T-1554-01
2002 CFPI 929
Leslie Tower, Robert Tower et Bruce Kitsch (demandeurs)
c.
Le ministre du Revenu national et BDO Dunwoody, s.r.l. (défendeurs)
Répertorié:Tower c. M.R.N. (1re inst.)
Section de première instance, juge Kelen--Vancouver, 30 juillet; Ottawa, 3 septembre 2002.
Impôt sur le revenu -- Pratique -- Le MRN a enjoint aux experts-comptables des demandeurs de lui communiquer tous les documents se rapportant aux demandeurs, et notamment les dossiers fiscaux et documents de planification -- Les documents et renseignements qui se trouvent en la possession des experts-comptables des demandeurs ne sont pas protégés par le secret professionnel -- Les demandes de production dans lesquelles le ministre exige des réponses aux questions posées dans le cadre de l'interrogatoire préalable écrit et la création de nouveaux documents par les comptables débordent le cadre légal de l'art. 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Pratique -- Communications privilégiées -- Le MRN a enjoint aux experts-comptables des demandeurs de lui communiquer tous les documents se rapportant aux demandeurs, et notamment les dossiers fiscaux et documents de planification -- Les documents et renseignements qui se trouvent en la possession des experts-comptables des demandeurs ne sont pas protégés par un «privilège générique» ou par un «privilège fondé sur les circonstances de chaque cas».
En 1997, les demandeurs ont décidé d'immigrer à l'étranger et de renoncer à la résidence canadienne. Sur le conseil de leur comptable, les demandeurs ont conclu ce que le ministre a qualifié de «pacte de départ», une opération par laquelle ils ont chacun emprunté de l'argent à une banque (entre 77 et 141 millions de dollars), ont reprêté l'argent à la banque, acquitté les intérêts accumulés sur le prêt initial au cours de leur dernière année de résidence et déduit les intérêts en compensation de leurs revenus au cours de l'année d'imposition. Ils n'ont reçu de paiement d'intérêts de la banque sur l'auto-prêt que l'année suivante, alors qu'ils n'étaient plus des résidents et qu'ils n'étaient plus imposables sur le prêt. En 2001, les demandeurs ont fait l'objet d'une nouvelle cotisation de la part du ministre, qui a refusé la déduction des intérêts pour les années d'imposition 1997 et 1998. Plus tard, en juillet 2001, le ministre a préparé des demandes de production de renseignements conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les demandes de production ont été signifiées aux comptables des demandeurs, la firme BDO Dunwoody, s.r.l., à leur bureau de Kelowna (C.-B.) et à ceux de Calgary. Le ministre réclamait tous les documents se rapportant aux demandeurs, et notamment les dossiers fiscaux et documents de planification.
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire des deux décisions par lesquelles le ministre a envoyé des demandes de production de renseignements. Les questions en litige sont celles de savoir si les documents et les renseignements qui se trouvent en la possession des experts-comptables des demandeurs sont protégés par le secret professionnel et celle de savoir si les demandes de production entrent dans le cadre légal du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Jugement: la demande est accueillie en partie, dans la mesure où les passages des demandes de production dans lesquels le ministre exige des réponses aux questions posées dans le cadre de l'interrogatoire préalable écrit ainsi que la création de nouveaux documents par le cabinet BDO Dunwoody débordent le cadre légal du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et sont annulés.
Les demandeurs soutenaient que les communications qu'ils avaient échangées avec leurs comptables devaient être protégées par un «privilège générique» en raison de l'existence d'une relation qui s'apparente à celle qui existe entre l'avocat et son client, ou en raison de l'existence d'un «privilège fondé sur les circonstances de chaque cas» si celui qui revendique ce privilège satisfait au critère à quatre volets posé par Wigmore dans son ouvrage Evidence in Trials at Common Law. Il est cependant de jurisprudence constante que les experts-comptables et leurs clients ne bénéficient pas d'un privilège générique en ce qui concerne les litiges fiscaux. Il est nécessaire que les communications entre l'avocat et son client soient protégées par le privilège du secret professionnel pour assurer la bonne administration de la justice, étant donné que la reconnaissance de ce privilège a pour effet de protéger le droit fondamental des particuliers d'ester en justice. Mais aucune de ces considérations ne vaut dans le cas des communications échangées entre un comptable et son client parce que le comptable ne représente pas son client en justice.
Il ne s'agit pas non plus d'un privilège fondé sur les circonstances de chaque cas. Les rapports entre un client et son comptable fiscaliste ne sont pas de la nature de ceux qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment. Les dossiers qu'un client communique à son comptable sont des dossiers fiscaux et ils doivent être produits sur demande pour que le fisc puisse vérifier ou contester sa déclaration de revenus. Les clients comprennent que des renseignements doivent être communiqués sur demande aux autorités fiscales. Qui plus est, la collectivité passe présentement par une crise de confiance en ce qui concerne la comptabilisation des renseignements financiers de nombreuses compagnies publiques et le public s'indigne au sujet des irrégularités comptables (notamment celles imputées à Enron et à WorldCom Inc.).
En ce qui concerne la portée juridique des demandes de production, les demandeurs et la défenderesse BDO Dunwoody affirment qu'elles permettent d'explorer «à l'aveuglette» les affaires des demandeurs, débordant ainsi le cadre strict de «l'enquête véritable et sérieuse» du ministre sur les prêts consentis par la banque et la déduction des frais d'intérêts sur ces prêts au cours des deux années d'imposition que les demandeurs ont passé au Canada avant de partir pour l'étranger. En l'espèce, l'assujettissement général des demandeurs à l'impôt fait l'objet d'une vérification. Et il y a une enquête véritable et sérieuse au sens de l'arrêt AGT Ltd. c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 878 (C.A.). Aux termes de la Loi, le ministre a le droit d'exiger la production de «renseignements» pour étudier «les moyens que la société ou l'entreprise soupçonnée a utilisés pour prendre sa décision ou pour la mettre en application». Les demandeurs cherchent à restreindre les demandes de production aux seuls renseignements pertinents aux prêts consentis par la banque aux demandeurs à la fin de l'exercice 1997. Le droit du ministre d'exiger la production de renseignements ne saurait être restreint de la sorte. Ces prêts ont éveillé les soupçons du ministre et l'ont amené à vérifier la dette fiscale générale des demandeurs. La dette fiscale des demandeurs fait l'objet d'une vérification véritable et sérieuse et les demandes de production satisfont donc au critère de la pertinence et du caractère raisonnable. Compte tenu du fait que les demandeurs ont décidé d'immigrer à l'étranger et de contracter des prêts complexes de plusieurs millions de dollars pour obtenir des déductions de l'impôt sur le revenu afin de diminuer le montant des gains en capital à leur départ du Canada, il était raisonnable de s'attendre à ce que le ministre les soumettent à une vérification non seulement en ce qui concerne les opérations de prêt, mais aussi en ce qui concerne leur dette fiscale totale.
Les vastes pouvoirs que le paragraphe 231.2(1) confère au ministre lui permettent d'exiger la production de documents et de renseignements qui existent déjà. Toutefois, ce paragraphe n'est pas libellé de façon assez large pour permettre au ministre d'exiger des comptables qu'ils répondent à un interrogatoire préalable écrit. En conséquence, les passages des demandes de production dans lesquelles le ministre exige que BDO Dunwoody réponde à des renseignements qui n'existent pas débordent le cadre juridique du paragraphe 231.2(1) de la Loi et ils doivent être annulés.
Si l'un quelconque des documents ou des renseignements à produire en réponse aux demandes de production mentionne un client de BDO Dunwoody qui n'a aucun lien avec les demandeurs, BDO Dunwoody a le droit de corriger les documents en question pour biffer le nom de cette personne avant de produire le document ou les renseignements en question.
lois et règlements
Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 231.2(1) (mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 176).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5). |
jurisprudence
décisions appliquées:
R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263; [1991] 6 W.W.R. 673; (1991), 67 C.C.C. (3d) 289; 8 C.R. (4th) 368; 7 C.R.R. (2d) 108; 75 Man. R. (2d) 112; 130 N.R. 161; 6 W.A.C. 112; Baron c. Canada, [1991] 1 C.F. 688; [1991] 1 C.T.C. 125; (1991), 91 DTC 5055; 122 N.R. 47 (C.A.), conf. sur la question du privilège générique [1993] 1 R.C.S. 416; (1993), 99 D.L.R. (4th) 350; 78 C.C.C. (3d) 510; 18 C.R. (4th) 374; 13 C.R.R. (2d) 65; [1993] 1 C.T.C. 111; 93 DTC 5018; 146 N.R. 270; Vancouver Trade Mart Inc. (syndic) c. Canada (Procureur général) (1997), 50 C.B.R. (3d) 139; 48 C.R.R. (2d) 291; [1998] 1 C.T.C. 79; 97 DTC 5520; 138 F.T.R. 161 (C.F.1re inst.); Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289; 1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462; James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national et autres, [1984] 1 R.C.S. 614; (1984), 9 D.L.R. (4th) 1; [1984] 4 W.W.R. 577; 7 Admin. L.R. 302; [1984] CTC 345; (1984), 84 DTC 6325; 54 N.R. 241; AGT Ltd. c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 878; [1997] 2 C.T.C. 275; (1997), 97 DTC 5189; 211 N.R. 220 (C.A.); R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; (1990), 68 D.L.R. (4th) 568; 55 C.C.C. (3d) 530; [1990] 2 C.T.C. 103; 76 C.R. (3d) 283; 47 C.R.R. 151; 90 DTC 6243; 106 N.R. 385; 39 O.A.C. 385; Bisaillon et al. c. La Reine et al. (1999), 99 DTC 5695; 264 N.R. 21 (C.A.F.); Seaspan International Ltd. c. Canada, 2002 CFPI 675; [2002] A.C.F. no 91 (1re inst.) (QL).
décision examinée:
R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445; (2001), 195 D.L.R. (4th) 513; 151 C.C.C. (3d) 321; 40 C.R. (5th) 1; 266 N.R. 275; 142 O.A.C. 201.
doctrine
Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, McNaughton Revision, vol. 8. Boston: Little, Brown & Co., 1961.
DEMANDE de contrôle judiciaire de décisions du MRN d'envoyer aux experts-comptables des demandeurs, la firme BDO Dunwoody, une demande de production de tous les dossiers fiscaux et documents de planification se rapportant aux demandeurs. La demande est accueillie en partie, dans la mesure où les passages des demandes de production dans lesquels le ministre exige des réponses aux questions posées dans le cadre de l'interrogatoire préalable écrit et la création de nouveaux documents par le cabinet BDO Dunwoody débordent le cadre légal du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et sont annulés.
ont comparu:
Joel A. Nitikman pour les demandeurs.
Robert Carvalho et Ron D. F. Wilhelm pour le défendeur, le ministre du Revenu national.
Joanne E. Swystun pour la défenderesse, BDO Dunwoody, s.r.l.
avocats inscrits au dossier:
Fraser Milner Casgrain, s.r.l., Vancouver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur, le ministre du Revenu national.
Stikeman Elliott, Toronto, pour la défenderesse BDO Dunwoody, s.r.l.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
[1]Le juge Kelen: La Cour statue sur une demande présentée en vertu de l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de deux décisions datées respectivement du 11 juillet 2001 et du 18 juillet 2001 par lesquelles le ministre du Revenu national a envoyé deux «demandes de production de renseignements» exigeant que le cabinet d'experts-comptables des demandeurs BDO Dunwoody, s.r.l., lui communique tous les dossiers fiscaux, documents de planification fiscale et autres dossiers se rapportant aux demandeurs.
[2]Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes: a) les documents et les renseignements qui se trouvent en la possession des experts-comptables des demandeurs (la défenderesse BDO Dunwoody, s.r.l.) sont-ils protégés par le secret professionnel? b) les demandes de production entrent-elles dans le cadre légal du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 176)] (la Loi)?
[3]Les demandeurs ont décidé de quitter le Canada pour émigrer à l'étranger et de cesser d'être considérés comme des résidents canadiens sur le plan fiscal. Ils demandent à la Cour de rendre une ordonnance les dispensant de produire au ministre du Revenu national les renseignements réclamés dans les demandes de production. La défenderesse BDO Dunwoody appuie les demandeurs.
LES FAITS
[4]En 1997, l'idée d'émigrer à l'étranger et de renoncer à la résidence canadienne a germé dans l'esprit des demandeurs. Ils ont fait part de leur projet à leurs experts-comptables, la firme BDO Dunwoody de Kelowna, qui leur a suggéré de consulter M. Jas Butalia, un fiscaliste international du bureau de Calgary de la firme BDO Dunwoody.
[5]Sur le conseil de M. Butalia, les demandeurs ont conclu certains accords de placements avec la banque CIBC, à la suite de quoi chacun d'entre eux a produit sa déclaration de revenus pour 1997 et 1998 et déduit les intérêts payables à la CIBC à la suite d'emprunts variant de 77 millions de dollars à 141 millions de dollars que chacun avait contractés auprès de cette banque. Le ministre défendeur qualifie cette opération de «pacte de départ», une opération par laquelle une personne:
· emprunte de l'argent à une banque;
· reprête l'argent à la banque (l'auto-prêt);
· acquitte les intérêts accumulés sur le prêt initial au cours de la dernière année de résidence;
· reçoit une déduction d'intérêts qui compense ses revenus pour l'année d'imposition;
· ne reçoit pas de paiement d'intérêts de la banque sur l'auto-prêt avant l'année suivante, alors qu'elle n'est plus un résident et qu'elle n'est plus imposable sur le prêt.
[6]Par lettres datées du 12 mai 2000, le ministre a réclamé aux demandeurs des renseignements concernant l'impôt déduit pour 1997 et 1998. Par lettres datées du 20 septembre 2000, BDO Dunwoody a répondu au ministre pour le compte des demandeurs. BDO Dunwoody n'a pas fourni tous les renseignements demandés dans les lettres du 12 mai.
[7]Par lettres datées du 11 mai 2001, le ministre a exposé les raisons pour lesquelles il estimait que les demandeurs n'avaient pas droit aux déductions réclamées au titre des prêts consentis par la CIBC au cours de l'année d'imposition 1997. Par la suite, les demandeurs ont fait l'objet d'une nouvelle cotisation de la part du ministre, qui a refusé la déduction des intérêts pour les années d'imposition 1997 et 1998.
[8]Le 11 juillet 2001, le ministre a préparé une «demande de production de renseignements» conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi. La demande de production a été signifiée au bureau de Kelowna (C.-B.) de la firme BDO Dunwoody. Dans cette demande de trois pages, le ministre réclame un large éventail de documents, dont les suivants:
[traduction] [. . .] tous les documents se trouvant en votre possession pour la période du 1er janvier 1997 au 10 juillet 2001 qui se rapportent aux [demandeurs] et aux sociétés dans lesquelles ils avaient des actions, directement ou indirectement à quelque moment que ce soit et notamment: |
1) Tous les dossiers de documents de travail [. . .] |
Tous les dossiers fiscaux et documents de planification se rapportant notamment aux contribuables susmentionnés; |
Tous les dossiers de correspondance, et notamment: |
i) toute la correspondance sous quelque forme que ce soit, y compris sous forme électronique, provenant des contribuables susmentionnés ou leur étant destinée; |
[. . .]
7) Les raisons pour lesquelles chaque individu s'est adressé à BDO pour obtenir du financement au lieu de faire affaire avec un établissement de prêt [. . .] |
8) La raison pour laquelle chaque individu a demandé du financement [. . .] |
[9]Le 18 juillet 2001, une seconde demande de production a été préparée puis signifiée au bureau de Calgary de BDO Dunwoody. Ce document est semblable à la première demande de production.
[10]Dans ses demandes de production, le ministre exigeait de BDO Dunwoody qu'elle lui communique des documents et des renseignements se rapportant aux déductions des intérêts sur les prêts consentis par la CIBC aux demandeurs, ainsi qu'à d'autres questions commerciales et fiscales relatives à l'année d'imposition 1997 et aux années d'imposition subséquentes. La date limite fixée dans les deux demandes de production a été reportée indéfiniment en attendant l'issue de la présente affaire.
[11]Le 7 août 2001, les demandeurs ont déposé des avis d'opposition à la nouvelle cotisation de 1997. Le ministre a déféré les oppositions à la Direction des appels. L'avocat des demandeurs a formulé des observations. On s'attend à ce que la Cour canadienne de l'impôt soit éventuellement appelée à se prononcer sur les nouvelles cotisations des demandeurs. En attendant, le ministre a envoyé les demandes de production de renseignements.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
[12]Voici les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu:
231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis:
a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;
b) qu'elle produise des documents.
ANALYSE DE LA QUESTION DU SECRET PROFESSIONNEL
[13]Les demandeurs soutiennent que les communications qu'ils ont échangées avec leurs comptables devraient être protégées par un «privilège générique» en raison de l'existence d'une relation qui s'apparente à celle qui existe entre l'avocat et son client, ou en raison de l'existence d'un «privilège fondé sur les circonstances de chaque cas» si celui qui revendique ce privilège satisfait au critère à quatre volets posé par Wigmore (Evidence in Trials at Common Law, vol. 8, McNaughton Revision, paragraphe 2285). La défenderesse BDO Dunwoody n'adopte aucun point de vue sur la question de l'application d'un privilège.
[14]Le juge en chef Lamer a discuté du privilège du secret professionnel dans l'arrêt R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, à la page 286. Il est utile de reproduire une partie de son analyse pour clarifier la question en litige:
Avant de plonger dans une analyse des questions soulevées dans le présent pourvoi, j'estime qu'il est important de clarifier la terminologie utilisée en l'espèce. Les parties ont eu tendance à établir une distinction entre deux catégories: un privilège prima facie «général» de common law ou un privilège «générique», d'une part, et un privilège «fondé sur les circonstances de chaque cas», d'autre part. Les premiers termes sont utilisés pour désigner un privilège qui a été reconnu en common law et pour lequel il existe une présomption à première vue d'inadmissibilité (lorsqu'il a été établi que les rapports s'inscrivent dans la catégorie) à moins que la partie qui demande l'admission ne puisse démontrer pour quelles raisons les communications ne devraient pas être privilégiées (c.-à-d., pour quelles raisons elles devraient être admises en preuve à titre d'exception à la règle générale). De telles communications sont exclues non pas parce que l'élément de preuve n'est pas pertinent, mais plutôt parce qu'il existe des raisons de principe prépondérantes d'exclure cet élément de preuve pertinent. Les communications entre un avocat et son client paraissent s'inscrire dans le cadre de cette première catégorie (voir: Geffen c. Succession Goodman, [1991] 2 R.C.S. 353 et Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821). L'expression privilège «fondé sur les circonstances de chaque cas» est utilisée pour viser des communications à l'égard desquelles il y a une présomption à première vue qu'elles ne sont pas privilégiées (c.-à-d. qu'elles sont admissibles). L'analyse de chaque cas a généralement comporté une application du «critère de Wigmore» (voir précédemment), qui constitue un ensemble des critères pour déterminer si des communications devraient être privilégiées (et, par conséquent, ne pas être admises) dans des cas particuliers. En d'autres termes, l'analyse de chaque cas exige que les raisons de principe d'exclure des éléments de preuve par ailleurs pertinents soient évaluées dans chaque cas particulier.
Privilège générique proposé dans le cas des comptables
[15]Le critère auquel il faut satisfaire pour pouvoir conclure à l'existence d'un privilège générique est rigoureux. Le privilège du secret professionnel de l'avocat, avec lequel le demandeur cherche à établir une analogie, est consacré en common law et constitue un aspect fondamental et nécessaire des rapports entre tout avocat et son client.
[16]BDO Dunwoody a une «politique de confidentialité» dont voici un extrait:
[traduction]
Confidentialité des rapports avec la clientèle
[. . .]
Tous les renseignements se rapportant aux affaires de tout client de la firme doivent être gardés strictement confidentiels et ne peuvent être communiqués ou divulgués à quiconque ne fait pas partie du bureau que si la loi l'exige ou que si le client en fait la demande expresse par écrit, et dans tous les cas ils ne peuvent être communiqués que par un des associés.
[17]Il est de jurisprudence constante que les comptables et leurs clients ne bénéficient pas d'un privilège générique en ce qui concerne les litiges fiscaux. La Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit à ce sujet dans l'arrêt Baron c. Canada, [1991] 1 C.F. 688, aux pages 710 et 711, modifié à [1993] 1 R.C.S. 416 (sur un autre point):
Quant à l'argument du secret professionnel du comptable, fondé sur certaines dispositions du droit québécois, le juge déclare [aux pages 292 et 293]:
Même si je reconnais que le droit du Québec protège les communications entre le comptable et son client dans les litiges, je ne suis pas convaincu qu'une règle similaire ait été adoptée dans le cas des litiges concernant l'impôt sur le revenu fédéral. Si le législateur avait voulu que cette règle s'applique, celle-ci aurait été énoncée expressément dans la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), ch. C-5] ou dans la Loi de l'impôt sur le revenu. |
Et encore [aux pages 293 et 294]:
Il est bien normal que le droit au secret professionnel de l'avocat existe en ce qui a trait à la preuve pouvant être exigée devant les tribunaux, tandis que ce droit n'existe pas pour le comptable. L'objet de ce droit est d'assurer des communications libres et dénuées de toute contrainte entre l'avocat et son client, de façon que celui-ci puisse recevoir une aide juridique efficace. Ce privilège préserve le droit fondamental qu'ont les particuliers de poursuivre et de préparer des contestations. Comme l'a dit le juge Lamer dans Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289;1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462, à la page 883 R.C.S., le privilège est reconnu parce qu'il est nécessaire pour assurer l'administration appropriée de la justice. Je ne crois pas qu'il existe un principe prépondérant de cette nature dans le cas de la communication. entre le comptable et son client. Le comptable peut être tenu, conformément à une règle de déontologie, de préserver le secret des communications et autres renseignements concernant son client. Mais cette obligation ne résulte nullement de la nécessité d'assurer l'administration efficace de la justice. |
Nous n'avions rien à redire sur la façon dont le juge a tranché ces deux questions et nous n'avons donc pas demandé à entendre les intimés. [Non souligné dans l'original.]
[18]De plus, en 1997, dans le jugement Vancouver Trade Mart Inc. (syndic) c. Canada (Procureur général) (1997), 50 C.B.R. (3d) 139 (C.F. 1re inst.), aux pages 151 et 152, notre Cour a répété que les communications entre le comptable et son client ne sont pas protégées à moins que la communication n'ait été préparée par le comptable à la demande de l'avocat:
Le président Jackett [dans Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National Revenue, (1969) 69 D.T.C. 5278 (Ex. Ct.)] entreprend ensuite d'examiner l'application du principe du secret professionnel de l'avocat aux «dossiers des comptables». À la page 5283, il s'exprime ainsi:
[traduction] Appliquant ces principes, tels que je crois les comprendre, aux pièces préparées par les comptables, il me semble, de façon générale:
(a) que nulle communication, état ou autre pièce établie ou préparée par un comptable en tant que tel pour un homme d'affaires ne peut bénéficier de la protection, à moins qu'il n'ait été préparé par le comptable à la suite d'une demande de l'avocat de l'homme d'affaires pour être utilisé dans un procès, actuel ou éventuel; et
(b) que, lorsqu'un comptable est engagé comme représentant, ou comme membre d'un groupe de représentants, pour expliquer un ensemble de faits ou un problème à un avocat en vue d'obtenir une consultation juridique ou un service juridique, le fait qu'il soit comptable ou qu'il utilise ses connaissances et ses compétences de comptable dans l'exécution de cette tâche n'empêche pas que les communications qu'il fait ou qu'il contribue à faire en tant que représentant soient des communications du mandant, c'est-à-dire du client, à l'avocat; et de la même façon, les communications faites à ce représentant par l'avocat dont les conseils ont été ainsi sollicités n'en sont pas moins des communications de l'avocat au client. [Non souligné dans l'original.]
[19]L'avocat des demandeurs invoque l'arrêt R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, pour démontrer qu'on peut logiquement discerner l'existence d'un nouveau «privilège générique» si ce privilège est essentiel à la bonne administration de la justice. Le juge Major écrit ce qui suit, aux paragraphes 28 et 29:
Pour que des rapports fassent l'objet d'un privilège générique et justifient ainsi l'application d'une présomption prima facie d'inadmissibilité, ils doivent relever d'une catégorie traditionnellement protégée. Le secret professionnel de l'avocat, en raison de la place exceptionnelle qu'il occupe dans notre système juridique, est l'exemple de privilège générique le plus remarquable. Le privilège relatif aux conjoints (maintenant codifié au par. 4(3) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5) et le privilège relatif aux indicateurs de police (qui est une composante de l'immunité d'intérêt public) sont d'autres exemples de privilège générique.
D'autres rapports confidentiels ne font pas l'objet d'un privilège générique, mais peuvent faire l'objet d'un privilège fondé sur les circonstances de chaque cas. À titre d'exemples, mentionnons les rapports médecin-patient, psychologue-patient et journaliste-informateur, ainsi que les communications religieuses. Le critère de Wigmore, qui comporte quatre conditions, en est venu à régir les circonstances dans lesquelles le privilège s'applique à certaines communications qui ne font pas l'objet de privilèges génériques traditionnellement reconnus (Wigmore, op. cit., p. 527):
[traduction] |
(1) Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées. |
(2) Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties. |
(3) Les rapports doivent être de la nature de ceux qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment. |
(4) Le préjudice permanent que subiraient les rapports à la suite de la divulgation des communications doit être plus considérable que l'avantage à retirer d'une juste décision. [Non souligné dans l'original.] |
[20]L'arrêt McClure n'a donc pas pour effet d'étendre la portée de la protection du privilège générique, mais la Cour suprême y laisse entrevoir qu'on pourrait éventuellement reconnaître l'existence d'un privilège fondé sur les circonstances de chaque cas en appliquant le critère de Wigmore.
[21]Les demandeurs font valoir que les conseils fiscaux que donne un comptable au sujet de la Loi de l'impôt sur le revenu ne diffèrent en rien de ceux que donne un avocat et qu'en conséquence, ces conseils devraient être protégés par le même privilège. Je ne suis pas d'accord avec cette thèse, pour les motifs évoqués par le juge Lamer (tel était alors son titre) dans l'arrêt Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860. Il est nécessaire que les communications entre l'avocat et son client soient protégées par le privilège du secret professionnel pour assurer la bonne administration de la justice, étant donné que la reconnaissance de ce privilège a pour effet de protéger le droit fondamental des particuliers d'ester en justice. Or, aucune de ces considérations ne vaut dans le cas des communications échangées entre un comptable et son client parce que le comptable ne représente pas son client en justice.
[22]Les documents réclamés en l'espèce dans les demandes de production ne font par conséquent l'objet d'aucun privilège.
Privilège fondé sur les circonstances de chaque cas
[23]Je passe maintenant au moyen subsidiaire relatif au «privilège fondé sur les circonstances de chaque cas» qui a été défini par Wigmore. Cet argument repose sur l'analogie qui existerait entre les conseils que donne un comptable fiscaliste et ceux qu'offre un avocat fiscaliste et qui donneraient droit à une protection semblable. Le juge en chef Lamer a exposé le critère de Wigmore dans l'arrêt R. c. Gruenke, précité, à la page 284:
Étant donné que le critère de Wigmore joue un rôle crucial en l'espèce, je vais, par souci de commodité, en énoncer les éléments (Wigmore, Evidence in Trials at Common Law, vol. 8, McNaughton Revision, para. 2285):
[traduction] (1) Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées. |
(2) Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties. |
(3) Les rapports doivent être de la nature de ceux qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment. |
(4) Le préjudice permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications doit être plus considérable que l'avantage à retirer d'une juste décision. |
[24]À mon avis, les demandeurs n'ont pas satisfait au critère de Wigmore. Les rapports entre un client et son comptable fiscaliste ne sont pas de la nature de ceux qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment. La Loi de l'impôt sur le revenu est complexe et les particuliers s'en remettent à leur comptable pour préparer leur déclaration de revenus et pour traiter avec le fisc au sujet de leur déclaration. Les dossiers qu'un client communique à son comptable sont des dossiers fiscaux et ils doivent être produits sur demande pour que le fisc puisse vérifier ou contester sa déclaration de revenus. Les clients comprennent que des renseignements doivent être communiqués sur demande aux autorités fiscales.
[25]Qui plus est, en Amérique du Nord, la «collectivité» passe présentement par une crise de confiance en ce qui concerne la comptabilisation des renseignements financiers de nombreuses compagnies publiques et le public s'indigne au sujet des irrégularités comptables (notamment celles imputées à Enron Corporation et à WorldCom Inc.). Ces événements et le tollé de protestations qu'ils ont soulevé illustrent bien l'opinion de la «collectivité» suivant laquelle le privilège du secret professionnel du comptable ne devrait pas être «entretenu assidûment» au sens du critère de Wigmore.
ANALYSE DE LA PORTÉE JURIDIQUE DES DEMANDES DE PRODUCTION
[26]Les demandeurs et la défenderesse BDO Dunwoody contestent la portée juridique des demandes de production au motif qu'elles sont rédigées de façon trop large et qu'elles permettent d'explorer «à l'aveuglette» les affaires des demandeurs, débordant ainsi le cadre strict de «l'enquête véritable et sérieuse» du ministre sur les prêts consentis par la CIBC et la déduction des frais d'intérêts sur ces prêts au cours des deux années d'imposition que les demandeurs ont passé au Canada avant de partir pour l'étranger. Qui plus est, dans ses demandes de production, le ministre exige non seulement que BDO Dunwoody lui communique des documents et des renseignements au sujet des demandeurs, mais aussi des explications «subjectives» au sujet du but et de l'intention poursuivis par les demandeurs en ce qui concerne les opérations de prêt et leur décision d'immigrer à l'étranger. Suivant les demandeurs, ces aspects débordent le cadre des demandes de production.
[27]Il est de jurisprudence constante que les demandes de production dont il est question au paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne peuvent, ainsi que la Cour suprême du Canada l'a statué dans l'arrêt James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national et autres, [1984] 1 R.C.S. 614 [à la page 622], être interprétées de manière à «permettre d'explorer les affaires d'un contribuable et [à enjoindre] à quiconque est en mesure de contribuer à cette exploration d'y participer». La Cour a affirmé qu'il serait nécessaire que le ministre soupçonne le contribuable de ne pas s'être conformé à la Loi et d'exiger des renseignements qui ont une incidence sur la dette fiscale du contribuable.
Témoignage du représentant du ministre
[28]Le représentant du ministre, M. S. M. Marischuk, a déposé, au paragraphe 13 de son affidavit, que les demandeurs font l'objet d'une vérification visant à déterminer leur obligation fiscale exacte. Il a témoigné que les demandes de production se rapportent à cette vérification générale, de même qu'à la seule «enquête véritable et sérieuse» qui a été entreprise jusqu'à maintenant et qui porte sur la question de savoir si les demandeurs ont droit à la déduction des frais d'intérêts sur les opérations de prêt que le ministre qualifie de «pacte de départ».
Critère de la pertinence et du caractère raisonnable du paragraphe 231.2(1)
[29]Dans l'arrêt AGT Ltd. c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 878, la Cour d'appel fédérale a statué que la demande de production de renseignements prévue au paragraphe 231.2(1) est libellée en des termes larges mais que sa portée a été «restreinte, par application des règles d'interprétation,» aux situations dans lesquelles les renseignements réclamés par le ministre sont utiles pour établir la dette fiscale d'une ou de plusieurs personnes déterminées, et lorsque la dette fiscale de cette ou de ces personnes fait l'objet d'une «enquête véritable et sérieuse». La Cour a fait remarquer qu'il est souvent impossible de dire si une déclaration a été préparée de façon irrégulière sans étudier les moyens que la société ou l'entreprise soupçonnée a utilisés pour prendre sa décision ou pour la mettre en application. La Cour a statué ce qui suit, aux paragraphes 23 et 24:
Le recours à des mécanismes d'enquête qui forcent les sociétés et d'autres entreprises à divulguer ce qu'elles et elles seules peuvent connaître au sujet de leurs affaires internes fait partie des droits qu'a l'État de veiller au respect de la Loi.
Bien que l'on reconnaisse le droit d'une personne physique ou d'une personne morale de garder confidentielles ses stratégies commerciales, la mise en balance des intérêts en jeu favorise incontestablement l'État.
[30]La Cour d'appel a également signalé que le ministre est absolument incapable de savoir si certains documents sont utiles avant d'avoir eu la possibilité de les examiner.
[31]En l'espèce, l'assujettissement général des demandeurs à l'impôt fait l'objet d'une vérification. Et il y a une enquête véritable et sérieuse au sens de l'arrêt AGT, précité.
[32]Aux termes de la Loi, le ministre a le droit d'exiger la production de «renseignements» pour étudier «les moyens que la société ou l'entreprise soupçonnée a utilisés pour prendre sa décision ou pour la mettre en application». Les demandeurs cherchent à restreindre les demandes de production aux seuls renseignements pertinents aux prêts consentis par la CIBC aux demandeurs à la fin de l'exercice 1997. Je ne peux restreindre indûment le droit du ministre d'exiger la production de renseignements à ces seuls prêts. Ces prêts ont éveillé les soupçons du ministre et l'on amené à vérifier la dette fiscale générale des demandeurs. La dette fiscale des demandeurs fait l'objet d'une vérification véritable et sérieuse et les demandes de production satisfont donc au critère de la pertinence et du caractère raisonnable.
[33]Compte tenu du fait que les demandeurs ont décidé d'émigrer à l'étranger et de contracter des prêts complexes de plusieurs millions de dollars pour obtenir des déductions de l'impôt sur le revenu afin de diminuer le montant des gains en capital à leur départ du Canada, il était raisonnable de s'attendre à ce que le ministre les soumettent à une vérification non seulement en ce qui concerne les opérations de prêt, mais aussi en ce qui concerne leur dette fiscale totale.
Renseignements subjectifs
[34]Les demandeurs et BDO Dunwoody s'opposent aux passages des demandes de production dans lesquelles le ministre exige que BDO Dunwoody crée et produise des documents et des renseignements qui n'existent pas. Dans les demandes de production, le ministre demande aux particuliers qui travaillent chez BDO de préparer de nouveaux documents avec leur compréhension subjective de l'intention des demandeurs et de BDO.
[35]Les vastes pouvoirs que le paragraphe 231.2(1) confère au ministre lui permettent d'exiger la production de documents et de renseignements qui existent déjà. Il n'est pas libellé de façon assez large pour permettre au ministre d'exiger des comptables qu'ils répondent à un interrogatoire préalable écrit. Ce paragraphe n'autorise par le ministre à exiger une réponse à un interrogatoire préalable écrit. S'il avait voulu donner une portée aussi large au paragraphe 231.2(1) de la Loi de manière à offrir au ministre le choix de mener un interrogatoire préalable écrit, le législateur fédéral l'aurait dit. En conséquence, les passages des demandes de production dans lesquelles le ministre exige que BDO Dunwoody réponde à des renseignements qui n'existent pas débordent le cadre juridique du paragraphe 231.2(1) de la Loi et ils seront annulés.
[36]Dans l'arrêt R. v. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, la Cour suprême du Canada a examiné la nature des demandes de production de renseignements. La Cour d'appel fédérale a résumé les conclusions de la Cour suprême dans l'arrêt Bisaillon et al. c. La Reine et al. (1999), 99 DTC 5695 (C.A.F.), au paragraphe 3:
a) la Loi est essentiellement une mesure de réglementation; |
b) le paragraphe 231(3) (qui est l'ancêtre du paragraphe 231.2(1)) ne constitue pas du droit criminel ou quasi criminel; |
[. . .]
f) le Ministre du Revenu doit, dans un système d'impôt fondé sur le principe de l'auto-déclaration et de l'auto-cotisation, pouvoir disposer de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d'examen des documents qui ont pu servir à préparer ces déclarations; |
g) le Ministre du Revenu doit être capable d'exercer ces pouvoirs, qu'il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu'un certain contribuable a violé la Loi; |
h) le paragraphe 231(3) prescrit la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de la Loi; et |
i) le droit du contribuable à la protection de sa vie privée en rapport avec les documents qui peuvent être utiles aux déclarations d'impôt sur le revenu est relativement faible vis-à-vis le ministre. [Soulignements ajoutés] |
[37]Il ressort implicitement de l'arrêt de la Cour suprême que les demandes de production de renseignements prévues par la Loi ne s'appliquent qu'aux documents qui existent déjà.
[38]Toute ambiguïté quant aux renseignements qui font partie ou non d'une demande de production adressée en vertu du paragraphe 231.2(1) doit être résolue en faveur du contribuable (voir le jugement Seaspan International Ltd. c. Canada, 2002 CFPI 675; [2002] A.C.F. no 911 (1re inst.) (QL), le juge Blais) aux paragraphes 40 et 41:
La Cour suprême du Canada a déjà dit à maintes reprises que toute ambiguïté constatée dans les lois fiscales doit jouer en faveur du contribuable, comme l'avait statué Monsieur le juge Estey dans l'arrêt Johns-Manville Canada Inc. c. La Reine, 85 D.T.C. 5373 (C.S.C.), page 5384:
Une telle décision est de plus conforme à un autre concept fondamental de droit fiscal portant que, si la loi fiscale n'est pas explicite, l'incertitude raisonnable ou l'ambiguïté des faits découlant du manque de clarté de la loi doit jouer en faveur du contribuable.
De plus, Monsieur le juge Sopinka, de la Cour suprême de Canada, a statué ce qui suit dans l'arrêt Fries c. La Reine, 90 D.T.C. 6662 (C.S.C.):
Nous ne sommes pas convaincus que les paiements sous forme d'allocation de grève constituent en l'espèce un «revenu [. . .]dont la source» au sens de l'art. 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans ces circonstances, ce doute doit profiter aux contribuables.
[39]En conséquence, la portée des pouvoirs conférés au ministre dans le cas d'une demande de production de renseignements adressée en vertu du paragraphe 231.2(1) est limitée aux documents et dossiers qui existent déjà. Les pouvoirs qui lui sont conférés ne donnent pas au ministre le droit de mener un interrogatoire préalable écrit.
Droit de corriger un document en vue de supprimer le nom de toute personne n'ayant pas de liens avec les demandeurs
[40]Si l'un quelconque des documents ou des renseignements à produire en réponse aux demandes de production mentionne un client de BDO Dunwoody qui n'a aucun lien avec les demandeurs, BDO Dunwoody a le droit de corriger les documents en question pour biffer le nom de cette personne avant de produire le document ou les renseignements en question.
DISPOSITIF
[41]Par ces motifs, la présente demande est accueillie en partie. Les passages des demandes de production dans lesquels le ministre exige des réponses aux questions posées dans le cadre de l'interrogatoire préalable écrit et la création de nouveaux documents par le cabinet BDO Dunwoody débordent le cadre légal du paragraphe 232.1(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu et sont annulés. Les autres passages des demandes de production font partie du cadre légal du paragraphe en question et les demandeurs doivent s'y conformer. Comme chacune des parties obtient en partie gain de cause, il n'y a pas d'adjudication de dépens.