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Référence :

Saputo Inc. c. Canada (Procureur général),

2009 CF 1016, [2010] 4 R.C.F. 274

T-1621-08

T-1621-08

2009 CF 1016

Saputo Inc., Kraft Canada Inc. et Parmalat Canada Inc. (demanderesses)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

et

St-Albert Cheese Cooperative Inc. et International Cheese Company Ltd. (intervenantes)

Répertorié : Saputo Inc. c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Martineau—Ottawa, 31 mars; 7 octobre 2009.

Aliments et Drogues — Contrôle judiciaire contestant la constitutionnalité et la validité sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues (la LAD) et de la Loi sur les produits agricoles au Canada (la LPAC) des modifications apportées aux art. B.08.033 et B.08.034 du Règlement sur les aliments et drogues et aux art. 6 et 28 du Règlement sur les produits laitiers par le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers (le nouveau Règlement) — Les demanderesses soutenaient que l’objet du nouveau Règlement outrepassait le pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par la LPAC et la LAD — Les dispositions contestées harmonisaient les définitions des produits du lait et révisaient les normes nationales relatives à l’identité et à la composition des fromages destinés au commerce interprovincial ou international Il s’agissait de savoir si l’adoption du nouveau Règlement était un exercice légitime du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce prévu à l’art. 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 et du pouvoir de réglementation que la LAD et la LPAC confèrent au gouverneur en conseil — Le nouveau Règlement fait partie intégrante des dispositifs législatifs établis par la LAD et la LPAC pour régler l’importation, l’exportation et le commerce interprovincial — Il s’applique aux fromages qui font l’objet de vente ou de commercialisation interprovinciales en vertu de l’art. 6(1) de la LAD et de l’art. 17 de la LPAC — Les producteurs laitiers doivent se conformer à une norme nationale de composition pour les fromages destinés au commerce interprovincial ou international — Le nouveau Règlement, y compris les dispositions contestées, constitue un exercice légitime du pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil — Ce pouvoir est défini de manière large à l’art. 30(1) de la LAD et à l’art. 32 de la LPAC — Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation établit de manière concluante que le gouverneur en conseil a pris le nouveau Règlement afin de remplir les objets de la LPAC et de la LAD — Demande rejetée.

Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Il s’agissait de savoir si l’adoption du Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers (le nouveau Règlement) était un exercice légitime du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce prévu à l’art. 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 — Avant l’arrêt Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, les règlements pris sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues (la LAD) ne pouvaient être confirmés dans le cadre du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce parce que l’art. 6 de la LAD ne pouvait, de par son caractère véritable, être conçu pour viser le commerce interprovincial et international — La LAD a été modifiée par la suite de manière à faire en sorte que le dispositif réglementaire et les règlements apparentés entrent dans le champ d’application bien établi des pouvoirs attribués au fédéral — Le caractère véritable du nouveau Règlement est de fixer des normes de composition pour les fromages destinés au commerce interprovincial ou international — L’adoption du nouveau Règlement était donc un exercice légitime du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce prévu à l’art. 91(2) de la Loi constitutionnelle.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire portant sur la légalité des modifications apportées au Règlement sur les aliments et drogues (le RAD) et au Règlement sur les produits laitiers (le RPL) par le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers (le nouveau Règlement).

Les demanderesses, d’importants transformateurs de produits laitiers exploitant des établissements enregistrés au fédéral, contestaient la constitutionnalité et la validité sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues (la LAD) et de la Loi sur les produits agricoles au Canada (la LPAC) des modifications apportées aux articles B.08.033 et B.08.034 du RAD et aux articles 6 et 28 du RPL qui harmonisaient les définitions des produits du lait et révisaient les normes antérieures relatives à l’identité et à la composition des fromages destinés au commerce interprovincial ou international. Elles soutenaient que l’objet du nouveau Règlement outrepassait le pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par la LAD et la LPAC.

Il s’agissait de savoir si l’adoption du nouveau Règlement était un exercice légitime 1) du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce prévu au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, eu égard en particulier à la compétence fédérale en matière de commerce interprovincial et international, et 2) du pouvoir de réglementation que la LAD et la LPAC confèrent au gouverneur en conseil.

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) Le nouveau Règlement fait partie intégrante des dispositifs législatifs établis par la LAD et la LPAC pour régler l’importation, l’exportation et le commerce interprovincial. Le paragraphe 6(1) de la LAD et l’article 17 de la LPAC, qu’applique le nouveau Règlement, fait ressortir que le régime est axé sur le commerce international et interprovincial. En raison de ces dispositions, le nouveau Règlement s’applique aux fromages qui font l’objet de vente ou de commercialisation interprovinciales ainsi qu’aux fromages importés. Dans l’arrêt Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, la Cour suprême du Canada a signalé que « la loi fédérale est valide si elle vise la réglementation des mouvements commerciaux dans les réseaux extraprovinciaux », mais elle a conclu que les dispositions réglementaires prises sous le régime de la LAD ne pouvaient être confirmées dans le cadre du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce. À l’époque où la Cour suprême a rendu sa décision, l’article 6 de la LAD ne pouvait, de par son caractère véritable, être conçu pour viser le commerce interprovincial et international. Après cet arrêt, la LAD a été modifiée de manière à faire en sorte que le dispositif réglementaire et les règlements apparentés entrent dans le champ d’application bien établi des pouvoirs attribués au fédéral. Le nouveau Règlement ne prescrit pas une recette légale pour les fromages parce que les transformateurs de produits laitiers peuvent continuer à utiliser les ingrédients qu’ils veulent. Cependant, ils doivent se conformer à une norme nationale de composition s’ils souhaitent vendre leur produit sous le nom de l’une des variétés de fromages visées par l’article B.08.033 du RAD. Il ressort de la simple lecture des dispositions applicables du RAD et du RPL que l’objet fondamental du nouveau Règlement est de fixer des normes de composition. C’est là le caractère véritable du nouveau Règlement.

2) Le nouveau Règlement constitue un exercice légitime du pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil, qui est défini de manière large à l’article 32 de la LPAC et au paragraphe 30(1) de la LAD. Le nouveau Règlement s’inscrit tout à fait dans le champ des objectifs et des pouvoirs que définissent ces dispositions. Les demanderesses n’ont pas atteint le seuil pour démontrer que le Règlement manquait de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. L’affirmation selon laquelle le nouveau Règlement subdéléguait illégitimement un pouvoir discrétionnaire indu à l’Agence canadienne d’inspection des aliments n’est fondée ni en droit ni en fait. En outre, un examen du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR) établit de manière concluante en l’espèce que le gouverneur en conseil a pris le nouveau Règlement afin de remplir les objets de la LPAC et de la LAD en harmonisant la réglementation fédérale existante, en protégeant les intérêts des consommateurs, en permettant la réalisation de progrès technologiques dans la production fromagère et en assurant la conformité à certaines normes internationales relatives aux aliments. Enfin, l’objet dominant du nouveau Règlement n’était pas d’opérer un transfert économique des transformateurs de produits laitiers vers les producteurs laitiers. Bien que le REIR reconnaisse que le nouveau Règlement procure des avantages et entraîne des coûts, le fait d’assimiler cette analyse économique à l’objet du nouveau Règlement équivaut à dénaturer le dispositif d’ensemble réglant la composition des fromages.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91.

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27, art. 6 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 27, art. 1), 30(1) (mod. par L.C. 1999, ch. 33, art. 347; 2005, ch. 42, art. 2).

Loi sur les aliments et drogues, S.R.C. 1970, ch. F-27, art. 6.

Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. C-20, art. 17, 32 (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 51; 2001, ch. 4, art. 64(A)).

Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers, DORS/2007-302.

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. B.08.033 (mod. par DORS/79-752, art. 2; 82-383, art. 2; 89-198, art. 1; 90-469, art. 1; 94-417, art. 1; 97-191, art. 1; 2000-336, art. 1; 2000-417, art. 2; 2001-94, art. 1; 2005-98, art. 7; 2007-302, art. 2, 4(F)), B.08.034(1)a)(i.1) (mod., idem, art. 3), (i.2) (mod., idem), c)(i) (édicté, idem), (1.2) (édicté, idem).

Règlement sur les produits laitiers, DORS/79-840, art. 2 « produit du lait » (mod. par DORS/2007-302, art. 5), 6(3)c) (édicté, idem, art. 6), d) (édicté, idem), (5) (édicté, idem), 28(1)a)(i.1) (édicté, idem, art. 11), (i.2) (édicté, idem), (4) (édicté, idem).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606.

décisions examinées :

Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914; Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; Les Produits Laitiers Advidia Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada et Producteurs laitiers du Canada. Appel no AP-2003-040, motifs de décision rendus le mardi 8 mars 2005 (T.C.C.E.).

décisions citées :

Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141; Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, [2002] 1 R.C.S. 569; Gallant c. New Brunswick (1998), 200 R.N.-B. (2e) 113 (C.A.); Attorney General of Canada v. Brent, [1956] S.C.R. 318, (1956), 2 D.L.R. (2d) 503, 114 C.C.C. 296; Verdun, City of, v. Sun Oil Co., [1952] 1 S.C.R. 222, (1952), 1 D.L.R. 529; Actton Transport Ltd. c. Steeves, 2004 CAF 182; Re Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al.; Peralta et al. v. Warner et al. (1985), 49 O.R. (2d) 705, 16 D.L.R. (4th) 259 (C.A.), conf. par [1988] 2 R.C.S. 1045; Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1992] 3 C.F. 42 (1re inst.); RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199.

doctrine citée

LeDain, Gerald. « Sir Lyman Duff and the Constitution » (1974), 12 Osgoode Hall L.J. 261.

Organisation mondiale du commerce. Canada — Mesures visant l’importation de lait et l’exportation de produits laitiers, Rapport de l’Organe d’appel, WT/DS103/AB/ RW2 (décembre 2002).

Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/2007-302, Gaz. C. 2007.II.2787.

DEMANDE de contrôle judiciaire portant sur la légalité des modifications apportées au Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, et au Règlement sur les produits laitiers, DORS/79‑840, par suite de l’adoption du Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers, DORS/2007‑302. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Patrick Girard pour la demanderesse Saputo Inc.

Timothy M. Lowman et Patrick J. Cotter pour la demanderesse Kraft Canada Inc.

Wendy Wagner pour la demanderesse Parmalat Canada Inc.

Alexander M. Gay et Brian Harvey pour le défendeur.

David K. Wilson pour les intervenantes.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour la demanderesse Saputo Inc.

Sim, Lowman, Ashton & McKay LLP, Toronto, pour la demanderesse Kraft Canada Inc.

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., Ottawa, pour la demanderesse Parmalat Canada Inc.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l., Ottawa, pour les intervenantes.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1] Le juge Martineau : La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la légalité des modifications apportées au Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 (le RAD), et au Règlement sur les produits laitiers, DORS/79‑840 (le RPL), par suite de l’adoption du Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers, DORS/2007‑302 (le nouveau Règlement).

I. VUE D’ENSEMBLE

[2] Après de nombreuses années de consultation avec plusieurs groupes d’intérêts, le gouverneur en conseil a pris le nouveau Règlement censément sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F‑27 (la LAD), et de la Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. C‑20 (la LPAC), ci‑après collectivement désignées comme les lois-cadres.

[3] Le nouveau Règlement a été élaboré en collaboration avec Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) ainsi qu’en consultation avec Santé Canada (SC) et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Il a été publié le 26 décembre 2007 dans la Gazette du Canada, partie II, vol. 141, no 26, et est entré en vigueur le 14 décembre 2008.

[4] Essentiellement, le nouveau Règlement modifie le RAD et le RPL en harmonisant les définitions des produits du lait et en révisant les normes antérieures relatives à l’identité et à la composition des fromages destinés au commerce interprovincial ou international (y compris des fromages importés au Canada).

[5] Les demanderesses sont d’importants transformateurs de produits laitiers exploitant des établissements enregistrés au fédéral. Elles produisent des fromages qu’elles distribuent partout au Canada et qu’elles exportent. Elles importent aussi des fromages qu’elles distribuent au Canada. Les fromages distribués par les demanderesses sont faits à partir de lait liquide et de dérivés du lait, notamment de concentré de protéines laitières en poudre, d’isolat de protéines laitières et de concentré de protéines de lactosérum.

[6] Par la présente demande de contrôle judiciaire, les demanderesses contestent la constitutionnalité et la validité sous le régime des lois-cadres des sous‑alinéas B.08.033(1)a)(i.1) [édicté par DORS/2007-302, art. 2] et (i.2) [édicté, idem], du paragraphe B.08.033(1.2) [édicté, idem], des sous‑alinéas B.08.034(1)a)(i.1) [mod., idem, art. 3], (i.2) [mod., idem] et B.08.034(1)c)(i) [édicté, idem] et du paragraphe B.08.034(1.2) [édicté, idem] du RAD, ainsi que de l’alinéa 6(3)c) [édicté, idem, art. 6], du sous-alinéa 6(3)d)(i) [édicté, idem], du paragraphe 6(5) [mod., idem], des sous-alinéas 28(1)a)(i.1) [édicté, idem, art. 11] et (i.2) [édicté, idem] et du paragraphe 28(4) [édicté, idem] du RPL, dans leur version modifiée par le nouveau Règlement (les dispositions contestées).

[7] Le défendeur conteste la présente demande. Les intervenantes ont reçu l’autorisation de déposer des affidavits, auxquels se sont référés les demanderesses aussi bien que le défendeur, mais non de présenter des conclusions écrites ou orales à la Cour.

II. DÉCISION

[8] Après avoir examiné la légalité des dispositions contestées en fonction du droit et de la totalité de la preuve produite par les parties, lu les dossiers de demande, entendu les observations orales des demanderesses et du défendeur et pris en considération l’ensemble de la jurisprudence pertinente, je suis parvenu à la conclusion que la présente demande doit être rejetée.

[9] Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

a) L’adoption du nouveau Règlement, notamment des dispositions contestées, est‑elle un exercice légitime du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce prévu au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) [(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1)] réimprimée dans L.R.C. (1985), appendice II, no 5 (la Loi constitutionnelle de 1867), eu égard en particulier à la compétence fédérale en matière de commerce interprovincial et international?

b) L’adoption du nouveau Règlement est‑elle un exercice légitime du pouvoir de réglementation que la LPAC et la LAD confèrent au gouverneur en conseil?

[10] Je réponds à chacune de ces questions par l’affirmative.

[11] Pour établir si les dispositions contestées relèvent de la sphère de compétence fédérale, la Cour devait d’abord déterminer le caractère essentiel du nouveau Règlement, qu’elle a défini comme étant la mise en place de normes révisées de composition pour les fromages importés ainsi que pour les fromages destinés au commerce interprovincial et international. Deuxièmement, la Cour devait se demander si le caractère du nouveau Règlement se rapporte à l’une des rubriques de compétence fédérale que spécifie la Constitution. Elle a répondu à cette question en concluant que le caractère essentiel du nouveau Règlement — considéré dans le contexte de l’ensemble du régime où il s’inscrit — entre dans le champ d’application du pouvoir de réglementation des échanges et du commerce attribué au Parlement fédéral par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[12] S’il est vrai qu’un tribunal judiciaire peut annuler des dispositions réglementaires au motif de l’absence de compétence ou pour d’autres raisons péremptoires, « seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure » : Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106. Les tribunaux judiciaires appliquent systématiquement cette approche à l’égard de la réglementation et des fonctions assimilées, sans se référer aux normes de contrôle des décisions de tribunaux administratifs; voir Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141. Les demanderesses paraissent reconnaître que le nouveau Règlement a été [traduction] « pris de bonne foi ». Cependant, elles soutiennent que l’objet de ce règlement, notamment des dispositions contestées, outrepasse le pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par la LPAC et la LAD. La Cour estime que cette prétention est sans fondement. Même si les questions de fait et de droit formulées plus haut sont quelque peu liées, j’ai décidé, pour des raisons de commodité et de clarté, de traiter les questions de droit relatives à l’interprétation et à l’effet du nouveau Règlement séparément des questions de fait et de preuve soulevées par les parties.

III. LA LÉGALITÉ DES DISPOSITIONS

CONTESTÉES

[13] Il existait déjà des normes fédérales de composition des fromages avant l’adoption du nouveau Règlement. Il n’est pas contesté que ces normes avaient pour objet d’énoncer les conditions fondamentales nécessaires pour que les fromages offerts aux consommateurs présentent une composition et une valeur nutritive uniformes. Évidemment, le fromage n’est pas le seul aliment à être soumis à des normes de composition. Cependant, le cas du fromage est exceptionnel en ce qu’il relève de deux règlements fédéraux différents, le RAD et le RPL.

[14] Les dispositions contestées sont reproduites en annexe. Voici un résumé de leur contenu :

a) Les nouveaux sous-alinéas B.08.033(1)a)(i.1) du RAD, et 6(3)c)(i) et 28(1)a)(i.1) du RPL, disposent que chacune des variétés de fromage visées doit avoir une teneur en caséine dérivée du lait liquide (c’est‑à‑dire du lait ou du lait ultrafiltré, du lait partiellement écrémé, du lait partiellement écrémé ultrafiltré, du lait écrémé, du lait écrémé ultrafiltré ou de la crème), plutôt que de tout autre « produit du lait » (concentré de protéines laitières en poudre, isolat de protéines laitières, concentré de protéines de lactosérum ou autre produit du lait relevant de la nouvelle définition), qui soit au moins équivalente à des pourcentages spécifiés de la teneur totale en protéines du fromage en question (le ratio caséine/protéines).

b) Les nouveaux sous-alinéas B.08.033(1)a)(i.2) du RAD, et 6(3)c)(ii) et 28(1)a)(i.2) du RPL, disposent également que le rapport protéines de petit-lait à la caséine (le ratio protéines de petit-lait/caséine) de la variété de fromage visée ne doit pas dépasser celui du lait.

c) Les nouveaux paragraphes B.08.033(1.2) du RAD, et 6(5) et 28(4) du RPL, permettent pour les variétés de fromage visées des ratios caséine/protéines inférieurs à ceux que prescrivent les sous-alinéas B.08.033(1)a)(i.1) du RAD, et 6(3)c)(i) et 28(1)a)(i.1) du RPL, si certaines conditions sont réunies, dont celle que le fromage en question ait la saveur et la texture caractéristiques de la variété visée correspondante.

d) Les nouveaux sous-alinéas B.08.034(1)a)(i.1), (i.2), et (1)c)(i) et le paragraphe B.08.034(1.2) du RAD, et le sous-alinéa 6(3)d)(i) du RPL, prescrivent des caractéristiques de composition particulières pour le cheddar (y compris le cheddar vieilli), qui doit notamment n’être fait que de lait liquide et présenter un ratio caséine/protéines déterminé.

[15] Comme on peut le voir, les modifications du RAD correspondent exactement à celles du RPL.

[16] Premièrement, il est important d’examiner la légalité du nouveau Règlement, notamment des dispositions contestées, en fonction de l’ensemble des régimes respectifs de la LAD et de la LPAC, plutôt que, comme les demanderesses semblent y inviter la Cour, isolément. À ce propos, la Cour constate que le nouveau Règlement fait partie intégrante des dispositifs législatifs établis par la LPAC et la LAD pour régler l’importation, l’exportation et le commerce interprovincial.

[17] L’objet de la LPAC est énoncé dans son titre intégral, qui est : « Loi réglementant la commercialisation — soit interprovinciale, soit liée à l’importation ou l’exportation — des produits agricoles et prévoyant l’institution de normes et de noms de catégorie nationaux à leur égard, leur inspection et classification et l’agrément d’établissements ainsi que les normes relatives à ceux‑ci » (non souligné dans l’original).

[18] L’une des principales dispositions de la LPAC visées par le nouveau Règlement est son article 17, qui montre clairement que le régime est axé sur le commerce international et interprovincial :

17. Sont interdites, relativement à un produit agricole, toute commercialisation — soit interprovinciale, soit liée à l’importation ou l’exportation — effectuée en contravention avec la présente loi ou ses règlements de même que la possession à ces fins ou la possession résultant d’une telle commercialisation.

Interdiction

[19] L’article 32 [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 51; 2001, ch. 4, art. 64(A)] de la LPAC confère au gouverneur en conseil un large pouvoir de réglementation aux fins de l’application de cette Loi, pouvoir qui l’autorise notamment à prendre les mesures suivantes :

32. Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre toute mesure d’application de la présente loi, et notamment :

Règlement

[…]

f) établir les classifications et les normes, y compris de salubrité, visant les produits agricoles et les normes des contenants;

 

[…]

k) régir ou interdire, relativement aux produits agricoles autres que ceux visés à l’alinéa l), la commercialisation — soit interprovinciale, soit liée à l’importation ou l’exportation — , et fixer toutes conditions et modalités liées à cette activité;

 

[20] La LAD et la LPAC se complètent l’une l’autre en ce qui concerne les normes alimentaires. La principale disposition de la LAD qu’applique le nouveau Règlement, soit son paragraphe 6(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 27, art. 1], fait ressortir encore une fois que le régime est axé sur le commerce international et interprovincial :

6. (1) En cas d’établissement — par règlement — d’une norme à l’égard d’un aliment et de non-conformité à celle-ci d’un article destiné à la vente et susceptible d’être confondu avec cet aliment, sont interdites, relativement à cet article, les opérations suivantes :

Importation et circulation interprovin-ciale d’un aliment

a) son importation;

 

b) son expédition, son transport ou son acceptation en vue de son transport interprovincial;

 

c) sa possession en vue de son expédition ou de son transport interprovincial.

 

[…]

(3) En cas d’établissement d’une norme réglementaire à l’égard d’un aliment, il est interdit d’étiqueter, d’emballer ou de vendre un aliment — ou d’en faire la publicité — de manière qu’il puisse être confondu avec l’aliment visé par la norme, à moins qu’il ne soit conforme à celle-ci, s’il entre dans l’une ou l’autre des catégories suivantes :

Étiquetage d’un aliment importé d’une province à une autre

a) il a été importé;

 

b) il a été expédié ou transporté d’une province à une autre;

 

c) il est destiné à être expédié ou transporté d’une province à une autre.

 

[21] Tout comme les dispositions correspondantes de la LPAC, le paragraphe 30(1) [mod. par L.C. 1999, ch. 33, art. 347; 2005, ch. 42, art. 2] de la LAD confère au gouverneur en conseil un large pouvoir de réglementation, qui l’habilite notamment à prendre les mesures suivantes :

30. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre les mesures nécessaires à l’application de la présente loi et, notamment

Règlement

[…]

c) établir des normes de composition, de force, d’activité, de pureté, de qualité ou d’autres propriétés d’un aliment, d’une drogue, d’un cosmétique ou d’un instrument;

 

d) régir l’importation d’aliments, de drogues, de cosmétiques et d’instruments, afin d’assurer le respect de la présente loi et de ses règlements;

 

[22] En raison de l’article 6 de la LAD et de l’article 17 de la LPAC, le nouveau Règlement s’applique aux fromages qui font l’objet de vente ou de commercialisation interprovinciales ainsi qu’aux fromages importés au Canada. Il est clair qu’il ne s’applique pas aux fromages produits dans des établissements non enregistrés au fédéral et vendus seulement dans les limites d’une province. En fait, le nouveau Règlement n’empêche pas la commercialisation des produits qui n’y sont pas conformes. Si un produit destiné au commerce interprovincial ou international dépasse la teneur réglementaire en dérivés du lait, il doit simplement porter un autre nom que la variété de fromage correspondante.

[23] S’il est arrivé que les tribunaux annulent des dispositions fédérales s’appliquant sans distinction à toutes les catégories de commerce, y compris au commerce intraprovincial, ils n’ont jamais annulé de dispositions fédérales portant sur le commerce extraprovincial. La Cour suprême du Canada a accordé à ce fait un rôle décisif dans son arrêt Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914 (Labatt). Comme le montre le passage suivant, la Cour suprême a conclu dans cet arrêt que les dispositions réglementaires contestées, prises sous le régime de la LAD, ne pouvaient être confirmées dans le cadre du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce [aux pages 942 et 943] :

En ce qui concerne la législation sur le soutien, le contrôle ou la réglementation des différents paliers ou constituants du cycle de commercialisation des produits naturels [examinés dans cette affaire], le provincial est de prime abord habilité à légiférer sur la production (voir le juge Pigeon dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, précité, à la p. 1296) et le fédéral, à légiférer sur la commercialisation au niveau international et interprovincial. Entre les deux, le succès ou l’échec du législateur est subordonné à la question de savoir si de par son caractère véritable ou son objectif premier, la loi ou le règlement se rattache aux chefs de compétence du pouvoir législatif en cause. Toute incidence sur l’autre sphère législative ne condamne plus nécessairement la loi à l’échec. Plusieurs indices quant aux critères à appliquer ont été élaborés. Par exemple, la province est compétente lorsque la réglementation proposée vise des droits contractuels dans les limites de la province. Par contre, la loi fédérale est valide si elle vise la réglementation des mouvements commerciaux dans les réseaux extra-provinciaux. Entre ces deux extrêmes, les zones grises sont telles qu’on ne peut prétendre énoncer une formule constitutionnelle. La majorité des critères énoncés jusqu’ici vise en grande partie la distribution et non la production de produits agricoles. En l’espèce, toutefois, nous nous intéressons à l’autorité compétente pour réglementer les procédés de production d’une seule industrie et, dans une certaine mesure, la vente de ses produits, ce dernier aspect mettant surtout en cause l’utilisation d’étiquettes ou l’identification du produit. Les articles contestés du Règlement établi en vertu de la Loi n’ont nullement trait au contrôle ou à la réglementation de la distribution extraprovinciale de ces produits ni à leur mouvement par courants d’échanges. Au contraire, ils visent principalement à réglementer le procédé de brassage lui-même au moyen d’une « recette légale », comme l’a dit l’avocat de l’appelante. D’ailleurs, si l’industrie revêt un caractère essentiellement local, comme il ressort apparemment du mince dossier produit devant la Cour (comme je l’ai déjà mentionné), les articles du Règlement se limitent de fait à réglementer un commerce dans les limites d’une province. [Non souligné dans l’original.]

[24] À l’époque où l’arrêt Labatt a été prononcé, l’article 6 de la LAD [S.R.C. 1970, ch. F-27] portait que « [l]orsqu’une norme a été prescrite pour un aliment, nul ne doit étiqueter, empaqueter, vendre ou annoncer un article de telle manière qu’il puisse être confondu avec cet autre aliment, à moins que l’article ne soit conforme à la norme prescrite ». Le pouvoir de réglementation afférent à la LAD était lié à cette disposition attributive de responsabilité. Étant donné la structure du régime, cette disposition ne pouvait, de par son caractère véritable, être conçue pour viser le commerce interprovincial et international. Cependant, après l’arrêt Labatt, on a modifié la LAD de manière à faire en sorte que le dispositif réglementaire mis en place par cette Loi, y compris les règlements apparentés, entre dans le champ d’application bien établi des pouvoirs attribués au fédéral par la Constitution.

[25] La Cour rejette tous moyens invoqués par les demanderesses selon lesquels le nouveau Règlement, notamment par les dispositions contestées, prescrirait une [traduction] « recette légale » pour les fromages. On ne peut assimiler des normes de composition à la recette qu’emploie chaque transformateur pour fabriquer une variété ou une marque particulières de fromage. La lecture intégrale du nouvel article B.08.033 [mod. par DORS/79-752, art. 2; 82-383, art. 2; 89-198, art. 1; 90-469, art. 1; 94-417, art. 1; 97-191, art. 1; 2000-336, art. 1; 2000-417, art. 2; 2001-94, art. 1; 2005-98, art. 7; 2007-302, art. 2, 4(F)] du RAD suffit à confirmer cette conclusion :

B.08.033. (1) [N]. Le fromage (indication de la variété) autre que le fromage cheddar, le fromage à la crème, le fromage de petit-lait, le fromage à la crème (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage à la crème à tartiner, le fromage à la crème à tartiner (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage fondu (indication de la variété), le fromage fondu (indication de la variété) (avec indication des ingrédients ajoutés), une préparation de fromage fondu, une préparation de fromage fondu (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage fondu à tartiner, le fromage fondu à tartiner (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage conditionné à froid (indication de la variété), le fromage conditionné à froid (indication de la variété) (avec indication des ingrédients ajoutés), une préparation de fromage conditionné à froid, une préparation de fromage conditionné à froid (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage cottage et le fromage cottage en crème,

a) doit

(i) être le produit de la coagulation, à l’aide de bactéries, de lait, de produits du lait ou d’un mélange de ceux-ci, en vue de former, après égouttement du petit-lait, une masse homogène de caillé,

(i.1) sauf pour le fromage Féta, avoir une teneur en caséine dérivée du lait ou du lait ultrafiltré, du lait partiellement écrémé, du lait partiellement écrémé ultrafiltré, du lait écrémé, du lait écrémé ultrafiltré ou de la crème, plutôt que de tout autre produit du lait, au moins équivalente aux pourcentages ci-après de la teneur totale en protéines du fromage :

(A) 63 %, dans le cas du fromage Pizza mozzarella ou Pizza mozzarella partiellement écrémé,

(B) 83 %, dans le cas du fromage de lait écrémé, Brick, Brick canadien, Colby, Farmer’s, Jack, Monterey (Monterey Jack), Mozzarella (Scamorza), Mozzarella partiellement écrémé (Scamorza partiellement écrémé), Munster canadien, Pizza partiellement écrémé ou Pizza et des autres variétés de fromage non mentionnées aux divisions (A) ou (C),

(C) 95 %, dans le cas des autres variétés de fromage visées au tableau du présent article,

(i.2) avoir un rapport protéines de petit-lait à la caséine qui ne dépasse pas celui du lait,

(ii) posséder les propriétés physiques, chimiques et organoleptiques typiques de la variété,

(iii) s’il s’agit d’une variété de fromage nommée dans le tableau du présent article, ne pas contenir plus que le pourcentage maximal d’humidité indiqué pour cette variété dans la colonne II de ce tableau,

(iv) s’il s’agit d’une variété de fromage nommée dans la partie I du tableau du présent article, contenir au moins le pourcentage minimal de matière grasse de lait indiqué pour cette variété dans la colonne III de ce tableau, et

(v) s’il s’agit d’une variété de fromage nommée dans la partie II du tableau du présent article, ne pas contenir plus que le pourcentage maximal de matière grasse de lait indiqué pour cette variété dans la colonne III de ce tableau; et

b) peut contenir

(i) du sel, des assaisonnements, des condiments et des épices,

(ii) des préparations aromatisantes autres que les aromatisants de fromage,

(iii) des micro-organismes favorisant l’affinage,

(iv) les colorants suivants :

(A) en quantité conforme aux bonnes pratiques industrielles, le rocou, le ß-carotène, la chlorophylle, le paprika, la riboflavine, le curcuma,

(B) en quantité n’excédant pas 35 parties par million, le ß-apo-8′-caroténal, l’ester éthylique de l’acide ß-apo-8′-caroténoïque ou un mélange de ces produits, et

(C) en quantité n’excédant pas 0,10 partie par million, le bleu brillant FCF seulement dans le Feta,

(v) du chlorure de calcium comme agent d’affermissement, en quantité n’excédant pas 0,02 pour cent du lait et des produits du lait utilisés,

(vi) de la cire de paraffine comme enrobage, en quantité conforme aux bonnes pratiques industrielles,

(vii) en quantité n’excédant pas 50 parties par million, des résidus de nitrate de potassium, de nitrate de sodium ou d’un mélange de ces produits utilisés aux fins et de la manière prévues au paragraphe (2),

(viii) de la fumée de bois comme agent de conservation, en quantité conforme aux bonnes pratiques industrielles,

(ix) les agents de conservation suivants :

(A) l’acide propionique, le propionate de calcium, le propionate de sodium ou un mélange de ces produits, en quantité n’excédant pas 2 000 parties par million, calculée en acide propionique,

(B) l’acide sorbique, le sorbate de calcium, le sorbate de potassium, le sorbate de sodium, ou un mélange de ces produits, en quantité n’excédant pas 3 000 parties par million, calculée en acide sorbique,

(C) un mélange des agents de conservation visés aux dispositions (A) et (B), en quantité n’excédant pas 3 000 parties par million, calculée respectivement en acide propionique et en acide sorbique, ou

(D) la natamycine appliquée à la surface du fromage, en une quantité n’excédant pas 20 parties par million ou, si le fromage est râpé fin ou en filaments, 10 parties par million,

(x) s’il est râpé fin ou en filaments, du silicate de calcium, de la cellulose microcristalline, de la cellulose ou un mélange de ces produits, utilisé comme agent anti-agglomérant, en quantité totale n’excédant pas 2,0 pour cent,

(xi) du dioxyde de carbone comme rajusteur du pH dans le lait pour la fabrication du fromage, en quantité conforme aux bonnes pratiques industrielles.

(1.1) Le fromage d’une variété visée à la colonne I de la partie I du tableau du présent article peut contenir plus que le pourcentage maximal d’humidité indiqué dans la colonne II et moins que le pourcentage minimal de matière grasse du lait indiqué dans la colonne III, si les conditions suivantes sont réunies :

a) la mention ou l’allégation figurant à la colonne 4 de l’un des articles 12 à 14, 16, 20, 21 et 45 du tableau suivant l’article B.01.513 est indiquée sur l’étiquette du produit dans le nom usuel de celui-ci;

b) le fromage a la saveur et la texture caractéristiques de la variété de fromage visée.

(1.2) La mention « 83 % » dans la division (1)a)(i.1)(B) vaut mention de « 78 % » et la mention « 95 % » dans la division (1)a)(i.1)(C) vaut mention de « 90 % », dans le cas des variétés de fromage visées, si les conditions suivantes sont réunies :

a) la mention ou l’allégation figurant à la colonne 4 de l’un des articles 12 à 14, 16, 20, 21 et 45 du tableau suivant l’article B.01.513 est indiquée sur l’étiquette du produit dans le nom usuel de celui-ci;

b) le fromage a la saveur et la texture caractéristiques de la variété de fromage visée.

(2) Le nitrate de potassium, le nitrate de sodium ou un mélange de ces produits peuvent être utilisés comme agents de conservation dans le fromage, pourvu que

a) la quantité de sel ou le mélange de sels ne dépasse pas 200 parties par million du lait et des produits du lait utilisés;

b) le fromage soit

(i) du fromage affiné aux moisissures conservé dans un contenant hermétique, ou

(ii) du fromage affiné

(A) qui contient au plus 68 pour cent d’humidité à l’état dégraissé, et

(B) dont la fermentation lactique et la salaison ont été faites plus de 12 heures après la coagulation du caillé par enzymes; et

c) la salaison soit, dans le cas du fromage visé au sous-alinéa b)(ii), appliquée à l’extérieur du fromage sous forme de sel ou de saumure.

(3) Il est interdit d’utiliser un enzyme qui n’est pas compris parmi les suivants :

a) les enzymes coagulant le lait qui proviennent de Rhizomucor miehei (Cooney et Emerson) (précédemment nommé mucor miehei (Cooney et Emerson)), de Mucor pusillus Lindt ou de Aspergillus oryzae RET-1 (pBoel777), l’aminopeptidase provenant de Lactococcus lactis, la chymosine A provenant de Escherichia coli K-12, GE81 (pPFZ87A), la chymosine B provenant de Aspergillus niger var. awamori, GCC0349 (pGAMpR) ou de Kluyveromyces marxianus var. lactis, DS1182 (pKS105), la protéase provenant de Micrococcus caseolyticus, la pepsine, la présure et la présure bovine, dans la fabrication d’un fromage visé au paragraphe (1);

b) la lipase et les enzymes mentionnés à l’alinéa a), pour la fabrication du fromage Asiago, du fromage Bleu, du fromage Caciocavallo, du fromage Feta et du fromage Provolone;

c) l’enzyme coagulant le lait provenant d’Endothia parasitica et les enzymes mentionnés à l’alinéa a) dans la fabrication du fromage Emmentaler (Emmenthal, suisse), du fromage Mozzarella (Scamorza) et du fromage Mozzarella partiellement écrémé (Scamorza partiellement écrémé);

d) la lipase, l’enzyme coagulant le lait provenant d’Endothia parasitica et les enzymes mentionnés à l’alinéa a), pour la fabrication du fromage Parmesan et du fromage Romano;

e) la protéase provenant d’Aspergillus oryzae pour la fabrication du fromage Colby;

f) le lysozyme provenant de blanc d’oeuf.

(3.1) Il est interdit d’utiliser une enzyme visée au paragraphe (3) en quantité supérieure à celle conforme aux bonnes pratiques industrielles.

(4) Lorsqu’une préparation aromatisante, autre qu’une préparation aromatisante habituellement utilisée dans la variété de fromage, est ajoutée à un fromage conformément au paragraphe (1), l’expression « (avec indication de la préparation aromatisante) » doit être ajoutée au nom usuel sur l’étiquette.

(5) L’étiquette d’un fromage ne doit porter le terme « fumé » que si de la fumée de bois a été ajoutée au fromage conformément au paragraphe (1).

(6) Dans les cas visés au paragraphe (5), le terme « fumé » doit paraître dans l’espace principal de l’étiquette.

[26] Il est intéressant de noter que les demanderesses ne contestent pas la légalité de l’article B.08.033 du RAD, mis à part ses nouveaux sous-alinéas (i.1) et (i.2) et son nouveau paragraphe (1.2). On peut en dire autant d’autres dispositions du RAD et du RPL applicables aux fromages. Les transformateurs de produits laitiers peuvent continuer à utiliser les ingrédients qu’ils veulent, y compris le lait liquide frais ou des dérivés du lait en poudre. Ils peuvent de même vendre leurs produits laitiers sur le marché local, interprovincial et international. Cependant, dans le cas des produits destinés au commerce interprovincial ou international, le transformateur doit se conformer à une norme nationale de composition s’il souhaite vendre son produit sous le nom de l’une des variétés de « fromage » visées par la réglementation.

[27] Il ressort clairement de la simple lecture des dispositions applicables du RAD et du RPL que l’objet fondamental du nouveau Règlement, notamment de ses dispositions contestées, est de fixer des normes de composition pour les fromages destinés au commerce interprovincial ou international. C’est là le caractère véritable du nouveau Règlement. Ces normes font partie intégrante des régimes complets établis dans le cadre de la LPAC et de la LAD pour réglementer les produits agricoles et alimentaires destinés au commerce interprovincial et international ou fabriqués dans des établissements enregistrés au fédéral.

[28] L’analyse du caractère véritable n’est ni technique ni formaliste : il s’agit essentiellement d’une question d’interprétation. Pour remplir cette tâche, le tribunal doit examiner les termes employés dans la mesure législative attaquée ainsi que le contexte et les circonstances dans lesquels elle a été adoptée. Voir Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, [2002] 1 R.C.S. 569. Par conséquent, la Cour a aussi examiné la preuve extrinsèque produite par les parties. Pour les motifs exposés dans la section suivante, la Cour rejette l’allégation des demanderesses selon laquelle l’objet essentiel ou dominant du nouveau Règlement serait de conférer un avantage économique aux producteurs laitiers aux dépens des transformateurs de produits laitiers (voir la section IV ci‑dessous, intitulée « Les questions de fait et de preuve »).

[29] La Cour conclut en outre que l’adoption du nouveau Règlement, y compris des dispositions contestées, constitue un exercice légitime du pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil.

[30] Le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil est défini de manière large. Comme on l’a vu plus haut, l’article 32 de la LPAC dispose que le gouverneur en conseil « peut, par règlement, prendre toute mesure d’application de [cette] loi ». L’alinéa f) du même article précise que ce pouvoir comprend « notamment » celui d’établir des « normes ». L’objet de la LPAC, comme l’indique son titre intégral, est tout aussi large; il est en effet de réglementer « la commercialisation — soit interprovinciale, soit liée à l’importation ou l’exportation — des produits agricoles et [de prévoir] l’institution de normes et de noms de catégorie nationaux à leur égard ». De même, le vaste ensemble de pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par le paragraphe 30(1) de la LAD comprend celui, spécifié à l’alinéa c), d’« établir des normes de composition, de force, d’activité, de pureté, de qualité ou d’autres propriétés d’un aliment ». Le nouveau Règlement s’inscrit tout à fait dans le champ des objectifs et des pouvoirs que définissent ces dispositions.

[31] Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié dans la Gazette du Canada, partie II, vol. 141, no 26 [DORS/2007-302], pages 2787 à 2801 (le REIR), bien qu’il ne fasse pas partie du nouveau Règlement, se révèle utile pour l’analyse de son objet et de son application envisagée. Comme le faisait observer le juge Bastarache au paragraphe 157 de l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, « [n]otre Cour et d’autres tribunaux ont fréquemment utilisé le REIR pour déterminer l’objet d’un règlement et son application envisagée et ce, dans divers contextes ».

[32] Il ressort clairement de la lecture du REIR que, dans le contexte où il a pris le nouveau Règlement révisant les normes antérieures d’identité et de composition des fromages destinés au commerce interprovincial ou international (y compris les fromages importés au Canada), le gouverneur en conseil devait tenir compte d’un certain nombre de nécessités stratégiques concurrentes, notamment celles i) de protéger les intérêts des consommateurs en faisant en sorte que les fromages destinés au commerce interprovincial et international présentent une composition et des caractéristiques uniformes; ii) d’harmoniser la réglementation; iii) d’accroître la conformité aux normes internationales relatives aux fromages; iv) de favoriser l’innovation technologique et la croissance sur la longue durée de l’industrie laitière. Ces quatre facteurs sont précisés dans les paragraphes d’introduction du REIR et examinés en détail dans le corps de son texte (voir la section IV ci‑dessous, intitulée « Les questions de fait et de preuve »).

[33] La jurisprudence fixe un seuil élevé à atteindre pour que le tribunal saisi d’une demande d’annulation des dispositions réglementaires au motif d’un exercice illégitime du pouvoir de réglementation puisse faire droit à une telle demande. Les demanderesses n’ont pas atteint ce seuil.

[34] Les demanderesses soutiennent subsidiairement que les dispositions contestées sont dénuées de sens et n’établissent pas des normes objectives et uniformes, de sorte qu’elles conféreraient un pouvoir discrétionnaire indu à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA), chargée d’assurer l’exécution du RPL et du RAD : Gallant c. New Brunswick (1998), 200 R.N.-B. (2e) 113 (C.A.), aux paragraphes 12 à 14; Attorney General of Canada v. Brent, [1956] S.C.R. 318, à la page 321; et Verdun, City of, v. Sun Oil Co., [1952] 1 S.C.R. 222, aux paragraphes 229 et 230.

[35] Les demanderesses affirment donc que l’ACIA, en appliquant la formule censée servir à contrôler la conformité de tout fromage déterminé au ratio caséine/ protéines prescrit par les dispositions contestées, se trouve investie d’un pouvoir ad hoc d’établissement de règles. Selon elles, il s’agit là d’une subdélégation inadmissible de pouvoir de réglementation, qui jette un jour encore plus cru sur les défauts des dispositions contestées en ce qui a trait à la fixation de normes de composition objectives et uniformes. Ce moyen subsidiaire doit aussi être rejeté.

[36] Le gouverneur en conseil n’a pas exercé indûment son pouvoir de réglementation dans la présente espèce. Bien que les demanderesses emploient les termes [traduction] « normes objectives et uniformes », la première proposition de leur argument à cet égard repose en fait sur le critère de la « nullité pour cause d’imprécision », défini à la page 643 de l’arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, et qui consiste à se demander si la loi en cause « manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire ». Les demanderesses n’ont tout simplement pas démontré que ce critère très rigoureux est rempli.

[37] Même si la Cour était valablement saisie d’une contestation de l’approche de l’ACIA relativement aux dossiers de conformité — ce qui n’est pas le cas —, les demanderesses, selon la Cour, n’en seraient pas plus avancées; voir Actton Transport Ltd. c. Steeves, 2004 CAF 182. En fait, l’affirmation des demanderesses selon laquelle le nouveau Règlement, d’une manière ou d’une autre, subdéléguerait illégitimement un pouvoir discrétionnaire indu à l’ACIA n’est fondée ni en droit ni en fait, et les affaires susmentionnées qu’elles invoquent ne ressemblent en rien à la présente espèce; voir Re Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al.; Peralta et al. v. Warner et al. (1985), 49 O.R. (2d) 705 (C.A.), conf. par [1988] 2 R.C.S. 1045.

IV. LES QUESTIONS DE FAIT ET DE PREUVE

[38] Les demanderesses ne proposent pas moins de neuf affidavits, dont deux du Dr Hill sur des questions scientifiques, à l’appui de leur argument selon lequel la question de principe en jeu dans le nouveau Règlement ou l’objet de celui‑ci outrepasserait le champ d’application tant de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 que des lois-cadres.

[39] Le défendeur conteste ces allégations des demanderesses en s’appuyant sur le REIR ainsi que sur l’affidavit scientifique de M. Goulet. Tout en déclarant ne pas souscrire nécessairement au contenu de toutes les pièces produites par les intervenantes, le défendeur a néanmoins fait grand usage de ces éléments de preuve pour étayer sa thèse que les objets du nouveau Règlement sont légitimes et conformes à la Constitution.

[40] Je tiens d’abord à préciser, à propos du contexte de preuve particulier de la présente espèce, qu’il n’appartient pas à la Cour de jouer le rôle d’une sorte de Chambre haute chargée d’évaluer les préoccupations exprimées par le public et d’établir auxquelles il convient d’accorder la préférence (voir Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1992] 3 C.F. 42 (1re inst.), aux pages 46 et 47). La présence de motifs illégitimes n’ayant pas été invoquée, la question à trancher dans la présente espèce concerne la légalité du nouveau Règlement, et en particulier des dispositions contestées, que les demanderesses disent outrepasser les pouvoirs applicables : la question n’est pas de savoir si, selon la Cour, le nouveau Règlement témoigne d’une politique judicieuse.

[41] Un des principaux moyens de fait des demanderesses consiste à inviter la Cour à conclure que l’objet essentiel ou dominant du nouveau Règlement était d’octroyer un avantage économique aux producteurs laitiers aux dépens des transformateurs de produits laitiers. En fait, les demanderesses affirment que les dispositions contestées ont comme objet principal d’assurer un marché permanent à la matière protéique provenant directement du lait cru en contrôlant la production fromagère, ce qui a selon elles pour effet de procurer des rendements plus élevés aux producteurs laitiers que les autres marchés de protéines laitières tels que celui des aliments pour animaux.

[42] Après avoir soigneusement examiné la preuve extrinsèque produite par les demanderesses à l’appui de leur affirmation que le nouveau Règlement a pour objet essentiel ou dominant d’octroyer un avantage économique aux producteurs laitiers aux dépens des transformateurs de produits laitiers, j’ai conclu que les éléments substantiels sur lesquels reposent principalement leur argumentation ne sont pas convaincants eu égard aux circonstances.

[43] Le gouverneur en conseil reçoit de nombreuses communications d’une multitude de groupes, dont chacun a son propre point de vue et ses intérêts particuliers. Le représentant d’un groupe d’intérêts donné devant le gouverneur en conseil n’est pas en position de s’exprimer sur les facteurs que ce dernier a en fin de compte pris en considération. Ainsi, la preuve de M. Kempton Matte, lobbyiste de Saputo Inc., ne rend compte que d’une faible partie de ce qui peut avoir été ou non pris en considération et ne peut donc guère nous aider à établir l’intention du gouverneur en conseil.

[44] Les éléments de preuve relatifs aux travaux de l’exécutif sont normalement considérés comme rigoureusement confidentiels et ne sont pas généralement versés au dossier dans les instances judiciaires. Cependant, le Bureau du Conseil privé, lorsqu’il soumet à l’examen la version définitive d’un projet de règlement, y joint un REIR. Le texte du règlement, une fois approuvé, est enregistré et publié avec le REIR. Le fait que celui‑ci soit publié avec le règlement sous‑entend que les ministres l’ont consulté et indique à la Cour qu’il témoigne de l’objet du règlement et de l’intention de l’exécutif fédéral.

[45] Ni l’objet des lois-cadres, ni leur constitutionnalité, ni leur légalité ne sont ici en litige. Le REIR établit de manière concluante dans la présente espèce que le gouverneur en conseil a pris le nouveau Règlement afin de remplir les objets de la LPAC et de la LAD. En fait, le REIR affirme que le nouveau Règlement harmonisera la réglementation fédérale existante, protégera les intérêts des consommateurs en reflétant les méthodes traditionnelles de fabrication du fromage, permettra la réalisation de progrès technologiques dans la production fromagère et assurera la conformité à certaines normes internationales relatives aux aliments dans la mesure du possible.

Les intérêts des consommateurs

[46] Le REIR explique l’objet essentiel des normes alimentaires, notamment des normes relatives au fromage, du point de vue de la protection des intérêts des consommateurs [aux pages 2787 et 2788] :

Au Canada, les normes sur la composition du fromage se trouvent dans le RAD et le RPL. Ces normes visent principalement à décrire les exigences de base en matière de composition du fromage pour faire en sorte que le fromage offert aux consommateurs ait une composition et des caractéristiques uniformes. Ces règlements décrivent les caractéristiques essentielles du fromage. Tout comme les normes sur la composition d’autres aliments, les normes sur le fromage portent également sur les ingrédients essentiels utilisés dans la fabrication du fromage ainsi que sur les additifs autorisés.

Les normes alimentaires permettent de protéger les intérêts des consommateurs et de répondre à leurs attentes à l’égard des aliments. Les aliments peuvent être définis ou distingués par leurs caractéristiques essentielles comme les ingrédients, la composition et les propriétés physiques, les teneurs en certains éléments nutritifs ou la manière dont ils sont produits. Les normes alimentaires sont utiles parce qu’elles donnent aux consommateurs l’assurance que le produit est uniforme, de sorte qu’ils peuvent s’attendre à ce que tous les produits qui portent un nom particulier possèdent les mêmes caractéristiques essentielles, quel que soit l’endroit où ils ont été achetés, leur fabricant ou leur distributeur. Les consommateurs ne savent pas toujours quels ingrédients entrent dans la fabrication du fromage. Ils ont indiqué qu’il est important pour eux d’avoir des noms de produit uniformes associés à certaines caractéristiques définies pour les aider à faire des choix au moment de l’achat et à distinguer les fromages entre eux. [Non souligné dans l’original.]

[47] Le REIR [aux pages 2789 et 2790] fait état de la préoccupation selon laquelle, dans le cadre des normes antérieures, « le nom de la variété de fromage risquait de perdre les propriétés organoleptiques, chimiques et physiques typiques qui lui étaientt associées ». (Les propriétés organoleptiques d’un produit alimentaire sont son odeur, son goût et sa texture.) Le REIR fait aussi observer que le statu quo ne permettrait pas de tenir compte de manière satisfaisante des « pratiques modernes de l’industrie de la fabrication du fromage tout en maintenant les distinctions historiques entre les variétés de fromage ».

[48] La preuve produite par les intervenantes est particulièrement instructive à cet égard et corrobore le point de vue qu’exprime le REIR.

[49] M. Wathier, maître fromager à la fromagerie St-Albert pourvu de quatre décennies d’expérience dans l’industrie, y compris comme membre de jurys de concours de fromage et comme consultant de la demanderesse Parmalat, a déposé au sujet de l’effet de l’utilisation de dérivés du lait sur la qualité du fromage. Selon son témoignage, même de petites quantités de dérivés du lait (inférieures à 5 pour cent) peuvent modifier le goût, la texture et la consistance du fromage, en comparaison du lait frais. La transformation du lait liquide frais en dérivé du lait en poudre a un effet immédiat sur le goût, ce qui explique entre autres pourquoi, par exemple, les consommateurs se montrent peu friands de lait écrémé en poudre.

[50] Comme M. Wathier le fait observer dans son affidavit, le nouveau Règlement est le fruit d’un compromis. Il préserve la saveur, l’odeur, la texture et la consistance auxquelles les consommateurs s’attendent lorsqu’ils achètent une variété déterminée de fromage, tout en permettant néanmoins l’utilisation de dérivés du lait en poudre dans des proportions modulées selon la variété.

L’harmonisation de la réglementation fédérale antérieure

[51] Comme on l’a vu, les normes de composition des fromages relèvent de deux règlements différents, à savoir le RAD et le RPL. Avant l’adoption du nouveau Règlement, des discordances étaient apparues entre le RAD et le RPL, qui avaient créé un certain nombre de problèmes opérationnels et d’application, aussi bien pour l’industrie laitière que pour l’ACIA.

[52] Par exemple, le RAD disposait que le fromage ne pouvait être fabriqué qu’avec du lait, du lait écrémé, du lait partiellement écrémé, du babeurre, de la crème de lactosérum ou de la crème, ou avec ces ingrédients sous leur forme concentrée, en poudre ou reconstituée. Le RPL, quant à lui, autorisait l’utilisation, en plus des mêmes ingrédients, de lactosérum, de beurre, d’huile de beurre, de beurre de lactosérum, de concentré protéique de lactosérum et les autres solides du lait. Les termes « autres solides du lait » du RPL avaient engendré de l’incertitude et donné lieu à un débat juridique.

[53] Le nouveau Règlement proposait une définition de l’expression « produit du lait » [art. 2 (mod. par DORS/2007-302, art. 5)] qui harmonisait les dispositions du RAD et du RPL relatives aux ingrédients pouvant entrer dans la composition du fromage.

Conformité accrue avec les normes alimentaires internationales

[54] Le REIR tend aussi à prouver que le nouveau Règlement assurera une conformité accrue avec les normes alimentaires internationales.

[55] Le REIR fait référence à la Commission du Codex Alimentarius (le Codex), organisme international qui établit des normes alimentaires dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (la FAO). Le Codex prévoit une norme générale pour le fromage (la norme générale A6), ainsi que des normes individuelles pour certaines variétés de fromage (les normes C). La norme générale A6 porte que le ratio protéines de petit-lait/caséine du fromage ne doit pas dépasser celui du lait. On retrouve exactement la même norme dans le nouveau Règlement.

[56] En ce qui concerne la source des protéines du fromage, comme le fait observer le REIR, les normes internationales diffèrent considérablement. Il apparaît clairement que le gouverneur en conseil, après avoir pris en considération ces normes différentes, a adopté lui-même des normes qui, quoique plus rigoureuses que celles de certains pays, se révèlent plus souples relativement à l’utilisation des dérivés du lait dans la production fromagère que celles, par exemple, de la France ou des États-Unis.

La possibilité de l’innovation technologique dans la production fromagère

[57] Le REIR a examiné les incidences que les normes de composition du nouveau Règlement auraient sur les progrès technologiques.

[58] Je souscris au moyen du défendeur selon lequel le nouveau Règlement permet l’innovation technologique dans la production fromagère. Quant aux transformateurs de produits laitiers, ils sauront avec plus de certitude quelle technologie qu’ils pourront utiliser. Le RAD modifié par le nouveau Règlement autorise l’utilisation d’un plus grand nombre d’ingrédients qu’auparavant, ce qui élargit la marge de manœuvre desdits transformateurs et favorise l’innovation.

La croissance à long terme du secteur laitier

[59] La croissance à long terme du secteur laitier était l’une des questions stratégiques que le gouverneur en conseil devait prendre en considération dans le nouveau Règlement. Cette question a suscité un vif débat, comme l’explique le REIR et comme le confirment les autres éléments de preuve extrinsèque produits par les parties à la présente instance.

[60] Les acteurs de l’industrie laitière, AAC et l’ACIA mènent des consultations approfondies depuis le début des années 1990 dans le but de mettre à jour les normes nationales de cette industrie. En 1993, on a mis sur pied le Système canadien d’inspection des aliments (le SCIA), initiative de concertation de tous les ordres de gouvernement visant à élaborer un système national intégré d’inspection des aliments qui serait adapté aux besoins, entre autres, des consommateurs. On a institué dans ce cadre huit comités de travail, dont le Comité du Code national sur les produits laitiers (le CCNPL), auxquels on a confié la tâche d’élaborer des règlements et des codes types en vue d’une harmonisation nationale.

[61] Ces efforts ont permis l’élaboration du Code national sur les produits laitiers (le CNPL), approuvé en 1997 par tous les acteurs de l’industrie laitière et leurs partenaires étatiques, qui établit des normes nationales pour la production laitière et la transformation de produits laitiers au Canada.

[62] En 2003, SC et l’ACIA ont examiné et proposé des projets de modifications aux normes de composition des produits laitiers afin de mettre en œuvre les principes du CNPL. Dans le cadre des consultations publiques tenues par ces deux organismes, certains intervenants ont exprimé l’opinion qu’il convenait d’établir des normes individuelles, fixant des règles de composition et de transformation particulières pour chaque produit laitier, les normes étant à leur avis plus utiles quand elles spécifient les ingrédients autorisés. D’autres intervenants se déclaraient plutôt sensibles à la nécessité de la souplesse normative et préconisaient la possibilité d’utiliser un certain nombre d’ingrédients différents dans la composition des produits, sous réserve que la salubrité et la qualité de ceux‑ci soit assurée. En fin de compte, l’ACIA a proposé plusieurs compromis concernant les normes de composition des fromages, mais sans que parviennent à se mettre d’accord certains acteurs de l’industrie, à savoir les grands transformateurs de produits laitiers et les producteurs laitiers.

[63] En 2005, le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (le ministre), qui a reconnu que les solutions aux nombreux problèmes de l’industrie laitière canadienne, dont celui des normes de composition des fromages, ne pourraient être élaborées que par la concertation étroite des producteurs laitiers et des transformateurs de produits laitiers, a créé le Groupe de travail de l’industrie laitière (le GTIL), organisme dirigé par l’industrie et chargé de trouver des terrains d’entente sur diverses questions laitières. Les demanderesses étaient des membres actifs de l’Association des Transformateurs Laitiers du Canada (l’ATLC), l’un des deux groupes formant le GTIL. Le ministre a nommé comme modérateur du GTIL un expert respecté de l’industrie, M. Ted Bilyea (le modérateur).

[64] Le GTIL a formulé les principes directeurs suivants pour son action :

•  focaliser l’attention sur le consommateur et les avantages pour celui‑ci,

•  appuyer la régulation de l’offre,

•  favoriser la croissance,

•  effectuer des analyses fondées sur les faits,

•  assurer la conformité aux règles de l’OMC et de l’ALÉNA,

•  stimuler l’innovation,

•  faciliter la concurrence,

•  promouvoir le partenariat.

[65] Les producteurs laitiers et les transformateurs de produits laitiers sont parvenus à un consensus sur la nécessité de normes complémentaires de composition pour les fromages, mais sans pouvoir s’entendre sur les ingrédients à autoriser. Comme ni l’une ni l’autre des organisations qu’opposait ce débat ne voulait avoir l’air de faire des concessions devant ses membres, l’assistance du gouvernement fédéral s’est révélée nécessaire pour régler la question. Le modérateur le fait observer dans son rapport :

[traduction] Les deux parties veulent sortir de cette impasse du fromage pour pouvoir s’occuper d’autre chose. Mais elles ont besoin que ce soit le gouvernement, et non elles-mêmes, qui fixent les normes de composition.

[66] Selon le rapport du modérateur au ministre, le principal obstacle au consensus sur les normes fromagères était le suivant :

[traduction] Le principal obstacle au consensus sur le fromage était la divergence considérable entre, d’une part, ce que les producteurs estimaient être les usages actuel et prévisible des ingrédients dans l’industrie fromagère, et d’autre part, les usages actuel et prévisible déclarés par les transformateurs. Comme l’usage réel et potentiel influe sur les revenus des producteurs et des transformateurs, cette divergence d’appréciation faisait obstacle à une évaluation réaliste de l’impact économique des projets de normes de composition que les parties mettaient en discussion.

[…] Il est également évident que les estimations des transformateurs incluent ce qu’ils prévoient utiliser à l’avenir mais n’utilisent pas encore […]

[67] Comme une autre série de réunions du GTIL n’avait toujours pas permis de parvenir à un consensus, le modérateur a soumis un ensemble de recommandations au ministre. Il a ainsi proposé la fixation de pourcentages minimaux de caséine provenant du lait liquide frais dans la production de divers fromages, l’usage de dérivés du lait en poudre étant permis pour le reste. Ces ratios étaient fondés sur ce que le modérateur estimait être l’usage courant de dérivés du lait en poudre d’après diverses sources d’information, notamment AAC.

[68] Le modérateur expliquait qu’en déclarant son intention d’utiliser ces ratios, le gouvernement inciterait les transformateurs de produits laitiers à lui communiquer des renseignements sur l’usage réel et prévu de dérivés du lait en poudre, de manière que des adaptations puissent être faites au besoin :

[traduction] En formulant votre intention d’utiliser ces ratios dans le travail de clarification des normes de composition des dispositions réglementaires relatives aux produits laitiers, vous inviteriez les transformateurs à communiquer confidentiellement aux fonctionnaires les compositions réelle et prévue de leur produits, ainsi que les incidences financières, le cas échéant, qu’aurait la mise en œuvre de ces normes. Si l’un ou l’autre des ratios suggérés ci‑dessus devait se révéler sensiblement différent de la pratique normale qui était celle de l’industrie au début des travaux du GTIL, ce que pourraient révéler les communications confidentielles des transformateurs, il s’avérerait peut-être nécessaire de le modifier en conséquence.

[69] Le modérateur présentait les ratios qu’il proposait comme un compromis entre la volonté des transformateurs de produits laitiers et celle des producteurs laitiers :

[traduction] Ces ratios pourraient avoir un impact économique sur les revenus des producteurs, mais cet impact ne sera pas aussi fort que celui qu’auraient eu les ratios proposés par les transformateurs.

De même, ces ratios pourraient avoir un impact économique sur la rentabilité de l’activité des transformateurs, sur leur capacité à attirer de nouveaux investissements et sur leur marge de manœuvre dans l’utilisation des nouvelles technologies, mais cet impact serait moindre que si l’on intégrait dans les normes de composition les ratios proposés par les producteurs.

[70] L’utilisation de ratios comme moyen de normaliser la composition n’était pas une idée nouvelle dans l’industrie et avait déjà été proposée par l’ATLC en 2000. Les producteurs laitiers avaient en fin de compte rejeté cette formule en 2001, mais le GTIL l’a reprise d’une certaine manière en 2007.

[71] Vu la preuve au dossier, la Cour conclut que les ratios proposés par le GTIL étaient conçus en fonction de la pratique réelle. Ces ratios n’étaient pas fondés sur ce que le modérateur estimait être [traduction] « les ratios les plus élevés que pourraient techniquement atteindre les transformateurs canadiens de produits laitiers ». Le modérateur a plutôt écrit : [traduction] « Je crois que les ratios recommandés correspondent plus étroitement à la pratique courante réelle, que les deux parties ont admise comme règle fondamentale ».

[72] Le tableau suivant récapitule les ratios retenus dans le nouveau Règlement :

Image

[73] Comme l’indique le REIR, on a fondé les modifications aux normes de composition de différentes variétés de fromage sur les ratios proposés par le modérateur. Il est cependant à noter que les ratios retenus dans le nouveau Règlement ne sont pas les mêmes que ceux proposés par le modérateur étant donné qu’on a fait des ajustements de nature à élargir quelque peu la marge de manœuvre des transformateurs.

Les avantages et les coûts

[74] Le REIR, comme il est d’usage dans le processus d’élaboration des règlements, contenait une section sur les avantages et les coûts liés au nouveau Règlement, concernant notamment ses incidences financières sur les transformateurs et les producteurs. On présumait dans le document que les ratios étaient de 60 pour cent pour la mozzarella, 70 pour cent pour le cheddar et les autres types de cheddar, et de 80 pour cent pour les autres variétés de fromage (ce qui représente une proportion de dérivés du lait considérablement plus élevée que l’estimation du modérateur du GTIL), ce qui, selon le modèle économique, laissait prévoir une augmentation de 71 463 471 $ du coût des ingrédients du fromage, et un accroissement des revenus des producteurs laitiers de 185 673 610 $.

[75] Le REIR faisait aussi observer, à propos des producteurs laitiers, que le nouveau Règlement permettrait « de stabiliser la proportion de protéines dans le fromage fabriqué directement à partir de lait cru », ce qui engendrerait « pour les producteurs des recettes plus élevées que les autres débouchés pour les protéines du lait (par exemple la fabrication d’aliments du bétail) ».

[76] En ce qui concerne les transformateurs de produits laitiers, le REIR indiquait que l’impact sur les fromagers varierait selon la proportion de dérivés du lait dans la composition de leurs produits. Il notait aussi la possibilité de coûts ponctuels pour la modification des étiquettes, ainsi que de coûts liés à l’adaptation des infrastructures, à la reformulation, à l’innovation et à la compétitivité.

[77] La flexibilité accrue accordée à l’égard des fromages maigres ainsi que les éclaircissements apportés concernant l’usage de lait ultrafiltré contribueront, comme on l’a fait remarquer, à atténuer l’effet de l’augmentation des coûts pour certains transformateurs. La période de transition d’un an que prévoient les modifications allégera aussi les coûts à certains égards. En outre, le REIR fait observer qu’on pourrait récupérer une partie de ces coûts en les répercutant sur d’autres maillons de la chaîne de valeur des produits alimentaires. Le REIR cite aussi une estimation, communiquée par l’ATLC, des incidences du nouveau Règlement sur la vente directe de fromage aux détaillants, aux services d’alimentation et à l’industrie.

[78] La Cour note que les demanderesses ont fait référence à une décision définitive rendue par l’Organisation mondiale du commerce (l’OMC) en décembre 2002 [Canada — Mesures visant l’importation de lait et l’exportation de produits laitiers, Rapport de l’Organe d’appel, WT/DS103/AB/RW2], qui interdisait aux producteurs laitiers d’écouler leur excédent de lait sur les marchés d’exportation (la décision de l’OMC), ainsi qu’à une décision rendue par le Tribunal canadien du commerce extérieur en mars 2005 [Les Produits Laitiers Advidia Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada et Producteurs laitiers du Canada, appel no AP-2003-040], ayant eu pour effet de subordonner l’importation de certains produits laitiers au paiement de droits de douane moins élevés (la décision du TCCE). Les transformateurs comme les producteurs avaient peut‑être à l’esprit ces décisions, mais il n’en est pas fait mention dans le REIR, ce qui affaiblit la thèse des demanderesses selon laquelle l’objet ou le but dominant du nouveau Règlement, notamment des dispositions contestées, aurait été de leur donner suite.

[79] Il convient d’établir une distinction très nette entre les effets directs de dispositions législatives et leurs « effets indirects ou accessoires ». L’effet de dispositions législatives ne dit rien sur leur objet envisagé, à moins d’être immédiat, délibéré et direct. Ce n’est que lorsqu’une loi a des effets qui empiètent si directement sur un autre domaine qu’elle doit avoir un objet dissimulé que lesdits effets prennent eux-mêmes de l’importance aux fins de l’analyse : voir Le Dain, Gerald. « Sir Lyman Duff and the Constitution » (1974), 12 Osgoode Hall L.J. 261, aux pages 298 à 301; et RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, au paragraphe 44.

[80] Un examen impartial du dispositif réglementaire dans son ensemble, modifié par le nouveau Règlement, ne donne pas à penser, selon la Cour, que l’objet essentiel ou dominant des dispositions contestées soit d’opérer un transfert économique des transformateurs de produits laitiers vers les producteurs laitiers. Le REIR reconnaît, il est vrai, que le nouveau Règlement procure des avantages et entraîne des coûts, puisqu’il s’agit après tout d’une étude d’impact. Cependant, assimiler l’analyse économique des coûts et des avantages que propose le REIR à l’objet dominant du nouveau Règlement, équivaut à dénaturer grossièrement la preuve et le caractère juridique du dispositif d’ensemble réglant la composition des fromages.

[81] Un autre aspect important de la preuve extrinsèque produite par les demanderesses concerne l’approche fondée sur la conformité et la formule correspondante élaborée par l’ACIA, qui démontreraient que les dispositions contestées sont dénuées de sens et subdélèguent de manière illégitime un pouvoir discrétionnaire indu à cet organisme.

[82] L’efficacité des dispositions contestées n’est pas un facteur que la Cour peut valablement prendre en considération aux fins de l’analyse du caractère véritable qu’elle doit effectuer pour établir si le nouveau Règlement, notamment par les dispositions contestées, se rapporte au commerce interprovincial et international (Ward, précité, aux paragraphes 16 et 18). Chose plus importante encore, l’approche fondée sur la conformité proposée par l’ACIA ne fait pas partie du nouveau Règlement. Pour l’heure, la Cour n’est valablement saisie d’aucune mesure ou décision prise ou proposée par l’ACIA, et aucune telle mesure ou décision n’est en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[83] Enfin, vu le droit et la preuve au dossier, la Cour rejette tous les moyens de nature constitutionnelle ou administrative invoqués par les demanderesses subsidiairement ou accessoirement aux arguments qu’elle a déjà examinés.

V. CONCLUSION

[84] Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[85] En résumé, la Cour conclut que l’objet principal des normes révisées de composition mises en œuvre par le nouveau Règlement, notamment les dispositions contestées, est d’énoncer les conditions fondamentales que doivent remplir les fromages destinés au commerce interprovincial ou international, de manière que les fromages offerts aux consommateurs présentent une composition et des caractéristiques uniformes. En fait, les articles B.08.033 et B.08.034 du RAD et les articles 6 et 28 du RPL exposent respectivement les caractéristiques essentielles du fromage et du cheddar (y compris le cheddar vieilli), selon le cas. Comme les normes de composition des autres produits alimentaires, celles du fromage et du cheddar précisent les ingrédients essentiels qu’ils doivent comprendre ainsi que les additifs autorisés.

[86] En outre, la Cour conclut que les dispositions du nouveau Règlement, y compris les dispositions contestées, considérées dans leur contexte législatif, se rapportent de par leur caractère véritable au commerce interprovincial et international et relèvent en conséquence de la compétence législative sur les échanges et le commerce attribuée au fédéral par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[87] Enfin, la Cour conclut que les dispositions du nouveau Règlement, y compris les dispositions contestées, qui énoncent les normes de composition des fromages, s’inscrivent tout à fait dans le champ du pouvoir de réglementation clairement et explicitement conféré au gouverneur en conseil par les lois-cadres, plus précisément par l’article 32 de la LPAC et l’article 30 [édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 158; 1994, ch. 47, art. 117; 1999, ch. 33, art. 347; 2004, ch. 23, art. 2; 2005, ch. 42, art. 2] de la LAD.

[88] En conclusion, les normes de composition du fromage et du cheddar (y compris le cheddar vieilli), selon le cas, notamment le ratio caséine/protéines et le ratio protéines de petit‑lait/caséine que prévoient les dispositions contestées, sont à tous égards valables du point de vue constitutionnel et juridique en général, pour autant qu’elles s’appliquent au fromage destiné au commerce interprovincial ou international (y compris au fromage importé au Canada).

[89] En conséquence, la présente demande sera rejetée et les dépens seront adjugés au défendeur.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire formée par les demanderesses est rejetée et que les dépens sont adjugés au défendeur.

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870

B.08.033. (1) [N]. Le fromage (indication de la variété) autre que le fromage cheddar, le fromage à la crème, le fromage de petit-lait, le fromage à la crème (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage à la crème à tartiner, le fromage à la crème à tartiner (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage fondu (indication de la variété), le fromage fondu (indication de la variété) (avec indication des ingrédients ajoutés), une préparation de fromage fondu, une préparation de fromage fondu (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage fondu à tartiner, le fromage fondu à tartiner (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage conditionné à froid (indication de la variété), le fromage conditionné à froid (indication de la variété) (avec indication des ingrédients ajoutés), une préparation de fromage conditionné à froid, une préparation de fromage conditionné à froid (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage cottage et le fromage cottage en crème,

a) doit

[…]

(i.1) sauf pour le fromage Féta, avoir une teneur en caséine dérivée du lait ou du lait ultrafiltré, du lait partiellement écrémé, du lait partiellement écrémé ultrafiltré, du lait écrémé, du lait écrémé ultrafiltré ou de la crème, plutôt que de tout autre produit du lait, au moins équivalente aux pourcentages ci-après de la teneur totale en protéines du fromage :

(A) 63 %, dans le cas du fromage Pizza mozzarella ou Pizza mozzarella partiellement écrémé,

(B) 83 %, dans le cas du fromage de lait écrémé, Brick, Brick canadien, Colby, Farmer’s, Jack, Monterey (Monterey Jack), Mozzarella (Scamorza), Mozzarella partiellement écrémé (Scamorza partiellement écrémé), Munster canadien, Pizza partiellement écrémé ou Pizza et des autres variétés de fromage non mentionnées aux divisions (A) ou (C),

(C) 95 %, dans le cas des autres variétés de fromage visées au tableau du présent article,

(i.2) avoir un rapport protéines de petit-lait à la caséine qui ne dépasse pas celui du lait,

[…]

(1.2) La mention « 83 % » dans la division (1)a)(i.1)(B) vaut mention de « 78 % » et la mention « 95 % » dans la division (1)a)(i.1)(C) vaut mention de « 90 % », dans le cas des variétés de fromage visées, si les conditions suivantes sont réunies :

a) la mention ou l’allégation figurant à la colonne 4 de l’un des articles 12 à 14, 16, 20, 21 et 45 du tableau suivant l’article B.01.513 est indiquée sur l’étiquette du produit dans le nom usuel de celui-ci;

b) le fromage a la saveur et la texture caractéristiques de la variété de fromage visée.

[…]

B.08.034. (1) [N]. Le fromage cheddar

a) doit

(i) être le produit de la coagulation — à l’aide de bactéries — du lait, de produits du lait ou d’un mélange de ceux-ci, en vue de former un caillé soumis par la suite soit au procédé cheddar, soit à tout autre procédé qui donne du fromage possédant les mêmes propriétés physiques, chimiques et organoleptiques que le fromage produit par le procédé cheddar,

(i.1) avoir une teneur en caséine dérivée du lait ou du lait ultrafiltré, du lait partiellement écrémé, du lait partiellement écrémé ultrafiltré, du lait écrémé, du lait écrémé ultrafiltré ou de la crème, plutôt que de tout autre produit du lait, d’au moins 83 % de la teneur totale en protéines du fromage,

(i.2) avoir un rapport protéines de petit-lait à la caséine qui ne dépasse pas celui du lait,

[…]

c) ne peut être étiqueté et annoncé comme étant un fromage cheddar qui a été vieilli que s’il remplit les conditions suivantes :

(i) il est fait uniquement de lait, de lait ultrafiltré, de lait partiellement écrémé, de lait partiellement écrémé ultrafiltré, de lait écrémé, de lait écrémé ultrafiltré, de crème ou d’un mélange de ceux-ci,

[…]

(1.2) la mention « 83 % » au sous alinéa (1)a)(i.1) vaut mention de « 78 % », si les conditions suivantes sont réunies :

a) la mention ou l’allégation figurant à la colonne 4 de l’un des articles 12 à 14, 16, 20, 21 et 45 du tableau suivant l’article B.01.513 est indiquée sur l’étiquette du produit dans le nom usuel de celui-ci;

b) le fromage a la saveur et la texture caractéristiques du fromage cheddar.

Règlement sur les produits laitiers, DORS/79-840

6. (1) […]

(3) Le fromage cheddar est le produit de la coagulation, à l’aide de bactéries, du lait, de produits du lait ou d’un mélange de ceux-ci, en vue de former un caillé qui est ensuite soumis au procédé cheddar ou à un autre procédé qui donne un fromage possédant les mêmes propriétés physiques, chimiques et organoleptiques que le fromage produit par le procédé cheddar, et :

[…]

c) doit avoir :

(i) une teneur en caséine dérivée du lait ou du lait ultrafiltré, du lait partiellement écrémé, du lait partiellement écrémé ultrafiltré, du lait écrémé, du lait écrémé ultrafiltré ou de la crème, plutôt que de tout autre produit du lait, d’au moins 83 % de la teneur totale en protéines du fromage,

(ii) un rapport protéines de lactosérum à la caséine qui ne dépasse pas celui du lait;

d) ne peut être désigné comme étant un fromage cheddar qui a été vieilli que s’il remplit les conditions suivantes :

(i) il est fait uniquement de lait, de lait ultrafiltré, de lait partiellement écrémé, de lait partiellement écrémé ultrafiltré, de lait écrémé, de lait écrémé ultrafiltré, de crème ou d’un mélange de ceux-ci,

[…]

(5) la mention « 83 % » au sous-alinéa (3)c)(i) vaut mention de « 78 % », si les conditions suivantes sont réunies :

a) la mention ou l’allégation figurant à la colonne 4 de l’un des articles 12 à 14, 16, 20, 21 et 45 du tableau suivant l’article B.01.513 du Règlement sur les aliments et drogues est indiquée sur l’étiquette du produit dans le nom usuel de celui-ci;

b) le fromage a la saveur et la texture caractéristiques du fromage cheddar.

[…]

28. (1) Le fromage (indication de la variété) autre que le fromage cheddar, le fromage à la crème, le fromage de lactosérum, le fromage à la crème (avec indication des ingrédients ajoutés) le fromage à la crème à tartiner, le fromage à la crème à tartiner (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage fondu (indication de la variété), le fromage fondu (indication de la variété) (avec indication des ingrédients ajoutés), une préparation de fromage fondu, une préparation de fromage fondu (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage fondu à tartiner, le fromage fondu à tartiner (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage conditionné à froid (indication de la variété), le fromage conditionné à froid (indication de la variété) (avec indication des ingrédients ajoutés), une préparation de fromage conditionné à froid, une préparation de fromage conditionné à froid (avec indication des ingrédients ajoutés), le fromage cottage et le fromage cottage en crème,

a) doivent

[…]

(i.1) sauf pour le fromage Feta, avoir une teneur en caséine dérivée du lait ou du lait ultrafiltré, du lait partiellement écrémé, du lait partiellement écrémé ultrafiltré, du lait écrémé, du lait écrémé ultrafiltré ou de la crème, plutôt que de tout autre produit du lait, au moins équivalente aux pourcentages ci-après de la teneur totale en protéines du fromage :

(A) 63 %, dans le cas du fromage Pizza mozzarella ou Pizza mozzarella partiellement écrémé,

(B) 83 %, dans le cas du fromage de lait écrémé, Brick, Brick canadien, Colby, Farmer’s, Jack, Monterey (Monterey Jack), Mozzarella (Scamorza), Mozzarella partiellement écrémé (Scamorza partiellement écrémé), Munster canadien, Pizza partiellement écrémé ou Pizza et des autres variétés de fromage non mentionnées aux divisions (A) ou (C),

(C) 95 %, dans le cas des autres variétés de fromage visées au tableau du présent article,

(i.2) avoir un rapport protéines de lactosérum à la caséine qui ne dépasse pas celui du lait,

[…]

(4) La mention « 83 % » dans la division (1)a)(i.1)(B) vaut mention de « 78 % » et la mention « 95 % » dans la division (1)a)(i.1)(C) vaut mention de « 90 % », dans le cas des variétés de fromage visées, si les conditions suivantes sont réunies :

a) la mention ou l’allégation figurant à la colonne 4 de l’un des articles 12 à 14, 16, 20, 21 et 45 du tableau suivant l’article B.01.513 du Règlement sur les aliments et drogues est indiquée sur l’étiquette du produit dans le nom usuel de celui-ci;

b) le fromage a la saveur et la texture caractéristiques de la variété de fromage visée.

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