A-659-01
2002 CAF 413
Le procureur général du Canada (demandeur)
c.
Olga Barnes, Michelle Murphy, Paula Hawco, Debbie Guest, Paula Furlong, Jean Piercey, Lorraine Tobin et David Saunders (défendeurs)
Répertorié: Canada (Procureur général) c. Barnes (C.A.)
Cour d'appel, juges Isaac, Sharlow et Malone, J.C.A.-- Ottawa, 16 et 28 octobre 2002.
Assurance-emploi -- Les défendeurs ont été licenciés, et ont établi des demandes de prestations d'emploi et sont ensuite retournés au travail pour une semaine -- Par la suite, ils ont reçu un paiement au titre d'une augmentation de salaire -- Période de paie à laquelle le paiement rétroactif devait être attribué -- Sens des mots «est répartie proportionnellement sur la dernière période de paie pour laquelle un salaire, un traitement ou des commissions ont été versés sur une base régulière» à l'art. 23(1.1) du Règlement sur l'assurance-emploi -- Le mot «régulier» indique la continuité -- Cette interprétation est renforcée par la version française -- Le paiement rétroactif a été attribué à la dernière période de paie avant le licenciement étant donné que l'emploi subséquent était exercé pour une durée fort brève.
Interprétation des lois -- Art. 23(1.1) du Règlement sur l'assurance-emploi -- Sens des mots «est répartie proportion-nellement sur la dernière période de paie pour laquelle un salaire, un traitement ou des commissions ont été versés sur une base régulière» -- Application de la règle d'interprétation législative relative au sens clair -- Le mot «régulier» indique des paiements sur une base continue -- La notion de continuité est renforcée par la version française et par la jurisprudence -- Le paiement forfaitaire rétroactif a été attribué à la dernière période de paie régulière avant le licenciement et le rappel subséquent d'une semaine.
Les défendeurs ont travaillé à titre de commis au traitement à Revenu Canada, Impôt, du 27 juillet au 18 décembre 1998. Ils ont ensuite établi leurs demandes en vue d'obtenir des prestations d'emploi à compter du 20 décembre 1998. Les défendeurs sont retournés travailler à Revenu Canada, Impôt, pour une autre semaine, du 7 au 13 janvier 1999. Au mois d'avril 1999, tous les employés licenciés ont reçu un paiement rétroactif de 3 394,42 $ au titre de l'augmentation de salaire prévue par une convention collective. Les défendeurs voulaient que la Commission de l'assurance-emploi du Canada (la CAEC) attribue la paie rétroactive à leur dernière période de paie, au mois de décembre 1998, ce qui leur aurait donné droit à un taux de prestations hebdomadaires plus élevé puisque le paiement rétroactif se rapportait à leur emploi en 1998. La CAEC et le conseil arbitral ont pris la position selon laquelle l'attribution de l'augmentation rétroactive à la période de paie ayant pris fin le 18 décembre 1998 serait contraire au paragraphe 23(1.1) du Règlement sur l'assurance-emploi, selon lequel les augmentations de salaire rétroactives sont attribuées à la dernière période de paie pour laquelle «un salaire, un traitement ou des commissions ont été versés sur une base régulière». La semaine du 7 au 13 janvier 1999 a été désignée comme dernière période de paie. Le juge-arbitre a accueilli l'appel interjeté contre la décision du conseil arbitral en se fondant sur le fait que le paiement rétroactif devrait être attribué à la période d'emploi ayant pris fin le 18 décembre 1998 qui, à son avis, était la dernière période pour laquelle un salaire, un traitement ou des commissions avaient été versés sur une base régulière. Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision. La principale question se rapportait au sens des mots «est répartie proportionnellement sur la dernière période de paie pour laquelle un salaire, un traitement ou des commissions ont été versés sur une base régulière» tels qu'ils sont employés au paragraphe 23(1.1). Étant donné qu'il s'agissait d'une question de droit se rapportant au sens des mots employés dans un texte législatif, la décision rendue par le juge-arbitre sur ce point devait être examinée selon la norme de la décision correcte. L'application de cette interprétation aux faits de l'affaire était une question de fait et de droit qui devait être examinée selon la norme de la décision raisonnable.
Arrêt: la demande doit être rejetée.
Le demandeur a soutenu que les mots «un salaire, un traitement ou des commissions [] versés sur une base régulière» devraient être interprétés comme voulant dire [traduction] «la paie de base par opposition à des formes exceptionnelles de rétribution» telles que les primes, la paie de vacances, les gratifications. Toutefois, le mot «régulier», lorsqu'il est employé en vue de qualifier les mots «un salaire, un traitement ou des commissions» vise clairement les paiements qui sont normalement ou habituellement versés à un employé sur une base continue. Cette notion de continuité est renforcée par la version française du paragraphe 23(1.1), où il est fait mention de la période de paie pour laquelle un salaire «[a] été versé sur une base régulière». Étant donné que les deux versions du Règlement ont également force de loi ou même valeur et que la version française est claire, la version française devrait régir l'interprétation du paragraphe 23(1.1). De plus, dans l'arrêt Abrahams c. Procureur général du Canada, la Cour suprême du Canada a interprété le mot «régulièrement», employé dans le contexte de la question de savoir si un employé exerçait régulièrement une autre profession en vertu de l'ancienne Loi sur l'assurance-chômage de 1971; elle a statué que le mot «régulièrement» visait la «continuité» de l'emploi.
Dans ce cas-ci, les employés ont été rappelés au travail parce qu'il y avait du travail supplémentaire à effectuer à court terme. Il s'agissait d'un travail occasionnel et intermittent. Le juge-arbitre a conclu avec raison que l'argent qui avait été gagné au mois de janvier ne constituait pas un salaire ou un traitement versé sur une base régulière parce que la période de rappel de cinq jours ne constituait pas un renouvellement de l'emploi des défendeurs ou une prorogation de la période antérieure d'emploi, mais qu'il s'agissait d'une affectation temporaire. Étant donné que l'interprétation donnée par le juge-arbitre aux mots figurant au paragraphe 23(1.1) était correcte, les paiements qui avaient été versés pour le travail effectué au mois de janvier n'étaient pas un salaire ou un traitement versés sur une base régulière. La décision que le juge-arbitre a rendue au sujet de la question de fait et de droit était donc raisonnable. La dernière période de paie régulière était celle qui avait pris fin le 18 décembre 1998 et non la période allant du 7 au 13 janvier 1999.
lois et règlements
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48.
Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 14(1), 115. |
Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 31, art. 13. |
Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332, art. 23(1) (mod. par DORS/97-310, art. 6), (1.1) (édicté par DORS/97-31, art. 12). |
jurisprudence
décisions appliquées:
Canada (Procureur général) c. Sveinson, [2002] 2 C.F. 205; (2001), 281 N.R. 341 (C.A.), pour ce qui est de la norme de contrôle; Canada (Procureur général) c. Stillo, 2002 CAF 346; [2002] A.C.F. no 1323 (C.A.) (QL); Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex (2002), 212 D.L.R. (4th) 1; [2002] 5 W.W.R. 1; 166 B.C.A.C. 1; 100 B.C.L.R. (3d) 1; 18 C.P.R. (4th) 289; 287 N.R. 248 (C.S.C.); Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2; (1983), 142 D.L.R. (3d) 1; 83 CLLC 14,010; 46 N.R. 185.
distinction faite d'avec:
Canada (Procureur général) c. Sveinson, [2002] 2 C.F. 205; (2001), 281 N.R. 341 (C.A.), en ce qui concerne les faits et les dispositions applicables.
décisions citées:
Canada (Procureur général) c. Heidman, A-488-00, juge Evans, J.C.A., jugement en date du 19-10-01 (décision complémentaire: Canada (Procureur général) c. Sveinson, [2002] 2 C.F. 205; (2001), 281 N.R. 341 (C.A.)).
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision (Barnes (Re) (2001), CUB 50072A) par laquelle un juge-arbitre a accueilli un appel de la décision d'un conseil arbitral confirmant la décision de la Commission de l'assurance-emploi du Canada selon laquelle la paie rétroactive reçue par les défendeurs devait être attribuée à leur dernière période de paie, soit une période de rappel d'une semaine. Demande rejetée.
ont comparu:
Lori Rasmussen pour le demandeur.
David Yazbeck pour les défendeurs.
avocats inscrits au dossier:
Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.
Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Malone, J.C.A.:
I. INTRODUCTION
[1]Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par le juge-arbitre D. H. Riche, le 27 juillet 2001, laquelle est publiée au CUB 50072A. Le juge-arbitre a accueilli l'appel interjeté par Olga Barnes, en son nom et au nom de sept autres personnes, en vertu du paragraphe 115(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi). Il a conclu qu'un paiement forfaitaire que la défenderesse avait reçu de son employeur, Revenu Canada, Impôt, au titre de la paie rétroactive, devait être attribué à la période de paie antérieure à la date à laquelle la prestataire avait établi sa demande et non à un rappel au travail subséquent d'une semaine effectué par l'employeur.
[2]Au début de l'audience qui a eu lieu devant nous, l'avocate du demandeur a demandé que l'intitulé soit modifié en vue d'ajouter les noms des personnes suivantes à titre de défendeurs: Michelle Murphy, Paula Hawco, Debbie Guest, Paula Furlong, Jean Piercey, Lorraine Tobin et David Saunders. L'avocat de la défenderesse Barnes a consenti à la demande, en disant qu'il avait été autorisé à représenter les huit défendeurs. La Cour a donc fait droit à la demande et a ordonné que les documents introductifs d'instance soient modifiés en conséquence.
II. LE POINT LITIGIEUX ET LA NORME DE CONTRÔLE
[3]La principale question soulevée dans la demande se rapporte au sens des mots «est répartie proportionnellement sur la dernière période de paie pour laquelle un salaire, un traitement ou des commissions ont été versés sur une base régulière» tels qu'ils sont employés au paragraphe 23(1.1) [édicté par DORS/97-31, art. 12] du Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332, (le Règlement). Il s'agit d'une question de droit étant donné qu'elle se rapporte au sens des mots employés dans un texte législatif. Cela étant, la décision rendue par le juge-arbitre sur ce point doit être examinée selon la norme de la décision correcte (voir: Canada (Procureur général) c. Sveinson, [2002] 2 C.F. 205 (C.A.).
[4]L'application de cette interprétation aux faits de l'affaire est une question de fait et de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (voir: Canada (Procureur général) c. Stillo, 2002 CAF 346; [2002] A.C.F. no 1323 (C.A.) (QL)).
III. LES FAITS
[5]L'appel de Mme Barnes devant le juge-arbitre était un appel collectif interjeté au nom de cette dernière et au nom des autres défendeurs. Les faits ci-après énoncés sont fondés sur la demande de Mme Barnes, mais les faits concernant chacun des autres prestataires dans cet appel sont fondamentalement les mêmes.
[6]Mme Barnes a travaillé à titre de commis au traitement à Revenu Canada, Impôt, du 27 juillet au 18 décembre 1998. Au mois de décembre 1998, les défendeurs ainsi qu'environ 52 autres employés ont été licenciés. Ils ont ensuite établi leurs demandes en vue d'obtenir des prestations d'emploi à compter du 20 décembre 1998; Mme Barnes était admissible aux prestations pour une période de 29 semaines.
[7]Pendant la première semaine du mois de janvier 1999, Revenu Canada, Impôt, a communiqué avec tous les employés licenciés (60 employés en tout) afin de savoir s'ils étaient disponibles pour travailler du 7 au 13 janvier 1999. Parmi ces employés, seuls les défendeurs sont retournés au travail pour cette brève période.
[8]Au mois d'avril 1999, tous les employés licenciés ont reçu un paiement rétroactif de 3 394,42 $ au titre de l'augmentation de salaire prévue par une convention collective, les défendeurs étant désignés comme bénéficiaires en vertu de cette convention. Au mois d'octobre 1999, chaque défendeur a soumis un deuxième relevé d'emploi pour le travail qu'il avait exécuté au mois de janvier, lequel indiquait également le paiement rétroactif.
[9]Les défendeurs ont communiqué à deux reprises avec la Commission de l'assurance-emploi du Canada (la Commission) et ont demandé que la paie rétroactive soit attribuée à leur dernière période de paie. De l'avis des défendeurs, l'attribution du paiement forfaitaire à la période du mois de décembre leur aurait donné droit à un taux de prestations hebdomadaires plus élevé. Les défendeurs ont allégué qu'étant donné que le paiement rétroactif se rapportait à leur emploi en 1998, il devrait être inclus dans leur rémunération pour la période allant jusqu'au mois de décembre 1998.
[10]La Commission a pris la position selon laquelle l'attribution de l'augmentation rétroactive à la période de paie ayant pris fin le 18 décembre 1998 serait contraire au paragraphe 23(1.1) du Règlement, selon lequel les augmentations de salaire rétroactives sont attribuées à la dernière période de paie pour laquelle «un salaire, un traitement ou des commissions ont été versés sur une base régulière». La Commission a désigné la semaine du 7 au 13 janvier 1999 comme dernière période de paie.
[11]Les défendeurs ont interjeté appel contre la décision de la Commission devant un conseil arbitral (le conseil), qui a confirmé la décision de la Commission, après avoir conclu que la Commission avait correctement interprété et appliqué le paragraphe 23(1.1) du Règlement. Les défendeurs ont ensuite interjeté appel contre cette décision. Cet appel a été entendu par le juge-arbitre Riche, qui l'a accueilli en se fondant sur le fait que le paiement rétroactif devrait être attribué à la période d'emploi ayant pris fin le 18 décembre 1998. À son avis, c'était la dernière période pour laquelle un salaire, un traitement ou des commissions avaient été versés sur une base régulière.
IV. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
[12]Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes:
14. (1) Le taux de prestations hebdomadaires qui peut être versé à un prestataire est de cinquante-cinq pour cent de sa rémunération hebdomadaire assurable.
[. . .]
115. (1) Toute décision d'un conseil arbitral peut, de plein droit, être portée en appel devant un juge-arbitre par la Commission, le prestataire, son employeur, l'association dont le prestataire ou l'employeur est membre et les autres personnes qui font l'objet de la décision.
(2) Les seuls moyens d'appel sont les suivants:
a) le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Les dispositions réglementaires pertinentes sont énoncées ci-dessous [art. 23(1) (mod. par DORS/9 7-310, art. 6)]:
23. (1) Pour l'application de l'article 14 de la Loi, la rémunération assurable est répartie de la façon suivante:
a) la rétribution, y compris la paie des jours fériés, autre que la rétribution visée à l'alinéa b), qui est versée pour une période de paie ou qui n'est pas versée pour les raisons visées au paragraphe 2(2) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, est attribuée à cette période de paie;
b) la paie d'heures supplémentaires, les primes de quart de travail, les rajustements de salaire, les augmentations de salaire rétroactives, les primes, les gratifications, les crédits de congés de maladie non utilisés, les primes de rendement, l'indemnité de vie chère, l'indemnité de fin d'emploi, l'indemnité de préavis et toute autre rétribution, y compris la paie de vacances qui n'est pas versée à l'égard d'une période de paie ou qui n'est pas versée pour les raisons visées au paragraphe 2(2) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, sont répartis proportionnellement sur la période de paie au cours de laquelle ils sont versés.
(1.1) Lorsque l'assuré est en congé sans solde, a quitté volontairement son emploi ou est licencié, ou dans le cas de la cessation de son emploi, la rétribution mentionnée à l'alinéa (1)(b) est répartie proportionnellement sur la dernière période de paie pour laquelle un salaire, un traitement ou des commissions ont été versés sur une base régulière. [Je souligne.]
V. ANALYSE
[13]L'avocate du demandeur a soutenu [traduction] qu'«il [était] essentiellement impossible de faire une distinction [entre les faits de la présente espèce et] ceux de l'affaire Sveinson» (mémoire, paragraphe 16). Cela étant, a-t-elle affirmé, le règlement de l'affaire ici en cause devrait être régi par l'arrêt Sveinson et par l'arrêt connexe Canada (Procureur général) c. Heidman (19 octobre 2001, A-488-00, C.A.F.). Dans l'arrêt Sveinson, la présente Cour a annulé la décision du juge-arbitre, qui avait attribué un paiement forfaitaire au titre de la paie rétroactive à la période pour laquelle ce paiement avait été versé. La Cour a dit que la décision du juge-arbitre était erronée en droit.
[14]Je ne souscris pas aux prétentions du demandeur. Dans l'arrêt Sveinson, la prestataire avait travaillé pour une période déterminée au centre fiscal de Revenu Canada, à Winnipeg, du mois d'avril au mois d'octobre 1998. Par suite d'une nouvelle convention collective, elle avait reçu une augmentation de salaire rétroactive au mois d'avril 1999, le montant y afférent ayant en partie été versé pour la période au cours de laquelle elle avait travaillé au centre fiscal qui était pertinente aux fins du calcul du montant des prestations. Dans les arrêts Sveinson et Heidman, la question à trancher était de savoir si la paie rétroactive devait être attribuée conformément à l'alinéa 23(1)a) (la période de paie pour laquelle elle avait été versée) ou à l'alinéa 23(1)b) du Règlement (la période de paie au cours de laquelle elle avait été versée). La Cour a conclu (aux paragraphes 18 à 24) que la paie rétroactive en question était visée par l'alinéa 23(1)b) et qu'elle devait donc être attribuée à la période de paie au cours de laquelle elle avait été versée. Le paragraphe 23(1.1) du Règlement n'était pas en cause dans les arrêts Sveinson et Heidman.
[15]En l'espèce, les défendeurs ne travaillaient pas lorsqu'ils ont touché l'augmentation de salaire rétroactive et l'affaire est donc visée par le paragraphe 23(1.1), qui est ainsi libellé:
23. [. . .]
(1.1) Lorsque l'assuré est en congé sans solde, a quitté volontairement son emploi ou est licencié, ou dans le cas de la cessation de son emploi, la rétribution mentionnée à l'alinéa (1)b) est répartie proportionnellement sur la dernière période de paie pour laquelle un salaire, un traitement ou des commissions ont été versés sur une base régulière. [Je souligne.]
[16]Cette disposition, par opposition au paragraphe 23(1), s'applique aux prestataires, comme les défendeurs, qui ont reçu un paiement du type prévu à l'alinéa 23(1)b) pendant qu'ils étaient en chômage. En l'espèce, les défendeurs ont touché leur paie rétroactive au mois d'avril 1999, à un moment qui ne correspondait à aucune période de paie. Néanmoins, il faut effectuer une attribution dans le temps pour l'application de la Loi. Le choix qui a été fait par le gouverneur en conseil est énoncé au paragraphe 23(1.1) qui a ci-dessus été reproduit.
[17]Les mots «un salaire, un traitement ou des commissions [. . .] versés sur une base régulière» ne sont pas définis dans le Règlement. Il faut donc les interpréter conformément aux principes établis d'interprétation de la loi, en commençant par la règle du sens clair que la Cour suprême du Canada a récemment appliquée dans l'arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex (2002), 212 D.L.R. (4th) 1, au paragraphe 26:
Voici comment, à la p. 87 de son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), Elmer Driedger a énoncé le principe applicable, de la manière qui fait maintenant autorité:
[traduction] Aujourd'hui, il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. |
[18]L'avocate du demandeur a soutenu que les mots en question devraient être interprétés comme voulant dire [traduction] «la paie de base par opposition à des formes exceptionnelles de rétribution» telles que les primes, la paie de vacances, les gratifications et ainsi de suite dont il est fait mention à l'alinéa 23(1)b).
[19]De son côté, l'avocat des défendeurs nous demande de tenir compte des définitions communes du mot «régulier», ce mot voulant notamment dire ce qui suit: se produisant, se répétant ou fonctionnant à des moments ou intervalles fixes. À mon avis, le mot «régulier», lorsqu'il est employé en vue de qualifier les mots «un salaire, un traitement ou des commissions» vise clairement les paiements qui sont normalement ou habituellement versés à un employé sur une base continue, par exemple, les paiements reçus par un employé pour du travail effectué à temps plein ou à temps partiel.
[20]En vertu de l'article 13 de la Loi sur les langues officielles [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31], les deux versions d'une loi ont également force de loi ou même valeur. Cette disposition est ainsi libellée:
13. Tous les textes qui sont établis, imprimés, publiés ou déposés sous le régime de la présente partie dans les deux langues officielles le sont simultanément, les deux versions ayant également force de loi ou même valeur.
Cette notion de continuité ou de répétition est donc renforcée par la version française du paragraphe 23(1.1), où il est fait mention de la période de paie pour laquelle un salaire «[a] été versé sur une base régulière». Étant donné que les deux versions du Règlement ont également force de loi ou même valeur et que la version française est claire, je suis d'avis que cette version devrait régir l'interprétation du paragraphe 23(1.1).
[21]La Cour suprême du Canada a interprété le mot «régulièrement» employé dans le contexte de la question de savoir si un employé exerçait régulièrement une autre profession en vertu de l'ancienne Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, ch. 48]. Dans cette affaire-là, la Cour a retenu la conclusion du juge-arbitre selon laquelle le mot «régulièrement» visait la «continuité» de l'emploi. La Cour a en outre statué que le mot «régulièrement» peut être opposé aux mots «occasionnel» et «intermittent». Ainsi, la Cour a fait une distinction entre un emploi régulier et un emploi «d'un jour ou deux, ici et là, sans engagement ferme de la part du prestataire ou de son nouvel employeur» (voir Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, aux pages 8 et 9).
[22]Dans ce cas-ci, la preuve montre que les employés touchés ont été rappelés au travail parce qu'il y avait du travail supplémentaire à effectuer à court terme. Il s'agissait d'un événement ne se produisant qu'une fois au mois de janvier 1999. En outre, ce travail visait une fin restreinte, il ne donnait pas lieu à un emploi permanent, et il ne pouvait pas être considéré comme se répétant. Il s'agissait d'un travail occasionnel et intermittent. De plus, les défendeurs n'ont pas été licenciés au mois de janvier 1999 étant donné que ni l'une ni l'autre partie ne s'était fermement engagée à un emploi continu.
[23]En l'espèce, le juge-arbitre a conclu que l'argent qui avait été gagné au mois de janvier ne constituait pas un salaire ou un traitement versé sur une base régulière parce que la période de rappel de cinq jours ne constituait pas un renouvellement de l'emploi des défendeurs ou une prorogation de la période antérieure d'emploi, mais qu'il s'agissait d'une affectation pour une durée fort brève. L'interprétation donnée par le juge-arbitre aux mots figurant au paragraphe 23(1.1) est correcte. Il s'ensuit que les paiements qui ont été versés pour le travail effectué au mois de janvier n'étaient pas un salaire ou un traitement versés sur une base régulière; à mon avis, la décision que le juge-arbitre a rendue au sujet de la question de droit et de fait était donc raisonnable. Je souscris à la conclusion du juge-arbitre selon laquelle la dernière période de paie régulière est celle qui a pris fin le 18 décembre 1998 et non, comme le soutient le demandeur, la période allant du 7 au 13 janvier 1999.
[24]Je rejetterais cette demande de contrôle judiciaire avec dépens.
Le juge Isaac, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
Le juge Sharlow, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.