A-85-01
2002 CAF 417
Consorzio del Prosciutto di Parma (appelante)
c.
Maple Leaf Meats Inc. (intimée)
Répertorié: Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc. (C.A.)
Cour d'appel, juges Décary, Rothstein et Nadon, J.C.A. --Ottawa, 28 octobre 2002.
Pratique -- Frais et dépens -- Requête demandant des dépens supplémentaires en vertu de la règle 403 des Règles de la Cour fédérale (1998) -- Application de la règle 403 dans le contexte du jugement de la Cour d'appel -- Nombreuses questions soulevées en appel comportant des faits complexes, des témoignages d'experts (juge Décary, J.C.A., dissident en partie) -- La quantité de travail nécessaire de la part des avocats de l'intimée justifiait l'octroi de dépens supplémentaires -- Dépens supplémentaires accordés sur la base des dépens partie-partie.
Il s'agit d'une requête demandant des dépens supplémentaires en vertu de la règle 403 des Règles de la Cour fédérale, 1998, par laquelle l'intimée a demandé à la Cour de lui adjuger des dépens partie-partie au montant de 40 000 $. Le juge McKeown avait rejeté la demande présentée en vertu de l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce pour faire radier du registre des marques de commerce la marque «Parma» de l'intimée et avait demandé aux parties de déposer des observations écrites si elles ne s'entendaient pas sur les dépens. L'appelante a déposé un avis d'appel à l'égard de cette ordonnance. Par la suite, le juge McKeown a adjugé les «dépens à l'intimée (Maple Leaf) sur une base de frais entre parties, devant être taxés selon la valeur la plus élevée de la colonne 3». L'appelante a déposé un second avis d'appel. Le premier appel a été rejeté avec dépens et le second a été rejeté sans dépens. L'intimée a déposé la présente requête liée au premier appel, soutenant que l'appel avait soulevé des questions de fait complexes et, en particulier, des affaires complexes se rapportant à la preuve par sondage. L'appelante a demandé le rejet de la requête avec dépens.
Arrêt (le juge Décary, J.C.A. dissident en partie), la requête est accueillie dans la mesure où l'intimée a droit à des dépens partie-partie au montant de 25 000 $.
Le juge Rothstein, J.C.A. (avec l'accord du juge Nadon J.C.A.): Une requête déposée envertu de la règle 403 doit être co nsidérée comme une procédure sanctionnée par la loi en vue de la modification d'un jugement. Dans ce contexte, la formation de la Section d'appel qui a tranché la question doit décider de la requête présentée en vertu de la règle 403, à moins que cela ne s oit impraticable ou impossible, auquel cas, le juge en chef peut désigner un autre juge ou une autre formation pour trancher la question. Une requête présentée en vertu de la régle 403 demande que des directives soient données à l'officier taxateur. Rien d ans cette règle n'empêche la formation de la Section d'appel d'adjuger des dépens sous forme de montant forfaitaire et d'ordonner à l'officier taxateur de taxer les dépens sur cette base.
L'intimée doit se voir adjuger des dépens supplémenta ires. Lorsque, comme en l'espèce, de nombreuses questions sont soulevées en appel et qu'elles comportent des faits complexes ainsi que des témoignages d'expert, la quantité de travail requis de la part des avocats de l'intimée justifiait une augmentation d es dépens. Lesdits dépens sont des dépens partie-partie. Ils ne dédommagent pas la partie qui a obtenu gain de cause de ses dépens avocat-client et ils ne visent pas à punir la partie déboutée pour son comportement non approprié. Une adjudication de dépens partie-partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s'agit que d'une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat-client de la partie qui a obtenu gain de cause et non d'une stricte observation de la colon ne III du tableau du tarif B qui est, en lui-même, arbitraire. Selon le principe premier de l'adjudication des dépens, la Cour a «entière discrétion» quant au montant des dépens. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. C e n'est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B. Par conséquent, la Cour peut, à sa discrétion, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu'elle est d'avis qu'une adjudication des dépens conformément au tarif n'est pas satisfaisante. L'adjudication des dépens est une question de jugement en ce qui concerne les éléments appropriés, et non un exercice comptable. L'intimée a droit à des dépens partie-partie de 25 000 $, y compris les frais, les débours, la TPS et les dépens de la présente requête.
Le juge Décary, J.C.A. (dissident en partie): Toute requête présentée en vertu de la règle 403, demandant que des directives soient données à l'officier taxateur, et qui est réputée modifier le fondement de la taxation ou de la colonne applicable, est une requête qui vise la modification de l'ordonnance rendue par la Cour. Comme les «directives» modifieraient l'ordonnance de la Cour, elles doivent être données par la même for mation qui a rendu l'ordonnance initiale. Le paragraphe 403(3) des Règles concerne la Section de première instance. Il ne devrait pas être interprété, dans le contexte d'un jugement rendu par la Cour d'appel, de façon à donner compétence au juge «qui a sig né le jugement» plutôt qu'à toute la formation. Toute modification de l'adjudication des dépens constitue une modification du jugement et un juge siégeant seul n'a pas la compétence voulue pour modifier un jugement rendu par la Cour. Les règles doivent êtr e interprétées selon le contexte. Lorsqu'elles n'établissent pas de distinction entre la Section de première instance et la Section d'appel, toute interprétation littérale qui entraînerait un malentendu fondamental du processus d'appel devrait être évitée. Il ne ressort pas du procès-verbal du Comité des règles que l'attention de ce dernier a été attirée sur la question du quorum.
La Cour suprême du Canada a précisé que l'adjudication de dépens sur la base avocat-client (qui sont, en fait, les dépens réellement engagés par une partie) demeure exceptionnelle et qu'elle est en général associée à une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties. Les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles étaient en grande partie inapplicab les. Les questions soulevées étaient typiques de celles invoquées dans des appels concernant des marques de commerce et aucune d'elles ne visait des questions particulièrement complexes de fait et de droit. L'appel a été entendu de la manière habituelle, e t aucune allégation relative à la conduite incorrecte de l'avocat de l'appelante n'a été formulée. Le fait que les dépens ont été taxés selon la valeur maximale de la colonne III en Section de première instance était pertinent mais, en aucune façon, déterm inant en ce qui concerne la procédure se déroulant devant la Cour d'appel. Le fait que l'intimée ait obtenu gain de cause en appel militait en faveur de l'adjudication des dépens à cette dernière et non en faveur de dépens plus élevés. Il n'y avait rien d'inhabituel en ce qui concerne le résultat obtenu par l'intimée. Le fait qu'une «quantité considérable de travail» ait été accomplie ne mène pas nécessairement à la conclusion que tout le travail était nécessaire ou que la partie déboutée devrait automatiqu ement être tenue responsable des taux de facturation que la partie qui a obtenu gain de cause était prête à payer à son propre avocat. Cependant, le travail accompli lors de la préparation de l'audition de l'appel devrait être considéré. La Cour conserve t oujours son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 400(4) d'adjuger «une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés», mais un tel pouvoir discrétionnaire ne devrait être exercé que dans des cas exceptionnels et d'une manière proportionnelle a u tarif. Le présent cas n'était pas exceptionnel. Le recours arbitraire au pouvoir discrétionnaire de la Cour serait contraire au principe de la courtoisie judiciaire. L'attribution de montants forfaitaires largement supérieurs aux montants autorisés en ve rtu du tarif B afin de compenser en partie les dépens réels engagés par une partie dans un cas qui n'est pas exceptionnel aurait probablement pour effet de saper le tarif, ce qui à son tour entraînerait probablement des dépens imprévisibles, arbitraires et , en bout de ligne, inéquitables. La capacité à estimer le coût d'un litige joue un rôle important lorsque l'on s'adresse aux tribunaux. Tout changement important des pratiques de la Cour devrait être laissé au Comité des règles. Il est ordonné à l'officie r taxateur, en vertu de la règle 403, de taxer les dépens en appel sous la forme d'un montant forfaitaire de 10 000 $, y compris les frais et les débours.
lois et règlements
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 16(2) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 2), 45.1 (édicté, idem, art. 13), 46(1)g).
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 57. |
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 344(7) (mod. par DORS/87-221, art. 2), 346, tarif B (mod. par DORS/87-221, art. 8; 95-282, art. 5). |
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 2 «Cour», 3, 56, 397, 399, 400, 403, 407, tarif B, colonne III. |
jurisprudence
décision appliquée:
Hamilton Marine & Engineering Ltd. c. CSL Group Inc. (1995), 99 F.T.R. 285 (C.F. 1re inst.).
décisions examinées:
Sim & McBurney c. Buttino Investments Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 512; 221 N.R. 209 (C.A.F.); Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2001] 2 C.F 536; (2001), 11 C.P.R. (4th) 48; 205 F.T.R. 176 (1re inst .); conf. par (2002), 18 C.P.R. (4th) 414; 291 N.R. 305 (C.A.F.); Smerchanski c. Ministre du Revenu national, [1979] 1 C.F. 801; [1977] C.T.C. 283; (1977), 77 DTC 5198; 16 N.R. 38 (C.A.); Wihksne c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 356; [2002] F.C.J. no 1394 (C.A.) (QL).
décisions citées:
Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., [1999] 2 C.F. 175; (1998), 85 C.P.R. (3d) 219 (C.A.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.
REQUÊTE demandant des dépens supplémentaires en vertu de la règle 403 des Règles de la Cour fédérale, 1998, par laquelle l'intimée a réclamé des dépens partie-partie au montant de 40 000 $. Requête accueillie dans la mesure où l'intimée a droit à des dépens partie-partie au montant de 25 000 $.
observations écrites déposées par:
Brian D. Edmonds pour l'appelante.
James H. Buchan et A. Kelly Gill pour l'intimée.
avocats inscrits au dossier:
McCarthy Tétrault LLP, Toronto, pour l'appelante.
Gowling Lafleur Henderson LLP, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
[1]Le juge Rothstein, J.C.A.: Il s'agit d'une requête demandant des dépens supplémentaires en vertu de la règle 403 des Règles de la Cour fédérale (1998) DORS/98-106. Les documents déposés indiquent que l'intimée a engagé des dépens avocat-client et des débours, y compris la TPS, de 80 707,59 $. L'intimée a demandé que la Cour lui adjuge un montant forfaitaire de 40 000 $ à titre de dépens partie-partie.
[2]La règle 403 prévoit ce qui suit:
403. (1) Une partie peut demander que des directives soient données à l'officier taxateur au sujet des questions visées à la règle 400:
a) soit en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement;
b) soit par voie de requête au moment de la présentation de la requête pour jugement selon le paragraphe 394(2).
(2) La requête visée à l'alinéa (1)a) peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens.
(3) La requête visée à l'alinéa (1)a) est présentée au juge ou au protonotaire qui a signé le jugement.
[3]Une question préliminaire consiste à se demander si les mots du paragraphe 403(3) permettent au juge qui a signé le jugement de statuer sur la requête ou si c'est la formation qui a entendu l'appel qui devrait le faire. Je suis d'avis que, selon son contexte, le paragraphe 403(3) a pour objectif de permettre qu'une requête présentée en vertu de la règle 403 soit décidée par la formation de la Section d'appel qui a entendu l'appel. L'alinéa 403(1)a) prévoit qu'une requête demandant des directives peut- être présentée suivant le prononcé du jugement. L'alinéa 403(2) prévoit qu'une requête demandant des directives en vertu du paragraphe 403(1) peut être présentée même si le jugement qui a été prononcé ne comportait pas d'ordonnance sur les dépens. Par conséquent, une requête déposée en vertu de la règle 403 doit être considérée comme une procédure sanctionnée par la loi en vue de la modification d'un jugement. Dans ce contexte, la formation qui a tranché la question devrait décider de la requête déposée en vertu de la règle 403, à moins que cela ne soit impraticable ou impossible, auquel cas, en vertu de la règle 3, le juge en chef peut désigner un autre juge ou une autre formation pour trancher la question.
[4]Une requête présentée en vertu de la règle 403 demande que des directives soient données à l'officier taxateur. Rien dans cette règle n'empêche le protonotaire, le juge de la Section de première instance ou la formation de la Section d'appel d'ordonner à l'officier taxateur d'augmenter les dépens en adjugeant un montant forfaitaire. Par conséquent, selon mon interprétation, la règle 403 permet à la formation de la Section d'appel d'adjuger des dépens sous forme de montant forfaitaire comme il est demandé dans la présente requête et d'ordonner à l'officier taxateur de taxer les dépens sur cette base.
[5]L'intimée a soutenu que 12 questions avaient été soulevées en appel et que chacune d'elles nécessitait une réponse complète. Il s'agissait de questions de fait complexes, dont le témoignage d'expert et les méthodes d'enquête. L'argumentation en appel a duré près d'une journée complète.
[6]Je suis convaincu, dans les circonstances de l'affaire, que l'intimée devrait se voir adjuger des dépens supplémentaires. Il s'agit d'un cas de propriété intellectuelle concernant des clients avertis. Lorsque, comme en l'espèce, de nombreuses questions sont soulevées en appel et qu'elles comportent des faits complexes ainsi que des témoignages d'expert, la quantité de travail requis de la part des avocats de l'intimée justifie une augmentation des dépens. Pour ce qui est de l'argument selon lequel la complexité de l'affaire n'était pas supérieure à celle de la plupart des cas de propriété intellectuelle qui sont entendus par cette Cour, je dirai que ces affaires présentent souvent des faits complexes et qu'elles entraînent des questions difficiles.
[7]Les dépens supplémentaires à être adjugés sont des dépens partie-partie. Ils ne dédommagent pas la partie qui a obtenu gain de cause de ses dépens avocat-client et ils ne visent pas à punir la partie déboutée pour son comportement non approprié.
[8]Une adjudication de dépens partie-partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s'agit que d'une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat-client de la partie qui a obtenu gain de cause (ou, de façon inhabituelle, à ceux de la partie déboutée). En vertu de la règle 407, lorsque les parties ne cherchent pas à obtenir des dépens supplémentaires, les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Même lorsque l'on demande des dépens supplémentaires, la Cour, à sa discrétion, peut conclure que les dépens adjugés selon la colonne III constituent un dédommagement suffisant quant aux dépens partie-partie.
[9]Cependant, l'objectif consiste à contribuer d'une manière appropriée aux dépens avocat-client et non à observer strictement la colonne III du tableau du tarif B qui, en lui-même, est arbitraire. Le paragraphe 400(1) précise que, suivant le principe premier de l'adjudication des dépens, la Cour a «entière discrétion» quant au montant des dépens. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut fixer les dépens en se fondant sur le tarif B ou en s'en éloignant. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n'est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B.
[10]Par conséquent, la Cour peut, à sa discrétion, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu'elle est d'avis qu'une adjudication des dépens conformément au tarif n'est pas satisfaisante. En outre, le montant des dépens avocat-client, bien qu'il ne détermine pas la contribution appropriée des dépens partie-partie, peut être considéré par la Cour si cette dernière le juge approprié. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec prudence. Toutefois, on doit garder à l'esprit que l'adjudication des dépens est une question de jugement en ce qui concerne les éléments appropriés, et non un exercice comptable.
[11]Je crois que cette approche est conforme, dans un contexte contemporain, aux observations du juge Nadon (tel était alors son titre) dans l'arrêt Hamilton Marine & Engineering Ltd. c. CSL Group Inc. (1995), 99 F.T.R. 285 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 22:
J'ai indiqué aux avocats pendant l'audience qu'il ne faisait aucun doute que, dans la plupart des cas, les frais prévus au tarif B ne sont pas suffisants pour dédommager entièrement la partie qui a gain de cause. Je leur ai également indiqué qu'à mon avis le tarif doit nécessairement demeurer la règle et qu'une augmentation des frais prévus au tarif doit être l'exception. Je voulais dire que le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour d'augmenter les sommes prévues au tarif, aux termes des paragraphes 344(1) et (6) des Règles de la Cour fédérale, ne doit pas être exercé à la légère. Autrement dit, le fait que les frais juridiques de la partie qui obtient gain de cause soient de beaucoup supérieurs aux sommes auxquelles cette partie a droit en vertu du tarif n'est pas en soi un facteur justifiant la majoration des frais prévus.
[12]L'économie que les parties réalisent en ce qui concerne les dépens, qui autrement seraient engagés dans le processus de la taxation, représente un avantage de l'adjudication de dépens sous forme d'un montant forfaitaire. Cependant, une telle adjudication peut ne pas être appropriée dans tous les cas. Bien entendu, une formation de la Section d'appel, un protonotaire ou un juge de la Section de première instance n'est pas non plus obligé d'accorder un montant forfaitaire simplement parce qu'on en fait la demande. Néanmoins, je pense que les avocats devraient être prêts à aborder des dépens à la conclusion de l'instance, dans l'éventualité où le litige serait tranché à l'audience et si la Cour choisissait d'offrir de fixer les dépens sous forme d'un montant forfaitaire à ce moment.
[13]Dans les circonstances de l'espèce et compte tenu des observations des deux parties, je suis d'avis que l'intimée a droit à des dépens partie-partie de 25 000 $, y compris les frais, les débours, la TPS et les dépens de la présente requête, et que l'officier taxateur taxe les dépens en conséquence.
Le juge Nadon, J.C.A.; Je souscris aux présents motifs.
* * *
[14]Le juge Décary, J.C.A. (dissident en partie): Il s'agit d'une requête déposée par l'intimée «pour obtenir des dépens supplémentaires» en vertu de la règle 403 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles). La requête a d'abord été déposée devant moi en ma qualité de membre président de la formation qui avait rejeté l'appel, mais, pour des raisons que j'expliquerai brièvement, la requête a ensuite été présentée devant la formation complète qui avait entendu l'appel. Les présents motifs ont d'abord fait le tour de mes collègues. En bout de ligne, pour les motifs rédigés par le juge Rothstein, J.C.A., auxquels a souscrit le juge Nadon, J.C.A., la requête pour dépens supplémentaires est accueillie pour un montant bien supérieur à celui que je suis disposé à accorder.
[15]On a demandé que la présente requête soit entendue. Le juge en chef a informé les avocats, le 14 juin 2002, que la requête serait examinée une fois que les parties auraient produit leurs dossiers respectifs. Ayant lu les dossiers respectifs, j'en suis venu à la conclusion qu'une audience n'était pas nécessaire.
[16]Le 25 janvier 2001, le juge McKeown a rejeté la demande de Consorzio del Prosciutto di Parma (Consorzio) présentée en vertu de l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13] pour faire radier du registre des marques de commerce l'enregistrement no 179,637 de la marque «Parma», propriété de Maple Leaf Meats Inc. (Maple Leaf). Dans ses motifs de jugement, publiés à [2001] 2 C.F. 536, le juge McKeown a demandé aux parties de déposer des observations écrites si elles ne s'entendaient pas sur les dépens.
[17]Le 21 février 2001, Consorzio a déposé un avis d'appel à l'égard de l'ordonnance du 25 janvier 2001. Le numéro du dossier de la Cour d'appel est le A-85-01.
[18]Par la suite, les parties n'ont pu s'entendre sur les dépens et ont produit des observations écrites. Le 2 mai 2001, le juge McKeown a adjugé les [traduction] «dépens à l'intimée (Maple Leaf) sur une base de frais entre parties, devant être taxés selon la valeur la plus élevée de la colonne 3». Le 31 mai 2001, Consorzio a déposé un avis d'appel, dossier de la Cour d'appel A-334-01. Maple Leaf n'a pas déposé d'appel incident.
[19]Le 27 juin 2001, dans le dossier A-85-01, le juge Létourneau, J.C.A. a ordonné à Consorzio de [traduction] «verser à la Cour le montant de 8 500 $ à titre de garantie pour les dépens d'appel de l'intimée [Maple Leaf]».
[20]Les deux appels ont été entendus le 1er mai 2002. La Cour a statué sur les deux appels, séance tenante, après avoir entendu chaque partie. L'appel relatif au dossier A-85-01 a été «rejeté avec dépens» [(2002), 18 C.P.R. (4th) 414 (C.A.F.)]. L'appel interjeté dans le dossier A-334-01 a été rejeté sans dépens.
[21]Le 5 juillet 2002, Maple Leaf a déposé la présente requête dans le dossier A-85-01 demandant:
[traduction] Une ordonnance en vertu de l'article 403 des Règles [. . .] accordant à l'intimée des dépens supérieurs au tarif B des Règles, sous la forme d'un montant forfaitaire de 40 000 $, y compris les frais et les débours.
On a également demandé la permission de prolonger le délai établi à l'alinéa 403(1)a) des Règles pour le dépôt de la requête. La prolongation du délai n'a pas été contestée par Consorzio, et je suis prêt à l'accorder.
[22]Au soutien de la requête, l'affidavit de l'un des avocats de Maple Leaf alléguait ce qui suit:
[traduction]
3. L'intimée demande que la Cour accorde un montant forfaitaire de 40 000 $, y compris les frais et les débours pour les dépens de l'intimée, une adjudication qui constitue une évaluation raisonnable des dépens partie-partie de l'intimée. |
4. Joint à titre d'annexe B de mon affidavit se trouve un projet de mémoire de frais qui a été préparé par mon clerc, M. Enis Davis, à partir des factures que mon cabinet avait envoyées à l'intimée. Le projet de mémoire de frais a été préparé afin d'indiquer les frais réels engagés selon les catégories de dépens prévus au tarif, comparativement aux dépens accordés en vertu des colonnes III et V du tarif B. |
5. Les frais et les débours totaux, y compris la TPS, ont été évalués à 80 707,59 $CAN. L'intimée demande un montant forfaitaire de 40 000 $CAN. |
6. Le 20 juillet 2001, Consorzio a déposé en Cour le montant de 8 500 $ à titre de garantie pour les dépens en l'espèce. Ce montant correspond à une adjudication des dépens fondée sur la colonne III du tarif B ou à 10,5 p. 100 des frais et débours réels engagés par l'intimée. |
7. Tel que les faits établis ci-dessous l'indiquent en détail, une adjudication des dépens de l'ordre de 40 000 $ constitue une adjudication raisonnable des dépens partie-partie en l'espèce. |
Rôle des avocats
8. Les avocats inscrits au dossier pour Maple Leaf sont Gowling Lafleur Henderson, s.r.l.; les avocats principaux sont Kelly Gill et moi-même. Une quantité considérable de travail a été réalisée en 2001 pour la préparation, la recherche et le dépôt du mémoire des faits et du droit. La majeure partie du travail de préparation de l'audition de l'appel a été effectuée en 2002. |
9. J'ai joué un rôle actif à titre d'avocat principal de Maple Leaf dans le cadre de l'appel et de la supervision de la préparation du mémoire des faits et du droit et de la recherche juridique. Mon taux de facturation était de 300 $ l'heure en 2001 et de 350 $ l'heure en 2002. |
10. M. Gill a également participé à la supervision et à la préparation du mémoire des faits et du droit, à la recherche juridique et aux questions d'appel relatives à la preuve par sondage détaillée qui a été présentée en appel. Le taux de facturation de M. Gill était de 420 $ en 2002. |
Nombre de questions soulevées en appel
11. Consorzio a soulevé douze questions distinctes en appel. Une copie de l'avis d'appel est jointe à titre d'annexe C à mon affidavit. |
12. Compte tenu du nombre de questions soulevées en appel, chacune d'entre elles nécessitait une réponse complète de Maple Leaf et une préparation en vue de l'audition de l'appel. |
Complexité des questions
13. L'appel a soulevé des questions de fait complexes et, en particulier, se rapportant à la preuve par sondage. Cette dernière était fournie par trois témoins experts s'intéressant aux questions techniques des méthodes d'enquêtes, des interrogatoires au moyen de questionnaires, etc. |
Questions juridiques non abandonnées en appel
14. Aucune question juridique n'a été abandonnée en appel comme l'indiquent les nombreuses questions soulevées dans l'avis d'appel. |
Le résultat
15. La Cour a tranché en faveur de l'intimée en rejetant l'appel avec dépens. |
[23]Le 15 juillet 2002, Consorzio a produit sa réponse. Il n'est pas étonnant qu'elle ait demandé le rejet de la requête avec dépens.
[24]Dans le cadre des présents motifs, je ferai mention des règles 397, 403 et 407 et des paragraphes 400(1), 400(3), 400(4), 400(5) et 400(6) des Règles. Ils sont ainsi rédigés:
397. (1) Dans les 10 jours après qu'une ordonnance a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, une partie peut signifier et déposer un avis de requête demandant à la Cour qui a rendu l'ordonnance, telle qu'elle était constituée à ce moment, d'en examiner de nouveau les termes, mais seulement pour l'une ou l'autre des raisons suivantes:
a) l'ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier;
b) une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement.
(2) Les fautes de transcription, les erreurs et les omissions contenues dans les ordonnances peuvent être corrigées à tout moment par la Cour.
[. . .]
400. (1) La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.
[. . .]
(3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou de l'autre des facteurs suivants:
a) le résultat de l'instance;
b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;
c) l'importance et la complexité des questions en litige;
d) le partage de la responsabilité;
e) toute offre écrite de règlement;
f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;
g) la charge de travail;
h) le fait que l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance justifie une adjudication particulière de dépens;
i) la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;
j) le défaut de la part d'une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;
k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas:
(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile;
(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;
l) la question de savoir si plus d'un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;
m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;
n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l'application des règles 292 à 299;
o) toute autre question qu'elle juge pertinente.
(4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.
(5) Dans le cas où la Cour ordonne que les dépens soient taxés conformément au tarif B, elle peut donner des directives prescrivant que la taxation soit faite selon une colonne déterminée ou une combinaison de colonnes du tableau de ce tarif.
(6) Malgré tout autre disposition des présentes règles, la Cour peut:
a) adjuger ou refuser d'adjuger les dépens à l'égard d'une question litigieuse ou d'une procédure particulières;
b) adjuger l'ensemble ou un pourcentage des dépens taxés, jusqu'à une étape précise de l'instance;
c) adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client;
d) condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause.
[. . .]
403. (1) Une partie peut demander que des directives soient données à l'officier taxateur au sujet des questions visées à la règle 400:
a) soit en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement;
b) soit par voie de requête au moment de la présentation de la requête pour jugement selon le paragraphe 394(2).
(2) La requête visée à l'alinéa (1)a) peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens.
(3) La requête visée à l'alinéa (1)a) est présentée au juge ou au protonotaire qui a signé le jugement.
[. . .]
407. Sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens partie-partie sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B.
[25]La requête, comme je l'ai mentionné plus tôt, est présentée en vertu de la règle 403. Pourtant, l'ordonnance recherchée ne demande pas à la Cour de donner des directives à l'officier taxateur, mais plutôt d'accorder [traduction] «à l'intimée des dépens supérieurs au tarif B des Règles, sous la forme d'un montant forfaitaire de 40 000 $, y compris les frais et les débours». La requête, à mon avis, ressemble à une requête pour réexamen en vertu de la règle 397 à être présentée devant la Cour «telle qu'elle était constituée à ce moment [de l'ordonnance]». Une telle requête serait rejetée parce que les motifs invoqués par l'intimée ne font pas partie de ceux énumérés à la règle 397. Comme l'a fait remarquer le juge en chef Jackett dans l'arrêt Smerchanski c. Ministre du Revenu national, [1979] 1 C.F. 801 (C.A.), à la page 803:
[. . .] si la Cour ordonne le paiement des dépens taxés, elle ne peut pas prescrire ensuite le paiement d'une somme globale à moins de procéder à un nouvel examen du jugement pour l'une des raisons énumérées aux Règles 337(5) et 337(6). Tel n'est pas le cas en l'espèce.
[26]Cependant, je suis disposé à examiner la requête comme si elle était présentée en vertu du paragraphe 403(3) des Règles en vue de donner des directives à l'officier taxateur.
Compétence
[27]Il découle de la règle 407 et du paragraphe 400(5) des règles qu'une ordonnance de cette Cour accordant les «dépens» sans les qualifier constitue implicitement une ordonnance accordant des dépens partie-partie, à être taxés selon la colonne III du tarif B.
[28]Par conséquent, une requête présentée en vertu de la règle 403, demandant que des directives soient données à l'officier taxateur, et qui est réputée modifier le fondement de la taxation et/ou de la colonne applicable, est en réalité une requête qui vise la modification de l'ordonnance rendue par la Cour. Comme les «directives» modifieraient, en pratique, l'ordonnance de la Cour, j'ai tendance à croire que les directives doivent être données par la même formation qui a rendu l'ordonnance initiale.
[29]Le paragraphe 403(3) des règles exige qu'une requête pour directives soit «présentée au juge ou au protonotaire qui a signé le jugement». Ce paragraphe concerne de toute évidence la Section de première instance. Il veille à ce que la requête soit tranchée par la personne qui connaît le mieux les circonstances de l'affaire, c'est-à-dire, le cas échéant, le protonotaire ou le juge qui a entendu la cause et qui, naturellement, a signé le jugement.
[30]Pour ce qui est de l'opinion différente qu'a exprimée en passant--la question ne semble pas avoir été soulevée devant lui--mon collègue le juge Strayer, J.C.A., siégeant alors en chambre, dans l'arrêt Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., [1999] 2 C.F. 175 (C.A.), à la page 184, je ne suis pas disposé à interpréter le paragraphe 403(3) des règles, dans le contexte d'un jugement rendu par la Cour d'appel, de façon à donner compétence au juge «qui a signé le jugement», c'est-à-dire au membre président de la formation plutôt qu'à toute la formation.
[31]La règle 403 concerne les directives «au sujet des questions visées à la règle 400». La règle 400 traite du pouvoir discrétionnaire de «la Cour» pour déterminer le montant des dépens et les répartir. Une adjudication des dépens dans le cadre d'un appel sur le fond (par opposition à une adjudication faisant suite à une requête dans le cadre d'un appel) fait vraiment partie du jugement qui est rendu par la Cour, c'est-à-dire la formation qui entend l'appel. Toute modification de l'adjudication constitue une modification du jugement et un juge siégeant seul n'a pas la compétence value (à moins qu'une loi ou peut-être les règles indiquent le contraire) pour modifier un jugement rendu par la Cour.
[32]Je me rends compte que, selon la règle 2, «Cour» comprend, «dans le cas d'une requête, un juge de la Cour d'appel siégeant seul» et on peut soutenir qu'un juge siégeant seul peut rendre une décision à l'égard d'une requête pour directives en vertu de la règle 403. Il est dit que, lorsque les Règles exigent qu'une formation complète entende et tranche une requête, elles le prévoient en termes explicites, comme dans la règle 397 (réexamen).
[33]Je ne suis pas disposé à interpréter la règle 397 de cette façon. Les mots «telle qu'elle était constituée à ce moment [de l'ordonnance]» n'ont pas été ajoutés de façon à exiger que la requête soit entendue par une formation de trois juges, mais pour que la formation de trois juges soit celle qui a entendu l'appel.
[34]Je ne suis pas non plus disposé à accorder à la définition de «Cour» de la règle 2 un tel effet absolu. Les règles doivent être interprétées selon le contexte. Lorsque ce dernier donne à penser qu'une requête devrait être entendue par une formation de trois juges, le sens commun devrait prévaloir. La règle 399, par exemple, qui traite de l'annulation ou de la modification d'une ordonnance, n'exige pas que la requête soit présentée devant une formation de trois juges. Pourtant, personne ne laisse entendre qu'un juge peut, seul, annuler ou modifier un jugement de la Cour d'appel. De toute évidence, à mon avis, lorsque les règles n'établissent pas de distinction entre la Section de première instance et la Section d'appel, toute interprétation littérale qui entraînerait un malentendu fondamental du processus d'appel devrait être évitée.
[35]Conclure autrement entraînerait une situation difficile. Lorsque la Cour d'appel omet, par exemple, de se prononcer sur les dépens même si on les demandait, une partie aurait la possibilité de présenter une requête en réexamen en vertu de la règle 397 devant la même formation ou de présenter une requête en vertu de la règle 403 devant le membre président de la formation. Cela ne peut simplement pas se faire.
[36]Il est intéressant de noter que, en vertu des anciennes Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], la Règle 344(7) [mod. par DORS/87-224, art. 2] contenait une disposition qui traitait précisément des requêtes pour directives déposées devant la Cour d'appel. Elle était ainsi rédigée:
Règle 344. (1) [. . .]
(7) [. . .] Dans le cas d'une instance engagée devant la Cour d'appel, la requête visée au présent paragraphe doit être présentée au juge en chef ou à un juge qu'il désigne. Toute partie peut demander à un tribunal composé d'au moins trois juges de réviser la décision du juge en chef ou du juge qu'il a désigné.
[37]La Règle 344(7) a été remplacée par le nouveau paragraphe 403(3), précité, qui ne fait aucune référence à la Cour d'appel. Il ne ressort pas du procès-verbal du Comité des règles que l'attention de ce dernier a été attirée sur la question du quorum. Si le Comité avait examiné la question, je n'ai aucun doute qu'il aurait ajouté, à la fin du paragraphe 403(3), des mots comme [traduction] «ou, en Cour d'appel, devant la Cour telle qu'elle était constituée au moment où l'ordonnance a été rendue».
[38]Par conséquent, je souscris totalement à l'opinion suivante exprimée par le juge Denault, en tant que juge siégeant seul, dans l'arrêt Sim & McBurney c.Buttino Investissements Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 512 (C.A.F.), à la page 516, où il examinait l'ancienne Règle 344:
Je suis d'avis que «la Cour» dont il est question aux règles 344(1) à (7) est une formation collégiale de trois juges de la Cour, lorsque l'affaire est entendue par la Section d'appel de notre Cour. Dans le cas des affaires instruites par la Section de première instance, ces dispositions a [sic] en fait été interprétées par les tribunaux comme désignant le juge ayant présidé l'instance (voir A/S Ornen c. «Duteous» (Le), [1987] 3 C.F. D-10, Poudrier c. La Reine, (1984), 27 A.C.W.S. (2nd) 7 (C.F. 1re inst.) et Eastern Can. Towing Ltd. c. «Alzobay» (Le), [1987] 3 F.C. (C.F. 1re inst.)). La logique commande une telle interprétation: la formation collégiale, qui est composée de trois juges, est celle qui est au courant des faits de l'affaire et des questions énumérées au paragraphe 344(3) dont il faut tenir compte pour adjuger les dépens et en déterminer le montant.
[39]S'il devait y avoir des difficultés à reconstituer la formation, le juge en chef peut toujours, dans l'intérêt de l'administration de la justice, désigner une formation différemment constituée (voir les règles 3 et 56 et le paragraphe 16(2) de la Loi [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 2)]).
Le bien-fondé de la requête
[40]L'avocat de l'intimée a produit un affidavit dans lequel il allègue que les frais et les débours totaux, en appel, y compris les taxes, s'élevaient à environ 80 000 $, dont approximativement 50 000 $ ont été consacrés (tel que le précisent les éclaircissements obtenus depuis de la part de l'avocat) à la préparation de l'appel, et dont approximativement 14 000 $ ont été consacrés au mémoire des faits et du droit.
[41]Un bref survol de l'histoire récente du tarif B est justifié à cette étape-ci.
[42]Avant 1995, le tarif était composé de valeurs maximales fixes pour des services précis. Ce tarif avait amené le juge en chef Jackett à formuler les commentaires suivants dans l'arrêt Smerchanski (précité), aux pages 805 et 806:
[. . .] il semble clair, à mon sens, que les frais entre parties ne visent pas à indemniser intégralement la partie qui a gain de cause de ses frais extrajudiciaires [. . .]
Il est certain, selon moi, que ces frais sont si peu élevés par rapport aux sommes en litige dans la plupart des cas qu'ils ne dédommagent pas intégralement la partie qui a gain de cause des frais qu'elle a engagés dans le litige. (De fait, en l'espèce, on demande une augmentation qui n'indemniserait que très partiellement la partie qui a eu gain de cause de ses frais extrajudiciaires.) Si, ainsi que je le pense, les dépens entre parties en Cour fédérale ne sont pas destinés à indemniser intégralement la partie à laquelle ils seront versés, ils sont censés se limiter aux sommes tout à fait arbitraires prévues par les règles, sous réserve des modifications autorisées se fondant sur des facteurs relatifs au déroulement de la procédure dont il s'agit. À mon avis, le vague principe proposé par l'avocat de l'intimé obligerait très souvent la Cour à évaluer des facteurs impondérables ou impossibles à définir pour adjuger une partie indéterminée des frais extrajudiciaires. À mon sens, cette façon de justifier l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par le tarif B n'est pas acceptable; elle aurait d'ailleurs pour effet de compliquer notre pratique sans raison.
[43]Le 1er septembre 1995, par ordonnance modificatrice no 17, DORS/95-282, art. 5, la structure en cinq colonnes du tarif B est entrée en vigueur, soulageant peut-être les préoccupations exprimées par le juge en chef Jackett. La Cour et les officiers taxateurs se sont vu accorder plus de latitude en vertu du tarif B, tant par l'utilisation de cinq colonnes que l'établissement dans chaque colonne d'une grande variété d'unités dont la valeur a été initialement fixée à 100 $ chacune. La valeur devait être examinée chaque année par le juge en chef selon une formule précise.
[44]Le tarif B a de nouveau été modifié en 1998 lors de l'entrée en vigueur des «nouvelles» Règles de la Cour fédérale (1998) (DORS/98-106). La structure en cinq colonnes a été maintenue, la valeur des unités est demeurée à 100 $ (elle a depuis été augmentée à 110 $ le 1er avril 2001) et les articles prévus sont demeurés essentiellement les mêmes qu'en 1995.
[45]Tout au long de l'établissement de ces changements, les articles des Règles se rapportant aux dépens sont demeurés essentiellement les mêmes que ceux qui avaient été codifiés à la partie 11.
[46]L'adoption du nouveau tarif B, en 1995, associée aux légères modifications qui ont été apportées à ce dernier en 1998, reflète, à mon avis, une intention claire de procéder avec une extrême prudence à l'établissement des obstacles financiers auxquels les parties pouvaient s'attendre à être confrontées lorsqu'elles demandaient une mesure corrective à la Cour fédérale du Canada. On peut affirmer sans problème que l'intention de la règle 407 (et de l'ancienne Règle 346) consistait à réaffirmer, comme principe général, que les mémoires de frais n'ont pas pour objet de dédommager une partie de tous les dépens qu'elle a engagés. Les membres du Comité des règles, en 1998, étaient bien au courant du fait que les honoraires d'avocat établis en 1995 dans le tarif B ne reflétaient pas, dans la plupart des cas, les frais réels imposés à un client. La question a été examinée et l'on a délibérément choisi de ne pas dissuader les parties d'intenter des litiges en les exposant, dans des circonstances normales, à des dépens considérables. On doit se rappeler que dans la plupart des cas portés devant la Cour fédérale, les parties sont l'État d'un côté et des citoyens de l'autre côté.
[47]Cette intention se reflète également dans le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour par l'alinéa 400(6)c) d'adjuger des dépens sur une base avocat-client et dans le maintien de cinq colonnes dans le tarif B, dont les deux dernières prévoient des mémoires de frais supérieurs à la moyenne. La Cour suprême du Canada a précisé que l'adjudication de dépens sur la base avocat-client (qui sont, en pratique, les dépens réellement engagés par une partie) demeure exceptionnelle et qu'elle est en général associée à une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).
[48]Les principes applicables à l'adjudication de dépens supplémentaires ont été récemment examinés par cette Cour dans l'arrêt Wihksne c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 356; [2002] A.C.F. no 1394 (C.A.) (QL) où j'avais formulé les observations suivantes au paragraphe 11:
L'appelant cherche à obtenir le remboursement complet de ses dépens à ce jour en Cour fédérale. On ne m'a pas convaincu qu'il y avait des raisons valables de déroger à l'article 407 des Règles, qui porte qu'en général les dépens sont taxés en conformité avec la colonne III du tarif B. Comme le juge Wetston l'affirme dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998) 159 F.T.R. 233, «[u]n principe important sous-tend les dépens: l'allocation de dépens représente un compromis entre l'indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non-imposition d'une charge excessive à la partie qui succombe» . Cette décision a été confirmée à (2001) 199 F.T.R. 320 (C.A.F.). Il est clair que le tarif B est maintenant dépassé dans bien des cas, mais en l'absence de facteurs particuliers (voir le paragraphe 400(3) des Règles) la Cour doit être très prudente lorsqu'il s'agit de récrire le tarif B--une tâche qui incombe au Comité des règles--et d'essayer de déterminer les faits relatifs aux dépens, tâche qui doit être laissée aux officiers taxateurs spécialisés en ces matières. J'adopte ici les mots du juge Nadon, alors à la Section de première instance, dans Hamilton Marine & Engineering Ltd. c. CSC Group Inc. (1995) 99 F.T.R. 285:
J'ai indiqué aux avocats pendant l'audience qu'il ne faisait aucun doute que, dans la plupart des cas, les frais prévus au tarif B ne sont pas suffisants pour dédommager entièrement la partie qui a gain de cause. Je leur ai également indiqué qu'à mon avis le tarif doit nécessairement demeurer la règle et qu'une augmentation des frais prévus au tarif doit être l'exception. Je voulais dire que le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour d'augmenter les sommes prévues au tarif, aux termes des paragraphes 344(1) et (6) des Règles de la Cour fédérale, ne doit pas être exercé à la légère. Autrement dit, le fait que les frais juridiques de la partie qui obtient gain de cause soient de beaucoup supérieurs aux sommes auxquelles cette partie a droit en vertu du tarif n'est pas en soi un facteur justifiant la majoration des frais prévus.
[49]En l'espèce, les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des règles, sur lequel s'est fondé l'avocat de l'intimée, sont en grande partie inapplicables. Il est vrai que 12 questions ont été soulevées dans l'avis d'appel, mais elles ont été abandonnées ou regroupées sous quatre intitulés dans le mémoire des faits et du droit déposé par l'appelante. Les questions soulevées étaient typiques de celles invoquées dans des appels concernant des marques de commerce et aucune d'entre elles ne visait des questions particulièrement complexes de fait et de droit. L'appel a été entendu de la manière habituelle, et aucune allégation relative à la conduite incorrecte de l'avocat de l'appelante n'a été formulée. Le fait que les dépens ont été taxés selon la valeur maximale de la colonne III en Section de première instance est de toute évidence pertinent, mais il n'est en aucune façon déterminant en ce qui concerne la procédure se déroulant devant la Cour d'appel. Ce fait, en tout état de cause, n'est pas utile à l'intimée puisqu'elle réclame en appel beaucoup plus que la valeur maximale de la colonne III et qu'il est improbable que davantage de travail soit requis en appel que devant la Section de première instance.
[50]Le fait que l'intimée ait obtenu gain de cause en appel représente un facteur qui milite en faveur de l'adjudication des dépens à cette dernière et non pas de l'adjudication de dépens plus élevés. Il n'y avait rien d'inhabituel en l'espèce en ce qui concerne le résultat obtenu par l'intimée.
[51]Le fait que la Cour ait prononcé le jugement à l'audience après avoir entendu les deux parties pendant une journée et que les motifs du jugement aient simplement approuvé ceux du juge de première instance est révélateur de la qualité de ces motifs et non de la frivolité ou de la faiblesse de l'appel.
[52]Le rôle de l'avocat est décrit en termes vagues. Le fait qu'une [traduction] «quantité considérable de travail» ait été accomplie ne mène pas nécessairement à la conclusion que tout le travail était nécessaire ou que la partie déboutée devrait automatiquement être tenue responsable des taux de facturation que la partie qui a obtenu gain de cause était prête à payer à son propre avocat. Bien que je ne souhaite pas juger après coup la pertinence du travail des avocats, je ne peux accepter aveuglément leur déclaration générale ni obliger l'autre partie à payer un montant considérable de dépens à l'égard du travail dont la nature et la nécessité demeurent en grande partie non justifiées.
[53]Je suis disposé, cependant, à reconnaître que le travail accompli lors de la préparation de l'audition de l'appel devrait être considéré. Le tarif B, inexplicablement, a omis, en 1995 et encore en 1998, cet article qui figurait dans l'ancien tarif B sous l'intitulé 1h) [mod. par DORS/87-221, art. 8]: «une somme n'excédant pas 250 $ pour la préparation d'un procès devant la Division de première instance ou d'une audience devant la Cour d'appel, pour chaque période de deux jours ou moins du procès ou de l'audience» (je souligne). Je suis autorisé, en vertu de l'article 27, à reconnaître les «autres services» qui ont été rendus par un avocat et j'accorde, pour la préparation de l'audition de l'appel, un total de sept unités, ce qui représente plus que ce qui est prévu dans le tarif, mais cela correspond à la valeur maximale des unités accordées dans l'article 19 de la colonne III pour le mémoire des faits et du droit, un article comparable, à mon avis, à celui de la préparation de l'audition de l'appel.
[54]Comme je n'ai pas entendu l'avocat de l'appelante s'opposer à une taxation des dépens sur la base d'une valeur supérieure de la colonne III--comme cela a été fait en Section de première instance--et comme cette taxation mène à un chiffre arrondi de 8 500 $, les débours et la taxe compris, je n'éprouve aucune difficulté à accorder ce chiffre. J'y ajouterais un chiffre rond de 1 500 $ pour tenir compte de la préparation de l'audition de l'appel ainsi que la présentation de la présente requête, ce qui donne au total 10 000 $, les dépens et les débours compris.
[55]Le tarif B donne à la Cour suffisamment de marge de manoeuvre dans la vaste majorité des cas. La Cour conserve toujours, bien entendu, son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 400(4) d'adjuger «une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés», mais un tel pouvoir discrétionnaire ne devrait être exercé que dans des cas exceptionnels et d'une manière proportionnelle au tarif. Le présent cas ne s'est pas avéré exceptionnel.
[56]Il se peut que des tarifs spéciaux soient conçus pour des domaines particuliers lorsque les deux parties sont prêtes à aller en cour à n'importe quel prix et à renoncer à tout contrôle sur leurs honoraires d'avocat. Toutefois, nous n'en sommes pas encore là et jusqu'à ce moment, la prudence dicte une approche conservatrice. Les dépens, devant cette Cour, n'ont jamais représenté une question très controversée depuis l'introduction, en 1995, du tarif composé de 5 colonnes. Pour paraphraser les mots du juge en chef Jackett dans l'arrêt Smerchanski, je conserverais une pratique qui a bien servi la Cour et les parties plutôt que de faire distribuer arbitrairement par la Cour d'importants montants forfaitaires fondés sur une proportion artificielle des dépens réels prétendument engagés, ce qui aurait pour effet de «compliquer notre pratique sans raison».
[57]Le recours arbitraire au pouvoir discrétionnaire de la Cour serait contraire au principe de la courtoisie judiciaire. L'attribution de montants forfaitaires largement supérieurs aux montants autorisés en vertu du tarif B afin de compenser en partie les dépens réels engagés par une partie dans un cas qui n'est pas exceptionnel aurait probablement pour effet de saper le tarif, ce qui à son tour entraînerait probablement des dépens imprévisibles, arbitraires et, en bout de ligne, inéquitables. Sans les indications fournies par le tarif, les parties seraient déconcertées et incertaines au sujet des coûts financiers d'un litige. Un telle incertitude ne devrait pas être prise à la légère. La capacité à estimer le coût d'un litige joue un rôle important lorsque l'on s'adresse aux tribunaux. Comme je l'ai fait remarquer dans l'arrêt Wihksne (précité), tout changement des pratiques de la Cour devrait être laissé au Comité des règles. Le Comité, après tout, représente un organisme créé par une loi (article 45.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 13] de la Loi sur la Cour fédérale) composé de membres de la Cour et du barreau ainsi que du procureur général du Canada, dont les tâches comprennent, à l'alinéa 46(1)g), celle de «réglementer les dépens et leur adjudication ».
[58]En bout de ligne, par conséquent, je suis d'avis que la requête «pour dépens supplémentaires» doit être accueillie en partie et que l'officier taxateur, en vertu de la règle 403, taxe les dépens en appel sous la forme d'un montant forfaitaire de 10 000 $, y compris les frais et les débours, dont ceux liés à la présente requête pour directives.