qui avaient été conservées avaient survécu à la pulvérisation normale de l'herbicide Roundup le long de la route. Il a effectué un test sur une partie du champ en y pulvérisant l'herbicide Roundup; 60 p. 100 des plants ont survécu. Les graines provenant de cette récolte ont été semées dans tous les champs en 1998. Les tests ont permis de déceler la présence du gène breveté de Monsanto dans les plants traités avec l'herbicide Roundup qui avaient survécu. Le juge de première instance a conclu que, suivant la probabilité la plus forte, les appelants avaient contrefait un certain nombre de revendications visées par le brevet des intimées en plantant, en 1998, des champs en canola avec des semences gardées de leur récolte de 1997, sans autorisation ou licence des intimées, même s'ils savaient, ou auraient dû savoir, que ces semences étaient tolérantes au Roundup et que des tests avaient révélé qu'elles contenaient le gène et les cellules revendiqués dans ledit brevet. Quatre questions ont été soulevées en appel: 1) le brevet était-il contrefait si M. Schmeiser n'avait pas utilisé l'herbicide Roundup pour la récolte de 1998? 2) les circonstances dans lesquelles le gène Monsanto s'est retrouvé dans la récolte de 1998 des Schmeiser entraient-elles en ligne de compte? 3) le juge de première instance a-t-il mal interprété la preuve ou a-t-il tenu compte d'éléments de preuve non admissibles? 4) le juge de première instance a-t-il commis une erreur en accordant la réparation?
Arrêt: l'appel et l'appel incident doivent être rejetés.
1) On a prétendu que M. Schmeiser n'a pu avoir violé les droits que possédait Monsanto sur le brevet en cultivant du canola résistant au glyphosate à moins qu'il n'ait également tiré parti de la résistance au glyphosate en pulvérisant l'herbicide Roundup pour lutter contre les mauvaises herbes. L'article 42 de la Loi sur les brevets confère au breveté le droit d'empêcher les autres, pour la durée du brevet, de fabriquer, de construire, d'exploiter ou de vendre à d'autres, pour qu'ils l'exploitent, l'objet de l'invention. Il s'agit d'un monopole que le législateur accorde à l'inventeur qui divulgue l'invention au public. Pour décider si un certain acte constitue une contrefaçon, il faut déterminer l'étendue du monopole conféré par la loi en interprétant les revendications du brevet. L'interprétation d'une revendication est une question de droit. Le mémoire descriptif d'un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt qu'une interprétation littérale résultant d'une analyse verbale méticuleuse. L'interprétation d'une revendication doit être équitable et raisonnable à la fois pour le breveté et pour le public; il s'agit d'une autre façon de définir l'approche téléologique qui s'applique à l'interprétation des revendications d'un brevet, en soulignant le marché conclu par le législateur qui a délivré un brevet. En interprétant les revendications d'un brevet, on peut se reporter à la partie divulgation du mémoire descriptif pour mieux comprendre les termes employés dans les revendications, mais il n'est pas nécessaire de s'y référer lorsque l'énoncé de la revendication est clair et non équivoque et on ne peut à bon droit y avoir recours pour modifier la portée des revendications. La seule caractéristique qui est ajoutée à un plant par suite de la présence du gène Monsanto est la résistance au glyphosate et c'est la résistance au glyphosate recherchée qui a entraîné les travaux ayant mené à l'invention. Cela ne veut pas pour autant dire qu'il faut absolument que l'herbicide Roundup soit utilisé pour qu'il soit possible de conclure à la contrefaçon. L'argument qui a été invoqué au nom de M. Schmeiser sur ce point était défectueux, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, il se fondait à tort sur la divulgation qui était faite dans le brevet pour incorporer une restriction qui ne figurait pas dans le libellé des revendications elles-mêmes. En second lieu, il proposait une interprétation de la revendication qui était définie ou limitée par la présumée contrefaçon. Le juge de première instance a correctement appliqué les principes à utiliser pour interpréter les revendications d'un brevet. Il n'a pu trouver, dans les revendications, aucune ambiguïté justifiant le recours à la divulgation et il a conclu que l'essence de chaque revendication était la présence du gène Monsanto. Son interprétation était correcte.
2) Il a été soutenu qu'en l'absence de quelque élément de preuve montrant que M. Schmeiser avait fait en sorte que les plants de canola résistant au glyphosate poussent sur ou à côté de sa propriété en 1997, la récolte qui en a résulté en 1998 ne devrait pas être assujettie à la revendication d'un brevet. Subsidiairement, Monsanto est censée avoir renoncé aux droits qu'elle possédait sur le brevet ou les avoir abandonnés en laissant du canola résistant au glyphosate s'échapper dans l'environnement. Ces arguments ont été examinés sous trois titres. Premièrement, en ce qui concerne le conflit de droits, il n'existe aucune décision appuyant la thèse selon laquelle le droit de propriété existant sur un plant doit nécessairement l'emporter sur les droits que possède le breveté sur un gène contenu dans le plant. Au contraire, il existe un certain nombre d'exemples dans lesquels les droits de propriété existant sur un bien ont été compromis dans la mesure nécessaire pour protéger le monopole conféré par la loi au breveté. En général, l'existence de pareil conflit de droits n'est pas pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a contrefaçon, car on en tient uniquement compte pour décider de la réparation à accorder en cas de contrefaçon. Le deuxième ensemble d'arguments se rapportait au contrefacteur innocent. Selon l'avocat de M. Schmeiser, il serait inéquitable d'accorder à Monsanto une réparation par suite de la contrefaçon lorsqu'il y a des repousses spontanées de canola Roundup Ready dans le champ d'un agriculteur, mais que sa résistance au glyphosate n'est pas connue. On a souvent affirmé que l'intention n'est pas essentielle à une conclusion de contrefaçon. Dans la plupart des cas de contrefaçon de brevet, permettre un moyen de défense fondé sur l'ignorance ou sur l'absence d'intention de se livrer à une contrefaçon détruirait l'efficacité du brevet parce que fort peu de gens connaissent le contenu réel d'un brevet particulier. Dans ce cas-ci, M. Schmeiser a cultivé des plantes de canola résistant au glyphosate. Le juge de première instance a conclu, en se fondant sur de nombreux éléments de preuve, que M. Schmeiser savait ou aurait dû savoir que ces plants résistaient au glyphosate lorsqu'il avait conservé leurs graines en 1997 et qu'il les avait semées l'année suivante. C'était la culture, la moisson et la vente de la récolte de 1998 dans ces circonstances qui rendaient M. Schmeiser vulnérable à l'allégation de contrefaçon faite par Monsanto. Enfin, l'avocat de M. Schmeiser a invoqué l'effet de la dissémination en milieu ouvert. Il a soutenu qu'en autorisant des agriculteurs à planter du canola Roundup Ready sans prendre de mesures pour limiter sa propagation par suite du déplacement du pollen et du déversement accidentel, Monsanto avait renoncé à tout droit exclusif qu'elle possédait. Le juge de première instance a correctement rejeté cet argument. Monsanto n'a pas renoncé aux droits qu'elle possédait sur le brevet. Il était encore moins justifié de conclure que Monsanto avait renoncé au droit de revendiquer les droits qu'elle possédait sur le brevet à l'encontre de M. Schmeiser qui avait cultivé du canola alors qu'il savait ou aurait dû savoir que ce canola provenait de graines de plantes résistant au glyphosate.
3) Le juge de première instance a commis une erreur en disant que rien dans la preuve n'indiquait que les graines avaient été conservées en 1996 pour être utilisées comme semences pour la récolte de 1997. Toutefois, cette erreur ne tirait pas à conséquence parce que la provenance des graines pour la récolte de 1997 n'entrait pas en ligne de compte. Une cour d'appel ne peut pas modifier les conclusions de fait tirées par le juge de première instance à moins qu'une erreur manifeste et dominante n'ait influé sur son appréciation des faits. Aucune erreur sous-tendant les conclusions factuelles que le juge de première instance a tirées au sujet de la proportion du canola résistant au glyphosate dans les champs des Schmeiser n'a été commise. Le juge de première instance a correctement conclu que Monsanto n'avait pas violé l'ordonnance judiciaire du 12 août 1998 en prélevant des échantillons dans les champs de M. Schmeiser aux fins des tests. M. Schmeiser a admis avoir reçu un préavis du prélèvement, et la preuve ne permettait pas de croire qu'il n'aurait pas pu accompagner les représentants de Monsanto s'il l'avait voulu. En outre, le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en admettant la preuve relative aux tests d'échantillons prélevés le long de la route ou d'échantillons provenant de la minoterie Humboldt obtenus sans le consentement de M. Schmeiser.
4) Selon le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, quiconque contrefait un brevet est responsable du dommage que cette contrefaçon a fait subir au breveté. En vertu du paragraphe 57(1), la Cour peut également accorder d'autres réparations, notamment une injonction et, au lieu des dommages-intérêts, une comptabilisation des bénéfices découlant de la contrefaçon. Le juge de première instance a fixé à 19 832 $ le profit tiré de la vente de la récolte de 1998 et il a accordé une injonction à Monsanto. Cette injonction n'était pas trop générale puisqu'elle n'empêcherait pas M. Schmeiser de conserver des graines de canola à moins qu'il ne sache ou qu'il ne doive savoir, à cause de l'utilisation de l'herbicide Roundup ou au moyen d'un test chimique, que les graines résistaient au glyphosate. Monsanto avait le droit d'obtenir une garantie selon laquelle M. Schmeiser ne commettrait pas de nouveau les actes qui, constituaient une contrefaçon du brevet de Monsanto. L'injonction accordée par le juge de première instance fournissait cette garantie. Celui-ci a eu raison de dire que ce sont les bénéfices provenant de la vente de la récolte contrefaite que Monsanto peut réclamer, et non la différence entre les profits de la vente de cette récolte et ceux de la vente d'une récolte de plantes qui n'ont pas été cultivées. Dans une comptabilisation des bénéfices résultant de la contrefaçon d'un brevet, le breveté a la charge d'établir le montant des recettes brutes provenant des actes de contrefaçon. De son côté, le contrefacteur a la charge d'établir les coûts qu'il a engagés pour faire un profit. En général, les seuls coûts à prendre en compte sont ceux qui se rattachent directement à l'activité de contrefaçon. L'octroi des profits à la suite de la contrefaçon d'un brevet constitue une réparation en equity. Si l'application mécanique des principes comptables donne un montant qui ne représente pas le profit tiré de la contrefaçon, il est loisible au juge de première instance d'ajuster le montant, à condition qu'il le fasse de façon motivée. Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur de principe en réduisant le montant adjugé de façon qu'il soit tenu compte d'un montant raisonnable au titre de la valeur du travail de M. Schmeiser. Il n'a pas commis d'erreur justifiant l'intervention de la Cour en fixant le montant des profits.
lois et règlements
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 24.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 20(2) (mod. par L.C. 1990, ch. 37, art. 34), 27(1)a). |
Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 38(1) (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20). |
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 27 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 31), 42 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16), 54(1),(2), 55(1) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 48), 57(1)a),b),(2). |
jurisprudence
décisions appliquées:
Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; (2000), 194 D.L.R. (4th) 193; 9 C.P.R. (4th) 129; 262 N.R. 88; Catnic Components Limited and Another v. Hill & Smith Limited, [1982] R.P.C. 183 (H.L.); Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.), [1981] 1 R.C.S. 504; (1981), 122 D.L.R. (3d) 203; 56 C.P.R. (2d) 145; 35 N.R. 390; Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483; (1994), 58 C.P.R. (3d) 359; 175 N.R. 225 (C.A.).
distinction faite d'avec:
Reymes-Cole v. Elite Hosiery Co. Ltd., [1965] R.P.C. 102 (C.A.).
décisions examinées:
Pope Appliance Corporation v. Spanish River Pulp and Paper Mills, [1929] A.C. 269 (P.C.); Lishman c. Eron Roche Inc. (1996), 66 C.P.R. (3d) 72; 111 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.); conf. par (1996), 71 C.P.R. (3d) 146 (C.A.F.); Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1988), 21 C.I.P.R. 70; 25 C.P.R. (3d) 347 (C.F. 1re inst); Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain inc. (2002), 210 D.L.R. (4th) 385; 17 C.P.R. (4th) 161; 23 B.L.R. (3d) 1; 285 N.R. 267 (C.S.C.).
décisions citées:
Forget v. Specialty Tools of Canada Inc., [1996] 1 W.W.R. 12; (1995), 11 B.C.L.R. (3d) 183; 62 B.C.A.C. 211; 62 C.P.R. (3d) 537 (C.A.); Steers v. Rogers, [1893] A.C. 232 (H.L.); Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751; (1996), 68 C.P.R. (3d) 129; 199 N.R. 57 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée[1997] 1 R.C.S. x; Stiga Aktiebolag and Noma Outdoor Products Inc. c. S.L.M. Canada Inc. (1990), 39 F.T.R. 13 (C.F. 1re inst.); Computalog Ltd. c. Comtech Logging Ltd. (1992), 44 C.P.R. (3d) 77; 142 N.R. 216 (C.A.F.); Stead v. Anderson (1847), 2 Web. P.C. 151; 72 R.R. 730; Wright v. Hitchcock (1870), L.R. 5 Ex. 37; Young v. Rosenthal (1884), 1 R.P.C. 29 (Q.B.); Skelding v. Daly et al. (1941), 57 B.C.R. 121; [1942] 1 D.L.R. 355; [1942] 1 W.W.R. 489; 1 C.P.R. 266 (C.A.); Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577; [2002] 7 W.W.R. 1; 219 Sask. R. 1; 10 C.C.L.T. (3d) 157; 286 N.R. 1 (C.S.C.); SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; (1986), 33 D.L.R. (4th) 174; [1987] 1 W.W.R. 577; 9 B.C.L.R. (2d) 273; 38 C.C.L.T. 184; 87 CLLC 14,002; 25 C.R.R. 321; [1987] D.L.Q. 69; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; (1987), 38 D.L.R. (4th) 508; [1987] 3 W.W.R. 699; 13 B.C.L.R. (2d) 1; 33 C.C.C. (3d) 1; 56 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 122; 74 N.R. 276.
doctrine
Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed. Toronto: Carswell, 1969.
APPEL et APPEL INCIDENT d'une décision de la Section de première instance ((2001), 12 C.P.R. (4th) 204; 202 F.T.R. 78) ayant conclu que certaines revendications du brevet de Monsanto avaient été contrefaites et accordant à Monsanto, une injonction, une ordonnance de remise, des dommages-intérêts, l'intérêt avant et après jugement et les dépens. Appel et appel incident rejetés.
ont comparu:
Terry J. Zakreski et Robert Stack pour les appelants (défendeurs).
Roger T. Hughes, c.r., Arthur B. Renaud et L. E. Trent Horne pour les intimées (demanderesses).
avocats inscrits au dossier:
Priel, Stevenson, Hood & Thornton, Saskatoon, pour les appelants (défendeurs).
Sim, Hughes, Ashton & McKay LLP, Toronto, pour les intimées (demanderesses).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Sharlow, J.C.A.: Il s'agit d'un appel et d'un appel incident de la décision que M. le juge MacKay, de la Section de première instance, a rendue le 29 mars 2001, laquelle est publiée sous l'intitulé Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser (2001), 12 C.P.R. (4th) 204.
[2]À l'instruction, Monsanto Canada Inc. et Monsanto Company (collectivement appelées Monsanto) ont allégué qu'en 1998, Schmeiser Enterprises Ltd. et Percy Schmeiser avaient contrefait le brevet canadien de Monsanto no 1313830 en plantant, aux fins de la récolte, du canola résistant au glyphosate contenant un gène ou une cellule visés par le brevet. Le juge de première instance a conclu que certaines revendications du brevet avaient été contrefaites et il a accordé à Monsanto une injonction, une ordonnance de remise, des dommages-intérêts (à l'encontre de Schmeiser Enterprises Ltd. seulement) d'un montant de 19 832 $, l'intérêt avant jugement, l'intérêt après jugement et les dépens.
[3]Schmeiser Enterprises Ltd. et M. Schmeiser ont interjeté appel contre la conclusion relative à la contrefaçon, l'adjudication des dommages-intérêts et l'octroi de l'injonction. Monsanto a interjeté un appel incident en invoquant un certain nombre de motifs, mais à l'audience, elle s'est uniquement fondée sur l'argument selon lequel le montant adjugé au titre des dommages-intérêts était trop bas.
Contexte législatif
[4]Les dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, qui sont les plus pertinentes dans cet appel sont ainsi libellées [art. 42 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16), 54(1), (2), 55(1) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 48), 57(1)a), b), (2)]:
42. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou le nom de l'invention avec renvoi au mémoire descriptif et accorde, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet à compter de la date où il a été accordé, le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d'autres, pour qu'ils l'exploitent, l'objet de l'invention, sauf jugement en l'espèce par un tribunal compétent.
[. . .]
54. (1) Une action en contrefaçon de brevet peut être portée devant la cour d'archives qui, dans la province où il est allégué que la contrefaçon s'est produite, a juridiction, pécuniairement, jusqu'à concurrence du montant des dommages-intérêts réclamés et qui, par rapport aux autres tribunaux de la province, tient ses audiences dans l'endroit le plus rapproché du lieu de résidence ou d'affaires du défendeur. Ce tribunal juge la cause et statue sur les frais, et l'appropriation de juridiction par le tribunal est en soi une preuve suffisante de juridiction.
(2) Le présent article n'a pas pour effet de restreindre la juridiction attribuée à la Cour fédérale par l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale ou autrement.
55. (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l'octroi du brevet.
[. . .]
57. (1) Dans toute action en contrefaçon de brevet, le tribunal, ou l'un de ses juges, peut, sur requête du plaignant ou du défendeur, rendre l'ordonnance qu'il juge à propos de rendre:
a) pour interdire ou défendre à la partie adverse de continuer à exploiter, fabriquer ou vendre l'article qui fait l'objet du brevet, et pour prescrire la peine à subir dans le cas de désobéissance à cette ordonnance;
b) pour les fins et à l'égard de l'inspection ou du règlement de comptes,
et d'une façon générale, quant aux procédures de l'action.
(2) Appel peut être interjeté de cette ordonnance dans les mêmes circonstances et au même tribunal qu'appel peut être interjeté des autres jugements ou ordonnances du tribunal qui a rendu l'ordonnance.
[5]En l'espèce, la compétence de la Cour fédérale est fondée sur les dispositions suivantes de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 20(2) (mod. par L.C. 1990, ch. 37, art. 34), 27(1)]:
20. [. . .]
(2) La Section de première instance a compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d'une loi fédérale [. . .] relativement à un brevet d'invention [. . .]
[. . .]
27. (1) Il peut être interjeté appel, devant la Cour d'appel fédérale, des décisions suivantes de la Section de première instance:
a) jugement définitif
[. . .]
Les faits
[6]Le canola est une culture de valeur pour les agriculteurs de l'Ouest du Canada par suite de la mise au point, principalement par des scientifiques canadiens, de variétés à rendement élevé. Ce sont les graines de canola qui sont particulièrement utiles; on les broie afin d'extraire de l'huile destinée à la consommation humaine. Une fois l'huile extraite, le reste de la graine est utilisé pour alimenter les animaux.
[7]Monsanto Company et Monsanto Canada Inc. sont respectivement propriétaire et titulaire d'une licence à l'égard du brevet canadien no 1313830, appelé [traduction] «Plantes résistant au glyphosate». Le brevet a été délivré le 23 février 1993; il expirera le 23 février 2010.
[8]Le brevet de Monsanto divulgue l'invention d'un insert génétique qui, lorsqu'il est introduit dans l'ADN des cellules de canola par un vecteur de transformation, produit une variété de canola qui résiste fortement au glyphosate. Le glyphosate inhibe l'enzyme nécessaire pour produire un acide aminé particulier essentiel à la croissance et à la survie d'une vaste gamme de plantes. La plupart des plantes qui sont traitées par pulvérisation avec un herbicide à base de glyphosate ne survivent pas. Toutefois, une plante de canola qui est produit à partir d'une graine contenant le gène modifié sera composé de cellules renfermant le gène modifié, et il survivra donc s'il est traité avec un herbicide à base de glyphosate. C'est le gène modifié, que j'appellerai le «gène Monsanto», qui fait l'objet du brevet de Monsanto.
[9]Depuis 1996, des graines de canola contenant le gène Monsanto ont été produites au Canada en vertu d'une licence accordée par Monsanto; ces graines ont été commercialisées auprès des agriculteurs sous le nom commercial «Roundup Ready Canola». Ce nom commercial indique que la graine est résistante à un herbicide vendu sous le nom commercial «Roundup», qui est un herbicide à base de glyphosate fabriqué par Monsanto.
[10]On dit que les agriculteurs cultivent le canola Roundup Ready parce que l'herbicide Roundup peut être pulvérisé après l'émergence des plants de canola, cet herbicide tuant toutes les plantes à l'exception du canola. Il semble que ce processus permet d'éviter de retarder l'ensemencement à cause de la pulvérisation des mauvaises herbes précoces et d'éviter d'avoir à utiliser d'autres types spéciaux d'herbicides. Ce processus permettrait également de conserver l'humidité dans le sol en éliminant le travail extensif du sol.
[11]En 1996, environ 600 agriculteurs canadiens ont planté du canola Roundup Ready sur environ 50 000 acres. En l'an 2000, environ 20 000 agriculteurs canadiens ont planté ce canola sur environ 4,5 à 5 millions d'acres, produisant près de 40 p. 100 du canola cultivé au Canada.
[12]L'agriculteur qui veut cultiver le canola Roundup Ready doit conclure un accord de licence appelé l'Entente sur les utilisations technologiques (EUT) et doit assister à une réunion d'inscription des producteurs organisée par des représentants de Monsanto, qui décrivent la technologie et expliquent les conditions des licences. L'agriculteur qui signe l'EUT peut acheter le canola Roundup Ready chez un représentant autorisé, mais il doit promettre de se servir de la semence pour une seule récolte et de vendre la récolte aux fins de la consommation à un acheteur commercial autorisé par Monsanto plutôt que de vendre ou de donner les graines à un tiers ou de les conserver pour les réensemencer ou pour ses stocks. L'EUT confère à Monsanto le droit d'inspecter les champs de l'agriculteur contractant et de prélever des échantillons afin de vérifier si l'EUT est respectée. L'agriculteur doit également payer des droits de licence pour chaque acre sur lequel il plante le canola Roundup Ready. En 1998, les droits de licence s'élevaient à 15 $ l'acre.
[13]Il est impossible de distinguer les plantes de canola Roundup Ready et les autres plantes de canola, si ce n'est au moyen d'un test chimique permettant de déceler la présence du gène Monsanto, ou en pulvérisant l'herbicide Roundup sur les plantes. Une plante de canola qui survit, après l'application de l'herbicide Roundup, est une plante de canola Roundup Ready.
[14]M. Schmeiser s'occupe d'agriculture près de Bruno, dans la municipalité rurale de Bayne (Saskatchewan), depuis environ 50 ans. Il cultive du canola depuis les années 1950. Schmeiser Enterprises Ltd. est une société dont M. Schmeiser et sa conjointe sont les seuls actionnaires et administrateurs. L'exploitation agricole de M. Schmeiser a été cédée à Schmeiser Enterprises Ltd. en 1996. Pour plus de commodité, je désignerai parfois les activités agricoles comme étant celles de M. Schmeiser, mais il est entendu que les activités agricoles de M. Schmeiser sont exercées pour le compte de Schmeiser Enterprises Ltd.
[15]En 1997 et en 1998, la ferme des Schmeiser était composée de neuf champs, désignés aux fins de l'instruction sous les numéros 1 à 9. Sur une carte de la région (pièce P-53 déposée à l'instruction) figurent tous les champs des Schmeiser ainsi que, sur une distance considérable, les autres champs. La ville de Bruno, située surtout du côté est d'une route allant en direction nord-sud (que j'appellerai la route de Bruno) est également indiquée sur la carte.
[16]Le champ situé le plus au sud est le champ no 9. Il ne borde aucun autre champ des Schmeiser et il est situé à environ un demi-mille au sud de Bruno. Il est contigu à la route de Bruno, du côté est. Le champ no 6 est situé à environ un demi-mille au nord de Bruno et il est contigu à la route de Bruno, du côté ouest. La maison et les greniers sont situés dans le champ no 6. Les champs nos 1, 2, 3 et 4 sont voisins les uns des autres, au nord de Bruno, et ils sont contigus à la route de Bruno, du côté est. Parmi ces quatre champs, le champ no 1 est celui qui est situé le plus au nord et le champ no 4 est celui qui est situé le plus au sud. La limite sud du champ no 4 est située à environ 4 miles et demi au nord du champ no 6. Le champ no 5 est situé à côté du champ no 4, dont la limite est constitue la limite ouest du champ no 5. Les champs nos 7 et 8 sont situés au nord-ouest de Bruno et sont voisins l'un de l'autre, à environ deux milles à l'ouest de la route de Bruno. La limite sud du champ no 7 constitue la limite nord du champ no 8.
[17]À l'instruction, M. Schmeiser a donné des explications plutôt détaillées au sujet de ses pratiques agricoles. Il a témoigné que, normalement, il cultive du canola, du blé et des pois. Il a déclaré qu'habituellement, il conserve une partie de la récolte de canola pour l'ensemencement et que c'est en 1993 qu'il a acheté des graines de canola pour la dernière fois avant l'instruction.
[18]Selon la preuve non contredite qu'il a présentée, M. Schmeiser n'a jamais acheté de canola Roundup Ready et il n'a jamais signé une EUT à l'égard du canola Roundup Ready. Monsanto avait initialement allégué que M. Schmeiser avait d'une façon ou d'une autre acquis du canola Roundup Ready en 1997, mais cette allégation a été retirée ainsi que toutes les allégations de contrefaçon relatives à la récolte de canola de 1997 de M. Schmeiser.
[19]M. Schmeiser a témoigné qu'il évite d'enfouir dans le sol, à l'automne, les plantes qui sont potentiellement malades, de façon à réduire le risque de maladie dans la récolte suivante. Il cultive parfois du canola dans le même champ pour une période pouvant aller jusqu'à quatre ans (appelée la culture unique) parce qu'il croit que cela constitue une utilisation plus efficace de l'engrais qu'il étale dans ce champ. M. Schmeiser croit que ses pratiques agricoles ont entraîné la mise au point de sa propre lignée de canola qui est relativement résistante à diverses maladies. Il a affirmé obtenir un rendement supérieur à la moyenne pour la région de Bruno.
[20]M. Schmeiser a également témoigné utiliser divers herbicides et se servir habituellement de l'herbicide Roundup pour enlever les mauvaises herbes dans les champs laissés en jachère ou le long des réserves routières contiguës à sa propriété. Il préfère traiter ses champs pour y enlever les mauvaises herbes tôt au printemps, avant l'ensemencement. Or, l'herbicide Roundup n'est pas destiné à être ainsi utilisé. Il est plutôt destiné à être pulvérisé après l'émergence des plants, pratique connue sous le nom de «pulvérisation de post-levée». M. Schmeiser ne favorise pas la pulvérisation de post-levée. À son avis, cela n'empêche pas les mauvaises herbes de consommer l'engrais qui est dans le sol; de plus, le pulvérisateur risque d'endommager les plants. M. Schmeiser a également témoigné croire que l'herbicide Roundup qui est pulvérisé sur des plants en pleine croissance laisse un résidu qui tue les bactéries dans le sol, ce qui a pour effet de réduire le rendement de la culture unique et d'accroître la possibilité que le canola soit atteint de maladies du système racinaire.
[21]En 1996, cinq producteurs, dans la municipalité rurale de Bayne, cultivaient du canola Roundup Ready en vertu d'une licence. L'un d'eux était M. Huber, qui cultivait du canola Roundup Ready dans un champ situé au nord et à l'ouest du champ no 6 des Schmeiser, lequel était situé en diagonale, juste à côté de ce champ. Cette année-là, M. Schmeiser cultivait en tout 370 acres de canola sur la totalité ou sur une partie des champs nos 1, 4, 6 et 7. En 1997, 780 acres de canola en tout ont été plantés sur la totalité ou sur certaines parties des six champs de M. Schmeiser (c'est-à-dire dans tous les champs à l'exception des champs nos 4, 7 et 9). M. Schmeiser a témoigné croire que des graines de canola provenant des champs nos 1 et 6 et conservées en 1996 avaient été semées dans le champ no 2.
[22]À la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet 1997, M. Schmeiser et son employé, Carlyle Moritz, ont pulvérisé à la main l'herbicide Roundup autour des pylônes et dans les fossés le long de la route de Bruno, en bordure des champs nos 1, 2, 3 et 4. Cela faisait partie de la pratique normale en matière de lutte contre les mauvaises herbes. Plusieurs jours après, il a remarqué qu'un grand nombre de plants de canola qui avaient été traités avaient survécu. Afin de déterminer pourquoi les plants de canola avaient survécu, M. Schmeiser a effectué un test dans le champ no 2. En se servant d'un pulvérisateur qui était réglé pour pulvériser l'herbicide sur une distance de 40 pieds, il a traité avec l'herbicide Roundup une bande de terre en bordure de la route, dans le champ no 2. Il est passé à deux reprises avec le pulvérisateur, la première fois en contournant les pylônes et, la deuxième fois, à côté de l'endroit où il était passé la première fois, sur une bande parallèle aux pylônes. Il a témoigné avoir ainsi traité le champ no 2 sur une superficie d'au moins trois acres. Selon la preuve présentée par M. Schmeiser, au bout de quelques jours, environ 60 p. 100 des plantes de canola qui avaient été traitées étaient encore vivantes et poussaient en touffes qui étaient plus épaisses près de la route et qui commençaient à s'éclaircir au fur et à mesure que l'on avançait dans le champ.
[23]Au moment de la récolte, en 1997, M. Schmeiser, qui se rétablissait alors d'une blessure à la jambe, a demandé à M. Moritz de faucher et de moissonner le champ no 2. C'est ce que M. Moritz a fait, en récoltant le canola qui était dans le champ ainsi que le canola qui avait survécu le long de la route. Les graines récoltées ont été mises dans la caisse d'une camionnette Ford 1962. On a recouvert la caisse d'une bâche et la camionnette, avec son chargement de graines de canola recouvertes, a été garée pour l'hiver dans l'un des bâtiments appartenant à M. Schmeiser.
[24]M. Schmeiser a témoigné qu'au printemps 1998, les graines qui étaient dans la camionnette Ford ont été mises dans un autre camion et apportées à la minoterie Humboldt pour être traitées comme on le fait normalement pour débarrasser les graines de toute maladie avant de les semer. Les graines traitées, mélangées à des graines non traitées provenant du grenier de M. Schmeiser (les graines «tout-venant»), ont été semées sur la totalité ou sur une partie de chacun des neuf champs, sur une superficie totale de 1 030 acres.
[25]Les Schmeiser ont vendu la récolte de canola de 1998 pour la somme de 142 625 $. Toutes les graines de canola provenant de la récolte de 1998 qui avaient été gardées ont été détruites à la suite de conseils juridiques que M. Schmeiser avait reçus après l'introduction de la présente instance.
[26]Les experts des parties ont effectué un certain nombre de tests sur les plantes de canola à côté du champ no 2 en 1997, sur certaines graines provenant de ces plantes et sur les plantes de canola qui poussaient dans tous les champs des Schmeiser en 1998. On a notamment effectué des «tests de croissance» dans le cadre desquels des graines de canola provenant des champs en cause ont été semées et les plantes qu'elles ont données ont été traitées avec l'herbicide Roundup. Les tests ont permis de déceler la présence du gène breveté de Monsanto dans les plantes traitées qui avaient survécu. De l'avis de M. Downey, que Monsanto avait cité comme témoin expert, le taux élevé de survie des plants qui avaient germé dans les échantillons de 1997 pouvait uniquement s'expliquer par la présence, dans le champ no 2, de canola cultivé à partir de graines commerciales résistantes Roundup. La preuve fournie par les divers tests, telle qu'elle a été expliquée par les témoins experts, a amené le juge de première instance à tirer la conclusion suivante (au paragraphe 114 de ses motifs):
Malgré les questions qui ont été soulevées au sujet de certains aspects de l'échantillonnage et du traitement des échantillons de la récolte de canola de 1998 des défendeurs, j'estime, sous réserve de l'examen de tout moyen de défense invoqué, que la prépondérance de la preuve appuie la conclusion que la culture et la vente par les défendeurs de canola résistant au Roundup portent atteinte aux droits exclusifs des demanderesses d'exploiter le gène et la cellule brevetés. J'arrive à cette conclusion provisoire après avoir également conclu, selon la prépondérance de la preuve, que les échantillons prélevés dans les fossés des neuf champs en juillet 1998 et les trois échantillons prélevés au hasard dans chacun des champs en août 1998 sont représentatifs de toute la récolte, si l'on songe que les neuf champs avaient tous été ensemencés avec des graines prélevées sur la récolte effectuée en 1997 dans le champ no 2 et que l'on savait résistantes au Roundup.
[27]Un certain nombre d'arguments ont été soumis pour le compte de M. Schmeiser à l'encontre de l'allégation de contrefaçon. Certaines questions soulevées dans cet appel sont les mêmes. Le juge de première instance a rejeté tous les moyens de défense proposés et il a conclu que le brevet de Monsanto avait été contrefait. Les conclusions du juge sont résumées comme suit au paragraphe 2 de ses motifs de jugement:
Après avoir examiné la preuve produite et les observations faites, oralement et par écrit, pour le compte des parties, je suis d'avis d'accueillir l'action des demanderesses et de leur accorder certaines des réparations recherchées. J'expose dans les présents motifs les fondements de mes conclusions, plus particulièrement de ma conclusion portant que, suivant la prépondérance de la preuve, les défendeurs ont contrefait un certain nombre de revendications visées par les lettres patentes canadiennes no 1,313,830 des demanderesses, en plantant, en 1998, des champs en canola avec des semences gardées de leur récolte de 1997, sans autorisation ou licence des demanderesses, même s'ils savaient, ou auraient dû savoir, que ces semences étaient tolérantes au Roundup et que des tests avaient révélé qu'elles contenaient le gène et les cellules revendiqués dans le brevet des demanderesses. En vendant les semences récoltées en 1998, les défendeurs ont de nouveau contrefait le brevet des demanderesses.
Points litigieux
[28]Dix-sept moyens d'appel sont énoncés dans l'exposé des faits et du droit que M. Schmeiser et sa société ont soumis. À l'audience, l'avocat de M. Schmeiser a divisé ces moyens, pour plus de commodité, en quatre catégories, dont trois se rapportaient à la contrefaçon et une aux réparations. J'examinerai ci-dessous chacune des quatre catégories de questions, mais pas dans l'ordre où elles ont été présentées à l'audition de l'appel. L'analyse se rapportant à la quatrième catégorie (les réparations) comprendra une analyse des questions que Monsanto a soulevées dans l'appel incident.
1) Le brevet est-il contrefait si M. Schmeiser n'a pas utilisé l'herbicide Roundup pour la récolte de 1998?
[29]Selon la preuve non contredite qu'il a présentée, M. Schmeiser n'a pas pulvérisé l'herbicide Roundup sur le canola cultivé en 1998. Le juge de première instance n'a pas dit s'il croyait M. Schmeiser sur ce point, parce qu'il a conclu que la pulvérisation avec l'herbicide Roundup ne constituait pas un élément essentiel de la présumée contrefaçon. L'avocat de M. Schmeiser a soutenu que cette conclusion était fondée sur une interprétation erronée du brevet de Monsanto. Il a affirmé qu'il ne peut pas être statué que M. Schmeiser a violé les droits que possédait Monsanto sur le brevet en cultivant du canola résistant au glyphosate à moins qu'il n'ait également tiré parti de la résistance au glyphosate en pulvérisant l'herbicide Roundup pour lutter contre les mauvaises herbes.
[30]Pour apprécier cet argument, il faut déterminer quels sont les droits de Monsanto sur le brevet. Le point de départ est l'article 42 de la Loi sur les brevets, qui confère au breveté le droit d'empêcher les autres, pour la durée du brevet, de fabriquer, de construire, d'exploiter ou de vendre à d'autres, pour qu'ils l'exploitent, l'objet de l'invention: voir Forget v. Specialty Tools of Canada Inc., [1996] 1 W.W.R. 12 (C.A.C.-B.), mentionnant Steers v. Rogers, [1893] A.C. 232 (H.L.). Il s'agit d'un monopole que le législateur accorde à l'inventeur qui divulgue l'invention au public. Ce marché conclu par le législateur est décrit comme suit par le vicomte Dunedin dans la décision Pope Appliance Corporation c. Spanish River Pulp and Paper Mills, [1929] A.C. 269 (P.C.), at page 281:
[traduction] [. . .] un brevet est un échange. En contrepartie du monopole qui lui est octroyé, le breveté divulgue au public une connaissance que celui-ci ne possède pas.
[31]La même idée a été exprimée par M. le juge Binnie, au nom de la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 42:
Le contenu du mémoire descriptif d'un brevet est régi par l'art. 34 de la Loi sur les brevets [maintenant art. 27 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 31]]. La première partie est une «divulgation» dans laquelle le breveté doit fournir une description de l'invention «comportant des détails assez complets et précis pour qu'un ouvrier, versé dans l'art auquel l'invention appartient, puisse construire ou exploiter l'invention après la fin du monopole»: Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 517. La divulgation est ce que l'inventeur fournit en contrepartie d'un monopole de 17 ans (maintenant 20 ans) sur l'exploitation de l'invention. On peut faire respecter le monopole au moyen de toute une gamme de recours en droit et en equity, de sorte qu'il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu'il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d'avis public et doivent énoncer «distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif» (par. 34(2)) [maintenant par. 27(4) [mod., idem]].
[32]La contrefaçon n'est pas définie dans la Loi sur les brevets, mais il a été affirmé qu'il s'agit de tout acte qui «nuit à la pleine jouissance du monopole accordé»: Lishman c. Eron Roche Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 72 (C.F. 1re inst.); confirmé par (1996), 71 C.P.R. (3d) 146 (C.A.F.). L'avocat de M. Schmeiser a soutenu que cette définition de la contrefaçon est trop générale parce que les mots «pleine jouissance» donnent peut-être à entendre que la simple possession d'une invention brevetée peut constituer une contrefaçon. À mon avis, la définition de la contrefaçon énoncée dans la décision Lishman vise à indiquer que ce qui constitue de la contrefaçon dans un cas particulier est fonction de l'étendue du monopole conféré par la loi, de sorte que tout acte qui nuit à ce monopole est par définition une «contrefaçon». Je n'interprète pas la définition donnée dans la décision Lishman comme ayant une portée plus étendue.
[33]Par conséquent, pour décider si un certain acte constitue une contrefaçon, il faut déterminer l'étendue du monopole conféré par la loi en interprétant les revendications du brevet. L'interprétation d'une revendication est une question de droit: Whirlpool, précité, au paragraphe 76.
[34]Selon un principe fondamental, il faut donner aux revendications une interprétation téléologique. Cette interprétation est expliquée comme suit par lord Diplock dans la décision Catnic Components Limited and Another c. Hill & Smith Limited, [1982] R.P.C. 183 (H.L.), aux pages 242 et 243:
[traduction] Le mémoire descriptif d'un brevet est une déclaration unilatérale du breveté, rédigée en ses propres mots, à l'intention de tous ceux qui, sur le plan pratique, pourront s'intéresser à l'objet de l'invention (c.-à-d. «les hommes du métier»). Par sa déclaration, le breveté informe ces personnes de ce qu'il estime être les éléments essentiels du produit ou du procédé nouveau sur lequel des lettres patentes lui accordent un monopole. Ce ne sont que ces caractéristiques originales qu'il dit essentielles qui constituent ce qu'on appelle la «substance» de la revendication. Le mémoire descriptif d'un brevet doit recevoir une interprétation utilitaire plutôt qu'une interprétation littérale résultant du genre de méticuleuse analyse verbale à laquelle les avocats, en raison de leur formation, sont trop souvent enclins.
[35]Dans l'arrêt Whirlpool, précité, le juge Binnie a approuvé le passage précité et a ajouté ce qui suit (au paragraphe 45):
L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments «essentiels» de son invention. J'estime que cette méthode n'est pas différente de celle que le juge en chef Duff avait adoptée environ 40 ans auparavant dans l'arrêt J. K. Smit & Sons, Inc. c. McClintock, [1940] R.C.S. 279.
[36]Peu de temps avant le prononcé du jugement Catnic, M. le juge Dickson [tel était alors son titre] avait dit, dans l'arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 520, que l'interprétation d'une revendication doit être équitable et raisonnable à la fois pour le breveté et pour le public. Si je comprends bien, il s'agit simplement d'une autre façon de définir l'approche téléologique qui s'applique à l'interprétation des revendications d'un brevet, en soulignant le marché conclu par le législateur en délivrant un brevet. J'arrive à cette conclusion à cause des remarques suivantes que le juge Binnie a faites dans l'arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 49g):
Même si elle est une appellation qui a été appliquée à l'interprétation des revendications par l'arrêt Catnic, précité, l'«interprétation téléologique» elle-même est fort compatible, selon moi, avec ce que le juge Dickson avait affirmé, l'année précédente, dans l'arrêt Consolboard, précité, au sujet de l'interprétation des revendications (aux pp. 520 et 521):
Il faut considérer l'ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l'invention et son mode de fonctionnement (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation, [1950] R.C.S. 36), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n'est pas le moment d'être trop rusé ou formaliste en matière d'oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l'arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la p. 574: [traduction] «quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l'inventeur l'exclusivité de ce qu'il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet».
Non seulement l'«interprétation téléologique» est-elle compatible avec ces principes bien établis, mais encore elle favorise l'atteinte de l'objectif visé par le juge Dickson, à savoir une interprétation des revendications de brevet qui «soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public».
[37]Il est également bien établi qu'en interprétant les revendications d'un brevet, 1) on peut se reporter à la partie divulgation du mémoire descriptif pour mieux comprendre les termes employés dans les revendications; 2) il n'est pas nécessaire de s'y référer lorsque l'énoncé de la revendication est clair et non équivoque; et 3) on ne peut à bon droit y avoir recours pour modifier la portée des revendications: Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751 (C.A.), au paragraphe 30; autorisation de pourvoi refusée, [1997] R.C.S. x.
[38]En l'espèce, les revendications du brevet de Monsanto qui auraient été contrefaites comprennent (dossier d'appel, aux pages 304 à 308):
[traduction]
1. Un gène chimère pour plante qui comprend: |
a) un promoteur fonctionnant dans des cellules végétales; |
b) une séquence de codage qui produit l'ARN codant le peptide de transfert vers les chloroplastes et le polypeptide de fusion 5-énolpyruvylshikimate- 3-phosphate synthase (EPSPS), lequel peptide de transfert vers les chloroplastes permet de transporter le polypeptide de fusion jusque dans un chloroplaste de cellule végétale; |
c) une région non traduite en 3' qui code un signal de polyadénylation qui, dans les cellules végétales, permet l'addition de nucléotides de polyadénylates à l'extrémité 3' de l'ARN; |
le promoteur est hétérologue eu égard à la séquence de codage et adapté pour permettre une expression suffisante du polypeptide de fusion afin d'améliorer la résistance au glyphosate de la cellule végétale transformée à l'aide du gène. |
2. Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel le promoteur est une séquence de promoteur de virus végétal. |
[. . .]
5. Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel la séquence de codage code une 5-énolpyruvylshikimate- 3-phosphate synthase (EPSPS) mutante. |
6. Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel la séquence de code de l'EPSPS code une EPSPS d'un organisme choisi dans le groupe des bactéries, des champignons et des plantes. |
7. Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel le peptide de transfert vers un chloroplaste provient d'un gène d'EPSPS de plante. |
[. . .]
22. Une cellule végétale résistant au glyphosate, renfermant un gène chimère pour plante de la revendication 1. |
23. Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle le promoteur est une séquence de promoteur de virus végétal. |
[. . .]
26. Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle la séquence de codage code une 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase mutante. |
27. Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle la séquence de codage code une EPSPS d'un organisme choisi dans le groupe des bactéries, des champignons et des plantes. |
28. Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle le peptide de transfert vers un chloroplaste provient d'un gène d'EPSPS de plante. |
[. . .]
45. Une cellule de colza oléagineux résistant au glyphosate de la revendication 22. |
[39]Le gène «chimère» pour plante est un gène qui a été conçu par un processus moléculaire à partir de sources multiples, et notamment d'ADN végétal, viral et bactérien.
[40]Le juge de première instance a interprété les revendications comme suit (au paragraphe 26 de ses motifs):
Les revendications 1, 2, 5, 6 et 7 concernent chacune un gène chimère pour plante, dont les caractéristiques sont celles spécifiées dans la revendication. Les revendications 22, 23, 26, 27 et 28 concernent chacune une cellule de plante résistant au glyphosate renfermant un gène chimère pour plante de la revendication 1, avec d'autres caractéristiques de cellule spécifiées pour les revendications autres que la revendication 22. Enfin, la revendication 45 concerne simplement une cellule de colza oléagineux résistant au glyphosate de la revendication 22. La présence du gène chimère pour plante décrit dans la revendication 1 est essentielle pour toutes les revendications. Les revendications concernent les gènes et les cellules qui sont résistants au glyphosate. À l'évidence, l'invention est utile eu égard à la résistance au glyphosate, mais aucune des revendications ne spécifie cette utilité et aucune n'exige l'utilisation de glyphosate, comme l'herbicide Roundup, pour l'invention revendiquée.
[41]L'avocat de M. Schmeiser a soutenu que si le simple fait de planter du canola Roundup Ready constitue de la contrefaçon, les revendications du brevet sont interprétées d'une façon trop libérale parce que le gène Monsanto, soit l'invention brevetée, n'a aucune fonction s'il est présent dans une plante qui en fait n'a pas survécu à la pulvérisation d'herbicide Roundup. L'avocat a repris les paroles prononcées par le juge Dickson dans l'arrêt Consolboard et a soutenu que l'interprétation proposée par Monsanto et retenue par le juge de première instance est inéquitable pour le public, tel qu'il est représenté par M. Schmeiser; en effet, si cette interprétation était maintenue, M. Schmeiser pourrait être tenu responsable de la contrefaçon simplement parce qu'il a suivi les pratiques agricoles qu'il suit normalement.
[42]Il est vrai que la seule caractéristique qui est ajoutée à une plante par suite de la présence du gène Monsanto est la résistance au glyphosate et que c'est la résistance au glyphosate recherchée qui a entraîné les travaux ayant mené à l'invention. Ce dernier point ressort clairement des énoncés suivants figurant dans la divulgation du brevet (dossier d'appel, à la page 238):
[traduction] L'objet de cette invention est de fournir une méthode pour l'obtention de cellules végétales génétiquement modifiées, qui rend ces cellules et les plantes produites à partir de celles-ci résistantes au glyphosate et aux sels herbicides de ce dernier.
[. . .]
Cette invention fait appel à un vecteur de clonage ou d'expression, comprenant un gène pour coder le polypeptide 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase (EPSPS) qui, lorsqu'il est exprimé dans une cellule végétale, contient un peptide de transfert vers les chloroplastes, permettant le transport du polypeptide, ou d'une fraction de ce dernier possédant une activité enzymatique, à partir du cytoplasme de la cellule végétale jusque dans un chloroplaste à l'intérieur de la cellule, ce qui confère à la cellule végétale et aux plants qui en sont dérivés une résistance substantielle au glyphosate.
[43]Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire qu'il faut absolument que l'herbicide Roundup soit utilisé pour qu'il soit possible de conclure à la contrefaçon. Il me semble que l'argument qui a été invoqué au nom de M. Schmeiser sur ce point est défectueux, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, il se fonde à tort sur la divulgation qui est faite dans le brevet pour incorporer une restriction qui ne figure pas dans le libellé des revendications elles-mêmes (voir Dableh, précité,). En second lieu, il propose une interprétation de la revendication qui est définie ou limitée par la présumée contrefaçon. Dans l'arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 49a), le juge Binnie a dit qu'une approche axée sur les résultats, en ce qui concerne l'interprétation d'un brevet, est erronée.
[44]L'avocat de M. Schmeiser a mentionné l'arrêt Reymes-Cole v. Elite Hosiery Co. Ltd., [1965] R.P.C. 102 (C.A.) à l'appui de son argument. Cette affaire se rapportait à un certain nombre de brevets concernant la fabrication de bas de nylon. L'un des brevets se rapportait à des bas dont la couture, aux orteils, comportait un pli. Selon la preuve, on trouvait souvent pareil pli dans les bas de nylon, mais habituellement il ne s'y trouvait qu'accidentellement, à cause d'une inattention momentanée de l'opérateur de la machine à coudre, et lorsqu'il était découvert, il était considéré comme un défaut. Or, le breveté estimait que le pli comportait certains avantages, et il a obtenu un brevet pour des bas dans lesquels on faisait délibérément ce pli. Lord Diplock, au nom de la majorité, a dit ceci, aux pages 117 et 118:
[traduction] [. . .] Si le brevet était valide, comme le juge l'a statué, j'aurais été porté à conclure que le demandeur pouvait établir la contrefaçon même si les plis qui se trouvaient dans les bas contrefaits étaient accidentels. Cependant, malgré tout le respect que j'éprouve pour le juge, je ne crois pas qu'il ait eu raison de conclure comme il l'a fait que le brevet était valide.
Il semble que le droit des brevets entraînerait un résultat étrange si, en obtenant un brevet comme il a tenté de le faire, selon les revendications du mémoire descriptif, à l'égard de bas renfermant de petits plis de ce genre, le demandeur pouvait empêcher les fabricants de continuer à utiliser un procédé de fabrication qu'ils avaient antérieurement utilisé et dans lequel des plis étaient accidentellement produits, et de commercialiser les produits résultant de pareil procédé renfermant le pli involontaire. À mon avis, le droit n'emporte pas une telle conséquence. Le demandeur a peut-être bien été le premier à reconnaître qu'une caractéristique physique qui était déjà bien connue, mais qui était considérée comme un défaut accidentel dans un bas, comportait un avantage; cependant, pareille reconnaissance, sans plus, n'est pas une invention et ne comporte pas d'étape inventive.
[45]Je ne puis constater aucune analogie utile entre la présente affaire et l'affaire Reymes-Cole. L'arrêt Reymes-Cole ne fait pas autorité en ce qui concerne la thèse selon laquelle un brevet doit être interprété d'une façon restrictive si une interprétation large peut entraîner une contrefaçon accidentelle. Au contraire, lord Diplock semblait reconnaître qu'un brevet valide peut donner lieu à une contrefaçon accidentelle. Le point qui ressort de l'arrêt Reymes-Cole est qu'une chose qui est aussi commune qu'un pli, dans la couture d'un bas, aux orteils, n'est pas nouvelle. Or, Monsanto ne revendique pas un monopole sur une pratique ou sur une technique agricole, aussi commune ou connue soit-elle.
[46]À mon avis, le juge de première instance a correctement appliqué les principes à utiliser pour interpréter les revendications d'un brevet. Il avait à sa disposition le témoignage d'experts pour l'aider à comprendre les revendications comme une personne versée dans l'art les comprendrait. Le juge a entendu ces témoignages; il n'a pu trouver, dans les revendications, aucune ambiguïté justifiant le recours à la divulgation et il a conclu que l'essence de chaque revendication était la présence du gène Monsanto. À mon avis, son interprétation était correcte. Cette interprétation répond par ailleurs complètement à l'argument de l'avocat de M. Schmeiser selon lequel les revendications du brevet ne peuvent pas être contrefaites par une personne qui cultive des plantes contenant le gène Monsanto, mais qui ne les traite pas avec l'herbicide Roundup.
2) Les circonstances dans lesquelles le gène Monsanto s'est retrouvé dans la récolte de 1998 des Schmeiser entrent-elles en ligne de compte?
[47]Il a été conclu que seule la récolte de canola de 1998 des Schmeiser contrefaisait le brevet de Monsanto. Cette récolte provenait principalement de graines du canola résistant au glyphosate qui avait poussé ou à coté de la propriété des Schmeiser en 1997. Toutefois, le juge de première instance n'a tiré aucune conclusion au sujet des circonstances dans lesquelles le canola résistant au glyphosate s'était retrouvé à cet endroit en 1997 parce que, à son avis, cela importait peu. Aux paragraphes 119 et 120 de ses motifs, le juge a expliqué pourquoi il en était ainsi:
La provenance du canola résistant au Roundup qui s'est retrouvé dans la récolte de 1997 des défendeurs ne revêt cependant pas une si grande importance lorsqu'il s'agit de résoudre la question de la contrefaçon en ce qui concerne la récolte de 1998. M. Schmeiser reconnaît lui-même qu'il a conservé des semences cultivées en 1996 dans le champ no 1 pour s'en servir pour la récolte de 1997. En 1997, il savait que les plantes cultivées dans le champ no 2 montraient un degré très élevé de résistance à l'herbicide Roundup et il a récolté des semences provenant de ce champ qu'il a gardées en vue de les ensemencer en 1998.
Je conclus que, en 1998, M. Schmeiser a planté des graines de canola qu'il avait gardées de sa récolte de 1997 dans son champ no 2 alors qu'il savait ou aurait dû savoir que ces graines étaient résistantes au Roundup. Je conclus également qu'il s'est principalement servi de ces graines pour ensemencer la totalité de ses neuf champs de canola en 1998.
[48]Il a été soutenu au nom de M. Schmeiser que le juge de première instance avait commis une erreur en disant que la provenance du canola résistant au glyphosate produit en 1997 importe peu, parce qu'il n'aurait pas pu y avoir contrefaçon si M. Schmeiser n'avait pas pris de mesures pour que des plantes de canola résistant au glyphosate poussent sur sa propriété ou à côté de sa propriété en 1997.
[49]L'argument invoqué au nom de M. Schmeiser sur ce point est une combinaison de points liés les uns aux autres, que je résumerai comme suit. Les graines des plantes de canola résistant au glyphosate qui sont apparues en 1997 dans les champs des Schmeiser ou à côté devenues la propriété de M. Schmeiser par application de la loi. Ces plantes auraient pu provenir de graines de canola qu'un camion avait échappées en passant ou de graines que le vent ou les eaux de crue avaient transportées depuis les champs voisins. En l'absence de quelque élément de preuve montrant que M. Schmeiser avait de quelque façon fait en sorte que ces plantes de canola résistant au glyphosate poussent sur à côté de sa propriété en 1997, la récolte qui en a résulté en 1998 ne devrait pas être assujettie à la revendication d'un brevet. Conclure le contraire constitue une atteinte injustifiée aux droits de propriété de M. Schmeiser, en particulier au droit de propriété sur ses récoltes et au droit de récolter ce qui pousse sur ses terres et de conserver les graines pour les semer par la suite. Subsidiairement, il devrait être conclu que Monsanto a renoncé aux droits qu'elle possédait sur le brevet ou qu'elle les a abandonnés en laissant du canola résistant au glyphosate s'échapper dans l'environnement.
[50]J'examinerai ces arguments sous trois titres: a) le conflit de droits, b) le contrefacteur innocent, c) l'effet de la dissémination en milieu ouvert.
a) Le conflit de droits
[51]Je suis prête à supposer, sans toutefois me prononcer sur la question, que le propriétaire d'un bien immobilier possède le titre légal afférent à toute repousse spontanée qui se trouve sur son bien-fonds et en général qu'il a le droit de conserver les graines provenant de pareille plante et de semer les graines et de récolter ce qu'il a semé pour en tirer un profit au cours d'années subséquentes. Toutefois, il n'existe aucune décision appuyant la thèse selon laquelle le droit de propriété existant sur une plante doit nécessairement l'emporter sur les droits que possède le breveté sur un gène contenu dans la plante. Au contraire, la jurisprudence présente un certain nombre d'exemples dans lesquels les droits de propriété existant sur un bien sont compromis dans la mesure nécessaire pour protéger le monopole conféré par la loi au breveté. En général, l'existence de pareil conflit de droits n'est pas pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a contrefaçon, car on en tient uniquement compte pour décider de la réparation à accorder en cas de contrefaçon.
[52]La meilleure analogie se trouve dans les affaires où il existe un conflit entre les droits du propriétaire d'une machine et les droits du breveté à l'égard d'un composant de la machine. Si le breveté ne consent pas à l'exploitation particulière de l'objet de l'invention, il peut être ordonné au propriétaire de la machine d'enlever le composant contrefait ou, s'il lui est impossible de le faire, de remettre la machine au breveté: Stiga Aktiebolag and Noma Outdoor Products Inc. c. S.L.M. Canada Inc. (1990), 39 F.T.R. 13 (C.F. 1re inst.) et Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1988), 21 C.I.P.R. 70 (C.F. 1re inst.). M. juge Cullen a expliqué ces réparations comme suit dans la décision Diversified Products (à la page 72):
Le droit applicable dit clairement que: [traduction] «une ordonnance prescrivant la remise est accessoire à la délivrance d'une injonction, et elle vise à protéger la breveté contre l'utilisation et la vente d'articles constituant contrefaçon par la défenderesse qui a été reconnue coupable de contrefaçon; il ne s'agit pas d'une punition infligée au contrefacteur» H. Fox, Canada Patent Law, 4th ed. (1969), p. 505. Va dans le même sens un commentaire de T.A. Blanco-White dans Patents for Invention, 4th edition, à la page 429 [traduction]: «La remise se limitera à ce qui est raisonnable pour protéger le breveté contre d'autres contrefaçons: ainsi, lorsqu'une petite partie d'une machine compliquée constituait la contrefaçon d'un brevet valide, seules les pièces qui empiétaient sur ce brevet devaient être remises.» Évidemment, il est nécessaire de protéger le breveté contre toute utilisation, après l'expiration du brevet, d'une machine fabriquée lorsque le brevet était encore valide.
Deuxièmement, la propriété n'est pas transférée au breveté, comme le dit Fox (précité) à la page 505 [traduction]: «En ce sens, le défendeur n'est pas privé de son droit de propriété sur les articles incriminés pourvu que l'on puisse les empêcher de constituer contrefaçon» [Non souligné dans l'original.]
[53]L'avocat de M. Schmeiser a mentionné l'arrêt Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain inc. (2002), 210 D.L.R. (4th) 385 (C.S.C.), comme exemple d'un cas dans lequel on n'a pas laissé des droits de propriété intellectuelle l'emporter sur les droits du propriétaire d'un bien. Je n'interprète pas cet arrêt-là comme établissant le principe proposé par l'avocat de M. Schmeiser.
[54]Dans l'affaire Théberge, un artiste créait certaines peintures et cédait à un éditeur le droit de faire des affiches et d'autres reproductions papier de ses oeuvres. Une galerie d'art avait acheté certaines affiches autorisées et, en utilisant un processus chimique, elle avait reporté l'encre du papier sur une toile, laissant l'affiche blanche. L'artiste avait sollicité une injonction, une comptabilisation des dommages-intérêts devant la Cour supérieure du Québec; il avait également obtenu un bref de saisie avant jugement en vertu du paragraphe 38(1) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20] de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, à l'égard de toutes les reproductions sur toile de son oeuvre. Le paragraphe 38(1) autorise la saisie des exemplaires contrefaits d'une oeuvre. Le juge Binnie, au nom de la majorité, a statué que ce que la galerie d'art avait fait avec les affiches ne constituait aucunement une reproduction de l'oeuvre et qu'il s'agissait donc d'une chose qu'elle avait le droit de faire en sa qualité de propriétaire des affiches. L'objection réelle de l'artiste, en ce qui concerne les actes commis par la galerie d'art, était que cette dernière avait porté atteinte à ses droits moraux, mais le paragraphe 38(1) de la Loi sur le droit d'auteur n'autorise pas la saisie avant l'instruction de marchandises visant à assurer l'exercice des droits moraux d'un artiste.
b) Le contrefacteur innocent
[55]L'avocat de M. Schmeiser a soutenu qu'en l'espèce, tirer une conclusion en faveur de Monsanto causerait un préjudice sérieux à tout agriculteur qui ne veut pas cultiver le canola Roundup Ready, et ce, parce que le canola résistant au glyphosate peut apparaître dans un champ sans y avoir été planté, mais que l'agriculteur ne peut pas le déceler sans pulvériser l'herbicide Roundup, tuant ainsi tout canola ordinaire qui se trouve dans le champ.
[56]Il y a beaucoup de force à l'argument selon lequel il serait inéquitable d'accorder à Monsanto une réparation par suite de la contrefaçon lorsqu'il y a des repousses spontanées de canola Roundup Ready dans le champ d'un agriculteur, mais que sa résistance au glyphosate n'est pas connue, ou si cette caractéristique devient apparente, lorsque les graines des plantes spontanées ne sont pas conservées pour être cultivées. On affirme souvent que l'intention n'est pas essentielle à une conclusion de contrefaçon: H. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd. (1969), à la page 381; Computalog Ltd. c. Comtech Logging Ltd. (1992), 44 C.P.R. (3d) 77 (C.A.F.). Ce principe a été élaboré dans le contexte de brevets concernant des inventions habituelles: voir par exemple Stead v. Anderson (1847), 2 Web. P.C. 151; 72 R.R. 730; Wright v. Hitchcock (1870), L.R. 5 Ex. 37; Young v. Rosenthal (1884), 1 R.P.C. 29 (Q.B.); Skelding v. Daly et al. (1941), 57 B.C.R. 121 (C.A.). À coup sûr, dans la plupart des cas de contrefaçon de brevet, permettre un moyen de défense fondé sur l'ignorance ou sur l'absence d'intention de se livrer à une contrefaçon détruirait l'efficacité du brevet parce que fort peu de gens connaissent le contenu réel d'un brevet particulier.
[57]Toutefois, il me semble contestable que le gène Monsanto breveté appartienne à une nouvelle catégorie. Il s'agit d'une invention brevetée existant dans une plante vivante qui peut, sans intervention humaine, produire une descendance contenant la même invention. Il n'est pas contesté qu'une plante qui contient le gène Monsanto peut se trouver par hasard sur la propriété d'une personne qui n'a aucune raison d'être au courant de la présence de la caractéristique créée par le gène breveté. On peut également supposer avec raison que la personne en question apprendra que la plante comporte cette caractéristique, mais qu'elle tolérera peut-être la présence continue de la plante sans pour autant faire quoi que ce soit pour causer ou encourager la propagation de la plante ou de sa descendance (par exemple en conservant les graines et en les semant). À mon avis, on peut se demander si en pareil cas, il est possible pour Monsanto d'obtenir une réparation fondée sur la contrefaçon pour le motif que l'intention du présumé contrefacteur n'est pas pertinente. Toutefois, cette question n'a pas à être réglée en l'espèce.
[58]Dans ce cas-ci, M. Schmeiser a cultivé des plantes de canola résistant au glyphosate. Le canola cultivé en 1998 était presque entièrement résistant au glyphosate et provenait de graines que M. Schmeiser avait conservées, lesquelles se trouvaient dans ses propres champs et dans les réserves routières contiguës en 1997. Le juge de première instance n'a pas conclu que M. Schmeiser avait initialement été en cause lorsqu'il s'était agi de cultiver ces plantes de canola résistant au glyphosate en 1997, mais il a conclu, en se fondant sur de nombreux éléments de preuve, que M. Schmeiser savait ou aurait dû savoir que ces plantes résistaient au glyphosate lorsqu'il avait conservé leurs graines en 1997 et qu'il les avait semées l'année suivante. C'était la culture, la moisson et la vente de la récolte de 1998 dans ces circonstances qui rendaient M. Schmeiser vulnérable à l'allégation de contrefaçon qui était faite par Monsanto.
c) L'effet de la dissémination en milieu ouvert
[59]L'avocat de M. Schmeiser a soutenu qu'en autorisant des agriculteurs à planter du canola Roundup Ready sans prendre de mesures pour limiter sa propagation par suite du déplacement du pollen et du déversement accidentel, Monsanto avait renoncé à tout droit exclusif qu'elle possédait. Or, cet argument, s'il est retenu, aurait pour effet d'annuler le brevet de Monsanto. Le juge de première instance a rejeté cet argument. Je souscris à l'analyse que le juge a effectuée et aux conclusions qu'il a tirées sur ce point, telles qu'elles sont énoncées aux paragraphes 95 à 98 de ses motifs de jugement:
Invoquant les photos que M. Schmeiser a déposées en preuve et qui montrent la présence de repousses spontanées et de plantes dans les champs, à Bruno et dans les environs, les défendeurs soutiennent que la dissémination en milieu ouvert et l'absence de contrôle de Monsanto sur la reproduction des plantes contenant le gène breveté démontrent à l'évidence que l'invention des demanderesses a été diffusée sans aucun contrôle. Les défendeurs affirment d'ailleurs que ce problème est grave au point où la diffusion de l'invention échappe à tout contrôle et que Monsanto ne peut revendiquer le droit exclusif à la possession et à l'exploitation de l'invention. Ils ajoutent que les demanderesses étaient tenues de contrôler la technologie de l'invention pour en éviter la diffusion, ce qu'elles n'ont pas tenté de faire.
Cette appréciation accorde beaucoup d'importance aux photographies de repousses spontanées que l'on trouve à Bruno et qui auraient survécu à la pulvérisation au «Roundup», ainsi qu'aux photographies du canola que l'on trouve dans des champs qui seraient des champs de canola et dont certains contiendraient le gène en question. Je me dois de signaler qu'en tirant une telle conclusion, les défendeurs font fi des éléments de preuve relatifs aux accords d'octroi de licence que Monsanto a élaborés avec rigueur et précision pour limiter la propagation du gène. Ces accords obligent les producteurs à convenir de ne vendre le produit obtenu grâce aux semences fournies aux termes d'une entente sur les utilisations technologiques qu'à des marchands agréés. Aux termes de ces accords, les producteurs conviennent également de ne pas donner les semences en question à d'autres producteurs et de ne pas les conserver pour leur propre usage, pas même pour le réensemencement. Les défendeurs font également fi des mesures prises par les demanderesses pour contrôler les producteurs autorisés et pour surveiller quiconque cultive le produit sans autorisation. Ils ne tiennent pas compte non plus des mesures énergiques que les demanderesses ont prises pour prélever des échantillons des cultures des défendeurs, qu'elles soupçonnaient de cultiver sans autorisation du canola Roundup Ready et pour tester des échantillons. Ils ignorent finalement les éléments de preuve relatifs aux mesures prises par Monsanto pour arracher des plantes des champs d'autres agriculteurs qui se plaignaient de la prolifération indésirable de canola Roundup Ready dans leurs champs.
De fait, la valeur probante des éléments de preuve administrés en l'espèce appuie la conclusion que les demanderesses ont pris une série de mesures en vue d'enrayer la propagation indésirée de canola contenant leur gène et leur cellule brevetés.
Je ne suis pas persuadé que les demanderesses ont perdu leur droit de revendiquer l'exploitation exclusive de leur invention ou qu'elles ont renoncé à ce droit. Il n'y a de toute évidence aucune renonciation expresse et on ne peut en inférer aucune des agissements des demanderesses, du moins au vu du dossier qui a été soumis à la Cour.
[60]L'avocat de M. Schmeiser soutient qu'il est physiquement impossible d'enrayer complètement la propagation du canola Roundup Ready, que l'existence de plantes spontanées de canola Roundup Ready et la pollinisation croisée du canola Roundup Ready avec d'autres variétés est dans une certaine mesure inévitable, que Monsanto aurait pu prendre certaines mesures pour assurer un meilleur contrôle, mais qu'elle ne l'a pas fait, et que certaines des mesures que Monsanto a prises étaient de nature curative plutôt que préventive. Même si l'avocat de M. Schmeiser a raison sur tous ces points, ces considérations peuvent poser un problème dans certains cas lorsqu'il s'agit pour Monsanto de défendre les droits qu'elle possède sur le brevet, mais on ne saurait dire que Monsanto a ainsi renoncé à ses droits. Il est encore moins justifié de conclure que Monsanto avait renoncé au droit de revendiquer les droits qu'elle possède sur le brevet à l'encontre de M. Schmeiser qui, a-t-il été conclu, avait cultivé du canola alors qu'il savait ou aurait dû savoir que ce canola provenait de graines de plants résistant au glyphosate.
3) Le juge de première instance a-t-il mal interprété la preuve ou a-t-il tenu compte d'éléments de preuve non admissibles?
[61]Quatre arguments sont invoqués sous ce chef. J'ai conclu, pour les motifs ci-après énoncés, qu'aucun de ces arguments ne montre que le juge de première instance a commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour.
a) Existait-il certains éléments de preuve montrant que les graines du champ no 6 avaient été conservées en 1996?
[62]L'avocat de M. Schmeiser a soutenu que le juge de première instance avait commis une erreur, au paragraphe 34 de ses motifs, en disant que rien dans la preuve n'indiquait que les graines récoltées dans le champ no 6 des Schmeiser avaient été conservées en 1996 pour être utilisées comme semences pour la récolte de 1997. C'est ce que M. Schmeiser avait déclaré dans son témoignage, de sorte qu'il existait certains éléments de preuve à ce sujet. Toutefois, à mon avis, cette erreur ne tire pas à conséquence parce que, pour les motifs ci-dessus énoncés, la provenance des graines pour la récolte de 1997 n'entre pas en ligne de compte.
b) Preuve relative aux échantillons et aux tests
[63]L'avocat de M. Schmeiser a fait un certain nombre de critiques au sujet des tests qui avaient été effectués sur les plantes par Monsanto ou pour le compte de Monsanto, et il a soutenu que le juge de première instance avait commis une erreur en accordant trop d'importance à la preuve relative à ces tests, ce qui l'a amené à tirer une conclusion injustifiée au sujet de la proportion du canola résistant au glyphosate dans les champs des Schmeiser.
[64]Une cour d'appel ne peut pas modifier les conclusions de fait tirées par le juge de première instance à moins qu'une erreur manifeste et dominante n'ait influé sur son appréciation des faits: Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577 (C.S.C.). J'ai examiné les motifs prononcés par le juge de première instance par rapport à la transcription et aux documents, et je ne puis constater aucune erreur sous-tendant les conclusions factuelles qu'il a tirées au sujet de la proportion du canola résistant au glyphosate dans les champs des Schmeiser.
c) Des éléments de preuve présentés pour le compte de Monsanto ont-ils violé une ordonnance judiciaire?
[65]On a soutenu que les échantillons que les représentants de Monsanto ont prélevés dans les champs des Schmeiser aux fins des tests conformément à l'ordonnance rendue par le protonotaire adjoint le 12 août 1998 n'auraient pas dû être admis parce que les représentants de Monsanto ne se sont pas conformés aux conditions d'un engagement écrit soumis à la Cour le jour où l'ordonnance a été rendue. Selon l'engagement, les représentants de Monsanto devaient communiquer avec l'avocat qui représentait alors M. Schmeiser à Humboldt (Saskatchewan) avant de prélever des échantillons et ils devaient permettre à un représentant de M. Schmeiser de les accompagner pendant qu'ils prélevaient les échantillons.
[66]Aucun élément de preuve n'a été présenté par l'ancien avocat de M. Schmeiser, de sorte qu'il n'est pas prouvé que les représentants de Monsanto ont communiqué avec lui avant de prélever les échantillons. Toutefois, il est clair que le jour où les représentants de Monsanto ont prélevé les échantillons, et avant qu'ils le fassent, ils ont rencontré M. Schmeiser dans l'un de ses champs, où il travaillait. Le représentant de Monsanto qui a parlé à M. Schmeiser a témoigné que ce dernier avait refusé de les accompagner et leur avait dit d'aller de l'avant et de prélever les échantillons. De son côté, M. Schmeiser a témoigné que les représentants de Monsanto ne lui avaient pas permis de les accompagner.
[67]Le juge de première instance n'a pas tenté de statuer sur ces souvenirs différents, comme il les a appelés, mais il a conclu que l'ordonnance judiciaire du 12 août 1998 n'avait pas été violée. À mon avis, il a eu raison de tirer cette conclusion. M. Schmeiser a admis avoir reçu un préavis du prélèvement, et la preuve ne permet pas de croire qu'il n'aurait pas pu accompagner les représentants de Monsanto s'il l'avait voulu.
d) Si des éléments de preuve ont été illégalement obtenus, auraient-ils dû être exclus?
[68]En 1997, Monsanto a prélevé des échantillons de récolte dans les réserves routières le long des champs de M. Schmeiser. Il n'a pas été établi qu'il y avait eu empiétement, mais l'avocat de M. Schmeiser a soutenu que les échantillons qui avaient été prélevés appartenaient néanmoins à M. Schmeiser et que la preuve relative aux tests effectués à l'aide de ces échantillons aurait dû être exclue parce que les échantillons avaient été prélevés illégalement. Un argument similaire a été invoqué à l'égard des résultats des tests effectués sur les échantillons de graines de canola provenant de la récolte de 1997 de M. Schmeiser que Monsanto avait obtenus de la minoterie Humboldt. Il semble que la minoterie Humboldt prélevait régulièrement des échantillons de graines [traduction] «avant et après» leur traitement. On avait conservé des échantillons des graines que M. Schmeiser avait apportées aux fins du traitement au printemps 1998. Lorsque Monsanto a demandé ces échantillons, la minoterie Humboldt a agréé la demande sans informer M. Schmeiser de la chose. L'avocat de M. Schmeiser a soutenu que ces échantillons appartenaient à M. Schmeiser et que la minoterie Humboldt n'avait pas le droit de les remettre à Monsanto sans le consentement de celui-ci.
[69]Ces deux arguments sont fondés sur la prémisse relative à la question de savoir à qui appartenaient les graines. Le juge de première instance n'a pas remis cette prémisse en question. Je ne la remettrai pas non plus en question, mais je supposerai simplement, sans me prononcer sur ce point, que tous ces échantillons appartenaient à M. Schmeiser.
[70]L'avocat de M. Schmeiser a reconnu qu'en common law, un élément de preuve illégalement obtenu est généralement admissible dans un litige civil, mais il a affirmé que la Cour devrait modifier la common law sur ce point de façon qu'il soit tenu compte des valeurs sous-tendant l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
[71]Le juge de première instance a noté que l'article 24 de la Charte ne s'applique pas aux litiges privés n'ayant aucun lien avec le gouvernement: SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, aux pages 593 à 604. Il a ajouté qu'il ne convient pas ici de demander que les principes de common law soient modifiés comme l'a proposé l'avocat de M. Schmeiser parce que, selon les principes énoncés dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, l'admission de la preuve ne déconsidérerait pas l'administration de la justice. Je souscris au raisonnement que le juge a fait sur ce point, ainsi qu'à la conclusion qu'il a tirée. À mon avis, le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en admettant la preuve relative aux tests d'échantillons prélevés le long de la route ou d'échantillons provenant de la minoterie Humboldt.
4) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en accordant la réparation?
[72]Selon le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, quiconque contrefait un brevet est responsable du dommage que cette contrefaçon a fait subir au breveté. En l'espèce, le dommage semblerait être limité à un montant de 15 $ pour chaque acre de canola résistant au glyphosate en ce qui concerne la récolte de 1998 des Schmeiser (1 030 acres), soit en tout 15 450 $. Toutefois, en vertu du paragraphe 57(1), le tribunal peut accorder d'autres réparations, notamment une injonction et, au lieu des dommages-intérêts, une comptabilisation des bénéfices.
[73]Le juge de première instance a statué que Monsanto Canada Inc. et Monsanto Company pouvaient conjointement choisir une seule réparation, soit une comptabilisation des bénéfices, plutôt que des dommages-intérêts. Il a également statué que la responsabilité de la comptabilisation incomberait à Schmeiser Enterprises Ltd. seulement et que M. Schmeiser ne serait pas tenu personnellement responsable. On a pas soutenu que le juge de première instance avait commis une erreur en permettant à Monsanto de choisir la comptabilisation des bénéfices ou en imputant la responsabilité financière à Schmeiser Enterprises Ltd. seulement.
[74]Le juge de première instance a fixé à 19 832 $ le profit tiré de la vente de la récolte de 1998 et il a également accordé à Monsanto une injonction en ces termes:
[traduction] 3. Il est par les présentes interdit au défendeur Percy Schmeiser ainsi qu'aux mandataires, administrateurs et employés de la défenderesse Schmeiser Enterprises Ltd. et à toute personne relevant des défendeurs, et ce, jusqu'à l'expiration du brevet:
a) de planter ou de cultiver des graines qui, comme ils le savaient ou comme ils devraient le savoir, contiennent des gènes ou des cellules visées par les revendications 1, 2, 5, 6, 22, 23, 27, 28 et 45 du brevet; |
b) de cultiver ou de récolter des plantes produites à partir des graines mentionnées à l'alinéa a); |
c) d'offrir en vente, de vendre, de commercialiser, de distribuer, par n'importe quel moyen, les graines dont il est fait mention ci-dessus à l'alinéa a) ainsi que des plantes produites à partir de ces graines. |
a) Appel interjeté par M. Schmeiser: l'injonction est-elle trop générale?
[75]L'avocat de M. Schmeiser soutient que l'injonction est trop générale parce que M. Schmeiser sait que, même s'il s'est réapprovisionné en graines de canola en 1999, ses champs sont déjà contaminés par du canola résistant au glyphosate. La nature du canola est telle que M. Schmeiser peut raisonnablement prévoir la présence constante de plants spontanés de canola résistant au glyphosate dans son champ. Cette injonction, l'empêche donc de conserver ses graines de canola comme il le fait normalement et il est obligé d'acheter chaque année de nouvelles semences de canola.
[76]Selon l'interprétation que je donne à l'injonction, cela n'empêcherait pas M. Schmeiser de conserver des graines de canola à moins qu'il ne sache ou qu'il ne doive savoir que les graines résistent au glyphosate. Je n'interprète pas les mots «comme ils le savaient ou comme ils devraient le savoir» figurant dans l'injonction comme voulant dire que tous les agriculteurs canadiens, et notamment M. Schmeiser, savent que des plantes spontanées résistant au glyphosate peuvent apparaître n'importe où, ou sont susceptibles d'apparaître n'importe où. Il me semble que la connaissance requise ne serait pas établie à moins que M. Schmeiser, à cause de l'utilisation de l'herbicide Roundup ou au moyen d'un test chimique, ne soit au courant de la présence de plantes de canola résistant au glyphosate sur ou près de sa propriété ou qu'il omette délibérément d'en tenir compte. Si M. Schmeiser, ayant ce degré de connaissance, conservait et plantait les graines provenant de ses plantes, il violerait l'injonction. M. Schmeiser ne violerait pas l'injonction en conservant simplement les graines des plantes de canola qui n'ont pas survécu à la pulvérisation avec l'herbicide Roundup et qui n'ont pas fait l'objet d'un autre test décelant la résistance au glyphosate.
[77]Il me semble que Monsanto devrait avoir le droit d'obtenir une garantie selon laquelle M. Schmeiser ne commettrait pas de nouveau les actes qui, a-t-il maintenant été établi, constituent une contrefaçon du brevet de Monsanto. L'injonction accordée par le juge de première instance fournit cette garantie. Je ne puis imaginer une injonction à portée plus étroite qui puisse avoir la même fonction.
b) Appel interjeté par M. Schmeiser: le montant accordé au titre des dommages-intérêts est-il excessif?
[78]On a soutenu que M. Schmeiser n'avait bénéficié d'aucun avantage financier et qu'il n'avait donc pas fait de profits par suite du fait que sa récolte de 1998 contenait du canola résistant au glyphosate. M. Schmeiser n'a pas vendu sa récolte de 1998 à un autre agriculteur pour que celui-ci l'utilise comme semence de canola résistant au glyphosate, mais il l'a vendue à une huilerie industrielle pour laquelle la présence du gène Monsanto n'avait aucune valeur. Par conséquent, le prix de vente de la récolte de 1998 des Schmeiser aurait été le même, et ce, même si cette récolte n'avait renfermé aucune graine résistant au glyphosate.
[79]Le juge de première instance a rejeté cet argument parce que, comme il l'a dit au paragraphe 135 de ses motifs, ce sont les bénéfices provenant de la vente de la récolte contrefaite que Monsanto peut réclamer, et non la différence entre les profits de la vente de cette récolte et ceux de la vente d'une récolte de plantes qui n'ont pas été cultivées.
[80]À mon avis, le juge de première instance avait raison sur ce point. Une question quelque peu similaire a été examinée dans l'arrêt Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (C.A.); M. le juge Létourneau a répondu à cette question comme suit (à la page 496):
En ce qui concerne cette méthode comptable, je suis d'avis qu'il faut considérer les bénéfices que l'appelante a effectivement réalisés en contrefaisant le brevet, et non ceux qu'elle aurait retirés si elle avait employé une méthode n'entraînant pas de contrefaçon.
c) Appel incident interjeté par Monsanto: le montant accordé au titre des dommages-intérêts est-il trop peu élevé?
[81]Dans une comptabilisation des bénéfices résultant de la contrefaçon d'un brevet, le breveté a la charge d'établir le montant des recettes brutes provenant des actes de contrefaçon. De son côté, le contrefacteur a la charge d'établir les coûts qu'il a engagés pour faire un profit. En général, les seuls coûts à prendre en compte sont ceux qui se rattachent directement à l'activité de contrefaçon: Reading & Bates, précité, aux pages 494 et 495.
[82]Il est convenu que les recettes provenant de la vente de la récolte de 1998 s'élevaient à 142 625 $. Dans le rapport d'expert qui a été produit à l'instruction pour le compte de M. Schmeiser, le montant du profit a été fixé à 35 034 $, mais ce montant ne tenait apparemment pas compte de la valeur du travail de M. Schmeiser. Il est convenu que l'octroi de la somme de 19 832 $ tient raisonnablement compte du travail de M. Schmeiser.
[83]Selon l'argument initialement invoqué pour Monsanto dans le cadre de l'appel incident, le juge de première instance a commis une erreur en concluant que toute dépense supérieure à 36 690 $ aurait dû être prise en ligne de compte. L'avocat de Monsanto a soutenu que le propre expert comptable de M. Schmeiser avait convenu que ce montant représentait uniquement les dépenses directement attribuables à la vente de canola en 1998, mais le juge de première instance a mal interprété la preuve présentée par cet expert ou il a omis à tort d'en tenir compte. L'argument invoqué au nom de Monsanto était donc que le montant des profits aurait dû être fixé à 105 935 $ (142 625 $ moins 36 690 $).
[84]À l'audition de l'appel, l'avocat de Monsanto a indiqué qu'il se contenterait d'un montant de 35 034 $, soit le montant mentionné dans le rapport de l'expert. La différence entre le montant de 19 832 $ accordé par le juge de première instance et le montant de 35 034 $ calculé par l'expert comptable représentait donc uniquement la valeur attribuée au travail de M. Schmeiser.
[85]L'octroi des profits à la suite de la contrefaçon d'un brevet constitue fondamentalement une réparation en equity. À mon avis, si l'application mécanique des principes comptables donne un montant qui ne représente pas le profit tiré de la contrefaçon, il est loisible au juge de première instance d'ajuster le montant, à condition qu'il le fasse de façon motivée.
[86]La seule partie assujettie au montant adjugé était Schmeiser Enterprises Ltd., une société contrôlée par M. Schmeiser. Or, M. Schmeiser n'avait pas l'habitude de toucher un salaire pour le travail effectué à la ferme, mais il faisait en sorte que la société lui verse de l'argent sous forme de dividendes, et ce, pour des raisons d'ordre fiscal qui ne sont pas pertinentes aux fins de la contrefaçon. Le juge de première instance a reconnu que, si ce n'avait été de considérations fiscales non pertinentes, M. Schmeiser aurait fait en sorte que la société lui verse un salaire au lieu de dividendes. Le profit de la société aurait été moins élevé et les profits de la société attribuables à la récolte de canola de 1998 auraient également été proportionnellement moins élevés.
[87]Dans ces conditions, je suis d'avis que le juge de première instance n'a pas commis d'erreur de principe en réduisant le montant adjugé de façon qu'il soit tenu compte d'un montant raisonnable au titre de la valeur du travail de M. Schmeiser. Je conclus que le juge de première instance n'a pas commis d'erreur justifiant l'intervention de la Cour en fixant le montant des profits.
Les dépens
[88]Dans leurs arguments écrits, les deux parties ont sollicité les dépens. De plus, l'intimée Monsanto a demandé à avoir [traduction] «la possibilité de présenter des arguments écrits additionnels au sujet de la gamme et du quantum des dépens». Toutefois, nous n'avons pas entendu les arguments oraux des avocats au sujet de la question des dépens. Cela étant, et puisque Monsanto a demandé à présenter des arguments écrits au sujet de la question des dépens, l'ordonnance officielle, dans cet appel, sera reportée en vue de permettre aux parties de soumettre des arguments écrits au sujet des dépens. Les arguments présentés pour Monsanto Canada Inc. et pour Monsanto Company doivent être signifiés et déposés dans les dix jours qui suivront la date des présents motifs. Les arguments présentés en réponse pour le compte de M. Schmeiser et de Schmeiser Enterprises Ltd. doivent être signifiés et déposés dans les 15 jours qui suivront la date des présents motifs.
Conclusion
[89]Pour les motifs susmentionnés, l'appel et l'appel incident doivent être rejetés.
Le juge Isaac, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
Le juge Noël, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.