A-532-02
2003 CAF 244
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Guy Laplante (intimé)
Répertorié: Laplante c. Canada (Procureur général) (C.A.)
Cour d'appel, juges Décary, Létourneau et Nadon, J.C.A. --Ottawa, 14 mai et 3 juin 2003.
Pénitenciers -- Le détenu faisait face à des infractions disciplinaires pour avoir refusé d'obéir à un ordre de quitter l'isolement préventif et de réintégrer la population régulière -- Il a été déclaré coupable par le Comité de discipline -- Le juge de la Section de première instance a accueilli la demande de révision judiciaire au motif que le Comité n'avait pas compétence parce qu'il y a eu violation des dispositions impératives de l'art. 41 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui prône de prendre toutes les mesures utiles afin d'en arriver un règlement à l'amiable des infractions disciplinaires -- L'appel interjeté par la Couronne est accueilli -- L'interprétation de l'art. 41 a fait l'objet d'un certain nombre de décisions contradictoires en Section de première instance -- Question en litige: l'interprétation qu'il convient de donner à l'art. 41 -- L'obligation prévue par cet article est imposée à un agent des Services correctionnels et non au Comité -- Le Comité ne perd pas sa compétence par suite du défaut de l'agent de respecter un droit d'un détenu -- Le président du Comité peut suspendre l'audition de la plainte et retourner l'affaire au directeur du pénitencier pour que ce dernier évalue l'opportunité d'une tentative de règlement informel -- Le rôle du président du Comité ne consiste pas à s'immiscer dans la négociation d'un règlement à l'amiable que le législateur a imposée aux Services correctionnels -- Si le Comité n'a pas compétence, le principe de l'autorité de la chose jugée est miné -- Le pouvoir au président du Comité de renvoyer l'affaire est inféré, il n'est pas expressément conféré par une disposition législative -- Le droit conféré à un détenu par l'art. 41(1) doit être invoqué sans quoi il est sujet au principe de renonciation -- La procédure de grief fondée sur l'art. 55 de la Directive du Commissaire no 580 n'est pas une procédure efficace pour protéger le droit conféré par l'art. 41(1) et contient en outre les germes d'une paralysie du régime disciplinaire.
L'intimé est incarcéré au pénitencier à sécurité maximale de Donnacona. À sa demande, sa détention se fait en isolement préventif depuis pratiquement sa réincarcération en 1997 suite à une suspension de sa libération conditionnelle. Le paragraphe 31(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, énonce qu'une personne détenue dans de telles conditions doit être replacée le plus tôt possible parmi la population carcérale régulière. En octobre 2000, l'intimé reçoit l'ordre de réintégrer la population régulière et comme il refuse de s'y conformer, il se voit remettre un rapport d'infraction: l'infraction consiste à avoir désobéi à un ordre légitime d'un agent. L'intimé est trouvé coupable et condamné à une peine de détention disciplinaire de cinq jours avec perte de privilèges. Il dépose une demande de révision judiciaire et le juge saisi de la demande de révision judiciaire conclut que, bien que l'ordre de quitter l'isolement préventif fût un ordre légitime, l'intimé n'ayant pas le droit à un libre choix de sa demeure au pénitencier, il y a eu violation des dispositions impératives de l'article 41 de la Loi. Cet article mentionne que l'agent qui croit qu'une infraction disciplinaire a été commise, doit prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle et à défaut de règlement informel, doit porter une accusation d'infraction disciplinaire mineure contre le détenu. Le juge s'est appuyé sur l'arrêt Schimmens c. Canada (Procureur général), lorsqu'il a conclu que la disposition renferme une condition préalable à l'exercice de la compétence du Comité et que celui-ci a l'obligation d'enquêter afin de s'assurer que toutes les mesures utiles ont été prises afin de régler la question de façon informelle. Le juge a de plus conclu que l'obligation imposée au Comité d'enquêter avant l'audition est une question de droit qui peut être soulevée en tout temps par l'accusé même si en l'espèce l'intimé n'a pas soulevé ce point devant le Comité. Étant donné le non respect de cette condition préalable, le président du Comité aurait dû rejeter l'infraction. Il s'agit d'un appel de Sa Majesté la Reine, le débat portant sur l'interprétation qu'il convient de donner à l'article 41, laquelle a fait l'objet d'un certain nombre de décisions contradictoires à la Section de première instance.
Arrêt: l'appel doit être accueilli.
Le juge, dans l'arrêt Schimmens, s'est mépris sur la nature et le titulaire de l'obligation créée par le paragraphe 41(1). L'obligation est imposée à un agent des Services correctionnels et non au Comité. Un détenu a le droit d'exiger des Services correctionnels que des mesures soient prises pour que la question en litige soit réglée de façon informelle. Cette obligation de déjudiciariser, dans la mesure du possible, est une composante importante du régime disciplinaire établi par la Loi qui vise la réadaptation et la réinsertion sociale des détenus.
Cela ne veut pas dire que le Comité peut perdre sa compétence par suite du défaut de l'agent de respecter un droit d'un détenu. Lorsqu'un Comité est convaincu que l'obligation imposée par le paragraphe n'a pas été respectée, le président du Comité peut suspendre l'audition de la plainte et retourner l'affaire au directeur du pénitencier pour que ce dernier évalue l'opportunité d'une tentative de règlement informel. Il n'appartient pas au président du Comité de substituer son opinion à celle du directeur qui, avant de porter une accusation d'infraction disciplinaire, a conclu qu'un règlement informel n'a pu être réalisé ou n'était pas possible dans les circonstances. S'il s'avère qu'une tentative de règlement à l'amiable est appropriée, le directeur à qui le dossier a été retourné prend les mesures utiles à cette fin. En cas de réussite, le directeur peut retirer la plainte qu'il avait déposée. En cas d'échec ou si un règlement à l'amiable n'est pas possible dans les circonstances, le directeur en informe le président du Comité qui procède alors à l'audition de la plainte.
Si l'article 41 était interprété comme dans l'arrêt Schimmens, le Comité n'aurait pas compétence. En outre, cette absence de compétence pourrait être soulevée dans toutes procédures collatérales contemporaines ou subséquentes, minant ainsi le principe de l'autorité de la chose jugée et remettant en question les faits et gestes de ceux qui se sont conformés à la décision.
Aucune disposition législative ne confère expressément le pouvoir au président du Comité de renvoyer l'affaire au directeur du pénitencier pour qu'une tentative de règlement à l'amiable soit considérée, mais certaines dispositions permettent d'inférer que c'était l'intention du législateur qu'il en soit ainsi. Le paragraphe 30(3) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que le président du Comité doit modifier une accusation d'infraction grave s'il conclut qu'elle se rapporte plutôt à une accusation d'infraction mineure. En pareil cas, il doit soit tenir l'audition, soit renvoyer l'affaire au directeur du pénitencier pour qu'il procède à l'audition. Il n'est donc pas déraisonnable de croire que le président a aussi le pouvoir de retourner le dossier pour que la possibilité d'une tentative de règlement à l'amiable soit considérée.
Le droit conféré à un détenu par le paragraphe 41(1) doit être invoqué à la première opportunité devant le président du Comité sans quoi, il est sujet au principe de renonciation. Compte tenu du libellé de la nouvelle formule de rapport d'infraction et d'avis de l'accusation, il y a présomption qu'un détenu a renoncé à son droit s'il ne soumet pas au président du Comité sa demande de renvoyer l'affaire à l'administration pénitentiaire. Le juge a eu tort de conclure que l'intimé pouvait soulever le non respect de l'article 41 pour la première fois dans sa demande de révision judiciaire.
La procédure de grief fondée sur l'article 55 de la Directive du Commissaire no 580 n'est pas une procédure efficace pour protéger le droit conféré par le paragraphe 41(1) et contient en outre les germes d'une paralysie du régime disciplinaire. Un grief est entendu à trois paliers et peut faire l'objet d'une révision judiciaire en Cour fédérale. Il est douteux que, en cas de manquement au paragraphe 41(1), le Parlement ait voulu remplacer une déjudiciarisation souhaitée du conflit par une longue et coûteuse judiciarisation du droit d'un détenu à la déjudiciarisation du conflit. De plus, la procédure de grief suspend l'audition de l'infraction disciplinaire et retarde la solution du conflit au détriment des objectifs du régime disciplinaire.
lois et règlements
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 31(2), 38, 40a), 41, 42.
Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, art. 24, 25, 30(3), 34. |
jurisprudence
décisions non suivies:
Verreault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] CFPI 1076; [2002] A.C.F.. no 1441 (1re inst.) (QL); Forrest c. Canada (Procureur général) (2002), 219 F.T.R. 82 (C.F. 1re inst.); Schimmens c. Canada (Procureur général) (1998), 157 F.T.R. 118 (C.F. 1re inst.).
décisions appliquées:
Caster c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 579; [2003] A.C.F. no 802 (1re inst.) (QL); Faucher c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 452; [2003] A.C.F. no 432 (1re inst.) (QL); Hanna c. Établissement de Mission, (1995), 102 F.T.R. 275 (C.F. 1re inst.).
décisions citées:
Fédération canadienne des municipalités c. AT & T Canada Corp., [2003] 3 C.F. 379; (2002), 34 M.P.L.R. (3d) 221; 299 N.R. 165 (C.A.); Wilson c. R., [1983] 2 R.C.S. 594; (1983), 4 D.L.R. (4th) 577; [1984] 1 W.W.R. 481; 26 Man. R. (2d) 194; 9 C.C.C. (3d) 97; 37 C.R. (3d) 97; 51 N.R. 321; R. c. Sarson, [1996] 2 R.C.S. 223; (1996), 135 D.L.R. (4th) 402; 107 C.C.C. (3d) 21; 49 C.R. (4th) 75; 36 C.R.R. (2d) 1; 197 N.R. 125; 91 O.A.C. 124; R. c. Litchfield, [1994] 3 R.C.S. 333; (1993), 145 A.R. 321; 14 Alta. L.R. (3d) 1; 86 C.C.C. (3d) 97; 25 C.R. (4th) 137; 161 N.R. 161; Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383; (1986), 26 D.L.R. (4th) 493; 69 N.B.R. (2d) 40; 25 C.C.C. (3d) 207; 50 C.R. (3d) 289; 19 C.R.R. 209; 66 N.R. 114; R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449; (1998), 163 D.L.R. (4th) 577; 127 C.C.C. (3d) 449; 18 C.R. (5th) 135; 230 N.R. 1; 113 O.A.C. 97.
doctrine
Service correctionnel Canada. Directive du Commissaire, no 580, «Mesures disciplinaires prévues à l'endroit des détenus», en date du 24 janvier 1997.
APPEL de la décision rendue par le juge de la Section de première instance ([2002] CFPI 896; [2002] A.C.F. no 1190 (1re inst.) (QL)) qui a accueilli la demande de révision judiciaire d'une décision du Comité de discipline déclarant un détenu dans un pénitencier coupable d'une infraction disciplinaire. Appel accueilli.
ont comparu:
Sébastien Gagné pour l'appelante.
Julie Gagné pour l'intimé.
avocats inscrits au dossier:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
Labrecque, Robitaille, Roberge, Asselin & Associés, Québec, pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
[1]Le juge Létourneau, J.C.A.: Le juge avait-il raison d'accueillir la demande de contrôle judiciaire [[2002] CFPI 896; [2002] A.C.F. no 1190 (1re inst.) (QL)] et, dans les circonstances, de conclure que le président du Comité de discipline (Comité) aurait dû rejeter l'infraction dont l'intimé était accusé ou l'acquitter de cette infraction? Était-il justifié également d'entériner la prétention de l'intimé que son objection à la compétence du Comité pouvait être soulevée en tout état de cause et qu'elle n'avait pas à être faite nécessairement devant le Comité? J'en suis venu à la conclusion qu'une réponse négative s'impose dans les deux cas. Avant d'en fournir les motifs, il convient de situer le litige dans ses dimensions factuelles et légales qui ont donné lieu à un certain nombre de décisions contradictoires au sein de la Section de première instance: voir Verreault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1076; [2002] A.C.F. no 1441 (1re inst.) (QL); Forrest c. Canada (Procureur général) (2002), 219 F.T.R. 82 (C.F. 1re inst.); Schimmens c. Canada (Procureur général) (1998), 157 F.T.R. 118 (C.F. 1re inst.); Caster c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 579; [2003] A.C.F. no 802 (C.F. 1re inst.); Faucher c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 452; [2003] A.C.F. no 432 (1re inst.) (QL); Hanna c. Établissement de Mission (1995), 102 F.T.R. 275 (C.F. 1re inst.). Je reviendrai sur ces décisions au cours de l'exposé de mes motifs.
Faits et procédure
[2]L'intimé est incarcéré au pénitencier à sécurité maximale de Donnacona, près de la ville de Québec. À sa demande, sa détention se fait en isolement préventif depuis pratiquement sa réincarcération en 1997 suite à une suspension de sa libération conditionnelle. L'isolement préventif signifie qu'un détenu est tenu à l'écart de la population carcérale régulière et n'entretient pas de rapports avec l'ensemble des détenus qui la composent. Toutefois, le paragraphe 31(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, S.C. 1992, ch. 20 (Loi), énonce qu'une personne détenue dans de telles conditions doit être replacée le plus tôt possible parmi les autres détenus, i.e., parmi la population carcérale régulière. Les motifs justifiant une mise en isolement préventif forcée ou volontaire ne sont pas en cause dans le présent litige. Aussi, me contenterai-je de dire d'une façon générale que la sécurité du détenu, la nécessité de prévenir des entraves au déroulement d'une enquête et la sécurité du pénitencier constituent les fondements de cette forme de détention.
[3]L'intimé reçoit, le 30 octobre 2000, d'un agent du Service correctionnel du Canada, l'ordre de réintégrer la population régulière sous peine de se voir remettre un rapport d'infraction. Il refuse de s'y conformer. Le lendemain, un rapport d'infraction disciplinaire et un avis de l'accusation fondés sur l'alinéa 40a) de la Loi lui sont remis. L'infraction consiste à avoir désobéi à un ordre légitime d'un agent.
[4]L'audition de la plainte par le Comité a lieu le 23 novembre 2000: l'intimé est trouvé coupable et condamné à une peine de détention disciplinaire de cinq jours avec perte de privilèges.
[5]L'intimé se pourvoit à l'encontre de cette décision du Comité. Le 20 décembre 2000, il dépose une demande de contrôle judiciaire. Celle-ci est accueillie le 22 août 2002.
[6]Le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire conclut que l'ordre de quitter l'isolement préventif était un ordre légitime, l'intimé n'ayant pas le droit à un libre choix de sa demeure au pénitencier. Le refus d'obtempérer constitue donc une infraction à l'alinéa 40a) de la Loi.
[7]Toutefois, le juge se dit d'avis qu'il y a eu violation des dispositions impératives de l'article 41 de la Loi. Cet article que je reproduis prône un règlement à l'amiable des infractions disciplinaires:
41. (1) L'agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu'un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.
(2) À défaut de règlement informel, le directeur peut porter une accusation d'infraction disciplinaire mineure ou grave, selon la gravité de la faute et l'existence de circonstances atténuantes ou aggravantes.. [Je souligne.]
[8]S'appuyant sur l'arrêt Schimmens, précité, il déclare que le paragraphe 41(1) renferme une condition préalable à l'exercice de la compétence du Comité, laquelle condition doit être satisfaite pour que le tribunal disciplinaire puisse procéder à l'audition de la plainte. Le Comité a l'obligation d'enquêter afin de s'assurer que toutes les mesures utiles ont été prises afin de régler la question de façon informelle. De cette position prise, il tire les deux conclusions suivantes.
[9]Premièrement, l'obligation imposée au Comité d'enquêter avant l'audition est une question de droit qui peut être soulevée en tout temps par l'accusé. Le fait qu'en l'espèce l'intimé n'ait pas soulevé ce point devant le Comité ne le prive pas de son droit de le faire pour la première fois en révision judiciaire: voir le paragraphe 38 de la décision.
[10]Deuxièmement, étant donné le non-respect de cette condition préalable, le président du Comité aurait dû rejeter l'infraction ou en déclarer l'intimé non coupable: ibid., au paragraphe 37. D'où l'appel de Sa Majesté la Reine s'en prenant à ces deux conclusions. La légitimité de l'ordre donné n'est donc pas contestée dans la procédure d'appel dont nous sommes saisis. Le débat porte plutôt sur l'interprétation de l'article 41 de la Loi et sur la sanction ou le remède approprié en cas de non-respect des dispositions impératives du paragraphe 41(1).
Analyse de la décision
a) Le Comité a-t-il une obligation d'enquêter et cette obligation est-elle une condition préalable à un exercice légal de sa compétence? |
[11]Avec respect, je crois que le juge dans l'arrêt Schimmens, précité, lequel arrêt a été suivi dans les affaires Verreault et Forrest, précitées, ainsi que dans la présente, s'est mépris sur la nature et le titulaire de l'obligation créée par le paragraphe 41(1). L'obligation que l'on retrouve à l'article 41 est une obligation imposée à un agent des Services correctionnels et non au Comité. À cette obligation de l'agent correspond un droit du détenu d'exiger des Services correctionnels que des mesures soient prises, lorsque les circonstances le permettent, pour que la question en litige soit réglée de façon informelle, c'est-à-dire déjudiciarisée. Je reviendrai d'ailleurs sur cet aspect de la question plus loin. Qu'il me suffise de dire pour l'instant que cette obligation de déjudiciariser, dans la mesure du possible, est une composante importante du régime disciplinaire établi par la Loi et de ses objectifs que l'on retrouve à l'article 38, soit d'«encourager chez les détenus un comportement favorisant l'ordre et la bonne marche du pénitencier, tout en contribuant à leur réadaptation et à leur réinsertion sociale». Dans ce contexte, une politique axée sur le règlement à l'amiable plutôt que sur une judiciarisation à outrance se comprend facilement.
[12]Ceci dit, je ne peux voir comment et pourquoi un tribunal disciplinaire dûment constitué, avec compétence sur la matière, la personne et le lieu, peut perdre sa compétence par suite du défaut d'un tiers, en l'occurrence un agent des Services correctionnels, de respecter un droit d'un détenu. C'est l'équivalent de dire, par exemple, qu'une cour criminelle perd sa compétence d'entendre et de décider une accusation portée contre une personne par suite de l'omission d'un policier d'informer cette dernière de son droit à l'avocat. Au contraire, la cour criminelle, dans l'exercice de sa compétence, est investie du pouvoir d'assurer le respect des droits d'un accusé au cours du processus menant à l'accusation. À mon sens, la situation est la même pour le Comité. Loin d'être privé de sa compétence pour entendre la plainte portée, le Comité a le pouvoir de s'assurer que les droits du détenu conférés par le régime disciplinaire ont été respectés et, au besoin, de prendre les mesures pour les sauvegarder.
[13]En pratique, ce pouvoir du Comité de veiller au respect des droits d'un détenu qui fait face à des infractions disciplinaires signifie ceci en cas d'un manquement à l'obligation prévue au paragraphe 41(1). Lorsqu'informé d'une violation du droit d'un détenu conféré par le paragraphe 41(1) et satisfait que l'obligation imposée par ce paragraphe n'a pas été respectée, le président du Comité peut suspendre l'audition de la plainte et retourner l'affaire au directeur du pénitencier pour que ce dernier évalue l'opportunité d'une tentative de règlement informel. Je m'empresse de préciser que le rôle du président du Comité se limite à ce renvoi. Son rôle ne consiste pas à s'immiscer dans la négociation d'un règlement à l'amiable que le législateur a imposée aux Services correctionnels et à qui la responsabilité incombe. De même, il ne lui appartient pas de substituer son opinion à celle du directeur qui, avant de porter une accusation d'infraction disciplinaire, a conclu qu'un règlement informel n'a pu être réalisé ou n'était pas possible dans les circonstances. S'il s'avère qu'une tentative de règlement à l'amiable est appropriée, le directeur à qui le dossier a été retourné prend les mesures utiles à cette fin. En cas de réussite, le directeur peut retirer la plainte qu'il avait déposée. En cas d'échec ou si un règlement à l'amiable n'est pas possible dans les circonstances, le directeur en informe le président du Comité qui procède alors à l'audition de la plainte.
[14]L'interprétation erronée faite par l'arrêt Schimmens de l'article 41, interprétation qui fait du droit du détenu une condition préalable à l'exercice légal de la compétence du Comité, débouche sur de l'insécurité juridique. Tout d'abord, si le Comité n'a pas compétence pour procéder à l'audition de la plainte et condamner l'accusé, il n'a pas plus compétence pour rejeter l'accusation ou déclarer l'accusé non-coupable comme il fut suggéré dans la présente affaire. En outre, s'il s'agit d'une condition préalable à la compétence du tribunal disciplinaire, cette absence de compétence peut non seulement être soulevée à tout moment dans les procédures existantes, mais aussi dans toutes procédures collatérales contemporaines ou subséquentes, minant ainsi le principe de l'autorité de la chose jugée et remettant en question les faits et gestes de ceux qui se sont conformés à la décision: voir Fédération canadienne des municipalités c. AT & T Canada Corp., [2003] 3 C.F. 379 (C.A.), au paragraphe 29; Wilson c. R., [1983] 2 R.C.S. 594, aux pages 599, 603 à 605; R. c. Sarson, [1996] 2 R.C.S. 223, aux paragraphes 21 et 23; R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333, à la page 348.
b) Le fondement du pouvoir du président du Comité de retourner le dossier au directeur du pénitencier si l'article 41 de la Loi n'a pas été respecté |
[15]L'article 38 et suivants de la Loi établissent un cadre normatif général applicable au régime disciplinaire qui y est décrit. La procédure applicable, les infractions et les sanctions disciplinaires sont énoncées en des termes généraux. Ces dispositions sont complétées par des dispositions plus spécifiques que l'on retrouve à l'article 24 et suivants du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (Règlement).
[16]J'ai déjà mentionné les objectifs du régime disciplinaire, l'importance des règlements à l'amiable pour la poursuite de ces objectifs et la nécessité pour le Comité de veiller au respect de l'article 41 et du droit relatif qu'il confère à un détenu dans le processus disciplinaire. Aucune disposition législative ne confère expressément le pouvoir au président du Comité de renvoyer l'affaire au directeur du pénitencier pour qu'une tentative de règlement à l'amiable soit considérée. Toutefois, outre la nature et les objectifs stipulés du régime disciplinaire, certaines dispositions permettent d'inférer raisonnablement, sans risque de méprise, l'existence d'un tel pouvoir et l'intention du législateur qu'il en soit ainsi.
[17]En effet, le paragraphe 30(3) du Règlement prévoit que le président du Comité doit modifier une accusation d'infraction grave s'il conclut qu'elle se rapporte plutôt à une accusation d'infraction mineure. En pareil cas, il doit soit tenir l'audition, soit renvoyer l'affaire au directeur du pénitencier pour qu'il procède à l'audition. En vertu du régime disciplinaire, les infractions mineures sont entendues par le directeur, sauf deux exceptions dont l'une est celle que je viens d'énumérer et l'autre a trait au cas où une accusation d'infraction mineure est portée en même temps qu'une accusation d'infraction grave. On voit dans ce paragraphe 30(3) l'intention législative de protéger l'intégrité du régime disciplinaire. Si le président du Comité a le devoir de modifier l'accusation et le pouvoir de retourner le dossier au directeur pour adjudication, il n'est pas déraisonnable de croire que le président a aussi le pouvoir, toujours afin d'assurer l'intégrité du régime disciplinaire, de retourner le dossier au directeur pour que la possibilité d'une tentative de règlement à l'amiable soit considérée, comme l'exige le régime disciplinaire.
[18]L'article 34 du Règlement énonce les facteurs dont la personne qui tient l'audition disciplinaire doit tenir compte avant d'imposer une peine. En vertu de l'alinéa 34f), elle doit prendre en considération «toute mesure prise par le Service par rapport à cette infraction avant la décision relative à l'accusation». Encore là, ressort de cette obligation imposée au président d'un Comité l'intention du législateur de protéger l'intégrité du régime disciplinaire avec ses droits et obligations. Si en fin de processus disciplinaire il doit prendre en considération les efforts faits par le Service pour, par exemple, régler à l'amiable le conflit et l'absence de collaboration du détenu, je m'explique mal pourquoi il n'aurait pas le pouvoir, au tout début du processus d'audition de la plainte, de s'assurer que ce dont il doit tenir compte à la fin a eu lieu, soit la possibilité d'un règlement à l'amiable, et, le cas échéant, retourner le dossier au directeur à cette fin.
[19]Enfin, la Directive du Commissaire, Numéro 580, relative aux «Mesures disciplinaires prévues à l'endroit des détenus» et datée du 24 janvier 1997 énonce l'objectif de politique suivant:
OBJECTIF DE LA POLITIQUE
1. Fournir un régime disciplinaire équitable qui encourage les détenus à se conduire de façon à promouvoir le maintien de l'ordre dans l'établissement, qui favorise un milieu correctionnel positif et qui contribue à la réadaptation des détenus en leur permettant de démontrer leurs efforts en vue de devenir des citoyens respectueux des lois. |
L'alinéa 2d) de cette Directive qui dégage les principes applicables à cette politique est impératif: «Les mesures disciplinaires prévues à l'endroit des détenus devront: [. . .] promouvoir le règlement informel des problèmes de comportement des détenus lorsque les circonstances le permettent».
[20]En somme, le président d'un Comité joue un rôle important dans l'administration du régime disciplinaire. Ses devoirs et ses pouvoirs sont conditionnés par les objectifs et les principes de ce régime. Tantôt ses pouvoirs sont explicites, tantôt ils sont implicites. En d'autres occasions, ils découlent de sa fonction et de sa compétence comme tribunal disciplinaire. Aux fins de maintenir l'intégrité du régime disciplinaire, sa finalité et ses objectifs ainsi que de veiller au respect du droit d'un détenu à ce que soit faite une tentative de règlement à l'amiable, le président du Comité qui est satisfait que les dispositions impératives de l'article 41 n'ont pas été respectées possède, à mon avis, le pouvoir de retourner à cette fin le dossier au directeur du pénitencier. Il s'agit là d'un moyen efficace et peu coûteux d'assurer le respect d'une obligation imposée aux Services correctionnels et du droit corrélatif conféré au détenu.
c) L'omission par les Services correctionnels de se conformer aux dispositions de l'article 41 de la Loi peut-elle être soulevée en tout état de cause? |
[21]Comme nous l'avons vu précédemment, le paragraphe 41(1) confère à un détenu un droit relatif (si les circonstances le permettent) à ce que soient prises toutes les mesures utiles au règlement informel de la question en litige. Ce droit doit être invoqué à la première opportunité devant le président du Comité sans quoi, à l'instar des autres droits d'un accusé, il est sujet au principe de renonciation: voir par exemple Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383, à la page 394 et suivantes; R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449, aux paragraphes 47 et 113.
[22]Nous avons été informés par le procureur de l'appelante que la nouvelle formule de rapport d'infraction et d'avis de l'accusation acheminée au président d'un Comité indique si des mesures en vue d'en arriver à un règlement à l'amiable ont été prises et, sinon, les raisons pour lesquelles la prise de telles mesures fut impossible dans les circonstances. Une copie de ce rapport et avis est remise au détenu: article 42 de la Loi et article 25 du Règlement. Ainsi informé de son droit et du sort qui lui fut réservé par les Services correctionnels, un détenu pourra, à mon humble avis, échapper difficilement à la présomption de renonciation s'il ne soumet pas au président du Comité sa demande de renvoyer l'affaire à l'administration pénitentiaire: voir Clarkson, supra.
[23]En l'espèce, le juge a eu tort de conclure que l'intimé pouvait soulever le non-respect de l'article 41 pour la première fois dans sa demande de contrôle judiciaire.
d) Le recours à la procédure de griefs |
[24]Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en suis venu sur les pouvoirs du Président de Comité, il n'est pas nécessaire de déterminer, comme l'ont fait les arrêts Caster et Faucher, précités, si un recours par voie de grief fondé sur l'article 55 de la Directive est possible. L'alinéa 55b) se lit:
RECOURS
55. Un détenu peut présenter un grief lorsqu'il estime que: |
[. . .]
b. les agents de l'établissement n'ont pas suivi les procédures adéquates préalables à l'audition du cas par un président indépendant. [Je souligne.] |
J'ajouterais cependant les commentaires suivants.
[25]Les parties à l'audience ont convenu que la procédure de grief non seulement n'est pas une procédure efficace pour protéger le droit conféré par le paragraphe 41(1), mais contient en outre les germes d'une paralysie du régime disciplinaire, sans compter les coûts de système et les délais. Il faut comprendre qu'un grief, avec les droits d'appel, est entendu à trois paliers. À ce troisième palier où il n'y a qu'un seul commissaire pour les entendre s'ajoute une possibilité de révision judiciaire en Cour fédérale.
[26]En outre, compte tenu de la question en litige, soit un règlement à l'amiable plutôt qu'une judiciarisation d'un conflit, je doute qu'en cas de manquement au paragraphe 41(1), le Parlement ait voulu remplacer une déjudiciarisation souhaitée du conflit par une longue et coûteuse judiciarisation du droit d'un détenu à la déjudiciarisation du conflit alors qu'il est si simple pour le Comité de retourner l'affaire à l'administration pénitentiaire pour qu'il soit obvié au manquement.
[27]Enfin, la procédure de grief, à toutes fins pratiques, suspend l'audition de l'infraction disciplinaire et retarde la solution du conflit au détriment des objectifs du régime disciplinaire. Il est impensable de procéder à l'audition de l'accusation à son mérite car cette dernière vide le grief de son sens et de son contenu. De fait, à quoi sert-il à un détenu de poursuivre son grief qu'il a droit à une tentative de règlement à l'amiable si entre-temps il a été condamné et a purgé sa peine?
[28]Je terminerai sur cette question en soulignant que l'alinéa 55b) de la Directive prévoit le mécanisme du grief lorsque «les procédures adéquates préalables à l'audition» n'ont pas été suivies (je souligne). Le paragraphe 41(1) de la Loi confère un droit au détenu et je suis loin d'être convaincu que ce droit, ou le manquement qui y donne naissance, sont une «procédure» au sens de cet alinéa 55b) de la Directive.
Conclusion
[29]Pour les motifs exprimés, j'accueillerais l'appel, j'annulerais l'ordonnance rendue le 22 août 2002 par la Section de première instance et, rendant le jugement qu'elle aurait dû rendre, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de l'intimé.
Le juge Décary, J.C.A.: Je suis d'accord.
Le juge Nadon, J.C.A.: Je suis d'accord.