RÉFÉRENCE : |
monsanto canada inc. c. rivett, 2009 CF 317, [2010] 2 R.C.F. 93 |
T-1515-05 |
Monsanto Canada Inc. et Monsanto Company (demanderesses)
c.
Charles Rivett (défendeur)
Répertorié : Monsanto Canada Inc. c. Rivett (C.F.)
Cour fédérale, juge Zinn—Toronto, 12, 13 et 14 janvier; Ottawa, 26 mars 2009.
Il s’agissait de la restitution des bénéfices découlant de la contrefaçon des lettres patentes canadiennes no 1313830 (le brevet '830) des demanderesses. Ces dernières ont choisi ce recours aux termes d’un jugement sur consentement rendu dans le cadre de l’instance en l’espèce. Le défendeur a contrefait ce brevet en plantant du soja Roundup Ready, en le moissonnant et en vendant la récolte.
Le brevet '830 vise une invention intitulée « Plantes résistant au glyphosate », qui a trait à un gène végétal qui, lorsqu’il est intégré à une cellule végétale, confère à cette cellule et aux plantes qui contiennent de telles cellules un niveau important de résistance au glyphosate. De telles cellules sont donc résistantes aux herbicides, comme le ROUNDUP des demanderesses, dont l’ingrédient actif est le glyphosate. Au Canada, cette invention est vendue sous la marque de commerce Roundup READY et le recours à cette invention est largement répandu parmi les agriculteurs du Canada en raison des nombreux avantages qu’elle confère (c.-à-d. que les agriculteurs peuvent utiliser l’herbicide à base de glyphosate pour tirer profit de la résistance au glyphosate du Roundup Ready). La semence Roundup Ready est uniquement vendue à un agriculteur au moyen d’une licence qui lui est propre. L’agriculteur ne peut planter la semence achetée qu’en vue d’une seule récolte, qui ne peut être vendue qu’à des fins de consommation; l’agriculteur ne peut conserver des semences en vue de les planter pour obtenir une récolte de seconde génération.
Le défendeur, un agriculteur, cultive, récolte et vend du soja, du maïs et du blé. En 2004, sans disposer d’une autorisation ou d’une licence, il a planté, cultivé et récolté du soja ROUNDUP READY sur 947 acres et a tiré un revenu brut de 233 311,73 $ de la vente de sa récolte.
La Cour devait se pencher sur les points suivants : la méthode pertinente à suivre pour procéder à une restitution des bénéfices; les dépenses prouvées engagées par le défendeur déductibles du revenu brut tiré de la vente de sa récolte de soja ROUNDUP READY contrefait en 2004; les bénéfices tirés de la contrefaçon qui devaient être rendus et la responsabilité du défendeur au titre des intérêts avant et après jugement.
Jugement : le montant total des bénéfices devant être restitués par le défendeur et versés aux demanderesses était de 40 137,94 $.
Selon l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur les brevets, la Cour peut exiger qu’un contrefacteur rende compte des bénéfices réalisés par suite de la contrefaçon et restitue ces bénéfices en les versant au titulaire du brevet. C’est là le recours en equity connu sous le nom de restitution des bénéfices. Comme la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Strother c. 3464920 Canada Inc., une ordonnance enjoignant la restitution des profits tirés par le contrefacteur peut viser l’un ou l’autre de deux objectifs d’equity. L’objectif de prévention, le premier objectif, consiste à décourager les actions du contrefacteur et de tout émulateur éventuel. L’objectif de restitution, le deuxième objectif, consiste à restituer à la personne lésée les profits qui lui reviennent de bon droit, mais que le contrefacteur s’est approprié à tort. Lorsqu’on accorde une mesure de restitution on ne vise pas, comme en accordant une mesure compensatoire, à rétablir la personne lésée dans la situation qui aurait été la sienne sans l’acte préjudiciable, mais plutôt à placer le transgresseur dans la situation où il se serait trouvé s’il n’avait pas commis la transgression. De même, bien que la dissuasion soit l’un des éléments de la réparation, elle n’est pas destinée à avoir un caractère punitif.
Exiger que la partie fautive restitue les bénéfices tirés de la contrefaçon, tout en s’assurant qu’elle n’ait pas à rendre davantage, nécessite de se pencher sur le lien causal entre l’acte contrefaisant l’invention et le bénéfice, et entre la transgression et la réparation. En l’absence de lien causal, il n’y a pas de bénéfice que le contrefacteur ait à remettre.
Il y a trois méthodes auxquelles il est possible de recourir pour calculer les bénéfices du contrefacteur devant être restitués au titulaire de brevet. La première méthode est celle du profit différentiel, qui requiert de la Cour qu’elle compare les profits réalisés par le contrefacteur du fait de l’invention et ceux qu’il aurait réalisés en recourant à la meilleure solution non contrefaisante. La méthode du coût différentiel requiert de la Cour qu’elle déduise du revenu brut obtenu par le contrefacteur les frais variables ou fixes ainsi que les dépenses courantes, supplémentaires et en immobilisations qui sont directement attribuables à la contrefaçon. En recourant à la méthode de la totalité des coûts, on accroît les dépenses qui sont déductibles selon la méthode du coût différentiel en déduisant également du revenu gagné la partie pertinente des coûts communs engagés par le contrefacteur.
La méthode qu’il convenait d’utiliser en l’espèce était celle du coût différentiel. Aux fins d’une restitution des bénéfices, le lien de causalité doit exister entres les profits réalisés et l’invention protégée. C’est la méthode à privilégier parce qu’elle a pour effet de repérer et de distinguer les profits générés par l’invention brevetée. On retient les profits qui résultent de l’invention protégée et on élimine ceux qui ont pu être gagnés mais qui n’ont pas de lien de causalité avec l’invention. Lorsqu’on applique la méthode du profit différentiel, il faut trancher la question de savoir s’il existe une solution de substitution non contrefaisante pouvant servir de comparateur. La meilleure solution de substitution non contraignante à prendre en considération lorsqu’on recourt à la méthode de profit différentiel ne peut être ce que l’intéressé aurait fait s’il avait respecté la loi. La comparaison est à établir avec les profits qu’on aurait réalisés en exploitant le meilleur produit possible après le produit breveté même, le premier devant servir de référence pour le calcul de la valeur ajoutée. Ainsi, en l’espèce, la comparaison n’était pas à établir avec les profits que le défendeur aurait réalisés si, en toute légalité, il avait acheté les graines de soja ROUNDUP READY et acquis la licence; la comparaison devait plutôt être faite avec des graines de soja ne renfermant rien de l’invention des demanderesses. La question de savoir si le produit non contrefait de comparaison était véritablement disponible à des fins d’exploitation ou de vente ne constituait pas un facteur déterminant. Par conséquent, le soja conventionnel constituait le comparateur approprié.
Le défendeur avait donc droit à juste titre de déduire ses dépenses prouvées et légitimes du revenu brut tiré de la vente de sa récolte. Il lui incombait de prouver les dépenses devant être déduites. Les dépenses réparties devaient être directement liées à la récolte de soja Roundup Ready, notamment l’engrais, le loyer foncier, les frais de carburant et l’herbicide.
S’agissant des bénéfices à restituer, en appliquant la méthode du profit différentiel, il y avait un lien causal entre les profits réalisés et la contrefaçon. Les profits bruts tirés de la contrefaçon ont donc été calculés. Comme il existait une solution non contrefaisante, soit le soja conventionnel, les profits tirés de cette solution ont également été calculés. La différence entre ces deux montants, soit 40 137,94 $, était le profit directement attribuable à la contrefaçon du brevet et en découlait.
Pour ce qui est des intérêts avant et après jugement, l’octroi d’intérêts avant jugement composés était la règle générale en matière de restitution des bénéfices. Il n’existait pas de circonstances justifiant l’atténuation d’un tel octroi en l’espèce. Comme le défendeur savait que les semences qu’il plantait étaient brevetées et qu’il avait besoin d’une licence pour les cultiver, il devait payer des intérêts avant jugement sur les bénéfices à restituer.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5.
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 42 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16), 57(1)b).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 36 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 9; 2002, ch. 8, art. 36), 37 (mod., idem, art. 37).
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 258(5) (mod. par DORS/2006-219, art. 2), 279 (mod., idem, art. 6), 394.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Strother c. 3464920 Canada Inc., 2007 CSC 24, [2007] 2 R.C.S. 177; Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2001 CFPI 256, conf. par 2002 CAF 309, [2003] 2 C.F. 165, inf. par 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902; Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc., [1998] A.C.F. no 1205 (1re inst.) (QL); Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533.
décision différenciée :
Teledyne Industries, Inc. c. Lido Industrial Products Ltd., [1982] A.C.F. no 1024 (1re inst.) (QL).
décisions examinées :
Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, [1994] A.C.F. no 682 (1re inst.) (QL), conf. en partie par [1995] A.C.F. no 733 (C.A.) (QL); Manufacturing Company v. Cowing, 105 U.S. 253 (1881); Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (C.A.); Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.); Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1992] A.C.F. no 607 (1re inst.) (QL); Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp., [1990] A.C.F. no 246 (1re inst.) (QL), conf. par [1990] A.C.F. no 952 (1re inst.) (QL).
décisions citées :
Bayer Aktiengesellschaft v. Apotex Inc. (2001), 10 C.P.R. (4th) 151 (C.S.J. Ont.), conf. par (2002), 16 C.P.R. (4th) 417 (C.A. Ont.), Hancor Inc. c. Systèmes de drainage modernes Inc., [1991] A.C.F. no 628 (1re inst.) (QL).
DOCTRINE CITÉE
RESTITUTION DES BÉNÉFICES découlant de la contrefaçon des lettres patentes canadiennes no 1313830 des demanderesses par le défendeur, qui a planté du soja ROUNDUP READY, l’a cultivé et a vendu la récolte.
ONT COMPARU
Arthur B. Renaud et L. E. Trent Horne pour les demanderesses.
Donald R. Good pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Bennett Jones LLP, Toronto, pour les demanderesses.
Donald R. Good & Associates, Ottawa, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Zinn : M. Rivett est un agriculteur. En 2004, il a contrefait les lettres patentes canadiennes 1313830 (le brevet '830) en plantant du soja ROUNDUP READY et en moissonnant et vendant la récolte. Les présents motifs de jugement portent sur la réparation choisie par les demanderesses — la restitution des bénéfices ou profits — face au manquement du défendeur.
Le contexte
[2] Les parties se sont entendues sur l’essentiel du contexte factuel pertinent, et ce qui suit est largement tiré des allégations admises figurant dans la déclaration ainsi que d’un exposé conjoint des faits déposé au début du procès.
[3] Monsanto Company est propriétaire du brevet '830 délivré le 23 février 1993 à l’égard d’une invention intitulée « Plantes résistant au glyphosate ». Aux termes de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, et en vertu de son brevet, Monsanto Company dispose du droit, de la faculté et du privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention décrite et revendiquée dans le brevet '830. Monsanto Canada Inc. est liée à Monsanto Company et est exploitante du brevet '830. Elle vend des produits de Monsanto Company au Canada. Dans les présents motifs, tant les expressions « demanderesses » que « Monsanto » renvoient aux demanderesses.
[4] L’invention décrite et revendiquée au brevet '830 a trait à un gène végétal qui, lorsque intégré à une cellule végétale, confère à cette cellule et aux plantes qui contiennent de telles cellules un niveau important de résistance au glyphosate. De telles cellules, par suite, sont résistantes aux herbicides, comme le ROUNDUP de Monsanto, dont l’ingrédient actif est le glyphosate. L’invention a également trait à une méthode de produc-tion de dicotylédones résistant aux herbicides à base de glyphosate. Au Canada, les semences et plantes résistant au glyphosate qui contiennent des gènes ou cellules conformes aux revendications du brevet '830 sont vendues sous la marque de commerce ROUNDUP READY.
[5] L’un des avantages des semences ROUNDUP READY, c’est que l’agriculteur peut, une fois que les plantes ont germé, pulvériser sur celles‑ci de l’herbicide à base de glyphosate; l’herbicide élimine alors les mauvaises herbes, mais non pas la récolte. Cela permet de faire des économies en réduisant l’utilisation de l’herbicide et la fréquence de son application, et d’accroître le rendement des cultures. Le recours à la semence ROUNDUP READY est par conséquent largement répandu parmi les agriculteurs du Canada.
[6] La semence ROUNDUP READY est uniquement vendue à un agriculteur au moyen d’une licence qui lui est propre. L’agriculteur ne peut planter la semence achetée qu’en vue d’une seule récolte, qui ne peut être vendue qu’à des fins de consommation; l’agriculteur ne peut conserver des semences en vue de les planter pour obtenir une récolte de seconde génération. Ces conditions sont imposées du fait que chaque cellule de chaque plante produite grâce à la semence ROUNDUP READY, de même que chaque graine qui en provient, renferme le gène décrit dans le brevet '830.
[7] M. Rivett est un agriculteur de Beeton, en Ontario. Il cultive, récolte et vend du soja, du maïs et du blé. En 2004, sans disposer d’une autorisation ou d’une licence, il a planté du soja ROUNDUP READY et en a moissonné la récolte. M. Rivett admet que, ce faisant, il a exploité, reproduit et créé des gènes, des cellules ainsi que des semences et des plants de soja renfermant des gènes et des cellules résistant au glyphosate faisant l’objet des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 22, 23, 26, 27, 28 et 47 du brevet '830.
[8] M. Rivett admet également avoir pulvérisé de l’herbicide à base de glyphosate sur les pousses de soja ROUNDUP READY, pour pouvoir tirer profit de la résistance au glyphosate du soja ROUNDUP READY. Il a ensuite vendu toute la récolte obtenue grâce au soja ROUNDUP READY contrefait.
[9] Le 11 janvier 2007, le juge Simon Noël a rendu un jugement sur consentement par lequel il accordait une mesure de réparation déclaratoire, interdisait de manière permanente au défendeur de s’adonner à la contrefaçon et enjoignait à ce dernier de remettre à Monsanto Canada Inc. les semences et plants contrefaits en sa possession.
[10] Ce jugement laissait un certain nombre de questions à trancher au procès dans le cadre de la présente action. Les parties ont laissé tomber certaines de ces questions laissées en suspens. Le jugement enjoignait aux demanderesses de choisir entre des dommages‑intérêts et une restitution des bénéfices. Les demanderesses ont choisi cette seconde réparation. Les seules questions restant à la Cour à trancher, par suite du jugement sur consentement et d’ententes subséquentes conclues par les parties, concernent ce qui suit :
a. La restitution des bénéfices tirés de la contrefaçon par le défendeur;
b. Les intérêts avant et après jugement;
c. Les dépens afférents à l’instance.
[11] Les faits qui suivent, pertinents quant à la restitution des bénéfices, ont été admis par M. Rivett :
a. En 2004, M. Rivett a planté, cultivé et récolté du soja ROUNDUP READY sur 947 acres.
b. Il a tiré un revenu brut de 233 311,73 $ de la vente de sa récolte de 947 acres de soja ROUNDUP READY.
c. Il n’a payé aucune autre personne pour le nettoyage des semences de soja ROUNDUP READY.
d. Il n’a embauché aucun employé aux fins uniquement de cultiver le soja ROUNDUP READY.
e. Il n’a payé aucun tiers pour qu’il plante du soja ROUNDUP READY.
f. Il n’a payé aucun tiers pour l’épandage d’engrais ou la pulvérisation d’herbicides sur son soja ROUNDUP READY.
g. Il n’a payé aucun tiers pour qu’il récolte le soja ROUNDUP READY.
h. Il n’a acheté aucun équipement à la seule fin de cultiver le soja ROUNDUP READY.
i. En 2004, mis à part le soja ROUNDUP READY qu’il a planté, cultivé et récolté sur 947 acres, il a également planté, cultivé et récolté du soja ordinaire sur 811 acres, du maïs sur 1 408 acres et du blé d’hiver sur 350 acres.
[12] Outre ces faits convenus, Michael McGuire, vice‑président chez Monsanto Canada Inc. et directeur des activités commerciales pour le maïs et le soja dans l’Est du Canada, a témoigné pour le compte des demanderesses. M. McGuire a mentionné les avantages que comportait la semence ROUNDUP READY et le profit additionnel qu’un agriculteur utilisant ce produit de Monsanto pouvait s’attendre à tirer. Il a également parlé des mécanismes visant à faire respecter le bre-vet '830 mis en place pour repérer les contrefacteurs et s’occuper de leur situation. M. Rivett a témoigné en son propre nom. Il n’a aucunement contredit la déposition de M. McGuire. Son témoignage avait trait à son entreprise agricole et à ses coûts d’exploitation ainsi qu’aux motifs de la contrefaçon de 2004. Bien que les avocats des demanderesses aient contre‑interrogé énergiquement M. Rivett, ces dernières n’ont présenté aucun élément en vue de contredire sa preuve, si ce n’est, peut‑être, la déposition même du défendeur lors de son interro-gatoire préalable.
[13] Après que M. Rivett eut témoigné, son avocat a proposé d’appeler Gary Fisher à titre de témoin expert. L’avocat du défendeur a décrit M. Fisher comme étant un agrologue ayant une formation en économie. Il proposait que ce dernier traite d’un document qu’il avait rédigé au sujet de l’entreprise agricole du défendeur et intitulé [traduction] « Estimation des coûts liés au soja ». Ce document était censé être [traduction] « une estimation indépendante des coûts et bénéfices de la production de soja ROUNDUP READY à l’exploitation agricole de Charles Rivett en 2004 ». Au rapport était joint un état des résultats non vérifié du défendeur, où l’on avait comparé les recettes et dépenses pour les exercices se terminant le 31 décembre 2004 et le 31 décembre 2005. Les demanderesses se sont opposées à ce que le rapport soit admis en preuve et à ce que M. Fisher témoigne relativement à sa teneur. La Cour a confirmé cette opposition, pour les motifs que je vais maintenant exposer.
[14] Le défendeur ne s’était pas conformé au paragraphe 258(5) [mod. par DORS/2006-219, art. 2] des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] quant au témoignage d’expert de M. Fisher et, en vertu de la règle 279 [mod. par DORS/2006-219, art. 6] des Règles, ce témoignage n’était donc pas admissible, sauf ordonnance contraire de la Cour. La Cour n’était pas disposée à exercer son pouvoir discrétionnaire et, pour les motifs qui vont suivre, à admettre le témoignage de M. Fisher. Ce témoignage allait se fonder sur un état des résultats qui n’avait pas été précédemment communiqué aux demanderesses, de sorte que celles‑ci n’avaient pas eu l’occasion d’en contester l’exactitude. L’auteur de l’état des résultats n’était pas appelé comme témoin et, si ce document constituait une pièce commerciale, les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), ch. C-5] n’avaient pas été respectées. L’état des résultats joint au prétendu rapport d’expert était incomplet — il consistait en une seule page tirée de ce qui semblait être des états financiers non vérifiés du défendeur. De plus, on enjoignait au lecteur dans cette page de [traduction] « Voir l’avis au lecteur »; or on n’avait pas joint un tel avis, qui aurait pu s’avérer fortement pertinent. Par conséquent, même si M. Fisher avait été admis comme expert, son témoignage d’opinion aurait été fondé sur du ouï‑dire semblant, à certains égards, contredire le témoignage présenté précédemment par le défendeur à la barre lors de son interrogatoire principal. Cela étant, permettre au défendeur de déposer le rapport comme pièce ou d’appeler M. Fisher comme témoin aurait été inéquitable pour les demanderesses, qui n’avaient pas eu et n’auraient pas l’occasion de vérifier les renseignements en cause. La preuve pré-sentée, se fondant du ouï‑dire, se serait vu reconnaître une très faible valeur probante, voire aucune, et n’aurait donc pas aidé la Cour à rendre les décisions devant l’être dans la présente action.
[15] Il convient de mentionner une autre décision rendue au cours du procès. Le défendeur a produit lors de son interrogatoire préalable un document qu’il avait établi et qui était censé faire état des dépenses qu’il avait engagées pour cultiver le soja. Il a traité de ce document (pièce D‑12) lors de son témoignage au procès. Dans certains cas, a‑t‑il dit, les chiffres qu’il avait écrits correspondaient aux coûts moyens engagés pour les postes en cause. Un coût moyen était écrit, par exemple, pour la location du terrain. D’autres chiffres dans le document correspondaient à des données émanant de recherches effectuées par la Fédération de l’agriculture de l’Ontario et portant sur divers coûts d’exploitation — comme le coût moyen de fonction-nement de machines agricoles — d’une entreprise agricole. Les demanderesses se sont opposées à l’admission de cette preuve.
[16] La Cour a statué que le défendeur pouvait faire état de renseignements figurant dans le document qu’il avait établi, mais qu’aucune force probante ne serait reconnue à tout renseignement contredisant la preuve directe dont elle était saisie quant aux dépenses véritable-ment engagées, ou contredisant des faits convenus. En tout état de cause, la Cour a‑t‑elle précisé, la preuve ne se verrait vraisemblablement pas accorder une grande importance dans la mesure où elle s’appuyait sur des renseignements obtenus de tiers. Toutefois, comme certains des renseignements semblaient liés à la valeur du travail d’un agriculteur et comme le défendeur soutenait qu’on devrait lui accorder crédit dans une certaine mesure pour son propre travail, la preuve a été admise — sans préjuger de la force probante à lui reconnaître —, mais uniquement pour cette fin restreinte. Étant donné ma décision en l’instance sur cette question, le témoignage du défendeur au sujet de ce document et de la pièce D‑12 n’a finalement pas été pris en compte.
Les questions en litige
[17] La Cour doit trancher les questions suivantes :
a. Quelle méthode convient‑il pour la Cour de suivre pour procéder à une restitution des bénéfices?
b. Quelles dépenses M. Rivett a‑t‑il prouvé avoir engagées ou étaient par ailleurs déductibles à bon droit du revenu brut tiré par lui en 2004 de la vente de sa récolte de soja ROUNDUP READY contrefait?
c. Suivant la méthode qui convient pour la restitution des bénéfices, quels bénéfices tirés par M. Rivett de la contrefaçon doivent‑ils être rendus?
d. Le défendeur doit‑il payer les intérêts avant et après jugement et, le cas échéant, quel doit en être le montant?
e. Le défendeur doit‑il payer les dépens et, le cas échéant, quel doit en être le montant?
Analyse
a. Quelle méthode convient‑il de suivre en l’espèce pour procéder à une restitution des bénéfices?
[18] L’alinéa 57(1)b) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, autorise la Cour, lorsqu’il y a eu contrefaçon de brevet, à « rendre l’ordonnance qu’[elle] juge à propos de rendre [. . .] pour les fins et à l’égard de l’inspection ou du règlement de comptes ». C’est en vertu de cette disposition que la Cour peut exiger qu’un contrefacteur rende compte des bénéfices réalisés par suite de la contrefaçon et restitue ces bénéfices en les versant au titulaire du brevet. C’est là le recours en equity connu sous le nom de restitution des bénéfices.
[19] Dans l’arrêt Strother c. 3464920 Canada Inc., 2007 CSC 24, [2007] 2 R.C.S. 177, la Cour suprême a fait observer qu’une ordonnance enjoignant la restitution des profits tirés par le contrefacteur de ses actions pouvait viser l’un ou l’autre de deux objectifs d’equity. Il y a premièrement, selon la désignation de la Cour suprême, l’objectif de prévention, consistant principale-ment à décourager les actions du contrefacteur et de tout émulateur éventuel. Le deuxième objectif, selon l’expression de la Cour, est l’objectif de restitution, consistant principalement à restituer à la personne lésée les profits qui lui reviennent de bon droit, mais que le contrefacteur s’est approprié à tort.
[20] Il n’est pas nécessaire de viser les deux objectifs dans chaque cas. Si l’on présume que la contrefaçon a pour motif l’atteinte d’un profit, alors ordonner au contrefacteur de remettre ces profits à la personne lésée servira généralement aussi à décourager le contrefacteur et toute personne aux vues similaires.
[21] Lorsqu’on accorde une mesure de restitution on ne vise pas, comme en accordant une mesure compensatoire, à rétablir la personne lésée dans la situation qui aurait été la sienne sans l’acte préjudiciable. La restitution est fonction, non de la perte du demandeur, mais bien du gain du défendeur. Il y a comme la Cour suprême l’a fait remarquer dans l’arrêt Strother, des situations où, bien que le transgresseur ait tiré un profit, la personne lésée n’a pas subi une perte correspondante. On pourrait être tenté de dire, dans ces situations, que la personne lésée s’enrichit indûment si une somme supérieure à sa perte véritable lui est accordée. Dans l’affaire Bayer Aktiengesellschaft v. Apotex Inc. (2001), 10 C.P.R. (4th) 151 (C.S.J. Ont.), conf. par (2002), 16 C.P.R. (4th) 417 (C.A. Ont.), la défenderesse a fait valoir pareille prétention, sans succès, et le défendeur l’a également avancée en l’espèce. On a présenté au nom du défendeur une information de presse spécialisée donnant à ce dernier des raisons de penser que, s’il était découvert par les demanderesses, il n’aurait à indemniser Monsanto que de la somme qu’il aurait dû verser, y compris les redevances, pour les semences ROUNDUP READY. Si la somme à octroyer correspondait bien à cela, elle aurait alors un caractère compensatoire, du fait que Monsanto se retrouverait dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence de la contrefaçon. De la sorte, toutefois, certains profits resteraient entre les mains du transgresseur, ce qui constitue précisément l’iniquité
— l’enrichissement sans cause — que la mesure de restitution cherche à contrer.
[22] Même s’il est des cas où l’effet d’une ordonnance de restitution est de replacer la personne lésée dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence de transgression, il s’agit là d’exceptions. Plus fréquem-ment, comme dans l’arrêt Strother, la personne lésée recevra davantage que le montant de sa perte. Le revers de la médaille, c’est que parfois la personne lésée recouvrera moins que ce qu’elle a véritablement perdu si cette réparation est choisie. Il convient donc de décrire le second objectif, selon moi, comme visant non pas à rétablir la personne lésée dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence de transgression, mais plutôt à placer le transgresseur dans la situation où il se serait trouvé s’il n’avait pas commis la transgression. En ce sens, c’est le transgresseur qui se trouve rétabli, par la restitution des profits, dans la situation qui aurait été la sienne s’il n’avait pas commis l’acte illégal.
[23] Simplement replacer les demanderesses dans la situation qui aurait été la leur en l’absence de contrefaçon ne convient pas en l’espèce compte tenu de la réparation qu’elles ont choisie. Si on les replaçait dans cette situation, ni l’un ni l’autre objectif d’equity visé ne serait atteint, pourrait‑on soutenir. Sur le plan des principes, on ne décourage pas la contrefaçon du brevet si ce qu’il est imposé au contrefacteur de rendre c’est la somme qu’il aurait dû verser à Monsanto pour acheter les semences de soja et la licence. Cela pourrait même en fait presque contrecarrer l’objectif de dissuasion. C’est un peu comme dire, tel que les demanderesses l’ont exprimé dans leur plaidoirie : [traduction] « Essayez toujours de m’attraper pour voir ». Et s’il se faisait prendre, le défendeur devrait verser la somme qu’en tout état de cause il aurait dû payer pour exploiter le brevet. S’il ne se faisait pas prendre, il profiterait alors d’une « aubaine ». La réparation en restitution des bénéfices perdrait tout effet dissuasif si des défendeurs pouvaient exploiter une technologie brevetée et en conserver les profits, sous réserve uniquement de devoir payer des redevances à titre d’indemnité s’ils devaient jamais se faire prendre.
[24] Cela ne permet pas non plus d’atteindre le second objectif d’une restitution des bénéfices, à savoir remettre le transgresseur dans la situation qui aurait été la sienne s’il ne s’était pas approprié injustement la propriété d’autrui. Si alors la restitution des bénéfices devait occasionner une prétendue « aubaine » pour le titulaire de brevet, la cause en serait l’acte illégal du contrefacteur, qui se trouverait ainsi en mauvaise position pour soutenir que c’est lui, et non ce titulaire, qui devrait conserver tout profit excédentaire.
[25] Un certain temps a été consacré à la description des objectifs de la réparation, les demanderesses ayant présenté diverses observations pour persuader la Cour de rendre une ordonnance qui décourage véritablement le défendeur ou toute autre personne pouvant envisager de contrefaire leur brevet. Il est nécessaire pour cela, les demanderesses ont‑elles soutenu, d’examiner les conséquences des gestes posés en recourant à une analyse coûts‑avantages. Or, bien que la dissuasion soit l’un des éléments de la réparation, il ne faut pas oublier que celle‑ci n’est pas destinée à avoir un caractère punitif.
[26] Le juge Rouleau a souligné le caractère non punitif de la réparation en restitution dans la décision Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, [1994] A.C.F. no 628 (1re inst.) (QL), page 455, mod. pour d’autres motifs par [1995] A.C.F. no 733 (C.A.) (QL). Il a résumé l’état du droit sur la question et distingué la restitution des bénéfices de l’attribution de dommages‑intérêts, comme suit :
[. . .] les dommages‑intérêts peuvent être compensatoires ou punitifs, selon qu’ils sont accordés à titre de mesure de la perte réelle subie par le demandeur ou à titre de punition pour la conduite outrageuse du défendeur ou pour décourager celui‑ci de se livrer à des transgressions futures. La restitution des bénéfices pourrait servir à dissuader le défendeur [de continuer] sa conduite illicite, mais la punition n’a rien à voir avec l’octroi de cette réparation. En tant que réparation en equity, elle vise entièrement à réparer un préjudice, et non à infliger une punition. Dans l’arrêt Ruff v. Swan (1921) 20 O.W.N. 158 à la p. 160, la cour a fait remarquer que [traduction] « l’objet de l’enquête était d’indemniser le demandeur, et non de punir les défendeurs ».
[27] Exiger que la partie fautive restitue les bénéfices tirés de la contrefaçon, tout en s’assurant qu’elle n’ait pas à rendre davantage, nécessite de se pencher sur le lien causal entre l’acte contrefaisant l’invention et le bénéfice, et entre la transgression et la réparation. En l’absence de lien causal, il n’y a pas de bénéfice que le contrefacteur ait à remettre. On trouve un exemple de cette situation dans la décision Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2001 CFPI 256, conf. par 2002 CAF 309, [2003] 2 C.F. 165, inf. par 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, dont il sera par la suite plus longuement question.
[28] Les demanderesses ont soutenu qu’il y avait trois méthodes auxquelles il était possible de recourir pour le calcul des bénéfices du contrefacteur devant être restitués au titulaire de brevet :
a. La méthode fondée sur la valeur ou du profit différentiel;
b. La méthode du coût variable, ou du coût marginal ou du coût différentiel;
c. La méthode du coût de revient complet ou de la totalité des coûts.
Méthode du profit différentiel
[29] La méthode du profit différentiel requiert de la Cour qu’elle compare les profits réalisés par le contrefacteur du fait de l’invention et ceux qu’il aurait réalisés en recourant à la meilleure solution non contrefaisante. Cette méthode appelle l’analyse qui suit :
a. Y a‑t‑il un lien causal entre les profits réalisés et la contrefaçon? En l’absence d’un tel lien, il n’y a pas de profits qu’il y ait lieu de remettre.
b. S’il y a bel et bien un lien causal, quels profits le contrefacteur a‑t‑il alors réalisés du fait de la contre-façon? Ce montant, je le qualifierai de « profits bruts tirés de la contrefaçon ».
c. Le contrefacteur aurait‑il pu recourir à une option exempte de contrefaçon?
d. En l’absence de solution non contrefaisante, les profits bruts tirés de la contrefaçon doivent être remis au titulaire de brevet.
e. S’il existait une solution non contrefaisante, quels profits le contrefacteur aurait‑il tirés en y recourant? Je qualifierai cette fois ce montant de « profits bruts en l’absence de contrefaçon ».
f. Lorsqu’une solution non contrefaisante était disponible, le montant à verser au titulaire de brevet correspond à la différence entre les profits bruts tirés de la contrefaçon et les profits bruts qui auraient été tirés en l’absence de contrefaçon. Ce montant correspond au profit directement attribuable à la contrefaçon de l’invention et qui en découle.
Méthode du coût différentiel
[30] La méthode du coût différentiel ne requiert ni d’établir une comparaison ni de prendre en compte ce qui aurait pu être. Ce qu’elle requiert de la Cour, c’est de déduire du revenu brut obtenu par le contrefacteur les frais variables ou fixes ainsi que les dépenses courantes, supplémentaires et en immobilisations qui sont directement attribuables à la contrefaçon. Cette méthode appelle l’analyse qui suit :
a. Quel revenu brut le contrefacteur a‑t‑il tiré de la contrefaçon (le revenu brut)?
b. Le contrefacteur a‑t‑il engagé des dépenses courantes en contrefaisant le brevet? Dans l’affirmative, quel est le montant total de ces dépenses (les dépenses courantes)?
c. Le contrefacteur a‑t‑il engagé directement des dépenses en immobilisations en contrefaisant le brevet? Dans l’affirmative, quel est le montant total de ces dépenses (les dépenses en immobilisations)?
d. Le montant à verser au titulaire de brevet est le revenu brut moins la somme des dépenses courantes et des dépenses en immobilisations.
[31] Une dépense courante est une dépense qui doit habituellement être engagée de nouveau après une courte période. En l’espèce, les dépenses courantes engagées pour cultiver, moissonner et vendre la récolte d’une exploitation agricole pourraient comprendre les frais engagés pour affermer une terre, pour embaucher des entrepreneurs afin qu’ils plantent, cultivent et moissonnent la récolte, pour acheter des engrais et des herbicides et pour souscrire une assurance‑récolte. Pour sa part une dépense en immobilisations confère généralement un avantage durable. En l’espèce les dépenses en immobilisations engagées pour cultiver, moissonner et vendre la récolte d’une exploitation agricole pourraient comprendre le coût de toute machine achetée à la seule fin de planter, de cultiver ou de moissonner la récolte. Lorsqu’une dépense en immobilisations vise aussi d’autres fins que celles liées à l’invention brevetée, il pourrait alors convenir de ne déduire qu’une partie de cette dépense.
Méthode de la totalité des coûts
[32] En recourant à la méthode de la totalité des coûts, on accroît les dépenses qui sont déductibles selon la méthode du coût différentiel en déduisant également du revenu gagné la partie pertinente des coûts communs engagés par le contrefacteur. En l’espèce, lorsque le contrefacteur utilise des semences brevetées, mais cultive, moissonne et vend aussi d’autres récoltes obtenues de semences conventionnelles, il va y avoir des coûts qu’il engage en conséquence de son ex-ploitation agricole, comme les frais d’une assurance générale garantissant ses bâtiments et son équipement, l’amortissement de son équipement et les frais pour l’eau et l’électricité. En recourant à la méthode de la totalité des coûts, une partie de ces coûts communs seraient déduits du revenu gagné par le contrefacteur.
[33] Si la Cour a jamais avalisé la méthode de la totalité des coûts, ce n’est pas de date récente. Cette méthode a été rejetée dans les décisions Teledyne Industries, Inc. c. Lido Industrial Products Ltd., [1982] A.C.F. no 1024 (1re inst.) (QL); Diversified Products Corp. c. Tye‑Sil Corp., [1990] A.C.F. no 246 (1re inst.) (QL), conf. sur ce point [1990] A.C.F. no 952 (1re inst.) (QL); Hancor Inc. c. Systèmes de drainage modernes Inc., [1991] A.C.F. no 628 (1re inst.) (QL); Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc., [1998] A.C.F. no 1205 (1re inst.) (QL). Ni l’une ni l’autre partie n’a préconisé le recours à la méthode de la totalité des coûts en l’espèce.
Méthode qu’il convient d’utiliser en l’espèce
[34] Les demanderesses soutiennent que c’est la méthode du coût différentiel qu’il convient d’appliquer en l’espèce. Selon elles, c’est là la méthode que les tribunaux, et notamment la Cour, ont adoptée depuis qu’a été rendue la décision Teledyne, il y a près de 30 ans. Les demanderesses reconnaissent que les juges de la majorité à la Cour suprême ont déclaré, dans l’arrêt Schmeiser [au paragraphe 102], que la « méthode privilégiée de calcul des profits devant être remis est appelée [. . .] méthode du “profit différentiel” » mais, soutiennent‑elles, la portée de cette déclaration doit être restreinte aux faits d’espèce dans l’arrêt Schmeiser, la Cour suprême n’ayant pu souhaiter faire de cette déclaration un exposé du droit dans son ensemble. Les demanderesses ajoutent qu’en tout état de cause, il faut prendre en considération le fait, en interprétant cette déclaration, que la Cour suprême n’a en fin de compte pas appliqué la méthode du profit différentiel. Les demanderesses soutiennent que, si l’on applique la méthode du coût différentiel, le défendeur devra restituer un bénéfice réalisé de 159 569,50 $.
[35] Le défendeur soutient pour sa part que la Cour devrait recourir à une méthode semblable à celle utilisée en première instance par le juge MacKay dans la décision Schmeiser. Or, selon les demanderesses, cette méthode s’apparente à celle abordée ci‑dessus de la totalité des coûts. Je n’estime toutefois pas que, de la sorte, on qualifie de manière exacte la méthode que le défendeur presse la Cour d’adopter. Ce dernier n’a pas soutenu qu’il faillait déduire l’ensemble des coûts engagés par son exploitation agricole du revenu brut tiré de la vente de soja. Le défendeur demande plutôt à la Cour de lui créditer certains coûts qui n’ont pas été directement engagés ou payés, comme son propre travail et sa propre expertise. Le défendeur a dit qu’il s’agissait là d’appliquer la décision Teledyne comme l’a fait le juge MacKay en première instance dans la décision Schmeiser. M. Schmeiser ne recevait pas de salaire pour son travail d’exploitation agricole, mais le juge MacKay a statué [au paragraphe 137] que « son travail devrait être reconnu dans la comptabilisation des profits ». Le défendeur soutient ainsi que, si l’on applique cette méthode, il n’aura pas de bénéfice à restituer, du fait que ses activités agricoles liées à la récolte issue de la contrefaçon ont résulté en une perte.
[36] À mon avis, l’arrêt Schmeiser de la Cour suprême n’a pas la portée restreinte que Monsanto demande à la Cour de lui reconnaître.
[37] L’arrêt Schmeiser mettait en cause le même brevet que celui contrefait par M. Rivett en l’espèce. M. Schmeiser avait une exploitation agricole en Saskatchewan. En 1998, il a semé du canola ROUNDUP READY, sans toutefois en avoir acheté les graines à Monsanto ni avoir signé l’entente sur les utilisations technologiques de celle‑ci. M. Schmeiser a soutenu que sa récolte avait été contaminée par les récoltes avoisinantes de canola ROUNDUP READY et qu’il n’avait délibérément semé aucune graine contenant le gène breveté. Le juge de première instance a toutefois conclu que M. Schmeiser savait ou aurait dû savoir en 1998 que les graines de canola qu’il avait semées étaient des graines ROUNDUP READY. En 1997, M. Schmeiser avait conservé des graines se trouvant dans une réserve routière bordant ses champs et qui avaient survécu à l’arrosage d’herbicide, et, en 1998, avait semé ces graines ainsi que d’autres provenant de sa récolte antérieure. Il savait quelles graines il semait et savait que Monsanto disposait d’un brevet sur celles‑ci. M. Schmeiser n’était donc pas un contrefacteur innocent.
[38] La Cour suprême a pour sa part conclu qu’en semant et cultivant les graines de canola, M. Schmeiser avait « exploité » la cellule et la technologie génétique brevetées en contravention de l’article 42 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16] de la Loi sur les brevets. La Cour suprême n’était par ailleurs pas portée à croire que M. Schmeiser avait contrefait le brevet en « fabriquant » ou « construisant » quoi que ce soit au sens de l’article 42, mais elle n’a pas exprimé d’opinion définitive sur ces questions.
[39] Je l’ai dit, l’avantage du recours aux graines ROUNDUP READY, c’est que l’agriculteur peut pulvériser ses champs d’herbicide à base de glyphosate après la germination, et que seules les mauvaises herbes en seront alors atteintes. Les plantes produites à partir de semences ROUNDUP READY, contrairement à celles produites à partir de semences conventionnelles, ne seront pas atteintes. Selon la preuve présentée au procès, bien que M. Schmeiser ait semé des graines de canola ROUNDUP READY, il n’avait pas pulvérisé d’herbicide à base de glyphosate après la germination de la récolte. À tous égards, ainsi, il avait fait pousser sa récolte exactement de la même manière qu’il aurait fait en utilisant des graines de canola conventionnelles.
[40] Au procès, le défendeur a soutenu n’avoir tiré aucun profit de la vente de la récolte de canola produite à partir de semences ROUNDUP READY puisqu’il avait gagné la même chose en vendant cette récolte qu’il aurait gagné s’il avait semé des graines de canola conventionnelles. Le juge de première instance a rejeté cette prétention, statuant que c’étaient les bénéfices provenant de la vente de la récolte que Monsanto pouvait recouvrer, et non pas seulement la différence entre les profits de la vente de la récolte de canola ROUNDUP READY et ceux de la vente d’une récolte obtenue à partir de graines de canola conventionnelles [au paragraphe 135] :
Les défendeurs affirment que la vente de la récolte de 1998 ne leur a procuré aucun profit mesurable et ce, même si cette récolte contenait le gène breveté des demanderesses. Cet argument repose sur l’hypothèse suivant laquelle les défendeurs auraient réalisé les mêmes profits en vendant une récolte de canola qui n’aurait pas contenu le gène. Cet argument ne répond pas à la question des profits réalisés grâce à la vente de la récolte qui, selon mes constatations, contenait le gène et les cellules brevetés des demanderesses. Ce sont les bénéfices provenant de la vente de cette récolte que les demanderesses peuvent réclamer, et non la différence entre les profits de la vente de cette récolte et ceux de la vente d’une récolte de plantes qui n’ont pas été cultivées.
La Cour d’appel fédérale a souscrit à cet avis dans ses propres motifs de jugement dans l’arrêt Schmeiser (au paragraphe 79).
[41] Accueillant le pourvoi interjeté par M. Schmeiser, la Cour suprême a rejeté cette méthode et choisi celle du profit différentiel pour le calcul de la restitution des bénéfices, en cinq courts paragraphes qu’il vaut la peine de reproduire en leur entier (aux paragraphes 101 à 105) :
Il est bien établi que l’inventeur a seulement droit à la remise de la portion des profits réalisés par le contrefacteur, qui a un lien de causalité avec l’invention : Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.); Celanese International Corp. c. BP Chemicals Ltd., [1999] R.P.C. 203 (Pat. Ct.), par. 37. Cela est conforme à la règle générale qui s’applique en matière de réparation non punitive : « il est essentiel que les pertes compensées soient seulement celles qui, selon une conception normale du lien de causalité, ont été causées par le manquement » (Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534, p. 556, la juge McLachlin (plus tard Juge en chef), cité et approuvé, au nom de la Cour, par le juge Binnie dans l’arrêt Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142, par. 93).
La méthode privilégiée de calcul des profits devant être remis est appelée méthode fondée sur la valeur ou méthode du « profit différentiel », qui consiste à calculer les profits en fonction de la valeur que le brevet a permis aux marchandises du défendeur d’acquérir : N. Siebrasse, « A Remedial Benefit‑Based Approach to the Innocent‑User Problem in the Patenting of Higher Life Forms » (2004), 20 C.I.P.R. 79. Il faut comparer le profit que l’invention a permis au défendeur e réaliser à celui que lui aurait permis de réaliser la meilleure solution non contrefaisante (Collette c. Lasnier (1886), 13 R.C.S. 563, p. 576, aussi mentionné avec appro-bation dans l’arrêt Colonial Fastener Co. c. Lightning Fastener Co., [1937] R.C.S. 36). [Non souligné dans l’original.]
Le problème est que, en ordonnant la remise des profits, le juge de première instance n’a fait état d’aucun lien de causalité entre l’invention et les profits que, selon lui, les appelants ont tirés de la culture de canola Roundup Ready. D’après les faits constatés, les appelants n’ont réalisé aucun profit dû à l’invention.
Ils ont réalisé exactement les mêmes profits que s’ils avaient planté et récolté du canola ordinaire. Ils ont vendu, comme aliment pour animaux, le canola Roundup Ready cultivé en 1998 et n’ont donc pas obtenu un meilleur prix du fait qu’il s’agissait de canola Roundup Ready. Sur le plan agricole, les appelants n’ont également tiré aucun avantage de la résistance du canola à l’herbicide, vu l’absence de conclusion qu’ils ont pulvérisé de l’herbicide Roundup pour diminuer la présence des mauvaises herbes. Les profits des appelants découlaient uniquement des caractéristiques de leur récolte qui ne sont pas attribuables à l’invention.
Selon la preuve produite en l’espèce, les appelants n’ont tiré aucun profit de l’invention et Monsanto n’a droit à rien en ce qui concerne sa demande de remise.
[42] Les demanderesses s’appuient sur l’existence prétendue d’une jurisprudence de 30 ans ayant appliqué la méthode du coût différentiel. Pour étayer leur thèse, ils ont également renvoyé la Cour à un article rédigé par David A. Aylen et Matthew J. Graff, « The “Differential Profit” Approach in Monsanto » dans The Return of the Six‑Minute Intellectual Property Law Lawyer, 10 novembre 2004, Formation juridique permanente, Barreau du Haut‑Canada. Les auteurs Aylen et Graff soutiennent que la « meilleure solution non contre-faisante » n’a jamais constitué un élément reconnu de la réparation en restitution des bénéfices, et ils s’interrogent quant à savoir si la Cour suprême souhaitait l’application généralisée de cette méthode. Selon eux, la Cour suprême aurait pu concevoir cette réparation dans l’arrêt Schmeiser [traduction] « pour soustraire le défendeur à toute obligation pécuniaire parce qu’il lui semblait être un “exploitant innocent” ».
[43] L’expression « exploitant innocent » a été utilisée par le professeur Norman Siebrasse, dans sa com-munication [« A Remedial Benefit-Based Approach to the Innocent User Problem in the Patenting of Higher Life Forms » (2004), 20 C.I.P.R. 79] que la Cour suprême a citée dans l’arrêt Schmeiser, pour décrire la partie qui, sans avoir commis aucune faute, trouve sur son terrain des plantes produites à partir de semences brevetées. Cela serait possible lorsqu’on a affaire à une forme vivante supérieure comme les graines ROUNDUP READY, davantage susceptibles d’essaimer d’un terrain cultivé vers un autre. Le Pr Siebrasse se demande si en de telles circonstances l’on devrait tenir l’agriculteur en cause, exploitant innocent, responsable pour contrefaçon de brevet. C’est là, écrit‑il [à la page 79], [traduction] « le problème de l’exploitant innocent ». Comme je l’ai dit, les conclusions de fait tirées quant à M. Schmeiser et au canola ROUNDUP READY cultivé sur sa ferme soustraient ce dernier de la catégorie des exploitants innocents. Il a ensemencé son terrain en connaissance de cause et il a pris des mesures pour s’assurer que la plus grande part de sa récolte proviendrait de graines ROUNDUP READY. Les juges de la majorité ont écrit ce qui suit dans le jugement de la Cour suprême (au paragraphe 95) : « [D]’après les faits constatés par le juge de première instance, M. Schmeiser n’était pas un contrefacteur innocent; au contraire, il a cultivé du canola Roundup Ready ». Sur ce fondement seul, il serait possible de rejeter la prétention des demanderesses selon laquelle il conviendrait de voir dans l’arrêt Schmeiser la conception par la Cour suprême d’une réparation en vue de soustraire le défendeur aux conséquences de son exploitation innocente de la semence brevetée.
[44] Les demanderesses soutiennent, tout comme MM. Aylen et Graff, que si la Cour suprême avait souhaité écarter une règle jurisprudentielle trentenaire, elle aurait traité de Teledyne et des décisions sub-séquentes. Que la Cour suprême ne l’ait pas fait, soutiennent‑ils, étaye leur thèse portant qu’elle visait à trouver une solution équitable adaptée aux faits d’espèce dans l’arrêt Schmeiser. Je ne suis toutefois pas convaincu, à ce sujet, que la préférence exprimée par la Cour suprême pour la méthode du profit différentiel puisse ou doive être interprétée de manière si restrictive.
[45] La Cour suprême s’est fortement appuyée sur l’analyse faite par le Pr Siebrasse du concept de resti-tution des bénéfices et, il est permis de croire qu’elle a entériné cette analyse. Le Pr Siebrasse favorise le recours à la méthode du profit différentiel pour le calcul des profits à remettre parce qu’elle apporte une solution équitable au problème de l’exploitant innocent. Ce n’est pas à dire que le Pr Siebrasse restreint l’application de cette méthode au seul problème de l’exploitant innocent; sa thèse veut plutôt que, comme cette méthode trouve solution à ce problème, ce soit celle qu’il convient de suivre lorsqu’on procède en toute situation à une restitution des bénéfices.
[46] Un point de départ pouvant convenir à la discus-sion, auquel recourt le Pr Siebrasse, c’est l’observation selon laquelle il est établi de longue date qu’il y a des occasions où, bien qu’il y ait contrefaçon, pour qu’une restitution des bénéfices s’avère équitable, la répartition de ceux‑ci est requise entre le contrefacteur et le titulaire de brevet. Le Pr Siebrasse a écrit ce qui suit à ce sujet [à la page 83] :
[traduction] Nul ne conteste qu’une répartition soit parfois nécessaire. Il est aussi universellement reconnu comme principe fondamental que le titulaire de brevet a droit à la portion du profit du contrefacteur qui est directement attribuable à la contrefaçon.
[47] Parfois le titulaire de brevet n’aura droit à rien puisque nul profit n’est directement attribuable à l’invention. Il se peut ainsi que, bien que le transgresseur ait exploité le produit breveté, nul profit qu’il a pu réaliser ne résultait de l’exploitation de l’invention. L’affaire Schmeiser constitue une illustration d’un tel scénario, comme l’a plus tard expliqué le juge Binnie dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, au paragraphe 52. Selon le juge Binnie, il ne suffit pas d’établir un lien entre la réalisation d’un profit et l’exploitation du produit breveté. Aux fins d’une restitution des bénéfices, le lien de causalité doit exister entre les profits réalisés et l’invention protégée.
Ainsi que la Cour l’a souligné dans l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902, 2004 CSC 34, l’invention brevetée ne correspond pas nécessairement aux revendications du brevet. Dans cette affaire, cette distinction était cruciale pour la question de la réparation. S’il est vrai que l’agriculteur, M. Schmeiser, avait utilisé le produit breveté (des graines de canola Roundup Ready), il n’avait tiré aucun avantage de l’invention brevetée (sa résistance à l’herbicide) parce qu’il n’avait pas pulvérisé de Roundup sur ses cultures. La Cour a ainsi débouté Monsanto de sa prétention aux profits que Schmeiser avait tirés de sa récolte de canola :
Le problème est que, en ordonnant la remise des profits, le juge de première instance n’a fait état d’aucun lien de causalité entre l’invention et les profits que, selon lui, les appelants ont tirés de la culture de canola Roundup Ready. D’après les faits constatés, les appelants n’ont réalisé aucun profit dû à l’invention. [Souligné dans l’original; par. 103.]
[48] Parfois le titulaire de brevet aura droit à tous les profits tirés par le transgresseur de l’invention, sans qu’on ait à opérer la moindre compensation, parce que tous ces profits sont directement attribuables à la contre-façon de l’invention. Dans pareil cas, l’on peut dire qu’en l’absence de contrefaçon, le contrefacteur n’aurait réalisé aucun profit. L’arrêt états‑unien Manufacturing Company v. Cowing, 105 U.S. 253 (1881), dont a traité le Pr Siebrasse, constitue un exemple d’un tel scénario. Le brevet alors en cause visait une amélioration apportée à une pompe. La Cour de circuit avait statué que les défendeurs n’étaient tenus de restituer que les bénéfices qui auraient été réalisés par la vente distincte de la partie brevetée. La Cour suprême des États‑Unis a rejeté cet avis et statué qu’il était nécessaire de comparer les profits réalisés en contrefaisant le brevet avec ceux qui l’auraient été en l’absence de contrefaçon. Elle a conclu que la partie brevetée constituait une amélioration si importante apportée à la pompe que, n’eût été cette partie, aucune autre pompe n’aurait pu être vendue à l’époque en cause. En l’absence de contrefaçon, ainsi, il n’y aurait eu aucune vente et donc aucun profit. La Cour suprême a par conséquent attribué à la demanderesse la totalité des profits réalisés par le défendeur.
[49] L’arrêt Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (C.A.), peut également être cité en exemple. Dans cette affaire, le contrefacteur avait exploité la méthode brevetée de la demanderesse lorsqu’il avait installé un gazoduc sous le fleuve Saint‑Laurent. On a conclu que la défenderesse n’aurait vraisemblablement réalisé aucun profit, compte tenu de la rétribution convenue, si elle avait recouru à des méthodes de substitution, si tant est qu’elles auraient pu être couronnées de succès. Ainsi, bien que la Cour ait attribué tous les profits de la défenderesse à la demanderesse en déclarant qu’il fallait tenir compte des profits effectivement réalisés et non de ceux qui auraient pu l’être si l’on avait recouru à une méthode non contrefaisante, le résultat atteint a été le même. Comme on le précisera par la suite, l’arrêt Reading & Bates est également important du fait que la Cour était disposée à prendre en considération les profits qui auraient été réalisés en cas de recours à une hypothétique méthode de substitution; elle ne l’a toutefois pas fait, en tout état de cause, la défenderesse ne s’étant pas acquittée du fardeau de preuve lui incombant quant aux profits susceptibles de découler d’un tel recours.
[50] Parfois les profits gagnés doivent être divisés entre le titulaire de brevet et le contrefacteur parce que, bien que ce dernier ait réalisé des profits, seule une partie d’entre eux sont directement attribuables à l’invention. Dans un tel cas, on peut dire que le contre-facteur a réalisé de plus grands profits qu’il n’en aurait eus en raison de la contrefaçon. Une telle situation nécessite de comparer les profits réalisés du fait de la contrefaçon et les profits qui, en son absence, auraient été gagnés. L’on peut trouver un exemple d’un tel scénario dans l’arrêt Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.).
[51] Dans l’arrêt Lubrizol, le titulaire de brevet avait inventé un additif dispersant pour l’huile à moteur et avait obtenu un brevet pour l’huile à moteur contenant cet additif. L’Impériale ayant vendu de l’huile à moteur contenant cet additif, le titulaire de brevet a prétendu avoir droit à tous les profits tirés de sa vente. La Cour d’appel a rejeté cette prétention au motif que les profits auxquels Lubrizol avait droit étaient uniquement ceux directement liés et imputables à l’exploitation de l’invention [au paragraphe 15] :
Le recours qui consiste en l’établissement des comptes relatifs aux bénéfices est un recours fondé sur l’equity. Il n’a pas pour objet de punir le défendeur, mais simplement d’amener celui‑ci à remettre les bénéfices véritables qu’il a réalisés aux dépens du demandeur. Mais où est l’équité s’il est possible de démontrer qu’une partie des bénéfices réalisés par l’Impériale en raison de la vente de produits contrefaits est attribuable non pas à l’appropriation de l’invention de Lubrizol, mais à un autre facteur? La Cour a appris que Lubrizol prétend que l’huile à moteur de l’Impériale contrefait un autre brevet dont elle est titulaire et qu’une action a été intentée à cet égard. Les mêmes bénéfices peuvent‑ils être réclamés une deuxième fois? Et si ce n’est pas par Lubrizol, alors par un tiers breveté qui allègue également une contre-façon? Et même si aucun autre brevet n’était en cause, permettre à Lubrizol de toucher des bénéfices qui, selon la preuve que l’Impériale parvient à faire, sont entièrement attribuables à une caractéristique non contrefaite de son huile à moteur reviendrait à approuver judiciairement l’enrichissement injuste de Lubrizol aux dépens de l’Impériale.
[52] On avait affaire dans l’arrêt Lubrizol à un produit breveté ayant été intégré à un autre produit, et la Cour a statué que ce qu’il fallait restituer, c’était la différence entre les profits découlant de l’un et de l’autre; de cette manière, les profits restitués étaient ceux à l’égard desquels il existait un lien de causalité approprié, c’est‑à‑dire ceux réalisés du fait de l’invention.
[53] L’application de la méthode du profit différentiel à ces situations fait voir pourquoi cette méthode est à privilégier. Dans chaque cas, elle a pour effet de repérer et distinguer les profits générés par l’invention brevetée. En y recourant, en bref, on retient les profits qui résultent de l’invention protégée et on élimine ceux qui ont pu être gagnés mais qui n’ont pas de lien de causalité avec l’invention. Les profits réalisés mais non attribuables à l’invention peuvent être conservés par le transgresseur.
[54] La question va toujours se poser, lorsque sera appliquée la méthode du profit différentiel, de savoir s’il existe une solution de substitution non contrefaisante pouvant servir de comparateur.
[55] La décision Wellcome Foundation fait ressortir certaines limites en matière de solution de substitution non contrefaisante. La défenderesse Apotex soutenait qu’elle aurait pu obtenir de la demanderesse une licence obligatoire en vue de l’exploitation du brevet, et que la différence entre les bénéfices véritablement réalisés et ceux qu’elle aurait réalisés si elle avait disposé d’une telle licence était le simple coût de la redevance pour celle‑ci. La défenderesse a laissé entendre que la meilleure solution de substitution non contrefaisante était le produit qu’elle avait vendu, en supposant qu’il ait été vendu licitement sous licence. Le Pr Siebrasse se demande s’il s’agit bien là d’une solution de substitution valable [à la page 87] :
[traduction] Au moment de la tenue du procès, le régime prévu par la loi de la licence obligatoire avait été aboli, et la question fondamentale est donc de savoir si le produit obtenu en vertu d’une licence obligatoire doit être considéré « accessible au public » aux fins de l’application du critère du profit différentiel. S’il ne peut l’être, la répartition établie par le juge MacKay en première instance et confirmée par la Cour d’appel était parfaitement compatible avec la méthode du profit différentiel.
[56] J’interprète la décision quelque peu différemment. Il n’importe aucunement, à mon avis, qu’on ait établi une comparaison dans cette affaire avec une licence obligatoire. Il faudrait plutôt dire que, si la Cour avait adopté la position proposée pour Apotex, il en serait résulté un scénario déjà mentionné de [traduction] « Essayez toujours de m’attraper pour voir ». Si pour bien calculer les bénéfices à restituer il faut établir une comparaison avec le même produit, mais cette fois fabriqué et vendu licitement, c.‑à‑d. sous licence, alors ni l’un ni l’autre objectifs visés par la restitution des bénéfices ne serait atteint. Selon moi, ce qu’il ressort de Wellcome Foundation et des autres décisions, c’est que la meilleure solution de substitution licite à prendre en considération lorsqu’on recourt à la méthode du profit différentiel ne peut être ce que l’intéressé aurait fait s’il avait respecté la loi, c.‑à‑d. obtenu une licence d’exploitation du brevet. Alors, il importe peu que la licence ait pu être obtenue dans le cadre d’un régime obligatoire ou sur le marché libre. La comparaison est à établir avec les profits qu’on aurait réalisés en exploitant le meilleur produit possible après le produit breveté même, ce dernier devant servir de référence pour le calcul de la valeur ajoutée. Il en résulte une image fidèle des profits tirés de l’invention — le lien de causalité nécessaire.
[57] Si l’on applique ce raisonnement en l’espèce, la comparaison n’est pas à établir avec les profits que M. Rivett aurait réalisés si, en toute légalité, il avait acheté les graines de soja ROUNDUP READY et acquis la licence; la comparaison doit plutôt être faite avec des graines de soja ne renfermant rien de l’invention des demanderesses. Les graines de soja conventionnelles constituent donc le comparateur approprié.
[58] Les demanderesses ont soutenu que la Cour devrait suivre la décision Teledyne et ordonner la restitution de tous les bénéfices réalisés par M. Rivett, mais je suis d’avis que l’exercice de restitution des bénéfices auquel on s’est adonné dans cette décision n’est pas nécessairement incompatible avec la méthode du profit différentiel que la Cour suprême a avalisée. Dans Teledyne, la défenderesse avait contrefait le brevet de la demanderesse en fabriquant et vendant une pomme de douche à impulsions de type unique. Teledyne fabriquait et vendait déjà des pommes de douche classiques; le produit contrefait constituait une gamme de produits nouvelle et différente. Il n’y avait donc aucune raison de croire, et il n’avait pas été établi par la défenderesse, que si celle‑ci n’avait pas vendu le nouveau produit contrefait elle aurait vendu à la place un nombre égal, ou même un nombre quelconque, de pommes de douche classiques. Bref, dans l’affaire Teledyne, la Cour avait à évaluer des profits réalisés par une entreprise existante, du fait de l’ajout d’une nouvelle gamme de produits, alors qu’il n’existait aucune solution de substitution la meilleure possible permettant de générer des profits.
[59] Il n’est pas raisonnable de conclure en l’espèce, comme ce l’était dans l’affaire Teledyne, que si le défendeur n’avait pas planté, cultivé et vendu les graines de soja contrefaites, il n’aurait pas planté, cultivé ni vendu de graines de soja conventionnelles. Contrairement à la situation dans l’affaire Teledyne, il y avait en l’espèce une solution de substitution. L’agriculteur aurait recouru, faute de graines brevetés, à des graines conventionnelles. On ne peut soutenir de manière raisonnable qu’un agriculteur aurait laissé ses champs en jachère, subissant ainsi des pertes de location et sur le plan fiscal, alors qu’il aurait pu les cultiver et réaliser un profit. Une exploitation agricole, à cet égard, ce n’est pas la même chose que la fabrication d’un nouveau type de pommes de douche.
[60] La question finale qu’il reste à examiner est de savoir si le défendeur doit prouver si le produit non contrefait de comparaison était véritablement disponible à des fins d’exploitation ou de vente, ou s’il lui suffit d’établir qu’il existe un tel produit, même s’il se peut qu’il ne soit pas en fait disponible en raison des conditions du marché. La question se pose en l’espèce en raison du témoignage du défendeur obtenu en contre‑ interrogatoire, portant qu’il n’avait d’autre choix que de planter des graines de soja ROUNDUP READY, puisqu’il n’avait pu se procurer de graines con-ventionnelles à la coopérative locale ni auprès du seul agriculteur des environs à qui il en avait demandé. Selon moi, pour les motifs qui vont suivre, la disponibilité sur le marché du meilleur produit non contrefait de substitution ne constitue pas un facteur déterminant.
[61] La méthode du profit différentiel vise à découvrir la valeur que l’invention a apportée au produit. Dans l’arrêt Lubrizol, par exemple, il s’agissait d’établir la valeur ajoutée par l’invention à l’huile à moteur conventionnelle. En ce qui concerne les graines de canola ou de soja ROUNDUP READY, il est indubitable que le produit, la récolte, a en soi une valeur qui n’a rien à voir avec l’invention. Le brevet de Monsanto ne vise pas la plante ni son fruit (le soja), mais uniquement les gènes ainsi que les cellules modifiées qui sont les éléments constitutifs de la plante. La plante et le fruit ont une valeur distincte de celle des gènes et des cellules modifiées. Cela ressort à l’évidence des faits d’espèce dans Schmeiser [au paragraphe 104] et de l’allusion par la Cour suprême aux profits découlant « des caractéristiques de [la] récolte qui ne sont pas attribuables à l’invention ». Bien que M. Schmeiser n’ait pas exploité l’invention, il a vendu la récolte de canola et, d’après la preuve, a obtenu exactement le même prix qu’il n’aurait eu s’il s’était agi de canola conventionnel1. L’acheteur n’a versé aucun supplément parce que le soja acheté renfermait le gène breveté2. En outre, la licence de Monsanto requérant qu’aucune graine de soja ne soit conservée et plantée de nouveau, ou encore vendue pour une fin autre que la consommation, les graines de Monsanto n’avaient aucune valeur licite supérieure à celles des graines conventionnelles.
[62] Si l’on recourait uniquement à un produit de comparaison qui soit véritablement disponible au plan matériel pour être exploité, mais qu’on ne le fasse pas lorsqu’il existe mais qu’il n’est pas ainsi disponible, l’on ferait abstraction du fait que la récolte obtenue a une valeur indépendante de celle de l’invention. En l’espèce, l’avantage conféré par l’invention des demanderesses ne repose pas dans le caractère unique du soja; le fait qu’il renferme le gène des demanderesses ne lui ajoute aucune valeur au moment de la vente. La valeur en est la même que pour le soja sans le gène. La valeur de l’invention tient au fait que l’agriculteur qui l’utilise engage des frais moindres pour l’herbicide, et que les plantes sont moins souvent foulées au pied parce que moins pulvérisées d’herbicide, de sorte qu’un rendement supérieur est obtenu à un coût moindre de production. Ainsi, le profit que l’invention des demanderesses permet à l’agriculteur de réaliser résulte d’une réduction des dépenses engagées.
[63] On pourrait soutenir que, lorsque le produit non contrefait n’est pas véritablement disponible, la comparaison a un caractère hypothétique et n’est donc pas appropriée. Je désire toutefois souligner que, dans l’arrêt Reading & Bates, la Cour était disposée à admettre des éléments de preuve, même si de caractère théorique, selon lesquels on aurait pu recourir à des méthodes de creusement de substitution. Comme le juge Strayer l’a fait remarquer [dans la décision Reading & Bates Construction Co. c. Baker & Energy Resources Corp., [1992] A.C.F. no 607 (1re inst.) (QL), au paragraphe 15], « [l]e caractère “théorique” de ces éléments n’enlève rien à leur valeur ». En l’espèce, accorder une valeur déterminante aux caprices du marché local du soja conventionnel rendrait malaisé de distinguer les profits ayant un lien de causalité avec l’invention de Monsanto. Pour ces motifs, selon moi, le fait que les graines de soja conventionnelles constituent une solution de substitution non contrefaisante aux graines de soja ROUNDUP READY suffit pour que la Cour puisse l’utiliser comme produit de comparaison, qu’il ait été possible ou non pour le défendeur en 2004 de se procurer de telles graines conventionnelles.
[64] Les demanderesses soutiennent finalement qu’il faut considérer comme incidente la remarque sur la méthode privilégiée de calcul des profits faite par la Cour suprême dans l’arrêt Schmeiser, celle‑ci n’ayant en fin de compte pas appliqué la méthode du profit différentiel. Je ne partage pas cet avis. Comme l’a fait remarquer le juge Binnie dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co., la Cour suprême a conclu dans l’arrêt Schmeiser qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre les profits tirés de la culture du canola ROUNDUP READY et l’invention. À mon avis, la Cour suprême a bel et bien appliqué la méthode du coût différentiel tel qu’elle est décrite ci‑dessus au paragraphe 29, mais elle n’a pas eu à aller plus loin qu’examiner la première question — Y a‑t‑il un lien de causalité entre les profits réalisés et la contrefaçon? Comme il n’y avait pas de tel lien, il n’y avait pas de bénéfices à calculer en vue de leur restitution.
[65] Pour tous ces motifs, j’estime que la Cour doit recourir à la méthode du profit différentiel en l’espèce en vue de déterminer les bénéfices à restituer.
b. Quelles sont les dépenses déductibles de M. Rivett?
[66] Les deux parties conviennent que ce sont les bénéfices obtenus par la contrefaçon qu’il faut restituer, et qu’il convient que le défendeur déduise ses dépenses prouvées et légitimes du revenu brut tiré de la vente de sa récolte.
[67] C’est au défendeur qu’il incombe de prouver les dépenses devant être déduites du revenu brut tiré de ses ventes. Je souscris à cet égard à l’avis exprimé par la juge Reed dans la décision Diversified Products Corp. c. Tye‑Sil Corp., [1990] A.C.F. n° 952, (1re inst.) (QL) [au paragraphe 12], selon lequel tous les doutes relatifs au calcul des dépenses doivent être résolus en faveur des demandeurs :
Pour calculer les bénéfices d’un contrefacteur, le demandeur n’a besoin de prouver que les ventes du défendeur. Le défendeur a alors l’obligation de prouver les éléments de dépenses qui doivent être déduits des ventes pour indiquer le profit. Tous les doutes relatifs au calcul des dépenses ou des profits doivent être résolus en faveur du demandeur. Toutefois, cela n’oblige pas le contrefacteur à prouver de manière détaillée des dépenses telles que les frais généraux et les relations entre celles‑ci et la contrefaçon. Mais le défendeur a l’obligation d’expliquer, au moins de manière générale, comment les frais généraux réclamés ont effectivement contribué à la production de la contrefaçon.
Je n’oublie toutefois pas le fait que la réparation sollicitée par les demanderesses est essentiellement une réparation en equity, et que les deux parties doivent être traitées selon l’equity. Dans son arrêt Schmeiser, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer (au paragraphe 85) que, si l’application mécanique des principes comptables donne un montant qui ne représente pas le profit tiré de la contrefaçon, il est loisible au juge de première instance d’ajuster ce montant, à condition qu’il le fasse de « façon motivée ».
[68] En 2004, selon l’exposé conjoint des faits, M. Rivett a cultivé 1 408 acres de maïs, 811 acres de soja conventionnel et 350 acres de blé d’hiver, outre les 947 acres de soja ROUNDUP READY. Le défendeur a présenté des éléments de preuve quant aux dépenses liées à son exploitation agricole mais il ne s’agissait pas, la plupart du temps, de dépenses engagées plus particulièrement pour les 947 acres de soja ROUNDUP READY, mais bien plutôt de dépenses engagées pour une large partie de l’exploitation agricole de M. Rivett ou pour toute l’exploitation. Les demanderesses ont soutenu de leur côté que, faute pour le défendeur de démontrer qu’une dépense se rapportait directement et uniquement aux 947 acres de soja ROUNDUP READY, la Cour ne devait pas considérer qu’il s’agit là d’une dépense à porter en réduction du revenu brut tiré de la vente de la récolte. Je ne partage pas cet avis. À la condition qu’il y ait des éléments de preuve selon lesquels la dépense a été engagée, en partie, relativement aux 947 acres de soja ROUNDUP READY, une façon motivée d’accorder cette dépense consiste à le faire en fonction du pourcentage de la superficie totale de l’exploitation agricole que représente la superficie consacrée au soja ROUNDUP READY, à moins qu’il n’existe une preuve que la dépense n’a pas été engagée à l’égard de cette superficie totale. Sur un tel fondement, le pourcentage applicable est de 26,9 % de l’exploitation agricole, soit 947 acres sur un total de 3 516 acres.
[69] Bien qu’il convienne de procéder à une répartition des dépenses engagées, les dépenses réparties doivent être directement liées à la récolte de soja ROUNDUP READY. Il n’y a pas lieu selon moi de prendre en considération des dépenses additionnelles comme celles concernant, par exemple, l’assurance agricole générale, l’amortissement, l’eau et l’électricité, tel qu’il serait fait selon la méthode, dont j’ai traité précédemment, de la totalité des coûts. Ces dépenses sont trop indirectives pour être prises en considération. De toute façon, le défendeur n’a pas fait la preuve de ces dépenses.
Engrais
[70] Il a été question dans la preuve documentaire produite par M. Rivett, ainsi que dans son témoignage oral, de dépenses pour des engrais qui, selon la Cour, sont liées en partie à la récolte issue de la contrefaçon. Dans la pièce D‑2 sont incluses diverses factures provenant d’Evergreen Liquid Plant Food Ltd. visant certaines quantités d’engrais achetées à la fin de 2003 et en 2004. Ces renseignements, associés à la connaissance de la superficie que M. Rivett a consacrée à chacune de ses récoltes en 2004, et particulièrement de la proportion de la récolte de soja qui résultait de la contrefaçon, suffisent pour prouver selon la prépondérance des probabilités quelles dépenses pour de l’engrais sont déductibles.
[71] M. Rivett a déclaré dans son témoignage avoir vaporisé d’engrais liquide ses récoltes de soja. On vaporise du Fertilizer 5205 sur le soja et le blé, du calcium liquide sur le soja et « un peu » de calcium liquide sur le blé ainsi que du sulfate d’ammonium et du manganèse sur le soja. En l’absence de preuve contraire, lorsqu’un produit a été vaporisé sur plus d’une récolte, la Cour va présumer que les taux d’application étaient les mêmes.
[72] Les factures à la pièce D‑2 font état de dépenses totales de 13 781,50 $ pour du calcium liquide. En supposant sa répartition égale entre les récoltes de soja ROUNDUP READY, de soja conventionnel et de blé d’hiver, le calcium liquide aurait été vaporisé sur plus de 2 108 acres, au coût de 6,54 $ l’acre. De la sorte, la somme de 6 193,38 $ a été dépensée pour le calcium liquide à l’égard des 947 acres de soja ROUNDUP READY.
[73] La pièce D‑2 comprend un certain nombre de factures, d’un montant total de 15 704 $, relatives au Fertilizer 5205. En fonction d’une répartition égale de cet engrais entre les 2 108 acres de soja et de blé, cela correspond à une dépense de 7,45 $ l’acre. De la sorte, la somme de 7 055,70 $ a été dépensée pour le Fertilizer 5205 à l’égard des 947 acres de soja ROUNDUP READY.
[74] D’après la déposition de M. Rivett, celui‑ci a utilisé du sulfate d’ammonium (Amsul) pour favoriser l’éclosion du soja. Les factures à la pièce D‑2 font état de dépenses de 3 600 $ pour l’Amsul, soit de 2,05 $ l’acre. De la sorte, la somme de 1 941,35 $ a été dépensée pour l’Amsul à l’égard des 947 acres de soja ROUNDUP READY. On trouve également à la pièce D‑2 une facture de 350 $ pour du manganèse. En supposant sa répartition égale entre les 1 758 acres de soja, cela représenterait une dépense de 0,20 $ l’acre, et ainsi de 189,40 $ pour les 947 acres de soja ROUNDUP READY.
[75] Le total des dépenses d’engrais à l’égard des 947 acres de soja ROUNDUP READY s’établit donc comme suit :
• Calcium liquide 6 193,38 $
• Fertilizer 5205 7 055,70 $
• Amsul 1 941,35 $
• Manganèse 189,40 $
TOTAL 15 379,83 $
Loyer foncier
[76] Les demanderesses soutiennent, selon leur interprétation de la pièce D‑3, qu’il faudrait calculer le loyer foncier pour les 947 acres de soja ROUNDUP READY en fonction d’un montant de 49 $ l’acre. La pièce D‑3 comprend des chèques de loyer versés par M. Rivett en 2004 à divers propriétaires fonciers. Les chèques ne précisent pas s’ils correspondent à des lopins de terre utilisés pour planter sur 947 acres du soja ROUNDUP READY contrefait. La pièce D‑4 aide toutefois à faire correspondre les paiements de loyer aux terrains où l’on a fait pousser le soja contrefait.
[77] La pièce D‑4 a été décrite comme étant une formule d’audit établie par un enquêteur de Monsanto. On y mentionne les lieux où a été repéré du soja contrefait, en précisant leur superficie, ainsi que les dates de cueillette de ce soja. Lors de son interrogatoire principal, M. Rivett a pu faire correspondre divers chèques de la pièce D‑3 aux lieux mentionnés à la pièce D‑4. Sur le fondement de cette preuve, la Cour peut conclure que M. Rivett a loué les superficies suivantes aux prix indiqués en vue de cultiver en 2004 le soja contrefait.
• 66 acres à 60 $ l’acre (onglet 14)
• 20 acres à 35 $ l’acre (onglet 20)
• 426 acres à 77,25 $ l’acre (onglet 22)
• 51 acres à 72,47 $ / acre (onglets 23 et 17)
• 41 acres à 65,85 $ / acre (onglet 31)
• 5 acres à 66,26 $ / acre (onglet 32)
[78] Outre ces frais de loyer, la pièce D‑3 comprend une copie du chèque 2521 d’un montant de 500 $, soit une fraction, aux dires de M. Rivett, du prix de location d’un terrain de 19 acres décrit comme le lot 28, concession 6 moitié Ouest, canton d’Adjala, où il a fait pousser du soja ROUNDUP READY. Monsanto soutient pour sa part qu’il faudrait considérer cette dépense de 500 $ comme le loyer total versé pour ces 19 acres. M. Rivett a déclaré dans sa déposition que ce chèque ne représentait qu’un paiement partiel au propriétaire foncier, mais il n’a fourni aucune preuve quant au coût total du loyer. La Cour a trop peu d’éléments de preuve pour déterminer quelle somme a pu être payée en plus, et ainsi elle considérera que le paiement de 500 $ a constitué le paiement total pour la surface concernée.
[79] Cela rend compte de 628 des 947 acres en cause en l’espèce et correspond à une dépense totale de 44 795,62 $.
[80] Monsanto soutient qu’il ne devrait pas être permis à M. Rivett de déduire des frais de location foncière pour lesquels il n’existe aucun justificatif propre, tandis que l’avocat de M. Rivett fait valoir à la Cour qu’une contrepartie a manifestement été versée pour l’ensemble des terrains loués, même s’il manque dans les faits certains justificatifs. D’accord avec ce dernier, je conclus selon la prépondérance des probabilités que tous les terrains consacrés à la récolte contrefaite en 2004 ont été loués moyennant contrepartie. Celle‑ci semble toutefois avoir été, pour large part, le propre travail de M. Rivett. Les avocats de Monsanto ont renvoyé la Cour à divers passages de l’interrogatoire préalable de M. Rivett d’où il ressort clairement que certains frais locatifs avaient été acquittés au propriétaire, du moins en partie, sous forme de biens et services tel du foin ou le travail du sol ou le déneigement.
[81] J’en viens à la conclusion plus loin que M. Rivett ne peut rien déduire de son revenu brut au titre de son travail. Le même raisonnement est ici applicable. La Cour ne peut en outre de façon motivée établir la valeur des biens, tel le foin, que M. Rivett a donnés en échange de l’utilisation des terres qu’il a cultivées.
[82] M. Rivett pourra par conséquent déduire de ses profits la somme totale de 44 795,62 $ au titre de la location foncière.
Frais de carburant
[83] Les demanderesses soutiennent qu’il n’y a lieu de déduire aucun montant pour frais de carburant, M. Rivett n’ayant pu lier le moindre engagement de pareils frais à la récolte de soja ROUNDUP READY. Les frais de carburant sont une dépense majeure pour toute exploitation agricole, et ils sont déductibles du revenu brut dans la mesure où ils peuvent être prouvés. La déposition de M. Rivett associée à la preuve documentaire permet d’établir le montant de ces frais selon la prépondérance des probabilités.
[84] Milligan Fuels Ltd. fournit à M. Rivett du carburant diesel pour tracteurs et moissonneuses‑ batteuses. La pièce D‑6 comprend des relevés de comptes de M. Rivett faisant état d’achats de carburant auprès de Milligan Fuels Ltd. entre janvier et septembre 2004. Compte tenu d’un solde impayé existant au début de 2004, les relevés font voir pour cette période des dépenses de 29 381,51 $ pour le carburant diesel.
[85] M. Rivett a déclaré dans sa déposition que ces frais en carburant se rapportaient à l’ensemble de son exploitation agricole en 2004, ce qui veut dire tant les cultures de soja, que de maïs et de blé. Il a ajouté que les frais en carburant par acre étaient semblables pour les diverses récoltes, à l’exception de la récolte de blé à laquelle correspondent des frais de moissonnage‑battage légèrement plus élevés ou un besoin [traduction] « en carburant un peu différent par acre ». Je ne dispose d’aucun fondement me permettant raisonnablement d’établir quel montant exact correspond à ce besoin
« un peu différent », et je conclus ainsi que les frais de carburant se répartissent également entre les diverses récoltes. Les frais par acre en carburant pour les 3 516 acres sont donc de 8,36 $, ce qui veut dire 7 916,92 $ pour les 947 acres de soja ROUNDUP READY.
Herbicide
[86] La pièce D‑8 comprend un certain nombre de factures pour l’herbicide ROUNDUP, faisant état d’un prix de détail de 62,50 $ par cruche de 10 litres. M. Rivett a déclaré dans sa déposition qu’il fallait environ un litre d’herbicide pour traiter un acre de soja ROUNDUP READY. Monsanto soutient pour sa part que le prix payé pour le produit était de 6,25 $ l’acre; il faut toutefois supposer pour cela qu’il n’y a eu qu’une seule vaporisation sur la récolte. Or, selon le témoignage de M. Rivett, l’herbicide ROUNDUP a été vaporisé plus d’une fois sur les champs de soja. On s’en serait servi pour brûler chimiquement l’herbe et les autres mauvaises herbes avant de planter le soja, en utilisant à cette fin de 1 à 1,5 litre par acre — 1,25 litre en moyenne. Cela est conforme à la preuve des demanderesses (pièce P‑1) selon laquelle Monsanto recommande l’application [traduction] « d’herbicides de contact sans travail du sol Roundup ». Cela pris en compte, Monsanto a minimisé, en mentionnant un taux d’application d’un litre par acre, le besoin réel de ce produit. Je conclus ainsi que le défendeur a en réalité appliqué 2,25 litres d’herbicide ROUNDUP par acre de récolte tirée de la contrefaçon. Sur ce fondement, le coût total de l’herbicide ROUNDUP pour cette récolte était de 13 317,19 $, à raison d’un coût de 14,06 $ l’acre.
Inoculant HiStick
[87] Selon le témoignage de M. Rivett, l’inoculant HiStick est mélangé au sol pour favoriser la nodulation du soja, et on plante de 70 à 80 livres de semences de soja par acre. La pièce D‑8 comprend diverses factures de HiStick, faisant état d’un prix de détail de 16,10 $ par sachet de 400 grammes. Lors du contre‑interrogatoire, M. Rivett a convenu qu’un sachet de 400 grammes suffisait pour inoculer cinq sacs de 50 livres de semences, soit 250 livres de semences. Vu la déposition de M. Rivett, je conviens qu’en moyenne 75 livres de semences sont requises pour ensemencer chaque acre. Par conséquent, il a fallu 71 025 livres de semences pour planter du soja sur 947 acres. Au prix requis de 16,10 $ pour inoculer 250 livres de semences, on a dépensé pour la récolte tirée de la contrefaçon 4 574,01 $, ou 4,83 $ l’acre, pour l’application de HiStick.
Seaweed
[88] La pièce D‑10 comprend une facture pour un engrais connu sous le nom de Seaweed. M. Rivett a utilisé ce produit tant pour sa récolte de soja con-ventionnel que de soja ROUNDUP READY, de même que pour sa récolte de maïs. Lors de son contre‑ interrogatoire, il a déclaré qu’une cruche de 135 $ de Seaweed suffisait pour traiter 30 acres de soja. Sur ce fondement, les frais engagés pour traiter au moyen de Seaweed la récolte tirée de la contrefaçon s’élèveraient à 4,50 $ l’acre, soit 4 261,50 $ pour les 947 acres.
Carbone
[89] Selon sa déposition, M. Rivett utilise du carbone pour amollir le sol argileux et il en applique sur tous ses terrains, y compris ceux consacrés aux cultures autres que le soja. La pièce D‑10 comprend une facture de 2 585 $ pour 47 cruches de carbone. En supposant que ce produit ait été appliqué de manière égale sur l’ensemble des 3 516 acres cultivées, la dépense engagée a été de 0,74 $ l’acre. Cela correspond à une dépense totale de 700,78 $ au titre du carbone pour la récolte tirée de la contrefaçon.
Frais pour le travail
[90] Le défendeur soutient que, comme l’a fait le juge MacKay dans la décision Schmeiser, la Cour devrait réduire ses revenus bruts d’un montant raisonnable afin qu’il soit tenu compte de son travail. La Cour d’appel fédérale a approuvé cet élément du jugement du juge MacKay. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas disposé à prévoir la moindre compensation pour la prise en compte du propre travail du défendeur. Les faits en l’espèce diffèrent sensiblement des faits de l’affaire Schmeiser.
[91] Il y avait deux défendeurs dans l’affaire Schmeiser — Percy Schmeiser et Schmeiser Enterprises Ltd. —, et seule la société était assujettie à la restitution de ses bénéfices. La Cour d’appel fédérale a signalé (aux paragraphes 85 à 87 de l’arrêt) que M. Schmeiser, plutôt que de se faire verser un salaire par la société, touchait des dividendes, et ce, pour des raisons d’ordre fiscal. La Cour d’appel a fait remarquer que « si ce n’avait été de considérations fiscales non pertinentes, M. Schmeiser aurait fait en sorte que la société lui verse un salaire au lieu de dividendes. Le profit de la société aurait été moins élevé et les profits de la société attribuables à la récolte de canola de 1998 auraient également été proportionnellement moins élevés ». C’est dans ces circonstances particulières que la Cour d’appel a statué que le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur en réduisant le montant adjugé pour tenir compte du travail de M. Schmeiser.
[92] Il n’y a qu’un défendeur en l’espèce — le défendeur, qui est un particulier. Qu’il se verse à lui‑même un salaire ou qu’il empoche la totalité des profits annuels de l’exploitation agricole à la fin de l’exercice, le résultat est le même : tout cet argent, c’est son profit. Permettre dans ces circonstances qu’un montant soit déduit pour tenir compte de son travail, ce serait lui permettre de conserver plutôt que de restituer certains des bénéfices réalisés en raison de la contrefaçon. Cela n’est ni équitable ni juste.
Assurance‑récolte
[93] Monsanto admet qu’en fonction de la pièce D‑11, M. Rivett a le droit de déduire de ses revenus, à raison de 13,61 $ l’acre, les frais de souscription d’une assurance‑récolte visant la récolte tirée de la contrefaçon. Je suis du même avis. Cela équivaut à une dépense totale de 12 888,67 $.
c. Bénéfices à restituer
[94] J’entreprends maintenant d’appliquer la méthode du profit différentiel à la preuve, afin de déterminer le montant des bénéfices à restituer.
[95] Premièrement, il faut se demander s’il existe un lien de causalité entre les profits réalisés et la contre-façon. Le défendeur admet en l’espèce avoir traité sa récolte de soja ROUNDUP READY avec de l’herbicide contenant du glyphosate. Le défendeur a ainsi, contrairement à la situation dans l’affaire Schmeiser, tiré avantage de l’invention et réalisé des profits en conséquence.
[96] Puisqu’il existe un lien de causalité entre les profits réalisés et l’invention, il s’agit ensuite de calculer les profits bruts tirés de la contrefaçon. En fonction de l’analyse qui précède ce calcul s’effectue comme suit :
Revenu brut 233 311,73 $
Dépenses
Engrais 15 379,83 $
Loyer 44 795,62 $
Carburant 7 916,92 $
Herbicide 13 317,19 $
HiStick 4 574,01 $
Seaweed 4 261,50 $
Carbone 700,78 $
Assurance‑récolte 12 888,67 $ 103 834,52 $
Profits bruts tirés de la contrefaçon 129 477,21 $
[97] Il faut ensuite se demander s’il existait une solution non contrefaisante à laquelle M. Rivett aurait pu recourir. Selon l’analyse que j’ai faite ci‑dessus, la culture du soja conventionnel constitue en l’espèce la meilleure solution non contrefaisante.
[98] Comme il existe une solution non contrefaisante, il nous faut maintenant établir quels profits M. Rivett aurait réalisés s’il y avait recouru. Ce montant, je l’ai précédemment qualifié de profits bruts en l’absence de contrefaçon. En l’espèce, le défendeur n’a présenté aucune preuve quant aux profits qu’il aurait réalisés s’il avait recouru à la solution non contrefaisante, vraisemblablement parce qu’il a demandé à la Cour d’appliquer sa version révisée de la méthode prévue dans la décision Teledyne. Les demanderesses, toutefois, ont produit une telle preuve.
[99] Lors de son témoignage quant à la valeur de l’invention du point de vue de l’agriculteur, M. McGuire a présenté un tableau dressé par Monsanto et figurant sur son site Web (pièce P‑1). Ce tableau fait voir l’accroissement des profits qu’aux dires de Monsanto, un agriculteur peut obtenir en utilisant les graines de soja ROUNDUP READY plutôt que les graines con-ventionnelles. Il fait également voir le profit qu’on peut s’attendre à réaliser en utilisant des semences de soja conventionnelles, de soja ROUNDUP READY ensachées et de soja ROUNDUP READY mises en vrac. Le plus important différentiel de profit est obtenu lorsque l’agriculteur utilise des semences de soja ROUNDUP READY mises en vrac. Nous ne disposons d’aucun élément de preuve quant à savoir si M. Rivett a utilisé des semences mises en vrac ou ensachées, et il est ainsi équitable d’établir le calcul en fonction de semences mises en vrac, celles‑ci donnant lieu au plus important différentiel de profit.
[100] Dans le tableau de Monsanto figurant à la pièce P‑1, les données comparatives pour le soja ROUNDUP READY (semences mises en vrac), et le soja conventionnel sont les suivantes :
Semences Semences
ROUNDUP tout‑venant
READY conventionnelles
mises en vrac
Rendement (boisseau) 39,0 32,9
Prix par boisseau 8,75 $ 8,75 $
Recettes totales 341,25 $ 287,88 $
Semences 51,32 $ 18,46 $
Désherbage
1re application 14,69 $ 14,69 $
2e application 9,79 $ 37,23 $
Total — semences
et désherbage 75,79 $ 70,38 $
Ratio rendement‑
bénéfice/autre 265,46 $ 217,50 $
[101] En l’espèce le différentiel de profit était encore plus élevé qu’il n’est exposé à la pièce P‑1 comme M. Rivett n’a pas payé les semences de soja ROUNDUP READY qu’il a plantées. Il en a hérité de son père et l’a donc obtenu sans engager le moindre frais. Lorsque le coût des semences, ainsi, est soustrait en regard du soja ROUNDUP READY dans le tableau, il y a augmentation à 316,78 $ du poste ratio rendement‑bénéfice/autre pour les semences ROUNDUP READY mises en vrac. En comparaison de chaque 1 $ de profit tiré par lui en utilisant ces dernières semences, donc, l’agriculteur aurait tiré un profit de 0,69 $ en utilisant des semences conventionnelles. Au moyen de ces semences conventionnelles, de la sorte, l’agriculteur aurait obtenu 69 % par dollar des bénéfices réalisés au moyen des graines de soja ROUNDUP READY.
[102] On a conclu que les profits bruts tirés de la contrefaçon de M. Rivett étaient de 129 477,21 $. Ses profits bruts en l’absence de contrefaçon, s’il avait utilisé des graines conventionnelles, auraient été de 89 339,27 $. La différence entre ces deux montants, soit 40 137,94 $, est le profit directement attribuable à la contrefaçon du brevet et qui en découle. Il sera par conséquent ordonné à M. Rivett de restituer 40 137,94 $ aux demanderesses.
d. Intérêts avant et après jugement
[103] Dans l’arrêt Reading & Bates, la Cour d’appel fédérale a fait observer que l’octroi d’intérêts avant jugement composés était la règle en matière de restitution des bénéfices [à la page 504] :
[. . .] l’octroi d’intérêts composés au titre de gains réputés tirés des bénéfices est la règle, sous réserve du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’en atténuer l’application ou de n’accorder que des intérêts simples lorsque les circonstances le demandent. La bonne foi du contrefacteur peut certes être prise en considération dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. D’autres facteurs peuvent être examinés, dont la validité douteuse de la revendication de brevet ou le fait que l’octroi d’intérêts composés déborde le domaine de l’équité pour entrer dans celui de la punition. [Note de bas de page omise.]
[104] Il n’existe pas selon moi de circonstances justifiant d’atténuer l’application, en l’espèce, de l’octroi d’intérêts avant jugement composés. Le défendeur savait que les semences qu’il plantait étaient brevetées et qu’il avait besoin d’une licence pour les cultiver. Il ne s’agit pas d’une partie qui, tout en agissant de bonne foi, a néanmoins contrefait le brevet. Le défendeur devra donc payer des intérêts avant jugement sur les bénéfices à restituer, de la date de réalisation de ces bénéfices jusqu’à la date des présentes.
[105] Selon la preuve versée au dossier, le défendeur a vendu par étapes, de fin 2004 au milieu de 2005, la récolte tirée des semences de soja ROUNDUP READY qu’il avait plantées. La preuve semble révéler que le défendeur a touché certains des profits sous forme de prêt à rembourser à la vente de la récolte. Il n’est toutefois pas possible d’établir avec la moindre précision la date de départ pour le calcul des intérêts avant jugement. Les demanderesses proposent comme date le 28 avril 2005, soit la date d’une des ventes, réalisée vers le milieu du cycle des ventes. Le défendeur n’a présenté aucune observation relativement aux intérêts avant jugement et, dans les circonstances, la date proposée par les demanderesses est jugée raisonnable.
[106] Aux termes de l’article 36 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 9; 2002, ch. 8, art. 36] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], les règles de droit d’une province en matière d’intérêts avant jugement s’appliquent à toute action dont le fait générateur y est survenu. Toutes les activités de contrefaçon de M. Rivett sont survenues en Ontario, et ainsi les intérêts avant jugement doivent être établis en fonction du droit ontarien. Or les demanderesses ont prouvé qu’en fonction du droit ontarien, les intérêts avant jugement sur le montant des profits calculés par la Cour doivent commencer à courir à compter de la date où le défendeur a touché un revenu de ses activités de contrefaçon, au taux de 2,8 %, les intérêts étant composés semestriellement du 28 avril 2005 à la date du jugement.
[107] L’article 37 [mod., idem, art. 37] de la Loi sur les Cours fédérales prévoit également que les intérêts pour les jugements doivent être établis en fonction des règles de droit de la province où le fait générateur est survenu. Or selon la preuve présentée par les demanderesses, le taux d’intérêt en Ontario est de 4 % pour les jugements rendus, comme le présent jugement, pendant le premier trimestre de 2009.
e. Dépens
[108] Les parties ont demandé ensemble à la Cour de différer toute adjudication de dépens jusqu’à ce qu’aient été tranchées les autres questions soulevées dans la présente action. Elles ont toutes deux demandé à cet égard que leur soit fournie l’occasion de déposer des observations écrites. J’accorderai par conséquent deux semaines aux demanderesses pour la rédaction d’observations sur les dépens, d’une longueur maximale de dix pages. Le défendeur disposera alors de dix jours additionnels pour présenter ses observations, d’une longueur maximale de dix pages, en réponse. Les demanderesses disposeront elles‑mêmes ensuite d’un délai de trois jours pour répliquer par des observations d’au maximum cinq pages.
Résumé et conclusion
[109] J’ai conclu que le montant total des bénéfices devant être restitués par le défendeur et versés aux demanderesses était de 40 137,94 $. Les demanderesses ont droit aux intérêts avant jugement, au taux de 2,8 %, composés semestriellement à compter du 28 avril 2005 jusqu’à la date des présentes, et ont droit aux intérêts après jugement, au taux de 4 %, de la date des présentes jusqu’au paiement. La Cour sursoit au prononcé de sa décision sur la question des dépens jusqu’à la réception des observations des parties.
[110] La Cour conçoit que les demanderesses puissent ne pas estimer que le montant à restituer octroyé ait l’effet fortement dissuasif qu’elles souhaitaient; le choix de la réparation était toutefois le leur.
[111] Conformément à la règle 394 des Règles des Cours fédérales, il est enjoint aux avocats des demanderesses de rédiger un projet de jugement, à compléter par la suite si nécessaire de modalités additionnelles à convenir, et de remettre le projet de jugement pour commentaires à l’avocat du défendeur, et ce, dans les 30 jours du dépôt des présents motifs. Si les modalités proposées ne sont pas acceptées par le défendeur, la Cour prendra en compte les observations écrites pré-sentées sur ces modalités, ou entendra par téléconférence les observations à ce sujet des avocats des parties.
1 Pièce P-1 de Monsanto, mentionnée dans les présents motifs, où figure un calcul des profits réalisés en utilisant son produit et en utilisant des graines conventionnelles; Monsanto présume aux fins de cette comparaison que le prix de vente des deux récoltes est le même.
2 En fait, selon le témoignage de M. Rivett, certains paient maintenant un supplément pour le soja non modifié génétiquement.