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[2012] 3 R.C.F. 118

A-482-10

2011 CAF 273

Brandon Carl Huntley (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huntley

Cour d’appel fédérale, juges Sexton, Evans et Stratas, J.C.A.—Toronto, 3 octobre 2011.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Appel à l’encontre d’un jugement de la Cour fédérale annulant la décision, jugée déraisonnable, de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié accordant à l’appelant, un Sud‑Africain blanc, la qualité de réfugié — La Cour fédérale a rejeté l’argument selon lequel l’instance de contrôle judiciaire constituait un abus de procédure du fait que l’intimé avait présenté la demande de contrôle judiciaire en réponse à des pressions diplomatiques; elle a en outre refusé de certifier, en vertu de l’art. 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), les questions proposées concernant les allégations d’ingérence politique dans le déroulement d’une instance introduite sous le régime de la LIPR et de présumés partialité et manque d’indépendance — L’appelant fait valoir que l’art. 74d) n’exclut pas le droit général d’interjeter appel d’une décision de la Cour fédérale en vertu de l’art. 27 de la Loi sur les Cours fédérales lorsque le moyen d’appel invoqué est que le juge de première instance était partial ou qu’il s’est attribué à tort compétence ou a décliné à tort sa compétence — Le législateur ne peut avoir voulu mettre à l’abri de tout examen en appel des erreurs qui auraient pour effet d’ébranler la primauté du droit et de miner la confiance du public envers la bonne administration de la justice — Toutefois, les erreurs alléguées en l’espèce n’entrent pas dans cette catégorie étroite — L’erreur commise, si la Cour fédérale n’a effectivement pas appliqué la bonne norme de contrôle, ne constitue pas une usurpation de pouvoir qui échapperait à l’application de l’art. 74d) — La Cour fédérale a conclu que l’allégation d’abus de procédure n’était pas étayée par la preuve et elle a donc refusé de certifier les questions proposées jugeant que celles‑ci étaient hypothétiques — Même dans l’hypothèse où la conclusion relative à l’abus de procédure pourrait faire l’objet d’un appel en l’absence d’une question certifiée, il reste que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur justifiant l’annulation de sa décision en rejetant l’allégation — Appel rejeté.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 27 (mod., idem, art. 34).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 74d).

Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (mod. par DORS/2005-339, art. 1), art. 22 (mod. par DORS/2002-232, art. 11).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision citée :

Huynh c. Canada, [1996] 2 C.F. 976 (C.A.).

appEL à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2010 CF 1175, [2012] 3 R.C.F. 3) annulant la décision de la Section de la protection des réfugiés [2009 CanLII 90063] de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié au motif qu’elle était déraisonnable et accordant à l’intimé la qualité de réfugié. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Rocco Galati et Russell L. Kaplan pour l’appelant.

Bernard Assan et B. Asha Gafar pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Rocco Galati Law Firm Professional Corporation, Toronto, pour l’appelant.

Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l’audience par

[1]        Le juge Evans, J.C.A. : Brandon Carl Huntley, un citoyen de race blanche de l’Afrique du Sud, s’est vu reconnaître la qualité de réfugié par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) [X (Re), 2009 CanLII 90063]. La Commission a jugé que M. Huntley avait raison de craindre d’être persécuté du fait de sa race. La décision a fait l’objet d’un énorme battage médiatique et a été qualifiée de raciste par le gouvernement de l’Afrique du Sud.

[2]        Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) a saisi la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire en vue de faire annuler la décision de la Commission. L’affaire a été soumise au juge Russell (le juge), qui a estimé que la décision de la Commission était déraisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait. Il a par conséquent fait droit à la demande et renvoyé l’affaire à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision conformément à ses motifs, qui sont publiés à 2010 CF 1175, [2012] 3 R.C.F. 3.

[3]        M. Huntley affirmait quant à lui que l’instance constituait un abus de procédure parce que le ministre avait présenté la demande de contrôle judiciaire en réponse aux pressions diplomatiques exercées par le gouvernement de l’Afrique du Sud et qu’une décision de la Cour favorable au ministre donnerait lieu à une crainte raisonnable de partialité et à un manque d’indépendance judiciaire. Le juge a rejeté cet argument après avoir conclu que rien ne permettait de penser que le ministre avait introduit la demande de contrôle judiciaire pour une autre raison que le fait qu’il estimait que la décision de la Commission était erronée.

[4]        L’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIRP), prévoit que le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci.

[5]        En l’espèce, le juge a refusé de certifier les questions proposées par l’avocat de l’intimé au sujet de la présumée ingérence politique dans le déroulement de l’instance introduite en vertu de la LIPR et au sujet des allégations de présumés partialité et manque d’indépendance. Il a estimé que les questions proposées étaient hypothétiques, car la prémisse sur laquelle elles reposaient — en l’occurrence la prémisse suivant laquelle le ministre avait introduit la demande de contrôle judiciaire par suite de pressions diplomatiques dont il avait fait l’objet — n’avait aucun fondement factuel.

[6]        Non rebuté par ce refus, l’avocat de M. Huntley a interjeté appel devant notre Cour en faisant valoir que, suivant la jurisprudence, l’alinéa 74d) n’exclut pas le droit général d’interjeter appel d’une décision de la Cour fédérale en vertu de l’article 27 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 34] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], lorsque le moyen d’appel invoqué est que le juge de première instance était partial ou qu’il s’est attribué à tort compétence ou a décliné à tort sa compétence.

[7]        Nous sommes d’accord pour dire que, malgré le libellé apparemment clair de l’alinéa 74d), le législateur fédéral ne pouvait avoir l’intention de mettre à l’abri de tout examen en appel des erreurs qui, si elles échappaient à tout examen, auraient pour effet d’ébranler la primauté du droit et de miner la confiance du public envers la bonne administration de la justice. Nous estimons toutefois que les erreurs que le juge aurait commises en l’espèce n’entrent pas dans cette catégorie étroite.

[8]        La principale soi‑disante erreur « de compétence » invoquée par l’avocat de M. Huntley concerne le fait que le juge n’a pas appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable aux conclusions de fait tirées par la Commission. L’avocat soutient que le juge a substitué sa propre appréciation de la preuve à celle de la Commission et qu’il a tiré de nouvelles conclusions de fait. Or, même si le juge a commis l’erreur qu’on lui reproche, l’omission d’appliquer la bonne norme de contrôle est une erreur de droit « ordinaire » et non une usurpation de pouvoir qui échapperait à l’application de l’alinéa 74d).

[9]        L’avocat de M. Huntley soutient également que la Cour devrait entendre l’appel parce que l’appelant reproche au ministre d’avoir commis un abus de procédure. Le juge a toutefois conclu que cette allégation n’était pas étayée par la preuve et il a donc refusé de certifier les questions de droit proposées par l’avocat parce qu’elles étaient hypothétiques.

[10]      Même si l’abus de procédure allégué en l’espèce pouvait faire l’objet d’un appel en l’absence d’une question certifiée, nous ne sommes pas persuadés que le juge a commis une erreur donnant lieu à révision en rejetant les allégations au motif qu’elles n’étaient pas appuyées par la preuve. Il s’ensuit que les allégations connexes au sujet de la crainte de partialité et du manque d’indépendance du juge doivent également être rejetées.

[11]      À titre subsidiaire, l’avocat affirme que l’alinéa 74d) est contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Nous ne sommes pas de cet avis. Cette question a été réglée dans l’arrêt Huynh c. Canada, [1996] 2 C.F. 976 (C.A.).

[12]      Nous n’estimons pas non plus, vu les faits de l’espèce, que M. Huntley a démontré qu’il n’aura pas droit à une audience impartiale lorsque l’affaire sera examinée de nouveau par la Commission.

[13]      Pour ces motifs, l’appel sera rejeté. Le fait que le présent appel soit dénué de tout fondement constitue une des « raisons spéciales » prévues par l’article 22 [mod. par DORS/2002-232, art. 11] des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 [mod. par DORS/2005-339, art. 1], de sorte que les dépens de l’appel seront donc adjugés au ministre.

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