Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

2002 CAF 479

A-28-02

Les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire Katsuragi, le navire Katsuragi, Hapag-Lloyd Container Line, GmbH et Tama Lake Ship Holding SA (appelants/défendeurs)

c.

Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. et Danzas (Canada) Limited (intimées/demanderesses)

A-30-02

Les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire Castor, le navire Castor et Atlas Trampship Reederei GmbH & Co. m.s. Castor KG (appelants)

c.

Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. et Danzas (Canada) Limited (intimées)

Répertorié: Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le) (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Nadon et Evans, J.C.A.-- Vancouver, 13 novembre; Ottawa, 2 décembre 2002.

Interprétation des lois -- Le connaissement relatif au transport des marchandises de l'Italie au Canada conférait aux tribunaux allemands la compétence voulue en cas de réclamation -- Cargaison endommagée -- Les demanderesses avaient présenté une réclamation devant la Cour fédérale du Canada; les défendeurs avaient demandé la suspension de l'`instance compte tenu de la clause de compétence -- La requête n'avait pas encore été entendue lors de l'entrée en vigueur de l'art. 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime (prévoyant que lorsqu'un contrat stipule que l'arbitrage doit avoir lieu ailleurs, une action peut être intentée au Canada si le port de chargement ou déchargement est situé au Canada) -- Le juge de la C.F. 1re inst. a déclaré que l'art. 46(1) s'appliquait à l'instance -- Il a statué que la règle voulant qu'une loi ne soit pas interprétée de façon à s'appliquer rétrospectivement était une présomption forte, mais qu'elle pouvait être écartée -- Décision infirmée par la C.A.F. -- Question en appel: le juge a-il eu tort de conclure que les requêtes visant la suspension étaient des faits continus tant qu'une décision n'était pas rendue à leur égard -- Les seuls faits pertinents étaient la date d'introduction de l'instance et la date à laquelle la disposition en question est entrée en vigueur -- L'application de la disposition en question à l'instance lui donnerait un effet rétroactif -- Cela conférerait aux intimées des droits qu'elles ne possédaient pas lorsque l'action a été intentée -- Examen de l'argument selon lequel la règle à l'encontre de l'application rétroactive ne s'applique pas à une loi qui influe uniquement sur des droits procéduraux -- Les avis exprimés par des professeurs de droit ont été adoptés -- Toute tentative visant à appliquer une disposition procédurale à un stade de la procédure qui a pris fin avant l'entrée en vigueur de la disposition en question est refusée, sous réserve d'une directive législative contraire.

Droit maritime -- Transport de marchandises -- Une cargaison de granite poli transportée de l'Italie au Canada avait été endommagée -- Le connaissement conférait la compétence sur les litiges aux tribunaux allemands -- Action intentée devant la Cour fédérale du Canada -- La requête visant la suspension était fondée sur la clause de compétence -- La demande de suspension n'avait pas encore été entendue lors de l'entrée en vigueur de l'art. 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime (prévoyant que, malgré le contrat, l'action peut être intentée au Canada si le port de chargement ou de déchargement est situé au Canada) -- Le juge a statué que l'art. 46(1) s'appliquait à l'instance -- Décision infirmée par la C.A.F. -- L'application rétroactive de l'art. 46(1) conférerait aux intimées des droits qu'elles ne possédaient pas lorsqu'elles avaient engagé des poursuites en justice.

La réclamation des demanderesses (les intimées en l'espèce) se rapportait aux dommages causés à une cargaison de granite poli transportée de l'Italie à Surrey (Colombie-Britannique). Les marchandises avaient été transportées à Malte à bord du Castor et, de là, à Halifax à bord du Katsuragi. Le granite avait ensuite été transporté à travers le Canada par chemin de fer. Le connaissement, en date du 21 décembre 1999, établi à Milan, stipulait que toute réclamation découlant du connaissement serait régie par le droit allemand et tranchée devant les tribunaux de Hambourg. Les intimées ont déposé leur déclaration devant la Cour fédérale du Canada le 15 décembre 2000, mais les défendeurs ont présenté une requête en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale en vue d'obtenir la suspension de l'instance compte tenu de la clause de compétence. Les demandes de suspension n'avaient pas encore été entendues lorsque le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime est entrée en vigueur. Cette disposition prévoit que lorsqu'un contrat de transport de marchandises par eau stipule le renvoi à une cour de justice ou à l'arbitrage en un lieu situé à l'étranger, le litige peut être engagé au Canada si le port de chargement ou de déchargement est situé au Canada. Le juge Gibson de la Section de première instance a accordé un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 46(1) s'appliquait à l'instance. Ce juge a statué que la règle de common law voulant qu'une loi ne soit pas interprétée de façon à s'appliquer rétrospectivement, tout en étant une présomption forte, pouvait être écartée. La législation devait être minutieusement examinée afin de déterminer s'il y avait une indication montrant que le législateur voulait que le paragraphe 46(1) ait un effet rétroactif. Le juge, qui avait conclu qu'il n'y avait aucune indication de ce genre, s'est ensuite reporté à des ouvrages faisant autorité sur l'interprétation législative qui, selon lui, étayaient la thèse selon laquelle, lorsqu'une disposition de droit attache des conséquences juridiques à des faits continus, la disposition n'est pas rétroactive à moins que l'état de fait n'ait pris fin avant l'entrée en vigueur de la disposition. Le juge Gibson était d'avis que les demandes de suspension étaient des faits d'une nature continue, de sorte que l'application du paragraphe 46(1) à l'instance n'était ni rétroactive ni rétrospective. Il a en outre statué que les droits reconnus aux appelants en vertu de la clause de compétence n'étaient pas des droits acquis ou établis lorsque le paragraphe 46(1) était entré en vigueur. Les appelants ont soutenu que le juge de la cour d'instance inférieure avait eu tort de conclure que les requêtes visant la suspension étaient des faits continus tant qu'une décision n'était pas rendue à leur égard.

Arrêt: les appels doivent être accueillis.

Le juge des requêtes a conclu avec raison que la présomption de non-rétroactivité n'avait pas été annulée. Toutefois, contrairement à l'avis exprimé par le juge Gibson, les seuls faits qui se rapportent à la détermination de la question de l'application dans le temps du paragraphe 46(1) sont ceux qui sont désignés dans la loi, à savoir la date de l'introduction de l'instance et la date à laquelle la disposition en question est entrée en vigueur. Les demandes de suspension ne pouvaient pas être considérées comme des faits de nature continue qui n'avaient pas été tranchés lorsque le paragraphe 46(1) était entré en vigueur. À coup sûr, l'application de cette disposition à la présente instance lui donnerait un effet rétroactif. En d'autres termes, la disposition juridique définirait le régime juridique de faits survenus avant son entrée en vigueur. Cela conférerait aux intimées des droits qu'elles ne possédaient pas lorsqu'elles ont engagé les poursuites en justice.

On ne pouvait pas entièrement souscrire à l'argument des intimées selon lequel, étant donné que la disposition en question influe uniquement sur des droits procéduraux, la règle à l'encontre de l'application rétroactive ne s'applique pas. Deux auteurs bien connus, les professeurs Côté et Sullivan, ont exprimé l'avis selon lequel il ne faut pas donner d'effet rétroactif aux lois procédurales. Les lois procédurales, à compter de leur entrée en vigueur, s'appliquent en vue de réglementer des étapes procédurales futures. En l'espèce, les intimées cherchent à appliquer le paragraphe 46(1) à un stade de la procédure--l'introduction de leurs actions--qui a pris fin avant que la disposition en question soit entrée en vigueur. Cela constituerait une application rétroactive.

lois et règlements

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.

Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, art. 46(1).

jurisprudence

décisions mentionnées:

Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; (1975), 66 D.L.R. (3d) 449; [1976] CTC 1; 75 DTC 5451; 7 N.R. 401; Angus c. Sun Alliance compagnie d'assurance, [1988] 2 R.C.S. 256; (1988), 65 O.R. (2d) 638; 52 D.L.R. (4th) 193; 34  C.C.L.I.  237; 47 C.C.L.T. 39; [1988] I.L.R. 1-2370; 9 M.V.R. (2d) 245; 87 N.R. 200; 30 O.A.C. 210.

doctrine

Côté, P.-A. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal: Éditions Thémis, 1999.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

APPELS d'une ordonnance de la Section de première instance ([2002] 3 C.F. 477), accordant un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime s'appliquait en l'espèce. Appels accueillis.

ont comparu:

Nils E. Daugulis pour les appelants (défendeurs) dans le dossier A-28-02.

Peter G. Bernard, c.r. pour les appelants dans le dossier A-30-02.

John W. Bromley pour les intimées.

avocats inscrits au dossier:

Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour les appelants (défendeurs) dans le dossier A-28-02.

Bernard & Patners, Vancouver, pour les appelants dans le dossier A-30-02.

Bromley Chapelski, Vancouver, pour les intimées.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Nadon, J.C.A.: Il s'agit d'appels qui ont été interjetés contre une ordonnance rendue par la Section de première instance le 4 décembre 2001 [[2002] 3 C.F. 447]. Il s'agit ici de savoir si le juge des requêtes a eu raison de conclure que le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (la Loi), qui est entrée en vigueur le 8 août 2001, s'applique aux procédures engagées par les intimées le 15 décembre 2000 dans le dossier T-2330-00. Les faits qui donnent lieu à ces appels sont simples et ne sont pas contestés.

[2]Dans leur déclaration, les intimées, qui sont propriétaires de la cargaison, réclament à l'encontre des appelants, les propriétaires et exploitants des navires Castor et Katsuragi, les dommages causés à une cargaison de granite poli qui était transportée dans un conteneur de Catane, en Italie, à Surrey (Colombie-Britannique).

[3]Le conteneur a été transporté du port de Catane au port de Marsaxlokk, à Malte, à bord du Castro». À Marsaxlokk, le conteneur a été déchargé et transbordé à bord du Katsuragi» en vue du transport à Halifax (Nouvelle-Écosse), où il a été déchargé et placé dans un wagon pour être transporté jusqu'à Surrey.

[4]La demande des intimées est en partie fondée sur un contrat de transport, dont fait foi le connaissement no HLCUMIL991202103, en date du 21 décembre 1999, établi à Milan. La clause 25 du connaissement stipule que toute réclamation ou tout litige découlant du connaissement sera régi par le droit allemand et sera tranché devant les tribunaux de Hambourg, les autres tribunaux n'ayant pas compétence à cet égard. La clause est ainsi libellée:

[traduction] Sauf disposition contraire expresse énoncée dans les présentes, toute réclamation ou tout litige découlant du connaissement sera régi par le droit de la République fédérale d'Allemagne et sera tranché devant les tribunaux de Hambourg, les tribunaux de tout autre ressort n'ayant pas compétence à cet égard. Le transporteur qui entend poursuivre le commerçant peut à son gré intenter une poursuite judiciaire à l'endroit où le commerçant a son établissement. Si cette clause est inapplicable en vertu du droit local, la compétence et le droit applicable seront, au gré du transporteur, ceux du port de chargement ou du port de déchargement.

[5]Les intimées ont déposé leur déclaration le 15 décembre 2000. Le 2 février 2001, les défendeurs Katsuragi ont présenté une requête en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] en vue d'obtenir une ordonnance suspendant l'instance compte tenu de la clause de compétence figurant dans le connaissement. Le 26 mars 2001, les défendeurs Castor ont présenté une requête similaire. Pour des raisons qui ne nous concernent pas ici, les demandes de suspension n'avaient pas encore été entendues lorsque le paragraphe 46(1) de la Loi est entré en vigueur le 8 août 2001.

[6]En fin de compte, les demandes de suspension ont été plaidées devant le juge des requêtes le 19 novembre 2001. Le 4 décembre 2001, le juge des requêtes a statué que le paragraphe 46(1) s'appliquait à l'instance. Il a conclu que son application n'était ni rétroactive ni rétrospective, et qu'elle ne portait pas atteinte à des droits acquis ou établis.

[7]Après avoir énoncé le principe général selon lequel les lois ne devraient pas être interprétées comme ayant un effet rétroactif à moins que le libellé de la loi ne le décrète expressément ou ne l'exige implicitement (voir Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 279), le juge des requêtes a minutieusement examiné la Loi afin de déterminer si ses dispositions pouvaient être interprétées comme montrant que le législateur voulait que le paragraphe 46(1) ait un effet rétroactif. Il a conclu qu'aucune indication de ce genre ne pouvait être trouvée dans la Loi.

[8]Le juge des requêtes a ensuite porté son attention sur les principes généraux d'interprétation afin de déterminer l'application dans le temps du paragraphe 46(1). Les principes auxquels il s'est reporté ont été énoncés par Pierre-André Côté, dans l'ouvrage intitulé Interprétation des lois, 3e éd. (Montréal, Éditions Thémis, 1999), aux pages 160 à 163; ces principes ont été adoptés par Ruth Sullivan dans l'ouvrage intitulé Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto, Butterworths, 1994), aux pages 514 et 515. Il s'agit des principes suivants:

(i) la cour doit identifier les faits pertinents qui déclenchent l'application de la loi;

(ii) la cour doit situer ces faits dans le temps;

(iii) la cour doit appliquer la loi; si des faits qui se produisent après la date d'entrée en vigueur de la loi sont essentiels aux fins de son application, il n'y a pas rétroactivité ou rétrospectivité.

À la page 515 de Driedger, le juge des requêtes a trouvé un appui à l'égard de la thèse selon laquelle lorsqu'une disposition de droit attache des conséquences juridiques à des faits continus, la disposition n'est pas rétroactive à moins que l'état de fait n'ait pris fin avant qu'elle soit entrée en vigueur.

[9]Compte tenu de ces principes, le juge des requêtes a statué que, même si tous les faits pertinents donnant lieu à la demande des intimées s'étaient produits avant l'entrée en vigueur du paragraphe 46(1), les requêtes visant l'obtention d'une ordonnance suspendant l'instance engagée par les intimées étaient des faits d'une nature continue qui n'avaient pas pris fin ou qui n'avaient pas été accomplis avant le 8 août 2001. Il a donc conclu que le paragraphe 46(1) de la Loi s'applique à l'instance parce que son application n'est ni rétroactive ni rétrospective.

[10]Le juge des requêtes a en outre statué que les droits reconnus aux appelants en vertu de la clause de compétence n'étaient pas des droits acquis ou établis lorsque le paragraphe 46(1) est entré en vigueur puisqu'aucune décision n'avait été rendue en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale au sujet de ces droits.

[11]Les appelants soutiennent que le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que le paragraphe 46(1) s'applique à l'instance. Ils affirment que le juge des requêtes a eu tort de conclure que les requêtes visant la suspension de l'instance étaient des faits continus pertinents tant qu'une décision n'était pas rendue à leur égard. Ils déclarent que les seuls faits pertinents sont la date à laquelle les intimées ont engagé l'instance et la date à laquelle le paragraphe 46(1) est entré en vigueur. Les appelants soutiennent en outre qu'ils avaient un droit légal matériel sur lequel ils se sont fondés, à savoir leur droit contractuel de plaider l'affaire à Hambourg, droit qu'ils ont cherché à faire valoir lorsqu'ils ont présenté leurs requêtes visant la suspension. Ils affirment que le paragraphe 46(1) de la Loi ne peut pas influer sur pareil droit. Pour les motifs mentionnés ci-dessous, je conclus que les appels doivent être accueillis.

[12]Le paragraphe 46(1) de la Loi est ainsi libellé:

46. (1) Lorsqu'un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l'arbitrage en un lieu situé à l'étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l'une ou l'autre des conditions suivantes existe:

a) le port de chargement ou de déchargement--prévu au contrat ou effectif--est situé au Canada;

b) l'autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

c) le contrat a été conclu au Canada.

[13]Cette disposition a pour effet de retirer à la présente Cour le pouvoir discrétionnaire conféré à l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu'il s'agit de suspendre les procédures en raison de l'existence d'une clause de compétence ou d'arbitrage s'il est satisfait aux exigences des alinéas 46(1)a), b) ou c). En l'espèce, si l'avis exprimé par le juge des requêtes est exact, l'alinéa 46(1)a) empêcherait les appelants d'obtenir une suspension fondée sur la clause 25 du connaissement étant donné que le déchargement a eu lieu au port de Halifax. Par conséquent, si le paragraphe 46(1) s'applique à l'instance ici en cause, les demandes de suspension présentées par les appelants seront probablement rejetées.

[14]Le juge des requêtes a conclu, avec raison à mon avis, que la présomption de non-rétroactivité n'avait pas été annulée. Je souscris entièrement à son avis lorsqu'il dit que la Loi ne prévoit pas expressément ou n'exige pas implicitement que le paragraphe 46(1) s'applique rétroactivement. Toutefois, contrairement à l'avis exprimé par le juge des requêtes, je suis d'avis que les seuls faits qui se rapportent à la détermination de la question de l'application dans le temps du paragraphe 46(1) sont ceux qui sont désignés dans la loi, à savoir la date de l'introduction de l'instance et la date à laquelle la disposition en question est entrée en vigueur. Par conséquent, dans ce contexte, les demandes de suspension des appelants ne peuvent pas être considérées comme des faits durables ou, comme l'a dit le juge des requêtes, comme des faits de nature continue qui n'ont pas été tranchés avant le 8 août 2001. Étant donné que les demandes de suspension ne sont pas désignées ou mentionnées dans la loi, elles ne sont clairement pas pertinentes lorsqu'il s'agit de déterminer si la disposition en question s'applique à la présente instance.

[15]Je ne doute aucunement que l'application du paragraphe 46(1) à la présente instance donnerait un effet rétroactif à la disposition en question. Aux pages 162 et 163, sous le titre «La qualification de l'application de la loi», le professeur Côté explique les circonstances dans lesquelles une loi aura un effet rétroactif:

Il y a effet rétroactif lorsque la loi nouvelle définit le régime juridique d'un fait ou d'un groupe de faits entièrement survenus avant son entrée en vigueur. On peut donc exclure de la rétroactivité l'hypothèse où le ou les faits juridiques se réalisent après l'entrée en vigueur: il paraît évident qu'une loi n'est pas rétroactive si elle ne fait que tirer des conséquences de faits, momentanés, durables ou successifs, qui se produisent après qu'elle ait été mise en vigueur. On devrait également, bien que cela soit plus discutable, considérer comme non rétroactive l'application de la loi sur le fondement de faits survenus pour partie avant et pour partie après son entrée en vigueur, c'est-à-dire, de faits pendants. Dans ce cas, on a plutôt affaire à une application immédiate de la loi qu'à une application rétroactive.

Il y a par contre rétroactivité lorsqu'on applique la loi sur le fondement de faits entièrement survenus avant son entrée en vigueur. Notamment, on donne effet rétroactif 1) à une loi qui attache des effets à la survenance d'un fait momentané lorsqu'on l'applique à l'égard d'un tel fait survenu avant son entrée en vigueur; 2) à une loi qui attache des effets à la survenance d'un fait durable lorsqu'on l'applique à l'égard d'un tel fait qui a cessé de se produire avant son entrée en vigueur; 3) à une loi qui attache des effets à la survenance de faits successifs lorsqu'on l'applique à l'égard de tels faits tous survenus avant son entrée en vigueur. [Notes de bas de page omises.]

Pour paraphraser le professeur Côté, si le paragraphe 46(1) de la Loi s'applique à la présente instance, la nouvelle loi définirait le régime juridique d'un fait ou d'un groupe de faits entièrement survenus avant son entrée en vigueur.

[16]En concluant qu'une loi n'avait pas d'effet rétroactif, M. le juge Dickson (tel était alors son titre) a dit ce qui suit dans l'arrêt Gustavson, précité (page 279):

[. . .] il [l'article] ne cherche pas à s'immiscer dans le passé et ne prétend pas signifier qu'à une date antérieure, il faille considérer que le droit ou les droits des parties étaient ce qu'ils n'étaient pas alors.

[17]En l'espèce, le paragraphe 46(1), si on l'applique à l'instance engagée le 15 décembre 2000, chercherait à s'immiscer dans le passé et prétendrait signifier qu'à cette date il faut considérer que les droits des parties sont ce qu'ils n'étaient pas alors. Bref, lorsqu'elles ont intenté leur action contre les appelants le 15 décembre 2000, les intimées ne pouvaient pas engager de procédures au Canada sans tenir compte de la clause de compétence figurant dans le connaissement, et ce, même si le déchargement avait lieu dans un port canadien. Les intimées ont engagé les procédures au Canada, mais il était loisible aux appelants de contester l'affaire au moyen d'une demande de suspension fondée sur l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale. Le résultat des demandes de suspension n'est pas inévitable, mais compte tenu de la jurisprudence pertinente, les demandes seraient probablement accueillies et les intimées seraient contraintes à engager des procédures en Allemagne.

[18]L'application du paragraphe 46(1) à l'instance conférerait aux intimées des droits qu'elles ne possédaient pas lorsqu'elles ont engagé les poursuites en justice. À mon avis, pour s'appliquer, le paragraphe 46(1) doit donc avoir un effet rétroactif.

[19]À mon avis, le paragraphe 46(1) est une disposition de fond, mais j'examinerai maintenant l'argument des intimées selon lequel, étant donné que la disposition en question n'influe pas sur des droits touchant le fond, mais plutôt sur des droits procéduraux, la règle à l'encontre de l'application rétroactive ne s'applique pas. À mon avis, cette proposition n'est pas tout à fait exacte. En commentant entre autres la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Angus c. Sun Alliance compagnie d'assurance, [1988] 2 R.C.S. 256, sur laquelle les intimées fondent leur argument, le professeur Côté dit clairement, aux pages 224 à 226 de son ouvrage, que les lois procédurales n'ont pas d'effet rétroactif:

En jurisprudence, il est fréquent de trouver l'affirmation que les lois de procédure sont rétroactives. Souvent, on entend par là que ces lois s'appliquent même à l'égard des instances pendantes au moment de leur entrée en vigueur.

Cette terminologie est bien discutable, car l'application immédiate des lois de procédure n'implique en soi aucun effet rétroactif. La règle est simplement qu'il n'y a pas de droit acquis en matière procédurale. Il n'y a donc pas de survie de la loi ancienne et la loi nouvelle, intervenant même en cours d'instance, s'appliquera dès son entrée en vigueur de manière à régir uniquement le déroulement futur de celle-ci.

Deux causes paraissent expliquer la confusion terminologique signalée. Premièrement, la common law n'a pas de vocable pour désigner les lois qui, n'ayant d'effet que pour l'avenir, atteignent cependant des droits acquis: ces lois sont traditionnellement appelées «rétroactives» bien qu'elles n'agissent pas dans le passé. L'autre cause, propre aux lois de procédure, provient du fait que celles-ci sont d'application immédiate même à l'égard d'instances en cours. Or, cela n'implique pas nécessairement un effet rétroactif.

En principe, les lois nouvelles touchant le fond ne s'appliquent pas aux instances en cours, y compris celles qui sont en appel. Le processus judiciaire étant généralement déclaratif de droit, le juge déclare les droits des parties tels qu'ils existaient le jour où la cause d'action a pris naissance: le jour du délit, le jour de la formation du contrat, le jour de la perpétration de l'acte criminel, et ainsi de suite. Par contre, une loi de fond nouvelle est applicable à une instance en cours lorsqu'elle modifie de façon rétroactive le droit qui existait le jour du délit, du contrat, de l'acte criminel, et ainsi de suite. Une instance en cours pourra donc être régie par une loi nouvelle rétroactive, ceci valant même pour la loi rétroactive adoptée pendant que l'instance est pendante en appel.

Les lois de procédure s'appliquant aussi aux instances en cours, on a appelé ce phénomène «rétroactivité» par analogie avec l'effet des lois concernant le fond. Or, les lois de procédure ne régissent pas le droit dont le juge déclare l'existence: elles concernent les procédés qui servent à faire valoir le droit, elles traitent du déroulement du procès. Il est donc normal qu'une loi touchant le déroulement du procès s'applique aux procès en cours pour ce qui concerne leur déroulement futur. Il n'y a pas là de rétroactivité, simplement un effet immédiat. [Notes de bas de page omises; non souligné dans l'original.]

[20]Le professeur Sullivan souscrit à l'avis du professeur Côté lorsque celui-ci dit qu'il ne faut pas donner d'effet rétroactif aux lois procédurales. À la page 549 de Drieger, voici ce qui est dit:

[traduction] Lorsqu'il est conclu qu'une disposition est de nature purement procédurale, cette disposition a un effet général immédiat. Elle n'a pas d'effet rétroactif. La présomption à l'encontre de l'application rétroactive de la législation s'applique aux dispositions procédurales comme elle s'applique à tout texte législatif, sans exception. Par conséquent, toute tentative visant à appliquer une disposition procédurale à un stade de la procédure qui a pris fin avant l'entrée en vigueur de la disposition serait refusée, sous réserve d'une directive législative contraire. [Non souligné dans l'original.]

[21]Par conséquent, les lois procédurales, à compter de leur entrée en vigueur, s'appliquent en vue de réglementer des étapes procédurales futures. On leur donne un effet général immédiat, mais non un effet rétroactif. En l'espèce, les intimées cherchent à appliquer le paragraphe 46(1) à un stade de la procédure, à savoir l'introduction de l'action contre les défendeurs, qui a pris fin avant que la disposition en question soit entrée en vigueur. Comme il en a déjà fait mention, pour s'appliquer dans ce cas-ci, le paragraphe 46(1) doit donc avoir un effet rétroactif.

[22]Enfin, j'aimerais ajouter qu'une interprétation claire du paragraphe 46(1) m'amène à conclure que la disposition en question ne s'applique pas aux procédures judiciaires qui ont été engagées avant son entrée en vigueur. À mon avis, les conditions énoncées dans la disposition, selon lesquelles «[l]orsqu'un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l'arbitrage en un lieu situé à l'étranger, le réclamant peut [. . .] intenter une procédure judiciaire [. . .] au Canada devant un tribunal», ne s'appliquent pas d'emblée aux procédures engagées avant l'entrée en vigueur de la loi.

[23]Étant donné que j'ai conclu que le paragraphe 46(1) ne s'applique pas aux procédures engagées avant le 8 août 2001 et qu'il s'appliquerait rétroactivement à ces procédures, je n'ai pas examiné la question des droits acquis des demandeurs.

[24]Pour ces motifs, ces appels devraient être accueillis. L'ordonnance que le juge des requêtes a rendue le 4 décembre 2001 devrait être infirmée et un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, ne s'applique pas aux procédures engagées par les intimées dans le dossier T-2330-00 devrait être rendu. Les appelants devraient avoir droit à leurs dépens devant la présente instance et devant l'instance inférieure.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs

Le juge Evans, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.