Référence : |
Temple c. VIA Rail Canada Inc., 2009 CF 858, [2010] 4 R.C.F. 80 |
T-1165-02 |
T-1165-02
2009 CF 858
Margaret Temple (demanderesse)
c.
VIA Rail Canada Inc. (défenderesse)
et
Le Commissaire aux langues officielles du Canada (intervenant)
Répertorié : Temple c. Via Rail Canada Inc.
Cour fédérale, juge Martineau—Winnipeg, 21 avril; Ottawa, 9 septembre 2009.
Il s’agissait d’une demande (entendue en même temps que quatre demandes semblables) en vue d’obtenir une réparation en vertu de l’article 77 de la Loi sur les langues officielles (la LLO) dans le cadre de laquelle la demanderesse a contesté la légalité des exigences de bilinguisme de VIA Rail Canada Inc. (VIA) pour les postes de directeur des services (DS) et de coordonnateur adjoint des services (CAS) sur les trajets ferroviaires qui n’ont pas été désignés bilingues par le Secrétariat du Conseil du Trésor (le SCT). La demanderesse travaille pour VIA depuis 1985. Elle travaille comme membre du personnel itinérant des services dans les trains et sa gare d’attache est Winnipeg. Dans l’Ouest du Canada, les services de VIA consistent en le Transcontinental de l’Ouest, qui s’adresse surtout au marché touristique national et étranger. VIA exploite également quatre trajets éloignés. En janvier 2000, la demanderesse a déposé une plainte en vertu de l’article 58 de la LLO auprès du commissaire aux langues officielles, prétendant qu’elle avait été victime de discrimination de la part de VIA parce qu’elle était une employée unilingue anglophone. Des plaintes semblables ont été déposées par 38 autres employés itinérants anglophones des services dans les trains dont la gare d’attache est Winnipeg ou Vancouver. Ils sont tous liés par la convention collective no 2 régissant le personnel itinérant des services dans les trains conclue par VIA et le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (les TCA).
VIA est une société d’État et une institution fédérale à laquelle la LLO s’applique. Elle a donc l’obligation constitutionnelle ou quasi constitutionnelle de voir à ce que les voyageurs puissent, dans l’une ou l’autre des langues officielles, communiquer avec elle ou en recevoir des services à son siège social et où il y a une demande importante, ainsi que lorsque la vocation du bureau justifie l’emploi des deux langues officielles. Ces obligations découlent de l’article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que des articles 23 et 24 de la LLO. En 1986, VIA a introduit une politique d’embauche d’employés bilingues pour les postes de première ligne pour augmenter sa capacité bilingue et accroître l’offre de services bilingues à sa clientèle. En 1998, VIA a adopté le programme une ère nouvelle pour les services voyageurs (ENSV) pour fournir un service uniforme dans les deux langues officielles dans l’ensemble du Canada et à voir à ce qu’il y ait suffisamment d’employés bilingues à bord de ses trains. Par suite de cette initiative, l’ancien poste unilingue de DS a été aboli et VIA et les TAC se sont entendus, dans un protocole d’entente conclu en 1998 (l’entente de 1998) sur la création de trois nouvelles classifications DS bilingues et pour fournir la formation en français.
Les allégations des 39 plaignants portaient sur la politique d’embauche de VIA et les exigences de bilinguisme relatives aux postes de DS et de CAS sur tous les trains en service dans l’Ouest du Canada. Le commissaire a mené une enquête en vertu des articles 39 et 91 de la LLO, tout en tenant compte des obligations linguistiques de VIA envers les voyageurs dans l’Ouest du Canada. L’article 39 de la LLO traite des droits linguistiques généraux en matière de recherche d’emploi et d’avancement alors que l’article 91 traite des dotations en personnel dans les institutions fédérales. En 2002, le rapport final d’enquête du commissaire a été publié. Selon ce rapport, certaines de prétentions communes concernant les politiques et les pratiques de VIA en matière d’exigences linguistiques pour les trains dans l’Ouest du Canada étaient bien fondées, alors que certaines autres ne l’étaient pas. La demanderesse, qui a limité aux trajets éloignés dans l’Ouest du Canada sa contestation de la légalité des exigences de bilinguisme quant aux postes de CAS et de DS, sollicitait notamment un jugement déclarant que VIA avait contrevenu aux articles 39 et 91 de la LLO ainsi qu’une ordonnance enjoignant à VIA de se conformer à certaines recommandations du rapport du commissaire en dispensant à la demanderesse de la formation relative aux postes de CAS et de DS, ainsi que de la formation en langue française.
Les questions en litige étaient celles de savoir si la Cour fédérale avait compétence en vertu du paragraphe 77(1) de la LLO pour entendre et trancher la demande en l’espèce; dans l’affirmative, si les exigences de bilinguisme pour les postes de DS et de CAS en litige s’imposaient objectivement au sens de l’article 91 de la LLO; et si les exigences de bilinguisme pour ces postes ne s’imposaient pas objectivement, qu’est-ce qui constituait une réparation convenable et juste au sens du paragraphe 77(4) de la LLO.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La Cour fédérale avait compétence pour entendre et trancher l’affaire malgré les attributions concurrentes de compétence prévues dans la LLO et le Code canadien du travail. Le litige ne découlait pas exclusivement de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains. Le fond de la plainte de la demanderesse est qu’en 1998, VIA et les TCA ont négocié une entente qui violait prétendument ses droits linguistiques garantis par la Charte et par la LLO. Qui plus est, la LLO et ses règlements forment un régime légal complet qui régit toutes les questions qui ont trait aux droits linguistiques au sein des institutions fédérales. Selon le paragraphe 77(1) de la LLO, quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévu à l’article 91 peut former un recours devant le tribunal. Cependant, ce recours n’est pas exclusif; il s’ajoute à d’autres recours. Bien que l’arbitre en droit du travail possède certainement le pouvoir juridique d’interpréter et d’appliquer la Charte et les lois externes dans le cas de mesures de dotation régies par la convention collective, en définitive, il s’agissait de savoir quel est le tribunal qui « convient le mieux », compte tenu de l’intention du législateur et de la nature du litige. En l’espèce, la question soulevée par la demanderesse allait bien au-delà de la simple interprétation ou de la simple application du libellé de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains ou de l’entente de 1998, la question outrepassait la compétence normale de l’arbitre de griefs en matière de relations de travail. Par conséquent, la compétence de la Cour fédérale quant à l’examen de la légalité des mesures de dotation contestées conférée par le paragraphe 77(1) de la LLO n’a pas été écartée par la procédure d’arbitrage de griefs prévue au paragraphe 57(1) du Code du travail.
Les exigences de bilinguisme quant aux deux postes en litige s’imposaient objectivement en vertu de l’article 91 de la LLO. Cette dernière crée un ensemble de droits linguistiques fondés sur les obligations imposées au gouvernement fédéral par la Charte. Selon l’article 91, une institution fédérale ne peut pas, en prétextant vouloir exécuter ses obligations prévues à la partie IV ou à la partie V de la LLO, fixer des exigences linguistiques qui ne sont pas objectivement liées à la prestation de services bilingues dans le contexte dans lequel ces fonctions sont exécutées par le fonctionnaire. Dans le cadre d’une analyse faite au regard de l’article 91, l’accent est mis sur « les fonctions pour lesquelles les mesures de dotation contestées ont été prises » — en l’espèce, la dotation des postes de CAS et de DS par des employés bilingues à la suite de la mise en oeuvre du programme ENSV en 1998. Il y avait des fonctions et des responsabilités pour les postes de DS et de CAS qui justifiaient les exigences de bilinguisme. Le fait que les trajets ferroviaires éloignés n’avaient pas été désignés bilingues par le SCT ne constituait pas une preuve concluante établissant que les exigences de bilinguisme pour des postes de première ligne n’étaient pas objectivement justifiées. Le Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services établi en vertu de la partie IV de la LLO énumère des cas précis où les gares ferroviaires ou les trajets sont « réputés » satisfaire aux critères de la « demande importante » ou de la « vocation du bureau ». Par conséquent, le règlement établit une présomption légale facilitant la preuve que les critères prévus dans la Charte ou dans la LLO sont satisfaits, mais ils ne sont pas exhaustifs et ils ne devraient pas être interprétés et appliqués de façon rigoureuse. Il ne fixe que les normes minimales concernant la prestation de services bilingues. Les considérations en matière de demande linguistique et de sécurité (un des motifs pour la désignation bilingue des postes de CAS et de DS) justifient objectivement la désignation bilingue d’un nombre minimal de postes de première ligne.
La Directive sur la dotation des postes bilingues du Conseil du Trésor précise qu’on devrait avoir recours à la dotation impérative (terme employé dans la fonction publique du Canada selon lequel seules les candidatures des demandeurs qui satisfont à toutes les exigences du poste sont examinées) lorsque, par exemple, le poste bilingue est l’un des rares postes bilingues dans un bureau offrant des services au public. Les postes de DS et de CAS sont des postes de première ligne qui sont occupés sur chaque train par un seul titulaire. Par conséquent, les désignations par VIA satisfaisaient aux critères de la « dotation impérative ». Compte tenu de la preuve au dossier et notamment des considérations accrues en matière de sécurité associées aux activités de VIA et de son mandat à titre de société d’État, il n’était pas déraisonnable que VIA désigne comme bilingues certains postes clés sur ses trains qui parcourent le pays. Les fonctions et les responsabilités des titulaires des postes de DS et de CAS en litige dans la région de l’Ouest, et ailleurs au Canada, justifiaient une désignation bilingue.
À la lumière de ces conclusions, aucune des réparations demandées par la demanderesse n’a été accordée. Même si les exigences de bilinguisme pour les deux postes en litige n’étaient pas objectivement justifiées, la plupart des réparations demandées n’auraient pas été accordées. Dans la présente affaire, il était très difficile de distinguer les recommandations relatives à l’article 91 faites dans le rapport final du commissaire des recommandations relatives à l’article 39. Bien qu’une violation de l’article 91 permette à la Cour d’accorder une réparation en vertu du paragraphe 77(4), aucune réparation ne peut être accordée par la Cour dans le cas d’une violation de l’article 39. La disposition qui permet à la Cour d’accorder réparation, soit le paragraphe 77(1), comprend une liste exhaustive. La partie VI, dans laquelle se trouve l’article 39, n’est pas mentionnée au paragraphe 77(1). Même s’il était établi qu’il y a eu violation de l’article 39, la Cour n’aurait pas compétence pour accorder réparation en vertu du paragraphe 77(4) quant à cette violation.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 20.
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 56, 57 (mod. par L.C. 1998, ch. 26, art. 59b)(A)), 58 (mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 153(A); 2002, ch. 8, art.
182(1)e)).
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 7 (mod. par L.C. 2002, ch. 7, art. 225), 9, 11, 12, 22, 23, 24 (mod. par L.C. 2005, ch. 46, art. 56.5; 2006, ch. 9, art. 96, 222), 39, 41 (mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 1; 2006, ch. 9, art. 23), 46(2)c), f), 58, 77 (mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 2), 81, 82, 91.
Loi sur les langues officielles, S.C. 1968-69, ch. 54.
Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48, art. 7, 8, 9, 11, 12.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 C.F. 90 (1re inst.); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.
décisions examinées :
Norton c. VIA Rail Canada Inc., 2009 CF 704; Norton c. VIA Rail Canada Inc., 2002 CFPI 1175, conf. par 2004 CF 406, inf. par 2005 CAF 205, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2005] 3 R.C.S. viii; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CSC 39, [2004] 2 R.C.S. 185; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157; Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28, [2004] 1 R.C.S. 727; Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650.
décisions citées :
VIA Rail Canada Inc. (Re), [1998] D.C.C.R.T. no 15 (QL); VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, 2001 CAF 133, [2001] 4 C.F. 139; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2001] 3 R.C.S. xi; George Cairns et autres, [2003] CCRI no 230; VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, 2004 CAF 194, [2005] 1 R.C.F. 205, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2005] 1 R.C.S. xvii; Marchessault c. Société canadienne des postes, 2003 CAF 436; Bonner c. VIA Rail Canada Inc., 2009 CF 857; Collins c. VIA Rail Canada Inc., 2009 CF 860; Seesahai c. VIA Rail Canada Inc., 2009 CF 859; St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704; Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666; Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.); R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8, [2009] 1 R.C.S. 194; Côté c. Canada, [1994] A.C.F. no 423 (1re inst.) (QL); Canada (Procureur général) c. Asselin, [1995] A.C.F. no 846 (1re inst.) (QL); Rogers c. Canada (Ministère de la Défense nationale), 2001 CFPI 90; Rogers c. Canada (Service correctionnel), [2001] 2 C.F. 586 (1re inst.); Marchessault c. Société canadienne des postes, 2002 CFPI 1202; Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207; Thibodeau c. Air Canada, 2007 CAF 115; Ayangma c. Canada, 2002 CFPI 707, conf. par 2003 CAF 149; Sherman c. M.R.N., 2003 CAF 202, [2003] 4 C.F. 865; Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 137.
DOCTRINE CITÉE
DEMANDE en vue d’obtenir une réparation en vertu de l’article 77 de la Loi sur les langues officielles dans le cadre de laquelle la demanderesse a contesté la légalité des exigences de bilinguisme de VIA Rail Canada Inc. pour les postes de directeur des services et de coordonnateur adjoint des services sur les trajets ferroviaires qui n’ont pas été désignés bilingues par le Secrétariat du Conseil du Trésor. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Margaret Temple pour son propre compte.
Rachel Ravary et André L. Baril pour la défenderesse.
Pascale Giguère et Kevin Shaar pour l’intervenant.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour la défenderesse.
Commissariat aux langues officielles, Services juridiques, Ottawa, pour l’intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Martineau : Par la présente demande formée en vertu de l’article 77 [mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 2] de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (la LLO), la demanderesse, Mme Margaret Temple, conteste la légalité des exigences de bilinguisme de VIA Rail Canada Inc. (VIA) pour les postes de directeur des services (DS) et de coordonnateur adjoint des services (CAS) sur les trajets ferroviaires qui n’ont pas été désignés bilingues par le Secrétariat du Conseil du Trésor (le SCT).
[2] La demande est rejetée. Par souci de commodité, les dispositions légales et réglementaires mentionnées dans les présents motifs sont reproduites en annexe.
I. LA PLAINTE DÉPOSÉE DEVANT LE COMMISSAIRE
[3] La demanderesse travaille pour VIA depuis le 6 juin 1985. Elle travaille comme membre du personnel itinérant des services dans les trains et sa gare d’attache est Winnipeg. En 2003, la demanderesse a subi une blessure et elle est en congé d’invalidité depuis le 14 juillet 2004. De plus, en 2002 et en 2004, la demanderesse a été en congé d’invalidité et elle s’est ainsi absentée du travail pendant de longues périodes de temps. Dans l’Ouest du Canada, les services de VIA consistent en le Canadien, son légendaire train transcontinental qui assure la liaison entre Vancouver et Toronto (le Transcontinental de l’Ouest) et qui s’adresse surtout au marché touristique national et étranger. VIA exploite également quatre « trajets éloignés », lesquels comprennent le trajet entre Winnipeg et Churchill (desservi par la Baie d’Hudson) et le trajet entre Jasper et Prince Rupert (desservi par le Skeena). Le 20 janvier 2000 ou vers cette date, la demanderesse a déposé une plainte en vertu de l’article 58 de la LLO auprès du commissaire aux langues officielles (le commissaire), l’intervenant dans la présente demande.
[4] Dans sa plainte, la demanderesse prétendait qu’elle avait été victime de discrimination de la part de VIA parce qu’elle était une employée unilingue anglophone. Sa plainte était ainsi libellée :
[traduction] J’écris pour déposer une plainte contre VIA Rail Canada Inc. qui a agi de façon discriminatoire à mon égard en raison de la langue.
Depuis 1986, VIA Rail a imposé une politique d’embauche de personnel bilingue pour ses nouveaux employés et elle a établi deux postes bilingues qui m’ont empêchée d’obtenir de l’avancement au sein de la société. Les deux postes qui me touchent sont ceux de coordonnateur adjoint des services et de directeur des services. Lorsque VIA Rail a adopté la politique de bilinguisme, elle n’a dispensé, à moi qui suis une employée unilingue, aucune formation visant à me permettre d’améliorer mes compétences linguistiques et à me donner la chance de pouvoir postuler pour ces deux postes bilingues.
Même si le poste de coordonnateur adjoint des services a remplacé l’ancien poste de préposé aux services passagers, le nouveau poste, dont le titulaire est dorénavant affecté à la voiture‑restaurant, a entraîné la suppression d’un poste unilingue à cet endroit.
Avant 1988, VIA Rail offrait des cours de langue française aux employés. Les derniers cours ont eu lieu en 1987. Les cours ont été remplacés par un cours par correspondance qui comprenait 7 livres représentant 7 niveaux que je devais assimiler durant mes temps libres et l’apprentissage était supervisé par téléphone toutes les six semaines. Cette forme de cours ne permet pas à une personne de s’immerger complètement dans la langue française afin de pouvoir converser de façon efficace et de pouvoir être considérée comme étant bilingue dans une période de temps raisonnable. Le cours dure environ quatre à six ans.
Ma rémunération a été touchée car les possibilités d’avancement ont été mises en échec par ce cours par correspondance. Des employés subalternes bilingues ont occupé durant toute l’année des postes à temps plein pour lesquels la rémunération est plus élevée de 3 $ à 8 $ à celle des postes unilingues et j’ai été soit licenciée tous les ans, soit empêchée d’occuper des postes bilingues en raison de la langue.
Dans les dernières années, VIA Rail a reclassé son poste de directeur des services en le rendant également bilingue. Ce faisant, la société a reclassé des postes unilingues une fois de plus en faveur de la langue française. Même si cette fois‑ci de la formation est offerte en salle de classe, il faut déjà être directeur des services pour être admissible à la formation en langue française pour le poste de directeur des services. Durant nos négociations contractuelles en 1998, il a été convenu que les employés unilingues auraient la possibilité d’être admissibles au poste de directeur des services, puis de suivre une formation en langue française afin d’être admissibles au poste. Dans l’Ouest du Canada, la direction de VIA ne permettait pas à des unilingues de passer des entrevues pour ce poste (même si la demande de formation mentionne toujours que la préférence est accordée) et n’acceptait que les personnes bilingues, même si la formation en langue française avait été offerte aux candidats unilingues qui auraient été acceptés.
On m’a empêchée de toutes les façons, depuis que VIA Rail est devenue bilingue, d’obtenir le taux de rémunération le plus élevé et on m’a refusé la possibilité d’obtenir une formation linguistique satisfaisante. Cet acte discriminatoire commis par cette société a des conséquences sur mon revenu, sur mes prestations de retraite et sur mon amour‑propre, et la fierté dont je fais généralement preuve à l’égard de cette société d’État s’amenuise.
Je crois comprendre que, lorsque les lois bilingues du pays sont entrées en vigueur, les personnes qui travaillaient dans les domaines de compétence fédérale auraient une formation en langue française et que les nouveaux postes seraient mis en place objectivement avec peu de répercussions de telle sorte que le principe de l’égalité des chances en milieu de travail ne serait pas violé.
On a nui à mes possibilités d’avancement et j’estime que j’ai été victime de discrimination en raison de la langue. Je vous demande justice et donc de sanctionner VIA Rail pour le préjudice que j’ai subi en raison de ses actions.
[5] Les postes de DS et de CAS mentionnés dans la plainte sont deux postes de première ligne occupés par des employés itinérants des services dans les trains. Des plaintes semblables ont été déposées par 38 autres employés itinérants anglophones des services dans les trains dont la gare d’attache est Winnipeg ou Vancouver. Ils sont tous liés par les modalités de la convention collective no 2 régissant le personnel itinérant des services dans les trains (la convention collective) conclue par VIA et le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (les TCA).
[6] À l’époque où elle a déposé sa plainte, la demanderesse était la présidente de la section locale des TCA à Winnipeg. Dans sa plaidoirie à la Cour, elle a expliqué que des employés unilingues insatisfaits se sont réunis et qu’en collaboration avec M. Stan Pogorzelec, qui était le représentant régional pour les négociations des TCA pour l’ensemble de l’Ouest du Canada, elle a rédigé une plainte officielle. Les faits qui sont à l’origine de leur conflit avec VIA sont énoncés dans la section suivante.
II. LES FAITS QUI SONT À L’ORIGINE DU CONFLIT
[7] VIA a été constituée en société d’État en 1978 afin de fournir à l’année, aux Canadiens, des services ferroviaires de passagers sûrs et efficaces dans les petites et dans les grandes collectivités, y compris dans de nombreuses collectivités où le transport ferroviaire est le seul mode de transport qui est offert. Contrairement à ses homologues du secteur privé, VIA est un instrument important de la politique gouvernementale en matière de transport, d’emploi et de promotion de la dualité linguistique et du bilinguisme au Canada.
[8] Il convient de souligner qu’à titre de société d’État et à titre d’« institution fédérale » à laquelle la LLO s’applique, VIA a l’obligation constitutionnelle ou quasi constitutionnelle de voir à ce que les voyageurs puissent, dans l’une ou l’autre des langues officielles, communiquer avec elle et en recevoir les services à son siège social, dans les bureaux régionaux, les gares ferroviaires et les trains où il y a une « demande importante », ainsi que lorsque la « vocation du bureau » justifie l’emploi des deux langues officielles. Cette obligation découle directement du paragraphe 20(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), ainsi que des articles 23 et 24 [mod. par L.C. 2005, ch. 46, art. 56.5; 2006, ch. 9, art. 96, 222] de la LLO, qui figurent à la partie IV [art. 21 à 33] de cette loi.
[9] Bien que la LLO réaffirme un certain nombre de valeurs et de droits linguistiques reconnus par la Charte, elle impose non seulement un certain nombre d’obligations précises aux institutions fédérales, elle les encourage également à prendre des mesures concrètes afin de favoriser les objectifs généraux visés par la LLO. À cet égard, les politiques linguistiques de VIA font l’objet d’un contrôle de la part de diverses institutions publiques, notamment de la part de la direction des langues officielles du Conseil du Trésor, et ce, grâce à des examens annuels, et de la part du commissaire aux langues officielles, qui est chargé de promouvoir la LLO et de voir à ce qu’elle soit complètement mise en œuvre, de protéger les droits linguistiques des Canadiens et de promouvoir la dualité linguistique et le bilinguisme.
[10] En 1986, avec l’appui du commissaire, VIA a introduit une politique d’embauche d’employés bilingues pour les postes de première ligne. Son but était d’augmenter sa capacité bilingue et d’accroître l’offre de services bilingues à sa clientèle. Depuis, VIA a poursuivi son engagement à fournir un service uniforme dans l’ensemble du Canada et à assurer la sécurité et le bien‑être de ses passagers en voyant à ce qu’il y ait des employés bilingues à bord de ses trains. À cet égard, VIA a toujours adopté une approche pratique, soit de désigner des postes de première ligne précis comme étant bilingues uniquement lorsque le statu quo n’a pas réussi à répondre aux besoins en matière de bilinguisme dans l’ensemble du système, comme en fait foi l’annexe 6 de la convention collective.
[11] Par conséquent, la majorité des postes de première ligne à bord des trains n’ont pas été désignés bilingues par VIA. En fait, avant 1998, un seul poste, celui de CAS, était désigné bilingue, et ce, depuis sa création en 1986, afin de garantir un minimum de personnel bilingue à bord des trains de VIA, et ce, pour des raisons de sécurité.
[12] Parmi les postes de première ligne qui n’ont jamais été désignés bilingues figurent l’ancien poste de DS, dont les fonctions ont été considérablement modifiées en 1998 par le programme une ère nouvelle pour les services voyageurs (ENSV), décrit ci‑dessous, ainsi que les postes de coordonnateur des services (CS), coordonnateur des activités (CA), préposé principal aux services (PPS) et préposé aux services (PS). En plus de posséder les compétences pour les postes de préposé aux services, de cuisinière et de PPS, la demanderesse possède également les compétences pour le poste de CS.
[13] Traditionnellement, les employés des chemins de fer canadiens faisant partie du personnel itinérant, c’est-à-dire le personnel embauché pour assurer un service à bord des trains, étaient classés, aux fins de la négociation collective, en deux grandes catégories : les mécaniciens de locomotive et les chefs de train. Pendant des décennies, ces métiers ont été représentés par des agents négociateurs différents : les mécaniciens, par la Fraternité internationale des ingénieurs de locomotives (la FIL), et les chefs de train, par les Travailleurs unis des transports (les TUT). Ces unités ont été parties à de nombreuses conventions collectives et à d’autres accords négociés avec Canadien Pacifique Limitée (CP) et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), et la société qui leur a succédé en matière de services passagers, VIA. Les employés de bureau et les autres employés travaillant à bord des trains étaient membres de différentes unités de négociation, dont l’une représentait les membres du personnel itinérant des services dans les trains, y compris les employés de la société s’occupant de la préparation des aliments et des boissons servis dans les trains, qui sont actuellement représentés par les TCA.
[14] Durant les années 1990, malgré sa politique d’embauche d’employés bilingues et malgré la désignation bilingue du poste de CAS, VIA a continué de subir des pressions externes très importantes, en particulier de la part du commissaire, pour qu’elle fournisse des services bilingues adéquats aux voyageurs dans les gares et à bord des trains. En 1991, le commissaire a demandé à la Cour d’ordonner à VIA de corriger de présumées lacunes dans les services en français offerts aux voyageurs dans le triangle Montréal–Ottawa–Toronto (Commissaire aux langues officielles du Canada c. VIA Rail Canada Inc. et al., dossier de la Cour fédérale T‑1389‑91). À cette époque, VIA a prétendu que les dispositions sur l’ancienneté figurant dans les diverses conventions collectives l’empêchaient d’agir. En effet, des règles rigides en matière d’affectation et d’exécution du travail négociées avec les syndicats ou héritées de ses prédécesseurs limitaient la prestation par VIA de services bilingues dans différentes parties du Canada. En 1997, l’instance devant la Cour a été suspendue afin de permettre à VIA de négocier de nouvelles règles concernant l’exécution du travail avec les syndicats et d’en arriver à un règlement satisfaisant.
[15] En 1998, VIA a mis en œuvre le programme ENSV dans le cours de son engagement à fournir un service uniforme dans les deux langues officielles dans l’ensemble du Canada et à voir à ce qu’il y ait suffisamment d’employés bilingues à bord de ses trains. Par conséquent, les équipes de train ont été restructurées; plus précisément, en vertu du programme ENSV, les responsabilités des chefs de train en matière de fonctionnement ont été fusionnées avec celles des mécaniciens de locomotive et les responsabilités en matière de sécurité ont été confiées aux employés qui occupaient les postes de DS. Les mesures prises en vertu du programme ENSV quant aux équipes de train ont été appliquées dans l’ensemble du Canada et non pas seulement dans l’Ouest du Canada. Le programme ENSV visait non seulement le personnel itinérant des services dans les trains représenté par les TCA, mais également d’autres groupes d’employés représentés par d’autres syndicats.
[16] Les efforts déployés par VIA afin de fournir de meilleurs services bilingues se sont concrétisés avec le programme ENSV, comme l’a ultérieurement mentionné le commissaire dans son rapport annuel, dans lequel il est souligné que le principe de l’ancienneté a été réduit lors de la formation des unités de travail afin de respecter le principe voulant que le public puisse recevoir des services soit en français, soit en anglais (voir Droits linguistiques 1999‑2000, Commissariat aux langues officielles, ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada, 2001, en ligne : <http://www.ocol-clo.gc.ca/html/lr_dl_1999_00_f.php>). En fait, quelque huit ans après l’introduction de la demande visant à obtenir la délivrance d’une ordonnance de faire contre VIA, ainsi qu’il ressort du dossier de la Cour, un avis de désistement a été déposé par le commissaire le 21 juin 1999.
[17] Compte tenu du programme ENSV, l’ancien poste unilingue de DS a été aboli et VIA et les TCA se sont entendus, dans un protocole d’entente conclu le 11 mars 1998 (l’entente de 1998), sur la création de trois nouvelles classifications DS bilingues (DS (Transcontinental), DS (corridor) et DS (trajets éloignés)) (voir les articles 2, 3, 4, 5 et 6 de l’entente de 1998). De plus, un deuxième poste de CAS a été créé à bord du Transcontinental de l’Ouest afin de garantir la présence de personnel bilingue pendant que le DS se repose durant la nuit (voir l’article 12 de l’entente de 1998).
[18] À la suite de la mise en œuvre du programme ENSV en juillet 1998, VIA disposait de 24 affectations régulières : 31 employés avaient suivi une formation de DS. À la fin de 1998, elle disposait de 37 employés formés. La demanderesse ne faisait pas partie de ces employés. Ceci étant dit, en ce qui concerne la formation en français, VIA et les TCA ont convenu lors des dernières négociations que 10 possibilités de formation linguistique par année seraient offertes en 2005 et en 2006 aux membres du syndicat de l’ensemble du réseau, plus particulièrement aux employés désirant travailler comme DS à bord du Skeena.
[19] Par conséquent, le programme ENSV offrait au personnel itinérant des services dans les trains qui possédait les compétences requises pour occuper les postes nouvellement créés des possibilités d’emploi additionnelles ainsi qu’une rémunération accrue. Par contre, il comportait une perte de travail ou une diminution des responsabilités du personnel itinérant dont les postes et les unités de négociation avaient été fusionnés (mécaniciens de locomotive et chefs de train). Plus particulièrement, en ce qui concerne les chefs de train, dont les responsabilités en matière de sécurité avaient été transférées aux DS, le programme ENSV a eu des conséquences importantes. En fait, un groupe d’anciens chefs de train (autrefois représentés par les TUT) ont déposé une plainte pour manquement au devoir de représentation juste contre la FIL (leur nouvel agent négociateur) auprès du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) à la suite de la négociation avec VIA de l’entente de 1998 quant aux équipes de bord qui a considérablement limité leurs chances d’obtenir les compétences nécessaires pour pouvoir occuper le nouveau poste de mécanicien de locomotive.
[20] La décision du Conseil d’accueillir la plainte et d’ordonner que VIA et la FIL prennent des mesures correctives a entraîné une bataille juridique longue et complexe (voir VIA Rail Canada Inc. (Re), [1998] D.C.C.R.T. no 15 (QL); VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, 2001 CAF 133, [2001] 4 C.F. 139, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2001] 3 R.C.S. xi (Cairns no 1); George Cairns et autres, [2003] CCRI no 230; VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, 2004 CAF 194, [2005] 1 R.C.F. 205, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2005] 1 R.C.S. xvii (Cairns no 2)).
[21] Par contre, après plus de 10 ans, aucune plainte pour manquement au devoir de représentation juste n’a été déposée par le personnel itinérant des services dans les trains contre les TCA à la suite du programme ENSV ou à la suite de la conclusion de l’entente de 1998. Ceci étant dit, la demanderesse a mentionné à la Cour, en avril 2009, que les demandeurs pouvaient déposer au Conseil une plainte pour manquement au devoir de représentation juste si la Cour concluait que les exigences de bilinguisme pour les postes de DS et de CAS contrevenaient aux droits linguistiques dont jouissaient les employés unilingues en 1998.
III. L’ENQUÊTE ET LE RAPPORT DU COMMISSAIRE
[22] Devant le commissaire, les 39 plaignants ont directement mis en doute la validité des désignations bilingues faites en vertu de l’entente de 1998, qui a été expressément négociée et conclue par les TCA au cours de la médiation menée en avril 1998 par l’ancien arbitre George W. Adams. Dans leur attaque en règle contre la politique d’embauche de VIA et contre les exigences de bilinguisme relatives aux postes de DS et de CAS sur tous les trains en service dans l’Ouest du Canada, y compris le Transcontinental de l’Ouest, les plaignants ont néanmoins reconnu que VIA avait des obligations linguistiques envers les voyageurs.
[23] Toutefois, les plaignants ont prétendu que jusqu’à 75 p. 100 des employés du Transcontinental de l’Ouest étaient déjà bilingues (chiffre qui a été contesté par VIA). Selon eux, la capacité bilingue du personnel de bord avait atteint un point où VIA pouvait garantir la prestation de services aux passagers dans les deux langues officielles sans nuire aux possibilités d’avancement et d’emploi des employés unilingues. Ils ont reconnu que VIA prenait certaines mesures visant à aider les employés unilingues, notamment en ce qui concerne la formation en langue seconde, mais ils ont estimé que ces mesures étaient inadéquates.
[24] Puisque les pratiques et les politiques en matière d’emploi qui ont fait l’objet des 39 plaintes ne touchaient que les employés anglophones et puisque les affectations aux équipes de bord étaient réputées constituer des mesures de dotation, les allégations formulées par les 39 plaignants ont fait l’objet d’une enquête de la part du commissaire en vertu des articles 39 et 91 de la LLO, tout en tenant compte des obligations linguistiques de VIA envers les voyageurs dans l’Ouest du Canada.
[25] L’article 39 de la LLO, qui figure à la partie VI [art. 39 et 40], traite des droits linguistiques généraux en matière de recherche d’emploi et d’avancement. Plus particulièrement, le paragraphe 39(2) exige que les institutions fédérales « veillent [. . .] à ce que l’emploi soit ouvert à tous les Canadiens, tant d’expression française que d’expression anglaise » et tiennent compte « des objets et des dispositions des parties IV et V relatives à l’emploi ». La partie IV a déjà été mentionnée ci‑dessus (voir le paragraphe 8). La partie V [art. 34 à 38] crée des droits et des obligations relativement à la langue de travail. L’article 91, qui figure à la partie XI [art. 82 à 93], traite des dotations en personnel dans les institutions fédérales; il oblige les institutions fédérales à utiliser des critères objectifs pour déterminer les exigences linguistiques de chaque poste.
[26] Le Conseil du Trésor peut donner des instructions pour l’application des parties IV, V et VI et peut informer le public et le personnel des institutions fédérales sur les principes et programmes d’application des parties IV, V et VI (voir les alinéas 46(2)c) et f) de la LLO). Bien que VIA, à titre de société d’État, et, donc, à titre d’employeur distinct, ne soit pas soumise aux politiques et aux directives du SCT, le commissaire a estimé qu’elle devait, à titre d’institution fédérale, respecter les principes sous-jacents et l’objet des politiques du Secrétariat en matière de langues officielles. Par conséquent, le commissaire a examiné la légalité des exigences de VIA en matière de bilinguisme en fonction de la directive du Conseil du Trésor quant à la dotation impérative et non impérative des postes bilingues dans la fonction publique fédérale.
[27] En outre, en ce qui concerne la portée des obligations linguistiques, le commissaire s’est grandement fié à Burolis, la base de données du gouvernement du Canada qui énumère les bureaux à l’extérieur de la région de la capitale fédérale qui, selon le SCT, satisfont au critère de la « demande importante » prévu dans le Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, DORS/92‑48 (le Règlement). À l’époque où les plaintes ont été déposées, le Transcontinental de l’Ouest avait été désigné par le SCT de « bureau bilingue », apparemment parce qu’il s’agit d’un train sur un trajet interprovincial dont la tête de ligne ou le terminus est situé dans une province dont la population de la minorité francophone ou anglophone représente au moins cinq pour cent de l’ensemble de la population de la province, ou qui traverse une telle province (voir le sous‑alinéa 7(4)d)(i) du Règlement). Par contre, les trajets éloignés de l’Ouest n’ont pas été désignés bilingues par le SCT, apparemment parce que moins de cinq pour cent de la demande de services faite par les voyageurs sur ces trajets était dans la langue de la minorité francophone (voir le paragraphe 7(2) du Règlement).
[28] L’enquête du commissaire a duré environ deux ans.
[29] Le 12 juin 2002 ou vers cette date, la demanderesse a été informée de la publication du rapport final du commissaire intitulé Rapport final d’enquête portant sur les exigences linguistiques et des questions connexes en ce qui concerne VIA Rail dans l’Ouest du Canada, mai 2002 (le rapport final). Sauf dans un cas non lié à la présente demande, aucune conclusion précise n’a été tirée quant au bien-fondé de l’une ou l’autre plainte ou de l’une ou l’autre mesure de dotation. Les plaignants sont considérés comme un groupe, tout comme leurs prétentions. Le commissaire a conclu à cet égard que certaines des prétentions communes concernant les politiques et les pratiques de VIA en matière d’exigences linguistiques pour les trains dans l’Ouest du Canada étaient bien fondées, alors que certaines autres ne l’étaient pas.
[30] Les prétentions communes non fondées avaient trait au poste de DS à bord du Transcontinental de l’Ouest et aux degrés de participation dans la région. En fait, le commissaire a estimé que les obligations linguistiques de VIA envers les voyageurs ainsi que le rôle et les fonctions du DS militaient en faveur des exigences de bilinguisme à l’égard du poste pour le Transcontinental de l’Ouest. Les obligations linguistiques de VIA justifiaient également un degré relativement élevé de participation francophone parmi les employés en question, compte tenu de la population de la région.
[31] Le commissaire a également reconnu qu’au moins un des postes de CAS à bord du Transcontinental de l’Ouest devait être bilingue; toutefois, selon le commissaire, les exigences de bilinguisme quant à un deuxième poste de CAS à bord du Transcontinental de l’Ouest étaient, dans une certaine mesure, contraires à l’article 91 et à la partie VI de la LLO.
[32] De plus, le commissaire a également estimé que les exigences de bilinguisme quant aux postes de DS et de CAS sur les trajets éloignés qui n’étaient pas désignés bilingues par le SCT étaient dans une certaine mesure contraires à l’article 91 et à la partie VI de la LLO et que de la formation en langue seconde devrait être dispensée au besoin. Le commissaire a également invité VIA à poursuivre, avec le SCT, des discussions visant à ce que ces itinéraires soient désignés bilingues pour des motifs de nature réglementaire autres que le critère de la demande importante (des motifs de sécurité, par exemple).
[33] D’autres questions connexes examinées dans le rapport final du commissaire avaient trait à la politique de VIA en matière d’embauche et au faible nombre de postes offerts en matière de formation linguistique en français depuis 1986.
[34] Le commissaire a estimé que les obligations de VIA envers les voyageurs justifiaient sa politique d’embauche exclusive de candidats bilingues quant aux postes de première ligne et justifiaient le maintien de cette politique dans la mesure où elle était toujours essentielle à la satisfaction de ses obligations linguistiques et d’autres exigences, comme la sécurité des passagers.
[35] En ce qui concerne le prétendu manque de formation linguistique, le commissaire a estimé que le programme qui visait les anciens DS unilingues touchés par le programme ENSV était conforme aux droits linguistiques des titulaires de poste. Toutefois, d’autres programmes de formation linguistique se sont révélés peu judicieux en raison de l’application rigoureuse du principe de l’ancienneté, qui a notamment eu pour effet que des cours de langue ont été offerts à des employés qui n’occupaient pas des postes de première ligne ou qui étaient proches de la retraite.
[36] Comme la demanderesse l’a expliqué dans son exposé oral à Winnipeg, à la suite de la publication du rapport final du commissaire, cinq jours avant l’expiration du délai de 60 jours prévu pour la présentation d’une demande à la Cour, les TCA, au niveau national, ont décidé de [traduction] « retirer leur appui [aux 39 plaignants] parce qu’ils ne voulaient pas participer à un conflit entre la société et la Loi sur les langues officielles ».
[37] Le 23 juillet 2002, la demanderesse a déposé la présente demande.
IV. LA DEMANDE DE RÉPARATION À LA COUR
[38] La présente instance n’est pas une demande de contrôle judiciaire. Il s’agit d’une demande sui generis relative à un « recours » expressément prévu à l’article 77 de la LLO (Marchessault c. Société canadienne des postes, 2003 CAF 436, au paragraphe 10) qui vise à :
a) vérifier le bien‑fondé de la plainte au commissaire eu égard à la présumée violation des droits et des obligations prévus par la LLO;
b) le cas échéant, assurer une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances.
[39] Devant la Cour, la demanderesse a considérablement restreint la portée de sa plainte initiale en limitant aux trajets éloignés dans l’Ouest du Canada sa contestation de la légalité des exigences de bilinguisme quant aux postes de CAS et de DS (les mesures de dotation contestées). La demanderesse prétend essentiellement aujourd’hui qu’en 1998, VIA a agi de façon discriminatoire ou arbitraire et ne s’est pas servie de critères objectifs lorsqu’elle a entrepris les mesures de dotation contestées, qui contreviennent aux articles 39 et 91 de la LLO. À cet égard, la demanderesse prétend que les obligations linguistiques de VIA envers les voyageurs dans l’Ouest du Canada se limitent au Transcontinental de l’Ouest, lequel est désigné bilingue par le SCT, contrairement aux trajets éloignés de l’Ouest, lesquels ne sont pas désignés bilingues par le SCT (voir Burolis). Lorsque les exigences de bilinguisme relatives à la dotation d’un poste ne sont pas fondées sur les obligations linguistiques de VIA, il est injuste d’exclure des employés unilingues par ailleurs compétents sans leur dispenser la formation linguistique qui leur permettrait de s’acquitter des autres responsabilités de la société, comme la sécurité par exemple. Il s’agit notamment du poste de DS (trajets éloignés) et du poste de CAS sur les trajets éloignés de l’Ouest du Canada, ainsi que du deuxième poste de CAS à bord du Transcontinental de l’Ouest, que la demanderesse, selon ses dires, aurait occupé de 1998 à aujourd’hui en raison de son ancienneté.
[40] Lors de l’audience à Winnipeg, la demanderesse a fait part de son mécontentement quant aux politiques de VIA, en affirmant que la décision de VIA de remplacer des postes de langue anglaise par des postes bilingues avait rendu inutiles ses années de formation et d’expérience chez VIA et lui avait causé de l’humiliation et de la gêne. Elle a affirmé : [traduction] « La désignation de ces postes a été source de controverse et d’animosité entre les anglophones et les francophones travaillant à bord des trains, à tel point que, pour une employée unilingue anglophone ayant de l’ancienneté, ce n’était pas toujours, vous savez, un endroit agréable où travailler ».
[41] En ce qui concerne la réparation demandée par la demanderesse, seules la première, la troisième et la quatrième recommandations du rapport du commissaire sont pertinentes. Le commissaire a donc recommandé à VIA :
1. de prendre les mesures nécessaires pour permettre à des effectifs unilingues qui possèdent toutes les autres qualifications requises de poser leur candidature aux postes de « directeur des services » sur les trajets non désignés, et de leur fournir une formation en langue seconde au besoin;
[. . .]
3. conformément à l’article 91 de la Loi sur les langues officielles et en tenant compte de la capacité bilingue parmi les membres des équipes et de la souplesse qui existe, d’identifier des occasions pour assigner des effectifs unilingues qualifiés à un des deux postes de « coordonnateur des services » sur le Transcontinental de l’Ouest en leur fournissant de la formation en langue seconde appropriée;
4. tout en poursuivant ses discussions avec le Secrétariat du Conseil du Trésor au sujet des trajets non désignés, de prendre les mesures nécessaires pour permettre à des effectifs unilingues qui possèdent toutes les autres qualifications requises de poser leur candidature aux postes de « coordonnateur des services » sur ces trajets et de leur fournir une formation en langue seconde au besoin.
[42] Par conséquent, la demanderesse a confirmé à l’audience qu’elle demande les réparations suivantes :
a) un jugement déclarant que VIA a contrevenu aux articles 39 et 91 de la LLO;
b) une ordonnance enjoignant à VIA de se conformer aux recommandations 1, 3 et 4 du rapport final du commissaire en dispensant à la demanderesse de la formation relative aux postes de CAS et de DS, ainsi que de la formation en langue française;
c) une compensation monétaire pour la perte de salaire et pour les prestations de retraite réduites;
d) des dommages-intérêts pour l’humiliation et les ennuis occasionnés;
e) toute autre ordonnance réparatrice que la Cour estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
[43] La demande est contestée par la défenderesse. Sous réserve de son objection selon laquelle un arbitre en droit du travail a compétence exclusive ou est mieux placé que la Cour pour entendre et trancher l’affaire en litige, VIA prétend que les exigences linguistiques pour les postes de DS et de CAS, lesquelles ont été acceptées par les TCA en 1998, s’imposaient objectivement et ne contrevenaient pas aux articles 39 ou 91 de la LLO, notamment en raison de la nature des activités de VIA, des fonctions et des responsabilités que com-portent ces postes et des considérations connexes en matière de service et de sécurité qui sont soulevées. Quoi qu’il en soit, les réparations demandées aujourd’hui par la demanderesse en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO ne sont pas convenables et justes eu égard aux circonstances.
[44] L’intervenant a limité ses observations à deux questions. Premièrement, le commissaire est d’avis que la Cour a compétence pour entendre et trancher l’affaire en vertu du paragraphe 77(1) de la LLO. Deuxièmement, même s’il ne traite pas de la question du bien‑fondé de la cause de la demanderesse, le commissaire prétend néanmoins que s’il est conclu qu’il y a eu violation de l’article 91 de la LLO (ce qui était une des hypothèses formulées par le commissaire dans son rapport final), la Cour dispose, en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO, de vastes pouvoirs pour corriger la situation. Elle peut notamment ordonner à VIA d’indemniser la demanderesse quant au salaire perdu et quant aux prestations de retraite réduites et lui accorder des dommages‑ intérêts pour l’humiliation et les ennuis occasionnés.
[45] Parallèlement à la présente instance, d’autres demandes semblables présentées par quatre employés itinérants des services dans les trains de VIA qui se sont plaints au commissaire ont été entendues en même temps que la présente demande à Winnipeg, du 20 au 24 avril 2009 (T‑1280‑02 [Norton c. VIA Rail Canada Inc., 2009 CF 704], T‑1167‑02 [Bonner c. VIA Rail Canada Inc., 2009 CF 857], T‑1795‑02 [Collins c. VIA Rail Canada Inc., 2009 CF 860] et T‑1915‑02 [Seesahai c. VIA Rail Canada Inc., 2009 CF 859]). Bien que ces demandes ne fussent pas réunies, la Cour a accueilli le 24 avril 2009 une requête des demandeurs visant la réunion de la preuve factuelle de l’ensemble des cinq instances.
V. LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA DÉCISION
[46] Trois questions sont soulevées par les parties dans la présente demande :
a) La Cour fédérale a‑t‑elle compétence en vertu du paragraphe 77(1) de la LLO pour entendre et trancher la présente demande (ou la trancher en partie)?
b) Dans l’affirmative, les exigences de bilinguisme pour les postes de DS et de CAS en litige s’imposaient‑ elles objectivement au sens de l’article 91 de la LLO?
c) Si les exigences de bilinguisme pour les postes susmentionnés ne s’imposaient pas objectivement, qu’est‑ce qui constitue une réparation « convenable et juste » au sens du paragraphe 77(4) de la LLO?
[47] Pour les motifs qui figurent dans les sections suivantes du présent jugement, les réponses de la Cour à ces questions sont les suivantes.
[48] Premièrement, en ce qui concerne les mesures de dotation contestées, la Cour a compétence pour entendre et trancher l’affaire.
[49] Deuxièmement, selon la preuve au dossier, les exigences de bilinguisme pour les postes de DS et de CAS s’imposaient objectivement au sens de l’article 91 de la LLO pour que VIA exerce les fonctions pour lesquelles les mesures de dotation contestées ont été prises.
[50] Troisièmement, même si les exigences de bilinguisme quant aux postes de DS et de CAS ne s’imposaient pas objectivement, la Cour n’aurait accordé aucune des réparations demandées par la demanderesse dans sa demande, sauf celle qui consiste à déclarer illégales les exigences de bilinguisme et à ordonner à VIA d’afficher une annonce invitant tous les employés à postuler pour de la formation relative aux postes de CAS et de DS sur les trajets éloignés dans l’Ouest du Canada, et la Cour serait demeurée saisie de l’affaire afin de déterminer de façon définitive le montant de l’indemnité ou des dommages‑intérêts à accorder à la demanderesse si elle était choisie pour la formation et qu’elle était en fin de compte jugée compétente pour occuper l’un ou l’autre de ces postes.
VI. LA QUESTION DE LA COMPÉTENCE
[51] D’entrée de jeu, VIA a prétendu que la présente demande devrait être rejetée au motif que l’objet du litige est régi par la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains et relève de la compétence exclusive de l’arbitre de griefs.
[52] Il convient de souligner qu’avant le dépôt de la présente demande, la demanderesse a déposé, le 5 juillet 1998, un grief à l’encontre des exigences de bilinguisme lors de la sélection pour la formation relative au poste de directeur des services. Dans une lettre du 8 septembre 1998, on a informé la demanderesse que son grief était considéré comme étant une préoccupation plutôt qu’un grief, car la formation relative aux postes de DS n’avait pas encore eu lieu. On a ainsi renvoyé la demanderesse aux modalités de l’entente de 1998. Par la suite, le 7 mai 2000, la demanderesse, à titre de présidente de la section locale des TCA à Winnipeg, a de nouveau déposé, au deuxième palier, un grief concernant le processus d’entrevue pour la formation relative au poste de DS. Le 15 mai 2000, le grief a été rejeté car le poste de DS est un poste bilingue. Seuls les candidats qui, selon les dossiers de VIA, étaient bilingues ou étaient presque bilingues, grâce à la formation linguistique, ont été convoqués à l’entrevue préliminaire.
[53] Le protonotaire a accueilli la requête de VIA visant à faire radier la demande (2002 CFPI 1175) et sa décision a été confirmée par un juge de la Cour (2004 CF 406). Toutefois, la Cour d’appel fédérale a annulé ces deux décisions (Norton c. VIA Rail Canada Inc., 2005 CAF 205 (Norton)). Le 8 décembre 2005, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel présentée par VIA (Via Rail Canada Inc. c. Norton, [2005] 3 R.C.S. viii).
[54] La juge Sharlow, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour d’appel fédérale, a souligné dans l’arrêt Norton, susmentionné, que les appelants avaient le droit de soumettre leurs plaintes au commissaire en vertu de l’article 58 de la LLO (Norton, au paragraphe 6) et que « [l]’objet des demandes est visé par les dispositions du paragraphe 77(1) de la LLO » (Norton, au paragraphe 9), ce qui signifie « qu’il incombera au juge qui entendra finalement cette demande d’interpréter les plaintes et d’évaluer leur bien-fondé » (Norton, au paragraphe 20). De plus, elle a exprimé « quelques réserves quant à l’argument selon lequel la totalité des désaccords concernant les questions énumérées au paragraphe 57(1) du Code [le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2 (le Code du travail)], c’est-à-dire l’interprétation, l’application ou la violation d’une convention collective, relèvent de la compétence exclusive d’un arbitre en droit du travail » (Norton, au paragraphe 19 (non souligné dans l’original)), alors qu’« il se peut que la plainte porte essentiellement qu’il y a eu violation des droits linguistiques des appelants lorsque les conditions de la convention collective ont été établies, soit en raison du contenu de la convention collective, soit en raison de ce qu’elle ne prévoit pas » (Norton, au paragraphe 20). Dans un cas où « la convention collective est destinée à empêcher les appelants d’exercer tout recours en vertu de l’article 77 de la LLO », « il pourrait y avoir lieu de se demander si, en droit, il est possible d’écarter dans une convention collective le droit individuel de présenter une demande en vertu de l’article 77 de la LLO » (Norton, au paragraphe 21). Ceci étant dit, la juge Sharlow n’écarte néanmoins pas « la possibilité qu’un juge décide, après la tenue d’une audience, que les droits linguistiques des appelants n’ont pas été violés, que leurs droits linguistiques devraient plutôt être examinés dans le cadre de la procédure de règlement des griefs prévue dans la convention collective ou que la Cour fédérale serait dans l’impossibilité d’accorder une réparation sans empiéter sur la compétence d’un arbitre en droit du travail » (Norton, au paragraphe 22).
[55] Depuis le jugement rendu en 2005 par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Norton, susmentionné, VIA n’a pas abandonné sa prétention que la Cour n’a pas compétence pour entendre et trancher l’affaire sur le fond ou pour concevoir une réparation, compte tenu de la compétence générale de l’arbitre des griefs quant aux litiges en droit du travail. Les 20 et 21 avril 2009, les parties ont présenté des plaidoiries complètes quant à la question de la compétence dans la demande Norton. Il a été convenu qu’il ne serait pas nécessaire de débattre à nouveau cette question dans les quatre autres demandes connexes.
[56] Laissons de côté pour l’instant la question de la légalité en vertu de la LLO des mesures de dotation contestées. Un certain nombre de questions parallèles soulevées dans la plainte initiale ou dans les documents soumis par les parties au présent dossier ou dans les dossiers connexes relèvent manifestement de la compétence exclusive d’un arbitre en droit du travail ou d’un autre tribunal spécialisé, ou seraient plus adéquatement réglées par un arbitre en droit du travail ou par un autre tribunal spécialisé, compte tenu de la compétence limitée accordée à la Cour par le paragraphe 77(1) de la LLO. Pour trancher ces questions, il faut déterminer si la politique ou les pratiques d’embauche de VIA sont discriminatoires au titre de la langue, si la capacité bilingue de VIA est assez élevée pour qu’il ne soit plus nécessaire de désigner des postes bilingues à bord des trains, si, depuis 1986, la demanderesse a été personnellement victime de discrimination de la part de VIA au titre de la langue, si la demanderesse a été victime de harcèlement ou d’humiliation en milieu de travail parce qu’elle est une employée unilingue, si VIA a dispensé de la formation linguistique adéquate aux employés unilingues, notamment à la demanderesse, si l’évaluation faite par VIA de la compétence en français de la demanderesse a été adéquate, si, en vertu de l’entente de 1998, la compétence dans les deux langues officielles était une condition préalable en vue de la sélection pour la formation dans le cas des candidats unilingues qui n’avaient pas déjà les compétences pour le poste de DS, si les dispositions de l’annexe 6 de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains s’appliquaient aux initiatives relatives à la composition des équipes entreprises à la suite de la mise en œuvre du programme ENSV, y compris la création de postes de CAS bilingues supplémentaires ou la désignation bilingue de postes de CAS déjà existants, si les annonces relatives à la formation affichées à la suite de la mise en œuvre du programme ENSV respectaient l’entente de 1998 ou la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains, et si VIA pouvait légalement demander aux employés unilingues qui n’avaient pas déjà les compétences pour les postes de DS ou de CAS d’effectuer à l’occasion les fonctions de ces postes. Voilà quelques exemples de situations où la Cour ne peut pas ou ne devrait pas intervenir parce que les questions sont régies de façon exhaustive par la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains.
[57] Ceci étant dit, compte tenu des attributions concurrentes de compétence prévues dans la LLO et dans le Code du travail et compte tenu de la complexité de la présente affaire ainsi que des conséquences de la décision de la Cour quant à sa propre compétence, nous nous abstiendrons d’appliquer rapidement et mécaniquement le modèle de la compétence exclusive aux mesures de dotation contestées (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), [2004] 2 R.C.S. 185, au paragraphe 11 (Morin)) et nous entreprendrons l’analyse en deux étapes élaborée par la Cour suprême dans l’arrêt St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section Locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704, aux pages 718 à 721, explicitée dans l’arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, aux paragraphes 43 à 46 et 50 à 67 (Weber), et confirmée plus récemment dans l’arrêt Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360 (Regina Police Assn.), et dans l’arrêt Bisaillon c. Université Concordia, [2006] 1 R.C.S. 666 (Bisaillon).
L’essence du litige
[58] Pour décider lequel des régimes légaux concurrents devrait régir le litige, la Cour devrait d’abord analyser la nature du litige afin de déterminer son essence, la question clé étant de savoir si l’essence du litige dans son contexte factuel est expressément ou implicitement visée par un régime légal (Regina Police Assn.).
[59] VIA prétend qu’en l’espèce, l’essence de l’instance porte sur le rejet des demandes formulées par la demanderesse, conformément aux procédures et aux critères prévus dans la convention collective, quant à la formation relative aux postes de l’unité de négociation, ce qui comprend notamment la formation linguistique. Par conséquent, l’essence du litige découlerait explicitement de l’interprétation et de l’application de l’annexe 9 de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains qui énumère les fonctions et les responsabilités des postes de DS et de CAS et qui accorde compétence exclusive à l’arbitre en conformité avec la procédure de grief énoncée à l’annexe 6 de la convention collective.
[60] En ce qui concerne le personnel itinérant des services dans les trains, la politique en matière de bilinguisme de VIA est formulée à l’annexe 6 de la convention collective. Les représentants des TCA et de VIA doivent se rencontrer pour établir les exigences de bilinguisme du réseau avant la mise en œuvre de tout changement. Les deux parties reconnaissent que bon nombre d’employés sont déjà bilingues à des degrés divers. On reconnaît par ailleurs l’inutilité de procéder à des désignations officielles dans le cas où des employés bilingues sont déjà affectés à des postes visés et sont disposés à travailler dans les deux langues. En conséquence, on se penchera en particulier sur les postes où les besoins ne sont pas satisfaits en vertu du statu quo. Lorsqu’un poste est désigné bilingue, on s’efforcera d’y nommer un employé bilingue lorsque ce poste deviendra vacant. L’annexe 6 prévoit également une procédure accélérée de règlement des litiges en cas de désaccord entre les TCA et VIA quant à la désignation linguistique d’un poste au motif que la désignation ne respecte pas la LLO.
[61] En ce qui concerne la légalité des mesures de dotation contestées en vertu de l’article 91 [de la LLO], la Cour ne souscrit pas à l’affirmation de VIA selon laquelle l’essence du litige découle exclusivement de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains. En fait, il n’y avait aucun litige entre VIA et les TCA en ce qui concerne la désignation bilingue des postes de DS et de CAS, ainsi qu’il ressort de l’entente de 1998. Bien au contraire, le fond de la plainte de la demanderesse est qu’en 1998, VIA et les TCA ont négocié une entente qui violait prétendument ses droits linguistiques garantis par la Charte et par la LLO. La situation actuelle s’apparente aux faits examinés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Morin. Dans cette affaire, la prétendue discrimination subie par un groupe d’employés syndiqués a mené au dépôt d’une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne, qui avait compétence à l’égard du litige parce qu’il découlait de la négociation de la convention collective.
L’intention du législateur
[62] Deuxièmement, en plus de déterminer si les faits du litige sont visés par la convention collective, la Cour doit également déterminer si le législateur voulait que le litige soit régi par la convention collective ou par la LLO, selon ce qu’indiquent les dispositions légales pertinentes.
[63] La LLO et ses règlements forment un régime légal complet qui régit toutes les questions qui ont trait aux droits linguistiques au sein des institutions fédérales. La Loi reflète un compromis social et politique, elle attribue au commissaire les pouvoirs d’un véritable ombudsman linguistique et elle crée un processus judiciaire qui permet d’obtenir réparation dans les cas prévus au paragraphe 77(1) de la LLO (voir Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), à la page 386; R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, aux pages 790 à 792; Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276 (Forum des maires), aux paragraphes 16 et 17; DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8, [2009] 1 R.C.S. 194, aux paragraphes 32 à 35).
[64] Par conséquent, selon le paragraphe 77(1) de la LLO, quiconque a saisi le commissaire d’une plainte « visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie [la partie X] » (non souligné dans l’original). Toutefois, la loi mentionne que le recours prévu à l’article 77 de la LLO n’est pas exclusif. Il s’ajoute à d’autres recours : « Le présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d’action » (paragraphe 77(5) de la LLO).
[65] En ce qui concerne des mesures de dotation précises, la Cour fédérale, à de nombreuses occasions, a entendu des litiges qui avaient pris naissance dans le domaine fédéral et dans lesquels il était question de l’application de l’article 91 de la LLO : Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 C.F. 90 (1re inst.) (Institut professionnel de la fonction publique); Canada (Procureur général) c. Viola, précité; Côté c. Canada, [1994] A.C.F. no 423 (1re inst.) (QL); Canada (Procureur général) c. Asselin, [1995] A.C.F. no 846 (1re inst.) (QL); Rogers c. Canada (Ministère de la Défense nationale), 2001 CFPI 90; Rogers c. Canada (Service correctionnel), [2001] 2 C.F. 586 (1re inst.); Marchessault c. Société canadienne des postes, 2002 CFPI 1202.
[66] Il faut comparer ce cadre juridique quasi constitutionnel au régime général des relations de travail qui, selon la Cour suprême du Canada, prévoit un code complet qui régit tous les aspects des relations de travail; ce système favorise la stabilité et la cohérence des règlements des conflits de travail en vertu des procédures prévues par la convention collective sous la compétence exclusive des arbitres en droit du travail (Noël c. Société d’énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, au paragraphe 44; Bisaillon, au paragraphe 27, articles 56, 57 [mod. par L.C. 1998, ch. 26, art. 59b)(A)] et 58 [mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 153(A); 2002, ch. 8, art. 182(1)e)] du Code du travail).
[67] De plus, comme le mentionne le juge Malone dans ses propos dissidents dans la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Norton, susmentionné, le régime des relations de travail établi par l’article 56 et les paragraphes 57(1) et 58(1) du Code du travail confirme que, conformément à l’intention du législateur, les litiges résultant de l’interprétation, de l’application ou de l’inexécution d’une convention collective doivent être tranchés exclusivement au moyen de la procédure de traitement des griefs établie conformément à la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains (Norton, susmentionné, au paragraphe 37).
[68] Le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157 (Parry Sound), a élargi la portée de la compétence des arbitres en englobant les droits de l’homme et d’autres lois liées à l’emploi.
[69] En fait, les arrêts Weber et Parry Sound s’inscrivent dans un courant jurisprudentiel reconnaissant aux arbitres une compétence plus vaste et un large pouvoir de réparation. Le juge Iacobucci, dans un jugement unanime de la Cour suprême, a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727, au paragraphe 41 : « Doter les arbitres des moyens de s’acquitter de leur mandat est un aspect fondamental du règlement des conflits en milieu de travail. »
[70] Ceci étant dit, bien que l’arbitre en droit du travail possède certainement le pouvoir juridique d’interpréter et d’appliquer la Charte et les lois externes (notamment la LLO) dans le cas de mesures de dotation régies par la convention collective, en définitive, il s’agit de savoir quel est le tribunal qui « convient le mieux », compte tenu de l’intention du législateur et de la nature du litige. En l’espèce, la question soulevée par la demanderesse est celle qui consiste à savoir si VIA peut imposer, avec l’accord des TCA, des exigences de bilinguisme à des postes de service de première ligne dans les trains non « désignés » bilingues par le SCT. Cette question va bien au‑delà de la simple interprétation ou de la simple application du libellé de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains ou de l’entente de 1998. En l’espèce, les politiques et les mesures de dotation de VIA doivent être examinées en fonction des dispositions applicables de la LLO et de ses règlements. Cet examen outrepasse assurément la compétence normale de l’arbitre de griefs en matière de relations de travail.
[71] Par conséquent, en ce qui concerne l’interprétation ou l’application de l’article 91 de la LLO, la Cour rejette l’affirmation de la défenderesse selon laquelle la compétence de la Cour fédérale quant à l’examen de la légalité des mesures de dotation contestées conférée par le paragraphe 77(1) de la LLO est écartée par la procédure d’arbitrage de griefs prévue au paragraphe 57(1) du Code du travail, et selon laquelle un arbitre en droit du travail serait aujourd’hui mieux placé que la Cour pour trancher l’affaire, compte tenu en plus que, dans ce dernier cas, les délais pour déposer un grief et le renvoyer à un arbitre en droit du travail sont expirés depuis longtemps et que VIA n’a jamais contesté que le commissaire avait compétence pour enquêter sur la plainte de la demanderesse.
[72] Enfin, en ce qui concerne la question de la compétence, comme l’a confirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 27, « [s]elon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes ». Par conséquent, j’aimerais préciser que si la demanderesse ne contestait pas la légalité de l’entente de 1998 et les dispositions applicables de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains, je ne suis pas certain que la Cour fédérale constituerait, selon le législateur, l’endroit idéal pour régler la question de la légalité des mesures de dotation dans un contexte de négociation collective. Comme il a été souligné dans l’arrêt Forum des maires, susmentionné, au paragraphe 17 :
Pour s’assurer [. . .] que la Loi sur les langues officielles ait des dents, que les droits ou obligations qu’elle reconnaît ou impose ne demeurent pas lettres mortes, et que les membres des minorités linguistiques officielles ne soient pas condamnés à se battre sans cesse et sans garantie au seul niveau politique, le législateur a créé un « recours » devant la Cour fédérale dont peut se prévaloir la commissaire elle‑même (article 78) ou le plaignant (article 77).
[73] Toutefois, les droits dont jouissent les employés de VIA en vertu des conventions collectives applicables vont bien au‑delà des droits collectifs ou des droits des minorités linguistiques, lesquelles ont besoin qu’un recours juridique soit prévu dans la LLO pour que leurs droits, notamment ceux prévus à la partie IV, soient reconnus et appliqués si aucune mesure n’est prise par une institution fédérale. En effet, les mesures de dotation prises par des institutions fédérales peuvent toujours faire l’objet d’un contrôle, pour un prétendu manque d’objectivité, par les mécanismes juridiques d’arbitrage normaux comme le processus d’arbitrage de griefs prévu dans le Code du travail.
VII. LA QUESTION DES MESURES DE DOTATION
[74] La deuxième question que la Cour doit trancher a trait à l’objectivité des exigences de bilinguisme quant aux deux postes en litige. Ces exigences doivent être compatibles avec les dispositions applicables de la Charte, de la LLO ou de ses règlements, selon le cas.
Les principes généraux
[75] La LLO crée un ensemble de droits linguistiques fondés sur les obligations imposées au gouvernement fédéral par la Charte. Dans son préambule, la LLO reconnaît les principes fondamentaux sous‑jacents à son établissement, notamment le fondement constitutionnel de l’égalité du français et de l’anglais et du droit du public à l’emploi de l’une ou l’autre de ces langues pour communiquer avec les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services. Le préambule souligne également que le gouvernement du Canada s’est notamment engagé à réaliser la pleine participation des Canadiens d’expression française et d’expression anglaise à ses institutions, à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones et à promouvoir le caractère bilingue de la région de la capitale nationale.
[76] La partie IV de la LLO, où figurent les articles 22, 23 et 24, répète les droits et les garanties constitutionnels que la Charte confère au public concernant les communications avec le gouvernement du Canada et les services reçus de celui‑ci, dans l’une ou l’autre des langues officielles. La partie V, elle, crée des droits et des obligations quant à la langue de travail. En l’espèce, personne ne prétend que l’un ou l’autre droit conféré à la demanderesse par la partie V a été violé. En effet, dans l’Ouest du Canada, dans les trains de VIA, la langue de travail est l’anglais et non pas le français. Par conséquent, lorsqu’un employé itinérant des services dans les trains est appelé à parler français, ce n’est que lorsqu’il communique avec les passagers d’expression française voyageant à bord du Transcontinental de l’Ouest ou sur des trajets éloignés dans l’Ouest du Canada et lorsqu’il leur fournit des services. Par contre, la partie VI, où figure l’article 39 invoqué par la demanderesse, reflète l’obligation interne imposée au gouvernement d’offrir à ses fonctionnaires d’expression française et d’expression anglaise des chances égales d’emploi et d’avancement dans les institutions fédérales, « dans le strict respect du principe du mérite en matière de sélection ». En l’espèce, dès qu’un employé possède les compétences exigées quant à un poste visé par la convention collective, les mesures de dotation ne sont pas prises en fonction du mérite, mais en fonction de l’ancienneté.
[77] Comme on peut le constater, les parties IV, V et VI susmentionnées créent un ensemble de droits différents et distincts. Par conséquent, il peut être nécessaire de mettre en balance des droits conflictuels (par exemple un conflit entre les droits conférés au public à la partie IV et les droits conférés aux fonctionnaires à la partie V ou à la partie VI, et dont l’issue dépendra de l’intention du législateur). À cet égard, l’article 82, qui figure à la partie XI, prévoit que les parties I à V l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi ou de tout règlement fédéraux, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6, et ses règlements.
[78] Pour en revenir à la nature des droits conférés au public par la partie IV de la LLO, il faut comprendre que le droit de communiquer, qui est déjà garanti par l’article 20 de la Charte, emporte le droit d’être entendu et d’être compris par l’institution dans l’une ou l’autre des langues officielles. De plus, le concept de « services » publics, qui est également garanti par l’article 20 de la Charte, est plus large que le concept de « communications ». L’utilisation de l’interprétation simultanée ou de l’interprétation consécutive est irréaliste dans le cas de communications de vive voix et elle diminue la qualité du service. Par conséquent, il n’est possible d’être servi dans la langue officielle de son choix dans les cas visés par la loi que si des fonctionnaires bilingues sont présents. Un respect de pure forme ne répond pas à la lettre et à l’esprit des dispositions de la partie IV de la LLO, qui exigent une « offre active ». Voir Nicole Vaz et Pierre Foucher, chapitre 4 : « Le droit à la prestation de services publics dans les langues officielles » dans Les droits linguistiques au Canada, 2e éd., compilé par Michel Bastarache, dir. (Cowansville, Québec : Yvon Blais, 2004).
[79] Par conséquent, le droit du public de pouvoir communiquer et recevoir des services dans la langue officielle de son choix qui est prévu à la partie IV de la LLO l’emportera sur toute règle de travail incompatible qui figure dans une convention collective (p. ex., l’ancienneté) et qui empêche les membres du public de communiquer avec l’institution fédérale concernée et de recevoir des services de celle‑ci dans la langue officielle de leur choix. Peu importe que l’obligation prévue à la partie IV soit une obligation de résultat ou une obligation de moyen, il y a peu de place pour les compromis (Thibodeau c. Air Canada, 2007 CAF 115 (Thibodeau)).
[80] Cela nous amène à l’examen de l’article 91, qui figure également à la partie XI de la LLO. Ainsi qu’il ressort de son libellé, cette disposition est essentiellement une précision qui doit être lue, dans les circonstances, de concert avec la partie IV ou la partie V auxquelles elle renvoie :
91. Les parties IV et V n’ont pour effet d’autoriser la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles, lors d’une dotation en personnel, que si elle s’impose objectivement pour l’exercice des fonctions en cause. |
Dotation en personnel |
[81] À mon avis, selon l’article 91, une institution fédérale ne peut pas, en prétextant vouloir exécuter ses obligations prévues à la partie IV ou à la partie V de la LLO, fixer des exigences linguistiques qui ne sont pas objectivement liées à la prestation de services bilingues dans le contexte dans lequel ces fonctions sont exécutées par le fonctionnaire. Par exemple, dans les trains de VIA, cela peut comprendre l’imposition d’exigences de bilinguisme quant aux postes de cuisinier et de chef cuisinier, qui ne sont pas des postes de première ligne. J’examinerai plus loin dans les présents motifs (voir les paragraphes 100 à 108) si l’article 91 empêche également VIA de négocier avec les syndicats les exigences de bilinguisme quant aux postes de première ligne sur les itinéraires ou dans les gares qui ne sont pas désignés bilingues par le SCT.
[82] Ceci étant dit, la Cour, dans la décision Institut professionnel de la fonction publique, susmentionnée, a déjà décidé qu’un requérant assume « un fardeau plutôt lourd » pour établir le « manque d’objectivité » de la désignation d’un poste bilingue (à la page 106). Le juge qui évalue l’affaire doit « établir que la preuve n’étayait pas la désignation, ou que cette dernière était manifestement déraisonnable, ou qu’une erreur de droit a été commise » (ibid.).
[83] À cet égard, la question de savoir si VIA pouvait constituer les équipes dans ses trains de manière à ce que des employés de facto bilingues aux autres postes de première ligne non désignés bilingues, comme les PPS, soient toujours présents et puissent être appelés à effectuer, dans les deux postes en litige, des tâches qui incombent aux employés unilingues n’est pas pertinente à l’analyse faite au regard de l’article 91. L’accent est mis non pas sur les obligations et les responsabilités des PPS, mais sur « les fonctions pour lesquelles les mesures de dotation contestées ont été prises » — en l’espèce, la dotation des postes de CAS et de DS par des employés bilingues à la suite de la mise en œuvre du programme ENSV en 1998.
[84] Enfin, la Cour a décidé que, dans son analyse relative à la réparation qui doit être accordée en vertu de l’article 77 de la LLO, elle doit entendre l’affaire de novo et examiner à nouveau la plainte de la demanderesse; la Cour n’est donc pas limitée aux éléments de preuve fournis durant l’enquête du commissaire. De plus, le rapport du commissaire est admissible en preuve, mais il ne lie pas la Cour et il peut être contredit comme tout autre élément de preuve (arrêt Forum des maires, susmentionné, aux paragraphes 20 et 21; Rogers c. Canada (Ministère de la Défense nationale), susmentionné, au paragraphe 40).
Les fonctions et les responsabilités
[85] Certaines des fonctions et des responsabilités clés des DS sont énoncées à l’annexe 9 de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains. Les fonctions et les responsabilités des DS qui, selon la Cour, justifient les exigences de bilinguisme du poste comprennent ce qui suit :
- Dans les gares principales, recevoir les voyageurs des voitures‑lits au comptoir d’accueil;
- Faire monter les voyageurs dans les voitures‑lits et les voitures Superconfort et les en faire descendre si nécessaire;
- Contrôler les titres de transport et vendre comptant des places dans les voitures‑lits ainsi que dans les voitures Superconfort, si nécessaire, et remettre le tout au coordonnateur des services (s’il est présent) pour l’inclure dans sa remise;
- Superviser l’embarquement et le débarquement des voyageurs en cours de route;
- À intervalles réguliers, faire des allées et venues dans le train (y compris les voitures‑coach) et demander aux voyageurs leur avis sur les services qui leur sont offerts; prendre immédiatement les mesures nécessaires et transmettre à la direction les renseignements recueillis (qualité des services, rendement des employés, qualité des produits);
- Coordonner la diffusion des renseignements sur les retards de train, les changements d’horaire, etc., auprès des employés et des voyageurs;
- Collaborer avec le coordonnateur des services pour que les voyageurs soient servis dans les deux « langues officielles »;
- Résoudre, du mieux qu’il le peut, tous les problèmes relatifs aux plaintes réelles ou éventuelles des clients ainsi qu’aux différends entre clients et employés ou entre employés.
[86] En plus des fonctions énumérées à l’annexe 9, il y a les responsabilités importantes en matière de sécurité exercées autrefois par les chefs de train qui ont été transférées en 1998 aux DS à la suite de la mise en œuvre du programme ENSV. Selon la Cour, ces responsabilités justifient également objectivement la désignation bilingue des postes DS.
[87] Les fonctions et les responsabilités des CAS sont énoncées à l’annexe 9 de la convention collective. Selon la Cour, celles qui justifient les exigences de bilinguisme du poste comprennent les suivantes :
- Dans les gares principales, aider le directeur des services à recevoir les voyageurs des voitures‑lits au comptoir d’accueil et contrôler les titres de transport pour les remettre au coordonnateur des services;
- Contrôler les titres de transport et vendre comptant des places dans les voitures‑lits et les voitures Superconfort, si nécessaire;
- Faire monter les voyageurs dans les voitures‑lits et les voitures Superconfort et les en faire descendre si nécessaire;
- Passer dans les voitures et prendre des réservations pour les divers services des voitures de restauration, selon les directives du coordonnateur des services;
- Communiquer les renseignements sur les retards de train, les changements d’horaire et les services de repas, dans les deux langues;
- Aider le directeur des services et le coordonnateur des services à fournir des services aux voyageurs dans les deux « langues officielles »;
- Si nécessaire, donner les premiers soins ou administrer de l’oxygène aux voyageurs ou aux employés indisposés;
- Aider à accueillir les voyageurs et à servir les repas et les boissons dans les voitures de restauration;
- Faire des allées et venues dans les voitures‑lits et les voitures Superconfort pendant les périodes de repos des préposés aux services;
- Servir des casse‑croûte et des boissons à la place des préposés principaux aux services quand ces derniers prennent leur repas ou se reposent;
- Remplacer le coordonnateur des services dans les voitures de restauration quand ce dernier est demandé dans d’autres secteurs du train.
[88] Les fonctions des CAS sont très axées sur le service à la clientèle. En plus d’aider les passagers des voitures‑coach au cours des voyages, les CAS sont directement responsables de la prestation des services de premiers soins aux passagers et à l’équipe. Il y a actuellement un CAS dans le Transcontinental de l’Ouest et un CAS dans la Baie d’Hudson. Il n’y a aucun CAS dans le Skeena. Le CAS relève habituellement du DS. Le bilinguisme a toujours été exigé pour le poste de CAS ainsi que pour l’ancien poste de préposé aux services passagers (PSP) qui existait avant la création du poste de CAS le 1er juin 1986. Le volet sécurité des fonctions et des responsabilités du poste de CAS a notamment constitué une justification quant à sa désignation antérieure de poste bilingue.
[89] Lors de l’audience qui a eu lieu à Winnipeg, une demanderesse, Mme Brenda Bonner, dossier de la Cour T‑1167‑02 [au paragraphe 88], a expliqué à la Cour qu’avant 1986, le PSP [traduction] « circulait dans le train et parlait à toutes les personnes qui se trouvaient dans les voitures‑coach et à toutes les personnes qui se trouvaient dans la voiture‑lit. Il préparait les repas. Il s’informait pour savoir quels passagers voulaient recevoir des services en français. Il était, pour employer un terme utilisé au théâtre, la doublure du directeur des services. » En 1986, VIA a décidé d’abolir, dans les voitures‑restaurant, le poste de serveur principal, un poste unilingue, et de le remplacer par le poste de CAS, un poste bilingue. Mme Bonner a affirmé ce qui suit à ce sujet : [traduction] « J’ai été surprise parce qu’on penserait que VIA ferait passer les personnes occupant les postes de PSP à des postes de directeur des services. Si VIA voulait que le directeur des services soit bilingue, elle aurait pu attendre que les employés les plus anciens, qui étaient unilingues, prennent leur retraite, et donner de l’avancement au PSP, qui avait travaillé avec le directeur des services pendant toutes ces années, depuis 1977, mais, non, VIA a pris ce PSP et elle l’a affecté à la voiture‑restaurant pour faire le travail du serveur principal. »
[90] La question de savoir si les mesures de dotation prises en 1986 constituaient une « rétrogradation » pour les PSP et un obstacle à l’avancement des PPS unilingues, comme Mme Bonner, qui [traduction] « voulait occuper le poste de serveuse principale », est devenue théorique et n’est pas la question dont la Cour est saisie, laquelle porte strictement sur l’objectivité des exigences de bilinguisme quant aux postes de CAS. Encore une fois, la Cour n’a pas à décider s’il y a eu violation de l’article 39 de la LLO ou s’il y a eu discrimination à l’encontre d’un groupe en raison de la langue. L’article 91 porte exclusivement sur les mesures de dotation individuelles.
[91] Depuis 1998, en plus des fonctions et des responsabilités mentionnées à l’annexe 9 de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains, le CAS est appelé à remplacer le DS durant ses périodes de repos la nuit. Aucun élément de preuve ne donne à penser que la nature des rapports que tous les CAS ont avec les passagers, que ce soit à bord du Transcontinental de l’Ouest, du Skeena ou du Baie d’Hudson, a changé ou que la fréquence de ces rapports a diminué. Il semble en être ainsi même si les CAS ne sont plus affectés aux voitures‑restaurant. Ils sont affectés aux voitures‑coach en remplacement des anciens chefs de train. Encore une fois, la question dont la Cour est saisie ne consiste pas à savoir si les changements effectués en 1998 équivalaient à la création d’un nouveau poste de CAS ou si le transfert du personnel de la voiture‑restaurant aux voitures‑coach était permis par la convention collective. Ces questions relèvent de la compétence exclusive d’un arbitre en droit du travail. Telle qu’elle doit être formulée, la question dont est saisie la Cour aujourd’hui est plus étroite et elle consiste à déterminer si les exigences de bilinguisme quant au poste de CAS devaient toujours être maintenues après la mise en œuvre du programme ENSV, qui a été considéré par le commissaire comme constituant une mesure de dotation particulière pour ce qui est de la création d’un deuxième poste de CAS dans le Transcontinental de l’Ouest.
Exigences de bilinguisme raisonnables
[92] La demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve et n’a présenté aucun argument convaincant selon lequel la désignation, en 1986, du premier poste de CAS comme étant bilingue ou du deuxième poste, en 1998, ne s’imposait pas objectivement pour accomplir les fonctions pour lesquelles les mesures de dotation étaient prises. De plus, selon moi, compte tenu de la preuve au dossier, les exigences de bilinguisme quant aux nouveaux postes de DS (Transcontinental), DS (corridor) et DS (trajets éloignés) à bord du Transcontinental, dans le corridor et sur les trajets éloignés n’étaient pas déraisonnables.
[93] Dans son rapport, que j’accepte en partie, le commissaire a reconnu sans réserve que les exigences de bilinguisme pour tous les DS, et pour au moins un des deux CAS dans le Transcontinental de l’Ouest, étaient objectivement justifiées, compte tenu de leurs fonctions, pendant lesquelles ils avaient beaucoup affaire aux voyageurs. De plus, le commissaire a rejeté l’argument des plaignants selon lequel [traduction] « la capacité bilingue du personnel de bord a atteint un point où VIA peut garantir les services aux voyageurs dans les deux langues officielles sans que cela ne nuise aux occasions d’avancement et d’emploi des employés unilingues ». Selon moi, cette preuve est concluante aux fins de la présente demande.
[94] Plus particulièrement, en ce qui concerne les postes bilingues à bord du Transcontinental de l’Ouest, le commissaire a conclu ce qui suit aux pages 11 et 12 de son rapport final :
La preuve qui ressort de notre examen du poste de « DS » suffit pour justifier l’exigence de bilinguisme pour ces postes à bord du Transcontinental de l’Ouest, où la Loi oblige VIA à veiller à ce que le public voyageur francophone et anglophone reçoit les services dans la langue de son choix. Nous constatons en particulier qu’il s’agit d’un poste unique qui influe beaucoup sur les opérations et dont le rôle est indispensable pour régler les plaintes de façon satisfaisante. Bien que VIA et les personnes qui ont déposé une plainte aient des points de vue divergents sur la mesure dans laquelle les « DS » traitent avec la clientèle sur d’autres plans, nous acceptons la position de la Société selon laquelle elle s’attend à ce que les « DS » jouent un important rôle de relationniste auprès de la clientèle. Dans les circonstances, une capacité bilingue parmi d’autres effectifs de bord ne change rien à la nécessité d’avoir un « DS » bilingue à bord du Transcontinental de l’Ouest.
[95] En ce qui concerne le deuxième poste de CAS à bord du Transcontinental de l’Ouest, le commissaire a conclu qu’il existait une certaine souplesse, mais il n’a pas rejeté ouvertement la justification objective quant à l’exigence linguistique. Aux pages 13 et 14 du rapport final, le commissaire a souligné ce qui suit :
L’enquête a révélé que les fonctions des « CAS » sont fortement axées sur le service. En plus d’aider la clientèle tout au long du trajet, les « CAS » sont directement responsables des services de premiers soins à la clientèle et à l’équipe. Selon notre examen des équipes de bord affectées au Transcontinental de l’Ouest sur une période de quatre mois en 2000, le nombre de personnes voyageant dans les voitures‑coach variait entre 16 et 189. Aucun autre poste du personnel de bord n’est habituellement affecté aux voitures‑coach. On nous a dit que le « CAS » peut être appelé à aider dans une voiture‑restaurant, mais nous croyons savoir que c’est rarement le cas.
En vertu de l’ENSV, un « CAS » est désigné « DS » de relève. Ce « CAS » est responsable des services voyageurs durant un quart de six heures la nuit. Un « préposé aux services » affecté ailleurs dans le train est également de service à ce moment‑là.
[96] À la page 15 du rapport final, le commissaire a conclu ce qui suit :
Notre examen des postes « CAS » nous porte à conclure que VIA a raison d’assurer la capacité bilingue parmi les « CAS » affectés au Transcontinental de l’Ouest, compte tenu de leurs responsabilités à l’égard de la clientèle coach et ayant trait aux soins d’urgence et de suppléance la nuit. La preuve laisse croire cependant qu’il y a peut‑être là une souplesse qui n’était pas présente dans le cas du poste de « DS ». Par exemple, bien qu’il n’y ait qu’un seul « DS » par train, deux « CAS » sont affectés à la même section sur chaque train du Transcontinental de l’Ouest. De plus, un « préposé aux services », dont nombreux sont bilingues, peut être appelé à fournir de l’aide dans les voitures‑coach au besoin. Dans ces conditions, il est excessif, à notre avis, de réserver toutes les affectations « CAS » sur le Transcontinental de l’Ouest uniquement aux effectifs qui satisfont déjà aux exigences de bilinguisme du poste. VIA a l’obligation de mettre les postes « CAS » à la portée des effectifs unilingues qui possèdent toutes les autres qualifications requises en leur offrant la formation en langue seconde dont ils ont besoin.
[97] Bien que, sur le plan pratique, les fonctions et les responsabilités des DS et des CAS envers les voyageurs étaient apparemment les mêmes sur tous les trajets, le commissaire a néanmoins affirmé que les exigences de bilinguisme sur les trajets éloignés de l’Ouest contrevenaient à l’article 91 et à la partie VI (article 39) de la LLO « dans la mesure où elles nuisent aux occasions d’avancement de l’effectif unilingue » (non souligné dans l’original). Cette conclusion de fait et de droit tirée par le commissaire ne lie pas la Cour et je dois distinguer cette partie du rapport et m’en écarter aux fins de mon analyse, laquelle, faut‑il le rappeler, est faite au regard de l’article 91 de la LLO.
[98] Premièrement, le commissaire a accepté de façon implicite que si les possibilités d’avancement des employés unilingues n’étaient pas touchées de façon défavorable, les exigences de bilinguisme seraient nécessaires à l’exécution des fonctions pour lesquelles les mesures de dotation ont été prises. La raison pour laquelle les possibilités d’avancement ont été touchées de façon défavorable était que trop peu de formation en langue française a été dispensée en milieu de travail, ce qui a eu pour effet de diminuer les chances des employés unilingues ayant de l’ancienneté de demander de la formation relativement à ces postes. Encore une fois, la Cour n’a pas à décider si cette action constituait une violation de l’article 39 de la LLO, parce que cette disposition n’est pas mentionnée au paragraphe 77(1) de la LLO.
[99] Deuxièmement, le commissaire était apparemment d’avis que les exigences de bilinguisme quant aux postes de première ligne, même si ceux‑ci comportaient un degré d’interaction très élevé avec les voyageurs ainsi que l’exécution de certaines mesures de sécurité, ne s’imposaient pas objectivement sur les trajets éloignés pour la simple raison qu’ils n’avaient pas été désignés bilingues par le SCT. Comme il est expliqué dans les paragraphes qui suivent, le fait que ces trajets n’ont pas été désignés bilingues (et ne sont toujours pas désignés bilingues) par le SCT ne constitue pas une preuve concluante établissant que les exigences de bilinguisme n’étaient pas objectivement justifiées.
Les trajets non désignés bilingues par le SCT
[100] Ce qui constitue, en vertu de la Charte ou de la LLO, une « demande importante », ou la question de savoir dans quelles circonstances il est raisonnable, en raison de la « vocation du bureau », de dispenser des services bilingues, fait l’objet d’interprétations divergentes. Des critères réglementaires procurent une plus grande certitude et une plus grande uniformité dans l’application de ces concepts mal définis. À cette fin, les règlements établis par le gouverneur en conseil en vertu de la partie IV de la LLO énumèrent des cas précis où les gares ferroviaires ou les trajets sont « réputés » satisfaire aux critères de la « demande importante » ou de la « vocation du bureau » (articles 7, 9, 11 et 12). Par conséquent, les règlements établissent une présomption légale facilitant la preuve que les critères prévus dans la Charte ou dans la LLO sont satisfaits. Il s’agit de leur objet fondamental, mais ils ne sont pas exhaustifs et ils ne devraient pas être interprétés et appliqués de façon rigoureuse. En effet, la Cour doit accepter que ni les règlements ni Burolis ne peuvent l’emporter sur la LLO ou la Charte, ou restreindre la LLO ou la Charte, et qu’ils doivent toujours être interprétés et appliqués d’une manière conforme aux objectifs généraux du préambule de la LLO et refléter les valeurs fondamentales de la Charte et de la politique canadienne en matière de bilinguisme.
[101] Dès 1967, la Commission Laurendeau‑Dunton (Canada, Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1967) a proposé que les sociétés d’État qui offrent des services de transport aux voyageurs offrent ces services dans les deux langues officielles dans tout le pays (Canada. Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1967, Livre I : Les langues officielles (1967), chapitre V : Pouvoirs publics et régimes linguistiques) :
277. [. . .] L’appareil gouvernemental à Ottawa doit être effectivement capable de pouvoir communiquer avec le public dans les deux langues officielles [. . .] Les bureaux du gouvernement fédéral et des sociétés de la Couronne à travers le pays doivent pouvoir traiter avec les individus, dans les deux langues officielles. Ainsi, à toutes les entrées du pays, aux services des douanes et de l’immigration, dans les gares de quelque importance, dans les trains des Chemins de fer nationaux, dans les avions d’Air Canada, c’est‑à‑dire partout où il y a contact avec le public voyageur, on devrait d’office être en mesure de servir ce public dans les deux langues, même dans les régions tout à fait unilingues du pays. [Non souligné dans l’original; note en bas de page omise.]
[102] La volonté exprimée par la Commission Laurendeau‑Dunton n’est pas surprenante, compte tenu de l’importance particulière des chemins de fer dans l’édification du Canada, de leur rôle unificateur et du symbolisme culturel important qu’ils représentent pour tous les Canadiens. En 1969, le Parlement a adopté la Loi sur les langues officielles, S.C. 1968‑69, ch. 54 (la Loi de 1969), à la suite des études et des recommandations de la Commission Laurendeau‑ Dunton. La Loi de 1969 a été complètement abrogée et a été remplacée par la LLO qui a été proclamée en vigueur le 15 septembre 1988, sauf certaines dispositions qui ne sont pas pertinentes à la présente instance. Aujourd’hui, le train demeure un instrument privilégié et extraordinaire d’unité nationale qui permet aux Canadiens qui voyagent partout au pays de découvrir leur pays et d’échanger des idées avec sa population.
[103] Il convient de se rappeler qu’avant l’introduction du premier train de voyageurs en Amérique du Nord britannique, le transport était une entreprise difficile; le train a permis à la population du Canada de découvrir des régions peu connues de leur pays. D’un point de vue historique, le CP, notamment le Canadien, est peut‑être le chemin de fer le plus connu des Canadiens. C’est sur le CP que reposait le « rêve national » de John A. Macdonald d’unifier géographiquement et politiquement le pays. C’est d’ailleurs sous la promesse d’intégrer les provinces de la Colombie‑Britannique et de l’Île‑du‑Prince‑Édouard à ce réseau qu’il a obtenu leur adhésion à la Confédération. (Le Canada par le train, Lignes qui unissent : essai Bref historique des chemins de fer au Canada, Bibliothèque et Archives Canada, en ligne : <http://www.collectionscanada.gc.ca/trains/021006-1000‑f.html>.) Il est probable que le train ait encouragé de nombreux Canadiens francophones vivant dans la province de Québec à l’époque de la Confédération à déménager dans l’Ouest.
[104] Je vais maintenant examiner brièvement la question de la sécurité qui est un autre des motifs invoqués par VIA pour la désignation bilingue des postes de CAS et de DS. L’alinéa 24(1)a) de la LLO prévoit qu’il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux et en recevoir les services dans l’une ou l’autre des langues officielles dans les cas, fixés par règlement, touchant à la santé ou à la sécurité du public ainsi qu’à l’emplacement des bureaux, ou liés au caractère national ou international de leur mandat. L’alinéa 24(1)b) prévoit que cette obligation vaut pour les institutions fédérales en toute autre circonstance déterminée par règlement, si la « vocation des bureaux » justifie l’emploi des deux langues officielles. Les cas touchant à la santé ou à la sécurité du public sont décrits comme suit dans le Règlement : lorsqu’un bureau d’une institution fédérale fournit des services d’urgence, notamment les premiers soins, dans une clinique ou une infirmerie située dans un aéroport ou une gare ferroviaire ou de traversiers, lorsqu’un bureau d’une institution fédérale utilise des moyens de signalisation comportant des mots, ou des messages publics normalisés, qui visent la santé ou la sécurité soit des passagers à bord d’aéronefs, de trains ou de traversiers, soit du public dans les aéroports ou les gares ferroviaires ou de traversiers, soit du public à l’intérieur des immeubles fédéraux ou sur leurs terrains avoisinants (voir l’article 8 du Règlement).
[105] Le fait que l’ancien poste de DS n’a pas été désigné bilingue n’est pas un élément déterminant, car un certain nombre de raisons non liées à l’exécution des fonctions et des responsabilités des DS ont pu justifier de ne prendre aucune mesure avant la mise en œuvre du programme ENSV.
[106] Une fois de plus, je répète que, selon moi, le Règlement ne fixe que les normes minimales concernant la prestation de services bilingues qui, selon le gouverneur en conseil, doivent être satisfaites par les transporteurs ferroviaires. Les considérations en matière de demande linguistique et de sécurité justifient objectivement, à tout le moins, la désignation bilingue d’un nombre minimal de postes de première ligne. Toutefois, l’objet général des lois fédérales en matière de droits linguistiques est plus large. L’un des objets implicites visés par ces lois est que VIA offre, dans la mesure du possible, l’ensemble de ses services de transport dans les deux langues officielles, sur tout le réseau ferroviaire, et non pas seulement sur des parties de ce réseau. Je pense à l’exemple donné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, au paragraphe 178 : « La personne qui achète un billet de train de VIA ne voyage pas à bord de tous les trains et sur tous les parcours du réseau de VIA. Elle prend un train précis, sur un parcours précis, et à un moment précis ». Supposons, par exemple, que ce passager est un francophone unilingue de la province de Québec qui va visiter l’Ouest canadien durant ses vacances. C’est la première fois qu’il va à Jasper et il désire faire une excursion de deux jours dans les Rocheuses à bord du Skeena qui l’amènera jusqu’à la côte du Pacifique. Il importe peu dans son cas que VIA offre une liaison complètement bilingue entre Montréal et Toronto. Durant ce long voyage, le voyageur s’attend certainement à pouvoir commander ses consommations et ses repas en français et, s’il survient une situation d’urgence, un danger ou un accident, à recevoir des renseignements en français sur la situation ou sur les mesures de sécurité qui doivent être prises. Pour reprendre un exemple similaire, un anglophone unilingue de la province de l’Alberta en visite dans la province de Québec qui en profite pour prendre quelques jours et aller visiter en train la Gaspésie, l’Abitibi ou la région du Saguenay aura des attentes semblables.
[107] Comme il a été décidé dans la décision Institut professionnel de la fonction publique [à la page 106], le critère d’objectivité sous le régime de l’article 91 de la LLO « doit être étudié non seulement dans le cadre d’une désignation individuelle requise afin de répondre à une demande de services dans les deux langues, mais également en fonction des obligations “proactives” imposées aux institutions fédérales [par l’article 41 [mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 1; 2006, ch. 9, art. 23] de la LLO] qui doivent promouvoir l’emploi d’une langue officielle dans un milieu minoritaire ». Comme l’a fait remarquer le juge Joyal dans la décision Institut professionnel de la fonction publique, la Cour est d’avis que [à la page 109] :
[. . .] le volet fonctionnel ou proactif des politiques linguistiques est non seulement compatible avec les obligations légales de l’intimée, mais il encourage les pratiques efficaces. En d’autres termes, l’intimée doit instaurer un certain niveau de services bilingues, et non se contenter simplement de répondre à des demandes individuelles ou collectives. Autrement, le syndrome décrit en 1967 se perpétuerait indéfiniment et, de plus en plus, l’intimée ne respecterait qu’en paroles les obligations légales que le Parlement lui a imposées.
[108] Par conséquent, qu’une liaison ferroviaire particulière soit désignée bilingue par le SCT ou non ne permet pas de conclure si des exigences de bilinguisme s’imposent objectivement, car Burolis ne change pas la nature des fonctions exécutées par le personnel itinérant des services de première ligne dans les trains ni l’exigence que VIA assure la sécurité de tous ses passagers grâce à des moyens appropriés, notamment les communications et les services dans les deux langues officielles.
La directive du Conseil du Trésor sur la dotation des postes bilingues
[109] Le commissaire, dans son rapport final, ainsi qu’un certain nombre de demandeurs, ont laissé entendre que la Directive sur la dotation des postes bilingues du Conseil du Trésor [http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=12525] devrait être consultée lorsque l’on décide si des mesures de dotation particulières contreviennent à l’article 91 de la LLO. Dans la fonction publique du Canada — dont VIA ne fait pas partie — on fait une distinction entre « dotation impérative » et « dotation non impérative ». Dans le cas de la dotation impérative, seules les candidatures des demandeurs qui satisfont à toutes les exigences du poste, notamment aux exigences linguistiques, sont examinées. Les demandeurs affirment que c’est le cas des titulaires actuels des postes de DS et de CAS, à bord du Transcontinental de l’Ouest. À l’inverse, les dotations non impératives permettent l’examen des candidatures des demandeurs qui satisfont à l’ensemble des exigences essentielles sauf celles qui ont trait aux compétences linguistiques; l’institution offrira alors de la formation linguistique au titulaire pour lui permettre de satisfaire aux exigences des fonctions du poste. Encore une fois, les demandeurs affirment que ce cas s’applique aux employés unilingues qui sont à tout autre égard compétents pour occuper les postes de DS et de CAS sur le Skeena et la Baie d’Hudson.
[110] En vertu de la directive du Conseil du Trésor, les gestionnaires sont chargés d’organiser leurs ressources humaines. Ils doivent voir à ce qu’un bureau qui doit fournir des services dans les deux langues officielles soit capable de le faire en tout temps. Pour ce faire, un gestionnaire doit avoir recours à la dotation impérative pour certains postes. On procède ainsi lorsque les postes sont indispensables du point de vue linguistique, parce que la prestation de services dépend de la communication directe, orale ou écrite, entre les personnes, et lorsque la qualité et la disponibilité du service dans l’une ou l’autre des langues officielles sera inadéquate sans cette capacité. Cet exercice de pouvoir discrétionnaire de gestion dépend d’une évaluation de la capacité bilingue totale, des fonctions et des responsabilités de chacun des postes de première ligne et des solutions possibles concernant la composition des équipes de bord. Comme on peut le constater, le processus décrit dans la directive du Conseil du Trésor, bien qu’il ne lie pas VIA, n’est pas très différent du processus de désignation bilingue décrit à l’annexe 6 de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains et n’est pas non plus incompatible avec ce dernier.
[111] En l’espèce, les mesures de dotation n’ont pas été prises au niveau de la gestion. Elles ont découlé directement de la mise en œuvre du programme ENSV après des négociations et une médiation élargies avec l’ensemble des syndicats. Quoi qu’il en soit, la directive du Conseil du Trésor prévoit qu’on devrait avoir recours à la dotation impérative lorsque, par exemple, le poste bilingue est l’un des rares postes bilingues dans un bureau offrant des services au public ou aux employés, lorsque le poste bilingue est le seul offrant certains services, lorsque le poste bilingue est l’un parmi plusieurs offrant des services similaires, mais qu’il n’y a pas assez de titulaires répondant aux exigences linguistiques pour garantir le service dans les deux langues officielles en tout temps, ou lorsque les fonctions du poste requièrent la capacité de communiquer rapidement et précisément dans les deux langues dans des situations où la communication a des conséquences directes sur la santé ou la sécurité du public ou des occupants d’un bureau (p. ex., un poste dont le titulaire est chargé de communiquer des instructions dans le contexte de services de sécurité internes ou de la gestion de situations d’urgence).
[112] En l’espèce, la Cour souligne que le DS est chargé de la gestion de l’ensemble des services aux passagers dans le train et qu’il s’occupe du personnel itinérant des services dans les trains. Par conséquent, le DS est le préposé aux services à bord des trains qui possède le rang le plus élevé et il relève directement du directeur des services aux clients. Il n’y a qu’un seul DS à bord de chaque train. Sur le Skeena, le DS (trajets éloignés) est le seul préposé aux services à bord du train durant la période hors saison, qui se situe d’ordinaire du 1er octobre au 14 mai. Il n’y a aucun CAS à bord du Skeena.
[113] Les postes de DS et de CAS sont des postes de première ligne. Ils sont occupés sur chaque train par un seul titulaire (il n’y a désormais plus deux CAS à bord du Transcontinental de l’Ouest). Selon la Cour, les désignations faites par VIA satisfont aux critères de la « dotation impérative ». Les autres postes de première ligne, comme le poste de PPS, devraient également faire l’objet d’une dotation impérative s’il n’y a pas assez de titulaires répondant aux exigences linguistiques pour garantir le service dans les deux langues officielles en tout temps (toutefois, cela ne semble pas être le cas, compte tenu de la politique d’embauche de candidats bilingues de VIA).
Aucune violation de l’article 91
[114] Tout au long de l’enquête du commissaire ainsi que tout au long de la présente instance, VIA a prétendu que ses exigences linguistiques quant aux postes de DS et de CAS s’imposaient objectivement en raison, notamment, de la nature de ses activités, des fonctions et des responsabilités particulières associées à ces postes et des considérations en matière de service et de sécurité qui en découlent. Compte tenu de la preuve au dossier, la Cour estime que le point de vue de VIA n’est pas déraisonnable.
[115] La preuve soumise par la demanderesse, notamment le rapport final du commissaire et les extraits tirés de Burolis, ne permet pas à la Cour de conclure que la raison invoquée par VIA pour justifier ses exigences de bilinguisme quant aux postes de DS et de CAS à bord du Transcontinental de l’Ouest et sur les trajets éloignés de l’Ouest du Canada ne s’imposait pas objectivement. Compte tenu des considérations accrues en matière de sécurité associées aux activités de VIA, de son mandat à titre de société d’État et de sa clientèle hétérogène nationale et étrangère, il n’était pas déraisonnable, selon la Cour, que VIA désigne comme bilingues certains postes clés sur ses trains qui parcourent le pays.
[116] Les fonctions et les responsabilités des titulaires des postes de DS et de CAS en litige dans la région de l’Ouest, et ailleurs au Canada, justifiaient une désignation bilingue. Par conséquent, l’article 91 de la LLO n’a pas été violé par VIA lorsqu’elle a pourvu ces postes avec des employés itinérants des services dans les trains ayant moins d’ancienneté que la demanderesse, mais possédant le niveau de compétence en matière de bilinguisme exigé en vertu de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains (niveau D).
VIII. LA QUESTION DES RÉPARATIONS
[117] Compte tenu des conclusions susmentionnées, même si les exigences de bilinguisme pour les postes de CAS et de DS n’étaient pas objectivement justifiées, la Cour n’aurait accordé aucune des réparations demandées par la demanderesse dans sa demande, sauf celle qui consiste à déclarer illégales les exigences de bilinguisme et à ordonner à VIA d’afficher une annonce invitant tous les employés à postuler pour de la formation relative aux postes de CAS et de DS sur les trajets éloignés dans l’Ouest du Canada, et la Cour serait demeurée saisie de l’affaire afin de déterminer de façon définitive le montant de l’indemnité ou des dommages‑intérêts à accorder à la demanderesse si elle était choisie pour la formation et qu’elle était en fin de compte jugée compétente pour occuper l’un ou l’autre de ces postes.
Les recommandations du commissaire
[118] Dans la présente affaire, il est très difficile de distinguer les recommandations relatives à l’article 91 faites dans le rapport final du commissaire des recommandations relatives à l’article 39. Cela vaut plus particulièrement pour les réparations demandées aujourd’hui par les différents demandeurs en l’espèce. De plus, la question de savoir si VIA devrait dispenser au besoin de la formation en langue seconde, comme il est mentionné dans les recommandations 1, 3 et 4, peut être pertinente lors d’une plainte collective déposée en vertu de l’article 39, mais non lors de l’examen, au regard de l’article 91 de la LLO, d’une mesure de dotation particulière.
[119] Bien qu’une violation de l’article 91 permette à la Cour d’accorder une réparation en vertu du paragraphe 77(4), aucune réparation ne peut être accordée par la Cour dans le cas d’une violation de l’article 39. Il ne faut pas oublier que la disposition qui permet à la Cour d’accorder réparation, c’est‑à-dire le paragraphe 77(1), comprend une liste exhaustive. La partie VI, dans laquelle se trouve l’article 39, n’est pas mentionnée au paragraphe 77(1). Même s’il était établi qu’il y a eu violation de l’article 39, la Cour n’aurait pas compétence pour accorder réparation en vertu du paragraphe 77(4) quant à cette violation (voir Ayangma c. Canada, 2002 CFPI 707, au paragraphe 65, confirmé par 2003 CAF 149).
[120] De plus, les possibilités de suivre des cours de langue sont limitées en vertu de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains et, à l’audience devant la Cour, l’avocat du commissaire a reconnu que la LLO ne prévoit aucune obligation impérieuse d’offrir de la formation en langue seconde, bien que la prestation d’une telle formation favoriserait l’atteinte de ses objectifs. Le commissaire a également reconnu dans son rapport final que VIA avait déjà pris et continuait de prendre des mesures visant à aider les employés unilingues touchés par la création des nouveaux postes bilingues. Toutefois, comme leur ancienneté l’emporte, seuls les employés qui approchent de leur retraite suivent de la formation intensive en langue seconde. Les employés unilingues qui ont moins d’ancienneté ont donc très peu de chance d’être choisis dans les endroits où l’on annonce les cours de langue seconde. Si le syndicat a agi de manière arbitraire ou discriminatoire envers les employés ayant moins d’ancienneté, le recours approprié était de déposer une plainte pour manquement au devoir de représentation juste au Conseil et non pas de s’adresser à la Cour pour demander réparation (voir Cairns nos 1 et 2).
[121] En ce qui concerne la recommandation faite par le commissaire « d’identifier des occasions pour assigner des effectifs unilingues qualifiés à un des deux postes de coordonnateur des services sur le Transcontinental de l’Ouest » (recommandation no 3), dans les circonstances, aucune ordonnance contraignante ne peut être délivrée aujourd’hui car ce poste n’existe plus. Selon la preuve non contredite déposée au dossier, en date du 11 mars 2003, le nombre de postes de CAS bilingues à bord du Transcontinental de l’Ouest est passé de 18 à 9 afin d’accorder davantage d’occasions aux employés unilingues d’occuper des postes attribués de façon régulière. La légalité de cette mesure en vertu de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains et en vertu de l’entente de 1998 a été confirmée par l’arbitre Michel Picher dans une décision datée du 14 juillet 2003 (sentence arbitrale, affaire no 3347, Bureau d’arbitrage et de médiation des chemins de fer du Canada, arbitre Michel Picher, 14 juillet 2003).
Le droit de la demanderesse à des dommages‑intérêts
[122] En l’espèce, la demanderesse demande des dommages-intérêts punitifs de 40 000 $, ainsi que des dommages‑intérêts compensatoires de 80 815,05 $. Cette demande est présentée à l’égard de la période de mars 1998 au 1er juillet 2004 et elle est fondée sur la différence entre le salaire qu’elle a gagné au cours de cette période et le salaire qu’un DS affecté régulièrement à son poste aurait gagné au cours de la même période. Un certain nombre de montants ont été avancés à l’audience par la demanderesse, mais celle‑ci ne les a pas prouvés par un affidavit soumis à l’appui de sa demande de réparation.
[123] L’avocat de VIA a renvoyé la Cour à deux affidavits soumis par M. Edward G. Houlihan, un daté du 14 décembre 2006 et l’autre daté du 21 juin 2007. Il n’existe pas de raisons sérieuses d’écarter cet élément de preuve très pertinent, qui n’a pas été sérieusement contesté par la demanderesse, ou de ne pas en tenir compte. Le 21 juin 2007, il y avait, dans l’Ouest, neuf employés des services dans les trains affectés régulièrement à des postes de DS à bord du Transcontinental de l’Ouest. Il y avait, dans l’Ouest, huit employés des services dans les trains affectés régulièrement à des postes de DS sur les trajets éloignés, plus précisément, quatre sur le trajet Churchill et quatre sur le Skeena. À ce moment, il y a un CAS à bord de chacun des trains du Transcontinental de l’Ouest et à bord de chacun des trains du trajet Churchill. Il n’y a pas de CAS à bord du Skeena.
[124] Dans l’Ouest, parmi les employés des services dans les trains qui avaient toutes les compétences pour occuper un poste de DS, 29 étaient des employés ayant plus d’ancienneté que la demanderesse et, parmi ceux‑ci, 12 n’avaient pas l’ancienneté exigée pour être affectés régulièrement à un poste de DS. De 1998 à cette date, il y avait en tout temps, dans l’Ouest, pas moins de 63 employés des services dans les trains unilingues qui avaient plus d’ancienneté que la demanderesse et qui répondaient à tout autre égard aux critères fondamentaux pour postuler pour la formation relative au poste de DS. De plus, dans l’Ouest, le 21 juin 2007, parmi les employés des services dans les trains qui avaient toutes les compétences pour occuper un poste de CAS, 34 avaient plus d’ancienneté que la demanderesse. De 1998 à cette date, il y avait en tout temps, dans l’Ouest, pas moins de 63 employés des services dans les trains unilingues qui avaient plus d’ancienneté que la demanderesse et qui répondaient à tout autre égard aux critères fondamentaux pour postuler pour la formation relative au poste de CAS.
[125] Comme on peut le constater, les réparations d’ordre pécuniaire demandées par la demanderesse entraîneraient une décision hypothétique après coup par la Cour sur la question de savoir si la demanderesse aurait été admissible à la formation et aurait pu postuler avec succès pour les postes de DS ou de CAS si les exigences de bilinguisme pour ces postes étaient déclarées illégales rétroactivement. À cet égard, devrait‑on utiliser la date du dépôt de la plainte de la demanderesse au commissaire, la date à laquelle la demanderesse a demandé pour la première fois à recevoir de la formation ou la date de la mise en œuvre du programme ENSV?
[126] Aucun élément de preuve à jour n’a été déposé par les parties à l’audience tenue en avril 2009. La Cour ne peut pas déterminer le nombre exact, aujourd’hui, d’employés des services dans les trains dans la région de l’Ouest ayant plus d’ancienneté que la demanderesse. Toutefois, compte tenu des chiffres déjà mentionnés par M. Houlihan dans son deuxième affidavit du 21 juin 2007, en l’absence d’exigences de bilinguisme, la prétention selon laquelle la demanderesse avait les compétences à tout autre égard pour occuper un poste de DS ou de CAS au cours de la période de temps mentionnée à l’audience (de mars 1998 au 1er juillet 2004) semble très hypothétique dans les circonstances. La Cour ne peut tout simplement pas présumer, comme l’a laissé entendre la demanderesse à l’audience, que les employés ayant plus d’ancienneté n’auraient pas postulé pour la formation relative à ces postes, ni que la demanderesse aurait réussi les examens. La seule réparation juste et raisonnable dans les circonstances serait de rendre une ordonnance déclaratoire et d’ordonner à VIA d’effectuer un nouveau processus de soumission de candidatures.
[127] Selon la preuve, à l’époque où le programme ENSV a été mis en œuvre, c’est‑à‑dire à l’été de 1998, la demanderesse comptait 13 années de service. La demanderesse, qui possède également des compétences de cuisinière, de PS et de PPS, occupait de façon régulière le poste de CS et relevait directement du DS. De plus, lorsqu’elle était CS, elle a été appelée à travailler comme DS après avoir été choisie de la liste de réserve en l’absence d’un DS compétent. Toutefois, la demanderesse n’aurait pas été admissible à la formation relative au poste de DS en vertu de l’entente de 1998 en raison de la nature transitoire des dispositions de cette entente. Dans une sentence arbitrale datée du 23 avril 2002, l’arbitre en droit du travail Ted Weatherhill a décidé que l’objet du paragraphe 6 de l’entente de 1998 était de permettre aux employés unilingues d’accéder aux postes de DS uniquement pendant la période de mise en œuvre initiale du programme, jusqu’à ce que l’effectif soit complet (voir la sentence arbitrale du 23 avril 2002, pièce C de l’affidavit d’Edward Houlihan).
[128] De plus, en élaborant une réparation juste et raisonnable, la Cour devrait également examiner les dispositions de la convention collective du personnel itinérant des services dans les trains. Celle‑ci réglemente de façon exhaustive les demandes de formation ou d’affectation, limite le nombre de postes de formation ou d’affectation et réglemente l’ensemble du processus de sélection, qui est notamment fondé sur l’ancienneté relative de chaque candidat. Par exemple, pour les postes de DS, une fois que la sélection initiale des candidats a été effectuée (d’après l’ancienneté), chaque candidat fait l’objet d’une évaluation individuelle de la part de la direction de VIA grâce à un processus officiel d’entrevue et à des examens théoriques et pratiques. L’élément principal des examens pratiques consiste en un exercice appelé « épreuve du courrier », au cours duquel le candidat doit régler une série de problèmes en fonction d’un scénario hypothétique ou d’un « jeu de rôles ». Ce n’est que si un candidat réussit l’ensemble des éléments du processus de sélection qu’il est invité à participer à la formation relative au poste de DS. Seuls les candidats qui réussissent la formation sont réputés avoir les compétences de DS et sont donc autorisés à postuler pour un poste de DS ou à figurer sur la liste de réserve pour ce poste.
[129] Enfin, il n’y a aucune preuve de mauvaise conduite de la part de VIA qui ferait que celle‑ci devrait être condamnée à payer des dommages-intérêts punitifs pour l’humiliation ou le stress occasionné, le cas échéant, à la demanderesse à la suite de la mise en œuvre du programme ENSV ou de la prise des mesures de dotation contestées.
IX. LES DÉPENS
[130] L’article 81 de la LLO prévoit ce qui suit :
81. (1) Les frais et dépens sont laissés à l’appréciation du tribunal et suivent, sauf ordonnance contraire de celui-ci, le sort du principal. |
Frais et dépens |
(2) Cependant, dans les cas où il estime que l’objet du recours a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, le tribunal accorde les frais et dépens à l’auteur du recours, même s’il est débouté. |
Idem |
[131] En exerçant mon pouvoir discrétionnaire, et après avoir tenu compte de l’ensemble des facteurs pertinents, je conclus que la cause en l’espèce soulève un principe important et nouveau quant à la LLO et que les dépens devraient être accordés à la demanderesse même si celle‑ci a été déboutée. La présente demande a soulevé la question de l’interaction complexe entre les diverses parties de la LLO et certaines de ses dispositions clés. La clarification de la portée de ces dispositions dans le contexte des mesures de dotation contestées va bien au-delà des intérêts immédiats des parties au présent litige. La présente cause apporte un éclairage additionnel aux principes directeurs généraux qui régissent l’évaluation du caractère raisonnable des exigences de bilinguisme dans les cas où une institution fédérale dispense des services aux voyageurs.
[132] Il convient en l’espèce d’adjuger à la demanderesse une somme globale tenant lieu de dépens. Compte tenu de l’ensemble des facteurs pertinents et des circonstances particulières de l’espèce, l’adjudication d’un montant de 2 000 $ est raisonnable et ce montant sera versé par la défenderesse (Thibodeau, précité; Sherman c. M.R.N., 2003 CAF 202, [2003] 4 C.F. 865; Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 137).
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que
1. la demande est rejetée avec dépens à la demanderesse;
2. la somme de 2 000 $ tenant lieu de dépens, payable par la défenderesse, est adjugée à la demanderesse.
ANNEXE
Dispositions légales et réglementaires
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 [art. 7 (mod. par L.C. 2002, ch. 7, art. 225)]
7. (1) Sont établis dans les deux langues officielles les actes pris, dans l’exercice d’un pouvoir législatif conféré sous le régime d’une loi fédérale, soit par le gouverneur en conseil ou par un ou plusieurs ministres fédéraux, soit avec leur agrément, les actes astreints, sous le régime d’une loi fédérale, à l’obligation de publication dans la Gazette du Canada, ainsi que les actes de nature publique et générale. Leur impression et leur publication éventuelles se font dans les deux langues officielles. |
Textes d’application |
(2) Les actes qui procèdent de la prérogative ou de tout autre pouvoir exécutif et sont de nature publique et générale sont établis dans les deux langues officielles. Leur impression et leur publication éventuelles se font dans ces deux langues. |
Prérogative |
(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux textes suivants du seul fait qu’ils sont d’intérêt général et public : a) les ordonnances des Territoires du Nord‑Ouest, les lois de la Législature du Yukon ou de celle du Nunavut, ainsi que les actes découlant de ces ordonnances et lois; b) les actes pris par les organismes — bande indienne, conseil de bande ou autres — chargés de l’administration d’une bande indienne ou d’autres groupes de peuples autochtones. [. . .] |
Exceptions |
9. Les textes régissant la procédure et la pratique des tribunaux fédéraux sont établis, imprimés et publiés dans les deux langues officielles. [. . .] |
Textes de procédures |
11. (1) Les textes — notamment les avis et annonces — que les institutions fédérales doivent ou peuvent, sous le régime d’une loi fédérale, publier, ou faire publier, et qui sont principalement destinés au public doivent, là où cela est possible, paraître dans des publications qui sont largement diffusées dans chacune des régions visées, la version française dans au moins une publication d’expression princi-palement française et son pendant anglais dans au moins une publication d’expression principalement anglaise. En l’absence de telles publications, ils doivent paraître dans les deux langues officielles dans au moins une publication qui est largement diffusée dans la région. |
Avis et annonces |
(2) Il est donné dans ces textes égale importance aux deux langues officielles. |
Importance |
12. Les actes qui s’adressent au public et qui sont censés émaner d’une institution fédérale sont établis ou délivrés dans les deux langues officielles. [. . .] |
Actes destinés au public |
22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l’une ou l’autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux — auxquels sont assimilés, pour l’application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services — situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante. |
Langues des communications et services |
23. (1) Il est entendu qu’il incombe aux institutions fédérales offrant des services aux voyageurs de veiller à ce que ceux-ci puissent, dans l’une ou l’autre des langues officielles, communiquer avec leurs bureaux et en recevoir les services, là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante. |
Voyageurs |
(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, dans les bureaux visés au paragraphe (1), les services réglementaires offerts aux voyageurs par des tiers conventionnés par elles à cette fin le soient, dans les deux langues officielles, selon les modalités réglementaires. |
Services conventionnés |
24. (1) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, tant au Canada qu’à l’étranger, et en recevoir les services dans l’une ou l’autre des langues officielles : a) soit dans les cas, fixés par règlement, touchant à la santé ou à la sécurité du public ainsi qu’à l’emplacement des bureaux, ou liés au caractère national ou international de leur mandat; |
Vocation du bureau |
b) soit en toute autre circonstance déterminée par règlement, si la vocation des bureaux justifie l’emploi des deux langues officielles. |
|
(2) Il incombe aux institutions fédérales tenues de rendre directement compte au Parlement de leurs activités de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, tant au Canada qu’à l’étranger, et en recevoir les services dans l’une ou l’autre des langues officielles. |
Institutions relevant directement |
(3) Cette obligation vise notamment : a) le commissariat aux langues officielles; b) le bureau du directeur général des élections; b.1) le commissariat à l’intégrité du secteur public; c) le bureau du vérificateur général; d) le commissariat à l’information; e) le commissariat à la protection de la vie privée; f) le Commissariat au lobbying. [. . .] |
Précision |
39. (1) Le gouvernement fédéral s’engage à veiller à ce que : a) les Canadiens d’expression française et d’expression anglaise, sans distinction d’origine ethnique ni égard à la première langue apprise, aient des chances égales d’emploi et d’avancement dans les institutions fédérales; b) les effectifs des institutions fédérales tendent à refléter la présence au Canada des deux collectivités de langue officielle, compte tenu de la nature de chacune d’elles et notamment de leur mandat, de leur public et de l’emplacement de leurs bureaux. |
Engagement |
(2) Les institutions fédérales veillent, au titre de cet engagement, à ce que l’emploi soit ouvert à tous les Canadiens, tant d’expression française que d’expression anglaise, compte tenu des objets et des dispositions des parties IV et V relatives à l’emploi. |
Possibilités d’emploi |
(3) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au mode de sélection fondé sur le mérite. [. . .] |
Principe du mérite |
41. (1) Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. |
Engagement |
(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement. Il demeure entendu que cette mise en œuvre se fait dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces. |
Obligations des institutions fédérales |
(3) Le gouverneur en conseil peut, par règlement visant les institutions fédérales autres que le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique et le bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, fixer les modalités d’exécution des obligations que la présente partie leur impose. [. . .] |
Règlements |
46. (1) [. . .] |
Attributions |
(2) Le Conseil du Trésor peut, dans le cadre de cette mission : [. . .] c) donner des instructions pour l’application des parties IV, V et VI; [. . .] f) informer le public et le personnel des institutions fédérales sur les principes et programmes d’application des parties IV, V et VI; [. . .] |
|
58. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire instruit toute plainte reçue — sur un acte ou une omission — et faisant état, dans l’administration d’une institution fédérale, d’un cas précis de non‑ reconnaissance du statut d’une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement fédéraux sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou encore à l’esprit de la présente loi et à l’intention du législateur. |
Plaintes |
(2) Tout individu ou groupe a le droit de porter plainte devant le commissaire, indépendamment de la langue officielle parlée par le ou les plaignants. |
Dépôt d’une plainte |
(3) Le commissaire peut, à son appréciation, interrompre toute enquête qu’il estime, compte tenu des circonstances, inutile de poursuivre. |
Interruption |
(4) Le commissaire peut, à son appréciation, refuser ou cesser d’instruire une plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants : a) elle est sans importance; b) elle est futile ou vexatoire ou n’est pas faite de bonne foi; c) son objet ne constitue pas une contravention à la présente loi ou une violation de son esprit et de l’intention du législateur ou, pour toute autre raison, ne relève pas de la compétence du commissaire. |
Refus d’instruire |
(5) En cas de refus d’ouvrir une enquête ou de la poursuivre, le commissaire donne au plaignant un avis motivé. [. . .] |
Avis au plaignant |
77. (1) Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie. |
Recours |
(2) Sauf délai supérieur accordé par le tribunal sur demande présentée ou non avant l’expiration du délai normal, le recours est formé dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l’enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou de l’avis de refus d’ouverture ou de poursuite d’une enquête donné au titre du paragraphe 58(5). |
Délai |
(3) Si, dans les six mois suivant le dépôt d’une plainte, il n’est pas avisé des conclusions de l’enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou du refus opposé au titre du paragraphe 58(5), le plaignant peut former le recours à l’expiration de ces six mois. |
Autre délai |
(4) Le tribunal peut, s’il estime qu’une institution fédérale ne s’est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances. |
Ordonnance |
(5) Le présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d’action. [. . .] |
Précision |
82. (1) Les dispositions des parties qui suivent l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi ou de tout règlement fédéraux : a) partie I (Débats et travaux parlementaires); b) partie II (Actes législatifs et autres); c) partie III (Administration de la justice); d) partie IV (Communications avec le public et prestation des services); e) partie V (Langue de travail). |
Primauté sur les autres lois |
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à la Loi canadienne sur les droits de la personne ni à ses règlements. |
Exception |
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]
20. (1) Le public a, au Canada, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a |
Communications entre les administrés et les institutions fédérales |
le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas : a) l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante; b) l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau. |
Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48
7. (1) [. . .]
(2) Pour l’application du paragraphe 23(1) de la Loi, l’emploi d’une langue officielle fait l’objet d’une demande importante à un bureau d’une institution fédérale en ce qui a trait aux services offerts aux voyageurs lorsque le bureau offre ces services sur un trajet et qu’au moins cinq pour cent de la demande de services faite par les voyageurs sur ce trajet, au cours d’une année, est dans cette langue.
[. . .]
(4) Pour l’application du paragraphe 23(1) de la Loi, l’emploi des deux langues officielles fait l’objet d’une demande importante à un bureau d’une institution fédérale en ce qui a trait aux services offerts aux voyageurs, dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes :
[. . .]
d) le bureau offre les services à bord d’un train :
(i) soit sur un trajet interprovincial dont la tête de ligne ou le terminus est situé dans une province dont la population de la minorité francophone ou anglophone représente au moins cinq pour cent de l’ensemble de la population de la province, ou qui traverse une telle province,
[. . .]
8. Sont visés à l’alinéa 24(1)a) de la Loi les cas touchant à la santé ou à la sécurité du public qui suivent :
a) lorsqu’un bureau d’une institution fédérale fournit des services d’urgence, notamment les premiers soins, dans une clinique ou une infirmerie située dans un aéroport ou une gare ferroviaire ou de traversiers;
b) lorsqu’un bureau d’une institution fédérale utilise des moyens de signalisation comportant des mots, ou des messages publics normalisés, qui visent la santé ou la sécurité :
(i) soit des passagers à bord d’aéronefs, de trains ou de traversiers,
(ii) soit du public dans les aéroports ou les gares ferroviaires ou de traversiers,
(iii) soit du public à l’intérieur des immeubles fédéraux ou sur leurs terrains avoisinants;
c) lorsqu’un bureau d’une institution fédérale utilise des avis écrits ou des moyens de signalisation comportant des mots pour mettre en garde le public contre tout danger de nature radioactive, explosive, chimique, biologique ou environnementale ou tout autre danger de nature semblable.
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2
56. Pour l’application de la présente partie et sous réserve des dispositions contraires de celle‑ci, la convention collective conclue entre l’agent négociateur et l’employeur lie l’agent négociateur, les employés de l’unité de négociation régie par la convention et l’employeur. |
Effet de la convention collective |
57. (1) Est obligatoire dans la convention collective la présence d’une clause prévoyant le mode — par arbitrage ou toute autre voie — de règlement définitif, sans arrêt de travail, des désaccords qui pourraient survenir entre les parties ou les employés qu’elle régit, quant à son interprétation, son application ou sa prétendue violation. [. . .] |
Clause de règlement définitif sans arrêt |
58. (1) Les ordonnances ou décisions d’un conseil d’arbitrage ou d’un arbitre sont définitives et ne peuvent être ni contestées ni révisées par voie judiciaire. |
Caractère définitif des décisions |