RÉFÉRENCE : |
kainth c. canada (ministre de la citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 100, [2010] 2 R.C.F. 31 |
IMM-2081-08 |
Simardeep Singh Kainth (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Kainth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Gauthier—Vancouver, 13 et 30 janvier 2009.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé la mesure ordonnant le renvoi du demandeur en Inde pour manquement à son obligation de résidence prescrite par l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Le demandeur a immigré au Canada à titre de résident permanent et a épousé une femme indienne qui vivait aux É.-U. Ils se sont mariés en Inde, mais ont rencontré des problèmes avec la famille de l’épouse qui s’opposait au mariage. Le demandeur en particulier craignait de subir des représailles des frères de son épouse en Inde. Le couple est retourné aux É.-U., où le demandeur a ultérieurement été déclaré coupable d’accusations au criminel. Il a été renvoyé au Canada et a été représenté par un avocat canadien en droit de l’immigration. Au Canada, il a été interrogé par une agente au point d’entrée (PDE) qui lui a dit qu’il pourrait être renvoyé en Inde en raison d’un manquement à son obligation de résidence. Pendant que l’agente au PDE évaluait et préparait le dossier du demandeur, celui-ci a dû attendre plusieurs heures dans une salle d’attente munie de portes coulissantes à l’intérieur d’une aire sécuritaire. L’agente au PDE a informé l’avocat du demandeur qu’elle établirait un rapport en application du paragraphe 44(1) de la LIPR recommandant la prise d’une mesure de renvoi contre le demandeur, qu’elle estimait interdit de territoire. L’avocat du demandeur n’a pas présenté d’observations concernant l’affaire du demandeur et n’a pas demandé de parler à son client. Le demandeur a été informé de la mesure de renvoi prise contre lui et de son droit d’appel. Il a ensuite été mis en liberté après le dépôt d’un cautionnement.
Le demandeur a interjeté appel à la SAI, alléguant la violation des droits que lui reconnaît l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés et manquement à l’obligation d’agir équitablement qui incombe à l’agente au PDE. Le préjudice invoqué par le demandeur découlait du fait que la mesure de renvoi avait été prise immédiatement après la remise du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1), ce qui l’avait empêché de déposer une demande d’asile. La SAI a statué qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le contrôle du demandeur était autre qu’ordinaire et que ce contrôle ne constituait pas une « détention » au sens de l’alinéa 10b) de la Charte. En outre, elle a déclaré que l’agente au PDE n’a pas manqué à son obligation d’agir équitablement dans les circonstances.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La décision de la SAI portant qu’il n’y avait pas eu manquement à l’alinéa 10b) de la Charte était non seulement raisonnable, mais également correcte. La SAI a clairement compris le critère juridique qu’elle devait appliquer et s’est considérablement appuyée sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) parce que cette décision clarifie les principes applicables et décrit l’analyse contextuelle à laquelle il faut procéder pour décider si une situation particulière s’inscrit ou non dans le champ d’application de l’alinéa 10b) de la Charte. L’article 10 de la Charte vise à assurer que, dans certaines situations, notamment l’arrestation et la détention, une personne soit informée de son droit à l’assistance d’un avocat et qu’elle puisse obtenir cette assistance sans délai. Une méthode contextuelle a été adoptée pour déterminer si le demandeur se trouvait dans une situation de cette nature et divers facteurs ont été pondérés pour ce faire. Même si un résident permanent peut choisir d’être interrogé à une étape ultérieure, rien dans la preuve n’indique que ce n’est pas pratique courante de soumettre les résidents permanents, dès l’arrivée au PDE, au contrôle prévu au paragraphe 44(1). Même si le demandeur avait le droit d’entrer au Canada après avoir établi son identité et son statut de résident permanent, l’agente pouvait quand même faire connaître ses préoccupations quant au manquement du demandeur à l’obligation de résidence, notamment, et le demandeur devait donc être questionné, que ce soit à l’aéroport ou plus tard. En l’espèce, l’agente au PDE a clairement fait savoir à l’avocat du demandeur qu’elle avait l’intention de procéder au contrôle à l’aéroport. L’avocat du demandeur n’a pas présenté de demande d’ajournement ou donné à entendre qu’il devait consulter son client au préalable. Bien que le demandeur se soit appuyé sur le fait qu’il avait été placé dans une salle d’attente verrouillée pour soutenir que sa situation ne tenait pas de la routine et pouvait s’apparenter à la détention, la preuve indiquait qu’il aurait pu avoir été déménagé dans une autre zone s’il l’avait demandé. Il appert de la preuve versée au dossier que le demandeur n’a pas été placé dans une « cellule » comme il le prétend. Le demandeur n’a donc pas satisfait au fardeau de persuasion qui lui incombait quant à l’existence d’un manquement aux droits que lui reconnaît l’alinéa 10b) de la Charte.
La décision et l’analyse de la SAI quant à la question de savoir si l’agente au PDE avait manqué à son obligation d’équité étaient correctes et ne comportaient aucune erreur susceptible de révision. La SAI a tenu compte des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et les a appliqués aux faits, notamment aux échanges intervenus entre l’agente au PDE et l’avocat du demandeur avant que le rapport prévu au paragraphe 44(1) de la LIPR soit établi et que la mesure de renvoi soit prise. L’obligation qui incombe à un agent au titre du paragraphe 44(1) peut varier en fonction du statut de la personne en cause, de l’objet de l’examen et des différents recours prévus dans la LIPR.
La nature de la décision qui a été rendue et la procédure suivie pour y parvenir ont été prises en compte pour établir la portée de l’obligation d’équité procédurale requise en l’espèce. Bien que l’agente au PDE ait dû se pencher sur les circonstances d’ordre humanitaire, sa décision était purement administrative, elle n’était pas définitive et l’entrevue qui a eu lieu ne constituait pas une audience.
La nature du régime législatif et l’importance de la décision ont aussi été examinées. La décision de l’agente au PDE d’établir un rapport aurait peu de conséquences pour le demandeur, sauf si le délégué du ministre y donnait suite conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR. En outre, la décision ne pouvait avoir de conséquence sur le statut de résident permanent du demandeur jusqu’à ce que celui-ci ait épuisé son droit d’appel. Ce facteur suggérait donc une obligation d’équité procédurale de faible importance. Qui plus est, lorsqu’on examine le régime législatif dans son ensemble, on constate que la mesure de renvoi n’avait pas pour effet d’empêcher un examen adéquat de dangers auxquels le demandeur pourrait être exposé en Inde.
Aucun élément de preuve versé au dossier n’expliquait pourquoi le demandeur ou son avocat pouvaient s’attendre à un délai entre la délivrance du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) et la prise de la mesure de renvoi pour que le demandeur ait le temps de présenter une demande d’asile. Le paragraphe 99(3) de la LIPR est très clair, et ni la LIPR ni le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ne prescrivent un délai minimal entre le réception d’un rapport établi suivant le paragraphe 44(1) et la prise de la décision au titre du paragraphe 44(2). Pour que les attentes soient légitimes, elles doivent avoir été suscitées d’une manière quelconque par la conduite ou les déclarations de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), ou découler de la loi elle-même.
Bien que le choix de procédure fait par CIC ne soit pas décisif en soi, la Cour devait en tenir compte et le respecter. Seule la partie du Guide de l’exécution de la loi (ENF) de CIC intitulée « ENF 4 : Contrôles aux points d’entrée » a été déposée en l’espèce. Selon l’article 8.4, la politique, de façon générale, est de ne pas permettre la présence d’un conseil lors des contrôles au point d’entrée s’il n’y a pas détention. Toutefois, cet énoncé est nuancé, et aucune nuance ne s’appliquait directement à la situation du demandeur. La politique comporte le droit, pour toute personne qui fait ou est susceptible de faire l’objet d’un rapport, de présenter des observations et de recevoir copie du rapport. La SAI a statué que l’agente au PDE s’est acquittée de ses obligations pendant le processus. Elle a expliqué le but de son enquête, ses motifs de préoccupation et les conséquences qui pouvaient découler de son rapport. Soupesant tous les facteurs, la Cour a conclu que les droits de participation inclus dans l’obligation d’agir équitablement de l’agente au PDE en l’espèce étaient minimaux; compte tenu des faits, ces droits ont été respectés et l’obligation d’agir équitablement incombant à l’agente ne commandait pas que celle-ci confirme, entre autres, avec l’avocat qu’il n’avait aucune observation à faire et qu’il ne croyait pas nécessaire d’obtenir un ajournement ni de parler avec son client avant l’établissement du rapport. De même, la SAI a conclu à juste titre que l’agente au PDE pouvait en l’espèce raisonnablement déduire que le demandeur ne risquait ni ne craignait aucun danger particulier en Inde et elle n’avait aucune obligation de lui demander s’il comptait présenter une demande d’asile au Canada.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 10b).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 27(1), 28 (mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 172(A)), 41, 44, 46, 47, 48, 49, 63(3), 67, 99(3), 101, 112(1).
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409.
décisions examinées :
Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 R.C.F. 3; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1.
décisions citées :
Mendoza c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 934; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 49; 34156 Alberta Ltd. c. M.R.N., 2006 CF 1133, conf. par 2008 CAF 228; Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613; R. v. Pomeroy, 2008 ONCA 521, 91 O.R. (3d) 261, 173 C.R.R. (2d) 269, 249 O.A.C. 287.
DOCTRINE CITÉE
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision ([2008] D.S.A.I. no 808 (QL)) par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé la mesure ordonnant le renvoi du demandeur en Inde pour manquement à son obligation de résidence prescrite par l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Gordon H. Maynard pour le demandeur.
Cheryl D. E. Mitchell pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Maynard Kischer Stojicevic, Vancouver, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par
[1] La juge Gauthier : Le demandeur, M. Kainth, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision [[2008] D.S.A.I. no 808 (QL)] par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) a confirmé la mesure ordonnant son renvoi en Inde pour manquement à l’obligation de résidence prescrite par l’article 28 [mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 172(A)]1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).
[2] Pour les motifs exposés ci-après, la Cour estime que la SAI n’a commis aucune erreur susceptible de révision en statuant sur les droits garantis à M. Kainth par l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), ni en concluant que l’agente qui a interrogé le demandeur au point d’entrée (l’agente au PDE) n’a pas manqué à son obligation d’agir équitablement.
Contexte2
[3] Le demandeur est citoyen indien. Il a immigré au Canada avec ses parents en juin 2000 à titre de résident permanent, après avoir été parrainé par sa sœur. Il est demeuré au Canada environ un an, puis s’est enfui avec une femme indienne dont il avait fait la connaissance sur Internet et qui vivait aux États‑Unis. Le demandeur et elle se sont mariés en Inde, en août 2001. La famille de la nouvelle mariée s’est opposée au mariage en raison de la différence de caste, et le demandeur allègue que le couple craignait de subir des représailles des frères de la mariée, en Inde, de sorte que le couple a vécu caché auprès de parents du demandeur durant quelques mois pendant leur séjour là‑bas. Vers la fin de 2001, le couple est retourné aux États‑Unis; où l’épouse du demandeur, qui détenait un visa d’étudiant, poursuivait des études, et où les parents de celle-ci avaient obtenu le statut de réfugié. Peu après, le demandeur a présenté une demande d’asile sous un faux nom3, prétendant être un activiste indien qui avait été soumis à la torture dans son pays. Il a obtenu l’asile aux États‑Unis en 2002.
[4] En janvier 2003, M. Kainth a été arrêté pour batterie grave sur sa fille de six mois, et il a été déclaré coupable en mai 2003, après avoir présenté un plaidoyer de culpabilité. Il a été condamné à purger une peine d’emprisonnement d’un peu plus de trois ans et demi, mais a été libéré pour bonne conduite le 15 décembre 2005. À l’époque de sa mise en liberté, il était divorcé de sa première épouse. Au cours de l’enquête policière sur les accusations de batterie, les autorités ont découvert le nom véritable et certains documents d’identité canadienne du demandeur. De ce fait, son statut de réfugié a été révoqué au terme d’une audience durant laquelle le demandeur était représenté par un avocat retenu par sa famille au Canada. On lui a alors donné le choix de faire appel de cette décision ou d’être expulsé en Inde ou au Canada. Le demandeur a choisi de retourner au Canada. Il est demeuré incarcéré sous la responsabilité des autorités de l’immigration américaine jusqu’au moment où l’expulsion a pu être exécutée.
[5] Comme l’atteste le document de désignation d’un avocat daté du 25 octobre 2005 et transmis par télécopieur à l’agente au PDE, un avocat canadien spécialisé en droit de l’immigration a été retenu par la famille du demandeur pour représenter ce dernier dans ses affaires d’immigration au Canada.
[6] Le 31 janvier 2006, le demandeur a été escorté par deux agents d’immigration des États‑Unis jusqu’à l’aéroport international de Vancouver, où, après avoir été brièvement interrogé au guichet, il a subi, de la part d’Immigration Canada, ce que les parties devant la SAI ont appelé un contrôle secondaire visant à établir son identité et son statut.
[7] L’agente au PDE, avertie par le demandeur que des membres de sa famille immédiate vivaient dans la région de Vancouver, a communiqué avec la sœur et le beau-frère du demandeur pour confirmer son identité et vérifier qu’ils l’attendaient bien, pendant que le demandeur subissait un contrôle secondaire de la part des autorités douanières.
[8] Peu après cette conversation, l’avocat de M. Kainth a communiqué directement avec l’agente au PDE. Avisé que M. Kainth ne se trouvait pas auprès de l’agente d’immigration au moment de son appel et que son propre mandat devrait être confirmé, l’avocat a répondu être en possession d’un document, dûment signé par le demandeur, le désignant comme avocat, et il a offert de le transmettre par télécopieur à l’agente au PDE. Il convient de souligner ici que malgré certaines différences entre le récit du demandeur et celui de l’agente, l’un et l’autre déclarent que le demandeur a informé l’agente au PDE qu’un avocat avait été retenu pour le représenter dès le début de la procédure.
[9] L’agente affirme qu’après avoir reçu le document en question, elle a rapidement rappelé l’avocat pour lui indiquer que la question du respect de l’obligation de résidence de son client (il avait été absent du Canada plus de 730 jours pendant la période quinquennale précédant immédiatement son arrivée au Canada) la préoccupait. Elle a aussi précisé que le demandeur pourrait être interdit de territoire en raison de l’infraction criminelle dont il avait été trouvé coupable aux États‑Unis, mais la Cour n’approfondira pas cet aspect du dossier puisque la décision de la SAI contestée en l’espèce ne porte pas sur cette question. Il appert que l’avocat n’a pas demandé que l’entrevue soit reportée ni n’a demandé d’y assister. Il n’a pas non plus demandé de parler à M. Kainth. En réalité, selon l’affidavit souscrit par l’agente au PDE le 29 mai 2006 (au paragraphe 17), lequel n’est pas contredit, l’avocat a répondu qu’il s’attendait à ce que ce puisse être le cas et qu’il avait averti la famille du demandeur qu’elle pourrait devoir fournir un cautionnement4.
[10] Le contrôle concernant l’obligation de résidence de M. Kainth n’a pas duré très longtemps, le calcul de ses périodes d’absence s’avérant relativement simple, compte tenu de son incarcération et du fait que l’agente au PDE avait reçu des autorités américaines une chemise rouge contenant des documents pertinents à cet égard. Toutefois, conformément aux dispositions du paragraphe 28(2) de la LIPR, l’agente a fait le point avec lui sur différentes questions touchant son passé aux États‑Unis, son ancienne épouse et son enfant, de même que sa famille en Inde et au Canada. Elle l’a aussi interrogé sur sa demande d’asile aux États‑Unis. Il a répondu (la preuve sur ce point n’est pas contestée) ne pas connaître le fondement de cette demande, parce que son épouse et la famille de celle-ci s’en étaient occupée.
[11] La preuve est contradictoire (les témoignages du demandeur et celui de l’agente au PDE ne concordant pas) sur la question de savoir si, en début d’entrevue, M. Kainth a déclaré à l’agente avoir eu des problèmes avec les frères de son ancienne épouse en Inde. Le demandeur reconnaît toutefois n’avoir pas mentionné craindre, en janvier 2006, de retourner en Inde. Il soutient plutôt que l’agente au PDE aurait dû l’interroger à cet égard. La preuve est également contradictoire quant à savoir si le demandeur a ou non demandé de parler à son avocat. M. Kainth prétend qu’il a formulé cette demande à trois reprises distinctes pendant le déroulement de la procédure, alors que l’agente au PDE nie formellement cette prétention.
[12] Comme il a été mentionné, l’agente au PDE nie que M. Kainth l’ait informée que des problèmes seraient survenus en Inde en 2001. Elle affirme se souvenir clairement qu’après avoir fait part au demandeur de ses préoccupations concernant sa criminalité, elle lui a dit que s’il n’avait pas respecté son obligation de résidence, il pourrait bien être renvoyé en Inde. Elle déclare avoir aussi expliqué au demandeur qu’elle n’était pas convaincue qu’il avait fait valoir des circonstances d’ordre humanitaire justifiant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de ne pas rédiger un rapport contre lui. Elle lui a expressément demandé, précise-t-elle, s’il y avait quoi que ce soit d’autre dont il souhaitait qu’elle tienne compte, ce à quoi il s’est limité à répondre qu’il souhaitait demeurer au Canada.
[13] Pendant que l’agente au PDE passait en revue les documents pertinents en sa possession, finalisait son évaluation, dactylographiait son rapport et préparait d’autres documents, M. Kainth a dû attendre dans une salle d’attente munie de portes coulissantes, à l’intérieur de l’aire sécuritaire où se trouvent les bureaux des agents d’immigration et les bureaux à cloisons servant aux entretiens privés. Cette pièce était munie de portes coulissantes qui ne peuvent être ouvertes de l’intérieur. Le demandeur y est resté plusieurs heures, pendant que se déroulaient les événements décrits ci-après.
[14] L’agente au PDE a déclaré qu’avant de faire rapport au délégué du ministre, elle a communiqué avec l’avocat de M. Kainth pour l’informer qu’en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, elle établirait un rapport recommandant la prise d’une mesure de renvoi contre M. Kaith, qu’elle estimait être interdit de territoire (article 41) et paragraphe 44(1) de la LIPR). Suivant la preuve non contredite, l’avocat a simplement demandé à l’agente de lui transmettre une copie du rapport par télécopieur lorsqu’il serait établi. Il n’a fait aucune observation.
[15] Il appert aussi qu’à cette étape, l’agente au PDE a discuté avec l’avocat du demandeur des conditions qu’elle devrait envisager en application du paragraphe 44(3) de la LIPR. L’avocat a réitéré que la possibilité de devoir remettre une garantie d’exécution de 10 000 $ avait déjà été prévue, que la famille du demandeur était en mesure de le faire et y était disposée. Aussi, après que le délégué du ministre eut pris la mesure de renvoi fondée sur l’inobservation de l’obligation de résidence par M. Kainth et ordonné qu’une enquête soit fixée à une étape ultérieure relativement au deuxième rapport de l’agente au PDE sur la criminalité5, l’agente a téléphoné à M. Maghera, le beau-frère du demandeur, pour confirmer la nécessité de remettre une garantie d’exécution de 10 000 $. Elle lui a dit qu’il pourrait venir chercher M. Kainth à l’aéroport dès qu’il serait prêt. M. Maghera a tout simplement répondu qu’il se rendrait incessamment à l’aéroport pour déposer le cautionnement demandé.
[16] L’agente au PDE atteste que c’est à ce moment seulement6 qu’elle a été avertie que M. Kainth désirait lui parler. Elle s’est rendue à la [traduction] « salle d’attente », et le demandeur lui a fait savoir qu’il voulait communiquer avec sa famille et son avocat. Cependant, il n’est pas contesté qu’en apprenant que M. Maghera était en route pour venir déposer le cautionnement et le chercher et que l’agente avait parlé avec son avocat, M. Kainth n’a pas réitéré sa demande et a semblé satisfait d’attendre son beau-frère. Il n’est pas contesté non plus que M. Kainth a alors été informé de la mesure de renvoi prise contre lui, a reçu copie du rapport de l’agente au PDE et d’autres documents utiles et a été informé de son droit d’appel. M. Maghera est arrivé à l’aéroport quelques heures plus tard. L’agente au PDE, qui avait terminé sa journée de travail, avait déjà quitté. Après le dépôt du cautionnement et la prise des empreintes digitales, le demandeur a quitté l’aéroport.
[17] En plus de son avis d’appel, le demandeur a aussi déposé, le 15 février 2006, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la mesure de renvoi, alléguant la violation des droits que lui reconnaît l’alinéa 10b) de la Charte et manquement à l’obligation d’agir équitablement qui incombe à l’agente au PDE, du fait que celle-ci : i) ne l’a pas averti qu’à moins de présenter une demande d’asile avant que la mesure de renvoi soit rendue, il perdrait le droit de le faire; ii) n’a pas respecté son droit à l’assistance d’un avocat pendant son entrevue concernant l’obligation de résidence.
[18] À la suite d’une requête du ministre, la Cour fédérale a jugé, le 13 septembre 2006, que la demande était prématurée puisque M. Kainth n’avait pas épuisé son droit d’appel à la SAI. Il convient de souligner ici que, selon le paragraphe 67(2) de la LIPR, la SAI a compétence pour connaître de l’affaire « de novo » et pour tenir compte des motifs d’ordre humanitaire afférents aux circonstances jusqu’à la date de l’audience devant elle7. Aussi, à l’audience tenue en mars 2008, le demandeur a-t-il fondé sa preuve sur son propre témoignage, sur celui de son épouse canadienne, avec qui il s’était marié en janvier 2008, sur le rapport d’un psychologue ainsi que sur d’autres éléments de preuve documentaire. Ces éléments comprenaient tous les documents déposés dans le cadre de sa demande antérieure à la Cour fédérale, notamment son mémoire des faits et du droit, auquel le demandeur a d’ailleurs expressément demandé à la SAI de se reporter pour compléter les plaidoiries présentées devant elle.
[19] Au cours de cette audience, les deux parties ont reconnu que même si la mesure de renvoi initiale était jugée invalide en raison d’un manquement allégué à l’équité procédurale et à l’alinéa 10b) de la Charte, la SAI pourrait statuer en dernier ressort sur les questions initiales sans renvoyer l’affaire au premier décideur et confirmer le renvoi de M. Kainth. Toutefois, l’avocat du demandeur a plaidé devant la SAI que celle-ci devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire au délégué du ministre pour permettre au demandeur de présenter une demande d’asile.
[20] Dans les faits, il était évident qu’à ce stade, la question n’était pas tant que des renseignements additionnels auraient pu être fournis à l’agente au PDE relativement à l’obligation de résidence ou aux circonstances d’ordre humanitaire, mais que le préjudice invoqué par le demandeur découlait plutôt du fait que la mesure de renvoi avait été prise immédiatement après la remise du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1), ce qui avait empêché le demandeur de déposer une demande d’asile fondée sur sa crainte alléguée de subir des représailles en Inde de la part des frères de sa première épouse (paragraphe 99(3) de la LIPR).
[21] Il ressort aussi clairement du mémoire des faits et du droit dont disposait la SAI que, même si le demandeur s’attendait à être interrogé sur son respect de l’obligation de résidence (voir le paragraphe 92 du mémoire des faits et du droit), il (ou son avocat) n’avait pas prévu que le délégué du ministre prendrait une mesure de renvoi sans délai au point d’entrée, dès réception du rapport établi par l’agente au PDE en application du paragraphe 44(1).
La décision de la SAI
[22] Dans sa décision de 18 pages, la SAI a décidé que :
1) M. Kainth ne s’est pas conformé à l’obligation de résidence, un fait qui a été admis en début d’audience.
2) Il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales. Avant de tirer cette conclusion, la SAI a examiné la preuve de façon assez détaillée et a fait certaines observations concernant la crédibilité ou l’absence de crédibilité de M. Kainth, relevant notamment les éléments suivants :
• Le demandeur a l’habitude de mentir quand cela lui convient. Par exemple, en plus de présenter une demande d’asile sous un faux nom, lorsque l’enquêteur de police a découvert ses véritables documents d’identité, il a nié que ces documents soient les siens et a prétendu qu’ils appartenaient à son cousin. Cette explication n’ayant pas été acceptée, il a indiqué que les documents avaient été préparés pour lui dans le seul but de lui permettre de paraître plus âgé.
• En plus de déclarer faussement à l’agente au PDE qu’il ne savait rien de sa demande d’asile, il a affirmé devant la SAI qu’il ignorait ce qu’il était advenu de son statut de demandeur d’asile aux États‑Unis. Ces réponses n’ont pas été jugées crédibles, compte tenu de la preuve selon laquelle il était présent à l’audition par vidéoconférence de cette demande et avait signé des documents s’y rapportant, alors qu’il était dûment représenté par avocat.
• Pour expliquer son plaidoyer de culpabilité aux accusations de batterie grave sur sa fille mineure, il a affirmé qu’en réalité, il ne s’agissait pas de batterie puisque les blessures résultaient d’un accident. La SAI a rejeté cette explication à la lumière du rapport d’enquête au dossier, qui faisait lui-même état du rapport médical portant que le bébé avait subi plusieurs types de blessures parvenues à diverses étapes de guérison et qu’il existait des preuves de mauvais traitements répétés. M. Kainth a ensuite avancé que ses beaux-parents étaient peut-être les auteurs des mauvais traitements. Là encore, après avoir analysé la preuve pertinente, la SAI a conclu que cette explication n’était pas crédible en raison des déclarations et affirmations contradictoires sur divers points concernant cette affaire.
• Le témoignage de M. Kainth concernant sa crainte alléguée d’être menacé par les frères de son ancienne épouse s’il est renvoyé en Inde n’est pas crédible.
• Le témoignage de Hong Yan Zhang (la seconde épouse du demandeur) qui, de l’avis de la SAI « divergeait à tout point de vue » sur des questions essentielles et révélait l’absence de la connaissance mutuelle que l’on s’attend à trouver dans une relation conjugale, a amené la SAI à conclure de surcroît que cette relation n’était pas authentique.
3) Dans le contexte de cette affaire, l’agente au PDE n’avait pas l’obligation de s’informer sur la qualité de réfugié du demandeur. À cet égard, la SAI fait remarquer notamment que le demandeur avait la responsabilité de faire valoir sa qualité de réfugié à la première occasion, c’est-à-dire au point d’entrée. Le demandeur parlait anglais, son expérience aux États‑Unis lui avait permis de se familiariser avec le processus de demande d’asile, il avait indiqué à l’audience qu’il comprenait pleinement le but de l’enquête à l’aéroport, et plus particulièrement qu’il était conscient de la possibilité de son renvoi en Inde. De plus, selon la preuve non contredite, il avait assuré n’avoir aucune connaissance du fondement de sa demande d’asile aux États‑Unis. La SAI précise que même si elle retenait le témoignage de M. Kainth plutôt que celui de l’agente au PDE (ce qui, selon ma compréhension de la décision, n’est manifestement pas le cas), le demandeur avait uniquement mentionné la crainte que lui avaient inspirée les frères de son ancienne épouse lors de leur séjour en Inde en 2001, et la preuve circonstancielle était suffisante pour permettre à l’agente au PDE de conclure raisonnablement qu’en janvier 2006, le demandeur ne craignait aucun danger ou n’était exposé à aucun danger en Inde s’il y devait y être renvoyé.
4) Quant à l’alinéa 10b) de la Charte, « il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que son contrôle était autre qu’ordinaire » (paragraphe 42 de la décision), et ce contrôle ne constitue pas une « détention » au sens de cette disposition. Avant de formuler cette conclusion, la SAI se réfère expressément à la jurisprudence la plus pertinente invoquée par le demandeur, par exemple les arrêts Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053 (Dehghani); R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495 et R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548. Le tribunal mentionne aussi explicitement le fait que M. Kainth a subi une fouille de base (plutôt qu’une fouille plus envahissante comme une fouille à nu) avant le début du contrôle secondaire, au moment d’entrer dans l’aire où devait se dérouler l’interrogatoire (bureau à cloisons pour les entretiens privés). Il traite également du fait que le demandeur a été gardé plusieurs heures dans une salle d’attente d’où il ne pouvait sortir, et analyse l’état d’esprit du demandeur ainsi que celui de l’agente au PDE au fil des événements.
5) L’agente au PDE n’a pas manqué à son obligation d’agir équitablement. À ce chapitre, la SAI traite des différents facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker) (qui ont fait l’objet d’exposés détaillés dans les plaidoiries et les observations écrites soumises au tribunal), analyse la jurisprudence à son avis la plus pertinente soumise par le demandeur et compare les faits en l’espèce avec ceux qui sous-tendent ces causes. Ainsi, le tribunal souligne que contrairement aux faits de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195 (Ha), l’avocat du demandeur, dans le cas présent, n’a pas demandé de parler à son client ni de présenter des observations à l’agente au PDE, et aucun élément de preuve n’indique que l’avocat a exprimé le souhait d’assister à quelque étape que ce soit du processus. Le tribunal a aussi tenu compte du fait que la nature de la décision elle-même différait de celle dans la décision Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 R.C.F. 3 (Hernandez), puisqu’il ne s’agissait en rien d’une décision finale. Le demandeur ne pouvait pas perdre son statut de résident permanent avant d’avoir épuisé son droit d’appel, une situation tout à fait différente au regard du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) pour manquement à l’obligation de résidence.
6) Il convient de relever également que la SAI a explicitement mentionné, au paragraphe 34, qu’elle avait plein pouvoir pour trancher les questions soulevées dans cet appel et qu’on ne l’avait pas convaincue de renoncer à exercer cette compétence et de renvoyer l’affaire au délégué du ministre, même si elle avait constaté un manquement à l’équité procédurale ou à des droits reconnus par la Charte.
[23] Les conclusions de la SAI sur la crédibilité et sur le manquement au paragraphe 28(1) de la LIPR ne sont pas contestées, non plus que sa décision en ce qui touche le paragraphe 28(2) de la LIPR.
Analyse
[24] À l’audience, le demandeur était représenté par un nouvel avocat (pour cause de maladie) et ce dernier a signifié, quelque trois jours avant l’audience, une requête sollicitant l’autorisation de produire un mémoire supplémentaire et d’autres éléments de preuve. La requête a été instruite le matin de l’audience de la présente demande.
[25] Le défendeur s’est opposé à la requête au motif qu’elle soulevait des arguments qui n’avaient pas été soumis à la SAI et portait sur de nouveaux éléments de preuve qui ne faisaient pas partie du dossier certifié. En outre, le ministre a fait valoir qu’il subirait un préjudice, puisqu’il n’était pas en mesure de présenter de nouveaux éléments de preuve qui seraient pertinents pour répondre à la nouvelle thèse proposée.
[26] Il est reconnu en droit que les nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire, et aucune des rares exceptions à ce principe général ne s’applique en l’espèce. Quant aux arguments additionnels, s’il s’était seulement agi de proroger le délai pour déposer un mémoire supplémentaire, la Cour aurait été disposée, compte tenu des circonstances particulières et du temps limité qu’a eu le nouvel avocat pour examiner le dossier, à accorder un ajournement, particulièrement pour permettre au ministre de déposer des arguments de réponse additionnels. Toutefois, la question soulevée par la présente requête est de nature différente. De fait, il est de jurisprudence constante que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, on ne peut attaquer une décision en se fondant sur des arguments qui n’ont pas été soulevés devant l’instance décisionnelle, à moins qu’il ne s’agisse d’une question de compétence (ce qui n’est pas le cas en l’espèce) (34156 Alberta Ltd. c. M.R.N., 2006 CF 1133, au paragraphe 16, confirmé en appel, 2008 CAF 228, notamment au paragraphe 6).
[27] Dans le cas qui nous occupe, non seulement l’argument est-il nouveau, mais il est en contradiction directe avec ceux soulevés devant la SAI. En effet, devant la SAI, le demandeur a déclaré qu’il s’attendait à être interrogé par l’agente au PDE sur son respect de l’obligation de résidence (paragraphe 92 du mémoire des faits et du droit). Il ressort en outre clairement du dossier certifié que les parties ont généralement employé des expressions comme « contrôle secondaire » ou [traduction] « contrôle au point d’entrée » pour inclure, dans ce cas précis, le contrôle relatif à l’obligation de résidence et l’examen des circonstances d’ordre humanitaire en ce qui concerne uniquement le rapport établi au titre du paragraphe 44(1) et fondé sur les articles 41 et 28 de la LIPR. La Cour croit aussi comprendre que le nouvel argument pourrait influer sur l’analyse des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, particulièrement en ce qui touche les attentes légitimes des parties.
[28] Pour ces motifs, la requête a été rejetée. Néanmoins, il importe de préciser que rien dans les présents motifs ne doit être interprété comme indiquant que cet argument, s’il avait été soulevé devant la SAI, aurait eu une incidence réelle sur la décision finale de la SAI ou sur la décision afférente à la présente requête.
Manquement aux droits reconnus au demandeur par l’alinéa 10b) de la Charte
[29] En ce qui concerne la première question soulevée par le demandeur — la SAI a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu manquement aux droits reconnus par l’alinéa 10b) de la Charte — les parties ont exprimé leur désaccord à l’audience quant à la norme de contrôle applicable. Parce que cette question intéresse la Charte, le défendeur a porté à l’attention de la Cour les paragraphes 50, 51, 55 et 58 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), qui semblent commander la norme de la décision correcte, peu importe la question soulevée par le demandeur. Selon la position, plus nuancée, du demandeur, il convient d’examiner la nature de la question dont la Cour est saisie.
[30] Dans son mémoire, le demandeur ne conteste pas en soi le critère juridique appliqué par la SAI. Il attaque plutôt la façon dont la SAI a appliqué le critère juridique énoncé dans les différentes décisions de la Cour suprême du Canada aux circonstances particulières de son cas, et lui reproche notamment de n’avoir pas évalué comme il se doit la preuve qui établit, à son avis, que le contrôle secondaire qu’il a subi ne constitue pas un contrôle « ordinaire », parce qu’il est allé beaucoup plus loin que l’interrogatoire en cause dans l’arrêt Dehghani, étant donné : i) qu’il a duré plusieurs heures; ii) que durant le contrôle, M. Kainth a été placé dans une cellule verrouillée (la salle d’attente); iii) qu’il a dû déposer un cautionnement pour être libéré. Le demandeur mentionne aussi certaines allégations, comme le fait qu’on lui aurait refusé l’accès à un téléphone, etc.
[31] Dans sa réplique orale, le demandeur ajoute que la SAI a négligé de tenir compte du fait que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dehghani, traitait du cas d’un étranger et non d’un résident permanent, et qu’une partie du contrôle qu’il a lui-même subi, dans le cas présent, n’avait pas pour but de déterminer s’il avait le droit d’entrer au Canada. Là encore, le demandeur n’attaque pas véritablement le critère juridique ou l’interprétation des mots « détention » et « arrestation » employés à l’alinéa 10b), mais plaide la façon dont il conviendrait d’appliquer le critère en l’espèce, compte tenu des différences avec les données factuelles des précédents jurisprudentiels.
[32] Il ne fait aucun doute que la norme de contrôle applicable à l’interprétation de l’alinéa 10b) même (le critère juridique) est celle de la décision correcte. Cependant, la question préliminaire qui consiste à déterminer s’il y a eu « détention » dans le cas présent est essentiellement une question de droit et de fait hautement subordonnée aux faits et au contexte, pour laquelle la norme de contrôle, à mon avis, doit être celle de la décision raisonnable (Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, aux paragraphes 34 à 41; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 26 à 41). Cela dit, cette question n’est pas déterminante en l’espèce, car la Cour est convaincue que la décision de la SAI était non seulement raisonnable, mais également correcte.
[33] Premièrement, un simple examen de la décision permet de constater que la SAI a clairement compris le critère juridique qu’elle devait appliquer. Deuxièmement, si la SAI s’est en effet considérablement appuyée sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Dehghani, elle l’a fait non pas parce que les faits dans cette affaire coïncidaient parfaitement avec ceux de l’espèce, mais parce que, comme l’ont fait valoir les deux parties devant elle, cet arrêt passe en revue la jurisprudence pertinente, clarifie les principes applicables et décrit l’analyse contextuelle à laquelle il faut procéder pour décider si une situation particulière s’inscrit ou non dans le champ d’application de l’alinéa 10b) de la Charte.
[34] Il est utile de souligner que dans l’arrêt Dehghani, la Cour suprême du Canada elle-même, pour prendre sa décision, a examiné des affaires dans lesquelles les faits pouvaient clairement être distingués de ceux de l’espèce; ainsi, la Cour a fait remarquer, à la page 1074 : « Bien que la présente affaire porte non pas sur une fouille, mais plutôt sur un interrogatoire, on peut établir une analogie ». C’est en se fondant sur ce principe que les deux parties ont établi une analogie avec l’arrêt Dehghani, et leurs arguments ont porté sur la question de savoir si l’interrogatoire qui a eu lieu dans le cas présent était ou non « ordinaire ».
[35] Même si un résident permanent peut choisir d’être interrogé à une étape ultérieure, rien dans la preuve n’indique que ce n’est pas pratique courante de soumettre les résidents permanents, dès l’arrivée au PDE, au contrôle prévu au paragraphe 44(1). Comme il a été mentionné, le demandeur n’a jamais évoqué cette question comme un point litigieux. Si le processus suivi est routinier, il peut être révélateur que ce soit la première fois qu’on allègue un manquement aux droits garantis par l’alinéa 10b) de la Charte. La Cour ne saurait conclure que la SAI a commis une erreur, dans les circonstances, en appliquant le raisonnement exposé dans l’arrêt Dehghani, qui consiste à examiner si l’interrogatoire en cause était ou non de nature routinière.
[36] Après avoir établi son identité et son statut de résident permanent, M. Kainth avait le droit d’entrer au Canada (paragraphe 27(1) et article 49 de la LIPR). Néanmoins, l’agente pouvait quand même faire connaître ses préoccupations quant au manquement du demandeur à l’obligation de résidence, notamment, et le demandeur devait être questionné à ce sujet, que ce soit à l’aéroport ou plus tard. En l’espèce, la preuve montre que l’agente a clairement fait savoir à l’avocat de M. Kainth, avant d’effectuer le contrôle, qu’elle avait l’intention de procéder au contrôle à l’aéroport. Aucune demande d’ajournement n’a été présentée, et l’avocat n’a pas donné à entendre qu’il devait consulter M. Kainth à cet égard ou pour toute autre question. Ce dont l’agente avait été informée, c’est que les services de l’avocat avaient été retenus plusieurs mois avant que M. Kainth ne demande l’entrée au Canada. Le calcul de la durée de l’absence de M. Kainth était très simple, et il était raisonnable de déduire que son avocat ne pouvait pas ignorer que les circonstances d’ordre humanitaire dont il est question au paragraphe 28(2) de la LIPR devraient nécessairement être abordées.
[37] La preuve non contredite indique également qu’il est d’usage pour les agents d’immigration de recevoir les observations présentées par les avocats qui ont déjà été retenus et qui sont disponibles durant la procédure, ce qui était le cas de l’avocat du demandeur.
[38] Il ne faut pas perdre de vue qu’aucune preuve n’a été présentée au nom du demandeur pour contredire le témoignage de l’agente au PDE concernant la teneur de ses conversations avec l’avocat du demandeur, ce malgré le fait qu’elle avait souscrit, plus d’un an avant l’audience devant la SAI, un affidavit exposant les détails de ces échanges et le moment où ils avaient eu lieu. Tous ces éléments font partie du contexte à examiner, étant donné que, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613 et à la page 1066 de l’arrêt Dehghani :
L’article 10 de la Charte vise à assurer que, dans certaines situations, une personne soit informée de son droit à l’assistance d’un avocat et qu’elle puisse obtenir cette assistance sans délai. Il est évident que les cas (l’arrestation et la détention) mentionnés expressément à l’art. 10 ne sont pas les seuls où une personne peut avoir raisonnablement besoin de l’assistance d’un avocat, mais qu’il s’agit de situations où l’entrave à la liberté pourrait, par ailleurs, avoir pour effet de rendre impossible l’accès à un avocat ou d’amener une personne à conclure qu’elle n’est pas en mesure d’avoir recours à l’assistance d’un avocat.
[39] Cela dit, la Cour doit, comme la SAI, adopter une méthode contextuelle pour déterminer si M. Kainth se trouvait dans une situation de cette nature. Pour ce faire, la Cour doit, là encore comme la SAI, évaluer différents facteurs et être guidée par la jurisprudence, dans laquelle elle peut constater des analogies et relever des distinctions. Il convient d’éviter, ce faisant, de s’arrêter à un seul facteur (R. v. Pomeroy, 2008 ONCA 521, 91 O.R. (3d) 261, aux paragraphes 22, 31 et 38).
[40] Plusieurs des questions pertinentes ont déjà été abordées dans la présentation de la décision de la SAI et des questions soulevées par le demandeur dans la présente demande (voir par exemple le paragraphe 30, ci‑dessus). Le problème, avec bon nombre des arguments du demandeur, est que souvent la preuve n’étaye pas ses allégations de fait.
[41] Comme la Cour l’a fait remarquer, il est évident que dans l’ensemble, la SAI a préféré la preuve de l’agente au PDE, qui a fait l’objet d’un contre-interrogatoire serré par l’avocat du demandeur, à la preuve du demandeur. Après un examen exhaustif du dossier certifié, la Cour conclut que la position de la SAI était raisonnable. En fait, pour examiner cette question au regard de la norme de la décision correcte, la Cour a elle-même conclu, relativement à des points sur lesquels il existe des contradictions entre la preuve de l’agente au PDE et le témoignage du demandeur, qu’il convient de retenir les éléments de preuve de l’agente, plus crédibles et plus plausibles, compte tenu de l’ensemble des faits et des documents au dossier.
[42] Pour donner un exemple d’une affirmation que le demandeur n’a pas réussi à établir de façon convaincante, la Cour analysera son allégation selon laquelle l’absence de téléphone dans la salle d’attente étaye son point de vue qu’il s’agissait bien d’une cellule de détention et qu’on a refusé d’accéder à ses demandes pour téléphoner à son avocat.
[43] Selon la preuve, personne, à l’aéroport de Vancouver, n’a accès à un téléphone public avant d’atteindre la zone de récupération des bagages, une fois terminées les formalités d’immigration. Toutefois, les membres du public, et notamment M. Kainth, sont autorisés à utiliser un téléphone cellulaire, s’ils en possèdent un. Aucune politique8 n’interdit aux personnes se trouvant dans la salle d’attente de la zone de contrôle secondaire d’utiliser leur propre téléphone. L’agente au PDE a aussi déclaré dans son témoignage qu’en général, durant les entrevues, les agents offrent l’accès aux téléphones du personnel pour faciliter l’obtention de renseignements utiles à leur enquête.
[44] L’agente au PDE a aussi catégoriquement nié que l’accès à un téléphone ou la possibilité d’appeler sa famille ou son avocat aient été refusés à M. Kainth. À cet égard, outre le grave manque de crédibilité découlant de la propension à mentir dont a fait preuve M. Kainth durant tout le processus et en d’autres contextes, il n’est pas plausible que celui-ci n’ait pas été informé, au cours de l’entrevue portant sur l’obligation de résidence, que l’agente avait déjà parlé avec son avocat, s’il lui avait effectivement demandé de communiquer avec son avocat durant cette partie du contrôle. La Cour estime que le demandeur n’a tout simplement pas satisfait à son fardeau de persuasion sur ce point.
[45] Le demandeur insiste beaucoup sur le fait qu’on l’a placé dans une salle d’attente verrouillée pour soutenir que sa situation ne tenait pas de la routine et s’apparentait à la détention. Or, la Cour croit comprendre du témoignage rendu par l’agente au PDE durant son contre‑interrogatoire devant la SAI que si M. Kainth lui avait fait part du malaise qu’il éprouvait de devoir attendre dans cette salle, elle n’aurait eu aucune objection à le laisser attendre dans la zone accessible au public, puisqu’il parle anglais et qu’il aurait été facile de le retracer au moment de reprendre le processus administratif. À mon avis, il est également évident que l’agente au PDE ne l’a pas fait asseoir dans la salle d’attente dans le but de l’empêcher de quitter l’aéroport, puisqu’elle a clairement indiqué que personne ne peut passer la douane sans des documents d’immigration dûment remplis. Ce fait est si connu que la Cour aurait presque pu en prendre connaissance d’office.
[46] La Cour n’est tout simplement pas convaincue, compte tenu de la preuve au dossier, qui comprend un plan d’étage des locaux montrant les véritables cellules de détention et leur configuration, que M. Kainth a été placé en « cellule » comme il le prétend.
[47] Il est facile de comprendre pourquoi l’avocat du demandeur a fait valoir, devant la SAI, que tout ce qui s’est passé à l’aéroport peut être généralement décrit comme un [traduction] « contrôle secondaire au point d’entrée »; en effet, cette position lui a permis de plaider que l’article 8.4 du Guide de l’exécution de la loi (ENF), Chapitre ENF 4 : Contrôle aux points d’entrée s’appliquait à tout le processus. Elle a aussi permis au demandeur de grouper des faits comme la fouille initiale qu’il a subie en entrant dans la zone où sont situés les bureaux d’immigration et les bureaux à cloisons pour les entretiens privés (avant le contrôle secondaire concernant son identité et son statut), l’attente dans une salle verrouillée et l’obligation de fournir un cautionnement, des événements qui se sont déroulés bien après la fin de l’interrogatoire de M. Kainth touchant les paragraphes 28(1) et (2), soit la période durant laquelle le demandeur prétend qu’on aurait dû lui donner la possibilité d’avoir recours à l’assistance de son avocat.
[48] Toutefois, quelle que soit la façon dont tous ces événements sont présentés, la Cour doit les examiner dans leur juste contexte et tenir compte notamment du fait que l’agente au PDE n’est devenue habilitée à imposer des conditions au titre du paragraphe 44(3) qu’après avoir effectivement établi le rapport prévu au paragraphe 44(1). Cette étape a eu lieu bien après la fin de l’entrevue avec M. Kainth et après que son avocat eut confirmé qu’il s’attendait à ce qu’un cautionnement soit exigé et en eut informé la famille de M. Kainth.
[49] Il importe de ne pas banaliser les droits constitutionnels, censés servir de boucliers aux personnes qui ont besoin de protection et non d’épées à manier dans le cadre d’une stratégie juridique. Vu les faits mis en preuve en l’espèce, le demandeur n’a tout simplement pas satisfait au fardeau de persuasion qui lui incombait, et la Cour n’est pas convaincue qu’il a établi l’existence d’un manquement aux droits que lui reconnaît l’alinéa 10b) de la Charte.
Manquement à l’obligation d’agir équitablement qui incombe à l’agente au PDE
[50] Le demandeur soutient ce qui suit : i) l’agente au PDE avait l’obligation de dire au demandeur ou à son avocat que ce dernier pouvait assister à l’entrevue en personne et/ou présenter des observations orales ou écrites avant qu’un rapport soit établi en application du paragraphe 44(1); ii) elle devait aussi demander à M. Kainth s’il craignait de retourner dans son pays d’origine avant de finaliser ce rapport.
[51] La portée de l’obligation d’agir équitablement, même lorsque celle-ci est fondée sur une situation particulière dans un cas donné, est bien une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409 (Cha), au paragraphe 16; Dunsmuir, aux paragraphes 50, 51, 55 et 58).
[52] La Cour estime que la décision et l’analyse de la SAI sont correctes et ne comportent aucune erreur susceptible de révision. De fait, le décideur est correctement arrivé à sa décision après avoir tenu compte des cinq facteurs énoncés aux paragraphes 21 à 28 de l’arrêt Baker et les avoir appliqués aux faits, et notamment aux échanges intervenus entre l’agente au PDE et l’avocat de M. Kainth avant que le rapport prévu au paragraphe 44(1) soit établi et que la mesure de renvoi soit prise.
[53] Il convient de signaler que le demandeur s’est largement appuyé sur l’analyse de la juge Judith Snider dans l’arrêt Hernandez, mais n’a pas contesté les conclusions formulées par la juge Snider au paragraphe 72 de cette décision, selon lesquelles le délégué du ministre responsable de prendre, en application du paragraphe 44(2) de la LIPR, la décision de déférer l’affaire pour enquête (ou de prendre une mesure de renvoi dans un cas de manquement à l’obligation de résidence) n’est pas tenu de communiquer au demandeur le rapport établi suivant le paragraphe 44(1) pour lui donner une autre occasion d’y répondre avant qu’une décision soit prise. Relativement à cette question, le demandeur n’a présenté aucun argument justifiant d’arriver à une conclusion différente.
[54] Les parties ont invoqué un certain nombre de précédents jurisprudentiels, dont aucun ne concorde parfaitement avec le cas présent. La Cour procédera donc à sa propre analyse des facteurs de l’arrêt Baker, étant donné notamment que, comme l’a fait remarquer le juge Robert Décary dans l’arrêt Cha (aux paragraphes 21 et 22), l’obligation qui incombe à un agent au titre du paragraphe 44(1) peut varier en fonction du statut de la personne en cause, de l’objet de l’examen (par exemple, la criminalité par opposition à l’obligation de résidence) et des différents recours prévus à la Loi (droit d’appel différent).
A. La nature de la décision et la procédure suivie pour y parvenir
[55] Ainsi que l’a fait observer la Cour, au paragraphe 43 de l’arrêt Cha :
Comme la Cour suprême l’a dit dans l’arrêt Baker, au paragraphe 23, plus le processus prévu, la fonction du décideur, la nature de l’organisme rendant la décision et la démarche à suivre pour parvenir à la décision ressemblent à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l’obligation d’équité procédurale sera de large portée.
Même si, en vertu du paragraphe 28(2) de la LIPR, l’agente au PDE devait se pencher sur les circonstances d’ordre humanitaire, sa décision, purement administrative, n’est pas définitive et l’entrevue ne constitue pas une audience. Comme il a été mentionné, le demandeur peut interjeter appel à la SAI de la mesure de renvoi prise par le délégué du ministre qui a examiné le rapport de l’agente au PDE (paragraphe 63(3) de la LIPR), et il aura le droit de présenter « de novo » l’ensemble de son cas (paragraphes 67(1) et (2) de la LIPR), avec l’aide d’un avocat et en ayant la possibilité de soumettre d’autres témoignages et de nouvelles preuves documentaires.
[56] Ce facteur donne à penser que l’obligation d’équité procédurale est minimale.
B. La nature du régime législatif et l’importance de la décision
[57] La décision d’un agent au PDE d’établir un rapport a peu de conséquences pour le demandeur, sauf si le délégué du ministre y donne suite conformément au paragraphe 44(2). Dans le cas qui nous occupe, il ressort de la preuve qu’environ 60 % des rapports pour manquement à l’obligation de résidence établis par l’agente en cause ont été suivis d’une autre mesure. En outre, même lorsqu’il est donné suite au rapport, la décision du délégué du ministre de prendre une mesure de renvoi n’a en soi aucune conséquence sur le statut de résident permanent de M. Kainth jusqu’à ce que celui-ci ait épuisé son droit d’appel (articles 46 à 49 de la LIPR). Ce facteur suggère une obligation d’équité procédurale de faible importance.
[58] Le demandeur avance que l’obligation d’équité procédurale, en l’espèce, devrait être plus grande puisque, suivant l’article 101 de la LIPR (sic) (en réalité le paragraphe 99(3) de la LIPR), la prise même de la mesure de renvoi a pour effet de l’empêcher de présenter une demande d’asile. Je ne suis pas d’accord. Lorsqu’on examine le régime législatif dans son ensemble, on constate que la mesure de renvoi n’a pas pour effet d’empêcher un examen adéquat des dangers auxquels M. Kainth peut être exposé en Inde. Non seulement la SAI peut-elle tenir compte de ce danger et renvoyer l’affaire au délégué du ministre, si elle le souhaite, mais surtout, M. Kainth aura droit d’avoir, avant d’être renvoyé, un examen des risques liés à son renvoi, conformément au paragraphe 112(1) de la LIPR.
C. L’attente légitime
[59] Dans le mémoire qu’il a déposé à la SAI, aux paragraphes 92 et 93, ainsi que dans le mémoire présenté à la Cour, aux paragraphes 96 et 97, le demandeur déclare :
[traduction] Lorsqu’il a été conduit au Canada, le demandeur s’attendait à subir un contrôle sur la résidence permanente, au risque de perdre sa résidence permanente.
Toutefois, sous le régime actuel de la LIPR, une mesure de renvoi a été prise contre le demandeur, et l’effet additionnel de cette mesure est de priver le demandeur du droit de présenter une demande d’asile au Canada. Le demandeur en l’espèce n’avait pas prévu cette conséquence (que son conseiller juridique aurait pu lui expliquer). Compte tenu de cette conséquence nettement imprévue et de l’intérêt du demandeur de pouvoir revendiquer la protection du Canada, l’obligation d’équité procédurale doit être plus grande dans le cadre des audiences afférentes aux contrôles.
[60] Ainsi, le point soulevé en l’occurrence, bien qu’exposé de façon quelque peu ambiguë, ne concerne pas tant les attentes afférentes à la rédaction du rapport prévu au paragraphe 44(1) que le fait que le demandeur ne s’attendait pas à ce que la mesure de renvoi soit prise avant qu’il ait eu le temps de déposer sa demande d’asile.
[61] Aucun élément de preuve ni argument n’ont été proposés pour expliquer pourquoi le demandeur ou son avocat pouvaient s’attendre à un délai entre la délivrance du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) et la prise de la mesure de renvoi par le délégué du ministre. Aucune question sur ce point n’a été posée à l’agente au PDE lors de son contre‑interrogatoire. Le paragraphe 99(3) de la LIPR est très clair, et ni la LIPR ni le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, pris sous le régime de la LIPR ne prescrivent un délai minimal entre la réception d’un rapport établi suivant le paragraphe 44(1) et la prise de décision du délégué du ministre au titre du paragraphe 44(2) de la LIPR. Pour que des attentes soient légitimes, elles doivent avoir été suscitées d’une manière quelconque par la conduite ou les déclarations de Citoyenneté et Immigration Canada, ou découler de la loi elle-même. En l’espèce, ce facteur est neutre.
D. Le choix de procédure fait par Citoyenneté et Immigration Canada
[62] Bien que ce facteur ne soit pas en soi décisif, la Cour doit tenir compte du choix de procédure qu’a fait l’organisme lui-même et respecter ce choix. La seule partie du Guide de l’exécution de la loi (ENF) versée au dossier certifié s’intitule « ENF 4 : Contrôles aux points d’entrée ». Seul l’article 8.4 de ce texte traite du droit à l’assistance d’un avocat lors d’un contrôle au PDE. Il conviendrait normalement de lire cette disposition concurremment avec la partie du Guide intitulée « ENF 5 : Rédaction des rapports en vertu du L44(1) », laquelle n’a pas été déposée en tant que telle devant la SAI, si ce n’est de quelques extraits cités aux paragraphes 64 et 65 de la décision Hernandez.
[63] Selon ledit article 8.4, la politique, de façon générale, est de ne pas permettre la présence d’un conseil lors des contrôles aux points d’entrée s’il n’y a pas détention. Toutefois, cet énoncé est nuancé, le texte précisant que le droit à un conseil dépend de ce qui transpire de l’inspection primaire de l’étranger et décrivant une série de situations susceptibles de se présenter. Le demandeur soutient que le paragraphe suivant s’applique directement à sa situation [à la page 29] :
• lorsqu’un dispositif de contrainte est employé ou que l’étranger est placé dans une cellule de détention provisoire, même temporairement, l’agent doit informer l’étranger du motif de sa détention et de son droit à un avocat;
Comme il a été expliqué dans les présents motifs, la Cour n’est pas convaincue que le demandeur a établi que ce paragraphe de la politique s’applique directement à sa situation. À vrai dire, aucune des hypothèses décrites ne correspond directement au cas du demandeur, sauf peut-être, a contrario, la première hypothèse, qui prévoit [à la page 26] :
• lorsque l’étranger subit un contrôle et que celui‑ci ne va pas au‑delà de ce qui est requis pour établir l’admissibilité de l’étranger, il n’a pas droit à un conseil;
[64] De toute évidence, on ne saurait conclure de ce seul énoncé que la pratique ou la politique de l’organisme, dans des cas semblables à celui sous étude, est de permettre le recours aux services d’un conseil.
[65] Quant à la procédure suivie avant qu’un rapport soit établi en vertu du paragraphe 44(1), l’extrait cité aux paragraphes 64 et 65 de la décision Hernandez ne fait pas expressément état du droit à un conseil. Comme l’a fait remarquer la juge Snider, la politique semble comporter deux éléments principaux : i) le droit, pour toute personne qui fait ou est susceptible de faire l’objet d’un rapport, de présenter des observations, soit oralement au cours d’une entrevue, soit par écrit; ii) le droit de recevoir copie du rapport.
[66] La SAI a clairement conclu qu’en l’espèce, dans les faits, l’agente au PDE a correctement expliqué le but de son enquête, ses motifs de préoccupation et les conséquences qui pouvaient découler de son rapport, notamment la possibilité d’un renvoi en Inde. La SAI a aussi conclu que l’agente a donné à M. Kainth l’occasion de présenter toutes les observations qu’il souhaitait et le tribunal a relevé qu’elle lui avait remis copie du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1).
[67] Naturellement, la Cour doit, là encore, tenir compte du fait que l’avocat de M. Kainth a eu l’occasion de parler avec l’agente au PDE avant que celle-ci rédige son rapport. Manifestement, il a compris les enjeux, n’a présenté aucune observation de quelque nature que ce soit, ni n’a demandé de reporter la procédure ou de parler à son client. Il est raisonnable de conclure de ses commentaires concernant l’imposition d’un cautionnement qu’il n’avait aucune observation à formuler pour s’opposer à cette condition ou au montant du cautionnement.
[68] Soupesant tous les facteurs, la Cour conclut ce qui suit : i) les droits de participation inclus dans l’obligation d’agir équitablement de l’agente au PDE en l’espèce sont minimaux; ii) compte tenu des faits, ces droits ont été respectés; iii) la Cour n’est tout simplement pas prête à dire que, en l’espèce, l’obligation d’agir équitablement incombant à l’agente commandait que celle-ci confirme expressément avec l’avocat qu’il n’avait aucune observation à faire et qu’il ne croyait pas nécessaire d’obtenir un ajournement ni de parler avec son client avant qu’elle rédige le rapport.
[69] Gardant à l’esprit les conclusions non contestées de la SAI selon lesquelles M. Kainth a bien compris les raisons d’être de l’entrevue, la possibilité de son renvoi en Inde et ses réponses aux questions de l’agente au PDE relativement à sa demande d’asile aux États‑Unis (voir les paragraphes 10 et 22(3) ci‑dessus), la Cour estime également, d’un commun accord avec le SAI, que l’agente au PDE pouvait raisonnablement déduire, en l’espèce, que M. Kainth ne risquait ni ne craignait aucun danger particulier en Inde (voir les paragraphes 35, 36 et 37 de la décision). Elle n’avait aucune obligation de lui demander explicitement s’il comptait présenter une demande d’asile au Canada.
[70] Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la demande doit être rejetée.
[71] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la Cour est aussi d’avis que la décision, dans le cas présent, découle des faits qui lui sont propres (Ha, au paragraphe 40). Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.
ANNEXE
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11. (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]
10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :
[. . .]
b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
27. (1) Le résident permanent a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le droit d’entrer au Canada et d’y séjourner.
(2) Le résident permanent est assujetti aux conditions imposées par règlement.
28. (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.
(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :
a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :
(i) il est effectivement présent au Canada,
(ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,
(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,
(iv) il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,
(v) il se conforme au mode d’exécution prévu par règlement;
b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins de cinq ans, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;
c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.
[. . .]
41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.
[. . .]
44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.
(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.
[. . .]
67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :
a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;
b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;
c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.
(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.
[. . .]
99. (1) [. . .]
(3) Celle de la personne se trouvant au Canada se fait à l’agent et est régie par la présente partie; toutefois la personne visée par une mesure de renvoi n’est pas admise à la faire.
1 Les dispositions les plus pertinentes sont reproduites à l’annexe.
2 Le dossier certifié comptant plus de 1 000 pages, la Cour se bornera à présenter un bref résumé des faits et de la preuve soumis à la SAI.
3 Le demandeur prétend que son avocat aux États‑Unis a suggéré qu’il utilise un faux nom.
4 L’agente au PDE a aussi témoigné à cet effet devant la SAI (dossier certifié, à la p. 227), précisant que l’avocat du demandeur a déclaré dans deux des conversations téléphoniques qu’elle a eues avec lui (l’une avant l’entrevue avec M. Kainth et l’autre après cette entrevue) que la famille du demandeur était disposée à déposer un cautionnement.
5 Un avis d’appel visant à contester la mesure de renvoi a été déposé à la SAI le 14 février 2006. Bien qu’une enquête ait été prévue par la suite, la tenue de l’enquête a été suspendue.
6 Le demandeur affirme que l’agente au PDE a fait abstraction plusieurs fois de ses demandes pour téléphoner à son avocat.
7 Voir Mendoza c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 934, aux par. 17 à 20.
8 L’agente au PDE a toutefois indiqué, dans son témoignage devant la SAI, que dans certains cas où l’identité et le statut font l’objet d’un différend, elle ne voudrait pas qu’une personne informe ses contacts de ce qu’ils doivent dire à l’agente lorsqu’elle leur téléphonera.