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Référence :

Harkat (Re),

2009 CF 1050, [2010] 4 R.C.F. 149

DES-5-08

DES-5-08

2009 CF 1050

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);

ET le dépôt de ce certificat devant la Cour fédérale du Canada en vertu des paragraphes 77(1) et 83(1) de la Loi;

ET Mohamed HARKAT

Répertorié : Harkat (Re)

Cour fédérale, juge Noël—Ottawa, 26 et 30 juin, 2 et 3 juillet, 10 septembre et 15 octobre 2009.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Certificat de sécurité — Examen des circonstances menant au défaut des ministres de divulguer des renseignements concernant la fiabilité d’une source humaine — Des déclarations faites par des témoins du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) relativement à la matrice sur la source étaient incomplètes — Les témoins du SCRS ne devaient pas être les seuls blâmés pour cette défaillance — Le SCRS doit veiller à ce que les témoins soient renseignés sur le rôle dont on leur demande de s’acquitter — Ces témoins devraient disposer de l’assentiment et du soutien du SCRS lorsqu’il leur est demandé de prendre d’importantes décisions relativement à l’instance — Le SCRS et les ministres devaient transmettre à la Cour tous les renseignements requis pour vérifier la crédibilité de la source — La non-divulgation des ministres n’avait pas porté atteinte aux droits de M. Harkat garantis par la Charte canadienne des droits et libertés; l’art. 24(1) n’a donc pas reçu application — Toutefois, le défaut des ministres a porté atteinte à l’intégrité de la procédure de la Cour — La preuve présentée a conduit à la conclusion que l’information produite à l’appui du certificat avait été « filtrée » et que les engagements pris envers la Cour n’avaient pas été respectés — Dans cette situation exceptionnelle, la production de dossiers d’une autre source humaine sur laquelle les ministres se sont fondés a été ordonnée.

Il s’agissait d’un examen, institué à l’initiative de la Cour, des circonstances qui ont conduit au défaut des ministres de divulguer à la Cour et aux avocats spéciaux des renseignements concernant la fiabilité d’une source humaine (les renseignements liés au test polygraphique). Lorsqu’elle a eu connaissance de ce défaut, la Cour a délivré une ordonnance datée du 27 mai 2009 accordant aux avocats spéciaux l’accès à un des dossiers de sources humaines. La Cour a ensuite donné une directive publique par laquelle elle offrait aux trois témoins du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) l’occasion d’expliquer leurs dépositions ainsi que leur défaut de lui avoir fourni d’importants renseignements.

Les motifs en l’espèce abordaient les sujets d’inquiétudes qu’occasionnait chaque témoin et contenaient des commentaires sur le rôle qu’a joué le SCRS en tant qu’institution. Ils portaient aussi sur une demande présentée par les avocats spéciaux pour que soient exclus tous les renseignements fournis par la source humaine en cause à titre de réparation en application du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Jugement : la production des dossiers d’une autre source humaine secrète sur lesquels les ministres se sont fondés pour étayer les allégations portées contre M. Harkat a été ordonnée.

L’objet de la matrice sur la source est de fournir à la Cour, ainsi qu’aux avocats spéciaux, les outils leur permettant de bien vérifier la fiabilité des renseignements fournis par la source. Tous les renseignements utiles concernant la crédibilité et la fiabilité de la source, y compris les motifs de celle-ci, son évaluation, sa rémunération et ses antécédents, doivent être inclus dans la matrice. Des déclarations faites par les trois témoins relativement à la matrice sur la source en cause en l’espèce étaient incomplètes. Cependant, il ressortait manifestement des dépositions que les trois témoins ne devraient pas être les seuls blâmés pour ce qui semblait relever en partie d’une défaillance en tant qu’institution du SCRS. Le SCRS doit s’assurer que les témoins qu’il appelle à déposer sont convenablement renseignés sur le rôle dont on leur demande de s’acquitter. Des avocats doivent les préparer minutieusement, et leurs avocats et eux-mêmes doivent avoir accès à toutes les données factuelles dont ils ont besoin. Ces témoins, en outre, doivent disposer de l’assentiment et du soutien du SCRS lorsqu’il leur est demandé de prendre d’importantes décisions relativement à l’instance.

Cette absence de soutien, ainsi que la crainte du SCRS en tant qu’institution de divulguer des renseignements sur des sources humaines, même à ses propres avocats et aux personnes appelées à témoigner à l’appui du caractère raisonnable du certificat, ont été la cause, en partie du moins, de la non-divulgation de renseignements concernant la fiabilité d’une source humaine sur laquelle le SCRS s’est appuyé pour établir le bien-fondé de ses prétentions contre M. Harkat. Pour se conformer à la loi, le SCRS et les ministres doivent transmettre à la Cour tous les renseignements requis pour vérifier la crédibilité de la source, et pas seulement l’information qu’un témoin, ayant une formation d’agent de renseignements, juge nécessaire de divulguer sur le plan opérationnel. Le SCRS doit également s’assurer que rien n’empêche son avocat de bien s’acquitter auprès de lui de son rôle de conseiller juridique, et de bien agir comme auxiliaire de la Cour. Des ressources administratives et juridiques suffisantes doivent être mises à contribution pour pareil dossier qui est si complexe et qui requiert tant de temps.

Au vu de l’évolution de la procédure pour les certificats de sécurité, l’avocat qui représente les ministres doit connaître parfaitement la jurisprudence et la loi en évolution constante, et pouvoir bien préparer les employés du SCRS appelés à témoigner devant la Cour. La primauté du droit ne peut être écartée en raison d’un manque de temps ou de ressources, ou parce qu’une institution offre de la résistance face à l’évolution de la procédure applicable aux certificats de sécurité. La décision incombant aux ministres quant au choix des éléments de preuve à produire ne doit pas être laissée entre les mains d’un témoin sans formation juridique. Une procédure doit être instaurée pour s’assurer que les décisions sont prises après que tous les intéressés ont été convenablement consultés et que des conseils juridiques ont été dûment obtenus.

S’agissant du paragraphe 24(1) de la Charte et de la demande présentée par les avocats spéciaux pour que soit exclu tout renseignement fourni par la source humaine qui a été soumise au test polygraphique, la preuve ne suffisait pas pour conclure que les droits garantis à M. Harkat par la Charte avaient été violés. Par conséquent, le paragraphe 24(1) n’a pas reçu application. Toutefois, le défaut du SCRS, et de ses témoins, de se conformer à l’obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue reconnue dans l’arrêt Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299, a porté atteinte à l’intégrité de la procédure de la Cour.

Le droit requiert que le SCRS concilie son obligation de divulguer tous les renseignements utiles, de manière complète et fidèle, avec le besoin légitime au plan opérationnel de protéger la confidentialité de ses sources humaines. Bien que les ministres et les agents de renseignements du SCRS puissent très bien avoir leur propre opinion sur la fiabilité des renseignements de la source humaine, ils ne peuvent imposer cette opinion en restreignant les renseignements fournis à la Cour et aux avocats spéciaux. La preuve présentée à la Cour a mené à la conclusion que l’information produite par les ministres à l’appui du certificat avait été « filtrée » et que les engagements pris envers la Cour n’avaient pas été respectés. Filtrer la preuve, même en étant animé des meilleures intentions, n’est pas acceptable. Ne pas respecter comme il convient les engagements pris envers une cour, cela n’est pas davantage acceptable. Si les renseignements liés au test polygraphique n’avaient pas été portés à l’attention de la Cour, il y avait un fort risque qu’une atteinte flagrante à l’équité procédurale aurait été commise à l’endroit de M. Harkat. La reconnaissance par les ministres de leur défaut de divulgation de renseignements satisfaisait au critère permettant d’écarter la source humaine secrète de renseignements sur laquelle les ministres se sont fondés. En conséquence, dans cette situation exceptionnelle, il était nécessaire d’ordonner la production de dossiers d’une autre source humaine sur laquelle les ministres se sont fondés. Une telle ordonnance dissiperait toute inquiétude quant à la capacité des avocats spéciaux de vérifier pleinement la preuve. Elle est également essentielle pour réparer l’atteinte portée à la bonne administration de la justice, et pour rétablir le climat de confiance qui doit régner dans le cadre d’une procédure judiciaire aussi exceptionnelle. Toutefois, le dossier ne devait être remis qu’à la Cour et aux avocats spéciaux. En aucune circonstance le dossier ne devra-t-il être divulgué à M. Harkat, à son avocat non plus qu’au public.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 24(1).

Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, L.C. 2008, ch. 3.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 78 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), 83(1)a),h) (mod., idem).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299; MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725; Cook v. Ip et al. (1985), 52 O.R. (2d) 289, 22 D.L.R. (4th) 1, 5 C.P.C. (2d) 81 (C.A.); Harkat (Re), 2009 CF 204, [2009] 4 R.C.F. 370.

décision examinée :

Harkat (Re), 2009 CF 553.

décisions citées :

Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3; Harkat (Re), 2005 CF 393; Harkat (Re), 2009 CF 203; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326.

EXAMEN des circonstances qui ont mené au défaut des ministres de divulguer à la Cour et aux avocats spéciaux des renseignements concernant la fiabilité d’une source humaine. La production des dossiers d’une autre source humaine a été ordonnée.

ONT COMPARU

Simon Fothergill pour le procureur général du Canada.

Leonard M. Shore, c.r. pour le témoin C.

Patrick F. D. McCann pour le témoin R.

Jean G. Legault pour le témoin A.

Paul D. Copeland et Paul J. J. Cavalluzzo à titre d’avocats spéciaux.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.

Shore Davis Hale, Ottawa, pour le témoin C.

McCann Law Offices, Ottawa, pour le témoin R.

Burke-Robertson LLP, Ottawa, pour le témoin A.

Paul D. Copeland, Toronto, et Paul J. J. Cavalluzzo, Toronto, à titre d’avocats spéciaux.

Ce qui suit est la version française des motifs publics de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

Le juge Noël :

Introduction

[1] Il s’agit d’une ordonnance et de motifs d’ordonnance se rapportant à une procédure instituée à l’initiative de la Cour pour examiner les circonstances qui ont conduit au défaut des ministres de divulguer à la Cour et aux avocats spéciaux des renseignements concernant la fiabilité d’une source humaine (les renseignements liés au test polygraphique). Lorsqu’elle a eu connaissance du défaut de divulgation des renseignements liés au test polygraphique au moyen d’une lettre datée du 26 mai 2009 (la version publique est jointe aux présents motifs à titre d’annexe 1), la Cour a délivré une ordonnance et des motifs d’ordonnance datés du 27 mai 2009 et disposant d’une requête, présentée précédemment par les avocats spéciaux dans le cadre de la présente instance, sollicitant l’accès à des dossiers de sources humaines. Dans l’ordonnance du 27 mai 2009, la Cour a accueilli en partie la requête des avocats spéciaux, et leur a accordé l’accès à un des dossiers de sources humaines (se reporter à Harkat (Re), 2009 CF 553).

[2] Le 4 juin 2009, l’avocat général principal du SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité] a reconnu dans une lettre adressée au juge en chef de la Cour fédérale que [traduction] « [l]e défaut d’inclure des renseignements utiles dans la matrice sur la source était inexcusable, et c’est là un sujet de grave inquiétude pour le Service » (se reporter à la lettre du 4 juin 2009 ci-jointe à titre d’annexe 2).

[3] Le 5 juin 2009, la Cour a transmis aux parties une communication par laquelle elle les informait qu’elle avait tenu une audience à huis clos en présence des avocats spéciaux et de l’avocat des ministres. La Cour a appris à cette audience que des membres de la haute direction du SCRS avaient demandé à un gestionnaire du Service de mener une enquête sur les circonstances ayant entouré la non-divulgation des renseignements liés au test polygraphique. La Cour a également informé l’avocat des ministres qu’elle comptait rappeler les trois témoins qui avaient déposé et qu’elle se réservait le droit d’assigner d’autres témoins.

[4] Le 15 juin 2009, la Cour a tenu une audience à huis clos où l’on a traité de la manière dont elle devrait procéder à l’égard de cette question. Les avocats spéciaux et l’avocat du procureur général étaient présents.

[5] Le 16 juin 2009, la Cour a donné des directives publiques par laquelle elle offrait aux trois témoins du SCRS l’occasion d’expliquer leurs dépositions ainsi que leur défaut de lui avoir fourni d’importants renseignements. La Cour a également donné au procureur général et aux avocats spéciaux l’occasion d’aborder les questions suivantes :

a) l’observation par le SCRS des ordonnances de la Cour, en particulier les ordonnances du 24 septembre et du 28 novembre 2008;

b) l’éventuelle prévarication de témoins du SCRS appelés à témoigner au sujet de la fiabilité des renseignements fournis par une source humaine;

c) le respect par le SCRS de l’obligation que lui impose la jurisprudence de faire preuve ex parte de la bonne foi la plus absolue (se reporter à Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 27; et à Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299, aux paragraphes 153 et 154).

[6] Les trois témoins ont choisi de se présenter devant la Cour pour expliquer leurs actes. Ils étaient représentés par des avocats indépendants à qui on avait accordé l’accès à tous les renseignements utiles. Chacun des trois témoins a été interrogé par son avocat et contre-interrogé par l’avocat du procureur général et par M. Cavalluzzo, un avocat spécial. Les avocats indépendants ont également eu l’occasion d’interroger de nouveau leur client.

[7] L’un des trois témoins a demandé, et obtenu, l’autorisation d’appeler un polygraphiste à témoigner dans le cadre de la présente instance.

[8] Une audience à huis clos d’une durée de trois jours a été tenue en juin 2009, en raison de la nature délicate des renseignements en cause, à savoir des renseignements relatifs à une source humaine.

[9] Les trois témoins ainsi que le procureur général ont déposé des documents. L’un de ces documents était un rapport en date de juin 2009 du SCRS (le rapport interne) établi par un haut gestionnaire à la demande de la haute direction du SCRS. Le SCRS a décrit ce document comme l’une des mesures prises pour remédier au défaut de divulgation complète à la Cour des renseignements liés au test polygraphique (se reporter à la lettre en date du 4 juin 2009 adressée au juge en chef par l’avocat général principal du SCRS — annexe 2).

[10] Le rapport interne, fondé sur des entrevues menées auprès d’employés du SCRS, renferme de l’information relative à la non-divulgation des renseignements liés au test polygraphique. L’enquêteur n’a toutefois fait passer d’entrevue à aucune personne pouvant être appelée à témoigner dans la présente instance. Le rapport ne bénéficie donc pas de l’éclairage de diverses personnes ayant participé directement aux événements qui ont été à l’origine ou ont été la cause de la non‑divulgation de renseignements concernant la fiabilité de la source humaine. À ce titre, le rapport interne, déposé comme pièce en application de l’alinéa 83(1)h) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (la LIPR), a été admis en preuve mais on ne lui a accordé aucun poids dans l’appréciation de la déposition des témoins dans la présente instance. Le rapport interne a servi aux avocats pour démarrer l’interrogatoire des témoins.

[11] En août 2009, finalement, les avocats ont présenté des observations écrites.

[12] Dans leurs observations datées du 27 août 2009, les avocats spéciaux ont demandé, pour la première fois, que soient exclus tous les renseignements fournis par la source humaine en cause à titre de réparation, en application du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte).

[13] Le procureur général a été autorisé à soumettre des observations en réponse aux questions liées à la Charte soulevées par les avocats spéciaux. Ces observations en réponse ont été déposées le 10 septembre 2009.

[14] Tout au long du processus, la Cour a pris en compte les éléments suivants : l’importance capitale qu’il y a à assurer un traitement équitable à M. Harkat; la réputation des trois employés du SCRS qui ont comparu comme témoins; la réputation des autres employés du SCRS qui ont été mentionnés dans le rapport interne mais qui n’ont pas témoigné; la réputation des personnes qui n’ont pas témoigné ni n’ont subi une entrevue pour les besoins du rapport interne; la procédure en cours relative au certificat de sécurité; les alinéas 83(1)a) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] et h) de la LIPR; les impératifs de la primauté du droit; la bonne administration de la justice; la sécurité nationale du Canada.

[15] Je désire souligner que la présente procédure, instituée à l’initiative de la Cour, ne consiste pas en un examen complet et exhaustif des événements qui ont conduit à la non-divulgation des renseignements liés au test polygraphique. Seuls les employés du SCRS ayant comparu comme témoins devant la Cour dans l’instance sous-jacente relative au certificat se sont vu demander d’expliquer leurs actes. Procéder à un examen plus détaillé aurait retardé encore davantage la décision à rendre quant au caractère raisonnable du certificat et n’aurait pas été, au stade actuel, dans l’intérêt de la justice. Les conclusions de fait tirées dans la présente décision ne valent que dans le contexte étroit de la procédure qui nous occupe, et ne devraient pas empêcher la tenue de toute enquête d’établissement des faits jugée nécessaire ni en restreindre la portée. La question soulevée dans la première instance relative au certificat (se reporter à Harkat (Re), 2009 CF 553, au paragraphe 16) n’a pu être entièrement réglée. Par conséquent, la Cour ne traitera pas maintenant de cette question.

Défaut de divulguer

[16] L’objet des présents motifs est d’aborder les sujets d’inquiétude qu’occasionne chaque témoin à la Cour, et de faire des commentaires sur le rôle qu’a joué le SCRS en tant qu’institution. Vu l’importance des questions soulevées dans la présente procédure, il ne sera fait mention dans les présents motifs d’aucun renseignement de nature délicate. Les trois témoins qui ont déposé en juin 2009 demeureront anonymes et seront désignés en tant que témoins A, C et R. Les postes occupés par A, C et R au sein du SCRS ne seront pas divulgués. Le polygraphiste appelé à témoigner par l’avocat du témoin C sera désigné par sa seule fonction.

[17] On passera en revue, dans les paragraphes qui suivent, les événements ayant mené à la délivrance de l’ordonnance du 27 mai 2009, par laquelle la Cour se réservait le droit de rappeler les trois témoins quant à la question de la non-divulgation des renseignements liés au test polygraphique.

[18] Le 15 mai 2009, la Cour a reçu un courriel dans lequel l’avocat du SCRS déclarait qu’il lui communiquerait d’autres renseignements susceptibles de l’aider à trancher la requête présentée par les avocats spéciaux pour obtenir l’accès au dossier de la source humaine.

[19] Dans une lettre confidentielle transmise à la Cour le 26 mai 2009 (par la suite expurgée et rendue publique — se reporter à l’annexe 1), l’avocat des ministres a fait allusion à des inexactitudes dans la [traduction] « matrice sur la source » qui avait été déposée, en septembre 2008, comme élément de la pièce A versée dans le cadre de la partie à huis clos de la présente instance.

[20] L’objet de la matrice sur la source est de fournir à la Cour, ainsi qu’aux avocats spéciaux, les outils leur permettant de bien vérifier la fiabilité des renseignements fournis par la source. Tous les renseignements utiles concernant la crédibilité et la fiabilité de la source, y compris les motifs de celle-ci, son évaluation, sa rémunération et ses antécédents, doivent être inclus dans la matrice (se reporter à Harkat (Re), 2005 CF 393, aux paragraphes 93, 94 et 98, la juge Dawson).

[21] Dans la matrice sur la source figurant dans la pièce A versée dans le cadre de la partie à huis clos de la présente instance, il y a une section intitulée [traduction] « test polygraphique » où l’on traite de l’administration d’un tel test à l’une des sources humaines sur lesquelles s’est fondé le SCRS. Dans la version 2008 de la matrice, on déclarait ce qui suit dans la section sur le test polygraphique :

[traduction]

Ces éléments font douter de la loyauté de 22222222222 envers le Service et nous ont fait nous interroger sur les activités et les fréquentations de, 2 22, 2 222. En 2002, par conséquent, le Service a fait passer un test polygraphique à la source.

Un spécialiste indépendant 2 222 a analysé les graphiques et établi que 22 22 s’exprimait avec franchise lorsqu’il a déclaré ne pas être membre d’autres agences non plus que d’organisations militantes.

[22] Cette déclaration était incomplète et, comme l’a reconnu le SCRS (se reporter à la lettre du 26 mai 2009 — annexe 1), on aurait dû y faire état, à tout le moins, des renseignements qui suivent :

- En 2002, la source humaine a subi un test polygraphique et on a conclu qu’elle n’avait répondu avec franchise à aucune des questions pertinentes.

- En 2008, avant que ne débute l’audience à huis clos au début du mois de septembre, les résultats du test polygraphique ont été transmis, à la demande du témoin C, pour vérification de la qualité. On a conclu, après avoir procédé à cette vérification, que la source humaine avait répondu avec franchise à la moitié des questions pertinentes et, quant à l’autre moitié, que les résultats obtenus auraient dû être jugés « non concluants ».

[23] Dans le cadre de sa déposition dans l’instance sous-jacente relative au certificat, et du suivi donné à tout engagement qui a pu être pris pendant cette déposition, chaque témoin a eu l’occasion de divulguer les renseignements liés au test polygraphique. Je vais maintenant passer en revue les actes de chaque témoin, et évaluer les explications données par chaque témoin, selon l’ordre chronologique des comparutions devant la Cour.

Témoin C

[24] Le témoin C a déposé devant la Cour en septembre 2008. C’était le seul témoin appelé par les ministres, lors de l’audience à huis clos, à l’appui du caractère raisonnable du certificat. Pour se préparer, le témoin C avait passé en revue le dossier de M. Harkat, le Rapport sur les renseignements de sécurité (le RRS) confidentiel et l’ébauche de la pièce A où figurait la matrice sur la source. Après l’avoir demandé à plusieurs reprises, le témoin C a obtenu l’accès aux dossiers des diverses sources humaines qui avaient fourni au SCRS des renseignements sur M. Harkat. Étant donné ses connaissances préalables, le témoin a eu des inquiétudes à l’égard des renseignements liés au test polygraphique qu’il a lus dans le dossier d’une source humaine, et par suite, il a sollicité l’autorisation de demander que les résultats du test polygraphique de la source humaine soient soumis à un contrôle de la qualité. L’autorisation a été accordée, mais pas selon la voie habituelle.

[25] Le 5 septembre 2008, le rapport de contrôle de la qualité a été remis au témoin C. Compte tenu des conclusions énoncées dans ce document, le témoin C a apporté des modifications à la section sur le test polygraphique de la matrice sur la source figurant à la pièce A. Plus particulièrement, le témoin C a remplacé la conclusion de 2002, selon laquelle la source n’avait pas répondu avec franchise à plusieurs questions pertinentes, par les résultats de la vérification de la qualité de 2008, selon lesquels la source avait répondu avec franchise à deux des questions pertinentes posées (se reporter aux paragraphes 21 et 22). Aucune allusion n’était faite, en outre, à l’intervalle de six ans séparant le moment de l’administration du test polygraphique et le moment de la réception des résultats du contrôle de la qualité.

[26] Le témoin C a donné comme explication que, pour un agent de renseignements, les résultats figurant dans le rapport de contrôle de la qualité était ceux ayant un caractère déterminant. Les résultats tirés de l’évaluation de la qualité l’emportaient essentiellement sur ceux de toute évaluation antérieure, et c’étaient donc les seuls qu’il aurait transmis à ses supérieurs du SCRS. C’est pour cette raison que le témoin C a choisi de modifier, le 5 septembre 2008, la matrice sur la source.

[27] La déposition du témoin C pourrait toujours expliquer (mais non pas justifier) sa décision de modifier, avant que ne soit tenue l’audience de septembre 2008, les renseignements liés au test polygraphique. Sa déposition n’explique pas pourquoi, toutefois, il n’a pas répondu aux questions que la Cour lui a posées à l’audience à huis clos quant à savoir s’il y avait quoi que ce soit d’inhabituel concernant les sources humaines dans le dossier. La Cour a fourni plusieurs fois au témoin C l’occasion, pendant sa déposition en septembre 2008, de divulguer les renseignements liés au test polygraphique, mais il ne l’a pas fait. Son explication selon laquelle [traduction] « il n’avait pas cela présent à l’esprit » n’est pas satisfaisante.

[28] La Cour a remarqué que le témoin C considérait son rôle comme étant limité. Sa formation d’agent de renseignements influait manifestement sur le témoin C; or, tel n’aurait pas dû être le cas. Le témoin C aurait dû avoir pour objectif de divulguer à la Cour toute l’information dont elle avait besoin pour évaluer la fiabilité des renseignements fournis par la source humaine. Si le témoin C avait agi en ce sens, tant la Cour que les avocats spéciaux auraient été en mesure de s’acquitter du mandat respectif que la loi leur confère. Tel que le témoin C l’a dit à la Cour, [traduction] « l’information, je le sais maintenant, aurait dû être divulguée ».

[29] À titre d’institution, cette fois, le SCRS aurait dû davantage soutenir et informer le témoin C quant à son rôle de témoin essentiel appelé à l’appui du caractère raisonnable du certificat. Le SCRS aurait dû donner au témoin C une formation adéquate et lui prodiguer les conseils appropriés. En outre, ce n’est pas au témoin C qu’il aurait dû incomber de décider quels renseignements sur la source humaine auraient dû être inclus ou non dans la matrice. Toutes les modifications apportées à la matrice sur la source humaine auraient dû être approuvées par des personnes ayant accès au dossier de celle-ci et par la direction de gestion des litiges avant que la matrice ne soit intégrée à la pièce A.

[30] Le témoin C a reconnu après coup qu’il aurait dû inclure tous les renseignements liés au test polygraphique dans la matrice sur la source, et qu’il aurait dû divulguer ces renseignements lorsque la Cour l’a interrogé en septembre 2008. Étant donné l’explication donnée par le témoin C en juin 2009, je n’en viens toutefois pas à la conclusion que celui-ci a délibérément exclu des renseignements ou omis d’en divulguer.

[31] La Cour met en délibéré la question de la valeur à accorder à la déposition du témoin C à l’appui des allégations formulées par les ministres dans le RRS, y compris celles concernant la fiabilité des renseignements fournis par les sources humaines pour établir le caractère raisonnable du certificat.

Témoin A

[32] Le témoin A a été appelé pour témoigner sur la nécessité de maintenir expurgés certains rapports d’enquête liés indirectement aux sources humaines, par suite de l’ordonnance du 28 novembre 2008 de la Cour (se reporter à Harkat (Re), 2009 CF 203). Le témoin A a déposé à trois reprises, soit le 3 février 2009, le 14 avril 2009 et le 13 mai 2009.

[33] La Cour a demandé au témoin A, lors de sa déposition le 3 février 2009, de lui fournir de l’information quant à une recommandation faite dans un des rapports selon laquelle il faudrait faire subir un test polygraphique à une source humaine. Le témoin A s’est engagé à fournir cette information. Il a établi qu’un tel test avait été administré en 2002, puis a transmis cette information à son avocat. Il n’a pas passé en revue les résultats du test polygraphique, et aucun suivi écrit donné à ses engagements n’a été déposé.

[34] Le 25 mars 2009, le témoin A a reçu un courriel dans lequel un avocat lui demandait de vérifier si le dossier de la source humaine renfermait d’autres renseignements concernant les résultats du test polygraphique.

[35] Le 26 mars 2009, un subalterne a porté à l’attention du témoin A par courriel les inexactitudes dans la matrice sur la source, en faisant ressortir particulièrement la différence entre les renseignements figurant dans la matrice et ceux versés au dossier sur le test polygraphique.

[36] Le 26 mars 2009, le témoin A a renvoyé toute l’affaire à la direction de la gestion des litiges, plutôt que de porter à l’attention de l’avocat les renseignements liés au test polygraphique. Il a agi ainsi parce que c’était là la voie hiérarchique à suivre. L’avocat devait adresser à cette direction, et non pas à la direction dont était membre le témoin A, toute demande de renseignements. Et les hauts gestionnaires de la direction de la gestion des litiges devaient « remettre à plus tard » la prise de toute nouvelle mesure, ce qu’a fait le témoin A.

[37] Le témoin A s’est également fondé sur une note au dossier du 19 septembre 2008 où l’on indiquait que tous les renseignements utiles liés au test polygraphique avaient été fournis par le témoin C à la Cour. Le témoin A a ainsi présumé que la direction de la gestion des litiges savait quels renseignements avaient été communiqués à la Cour, et traiterait de la façon voulue la demande de renseignements additionnels présentée par l’avocat.

[38] Je conclus que le témoin A n’a pas respecté ses engagements envers la Cour. Il n’a pas donné suite convenablement à ses engagements du 3 février 2009, ni n’a vérifié quels renseignements « utiles » le témoin C avait fournis à la Cour. Cela constitue particulièrement un problème compte tenu des inquiétudes que lui avait exprimées son subalterne. Cela dit, je conclu, après examen de la preuve dont je suis saisi, que le témoin A n’avait pas l’intention de cacher des renseignements à la Cour. Toutefois, comme il faut prendre bien au sérieux les engagements pris dans le cadre d’une instance judiciaire, le témoin A aurait dû consentir davantage d’efforts pour s’assurer qu’un suivi était bel et bien donné à ses engagements, de manière exhaustive. Se fier que d’autres donneraient un suivi à ses engagements ne suffisait pas. C’est aux témoins qui prennent des engagements envers la Cour qu’il incombe de s’assurer du caractère adéquat du suivi présenté à la Cour par l’entremise de leur avocat.

Témoin R

[39] Le 16 avril 2009, la Cour a demandé aux ministres de rappeler le témoin R pour qu’il réponde aux questions que pourraient vouloir lui poser les avocats spéciaux au sujet, notamment, de la gestion et de l’évaluation des sources humaines et de la rémunération de la source humaine. Le témoin R s’est engagé à prendre connaissance du dossier de la source humaine, de manière à pouvoir être interrogé et contre-interrogé sur sa teneur. Il s’est vu demander, plus particulièrement, d’étudier le dossier et de se préparer à répondre à des questions concernant la rémunération de la source et la fiabilité de ses renseignements. L’expérience récemment acquise par lui au sein du SCRS et sa connaissance du milieu du renseignement rendaient le témoin R apte à déposer sur ces questions.

[40] Le témoin R a déposé devant la Cour le 6 mai 2009. Au cours de sa déposition, on l’a interrogé au sujet de la section sur le test polygraphique de la matrice sur la source; il a répondu qu’il ne s’était guère attardé à cette partie du dossier de la source humaine. Le témoin R s’est engagé à répondre aux questions posées par la Cour, ce qu’il a fait le 13 mai 2009 dans le suivi donné aux engagements des ministres (pièce M‑32 versée dans l’instance tenue à huis clos); ce suivi ne peut toutefois être considéré qu’incomplet et inexact.

[41] Le témoin R a comparu de nouveau le 25 juin 2009 pour fournir des explications sur sa déposition antérieure et sur le suivi du 13 mai 2009 donné à ses engagements. Le témoin R a déclaré dans sa déposition qu’il n’avait pas eu pleinement le temps de se préparer pour sa comparution. Il avait récemment changé de poste et ses tâches quotidiennes l’occupaient à plein temps, de telle sorte qu’il n’avait pas eu le temps de se préparer méticuleusement pour sa déposition. Le témoin R a déclaré qu’il ne s’était pas attardé à la section sur le test polygraphique, comme on ne lui avait pas signalé qu’il s’agissait là d’une question d’intérêt particulier pour la Cour. Il a également expliqué que sa propre opinion sur la valeur des renseignements obtenus à l’aide d’un polygraphe aux fins de l’évaluation de la fiabilité d’une source humaine l’aurait aussi conduit à ne pas fixer son attention sur cette partie du dossier.

[42] Le témoin R a déclaré qu’il n’avait ni établi ni révisé le suivi donné à ses engagements avant qu’il ne soit déposé devant la Cour. Qu’il suffise de dire qu’il aurait dû le faire.

[43] Encore une fois, je ne conclus pas qu’il y a eu tentative délibérée de la part du témoin R de dissimuler de l’information. La Cour estime toutefois que le témoin R aurait dû comprendre l’importance de son témoignage, et prendre le temps de se préparer adéquatement et de surveiller en personne le suivi donné à ses engagements envers la Cour. S’il en avait été ainsi, davantage de renseignements auraient vraisemblablement été divulgués à la Cour.

Rôle joué par le SCRS dans la non-divulgation

[44] Ce qui ressort manifestement des dépositions des trois témoins et des documents déposés comme pièces à la présente audience, c’est que les témoins A, C et R ne devraient pas être les seuls blâmés pour ce qui semble relever en partie, d’après les faits dont je suis saisi, d’une défaillance en tant qu’institution du SCRS. Les personnes à qui le SCRS demande de témoigner à l’appui du caractère raisonnable d’un certificat doivent continuer de s’acquitter de leur charge quotidienne de travail. Elles ne sont pas habituées à témoigner et elles se présentent devant la Cour avec tout leur acquis professionnel. Plus important encore, en l’espèce, les avocats des témoins n’ont pas eu accès à des renseignements qui leur auraient permis de donner à leurs clients des conseils juridiques adéquats.

[45] Cette situation est inacceptable. Le SCRS doit s’assurer que les témoins qu’il appelle à déposer sont convenablement renseignés sur le rôle dont on leur demande de s’acquitter. Des avocats doivent les préparer minutieusement, et leurs avocats et eux-mêmes doivent avoir accès à toutes les données factuelles dont ils ont besoin. Ces témoins, en outre, doivent disposer de l’assentiment et du soutien du SCRS lorsqu’il leur est demandé de prendre d’importantes décisions relativement à l’instance.

[46] Il semble, d’après la preuve présentée à la Cour en juin et juillet 2009, qu’un petit nombre d’employés du SCRS ont eu à prendre d’importantes décisions pour les besoins de la présente instance (notamment quant à la teneur de la matrice sur la source humaine), sans bénéficier des conseils ou d’un appui adéquats.

[47] Cette absence de soutien, ainsi que la crainte du SCRS en tant qu’institution de divulguer des renseignements sur des sources humaines, même à ses propres avocats et aux personnes appelées à témoigner à l’appui du caractère raisonnable du certificat, ont été la cause, en partie du moins, de la non-divulgation de renseignements concernant la fiabilité d’une source humaine sur laquelle le SCRS s’est appuyé pour établir le bien-fondé de ses prétentions contre M. Harkat.

[48] Dans une ordonnance antérieure (Harkat (Re), 2009 CF 204, [2009] 4 R.C.F. 370, au paragraphe 24), la Cour a reconnu l’importance pour la sécurité nationale du Canada des renseignements provenant de sources humaines, ainsi que la nécessité de protéger l’identité de ces sources. L’importance des sources humaines pour l’obtention de renseignements n’est pas mise en cause. Toutefois, lorsqu’on invoque des renseignements provenant de sources humaines à l’appui de graves allégations portées contre une personne, la Cour et les avocats spéciaux doivent être en mesure de bien vérifier la crédibilité et la fiabilité de ces renseignements. Cela est conforme à ce qu’a décidé la Cour suprême du Canada dans les arrêts Charkaoui (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui 1); et Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326 (Charkaoui 2)), ainsi qu’à l’objectif législatif visé par les modifications prévoyant la nomination d’avocats spéciaux. Pour se conformer à la loi, le SCRS et les ministres doivent transmettre à la Cour tous les renseignements requis pour vérifier la crédibilité de la source, et pas seulement l’information qu’un témoin, ayant une formation d’agent de renseignements, juge nécessaire de divulguer sur le plan opérationnel.

[49] Le SCRS doit également s’assurer que rien n’empêche son avocat de bien s’acquitter auprès de lui de son rôle de conseiller juridique, et de bien agir comme auxiliaire de la Cour. Un avocat a l’obligation de faire tout en son pouvoir pour représenter au mieux son client, sous réserve toutefois de son devoir prédominant envers la Cour et la bonne administration de la justice. Faute d’avoir accès à toute l’information disponible, un avocat ne peut conseiller judicieusement son client, ni s’assurer d’agir dans l’intérêt de l’administration de la justice. Il est également manifeste que, même s’il a fait de son mieux, l’avocat du SCRS a été dépassé par l’ampleur du présent dossier. Des ressources administratives et juridiques suffisantes doivent être mises à contribution pour pareil dossier qui est si complexe et qui requiert tant de temps.

[50] Au vu de l’évolution de la procédure pour les certificats de sécurité qui a suivi les arrêts Charkaoui 1 et Charkaoui 2, les ministres doivent s’adapter aux exigences du droit que la Cour suprême du Canada a proposées et que le législateur a énoncées. L’avocat qui représente les ministres doit connaître parfaitement la jurisprudence et la loi en évolution constante, et pouvoir bien préparer les employés du SCRS appelés à témoigner devant la Cour. La primauté du droit ne peut être écartée en raison d’un manque de temps ou de ressources, ou parce qu’une institution offre de la résistance face à l’évolution de la procédure applicable aux certificats de sécurité. Des employés du SCRS doivent désormais témoigner devant la Cour en présence d’avocats spéciaux. Telle est la réalité nouvelle. Lorsque ces témoins déposent, il faut que soient pris en compte la primauté du droit, les impératifs du processus judiciaire, le rôle qu’ont à jouer les avocats spéciaux et la nécessité de s’assurer que les dépositions sont empreintes de franchise et de transparence.

[51] La décision incombant aux ministres quant au choix des éléments de preuve à produire ne doit pas être laissée entre les mains d’un témoin sans formation juridique. Une procédure devra être instaurée pour s’assurer que les décisions sont prises après que tous les intéressés ont été convenablement consultés et que des conseils juridiques ont été dûment obtenus. Cette procédure devra être suivie tant par l’institution que par ses employés.

Réparation

[52] Le 27 mai 2009, la Cour a ordonné aux ministres de déposer le dossier de la source humaine, sous le sceau de la confidentialité, concernant la personne qui avait subi le test polygraphique. Cette ordonnance faisait suite à la reconnaissance par les ministres de leur omission de fournir à la Cour et aux avocats spéciaux des renseignements utiles relatifs à la source humaine. Les dossiers des autres sources humaines ayant fourni des renseignements invoqués par les ministres à l’appui du certificat n’étaient pas visés par l’ordonnance du 27 mai 2009.

[53] Dans la présente procédure, instituée à l’initiative de la Cour, les avocats spéciaux cherchent à obtenir réparation en application du paragraphe 24(1) de la Charte qui prévoit :

Recours en cas d’atteinte aux droits et libertés

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[54] Plus particulièrement, les avocats spéciaux demandent que soit exclu tout renseignement fourni par la source humaine qui a été soumise au test polygraphique. Cette réparation est nécessaire, selon eux, vu l’atteinte à l’intégrité du système judiciaire qu’a entraîné le défaut du SCRS de leur divulguer ainsi qu’à la Cour des renseignements utiles.

[55] Le procureur général du Canada s’oppose à ce que soit accordée la réparation demandée par les avocats spéciaux, en faisant valoir que la preuve ne permet pas de conclure que l’intégrité du système judiciaire a subi une atteinte. Il fait également remarquer qu’une réparation a déjà été accordée lorsque, le 27 mai 2009, la Cour a ordonné la communication aux avocats spéciaux du dossier d’une source humaine. Selon le procureur général, une telle ordonnance constitue une « grave sanction ».

[56] Les avocats spéciaux ont résumé leur position, comme suit, au paragraphe 26 de leurs observations écrites déposées le 27 août 2009 :

[traduction] La position des avocats spéciaux, essentiellement, c’est que le défaut de leur avoir divulgué, ainsi qu’à la Cour, tous les renseignements concernant la source humaine a eu d’importantes répercussions sur l’intégrité du système judiciaire […] Selon nous, le défaut de divulgation en l’instance devrait entraîner le refus par la Cour d’admettre tout renseignement fourni par la source humaine en cause, ou de se fonder sur tout pareil renseignement, que le défaut ait résulté d’une erreur systémique ou individuelle, et qu’il ait ou non été intentionnel. Aucune autre réparation ne saurait corriger l’atteinte portée à l’intégrité du système judiciaire.

[57] Les avocats spéciaux affirment que le défaut des ministres de divulguer les renseignements liés au test polygraphique ont enfreint les droits garantis à M. Harkat par l’article 7 de la Charte. Ils soutiennent, en faisant valoir les exigences de la justice procédurale énoncées dans l’arrêt Charkaoui 1 de la Cour suprême du Canada, que [traduction] « [d]ans l’année qui a suivi cet arrêt, l’État a de nouveau violé les droits garantis par l’article 7 à M. Harkat en omettant de divulguer tous les renseignements concernant la source humaine » (se reporter au paragraphe 22 des observations du 27 août 2009 des avocats spéciaux). Aucun autre élément de preuve n’a été présenté à l’appui de cette allégation.

[58] À mon avis, cette seule affirmation ne suffit pas pour conclure que les droits garantis à M. Harkat par la Charte ont été violés, et par conséquent, le paragraphe 24(1) ne reçoit pas application. Je désire aussi souligner que les renseignements liés au test polygraphique ont été divulgués à la Cour avant que ne débute la présentation de la preuve publique de M. Harkat quant au caractère raisonnable du certificat, et que les avocats spéciaux n’ont pas encore contre-interrogé des témoins à huis clos quant à la question du caractère raisonnable.

[59] Cela dit, je conclus que le défaut du SCRS, et de ses témoins, de se conformer à l’obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue reconnue dans l’arrêt Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, aux paragraphes 153 et 154, a porté atteinte à l’intégrité de la procédure de la Cour.

[60] Ce qui a porté encore davantage atteinte à l’intégrité de la procédure de la Cour, c’est le défaut du SCRS d’avoir agi avec la bonne foi la plus absolue lorsqu’il a fait valoir le privilège relatif aux sources humaines secrètes de renseignement reconnu dans la décision Harkat (Re), 2009 CF 204, pour protéger l’identité d’une source humaine [au paragraphe 31] :

Les sources humaines secrètes de renseignement reçoivent la garantie absolue que leur identité sera protégée. Cette garantie non seulement favorise la collaboration efficace à long terme avec les sources en cause, mais aussi augmente d’une façon exponentielle les chances de succès des enquêtes ultérieures en matière de renseignement. Les garanties de confidentialité sont essentielles pour que le Service soit en mesure de s’acquitter de son mandat législatif de protéger la sécurité nationale du Canada tout en protégeant la source contre les représailles. La protection offerte encourage également d’autres personnes à divulguer des renseignements décisifs qui seraient autrement inaccessibles au Service. La collaboration entre le Service et la source ainsi que l’identité de cette dernière sont donc protégées par un privilège relatif aux sources humaines secrètes de renseignement. 

[61] Ce privilège relatif aux sources humaines secrètes de renseignement est un élément essentiel de notre système de sécurité nationale. Le droit requiert toutefois que le SCRS concilie son obligation de divulguer tous les renseignements utiles, de manière complète et fidèle, avec le besoin légitime au plan opérationnel de protéger la confidentialité de ses sources humaines. Or, en ne procédant pas à une divulgation complète et fidèle, le SCRS et les ministres ne protègent pas la confidentialité de leurs sources humaines; ils mettent plutôt celle-ci en danger.

[62] Le défaut du SCRS et de ses témoins de divulguer les renseignements liés au test polygraphique a gravement miné la confiance dans le système actuel. En vertu de l’article 78 de la LIPR, c’est à un juge qu’il incombe, et non aux ministres, de décider du caractère raisonnable d’un certificat de sécurité. Depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C‑3 [Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, L.C. 2008, ch. 3], des avocats spéciaux ont été nommés par la Cour pour défendre les intérêts de M. Harkat, notamment en vérifiant la fiabilité des renseignements entendus à huis clos. C’est là la règle de droit établie à la section 9 [de la Partie 1] de la LIPR. Les ministres et les agents de renseignements du SCRS peuvent très bien avoir leur propre opinion sur la fiabilité des renseignements de la source humaine, mais ils ne peuvent imposer cette opinion en restreignant les renseignements fournis à la Cour et aux avocats spéciaux.

[63] Comment le dommage causé peut-il être réparé? Existe-t-il une réparation appropriée? Selon la Cour, il existe une telle réparation, qui peut être accordée en sus des mesures qu’elle a déjà prises (Harkat (Re), 2009 CF 204; Harkat (Re), 2009 CF 553) et des mesures prises par le procureur général et le SCRS pour s’assurer que pareille situation ne se reproduise pas (se reporter aux lettres du 26 mai et du 4 juin 2009).

[64] Malgré tout, la Cour doit toujours établir si le certificat désignant M. Harkat est raisonnable ou non. Pour en arriver à une telle décision, la Cour doit, notamment, décider de la crédibilité des témoins, de la force à attribuer à la preuve présentée par chacune des parties et de l’importance relative de la preuve d’expert. La Cour doit disposer de tous les renseignements utiles pour décider du caractère raisonnable du certificat.

[65] Procéder comme si la situation en cause ne s’était pas produite s’avère impossible. La Cour est saisie de la preuve d’un défaut de divulgation d’éléments de preuve pertinents pouvant influer défavorablement sur sa décision quant à la fiabilité d’une source humaine. Les explications avancées par les trois témoins n’ont pas convaincu la Cour qu’elle était saisie de toute la preuve pertinente. En effet, la preuve présentée à la Cour conduit à conclure que l’information produite par les ministres à l’appui du certificat a été « filtrée » et que les engagements pris envers la Cour n’ont pas été respectés.

[66] Filtrer la preuve, même en étant animé des meilleures intentions, n’est pas acceptable. Ne pas respecter comme il convient les engagements pris envers une cour, cela n’est pas davantage acceptable.

[67] Ainsi, la Cour se trouve confrontée à une situation d’atteinte portée à l’intégrité de sa procédure.

[68] Si les renseignements liés au test polygraphique n’avaient pas été portés à l’attention de la Cour, il y a un fort risque, en outre, qu’une atteinte flagrante à l’équité procédurale aurait été commise à l’endroit de M. Harkat. Dans l’ordonnance du 27 mai 2009 (Harkat (Re), 2009 CF 553), on a conclu que la reconnaissance par les ministres de leur défaut de divulgation de renseignements satisfaisait au critère, énoncé dans la décision Harkat (Re), 2009 CF 204, permettant d’écarter le privilège relatif aux sources humaines. Je conclus qu’il est de même justifié, au vu des faits dont je suis saisi, d’écarter ce privilège relativement à une autre source humaine secrète de renseignements sur laquelle les ministres se sont fondés dans la situation exceptionnelle qui nous occupe en l’instance.

[69] La Cour a donc conclu que, dans cette situation exceptionnelle, il était nécessaire d’ordonner la production des dossiers d’une autre source humaine sur laquelle les ministres se sont fondés en l’instance. La présente ordonnance est rendue sur la foi de la preuve entendue dans la présente instance accessoire, et du pouvoir inhérent dont dispose la Cour de préserver l’intégrité de sa procédure (MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725, aux paragraphes 78, 79, 80 et 88). Plus particulièrement, l’ordonnance se fonde sur le pouvoir résiduel de la Cour de contraindre la production de tous les documents pertinents (Cook v. Ip et al. (1985), 52 O.R. (2d) 289 (C.A.), au paragraphe 14).

[70] Une telle ordonnance dissipera toute inquiétude quant à la capacité des avocats spéciaux de vérifier pleinement la preuve. Elle est également essentielle pour réparer l’atteinte portée à la bonne administration de la justice, et pour rétablir le climat de confiance qui doit régner dans le cadre d’une procédure judiciaire aussi exceptionnelle. Je désire souligner, toutefois, que les strictes limites reconnues dans la décision Harkat (Re), 2009 CF 204, demeurent applicables à la production du dossier de la source humaine. Pour être plus précis, le dossier ne devra être remis qu’à la Cour et aux avocats spéciaux. En aucune circonstance le dossier ne devra-t-il être divulgué à M. Harkat, à son avocat, non plus qu’au public.

[71] Au risque de me répéter, la non-divulgation des renseignements liés au test polygraphique a donné lieu, en l’instance, à une situation exceptionnelle. Plusieurs étapes importantes demeurent à franchir avant que jugement puisse être rendu quant au caractère raisonnable du certificat. Il reste toujours à M. Harkat à présenter une preuve à l’appui de sa thèse, et les avocats spéciaux n’ont pas encore commencé à contre-interroger les témoins secrets des ministres.

[72] La réparation accordée vise à rétablir la confiance dans le processus, mais elle ne doit d’aucune manière porter atteinte au privilège relatif aux sources humaines secrètes de renseignement. L’accès au dossier est accordé en raison d’une situation exceptionnelle, où notamment le SCRS a reconnu ne pas s’être acquitté de son obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue, et une preuve a montré que des éléments de preuve avaient été filtrés et que des engagements n’avaient pas été respectés. Pour que pareilles ordonnances ne soient pas délivrées à l’avenir, les ministres devront s’assurer que les matrices sur les sources qu’ils fournissent à la Cour renferment tous les renseignements, qui leur sont ou non favorables, se rapportant à la fiabilité des sources humaines. La situation est exceptionnelle en l’instance et, on l’espère, ne se reproduira jamais. Si l’on fait preuve de vigilance en établissant les matrices sur les sources, il y aura très peu de cas dans l’avenir où la Cour estimera nécessaire de donner accès au dossier d’une source humaine.

[73] Pour finir, la déposition du polygraphiste a fourni à la Cour beaucoup d’information sur la méthode utilisée à l’égard des renseignements liés au test polygraphique et sur leur évaluation. Étant donné les conclusions défavorables tirées par le témoin quant au mode d’administration et d’évaluation du test polygraphique, la Cour a établi qu’aucune valeur probante ne devra être reconnue en l’instance aux renseignements concernant le test polygraphique administré à la source humaine. Cette conclusion ne doit toutefois pas empêcher les avocats spéciaux d’utiliser ces renseignements aux fins de leurs contre-interrogatoires.

[74] La question à l’étude étant réglée, la Cour peut maintenant continuer de s’acquitter de sa tâche première, à savoir décider du caractère raisonnable du certificat de sécurité. L’audience à huis clos portant sur le caractère raisonnable du certificat débutera à la mi-novembre 2009; la partie publique de l’instance se déroulera en janvier et février 2010. Il est dans l’intérêt de la justice et dans l’intérêt de M. Harkat qu’il soit statué de la manière la plus expéditive possible sur le caractère raisonnable du certificat, sous réserve uniquement du respect des exigences fondamentales de l’équité.

ORDONNANCE

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

- Le dossier concernant une autre source humaine secrète de renseignements dont les renseignements étayent les allégations portées contre M. Harkat sera déposé dans les cinq jours de la date de la présente ordonnance au greffe des instances désignées, en trois copies non expurgées, de manière à ce que la Cour et les avocats spéciaux puissent les examiner.

ANNEXE 1

[traduction]

Department of Justice               Ministère de la Justice

Canada                                      Canada

Legal Services                          Services juridiques

Canadian Security                     Service canadien du

Intelligence Service                   renseignement de sécurité

P.O. Box 9732                         C.P. 9732,

Station T                                   Succursale T

Ottawa, ON                              Ottawa, On

K1G 4G4                                  K1G 4G4

Facsimile: (613) 842-1345       Télécopieur : (613) 842-134

Le 26 mai 2009

EN MAINS PROPRES

Mme Nancy Allen

Greffière

Instances désignées

Cour fédérale

222222 22222

222222 22222

22222222222

OBJET : Mohamed HARKAT, Dossier de la Cour DES-5-08

Mme Allen,

Veuillez porter la présente lettre à l’attention du juge Noël.

Je vous écris pour informer la Cour de trois questions : premièrement, pour l’aviser que les ministres ont d’importants renseignements à transmettre au sujet d’un test polygraphique qui a été administré à la source humaine 22222222222; deuxièmement, pour confirmer que le ministre de la Sécurité publique a été informé de la position de l’agence étrangère; troisièmement, pour répondre à la demande faite par la Cour à la haute direction du SCRS de réexaminer leur volonté de ne pas communiquer avec les agences étrangères pour écarter leurs motifs d’opposition.

Renseignements liés au test polygraphique administré à 22222222222   

Le 10 septembre 2008, les ministres ont déposé à l’audience à huis clos le Rapport sur les renseignements de sécurité (le RRS) concernant Mohamed Harkat. Le RRS était étayé de quatre volumes de documentation ainsi que d’un document distinct traitant des sources humaines ayant servi à établir le RRS. Le 10 septembre 2008, ce document, désigné la matrice sur les sources, a été versé au dossier de la Cour, à titre de pièce A à l’appui, par les ministres dans le cadre de l’instance à huis clos.

La matrice sur les sources renferme une description des sources humaines ayant servi à établir le RRS de M. Harkat et de l’historique de cette question. L’objet de la matrice est de donner une image fidèle de la source humaine en cause, en présentant tant les renseignements favorables que défavorables, afin d’aider la Cour à évaluer équitablement la crédibilité de la source et la fiabilité de ses renseignements. La matrice est également transmise aux avocats spéciaux pour les aider à s’acquitter de leur obligation de contester la thèse des ministres contre M. Harkat. Il incombe en outre aux ministres de s’assurer du caractère complet et équitable de la matrice sur les sources; cette obligation est énoncée comme suit par la Cour suprême dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] A.C.S. n° 73 (au paragraphe 27) :

La partie qui plaide ex parte devant un tribunal a l’obligation de présenter ses arguments avec la bonne foi la plus absolue. Elle doit offrir une preuve complète et détaillée, et n’omettre aucune donnée pertinente qui soit défavorable à son intérêt.

Dans l’affaire Harkat, on évalue 22222222222 dans une partie de la matrice en se fondant sur des renseignements provenant du SCRS. La section 22222222222 renferme plus particulièrement la description d’un test polygraphique qu’on a fait subir à 22222222222 en 2002 ainsi que les résultats de ce test. L’information à ce sujet figure, comme suit, à la page 16 de la pièce A :

[traduction]

TEST POLYGRAPHIQUE

Ces éléments font douter de la loyauté de 22222222222 envers le Service et nous ont fait nous interroger sur les activités et les fréquentations de 2       22, 222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222222 2. En 2002, par conséquent, le Service a fait passer un test polygraphique à la source.

Un spécialiste indépendant 22222222222 a analysé les graphiques et établi que 22222222222 s’exprimait avec franchise lorsqu’il a déclaré ne pas être membre d’autres agences non plus que d’organisations militantes.

Le Service s’est récemment rendu compte que d’importants renseignements concernant les résultats du test polygraphique de 22222222222 n’avaient pas été transmis à la Cour ni aux avocats spéciaux. Les renseignements communiqués au sujet du test étaient incomplets; on aurait dû y divulguer ce qui suit :

1.     En 2002, 22222222 a subi un test polygraphique et s’est fait poser des questions pertinentes 222222222; l’examinateur a conclu que 222222222 n’avait pas répondu avec franchise à ces questions. Une copie de ce rapport est jointe aux présentes. On a préparé une copie pour la Cour et une pour les avocats spéciaux, la copie des avocats spéciaux étant légèrement expurgée de manière à protéger l’identité de 22222222222.

2.     En 2008, les résultats du test polygraphique ont été transmis à un nouvel examinateur en vue d’une évaluation indépendante de 22222222222. (Cette évaluation indépendante est celle dont il est question dans l’actuelle matrice sur les sources susmentionnée.) L’examinateur de 2008 a uniquement passé en revue les résultats du test polygraphique, et il a conclu que 22222222222 avait répondu avec franchise à 22222222222 questions pertinentes et que les résultats n’étaient pas concluants quant à 22222222222 questions pertinentes. Copie de ce rapport (la copie de la Cour et des avocats spéciaux) est jointe aux présentes.

Il est clair que la Cour et les avocats spéciaux auraient dû être informés des résultats complets des examens polygraphiques et l’omission de les informer est un problème grave. Le Service enquête pour savoir pourquoi ces renseignements n’ont pas été fournis et fera rapport à la Cour dès que l’enquête sera terminée. Un témoin, haut gestionnaire du Service, pourra répondre à toute question que la Cour voudra bien poser au sujet de cette non-divulgation de renseignements. En outre, le Service a passé en revue les dossiers des sources humaines 22222222222, qu’il mettra à la disposition de la Cour et, si celle-ci l’ordonne, aux avocats spéciaux.

Question des agences étrangères

Le 21 mai 2009, la Cour a ordonné qu’on lui confirme par écrit que le ministre de la Sécurité publique avait été consulté quant à la question de savoir si on allait communiquer avec les agences étrangères pour écarter leurs motifs d’opposition. La Cour a en outre demandé à la haute direction du SCRS de réexaminer sa volonté, vu un changement de situation, de ne pas communiquer avec les agences étrangères. La Cour a fait remarquer que la position adoptée par les agences étrangères venait de ce qu’une demande générale avait été faite qu’on les contacte pour qu’elles divulguent tous les renseignements à leur disposition. La Cour a souligné que la situation était maintenant différente, les avocats spéciaux ayant désormais ciblé dans leur demande des éléments d’information particuliers 22222222222. En outre, les avocats spéciaux ne demandaient plus qu’il soit précisé de quelle agence particulière provenaient les divers renseignements, et les renseignements pouvaient désormais être transmis sous forme de résumés. La Cour a donc demandé à la haute direction du SCRS de réexaminer sa position instamment sur cette question, compte tenu de ce changement de situation.

Je peux confirmer que la question de la communication avec les agences étrangères a déjà été abordée avec le ministre de la Sécurité publique. Je peux également vous informer que le Service a examiné avec attention la demande faite de solliciter le consentement des agences 22222222222 en vue de la divulgation publique de certains de leurs renseignements. Étant donné les nouveaux faits survenus dans le dossier Harkat ainsi que les commentaires de la Cour, toutefois, le Service a demandé aux deux ministres qu’ils lui donnent leurs directives personnellement. On espère que les ministres auront donné leurs directives d’ici la fin de la présente semaine. Le ministre de la Sécurité publique se trouve toutefois hors du pays, et il se peut que ses directives ne puissent être obtenues avant son retour.

Veuillez agréer, Madame Allen, mes salutations distinguées.

« André Séguin »

André Séguin

Avocat

pièce jointe

c.c. :  Paul Cavaluzzo, avocat spécial

         Paul Copeland, avocat spécial

22222222222

ANNEXE 2

[traduction]

Le 4 juin 2009

Department of Justice

Canada

Legal Services

Canadian Security

Intelligence Service

P.O. Box 9732 Station T

Ottawa, ON

K1G 4G4

Facsimile: (613) 842-1345

Ministère de la Justice

Canada

Services juridiques

Service canadien du

renseignement de sécurité

C.P. 9732, Succursale T

Ottawa, On

K1G 4G4

Télécopieur : (613) 842-1345

Le 4 juin 2009

L’honorable Allan Lutfy

Juge en chef de la Cour fédérale

Cour fédérale

90, rue Sparks

Ottawa (Ontario)

K1A 0H9

OBJET :   Matrices sur les sources

Monsieur le juge en chef,

Le 27 mai 2009, le juge Noël a énoncé ses motifs d’ordonnance dans l’affaire DES-5-08, en réponse à une lettre de l’avocat des ministres faisant état de nouveaux renseignements à propos de la fiabilité d’une source humaine.

On avait omis d’inclure ces renseignements, de nature importante et ayant une incidence sur la force probante à reconnaître à la preuve provenant de la source, dans la matrice sur la source transmise à la Cour et aux avocats spéciaux. Le juge Noël a conclu que cette « situation inquiétante » soulevait des questions quant au respect par le Service des ordonnances de la Cour ainsi qu’à son obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue dans le cadre d’une instance ex parte, et quant à l’éventuelle prévarication de témoins du Service.

Le défaut d’inclure des renseignements utiles dans la matrice sur la source était inexcusable, et c’est là un sujet de grave inquiétude pour le Service. Cela porte atteinte à l’engagement du Service et de ses employés à respecter l’intégrité du processus judiciaire, et à l’observation par eux des principes juridiques fondamentaux auxquels le juge Noël a fait allusion dans les motifs de son ordonnance. Dans la mesure où cette « situation inquiétante » a pu faire douter le moindrement la Cour de l’intégrité de la preuve du Service ou de la crédibilité de ses employés, le Service est fermement déterminé à rétablir la confiance en cette intégrité et en cette crédibilité.

Lorsqu’il s’est rendu compte de l’omission de renseignements utiles dans la matrice sur les sources, l’avocat des ministres a veillé sans délai à en informer la Cour. Depuis lors, le Service a demandé à un de ses hauts gestionnaires de procéder à un examen des faits ayant entouré l’établissement de la matrice sur la source en cause, en vue de savoir comment avaient pu en être omis des renseignements manifestement utiles à l’examen de la Cour. Le Service fera part à la Cour des résultats de son enquête, notamment des modifications à ses pratiques ou à ses politiques qui pourront en résulter.

Alors que la question examinée par le juge Noël concernait une seule matrice sur une source, le Service sait que l’omission d’inclure dans celle-ci des renseignements utiles pourrait faire douter de l’intégrité d’autres matrices sur les sources produites dans les affaires de certificats de sécurité dont la Cour est actuellement saisie. Pour dissiper pareil doute, le Service va procéder à un examen exhaustif de toutes les matrices sur des sources humaines liées à des certificats de sécurité ainsi que des dossiers des sources humaines en cause. Les matrices et les dossiers connexes seront examinés par au moins deux agents de renseignements chevronnés, qui devront confirmer que dans chaque matrice figurent tous les renseignements utiles, et que l’information est présentée de manière exacte et impartiale. Cet examen terminé, chaque matrice sera mise à l’épreuve par une équipe de trois personnes, soit deux hauts gestionnaires du niveau d’un directeur général ou d’un directeur général adjoint, ainsi qu’un avocat du ministère de la Justice.

Les matrices sur les sources sont également d’une grande importance dans le processus de demande de mandats de perquisition, où elles figurent comme pièces jointes aux affidavits déposés à l’appui de demandes. À compter de ce jour, les matrices sur les sources humaines utilisées pour les demandes de mandats de perquisition seront mises à l’épreuve par l’avocat du ministère de la Justice affecté auprès du Groupe de la sécurité nationale, le même avocat qui vérifie actuellement l’exactitude des faits énoncés dans les affidavits déposés à l’appui des demandes de mandats.

En plus d’avoir pris ces mesures immédiates, le Service est en train de procéder à un examen plus large de ses pratiques en matière de présentation de la preuve dans les actions en justice en général. L’omission de renseignements utiles dans la matrice sur une source dont le juge Noël a fait état justifie qu’on procède à une évaluation critique des pratiques courantes, et que soient prises les mesures nécessaires pour éviter de nouvelles omissions semblables, non seulement en ce qui concerne les matrices sur les sources humaines mais en ce qui touche tous les renseignements dont la Cour est saisie. Le Service étudie diverses options à cet égard, comme l’éventuel recours à un système de contrôle interne plus rigoureux, ou même à un système externe. Le Service tiendra la Cour informée des mesures prises par suite de ce large examen.

La Cour se rappellera qu’à l’égard du processus de demande de mandats de perquisition, le directeur a imposé ce qu’on a désigné un « moratoire » par suite d’une affaire où la Cour avait conclu que le Service avait omis de divulguer pleinement tous les renseignements pertinents. Compte tenu de ce moratoire, une demande de mandat ne pouvait être présentée que si le directeur était lui-même d’avis qu’on divulguait dans l’éventuelle demande la totalité des faits pertinents. Le directeur, en collaboration avec le sous-procureur général et d’autres fonctionnaires, est en train d’examiner s’il serait judicieux d’imposer un moratoire semblable à l’égard du dépôt de matrices sur les sources humaines. En attendant l’issue des discussions en cours et l’achèvement des divers examens que j’ai mentionnés, le directeur est d’avis qu’il serait prématuré d’imposer pour l’heure pareil moratoire. Le Service informera toutefois la Cour dès qu’une décision sera prise sur cette question.

Comme je l’ai dit, l’incident porté à l’attention du juge Noël est un grave sujet d’inquiétude pour le Service. Le Service est déterminé à s’attaquer à la question d’une manière qui assurera à la Cour, aux avocats spéciaux, aux avocats publics, aux parties et au public que le Service respecte l’intégrité du système judiciaire et son engagement envers la primauté du droit. Le Service est persuadé que les mesures ici décrites, et celles qui seront prises dans les semaines à venir, permettront d’atteindre un tel degré d’assurance.

Veuillez agréer, Monsieur le juge en chef, mes salutations distinguées.

« Michael W. Duffy »

Michael W. Duffy

Avocat général principal

Id/    53000-72-5

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