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A-483-01

( T-913-95 )

2002 CAF 158

Canwell Enviro-Industries Ltd., Clive Titley et la ville de Medicine Hat (appelants) (défendeurs)

c.

Baker Petrolite Corporation, Petrolite Holdings Inc., Baker Hughes Canada Company (intimées) (demanderesses)

Répertorié: Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd. (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Rothstein et Evans, J.C.A. --Toronto, 20, 21 mars; Ottawa, 29 avril 2002.

Brevets -- Antériorité -- Brevet portant sur des méthodes permettant d'éliminer le sulfure d'hydrogène du gaz naturel -- Allégation d'antériorité fondée sur la vente antérieure du produit -- La Loi sur les brevets de 1996 s'applique rétroactivement conformément à l'art. 78.4(2) -- Suivant l'art. 28.2(1)a), l'objet que définissent les revendications ne doit pas avoir été divulgué plus d'un an avant la date de dépôt -- Examen de la jurisprudence relative à l'antériorité -- La communication visée à l'art. 28.2(1)a) a été établie -- Le brevet est invalide pour cause d'antériorité.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Le juge de première instance a tiré des conclusions concernant l'antériorité du brevet découlant de l'utilisation ou de la vente antérieure -- La conclusion relative à l'objet de l'invention est une question de droit -- La norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision correcte -- La conclusion du juge de première instance selon laquelle l'appelante n'a pas prouvé l'antériorité est une question mixte de fait et de droit -- Le juge de première instance a commis une erreur de droit en recomposant le produit W-3053 et en appliquant le critère relatif à l'antériorité -- Une personne versée dans l'art aurait-elle pu, à l'aide des techniques et des données alors existantes, sans faire appel à quelque génie inventif, découvrir l'objet des revendications du brevet? -- L'application du critère juridique approprié menait à la conclusion qu'une telle personne aurait inévitablement découvert l'objet des revendications du brevet.

Il s'agit d'un appel de la décision de la Section de première instance selon laquelle le brevet 2005946 (le brevet 946) des intimées (Petrolite) a été contrefait par les appelantes Canwell Enviro-Industries Ltd. (Canwell) et la ville de Medicine Hat. Le brevet 946 est un brevet portant sur différentes méthodes d'élimination du sulfure d'hydrogène du gaz naturel par adoucissement ou épuration du gaz acide. L'invention avait pour objectif de réduire ou d'éliminer les effets secondaires par l'utilisation d'un produit de réaction d'une alcanolamine de pair avec un aldéhyde. La triazine visée par le brevet 946 était connue à titre de produit de réaction de la monoéthanolamine (MEA) et du formaldéhyde. En décembre 1987 et au cours des mois qui ont suivi, le mélange de la MEA et du formaldéhyde (désormais appelé W-3053) a été vendu et livré à Standard Oil et à d'autres clients de l'ouest de l'Oklahoma. Les ventes étaient inconditionnelles, c'est-à-dire que le produit ne faisait l'objet d'aucune entente de confidentialité. La demande visant le brevet 946 a été déposée au Canada le 19 décembre 1989. Canwell a soutenu que l'invention visée par le brevet 946 de Petrolite avait été divulguée lors de la vente du W-3053, à compter du 10 décembre 1987, soit plus d'un an avant le dépôt du brevet 946. Elle a en outre prétendu qu'une personne versée dans l'art recourant à la rétroingénierie du W-3053 serait arrivée à l'invention revendiquée dans le brevet 946, soit l'emploi de la triazine pour réduire de façon sélective la quantité de sulfure d'hydrogène contenue dans le gaz naturel. Petrolite a rétorqué que la date critique était le 23 décembre 1987, un an avant le dépôt du brevet américain et que tout recours à la rétroingénierie serait demeuré confidentiel et n'aurait pas été porté à la connaissance du public. La principale question en litige était de savoir si le brevet 946 est invalide pour cause d'antériorité.

Arrêt: l'appel est accueilli.

Premièrement, la Cour devait déterminer quelle était la loi applicable, la Loi sur les brevets entrée en vigueur le 1er octobre 1989 (la Loi de 1989) ou la Loi sur les brevets entrée en vigueur le 1er octobre 1996 (la Loi de 1996). Suivant cette dernière, la date critique est le 19 décembre 1989, soit la date à laquelle la demande relative au brevet 946 a été déposée au Canada. Le juge de première instance a eu raison de conclure que la Loi de 1996 s'appliquait en l'espèce. Le paragraphe 78.4(2) dispose que toute affaire survenant relativement à un brevet délivré sur la foi d'une demande déposée le 1er octobre 1989 ou par la suite, mais avant le 1er octobre 1996, est régie par la Loi de 1996. La demande de brevet a été déposée au cours de la période mentionnée au paragraphe 78.4(2). Il convient de se prononcer sur la validité du brevet 946 en se fondant sur la Loi de 1996.

Suivant l'alinéa 28.2(1)a) de la Loi de 1996, l'objet que définissent les revendications du brevet ne doit pas avoir été divulgué avant le 19 décembre 1988. Le critère relatif à l'antériorité découlant d'une publication a été établi par la Cour d'appel fédérale dans Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy, et la Cour suprême du Canada l'a cité en l'approuvant dans Free World Trust c. Électro Santé Inc. L'antériorité découlerait en l'espèce non pas de publications ou de brevets antérieurs, mais de la vente antérieure du produit W-3053 de Petrolite. De façon générale, les principes relatifs à l'antériorité découlant d'une publication antérieure s'appliquent également à l'antériorité découlant de l'utilisation ou de la vente antérieure. Aux fins de l'application de l'alinéa 28.2(1)a), la Cour doit tenir compte des circonstances de l'utilisation ou de la vente antérieure pour déterminer comment une personne versée dans l'art arriverait infailliblement à l'invention revendiquée. Un certain nombre de principes ont été tirés de décisions britanniques et européennes portant sur l'antériorité découlant de l'utilisation ou de la vente antérieure. Ces principes s'ajoutent, sans les modifier, aux principes dégagés dans les arrêts Beloit et Free World Trust en matière d'antériorité.

Le juge de première instance a tiré quatre conclusions au sujet de l'antériorité découlant de l'utilisation ou de la vente antérieure. Les deux premières conclusions sont purement factuelles. La cour d'appel ne peut modifier une conclusion de fait, y compris une inférence de fait, que dans le cas d'une erreur manifeste et dominante. Aucune erreur manifeste et dominante n'a été établie. La troisième conclusion, qui touche l'objet de l'invention, découle de l'interprétation des revendications du brevet et il s'agit donc d'une question de droit. La norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision correcte. Le juge de première instance n'a pas interprété les revendications du brevet afin de déterminer l'objet de l'invention, mais la Cour d'appel l'a fait. L'invention visée par les revendications en cause du brevet 946 était l'utilisation d'une composition renfermant le produit de réaction d'une alcanolamine inférieure avec un aldéhyde inférieur ou de la triazine, laquelle composition est mise en contact avec des flux de gaz naturel pour réduire les concentrations de sulfure d'hydrogène dans ceux-ci. Les méthodes décrites pour mettre en contact le produit de réaction avec les flux de gaz acide ne comportaient aucun élément inventif. La quatrième conclusion, une conclusion mixte de droit et de fait, découlait de l'application d'un critère juridique à un ensemble de faits. Lorsque, dans le cas d'une question mixte de fait et de droit, il est possible de dégager la question de droit de la question de fait et de conclure qu'une erreur de droit a été commise, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. La formulation erronée du critère juridique approprié donne lieu à l'application de la norme de la décision correcte aux conclusions de fait tirées par le juge de première instance. Ce dernier a conclu, compte tenu de l'ensemble de la preuve afférente aux tentatives d'analyser et de reconstruire avec succès le produit W-3053, que Canwell n'avait pas établi l'antériorité. Comme il a tiré cette conclusion de manière sommaire, la Cour d'appel n'a pu saisir son raisonnement. Le juge de première instance n'a tiré aucune conclusion de fait au sujet de la preuve d'expert. Le critère qu'il a appliqué relativement à l'antériorité a été d'analyser le W-3053 pour en déterminer la composition ou pour le recomposer. Ce faisant, il a commis une erreur de droit. Le défendeur qui invoque comme moyen de défense l'antériorité découlant de l'utilisation ou de la vente antérieure du produit n'a pas à prouver que celui-ci peut être reproduit. Le défendeur qui s'appuie sur l'alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets n'a qu'à établir que l'objet du brevet, soit l'invention, a été divulgué. Si la triazine ou ses substances de départ pouvaient être décelées dans le W-3053, l'invention avait été divulguée lors de la vente au public et il y avait antériorité opposable au brevet 946. La question était de savoir si une personne versée dans l'art aurait pu découvrir la triazine en analysant le produit. La question de droit, qui était de savoir s'il fallait, pour établir l'antériorité, reproduire le produit utilisé ou vendu antérieurement ou en découvrir la composition ou s'il suffisait de découvrir l'invention, pouvait être dégagée de la conclusion mixte de fait et de droit du juge de première instance selon laquelle, compte tenu de l'ensemble de la preuve, Canwell n'avait pas établi l'antériorité. Il s'agit d'une question générale, et non particulière aux circonstances de la présente espèce. Il importe que dans les cas où l'antériorité découlant de l'utilisation ou de la vente antérieure d'un produit est alléguée, la preuve établisse que l'analyse du produit révèle l'invention et pas nécessairement la possibilité de reproduire le produit.

La conclusion du juge de première instance selon laquelle la preuve était ambivalente et totalement insatisfaisante et Canwell ne s'était pas déchargée de son fardeau de la preuve n'était pas fondée sur le bon critère juridique. Si les conclusions de fait du juge de première instance au sujet de la preuve d'expert n'avaient pas été entachées de cette erreur de droit, elles n'auraient été susceptibles de contrôle que selon la norme de l'erreur manifeste et dominante. À ce stade, il était nécessaire de soumettre la preuve à un nouvel examen au regard du critère approprié en matière d'antériorité. L'élément de preuve le plus important était l'analyse du professeur Keay. Effectuée à partir d'un échantillon non identifié, cette analyse a permis d'obtenir la bonne réponse, soit que le principal composant du W-3053 était la triazine. La conclusion à laquelle est arrivé M. Keay a établi qu'une personne versée dans l'art aurait pu, sans se fonder sur une connaissance a priori ni faire appel à quelque génie inventif, analyser le W-3053 avec succès et y déceler la présence de la triazine, de ses substances de départ, la MEA et le formaldéhyde, et du méthanol. Toutes les analyses effectuées correctement ont débouché sur la découverte de la triazine ou de ses substances de départ. Elles ont toutes mené invariablement à l'invention. L'analyse du professeur Keay, qui constituait une preuve valable d'antériorité, n'a donc pas été contredite. Pour prouver l'antériorité suivant l'alinéa 28.2(1)a), il n'est pas nécessaire de démontrer qu'un acheteur donné a procédé ou aurait procédé à l'analyse du produit. Il suffit que l'acheteur ait pu le faire. La vente inconditionnelle du W-3053 a eu pour effet de rendre le produit accessible au public. S'il avait appliqué le bon critère juridique, le juge de première instance aurait dû conclure qu'une personne versée dans l'art qui aurait employé les données et les techniques alors existantes, sans faire appel à un génie inventif, serait inévitablement arrivée à l'objet des revendications du brevet, soit l'élimination du sulfure d'hydrogène du gaz naturel par contact avec la triazine. Canwell a prouvé la divulgation visée à l'alinéa 28.2(1)a). Les revendications du brevet 946 étaient invalides pour cause d'antériorité.

lois et règlements

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2, art. 1709

Convention sur la délivrance de brevets européens (Convention sur le brevet européen), 5 octobre 1973, art. 54.

Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44, art. 10.

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 3(1), 43a), b), c).

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 27(1)c), d) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 8), 28.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 33), 78.4 (édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 55).

Patents Act 1977 (R.-U.), 1977, ch. 37, art. 2.

jurisprudence

décisions appliquées:

Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; (2000), 194 D.L.R. (4th) 232; 9 C.P.R. (4th) 168; 263 N.R. 150; Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), 7 C.I.P.R. 205; 8 C.P.R. (3d) 289; 64 N.R. 287 (C.A.F.); Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577; [2002] 7 W.W.R. 1; 10 C.C.L.T. (3d) 157; 30 M.P.L.R. (3d) 1; 286 N.R. 1; 219 Sask. R. 1 (C.S.C.); Hollis c. Dow Corning Corp., [1995] 4 R.C.S. 634; (1995), 129 D.L.R. (4th) 609; [1996] 2 W.W.R. 77; 14 B.C.L.R. (3d) 1; 26 B.L.R. (2d) 169; 27 C.C.L.T. (2d) 1; 190 N.R. 241.

décisions examinées:

Slattery (Syndic de) c. Slattery, [1993] 3 R.C.S. 430; (1993), 106 D.L.R. (4th) 212; 139 N.B.R. (2d) 246; 21 C.B.R. (3d) 161; [1993] 2 C.T.C. 243; 93 DTC 5443; 158 N.R. 324; Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350; 125 N.R. 218 (C.A.F.); Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. and Anr. v. H. N. Norton & Co. Ltd., [1996] R.P.C. 76 (H.L.); Lux Traffic Controls Ltd. v. Pike Signals Ltd. and Faronwise Ltd., [1993] R.P.C. 107; FISONS plc v. Packard Instrument B.V., EPO,T 0952/92--3.4.1, 17 août 1994; Bristol-Myers Co.'s Application, [1969] R.P.C. 146 (Q.B.D.).

décisions citées:

Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41; Sarvanis c. Canada, (2002), 210 D.L.R. (4th) 262; 284 N.R. 263 (C.S.C.) Baker c. Canada (Ministr e de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; PLG Research Ltd. v. Ardon International Ltd., [1993] F.S.R. 197; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; (2000), 194 D.L.R. (4th) 193; 9 C.P.R. (4th) 129; 263 N.R. 88.

doctrine

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal: Éditions Thémis, 1999.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

APPEL de la décision de la Section de première instance ([2002] 2 C.F. 3; (2001), 13 C.P.R. (4th) 193) selon laquelle le brevet des intimées a été contrefait. Appel accueilli au motif que le brevet est invalide pour cause d'antériorité.

ont comparu:

David W. Aitken pour les appelants (défendeurs).

Anthony G. Creber et Patrick S. Smith pour les intimées (demanderesses).

avocats inscrits au dossier:

Osler, Hoskin & Harcourt srl, Ottawa, pour les appelants (défendeurs).

Gowling Lafleur Henderson srl, Ottawa, pour les intimées (demanderesses).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A.:

INTRODUCTION

[1]Il s'agit d'un appel interjeté à l'égard d'une décision par laquelle le juge de la Section de première instance [[2002] 2 C.F. 3] a statué que les défenderesses Canwell Enviro-Industries Ltd. (Canwell) et la ville de Medicine Hat (Medicine Hat) avaient contrefait le brevet 2005946 (le brevet 946) des demanderesses (Petrolite). Le sort du présent appel dépend de la réponse qui sera donnée à la principale question à trancher, soit de savoir si le brevet 946 est invalide pour des raisons d'antériorité. Si l'invention a été divulguée d'une façon et à une période prévues dans la disposition législative applicable, cela signifie que des antériorités opposables à l'invention existaient et le brevet 946 sera invalide.

DÉCISION DU JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE

[2]Les conclusions du juge de première instance peuvent être résumées comme suit:

1. Le brevet 946 n'est pas invalide au motif de l'antériorité, de l'évidence ou de l'insuffisance de la divulgation ou encore en raison d'une fausse allégation importante dans le brevet.

2. Canwell et Medicine Hat ont contrefait le brevet 946.

3. Canwell a incité des clients à contrefaire le brevet 946.

[3]Le juge de première instance a accordé à Petrolite différentes réparations, dont les suivantes:

1. Une injonction interdisant à Canwell et à Medicine Hat de continuer à contrefaire le brevet 946.

2. Une ordonnance exigeant la remise des produits, appareils et documents contrefaits.

3. Un jugement condamnant Canwell et Medicine Hat à restituer les bénéfices découlant de la contrefaçon du brevet 946.

4. Un jugement condamnant Clive Titley, président et seul actionnaire de Canwell, à restituer les bénéfices de Canwell qu'il a touchés sous forme de primes à titre de fiduciaire par interprétation, sous réserve d'une enquête visant à savoir quels sont les éléments d'actif en la possession de M. Titley qui constituent le montant des primes qu'il a reçues.

5. Les intérêts.

6. Les dépens.

LE BREVET 946

[4]Le brevet 946 est un procédé qui couvre différentes méthodes permettant d'éliminer le sulfure d'hydrogène du gaz naturel. Ce procédé est parfois appelé adoucissement ou épuration du gaz acide. Étant donné que le sulfure d'hydrogène est corrosif en présence d'eau et toxique à très faible concentration, il doit être presque totalement éliminé dans le gaz naturel avant l'utilisation et le transport de celui-ci par pipeline.

[5]Plusieurs méthodes servant à adoucir les gaz acides étaient déjà connues. Ces méthodes consistaient à mettre en contact différents produits chimiques avec le gaz naturel à la tête du puits ou dans une tour de lavage ou d'absorption ou à d'autres endroits situés près de la source du gaz naturel. Cependant, l'utilisation de ces produits chimiques entraînait des effets secondaires indésirables, notamment des risques pour la santé, une réaction non sélective donnant lieu à l'élimination non seulement du sulfure d'hydrogène, mais également d'autres produits, la production de précipités qui bouchent les conduites de gaz ou un faible rendement à des températures plus basses.

[6]L'invention visée par le brevet 946 a pour objectif de réduire, sinon d'éliminer, ces effets secondaires au moyen de l'utilisation d'un produit de réaction d'une alcanolamine avec un aldéhyde. Le produit de réaction serait mis en contact avec le gaz naturel dans un système de lavage, comme un système à solvant chimique, par injection dans la conduite de gaz ou autrement.

[7]D'après la description, l'alcanolamine préférée de l'invention est la monoéthanolamine (MEA), tandis que l'aldéhyde préféré est le formaldéhyde. Même si le brevet 946 couvre des rapports molaires de l'alcanolamine à l'aldéhyde qui se situent dans une plage d'environ 1/0,25 à 1/10, le rapport molaire préféré est d'environ 1/1 à environ 1/1,5.

[8]Selon le brevet 946, le produit de réaction de la MEA et du formaldéhyde est la bisoxazolidine et la triazine. Cependant, le juge de première instance a statué que, d'après tous les témoignages d'expert présentés, la bisoxazolidine n'avait jamais été identifiée de façon irréfutable comme étant un produit de réaction de la MEA et du formaldéhyde et que le principal produit de réaction de la MEA et du formaldéhyde était la triazine.

[9]La triazine visée par le brevet 946 était connue à titre de produit de réaction de la MEA et du formaldéhyde. Par conséquent, le brevet ne comporte aucune revendication relative à un produit. Les revendications se limitent au produit de réaction utilisé pour réduire sélectivement les concentrations de sulfure d'hydrogène dans le gaz naturel.

FAITS

[10]La chronologie des faits et événements qui, d'après le juge de première instance, sont pertinents, peut être résumée comme suit:

1987

1. Août ou septembre -- La Quaker Petroleum Chemical Company a commencé à commercialiser, dans l'ouest de l'Oklahoma, un produit d'épuration du sulfure d'hydrogène qui était une solution de formaldéhyde. Ce produit était sensible à la température, de sorte que des problèmes survenaient lorsque le temps devenait plus froid.

2.  Novembre -- Quaker a fait des essais en mêlant la MEA et le formaldéhyde. Le produit découlant du mélange permettait de régler le problème de sensibilité à la température et révélait une «assez bonne affinité» pour l'élimination du sulfure d'hydrogène.

3.  10 décembre -- Quaker a livré dans un puits de Standard Oil of Ohio situé dans l'ouest de l'Oklahoma un lot de 500 gallons du mélange de MEA et de formaldéhyde.

4.  Décembre et mois subséquents -- Le mélange, désormais appelé W-3053, a été vendu et livré à Standard Oil et à d'autres clients de l'ouest de l'Oklahoma. Le rapport molaire de la MEA et du formaldéhyde pour l'obtention du produit W-3053 était de 1/2,77. Les ventes étaient inconditionnelles, c'est-à-dire que le produit ne faisait l'objet d'aucune entente de confidentialité.

1988

5. 23 décembre -- La demande de brevet no 4978512 a été déposée aux États-Unis.

1989

6. 19 décembre -- La demande relative au brevet 946 a été déposée au Canada.

1991

7. Canwell a commencé à vendre le produit Cansweet 300SX et, par la suite, le produit CW1000. Tous deux renferment un produit de réaction de la MEA et du formaldéhyde. Dans le produit 300SX, le rapport molaire est de 1/1, tandis qu'il s'élève à 1/2,66 dans le CW1000.

1995

8. 7 février -- Le brevet 946 est délivré au Canada.

9. 2 mai -- La déclaration donnant lieu à l'action devant la Section de première instance est déposée.

2001

10. 15 août -- La Section de première instance a fait connaître son jugement.

11. 24 août -- La demande de sursis provisoire est accueillie.

12. 2 octobre -- Un sursis provisoire est accordé jusqu'à ce que l'appel soit tranché, sous réserve de certaines conditions, et une ordonnance portant audience accélérée a été rendue.

[11]Comme cela se produit souvent, des modifications organisationnelles ont été apportées et des cessions touchant le droit de propriété afférent au brevet 946 ont eu lieu. Ces faits ne sont pas contestés et il n'est pas nécessaire de les décrire de façon détaillée. Il suffit de dire que Petrolite et les autres intimées étaient bel et bien les parties qui ont demandé à la Section de première instance de leur accorder différentes réparations à l'égard de la contrefaçon du brevet 946.

-3053

RÉSUMÉ DE LA POSITION DES PARTIES AU SUJET DE L'ANTÉRIORITÉ FONDÉE SUR LA VENTE OU L'UTILISATION DU PRODUIT W-3053

[12]Canwell soutient que l'invention visée par le brevet 946 de Petrolite avait été divulguée au public lorsque le produit W-3053 a commencé à être vendu à compter du 10 décembre 1987, soit plus d'un an avant la date de dépôt du brevet en question, en l'occurrence, le 19 décembre 1989. Selon Canwell, l'application d'une méthode précise de rétroingénierie au produit W-3053 mènerait une personne versée dans l'art à l'invention revendiquée dans le brevet 946, soit l'emploi de la triazine pour réduire de façon sélective la quantité de sulphure d'hydrogène contenue dans le gaz naturel. Par conséquent, il y a antériorité à l'égard de l'invention visée par le brevet 946, lequel est invalide.

[13]Petrolite admet que le produit W-3053 a été vendu dans l'ouest de l'Oklahoma à compter du 10 décembre 1987. Toutefois, elle soutient que la date critique était le 23 décembre 1987, un an avant le dépôt du brevet américain. Elle ajoute que peu de ventes ont eu lieu entre le 10 décembre et le 23 décembre et qu'il ne s'agissait pas de ventes commerciales, mais plutôt de ventes dans le cadre desquelles le produit a été livré à la propriété privée des clients et que, par conséquent, le produit W-3053 n'était pas accessible au public. Elle précise que les résultats de tout procédé de rétroingénierie demeureraient confidentiels et qu'aucun ne serait porté à la connaissance du public.

[14]Même si Petrolite n'élimine pas la rétroingénierie comme moyen de prouver l'antériorité, elle allègue que la preuve présentée en l'espèce n'est pas suffisante pour satisfaire au critère rigoureux énoncé au sujet de l'antériorité dans l'arrêt Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), 7 C.I.P.R. 205 (C.A.F.), à la page 214. Selon Petrolite, le critère est le suivant: une publication antérieure ou, dans le cas présent, l'application d'un procédé de rétroingénierie au produit déjà vendu doit infailliblement et dans tous les cas mener la personne versée dans l'art à l'invention revendiquée. La preuve présentée en l'espèce ne satisfait pas au critère. En tout état de cause, Petrolite affirme que la preuve n'indique nullement que la méthodologie et les données permettant de procéder à une rétroingénierie exacte étaient disponibles au cours de la période allant du 10 au 23 décembre 1987 ou même du 10 au 19 décembre 1988, si la date critique de Canwell est retenue.

QUELLE LOI S'APPLIQUE?

[15]La question qui se pose ici est de savoir si la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1989 (la Loi de 1989), s'applique, ou s'il s'agit plutôt de la Loi sur les brevets modifiée par L.C. 1995, ch. 15, qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1996 (la Loi de 1996). De l'avis de Petrolite, c'est la Loi de 1989 qui s'applique. Selon elle, il appert de cette Loi que la date critique est celle à laquelle la demande relative au brevet américain a été déposée, c'est-à-dire le 23 décembre 1988. La seule période au cours de laquelle il aurait pu y avoir antériorité fondée sur la vente antérieure ou sur l'utilisation antérieure est la période allant du 10 décembre 1987, date à laquelle le produit W-3053 a été vendu pour la première fois dans l'ouest de l'Oklahoma, au 23 décembre de la même année, un an avant la date de dépôt du brevet américain. Petrolite fait valoir qu'au cours de cette période, les ventes étaient expérimentales et que, en tout état de cause, aucun élément de preuve n'établit l'accessibilité de la méthodologie et des données qui auraient permis d'appliquer un procédé de rétroingénierie précis pour déterminer le contenu du produit W-3053.

[16]Pour sa part, Canwell affirme que c'est la Loi de 1996 qui s'applique. En vertu de cette Loi, la date critique est le 19 décembre 1998, soit la date à laquelle la demande relative au brevet 946 a été déposée au Canada. De l'avis de Canwell, la période pertinente aux fins de l'antériorité fondée sur la vente antérieure ou sur l'utilisation antérieure du produit W-3053 est la période allant du 10 décembre 1987 au 19 décembre 1988, au cours de laquelle les ventes n'étaient pas expérimentales alors que la méthodologie et les données permettant d'appliquer un procédé de rétroingénierie précis étaient accessibles.

[17]Il m'est difficile d'accepter l'interprétation que Petrolite propose de la Loi de 1989. Toutefois, il n'est pas nécessaire d'examiner cet argument car, à mon sens, la Loi applicable est celle de 1996. La Loi de 1996 renferme des dispositions transitoires, y compris l'article 78.4 [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 55]. Selon le paragraphe 78.4(1), les demandes de brevet déposées à compter du 1er octobre 1989 sont régies par la Loi de 1996. En vertu du paragraphe 78.4(2), les affaires survenant relativement à un brevet délivré sur la foi d'une demande déposée à compter du 1er octobre 1989, mais avant le 1er octobre 1996, sont régies par la Loi de 1996. Voici le texte de l'article 78.4 de la Loi de 1996:

78.4 (1) Les demandes de brevet déposées le 1er octobre 1989 ou par la suite, mais avant l'entrée en vigueur du présent article, sont régies par le paragraphe 27(2) dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du présent article et par les dispositions de la présente loi, y compris le paragraphe 27(2), dans leur version ultérieure à l'entrée en vigueur du présent article.

(2) Les affaires survenant relativement au brevets délivrés au titre de demandes de brevet déposées le 1er octobre 1989 ou par la suite, mais avant l'entrée en vigueur du présent article, sont régies par la paragraphe 27(2) dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du présent article et par les dispositions de la présente loi, y compris le paragraphe 27(2), dans leur version modifée par la présente loi et par toute modification ultérieure. [Restructuré conformément à L.C. 2001, ch. 10, art. 4, mais sans changement de fond.]

[18]Le juge de première instance a statué que la Loi de 1996 s'appliquait aux faits de la présente affaire et je suis d'accord avec lui. La demande relative au brevet 946 a été déposée le 19 décembre 1989, au cours de la période mentionnée au paragraphe 78.4(2).

[19]L'article 78.4 est une disposition dont l'application est rétroactive. Même s'il existe une présomption allant à l'encontre de l'application rétroactive d'un texte législatif, cette présomption peut être réfutée de façon explicite ou par déduction nécessaire. Ce type de texte législatif est décrit par Sullivan, R., ed., dans Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994), à la page 522:

[traduction] La présomption allant à l'encontre de l'application rétroactive d'un texte législatif peut être réfutée de façon explicite ou par déduction nécessaire. Il suffit simplement d'une indication suffisante de l'intention du législateur selon laquelle le texte doit s'appliquer non seulement à des faits en cours et à venir, mais également à des faits qui se sont déjà produits [. . .]

Un texte législatif rétroactif renferme dans bien des cas une disposition énonçant qu'il est réputé entrer en vigueur ou s'appliquer à une date antérieure à la date de promulgation ou encore qu'il s'applique à certains faits survenus à compter d'une date ou d'une période donnée ou avant celle-ci.

Voir également Côté, Interprétation des lois, 3e éd., (Montréal: Éditions Thémis, 1999), à la page 150. L'article 78.4 énonce que la Loi de 1996 doit s'appliquer aux affaires survenues avant une date précise, notamment avant l'entrée en vigueur de ladite Loi. Par conséquent, la Loi de 1996 a une application rétroactive.

[20]Dans le cas qui nous occupe, la demande de brevet a été déposée le 19 décembre 1989, soit après le 1er octobre 1989, mais avant le 1er octobre 1996, de sorte qu'elle est régie par la Loi de 1996. De la même façon, toute affaire survenant relativement au brevet en question est régie par la Loi de 1996.

[21]Bien que cette conclusion semble simple, Petrolite invoque un certain nombre d'arguments au soutien de la position contraire. D'abord, elle allègue que les mots «les affaires survenant» doivent renvoyer à la date de l'entrée en vigueur de la Loi de 1996. Ainsi, ils s'appliqueraient à la contrefaçon survenant à compter du 1er octobre 1996. Toutefois, Petrolite affirme que, lorsqu'il a délivré le brevet 946 le 7 février 1995, le commissaire aux brevets n'avait pas en main la Loi de 1996. Étant donné que les questions concernant la validité portent sur le bien-fondé de la délivrance du brevet, elles doivent être tranchées en vertu de la Loi de 1989.

[22]Je ne vois aucune raison de retenir cette interprétation sélective de l'article 78.4. Les termes «les affaires survenant» et «relativement au» (in respect of) ont une portée très large. Dans Slattery (Syndic de) c. Slattery, [1993] 3 R.C.S. 430, le juge Iacobucci, qui s'exprimait au nom de la majorité, a fait allusion aux commentaires que la Cour suprême avait déjà formulés dans Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29 au sujet de l'expression «in respect of» (ayant trait à). Voici comment il s'exprime à la page 445:

Les mots «quant à» («in respect of») ont été examinés par notre Cour dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 39:

À mon avis, les mots «quant à» [«in respect of»] ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, «concernant» [«in relation to»], «relativement à» ou «par rapport à». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression «quant à» qui est la plus large. [Je souligne.]

Les mots «in respect of» (relativement au), modifiés par l'expression globale «les affaires survenant», ne pourraient être plus larges. Le Parlement désirait manifestement donner à l'article 78.4 une portée très large. Rien dans le contexte du texte législatif n'indique qu'une interprétation plus restrictive est souhaitable (voir Sarvanis c. Canada (2002), 210 D.L.R. (4th) 262 (C.S.C.), au paragraphe 24). L'argument de Petrolite ne tient tout simplement pas compte du texte clair de l'article 78.4.

[23]Petrolite invoque les alinéas 43a), b) et c) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui, selon elle, empêchent l'application rétroactive de la Loi de 1996:

43. L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence:

a) de rétablir des textes ou autres règles de droit non en vigueur lors de sa prise d'effet;

b) de porter atteinte à l'application antérieure du texte abrogé ou aux mesures régulièrement prises sous son régime;

c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

Cependant, Petrolite a dû reconnaître que ces dispositions ne sont que des présomptions et peuvent être réfutées par des termes explicites d'une loi ou par déduction nécessaire. Le paragraphe 3(1) de la Loi d'interprétation est ainsi libellé:

3. (1) Sauf indication contraire, la présente loi s'applique à tous les textes, indépendamment de leur date d'édiction. [Non souligné dans l'original.]

L'article 78.4 énonce une indication contraire en ce qui concerne la Loi de 1996 et a donc pour effet de réfuter la présomption prévue à l'article 43.

[24]Petrolite allègue également que l'article 78.4 de la Loi de 1996 doit être lu [traduction] «en corrélation avec l'alinéa 1709(8)a» de l'ALÉNA [Accord de libre-échange nord-américain entre les gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Units d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2] et que cette façon de procéder empêche l'application rétroactive des dispositions relatives à l'antériorité de la Loi de 1996. L'alinéa 1709(8)a) prévoit ce qui suit:

Article 1709 [. . .]

8. Une Partie ne pourra annuler un brevet que dans les circonstances suivantes:

a) il existe des motifs qui auraient justifié un refus d'accorder le brevet;

[25]Je ne suis pas d'accord avec cet argument, pour deux raisons. D'abord, le paragraphe 1709(8) est une disposition de l'ALÉNA, qui a été approuvé par la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44, art. 10. Toutefois, cette approbation ne donne pas force de loi aux dispositions mêmes de l'ALÉNA. Je reconnais qu'il est possible, dans les cas pertinents, d'examiner un traité international pour interpréter un texte législatif national. Voir, par exemple, Baker c. Canada (Ministre la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 69 et 70. Toutefois, le traité international ne saurait remplacer les termes clairs employés dans une loi qu'a édictée le Parlement. L'article 78.4 est une disposition claire et évidente. À mon avis, Petrolite invoque le paragraphe 1709(8) de l'ALÉNA pour donner à l'article 78.4 un sens restreint qui ne peut être appuyé par le libellé de celui-ci.

[26]En deuxième lieu, je ne crois pas que le paragraphe 1709(8) interdise l'adoption d'un texte législatif rétroactif. Il est vrai qu'il prévoit qu'un brevet ne peut être annulé que lorsqu'il existe des motifs qui auraient justifié un refus d'accorder le brevet à l'origine. Cependant, l'effet rétroactif d'une loi signifie que les dispositions de celle-ci sont applicables comme si elles avaient existé à une date antérieure.

[27]Il est vrai, comme Petrolite le soutient, que l'application d'un texte de loi rétroactif peut donner lieu à des anomalies ou à des résultats arbitraires. Toutefois, il s'agit là de conséquences inhérentes à un texte de cette nature et c'est l'une des raisons pour lesquelles il existe une présomption allant à l'encontre de l'application rétroactive des lois. Par ailleurs, la Cour doit appliquer la loi dont elle est saisie et interpréter l'article 78.4 en fonction du libellé de cette disposition. La question de la validité du brevet 946 est une affaire qui est survenue relativement à ce brevet. La demande de brevet a été déposée au cours de la période mentionnée à l'article 78.4. La validité du brevet 946 est donc régie par les dispositions de la Loi de 1996.

LES RÈGLES DE DROIT APPLICABLES À L'ANTÉRIORITÉ

La disposition législative pertinente

[28]La demande relative au brevet 946 a été déposée le 19 décembre 1989. Selon l'alinéa 28.2(1)a) [édicté par l'article 33] de la Loi de 1996, l'objet que définissent les revendications du brevet ne doit pas avoir fait l'objet d'une communication avant le 19 décembre 1988. Voici le libellé de cette disposition:

28.2 (1) L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas:

a) plus d'un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d'un tiers ayant obtenu de lui l'information à cet égard de façon directe ou autrement, l'objet d'une communication qui l'a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;    

Antériorité découlant d'une publication

[29]Dans l'arrêt Beloit, précité, le juge Hugessen (alors juge de la Cour d'appel fédérale) a énoncé le critère applicable à l'antériorité découlant d'une publication, à la page 214:

On se souviendra que celui qui allègue l'antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l'invention était connue du public avant la date pertinente. L'enquête porte sur l'invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l'évidence, sur l'état de la technique et des connaissances générales. De plus, ainsi qu'il ressort du passage précité de la Loi, l'antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.

Dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, la Cour suprême du Canada a cité avec approbation, au paragraphe 26, le critère relatif à l'antériorité découlant d'une publication, tiré de l'arrêt Beloit, précité. Ainsi, au paragraphe 25 de son jugement, le juge Binnie explique que l'antériorité découlant d'une publication est une défense difficile à établir, car il est trop facile, après la divulgation d'une invention, de la reconnaître par fragments dans un enseignement antérieur:

La défense fondée sur l'antériorité découlant d'une publication est difficile à établir, car les tribunaux reconnaissent qu'il n'est que trop facile, après la divulgation d'une invention, de la reconnaître, par fragments, dans un enseignement antérieur. Il faut peu d'ingéniosité pour constituer un dossier d'antériorité lorsqu'on dispose du recul nécessaire.

Antériorité découlant d'une vente ou utilisation antérieure

[30]L'antériorité dont il est question dans le présent appel découle, non pas de brevets ou publications antérieurs, mais de la vente antérieure du produit W-3053 de Petrolite. Canwell plaide également l'antériorité découlant d'un brevet antérieur, mais il ne sera pas nécessaire d'examiner cet argument.

[31]La Loi sur les brevets qui était en vigueur lorsque le jugement a été prononcé dans Beloit, précité, prévoyait que l'antériorité pouvait être établie par l'usage public ou par la vente de l'invention au Canada plus de deux ans avant le dépôt d'une demande de brevet. Voici le texte de l'alinéa 27(1)c) qui était en vigueur avant le 1er octobre 1989:

27. (1) Sous rèserve des autres dispositions du présent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention peut, sur présentation au commissaire d'une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le «dépôt de la demande», et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété d'une invention qui n'était pas:

[. . .]

c) en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.

Selon l'alinéa 27(1)c), il semble que l'usage public ou la vente de l'invention suffisait pour établir l'antériorité, même si l'invention n'était pas divulguée de ce fait, c'est-à-dire que, même s'il n'était pas possible de déterminer l'invention revendiquée, il y avait antériorité simplement en raison de l'usage ou de la vente de son objet. Par conséquent, il n'était pas nécessaire, à cette époque, de prouver davantage que l'usage ou la vente de l'invention au cours de la période pertinente afin d'établir l'antériorité.

[32]Par suite des modifications qui sont entrées en vigueur le 1er octobre 1989 et qui ont été maintenues dans la Loi de 1996, la preuve de l'usage ou de la vente de l'invention ne suffisait plus désormais en soi pour établir l'antériorité. Lors de la promulgation de l'alinéa 27(1)d) le 1er octobre 1989 [L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 8], qui a été remplacé par l'alinéa 28.2(1)a) le 1er octobre 1996 [L.C. 1996, ch. 15, art. 33], le critère à satisfaire pour établir l'antériorité par quelque moyen que ce soit est devenu la communication de «l'objet que définit la revendication d'une demande de brevet» (l'invention) «d'une communication qui l'a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs». Par suite des modifications apportées au texte législatif,

1. le délai de grâce applicable avant le dépôt de la demande de brevet a été réduit;

2. la communication n'importe où, et non seulement au Canada, est devenue pertinente;

3. l'usage ou la vente de l'invention ne peut plus être considéré en soi comme une preuve suffisante de l'antériorité;

4. pour établir l'antériorité, il est devenu nécessaire de prouver une communication qui a rendu l'invention accessible au public au Canada ou ailleurs.

Peu de décisions canadiennes ont été rendues au sujet de l'alinéa 28.2(1)a).

[33]Au cours de l'instruction, Canwell a cité des décisions rendues au Royaume-Uni au sujet de l'antériorité découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure. Le juge de première instance a refusé d'analyser cette jurisprudence, estimant que, même s'ils renvoyaient explicitement à l'antériorité découlant d'une publication antérieure, les principes énoncés dans les arrêts Beloit et Free World Trust, précités, s'appliquaient également à l'antériorité découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure et étaient exhaustifs. Au soutien de cette opinion, il a cité le jugement que la Cour d'appel fédérale a rendu dans Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.), notamment l'extrait suivant qui se trouve aux pages 360 et 361:

Comme le juge Urie le mentionne dans l'arrêt Beecham, [. . .] les moyens de défense fondés sur la connaissance antérieure, sur l'utilisation antérieure, sur la publication antérieure et sur la vente antérieure sont «indissociable[s]» et s'appellent moyens de défense fondés sur l'«antériorité» . J'ai remarqué que dans la jurisprudence, il ne semble pas qu'une distinction de principe soit faite entre ces divers moyens de défense et que ce qui est dit au sujet, par exemple, de l'antériorité fondée sur la connaissance antérieure s'applique mutatis mutandis à l'antériorité fondée sur la publication antérieure. [Citation omise; soulignement ajouté dans les motifs du juge de première instance.]

[34]Je conviens avec le juge de première instance que les autorités du Royaume-Uni ne sont pas utiles, dans la mesure où elles vont à l'encontre des principes articulés dans les arrêts Beloit et Free World Trust, précités, au sujet de l'antériorité. La Cour en l'espèce est liée par l'arrêt Free World Trust ainsi que par l'arrêt Beloit, dans la mesure où la Cour suprême du Canada a approuvé celui-ci. Toutefois, les autorités du Royaume-Uni peuvent permettre de mieux cerner l'analyse de la défense de l'antériorité découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure et, pourvu qu'elles n'aillent pas à l'encontre des décisions canadiennes, il est possible de s'en inspirer à cette fin.

[35]Je reconnais que, de façon générale, les principes énoncés dans les arrêts Beloit et Free World Trust, précités, au sujet de l'antériorité fondée sur une publication antérieure s'appliquent également à l'antériorité découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure. Ainsi, la preuve de l'antériorité fondée sur l'utilisation publique antérieure ou la vente antérieure au public ainsi que sur la publication antérieure devrait être examinée attentivement. Toutefois, au-delà d'un certain niveau d'énoncés généraux, il sera peut-être nécessaire d'ajuster les principes régissant l'antériorité fondée sur la publication antérieure en fonction des caractéristiques particulières de l'antériorité découlant de l'utilisation antérieure par le public ou de la vente antérieure au public. Ainsi, le principe selon lequel la publication antérieure doit contenir des instructions d'une clarté telle qu'une personne versée dans l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée s'applique au contexte spécifique de la publication antérieure. Dans ce dernier cas, la personne versée dans l'art lira la publication. En ce qui concerne l'utilisation antérieure ou la vente antérieure, la lecture ne sera pas nécessairement pertinente. Au moment de décider s'il y a antériorité découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure en vertu de l'alinéa 28.2(1)a), la Cour doit tenir compte des circonstances de l'utilisation ou de la vente en question pour savoir comment une personne versée dans l'art serait menée infailliblement à l'invention revendiquée. Ainsi, existait-il à la date pertinente une méthode d'analyse disponible qui aurait permis à une personne compétente d'arriver à l'invention? Les autorités du Royaume-Uni renferment des commentaires utiles à ce sujet.

[36]Les autorités du Royaume-Uni sont également utiles à une autre fin. Tel qu'il est mentionné plus haut, bien que peu de décisions canadiennes aient été rendues au sujet de l'interprétation de l'alinéa 28.2(1)a) de la Loi de 1996, il existe une abondante jurisprudence dans laquelle les tribunaux du Royaume-Uni ont interprété les dispositions de la Patents Act 1977 (R.-U.), 1977, ch. 37, qui sont semblables pour l'essentiel à l'alinéa 28.2(1)a). Les tribunaux du Royaume-Uni ont eu l'occasion d'examiner des cas d'antériorité découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure en vertu de l'article 2 de la Loi du Royaume-Uni et ces autorités pourront faciliter l'interprétation de l'alinéa 28.2(1)a) de la Loi canadienne.

Principes découlant des autorités européennes et des autorités du Royaume-Uni au sujet de l'antériorité découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure

[37]J'examine donc maintenant les autorités du Royaume-Uni. Je tiendrai également compte des décisions rendues en application de la Convention sur le brevet européen [Convention sur la délivrance de brevets européens (Convention sur le brevet européen), 5 octobre 1973], dont les dispositions sont semblables à celles de la Patents Act 1977 du Royaume-Uni. Les tribunaux du Royaume-Uni semblent se guider sur les décisions rendues en application de cette Convention et je ne vois pas pourquoi la Cour fédérale ne pourrait à son tour s'inspirer des décisions européennes, dans les cas où elle estime que les autorités du Royaume-Uni sont utiles et que la législation européenne est similaire.

[38]La Patents Act 1977 du Royaume-Uni renferme des dispositions dont l'effet est semblable à celui de l'alinéa 28.2(1)a) de la Loi de 1996. Le paragraphe 2(1) de la Patents Act 1977 prévoit qu'une invention doit être considérée comme une invention nouvelle si elle ne fait pas partie de l'état de la technique. Selon le paragraphe 2(2), l'état de la technique comprend tous les éléments qui ont, d'une façon ou d'une autre, été rendus accessibles au public:

[traduction] 2.--(1) Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique.

(2) L'état de la technique dans le cas d'une invention est constitué par tout objet (qu'il s'agisse d'un produit, d'un procédé, d'un renseignement sur l'un ou l'autre ou de toute autre chose) qui a été rendu accessible au public en tout temps avant la date de priorité de l'invention en question (que ce soit au Royaume-Uni ou ailleurs) par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. [Non souligné dans l'original.]

La Convention sur le brevet européen renferme des dispositions similaires:

Article 54

(1) Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique.

(2) L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. [Non souligné dans l'original.]    

[39]Les termes employés dans la législation du Royaume-Uni et dans la Convention sur le brevet européen sont semblables, en réalité, à ceux de l'alinéa 28.2(1)a) de la Loi de 1996:

28.2 (1) L'objet [. . .] ne doit pas:

a) [. . .] avoir fait [. . .] l'objet d'une communication qui l'a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

[40]Tout en admettant cette similitude, Petrolite soutient qu'il existe une différence majeure du fait que, dans la législation du Royaume-Uni et la Convention européenne, les mots «made available to the public» (a été rendu accessible au public) sont utilisés, alors que la loi canadienne emploie les mots «became available to the public» (qui l'a rendu accessible au public). Si j'ai bien saisi l'argument, les mots «made available» sous-entendraient «mis à la disposition», c'est-à-dire que le public pouvait avoir accès aux renseignements, alors que les mots «became available» indiqueraient plutôt que le public avait en main les renseignements en question. Selon Petrolite, cette différence signifie que la rétroingénierie est autorisée au Royaume-Uni et en Europe, mais non au Canada ou que, à tout le moins, si ce procédé est autorisé au Canada, il doit avoir été appliqué plus d'un an avant la date de dépôt du brevet.

[41]Je ne puis souscrire à l'argument de Petrolite. Que les renseignements soient rendus ou devenus accessibles, ils sont accessibles. Ce qu'il faut savoir, c'est si les renseignements sont considérés comme des renseignements accessibles lorsqu'ils ne peuvent être obtenus que par un procédé de rétroingénierie. Cependant, cette question se pose, que les mots «made available» ou «became available» soient employés. Je ne vois aucune distinction majeure entre les deux expressions dans le contexte de la présente affaire.

[42]Pour analyser la question de l'antériorité dans le contexte de la divulgation découlant de la vente antérieure ou de l'utilisation antérieure en vertu de l'alinéa 28.2(1)a) sans m'éloigner des principes généraux énoncés dans les arrêts Beloit et Free World Trust, précités, je déduis des décisions qu'ont rendues les tribunaux du Royaume-Uni et l'Office européen des brevets les principes suivants qui sont pertinents en l'espèce.

1. La vente au public ou l'utilisation par le public ne suffit pas à elle seule à prouver l'antériorité. Pour qu'il y ait antériorité au sens de l'alinéa 28.2(1)a), il est nécessaire de prouver qu'il y a eu divulgation de l'invention. Dans Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. and Anr. v. H. N. Norton & Co. Ltd., [1996] R.P.C. 76 (H.L.), lord Hoffmann a conclu que l'usage d'un produit fait d'une invention un élément de l'état de la technique, c'est-à-dire qu'il équivaut à la divulgation, uniquement dans la mesure où il rend accessibles les renseignements qui décrivent l'invention. Voici comment il s'est exprimé à la page 86:

[traduction] [. . .] pour faire partie de l'état de la technique, l'invention doit avoir été rendue accessible au public. Une invention est un renseignement. Par conséquent, pour rendre un renseignement accessible au public au sens du paragraphe 2(2), il est nécessaire de le communiquer. L'usage d'un produit fait d'une invention un élément de l'état de la technique uniquement dans la mesure où cet usage rend les renseignements nécessaires accessibles. [Non souligné dans l'original, sauf les mots en italique.]

2. Pour qu'une vente ou utilisation antérieure constitue une antériorité opposable à une invention, il doit s'agir d'une divulgation qui permet de réaliser celle-ci («enabling disclosure»). Dans Merrell Dow, précité, aux pages 86 et 87, lord Hoffmann a cité avec approbation les remarques que le juge Aldous avait formulées dans PLG Research Ltd. v. Ardon International Ltd., [1993] F.S.R. 197, à la page 225:

[traduction] En vertu de la loi de 1977, un brevet peut être délivré à l'égard d'une invention couvrant un produit qui a été mis en marché, pourvu que le produit ne permette pas de réaliser l'invention revendiquée. Dans la plupart des cas, la vente antérieure du produit rendra accessibles les renseignements concernant le contenu et le mode de fabrication, mais il est possible d'imaginer des circonstances dans lesquelles cela ne se produira pas. [Non souligné dans l'original.]

Dans Lux Traffic Controls Ltd. v. Pike Signals Ltd. and Faronwise Ltd., [1993] R.P.C. 107, le juge Aldous s'est exprimé comme suit à la page 133:

[traduction] Il est reconnu en droit que, pour invalider un brevet, la divulgation doit permettre de réaliser l'invention. [Non souligné dans l'original.]

3. L'utilisation antérieure ou la vente antérieure d'un produit chimique permettra au public de réaliser l'invention s'il est possible d'en découvrir la composition au moyen d'une analyse. Dans FISONS plc v. Packard Instrument B.V., décision de l'OEB no T 0952/92 - 3.4.1 en date du 17 août 1994, la Chambre de recours de l'Office européen des brevets s'est exprimée comme suit à la page 21:

[traduction] [. . .] de l'avis de la Chambre de recours, c'est la possibilité d'avoir accès, directement et de façon non ambiguë, aux renseignements concernant la composition ou la structure interne d'un produit déjà utilisé, notamment par analyse, qui rend cette composition ou cette structure interne «accessible au public» et fait d'elle un élément de l'état de la technique aux fins du paragraphe 54(2) de la Convention. [Non souligné dans l'original.]

4. L'analyse doit pouvoir être faite par une personne versée dans l'art conformément aux techniques d'analyse connues et disponibles à la date pertinente. Voici les commentaires qu'a formulés la Chambre de recours dans FISONS (à la page 21):

[traduction] Si cette analyse est possible à l'aide des techniques d'analyse connues auxquelles une personne compétente pouvait avoir accès avant la date de dépôt pertinente, la composition ou la structure interne obtenue par suite de cette analyse sera accessible au public. [Non souligné dans l'original.]

Dans le contexte de la divulgation découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure, ce principe doit être appliqué d'une manière compatible avec la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue au sujet de la publication antérieure dans Beloit, précité. La personne versée dans l'art doit être en mesure, à l'aide des techniques d'analyse disponibles, de prouver l'invention sans l'exercice d'un génie inventif.

5. En ce qui concerne l'antériorité au sens de l'alinéa 28.2(1)a), dans les cas où un procédé de rétroingénierie est nécessaire et permet de découvrir l'invention, une invention devient accessible au public lorsqu'un produit qui la renferme est vendu à un membre du public qui peut l'utiliser comme bon lui semble. Voici comment s'est exprimé le juge en chef lord Parker dans la demande de Bristol-Myers Co.'s Application, [1969] R.P.C. 146 (Q.B.D.), à la page 155:

[traduction] [. . .] si l'information [. . .] a été communiquée à un seul membre du public sans obstacle contraignant, cela suffira pour la rendre accessible au public.[Non souligné dans l'original.]

In Lux, supra, Aldous J. stated at page 134:

Dans l'arrêt Lux, précité, le juge Aldous a dit ce qui suit à la page 134:

[traduction] Dans la présente affaire, un petit système comportant un prototype de contrôleur a été mis à la disposition des entrepreneurs à quelques occasions pendant cinq mois. Ces entrepreneurs pouvaient, en droit et en equity, l'examiner sans contrainte. [Non souligné dans l'original.]

Il est logique de dire que la vente d'un produit, ne serait-ce qu'à un seul membre du public, rend celui-ci accessible au public aux fins de l'alinéa 28.2(1)a). La valeur du brevet qui est demandé réside dans le caractère secret de son objet. Ce caractère secret est perdu lorsqu'un membre du public a accès aux renseignements de manière à obtenir l'invention. La délivrance d'un brevet est assujettie à la condition que l'inventeur offre au public quelque chose qu'il n'avait pas auparavant. Si le public l'a déjà, l'inventeur ne donne rien et n'a pas droit à quoi que ce soit en retour, par exemple, un monopole pendant quelques années. (Voir l'arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 13.)

6. Il n'est pas nécessaire de démontrer qu'un membre du public a effectivement analysé le produit qui a été vendu. Dans l'arrêt Lux, le juge Aldous a dit ce qui suit à la page 133:

[traduction] De plus, il est bien reconnu en droit qu'il n'est pas nécessaire de prouver qu'une personne a effectivement pris connaissance de la divulgation, pourvu que celle-ci ait été rendue publique. Ainsi, une description antérieure contenue dans un ouvrage aura pour effet d'invalider un brevet si l'ouvrage en question se trouve sur une étagère d'une bibliothèque ouverte au public, indépendamment du fait que personne ne l'a lu et que celui-ci se trouve dans un coin sombre et poussiéreux de la bibliothèque. Si l'ouvrage était accessible au public, celui-ci aura le droit d'utiliser les renseignements qu'il contient pour réaliser l'invention sans devoir faire face à un obstacle découlant d'un monopole accordé par l'État. [Non souligné dans l'original.]

Même si les commentaires du juge Aldous concernent l'exemple d'une publication antérieure, l'affaire Lux portait sur une utilisation antérieure et le principe qu'il a formulé s'applique tout aussi bien au cas de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure qu'à celui de la publication antérieure.

7. Le temps et l'énergie consacrés à l'analyse ne permettent pas de déterminer de façon concluante si une personne compétente aurait pu découvrir l'invention. Le facteur pertinent à cet égard est uniquement la question de savoir si l'exercice d'un génie inventif était nécessaire. Dans FISONS plc v. Packard Instruments B.V., précité, la Chambre de recours de l'Office européen des brevets a dit ce qui suit aux pages 21 et 22:

[traduction] [. . .] La possibilité que cette personne compétente lise cette description écrite ou analyse ce produit précédemment vendu et l'énergie nécessaire à cette fin (soit le travail et le temps) ne sont pas pertinentes en principe quant à la question de savoir en quoi consiste l'état de la technique. [Non souligné dans l'original.]

Il doit y avoir des éléments de preuve à partir desquels l'exercice d'un génie inventif peut être déduit. La complexité de la tâche ou le temps et le travail nécessaires ne suffisent pas à eux seuls.

8. Il n'est pas nécessaire que le produit faisant l'objet de l'analyse soit susceptible de reproduction exacte. C'est l'objet des revendications du brevet (l'invention) qui doit être divulgué à l'aide de l'analyse. La nouveauté de l'invention revendiquée sera détruite s'il y a eu divulgation d'une variante visée par la revendication. Voici comment la Chambre de recours s'est exprimée dans FISONS, précité, à la page 23:

[traduction] Selon les décisions rendues par les chambres de recours, la nouveauté d'une invention revendiquée sera annulée par la divulgation précédente (par quelque moyen que ce soit) d'une variante visée par la revendication. Par conséquent, de l'avis de la chambre, la nouveauté d'une invention revendiquée est détruite par l'emploi antérieur d'un produit, notamment par la vente, lorsque l'analyse faite à l'aide des techniques disponibles informe la personne compétente au sujet d'une variante du produit qui est visée par la revendication du brevet. La chambre n'accepte donc pas l'argument du titulaire du brevet selon lequel une analyse complète d'un produit précédemment utilisé doit être possible de façon à permettre la reproduction exacte de ce produit pour que la nouveauté du produit revendiqué soit détruite. [Non souligné dans l'original, sauf les caractères gras.]

[43]Les huit principes résumés plus haut (qui ne sont pas exhaustifs) sont particulièrement pertinents en ce qui a trait à la divulgation découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure dans le contexte de l'alinéa 28.2(1)a) en l'espèce, bien que certains puissent également s'appliquer à la divulgation fondée sur un brevet antérieur ou sur une publication antérieure. Ils s'ajoutent aux principes énoncés dans les arrêts Beloit et Free World Trust, précités, au sujet de l'antériorité sans les modifier.

[44]En conservant à l'esprit les huit principes susmentionnés et ceux des arrêts Beloit et Free World Trust, précité, j'en arrive maintenant aux conclusions pertinentes que le juge de première instance a formulées au sujet de l'antériorité découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure du produit W-3053 de Petrolite.

LES CONCLUSIONS DU JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE AU SUJET DE L'ANTÉRIORITÉ DÉCOULANT DE L'UTILISATION ANTÉRIEURE OU DE LA VENTE ANTÉRIEURE

[45]Voici les conclusions pertinentes du juge de première instance:

1. Le W-3053 était vendu de façon inconditionnelle depuis au moins décembre 1987.

2. Il aurait été facile d'obtenir un échantillon d'analyse du W-3053 dès décembre 1987.

3. Le produit W-3053 était à toutes fins utiles l'invention décrite dans le brevet 946.

4. Compte tenu de l'ensemble de la preuve sur les démarches en vue d'analyser et de recomposer avec succès le W-3053, Canwell n'a pas réussi à s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait, soit d'établir que l'invention divulguée par le brevet 946 avait été rendue accessible au public. Par conséquent, il n'existait aucune antériorité opposable à l'invention.

[46]Les première et deuxième conclusions du juge de première instance sont purement factuelles. La troisième, qui concerne l'objet de l'invention, découle d'une interprétation des revendications du brevet et est donc une question de droit. Voir Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 76. La quatrième conclusion est une conclusion mixte de droit et de fait qui découle de l'application d'un critère juridique à un ensemble de faits, soit la question de savoir si la preuve établit l'existence d'une antériorité au sens de l'alinéa 28.2(1)a).

LA NORME DE CONTRÔLE

[47]Dans le récent arrêt Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577, la Cour suprême du Canada présente une analyse approfondie de la norme de contrôle que les cours d'appel doivent appliquer aux décisions des juges de première instance. Voici un résumé des principes qui, à mon avis, sont pertinents en l'espèce.

[48]La norme de contrôle relative à une question de droit est celle de la décision correcte. Au paragraphe 9, les juges Iacobucci et Major, qui ont rendu la décision majoritaire, s'expriment comme suit:

Ainsi, alors que le rôle premier des tribunaux de première instance consiste à résoudre des litiges sur la base des faits dont ils disposent et du droit établi, celui des cours d'appel est de préciser et de raffiner les règles de droit et de veiller à leur application universelle. Pour s'acquitter de ces rôles, les cours d'appel ont besoin d'un large pouvoir de contrôle à l'égard des questions de droit.

[49]La cour d'appel ne peut modifier les conclusions de fait, y compris les inférences de fait, que dans les cas d'une erreur manifeste et dominante. Voici les propos qu'ont formulés les juges Iacobucci et Major à ce sujet au paragraphe 25:

Nous sommes d'avis que le juge de première instance jouit, par rapport aux juges d'appel, de nombreux avantages qui influent sur toutes les conclusions de fait et que, même si ces avantages n'existaient pas, d'autres considérations impérieuses justifient de faire montre de retenue à l'égard des inférences de fait. Par conséquent, nous concluons en soulignant qu'il n'y a qu'une seule et unique norme de contrôle applicable à toutes les conclusions factuelles tirées par le juge de première instance, soit celle de l'erreur manifeste et dominante.

[50]Enfin, il existe aussi les questions mixtes de fait et de droit, qui nécessitent l'application de critères juridiques à un ensemble de faits. Lorsqu'aucune erreur de droit ne peut être dégagée ou que les faits sont si particuliers que les décisions concernant la question de savoir s'ils satisfont aux critères juridiques n'ont pas une grande valeur comme précédents, une plus grande réserve s'impose. Au paragraphe 28, les juges Iacobucci et Major formulent les remarques suivantes:

Cependant, lorsque l'erreur ne constitue pas une erreur de droit, une norme de contrôle plus exigeante s'impose. Dans les cas où le juge des faits examine tous les éléments de preuve que le droit lui commande de prendre en considération mais en tire néanmoins une conclusion erronée, il commet alors une erreur mixte de fait et de droit, qui est assujettie à une norme de contrôle plus rigoureuse: Southam, précité, par. 41 et 45.

[51]Cependant, lorsqu'il est possible de dégager la question de droit de la question de fait dans le cas d'une question mixte de droit et de fait et de conclure qu'une erreur de droit a été commise, la norme de contrôle sera celle de la décision correcte. Voici comment s'expriment les juges Iacobucci et Major au paragraphe 27 de l'arrêt Housen:

Dans l'arrêt Southam, précité, par. 39, notre Cour a expliqué comment une erreur touchant une question mixte de fait et de droit peut constituer une pure erreur de droit, assujettie à la norme de la décision correcte:

[. . .] si un décideur dit que, en vertu du critère applicable, il lui faut tenir compte de A, B, C et D, mais que, dans les faits, il ne prend en considération que A, B, et C, alors le résultat est le même que s'il avait appliqué une règle de droit lui dictant de ne tenir compte que de A, B et C. Si le bon critère lui commandait de tenir compte aussi de D, il a en fait appliqué la mauvaise règle de droit et commis, de ce fait, une erreur de droit.

[52]La formulation erronée du critère juridique approprié donne lieu à l'application de la norme de la décision correcte aux conclusions de fait qu'a tirées le juge de première instance. C'est ce qu'affirment les juges Iacobucci et Major au paragraphe 35 de leur jugement:

Cette formulation erronée du critère juridique approprié (les conditions juridiques requises pour être une «âme dirigeante») a entaché ou vicié la conclusion factuelle des juridictions inférieures selon laquelle le capitaine Kelch était une âme dirigeante de la société. Comme cette conclusion erronée était imputable à une erreur de droit, un degré moindre de retenue s'imposait et la norme applicable était celle de la décision correcte.

Si j'ai bien compris les motifs du jugement de la Cour suprême, c'est à l'endroit de la conclusion factuelle viciée qu'une réserve moindre s'impose et non à l'endroit des faits précis sur lesquels le juge de première instance s'est fondé pour en arriver à cette conclusion, à moins, bien entendu, que ces constatations ne soient également entachées par l'erreur de droit.

[53]Dans l'arrêt Housen, précité, la Cour suprême ne traite pas du cas où le juge de première instance, appliquant un critère juridique incorrect, formule uniquement des conclusions sans dégager les faits pertinents quant à celles-ci, par exemple, lorsqu'il ne tire aucune conclusion de fait précise, mais affirme simplement qu'il a examiné l'ensemble de la preuve et appliqué ce qui est plus tard considéré comme le critère juridique inapproprié. Il faut encore savoir comment la cour d'appel doit examiner l'application du critère juridique approprié en l'absence de conclusions de fait précises de la part du juge de première instance. Je commenterai cette situation plus loin dans les présents motifs.

EXAMEN DES CONCLUSIONS DU JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE

Conclusions de fait

[54]Étant donné que les première et deuxième conclusions du juge de première instance sont purement de nature factuelle, elles doivent être révisées à la lumière de la norme de l'erreur manifeste et dominante. Il existe des éléments de preuve appuyant ces conclusions et aucune erreur manifeste ou dominante n'a été démontrée à leur égard. La Cour ne les modifiera donc pas.

Conclusions de droit

[55]La troisième conclusion, qui concerne l'objet de l'invention, est une question de droit et la norme de contrôle applicable à cette conclusion est celle de la décision correcte. Le juge de première instance en est arrivé à la conclusion suivante: «il n'y a aucun doute que le W-3053 [. . .] était à toutes fins utiles l'invention décrite dans le brevet en litige». Pour en arriver à cette conclusion, il s'est fondé sur un certain nombre d'hypothèses implicites. Étant donné que le brevet 946 ne comporte aucune revendication relative à un produit, le juge de première instance a dû vouloir dire que l'invention consistait à mettre en contact le W-3053 avec les flux de gaz naturel. De plus, l'utilisation de sa part des mots «à toutes fins utiles» semble vouloir dire qu'à son avis, la mise en contact du W-3053 avec les flux de gaz naturel constituait l'essence de l'invention divulguée dans le brevet 946, mais n'était pas tout à fait l'invention décrite dans les revendications du brevet. Les motifs du juge de première instance n'indiquent pas qu'il a interprété les revendications de façon détaillée pour déterminer l'objet de l'invention. C'est ce que je fais dans les paragraphes suivants.

[56]Le brevet 946 comporte 77 revendications. La revendication 1 est la plus générale et la plus exhaustive. Elle décrit une méthode permettant de réduire sélectivement les concentrations du sulfure d'hydrogène qui se trouve dans un flux d'hydrocarbures gazeux ou liquides ou leurs mélanges (aux fins de la présente affaire, les flux de gaz naturel) en mettant en contact le flux en question avec une composition renfermant le produit de réaction d'une alcanolamine inférieure avec un aldéhyde inférieur en quantités et pendant une période suffisantes pour réduire les concentrations de sulfure d'hydrogène dans le flux gazeux:

[traduction] Méthode pour réduire sélectivement les concentrations du sulfure d'hydrogène et des sulfures organiques présents dans un flux d'hydrocarbures gazeux ou liquides ou leurs mélanges, consistant à mettre en contact ledit flux avec une composition renfermant le produit de réaction i) d'une alcanolamine de 1 à environ 6 atomes de carbone avec ii) un aldéhyde de 1 à environ 4 atomes de carbone, en quantités et pendant une période suffisantes pour que les concentrations de sulfure d'hydrogène et de sulfures organiques soient sensiblement réduites dans ledit flux.

[57]La revendication 1 n'est pas une revendication relative à un produit. D'ailleurs, le brevet n'en compte aucune. En d'autres termes, il n'y a rien de nouveau dans une composition qui renferme un produit de réaction d'une alcanolamine inférieure avec un aldéhyde inférieur. De plus, la réduction des concentrations de sulfure d'hydrogène dans le gaz naturel par mise en contact des flux de gaz avec un produit chimique ne constitue pas un procédé nouveau. L'invention qui est visée par la revendication 1 réside dans la mise en contact du produit de réaction divulgué dans la revendication, qui était connu mais n'avait pas encore été utilisé à cette fin, avec les flux de gaz naturel acide pour réduire les concentrations de sulfure d'hydrogène dans les flux.

[58]La revendication 2 énonce que le rapport molaire de l'alcanolamine à l'aldéhyde se situe dans une plage d'environ 1/0,25 à 1/10. C'est là un large éventail de rapports molaires. Selon toute vraisemblance, le produit de réaction sera produit à l'intérieur de cette plage.

[59]Petrolite ne se fonde pas sur la totalité des 77 revendications du brevet 946. Selon le juge de première instance, l'avocat de Petrolite a classé les autres revendications en litige en quatre séries comme suit:

I    --    Les revendications 44 à 50

II    --    Les revendications 19 à 21, 28, 29 et 34

III    --    Les revendications 3 à 6, 10, 13 à 16, 24, 25, 32 et 36

IV    --    Les revendications 57, 58, 66 et 67.

[60]Série I: la revendication 44 est une particulari-sation des revendications 1 et 2. Elle couvre une méthode d'adoucissement du gaz qui consiste à mettre en contact les flux de gaz naturel avec une composition renfermant le produit de réaction de la monoéthano-lamine (MEA) (alcanolamine inférieure) et du formaldé-hyde (aldéhyde inférieur) alors que le rapport molaire se situe dans une plage d'environ 1/0,25 à 1/1,15. La revendication 45 limite le rapport molaire à une plage de 1/1 à 1/1,5. La revendication 46 énonce que le produit de réaction est la triazine. Selon la revendication 47, les flux gazeux comprennent les flux de gaz naturel acide. La revendication 48 précise que la méthode utilisée pour mettre en contact le produit de réaction avec le flux gazeux est une tour d'épuration servant à réduire la concentration de H2S.

[61]Série II: la revendication 19 est également une particularisation des revendications 1 et 2. Elle couvre une méthode pour réduire sélectivement le sulfure d'hydrogène présent dans les flux gazeux en utilisant de la triazine. Les autres revendications de cette catégorie renvoient également à la triazine et ne touchent pas par ailleurs le produit de réaction ou le procédé permettant de mettre en contact celui-ci avec les flux de gaz acide.

[62]Série III: La revendication 3 est elle aussi une particularisation de la revendication 1. Elle limite le rapport molaire de l'alcalonamine à l'aldéhyde à une plage de 1/0,25 à 1/1,15. La revendication 4 limite le rapport molaire à une plage de 1/1 à 1/:1,5. La revendication 5 renvoie explicitement à la MEA et au formaldéhyde. Selon la revendication 6, le produit de réaction est la triazine ou la bisoxazolidine. La revendication 10 énonce que la réaction se produit à une température ne dépassant pas 200 F. Les revendications 13 à 15 dévoilent différentes méthodes servant à mettre en contact le produit de réaction avec le gaz acide. La revendication 16 ajoute le méthanol à la composition qui est mise en contact avec le gaz naturel. Les revendications 24, 25, 32 et 36 ne modifient pas le produit de réaction ou le procédé permettant de mettre celui-ci en contact avec les flux de gaz acide.

[63]Série IV: Les revendications 57 et 58 constituent d'autres particularisations de la revendication 1. Elles prévoient la mise en contact de flux gazeux avec une composition renfermant au moins 70 % de triazine. Les revendications 66 et 67 ne modifient pas le produit de réaction ni le procédé servant à mettre celui-ci en contact avec les flux de gaz acide.

[64]Comme c'est le cas pour une bonne majorité des brevets, le brevet en litige comporte de nombreuses revendications dont une grande partie semblent redondantes. Quoi qu'il en soit, il semble clair que l'invention décrite dans les revendications consiste à mettre en contact les flux de gaz naturel avec un produit de réaction renfermant une combinaison d'une alcanolamine inférieure et d'un aldéhyde inférieur. Le juge de première instance a conclu que, d'après le témoignage unanime des experts, la bisoxazolidine n'a jamais été identifiée de façon irréfutable comme étant un produit de réaction de la MEA et du formaldéhyde et que ces mêmes experts ont dit unanimement que le principal produit de réaction était la triazine. D'après la preuve, lorsque le rapport molaire se situe à environ 1/1, la concentration des composés de triazine est plus élevée. Lorsque le rapport molaire dépasse 1/1, le produit obtenu est de la triazine avec présence d'un excès de formaldéhyde.

[65]En ce qui concerne l'interprétation des revendications du brevet, je suis convaincu que l'invention visée par les revendications en litige du brevet 946 réside dans l'utilisation d'une composition renfermant le produit de réaction d'une alcanolamine inférieure avec un aldéhyde inférieur ou de la triazine, laquelle composition est mise en contact avec des flux de gaz naturel pour réduire les concentrations de sulfure d'hydrogène dans les flux en question. Selon les revendications, le produit de réaction est la triazine ou encore les composantes de celle-ci, qui sont combinées selon des rapports molaires permettant d'obtenir de la triazine ou de la triazine avec présence d'un excès de formaldéhyde. Les méthodes décrites pour mettre en contact le produit de réaction avec les flux de gaz acide ne comportent aucun élément inventif. Selon le juge de première instance, la bisoxazolidine dont il est fait mention à la revendication 6 n'a jamais été identifiée de façon irréfutable comme étant un produit de réaction de la MEA et du formaldéhyde. La limite de température mentionnée à la revendication 10 ne peut être inventive, parce qu'une solution de triazine est aqueuse, c'est-à-dire qu'elle se dissout dans l'eau, et qu'il est bien certain que la température ne peut dépasser le point d'ébullition de l'eau. Le méthanol, dont il est fait mention à la revendication 16 seulement, est un antigel. Je ne suis pas certain que l'emploi du méthanol soit nouveau. Toutefois, je présumerai que, dans le cas de la revendication 16, l'invention consistait dans l'emploi de la triazine avec l'ajout de méthanol pour réduire les concentrations de sulfure d'hydrogène dans les flux de gaz naturel.

[66]Le fait de dire que les revendications du brevet décrivent un procédé qui consiste à mettre en contact des flux de gaz naturel avec une composition renfermant le produit de réaction d'une alcanolamine inférieure avec un aldéhyde inférieur ou avec de la triazine est compatible avec l'abrégé de l'exposé figurant dans le brevet 946, dont le texte est le suivant:

[traduction] Le brevet comporte une description de méthodes servant à réduire sélectivement les concentrations de sulfure d'hydrogène et de sulfures organiques présentes dans les flux d'hydrocarbures gazeux et liquides, notamment dans les flux de gaz naturel, laquelle méthode consiste à mettre en contact les flux avec une composition renfermant le produit de réaction

(i) d'une alcanolamine inférieure avec

(ii) un aldéhyde inférieur.

[67]Après avoir examiné l'ensemble des revendications en litige, je conclus que l'invention décrite dans le brevet 946 consiste à mettre en contact une composition renfermant le produit de réaction d'une alcanolamine inférieure avec un aldéhyde inférieur, ou de la triazine, avec des flux de gaz acide pour réduire les concentrations de sulfure d'hydrogène dans les flux en question. Dans le cas de la revendication 16, l'invention comprend l'utilisation de méthanol. Étant donné que l'ajout de méthanol semble, au mieux, accessoire, je décrirai l'invention comme l'emploi de la triazine ou de ses substances de départ pour éliminer le sulfure d'hydrogène, sauf dans les cas où il est nécessaire de commenter la revendication 16.

Conclusions mixtes de droit et de fait

[68]Le principal sujet de controverse qui a été débattu devant la Cour concerna la conclusion du juge de première instance selon laquelle, d'après l'ensemble de la preuve relative aux tentatives d'analyser et de reconstruire avec succès le produit W-3053, Canwell n'avait pas établi l'existence d'antériorités opposables au brevet. C'est là une question mixte de fait et de droit et, pour y répondre, il faut savoir si le critère relatif à l'antériorité a été établi par les faits que le juge de première instance a déduits des témoignages d'expert.

[69]Bien que ses motifs soient exposés dans 197 paragraphes, le juge de première instance a examiné cette question dans cinq paragraphes seulement. Voici comment il s'est exprimé au paragraphe 90:

J'estime que les témoignages d'experts sur les démarches d'analyse effectuées au cours des années, notamment celles qui ont été tentées dans le cadre du présent procès, sont ambivalents et tous très insatisfaisants.

[70]Au paragraphe 90, le juge a cité un extrait du témoignage du professeur Brian Hunter, un des experts de Petrolite, selon lequel un chimiste compétent ne serait pas en mesure de déterminer la composition du W-3053 ou ses substances de départ. Au paragraphe 91, il a cité le témoignage du professeur John MacRae Mellor, expert de Canwell, qui a déclaré qu'un chimiste compétent serait en mesure d'identifier la triazine comme principal constituant du produit W-3053 et aurait reconnu que la triazine pouvait être obtenue comme produit de réaction de la MEA et du formaldéhyde.

[71]Au paragraphe 92, le juge de première instance a cité un extrait des motifs que le juge Décary a formulés dans l'arrêt Tye-Sil, selon lequel la preuve relative à l'utilisation antérieure doit être soumise à un examen très attentif et que quiconque allègue l'antériorité assume une lourde charge. Subséquemment, au paragraphe 93, le juge de première instance a conclu que Canwell n'avait pas réussi à s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait en ce qui a trait à l'antériorité:

À la lumière des observations précédentes et considérant l'ensemble de la preuve produite devant la Cour sur les démarches en vue d'analyser et de recomposer avec succès le W-3053, je ne puis absolument pas conclure que la défenderesse Canwell a réussi à s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait, d'établir que les ventes commerciales du W-3053 intervenues dans l'Ouest de l'Oklahoma au cours du délai de grâce précédant le dépôt du brevet en litige constituaient une antériorité opposable à l'invention divulguée par le brevet, dans la mesure où elles équivalaient à rendre l'objet du brevet accessible au public au Canada ou ailleurs.

[72]Je reconnais aisément que le juge de première instance avait une lourde tâche en l'espèce, compte tenu de l'ampleur de la preuve présentée et des nombreuses questions à trancher. Néanmoins, en raison de la façon sommaire dont il a tiré sa conclusion au sujet de l'antériorité, la Cour ne peut comprendre le raisonnement qu'il a suivi. Le juge de première instance n'a tiré aucune conclusion de fait au sujet des témoignages d'expert. Il a simplement cité deux opinions d'expert opposées sans les commenter. Tout en concluant que les témoignages d'expert étaient «ambivalents et tous très insatisfaisants», il n'a donné aucune explication au sujet de cette conclusion. Il en va de même pour la conclusion finale qu'il a tirée au paragraphe 93, qui ne comporte aucun fondement factuel permettant de comprendre le raisonnement qu'il a suivi.

[73]Quoi qu'il en soit, la question préliminaire que la Cour doit trancher est de savoir si, lorsqu'il a statué sur une question mixte de droit et de fait, le juge de première instance a commis une erreur de droit qui peut être dégagée de la question mixte. À mon humble avis, je dois répondre oui à cette question.

[74]Il appert des motifs du juge de première instance que la norme qu'il a appliquée à l'égard de l'antériorité était la possibilité, au moyen d'un procédé de rétroingénierie, «d'analyser et de recomposer avec succès le W-3053». Il est évident que le juge de première instance a estimé nécessaire de recomposer le produit W-3053 et qu'il a jugé les témoignages d'expert incomplets à cet égard. Il a également fait allusion à l'analyse du W-3053; cependant, si l'objet visé par l'analyse était différent à son avis de celui de la recomposition, aucun élément de ses motifs n'indique en quoi consistait cet objet différent. Bien au contraire, d'autres parties de ses motifs donnent à penser que l'analyse devait permettre de recomposer le produit W-3053, ou d'en déterminer la composition, ce qui revient au même. L'application d'un critère relatif à la composition est compatible avec la conclusion antérieure du juge de première instance selon laquelle l'invention était, à toutes fins utiles, le W-3053. J'en conclus que le critère que le juge de première instance a appliqué pour trancher la question de l'antériorité était la question de savoir si l'analyse du produit W-3053 permettait d'en déterminer la composition ou de le recomposer, ce qui revient au même. À mon humble avis, le juge de première instance a commis une erreur de droit en appliquant ce critère pour trancher la question de l'antériorité.

[75]Le défendeur qui invoque le moyen de défense de l'antériorité découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure d'un produit n'est pas tenu de prouver que le produit peut être reproduit (voir FISONS, précité, à la page 23). Le produit renfermera l'invention, mais peut également comporter d'autres éléments. Le défendeur qui se fonde sur l'alinéa 28.2(1)a) est tenu de prouver uniquement que l'objet du brevet, soit l'invention, a été divulgué. L'invention en l'espèce était la mise en contact de flux de gaz naturel avec de la triazine (ou ses substances de départ) pour réduire les concentrations de sulfure d'hydrogène dans les flux. Étant donné que la mise en contact du W-3053 avec les flux de gaz naturel acide était connue des clients qui ont acheté le produit, il suffit de déterminer si la triazine ou ses substances de départ pouvaient être décelées dans le produit W-3053. Dans l'affirmative, l'invention aura été divulguée par suite de la vente au public du produit W-3053, laquelle vente constituera une antériorité opposable au brevet 946. Ainsi, dans les circonstances de la présente affaire, la question est de savoir si une personne versée dans l'art aurait pu découvrir la triazine (ou ses substances de départ) par l'analyse et non de savoir si elle aurait pu reproduire le W-3053.

[76]La question de droit, soit la question de savoir s'il était nécessaire, pour établir l'antériorité, de reproduire le produit déjà utilisé ou vendu ou d'en découvrir la composition, d'une part, ou s'il suffisait de découvrir l'invention, d'autre part, peut être dégagée de la conclusion mixte de fait et de droit du juge de première instance selon laquelle, d'après l'ensemble de la preuve, Canwell n'a pas établi l'antériorité.

[77]De plus, la question de droit qui se pose en l'espèce est générale et non particulière aux circonstances de la présente affaire. Il est important, aux fins jurisprudentielles, que dans les cas où l'antériorité découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure d'un produit est en litige, la preuve établisse que l'analyse du produit révèle l'invention et pas nécessairement la possibilité de reproduire le produit. Bien entendu, lorsque le produit constitue l'invention, il sera peut-être nécessaire que l'analyse démontre cette possibilité, mais ce n'est pas le cas en l'espèce. La mise en contact du gaz naturel acide avec de la triazine (ou ses substances de départ) et peut-être du méthanol était le seul élément inventif du produit W-3053. La question de savoir si une personne compétente aurait pu découvrir d'autres éléments non inventifs de ce produit n'est pas pertinente quant à l'antériorité en l'espèce.

[78]Étant donné que l'erreur de droit peut être dégagée de la conclusion mixte de fait et de droit du juge de première instance, cette conclusion est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

ANALYSE DE LA PREUVE À L'AIDE DU CRITÈRE JURIDIQUE APPROPRIÉ

[79]J'en arrive maintenant à l'application des faits à la norme appropriée en vertu de l'alinéa 28.2(1)a). Comme je l'ai mentionné, le juge de première instance n'a tiré aucune conclusion de fait au sujet des témoignages d'expert. Sa conclusion selon laquelle les témoignages étaient ambivalents et totalement insatisfaisants et selon laquelle Canwell ne s'était pas déchargée de son fardeau était fondée sur l'application d'un critère juridique qui ne convenait pas.

[80]Si les conclusions de fait que le juge de première instance a tirées au sujet des témoignages d'expert n'avaient pas été entachées par cette erreur de droit, elles n'auraient été susceptibles de contrôle que selon la norme de l'erreur manifeste et dominante. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, il n'y a aucune conclusion de fait explicite. Même s'il était possible de déduire que le juge de première instance a formulé une conclusion générale de nature factuelle du fait qu'il s'est fondé sur «l'ensemble de la preuve», comme il l'a dit, toute inférence possible à l'égard d'un élément de preuve précis était viciée par l'application du critère juridique erroné.

[81]Dans ces circonstances, les seules options qui s'offrent à la Cour en l'espèce se limitent à renvoyer l'affaire à la Section de première instance pour nouvelle décision en fonction de l'application du critère juridique approprié ou à substituer sa décision à celle du juge de première instance. J'hésite au départ à choisir la seconde option, puisque la Cour d'appel n'a pas vu et entendu elle-même les témoins. Cependant, la partie la plus importante de la preuve d'expert était documentaire.

[82]Je sais pertinemment que, dans l'arrêt Housen, précité, la Cour suprême a souligné que l'absence de questions portant sur la crédibilité ne justifie pas une cour d'appel de modifier les conclusions de fait d'un juge de première instance (paragraphe 24). Cependant, la question qui se pose maintenant ne concerne pas la normede contrôle judiciaire. À ce stade-ci, il est nécessaire d'apprécier à nouveau la preuve en appliquant le critère qui convient à l'égard de l'antériorité. À mon avis, un des facteurs pertinents à prendre en compte pour décider si la Cour d'appel devrait apprécier à nouveau la preuve ou renvoyer l'affaire à la Section de première instance est la question de savoir si la crédibilité des témoins est en litige; dans la négative, la cour d'appel sera peut-être moins réticente en l'espèce à procéder elle-même à la révision. De plus, la présente affaire est en cours depuis environ sept ans. La contrefaçon reprochée remonte à environ 11 ans et l'antériorité invoquée, à quelque 14 ans. Par ailleurs, la preuve semble très marquée dans un sens, de sorte qu'il ne s'agit pas d'une situation serrée pour laquelle il serait préférable de faire réexaminer la preuve par le juge de première instance. Enfin, une ordonnance portant audition accélérée de l'appel a été rendue.

[83]Les observations du juge La Forest, qui a rédigé le jugement majoritaire dans Hollis c. Dow Corning Corp., [1995] 4 R.C.S. 634, sont édifiantes en l'espèce. Voici comment il s'exprime au paragraphe 33:

Il est bien établi que les juridictions d'appel ont compétence pour apprécier à nouveau la preuve au dossier lorsqu'elles estiment qu'une telle appréciation est dans l'intérêt de la justice et qu'elle ne soulève pas d'obstacle en pratique; voir Prudential Trust Co. c. Forseth, [1960] R.C.S. 210, aux pp. 216 et 217. Dans la présente affaire, il y avait une preuve suffisante au dossier pour permettre à la Cour d'appel de procéder légitimement et pleinement à une nouvelle appréciation de la question de l'obligation de mise en garde, sans qu'il soit nécessaire de renvoyer le tout en première instance. Même si les juridictions d'appel sont en général, et de façon compréhensible, réticentes à tirer des conclusions de fait sans avoir l'avantage de voir et d'entendre elles-mêmes les témoins, je ne crois pas que la présente espèce soulève des considérations de ce genre puisque l'essentiel de la preuve cruciale présentée au procès était de nature documentaire et non testimoniale. Compte tenu que Mme Hollis attend maintenant depuis près de sept ans l'issue définitive de sa cause, et que la longueur inhabituelle des procédures d'appel a déjà engendré des frais élevés, j'estime que la Cour d'appel a choisi la démarche appropriée en pesant et en appréciant la preuve afin d'apporter une solution définitive à cette affaire; voir à titre d'exemples Davie Shipbuilding Ltd. c. La Reine, [1984] 1 C.F. 461, à la p. 464 (C.A.); Nova, An Alberta Corporation c. Guelph Engineering Co. (1989), 70 Alta. L.R. (2d) 97 (C.A. Alb.), aux pp. 110 à 112.

Compte tenu des circonstances de la présente affaire et des commentaires qui précèdent, j'estime qu'il convient, en l'espèce, que la Cour examine la preuve et applique le critère juridique approprié et c'est ce que je m'apprête à faire.

[84]L'élément de preuve le plus important qui a été présenté était l'analyse du professeur Keay. Le juge de première instance n'a pas commenté cette analyse dans ses motifs.

[85]Le professeur Keay a eu en main un échantillon non identifié du produit W-3053 qu'avait préparé M. Bachelor, un des témoins experts de Petrolite. Après avoir analysé l'échantillon, le professeur Keay a dit que le principal élément de ce produit était la triazine. Il a également trouvé du méthanol. De plus, il a proposé une méthode permettant d'obtenir la triazine par synthèse en mettant en contact la MEA et le formaldéhyde alors que le rapport molaire se situe à 1/1, ce qui est la méthode privilégiée décrite dans le brevet 946.

[86]En contre-interrogatoire, M. Hunter, l'expert de Petrolite, a convenu que, d'après un test effectué à l'aide d'un échantillon non identifié, l'analyse du professeur Keay permettait d'obtenir la bonne réponse, soit que le principal élément du produit W-3053 était la triazine. L'expert de Petrolite, M. Bachelor, a également confirmé en contre-interrogatoire que l'analyse du professeur Keay menait à la bonne réponse.

[87]Au cours de son analyse, le professeur Keay a utilisé une base de données de spectrométrie de masse afin de déceler la présence de triazine dans le produit W-3053. Toutefois, cette base de données avait été mise à jour en 1994, soit bien après la période pertinente, qui a débuté le 10 décembre 1987 et a pris fin le 19 décembre 1988. Elle n'aurait été accessible à aucune personne versée dans l'art pendant la période pertinente. Néanmoins, M. Buchannon, un des témoins de Canwell, a déclaré au cours de son témoignage qu'en janvier 1988, il avait en sa possession une base de données qui aurait permis de déceler la présence de triazine dans le W-3053.

[88]La conclusion à laquelle M. Keay en est arrivé après avoir analysé l'échantillon non identifié a indiqué qu'une personne versée dans l'art aurait pu, sans se fonder sur une connaissance a priori ni faire appel à quelque génie inventif, analyser avec succès le produit W-3053 pour y déceler la présence de la triazine, des substances de départ de celle-ci, soit la MEA et le formaldéhyde, et du méthanol. Compte tenu du témoignage de M. Buchannon, la technologie et les données nécessaires à l'analyse étaient disponibles au cours de la période pertinente, soit avant le 19 décembre 1988.

[89]Petrolite soutient que le professeur Keay a été avisé de réfrigérer l'échantillon W-3053 qu'il avait reçu à des fins d'analyse. Selon elle, avant le 19 décembre 1988, une personne versée dans l'art n'aurait pas eu ce renseignement en main. Toutefois, il appert de la preuve que le professeur Keay a mis une semaine à analyser l'échantillon. Aucun élément de preuve n'indique que, réfrigéré ou pas, le produit W-3053 se serait dégradé au cours de cette période. L'avis en question ne diminue nullement la portée de l'analyse du professeur Keay comme preuve d'une divulgation permettant de réaliser l'invention.

[90]D'autres analyses du produit W-3053 et du produit CW1000 de Canwell ont été mises en preuve. Dans la plupart des cas, ces tests ont été effectués dans des conditions où les substances de départ étaient connues ou dans des circonstances où un élément particulier était évalué. Par conséquent, ils ne constituent pas des tests valables en ce qui concerne l'antériorité, parce que les analystes ont eu en main des renseignements qui n'auraient pas été accessibles pour la personne versée dans l'art qui aurait fait l'analyse avant le 19 décembre 1988. À cette époque, la personne qui aurait acheté le produit W-3053 n'aurait pas su que les substances de départ de ce produit étaient la MEA et le formaldéhyde ou que la triazine était le produit de réaction du mélange.

[91]En tout état de cause, dans toutes les analyses sauf une, la triazine ou les substances de départ de celle-ci, soit une alcanolamine et un aldéhyde ou, plus précisément, de la MEA et du formaldéhyde, ont été décelées. L'analyse qui n'a pas permis de découvrir la présence de triazine ou des substances de départ de celle-ci avait été mal faite. Du chloroforme plutôt que de l'eau deutérée a été utilisé comme solvant, de sorte que la triazine a été éliminée de l'échantillon. Toutefois, le professeur Keay a contourné ce problème en procédant à un test de solubilité simple au cours de son analyse, ce qui l'a incité à utiliser de l'eau deutérée plutôt que du chloroforme comme solvant.

[92]Tout comme le critère énoncé dans l'arrêt Beloit sous-entend qu'une personne versée dans l'art lira et suivra correctement et sans faille les directives énoncées dans un brevet ou une publication antérieur, la même hypothèse implicite doit s'appliquer dans le cas de la rétroingénierie. Une méthode viciée qui mène à la conclusion erronée ne prouve pas qu'une personne versée dans l'art utilisant un procédé et appliquant correctement les données et la méthodologie disponibles à la date pertinente ne découvrirait pas l'invention revendiquée.

[93]Par conséquent, toutes les analyses qui ont été faites en bonne et due forme ont mené à la découverte de la triazine ou de ses substances de départ. Comme je l'ai déjà indiqué, exception faite de l'analyse du professeur Keay, les autres analyses ne constituent pas en soi une preuve suffisante de l'antériorité, parce que l'analyste qui a fait ces tests avait en main des renseignements qui n'étaient pas accessibles pour l'acheteur du produit W-3053 à l'époque pertinente. Cependant, toutes ces analyses mènent invariablement les analystes à l'invention. L'analyse du professeur Keay, qui est une preuve d'antériorité valable, n'est donc pas contredite.

[94]Petrolite a soutenu que le professeur Keay n'avait pas reproduit le produit W-3053 selon son rapport molaire exact. Toutefois, tel qu'il est mentionné plus haut, il n'est pas nécessaire de reproduire le W-3053 pour déterminer s'il y a eu antériorité. Le professeur Keay a découvert l'invention, soit que la triazine était le produit de réaction du W-3053. Il a constaté que la triazine était produite de façon optimale lorsque le rapport molaire était de 1/1. Ce rapport se situe à l'intérieur de la plage de rapports molaires de toutes les revendications en litige. Il a également trouvé le méthanol dont il est fait mention dans la revendication 16 du brevet 946.

[95]Petrolite a soulevé d'autres questions au sujet des analyses faites par rétroingénierie, dont aucune ne m'apparaît convaincante. Elle soutient que le produit W-3053 est un produit de nature extrêmement complexe et qu'il est donc difficile de l'analyser. Cet argument n'est pas bien fondé. En droit, la complexité d'un produit ou le temps et le travail nécessaires à son analyse ne constituent pas en soi des facteurs pertinents. La question est de savoir si une personne versée dans l'art qui utilise les données et techniques disponibles à l'époque pertinente pourrait découvrir l'invention sans faire appel à un génie inventif. Voir Beloit, précité, à la page 214, et FISONS, précité, à la page 23. La complexité ou le temps et le travail nécessaires à eux seuls sont insuffisants pour invalider une analyse. Ce qu'il faut savoir, c'est s'il existe des éléments de preuve permettant de conclure à l'exercice d'un génie inventif. Il n'y en a pas en l'espèce.

[96]Petrolite soutient que les livraisons du produit W-3053 dans l'ouest de l'Oklahoma ont été faites à la propriété privée des acheteurs et que, par conséquent, ce produit n'était pas accessible au public. Cet argument ne tient pas compte du fait que l'acheteur est un membre du public et que le juge de première instance a conclu que les ventes avaient été faites de manière inconditionnelle. Pour prouver l'antériorité au sens de l'alinéa 28.2(1)a), il n'est pas nécessaire de démontrer qu'un acheteur donné a procédé ou aurait procédé à une analyse du produit. Il suffit de prouver que l'acheteur aurait pu le faire (voir l'arrêt Lux, précité, à la page 133).

[97]Il en va de même pour l'argument de Petrolite selon lequel toute personne procédant à une analyse par rétroingénierie préserverait le secret des résultats, qui ne seraient donc pas accessibles au public. C'est la vente inconditionnelle du produit W-3053 à l'acheteur qui rend le produit accessible au public. Si l'acheteur peut procéder à l'analyse du produit par rétroingénierie sans contrainte, cela suffit. La question de savoir comment l'acheteur entend traiter l'analyse, c'est-à-dire s'il compte la divulguer ou non, n'est pas un facteur pertinent.

[98]Petrolite a fait valoir que l'analyse par rétroingénierie nécessite l'utilisation d'un ensemble de procédés disparates qu'il n'est pas permis d'employer pour prouver l'antériorité. Selon la règle des procédés disparates (mosaic rule), qui s'applique aux publications ou brevets antérieurs, il ne convient pas d'assembler un dossier d'antériorité de manière rétrospective (voir l'arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 24). Toutefois, ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce. Seul le produit W-3053 a fait l'objet de l'analyse et la triazine et le méthanol ont été découverts par suite du procédé de rétroingénierie. Analyser un produit déjà utilisé ou vendu à l'aide des techniques et données disponibles équivaut à lire, dans le cas d'une personne compétente, une seule publication antérieure et à suivre les directives qui y sont énoncées pour en arriver à l'invention revendiquée (voir Beloit, précité, à la page 214, et FISONS, précité, à la page 21).

CONCLUSION

[99]J'ai lu attentivement les règles de droit énoncées dans les arrêts Beloit et Free World Trust, précités, au sujet de l'antériorité et j'ai tenu compte des principes relatifs à la divulgation découlant de l'utilisation antérieure ou de la vente antérieure ainsi que de l'alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets de 1996. Je m'en suis également remis aux conclusions de fait que le juge de première instance a formulées et qui n'étaient pas entachées d'une erreur de droit. Compte tenu de son analyse des faits, je conviens avec lui que le produit W-3053 a été vendu inconditionnellement avant le 19 décembre 1988. S'il avait appliqué le critère juridique approprié, le juge de première instance aurait dû conclure qu'une personne versée dans l'art qui aurait employé les données et techniques accessibles à l'époque pertinente sans faire appel à un génie inventif aurait été amenée inévitablement à l'objet des revendications du brevet, soit l'élimination du sulfure d'hydrogène du gaz naturel par mise en contact avec la triazine (ou ses substances de départ).

[100]Canwell a prouvé la divulgation visée à l'alinéa 28.2(1)a). Ayant décidé que des antériorités valables pouvaient être opposées à l'invention décrite dans les revendications 1 et 2 ainsi que dans les revendications des séries I, II, III et IV du brevet 946, j'en arrive à la conclusion que les revendications sur lesquelles Petrolite se fonde en l'espèce sont invalides. Il ne m'apparaît pas nécessaire d'examiner les autres questions soulevées dans le présent appel.

[101]L'appel doit être accueilli et la décision du juge de première instance doit être infirmée. Les revendications en litige du brevet 946 sont invalides pour des raisons d'antériorité. La réclamation que les intimées ont formulée contre les appelants est rejetée avec dépens, tant ceux qui ont été engagés en appel qu'en première instance.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris aux motifs du juge Rothstein.

Le juge Evans, J.C.A.: Je souscris aux motifs du juge Rothstein.

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