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[2012] 1 R.C.F. 116

IMM-249-08

2010 CF 716

Fereidoun Ghasemzadeh (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Ghasemzadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Lemieux—Ottawa, 27 janvier et 30 juin 2010.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un fonctionnaire de l’immigration (le conseiller) a conclu que le demandeur, de nationalité iranienne, est interdit de territoire pour fausses déclarations en application de l’art. 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Le demandeur avait refusé de répondre à des questions à propos du travail qu’il effectuait dans le cadre de projets militaires classifiés en Iran — Le conseiller avait conclu que le demandeur était peu coopératif et avait estimé que les fausses déclarations auraient pu mener à une évaluation inexacte de l’interdiction de territoire du demandeur — Il s’agissait de savoir si le conseiller avait manqué à l’équité procédurale envers le demandeur et s’il avait commis une erreur dans l’application de l’art. 40(1)a) — En ne convoquant pas une nouvelle fois le demandeur, le conseiller n’avait pas manqué à l’équité procédurale envers lui — La décision du conseiller était fondée sur les fausses déclarations, pas sur une évaluation défavorable de la crédibilité du demandeur — Une explication raisonnable censée justifier un refus de répondre aux questions ne change pas le fait que le demandeur avait refusé de communiquer des renseignements pour l’application de l’art. 40(1)a) — Le conseiller avait conclu que les refus du demandeur de communiquer des renseignements au sujet de ses activités auraient pu conduire à une évaluation inexacte de l’interdiction de territoire — L’omission d’indiquer le motif de l’interdiction de territoire ne constituait pas une erreur — Le fait de refuser de révéler ce qu’étaient les activités exercées dans le cadre de l’emploi avait exclu ou écarté d’autres enquêtes et risquait d’entraîner une erreur sur la question de savoir si le demandeur était ou non interdit de territoire — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un fonctionnaire de l’immigration (le conseiller) a conclu que le demandeur est interdit de territoire au Canada à titre de résident permanent pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

Le demandeur, de nationalité iranienne, avait refusé de répondre à des questions durant des entrevues avec des agents du Service canadien du renseignement de sécurité et avec un agent des visas à propos de son travail auprès de l’Organisation iranienne des industries de défense (OID). Le demandeur avait notamment déclaré qu’il avait travaillé à des projets classifiés, mais il avait refusé de donner le détail des travaux qu’il effectuait dans le cadre de ceux-ci. Le conseiller a conclu que les refus du demandeur de communiquer des renseignements attestaient un refus systématique de coopérer et avait estimé que les fausses déclarations ou les réticences sur les faits importants risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR parce qu’elles auraient pu conduire à une évaluation inexacte de l’interdiction de territoire du demandeur.

Les questions litigieuses étaient celles de savoir si le conseiller a manqué à l’équité procédurale envers le demandeur parce qu’il a rendu sa décision sans avoir convoqué le demandeur et si le conseiller a commis une erreur dans l’application de l’alinéa 40(1)a) de telle sorte qu’il n’y a pas eu de conclusion sur l’importance des faits dissimulés.

Jugement : la demande doit être rejetée.

En ne convoquant pas une nouvelle fois le demandeur, le conseiller n’a pas manqué à l’équité procédurale envers lui. Il ressortait clairement d’une entrevue antérieure avec un agent des visas que le demandeur savait parfaitement que son refus de répondre aux questions était un sujet d’inquiétude. Le conseiller n’a pas été persuadé par l’explication donnée par le demandeur pour justifier ses refus passés et actuels de répondre aux questions. La décision du conseiller n’était pas, de ce fait, fondée sur une évaluation défavorable de la crédibilité du demandeur. La décision du conseiller reposait plutôt sur les fausses déclarations. Une explication raisonnable censée justifier un refus de répondre ne change pas le fait que le demandeur avait refusé de communiquer des renseignements.

Le refus du demandeur de répondre à des questions sur les activités qu’il avait exercées dans le cadre de son emploi antérieur constituait une réticence au sens de l’alinéa 40(1)a). Même si l’importance des réponses à ces questions ne peut pas être mesurée, le champ de l’enquête peut l’être. En refusant la demande de résidence permanente du demandeur, le conseiller a expliqué que les réticences du demandeur sur son travail à l’OID risquaient de conduire à une évaluation inexacte de son interdiction de territoire. Bien que le conseiller n’ait pas indiqué le motif précis de l’interdiction de territoire, cette omission ne constituait pas une erreur parce que la totalité des faits conduisait à la conclusion que le demandeur savait qu’il suscitait une inquiétude du point de vue de la sécurité. L’importance des questions touchant les activités du demandeur à l’OID ne faisait aucun doute. Le fait de refuser de révéler ce qu’étaient ces activités avait exclu ou écarté d’autres enquêtes et risquait d’entraîner une erreur sur la question de savoir si le demandeur était ou non interdit de territoire selon la LIPR.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1(4)d) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)f)(iii)(A) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 11, 16(1), 34, 36 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 3), 38, 40, 87 (mod., idem, art. 4).

Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (mod. par DORS/2005-339, art. 1), règle 22 (mod. par DORS/2002-232, art. 11).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Biao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 43.

décisions différenciées :

Mukamutara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 451; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 166; Sinnaiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1576; Baseer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1005; Walia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 486.

décisions examinées :

Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452; Baro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Koo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931, [2009] 3 R.C.F. 446; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779.

décisions citées :

Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1313; Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345 (C.A.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Mugu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 384; Boulis c. Ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875; Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299 (1re inst.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un fonctionnaire de l’immigration a conclu que le demandeur est interdit de territoire au Canada à titre de résident permanent pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Barbara L. Jackman pour le demandeur.

Jamie R. D. Todd pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jackman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Lemieux : M. Fereidoun Ghasemzadeh (le demandeur) est un ingénieur industriel de nationalité iranienne qui a demandé à immigrer au Canada en 1996. Il a refusé de répondre à des questions qui lui ont été posées durant des entrevues, avec des agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et avec un agent canadien des visas, à propos de projets sur lesquels il avait travaillé de 1982 à 1989 à titre d’employé de l’Organisation iranienne des industries de défense (OID), dans le cadre de ses obligations militaires en tant que citoyen iranien. M. Michel Dupuis, conseiller et gestionnaire des opérations en matière d’immigration à l’ambassade du Canada à Damas, en Syrie (le conseiller Dupuis), a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations, en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Le demandeur voudrait faire annuler, par la présente demande de contrôle judiciaire, cette décision du conseiller Dupuis datée du 29 novembre 2007.

[2]        La décision a été communiquée au demandeur par lettre datée du 29 novembre 2007, et les motifs comprennent à la fois les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) et les renseignements fournis dans la lettre.

[3]        Le motif principal donné par le conseiller Dupuis pour refuser le demandeur est exposé succinctement dans les notes du STIDI qu’il a rédigées le 29 novembre 2007 après examen du dossier. Je reproduis intégralement la mention qu’il a insérée dans les notes du STIDI :

[traduction] J’ai examiné le dossier et les notes du cas.

Il m’apparaît clairement que le demandeur a fourni des renseignements trompeurs ou qu’il a refusé de communiquer des renseignements durant diverses entrevues.

En 1997, il a refusé de fournir des renseignements qui lui étaient explicitement demandés. On voulait savoir avec qui il avait travaillé et les raisons pour lesquelles il s’était rendu dans divers pays. Il s’agissait de renseignements importants pour l’évaluation de son admissibilité (lorsqu’un candidat à l’immigration dissimule des renseignements, il devient très difficile, sinon impossible, de dire s’il est ou non interdit de territoire).

En 1998, le demandeur a admis qu’il dissimulait des renseignements, et l’explication qu’il a donnée était notamment qu’il craignait des représailles. L’entrevue s’était déroulée dans un lieu sécuritaire (en 1998, aux États-Unis), et je ne vois pas pourquoi le demandeur refuserait catégoriquement de parler de son travail à l’Organisation des industries iraniennes de défense. Il s’agissait d’une période de sept ans, donc suffisante pour qu’elle ait une sérieuse incidence sur son admissibilité. Cependant, bien qu’on l’en ait prié, le demandeur a refusé et il refuse encore de fournir des renseignements concernant les sept années qu’il a passées dans cette organisation. La question est la suivante : le demandeur est-il ou non admissible? Il est impossible d’en être sûr parce qu’il a décidé de nous dissimuler des renseignements bien qu’on l’ait invité à plusieurs reprises à les communiquer. Le demandeur a eu amplement l’occasion de dissiper nos inquiétudes et de fournir les renseignements exigés.

Le demandeur a choisi de refuser de nous communiquer des renseignements : sur une période de dix ans, il a maintes fois été à même de fournir les renseignements nécessaires pour que l’on puisse décider de son admissibilité.

À mon avis, le demandeur se refuse à communiquer des renseignements importants qui sont nécessaires pour une décision concernant son admissibilité; accepter le demandeur sur la foi des renseignements fournis (et sur la foi de renseignements importants manquants) aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, étant donné qu’il est possible qu’il soit interdit de territoire.

Pour ces motifs, je refuse ce candidat en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, et le candidat est interdit de territoire durant deux ans en application du paragraphe (1).

Demande refusée.

[4]        Plus de deux ans se sont écoulés depuis que le demandeur a été informé par le conseiller Dupuis que sa demande de résidence permanente avait été refusée. La question du caractère théorique de l’instance n’a pas été évoquée par les parties dans leurs conclusions respectives, mais elle a été soulevée par la Cour. Cependant, examinant ce point pour la première fois à l’audience, les avocats se sont accordés pour dire qu’il subsiste un litige actuel à la base de cette demande et que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire (arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342). J’ai souscrit à leur avis.

[5]        Le paragraphe 40(1) de la LIPR est ainsi libellé :

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile;

d) la perte de la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi. [Non souligné dans l’original.]

Fausses déclarations

[6]        Ce qui suit est un résumé du contexte factuel dans lequel se posent les questions évoquées par le conseiller Dupuis :

• en 1982, le demandeur a obtenu un baccalauréat en sciences;

• de 1982 à 1989, il a accompli ses obligations militaires à l’Organisation des industries de défense (OID). Durant cette période, il travaillait avec le fils du président iranien de l’époque, Mohsein Rafsanjani (Mohsein);

• en 1989, avec deux autres collègues, il a établi une société de conseil en gestion sous la raison sociale Nazmiran, qui exerce toujours ses activités;

• de 1989 à 1993, il a travaillé à l’Unité des enquêtes spéciales (UES), rattachée au cabinet du président iranien. Lorsque le demandeur s’est joint à l’UES, Mohsein Rafsanjani en était le chef;

• de 1993 à 1998, il a étudié au Canada, à l’université McMaster de Hamilton, où il a obtenu un doctorat en systèmes d’information. Mohsein était intervenu pour lui faire obtenir une bourse d’études. Il avait présenté le demandeur à l’ambassadeur d’Iran au Canada, à qui le demandeur a rendu visite à Ottawa;

• depuis 1998, il était président-directeur général et gestionnaire de projet de Afranet Company, une société dans laquelle l’Organisation iranienne pour le développement et la reconstruction détient une participation de 40 p. 100, le reste étant détenu par le demandeur, sa famille et deux autres cofondateurs. Cette société fournit des services Internet, des services de commerce électronique et des services de voix hors champ.

• Depuis 1998, le demandeur est professeur à l’université Sharif de technologie, où il enseigne le commerce électronique et les modèles d’affaires ainsi que les systèmes d’aide à la décision.

[7]        Le conseiller Dupuis n’a pas rencontré le demandeur en entrevue. Dans sa décision, il indique deux choses à propos desquelles le demandeur a refusé de s’exprimer lors de la première entrevue avec un agent du SCRS le 1er octobre 1997 (ci-après l’entrevue de 1997), à Buffalo, État de New York, États-Unis :

1) les identités de trois collègues à la société Nazmiran;

2) les détails concernant l’objet de voyages officiels en Chine, en France et en Espagne en 1989, alors que le demandeur travaillait pour l’UES.

[8]        Le demandeur a été convoqué à nouveau par un agent du SCRS le 13 août 1998 (ci‑après l’entrevue de 1998), à Buffalo, État de New York, États-Unis, ainsi que le 28 mai 2006 (ci‑après l’entrevue de 2006), à Damas, en Syrie. Les notes consignées durant ces entretiens montrent qu’il a refusé de donner des détails sur l’emploi qu’il avait occupé à l’OID iranienne de 1982 à 1989.

[9]        Durant l’entrevue de 2006, le demandeur a fourni tous les renseignements qu’il avait auparavant refusé de donner sur les questions 1) et 2), et il a expliqué pourquoi il ne les avait pas communiqués. Bien que le demandeur les ait finalement communiquées, le conseiller Dupuis se fonde sur les refus antérieurs, qui, selon lui attestent un [traduction] « refus systématique de coopérer ». En dernière analyse, il a estimé que [traduction] « les fausses déclarations ou les réticences sur les faits importants susmentionnés risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi parce qu’elles auraient pu conduire à une évaluation inexacte de l’interdiction de territoire [de M. Ghasemzadeh] selon la section 4 de la partie 1 de la Loi » [non souligné dans l’original].

[10]      Le conseiller Dupuis n’a pas été contre-interrogé sur son affidavit déposé au soutien de la position du défendeur. Il affirme que sa décision était fondée sur son examen des notes du STIDI et en particulier celles de l’entrevue du 28 mai 2006, entrevue qui, selon lui, montre que :

[traduction] […] le demandeur a été informé que son refus de répondre aux questions portant sur son travail antérieur et sur ses collègues expliquait en partie pourquoi il était impossible de prendre une décision concernant sa demande. Le refus répété du demandeur de répondre aux questions faisait qu’il était impossible de dire si le demandeur était admissible au Canada, et c’est encore le cas aujourd’hui.

[…]

Notre bureau n’a pas été en mesure d’examiner plus en détail la nature du travail que faisait le demandeur à l’OID, parce qu’il a toujours refusé, et continue de refuser, de répondre aux questions sur la nature de son travail. À mon avis, un tel refus n’exclut pas que le demandeur ait pu jouer un rôle dans d’autres affaires susceptibles de compromettre la sécurité du Canada.

[…]

Le demandeur avait été convoqué cinq fois et on lui a dit qu’il devait répondre à toutes les questions qui lui étaient posées. Lorsque le dossier m’a été remis pour qu’une décision soit prise, j’ai trouvé que j’en savais suffisamment pour prendre une décision et qu’il n’était pas nécessaire de convoquer le demandeur une sixième fois pour obtenir des réponses qu’il avait refusées de donner jusque-là. Selon moi, le dossier du demandeur montrait amplement qu’il était réticent sur un fait important quant à un objet pertinent. [Non souligné dans l’original.]

I.          Le cadre juridique de l’article 40

[11]      Tout au long du processus d’immigration, c’est au demandeur qu’il appartient de démontrer qu’il remplit les conditions de la LIPR. Le paragraphe 16(1) de la LIPR impose au demandeur l’obligation de répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées au cours d’un contrôle. Un visa pourra lui être délivré si, à la suite d’un contrôle, l’agent des visas est persuadé que l’étranger n’est pas interdit de territoire et qu’il se conforme à la LIPR (article 11). Pour faciliter la décision de l’agent des visas, le demandeur est tenu de répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées aux fins du contrôle (paragraphe 16(1)). Si le ministre refuse le visa au motif que le demandeur est interdit de territoire, alors il appartient au ministre de motiver sa conclusion selon laquelle le demandeur est interdit de territoire.

[12]      Outre les divers motifs d’interdiction de territoire tels que la sécurité (article 34), la grande criminalité (article 36 [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 3]) ou les questions sanitaires (article 38), il y a le motif général constitué par les fausses déclarations (alinéa 40(1)a)). Cette disposition peut s’appliquer à la fausse déclaration faite directement (par exemple donner de faux renseignements à un agent) et à la fausse déclaration faite indirectement (par exemple les renseignements inexacts fournis par une personne autre que celle qui est déclarée interdite de territoire) ou encore à la réticence sur des faits importants, ce qui est la situation dont il s’agit ici. Pour pouvoir invoquer une réticence du demandeur, le ministre doit être persuadé que les éléments suivants de la réticence sont établis :

1) il y a réticence;

2) la réticence porte sur un fait important quant à un objet pertinent;

3) la réticence entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

(Voir la décision Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, au paragraphe 27 (la Cour a été renvoyée à ce précédent), citée avec approbation dans la décision Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1313, au paragraphe 17.)

[13]      En règle générale, le candidat à la résidence permanente est soumis à l’obligation de révéler avec franchise tous les faits importants, que ce soit durant le processus de demande ou après la délivrance d’un visa (Baro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299 (Baro), au paragraphe 15). Le fait d’omettre des faits importants peut constituer une fausse déclaration prenant la forme d’une réticence. Ainsi, dans un cas où l’état matrimonial du demandeur avait changé et où le demandeur n’avait pas informé de ce changement les fonctionnaires de l’immigration, la Cour a jugé que le demandeur avait été réticent sur un renseignement important de telle sorte qu’il était dès lors interdit de territoire pour cause de fausses déclarations (décision Baro, aux paragraphes 18 et 19). Cependant, comme l’a confirmé la Cour fédérale, dans la décision Baro, précitée, il y a une exception lorsqu’un demandeur est en mesure de démontrer qu’il croyait raisonnablement qu’il ne dissimulait pas de renseignements importants (arrêt Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345 (C.A.), cité au paragraphe 15 de la décision Baro). L’obligation de franchise n’est donc pas sans limite : « “il n’incombe pas à une personne de divulguer la totalité des renseignements qui pourraient être éventuellement pertinents” » (décision Baro, au paragraphe 17). Ce sont les circonstances de chaque cas qui diront si le demandeur peut invoquer cette exception.

[14]      Comme il ressortira clairement dans les présents motifs, le demandeur savait que le SCRS et les agents des visas s’interrogeaient sur les activités qu’il avait exercées au sein de l’OID. Cette exception ne peut donc pas s’appliquer ici.

II.         Les points litigieux et la norme de contrôle

[15]      Je dois me prononcer sur les deux points suivants :

A. Le conseiller Dupuis a-t-il manqué à l’équité procédurale envers le demandeur parce qu’il a rendu sa décision sans avoir convoqué le demandeur, lui refusant ainsi la possibilité de dissiper ses doutes?

B. Le conseiller Dupuis a-t-il commis une erreur dans l’application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR?

[16]      La question du manquement à l’équité procédurale est revue selon la norme de la décision correcte (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh)). Dans la plupart des cas, le constat d’un tel manquement déterminera l’issue de la demande de contrôle judiciaire. Selon le demandeur, il y a deux motifs qui m’autoriseraient à dire qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, et dans les deux cas, le manquement serait le non‑respect du droit du demandeur d’être entendu, c’est-à-dire du principe audi alteram partem.

[17]      S’agissant du deuxième point, les conclusions tirées par le décideur sur des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait appellent la retenue de la Cour. Comme l’expliquait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir) une question soumise à un tribunal administratif peut « donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables » (au paragraphe 47). Il revient à la Cour de se demander dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs qui rendent le processus raisonnable (Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47). Si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour exercera son pouvoir d’intervention.

[18]      Selon l’analyse faite par la juge Judith A. Snider dans la décision Bellido, précitée, une décision antérieure à l’arrêt Dunsmuir, les deux éléments nécessaires pour conclure à une interdiction de territoire constituent des conclusions de fait et sont révisables selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Cette norme, dans l’arrêt Dunsmuir, a été fusionnée avec la norme de la décision raisonnable simpliciter pour devenir la norme de la décision raisonnable. Dans la décision Koo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931, [2009] 3 R.C.F. 446, le raisonnement suivi dans l’arrêt Dunsmuir a été appliqué dans la décision Bellido et, selon la Cour fédérale, la norme applicable devait être celle de la décision raisonnable (voir le paragraphe 20, conclusion confirmée dans la décision Mugu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 384 (Mugu), au paragraphe 36).

[19]      Il convient de nuancer l’analyse. L’arrêt Dunsmuir concernait le contrôle judiciaire de la décision d’un office provincial, non d’un office fédéral. Les offices fédéraux sont régis par l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)] (la LCF) pour ce qui concerne le contrôle judiciaire de leurs décisions. L’alinéa 18.1(4)d) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la LCF dispose que la Cour peut annuler la décision d’un office fédéral si l’office fédéral a fondé sa décision « sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), la Cour suprême du Canada a jugé que l’alinéa 18.1(4)d) de la LCF n’était pas une norme d’origine législative, mais qu’il fournissait néanmoins « une indication législative du “degré de déférence” applicable aux conclusions de fait de [l’office fédéral] » (arrêt Khosa, au paragraphe 3). La Cour suprême ajoutait, au paragraphe 46 : « le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout à fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative [l’alinéa 18.1(4)d)] précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales. »

III.        La preuve dont disposait le conseiller Dupuis

[20]      Les convocations du demandeur devant le SCRS en 1997 et 1998 avaient pour objet de fournir à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) une évaluation de sécurité dans le contexte du processus d’immigration[1].

Les faits suivants ont été révélés par le demandeur durant l’entrevue de 1997 portant sur son travail au sein de l’OID :

• il avait travaillé pour l’OID dans le cadre de l’accomplissement de ses obligations militaires. Il avait choisi de servir six ans avec rémunération, au lieu de deux ans sans rémunération, aux premières lignes de la guerre Iraq-Iran, parce qu’il venait de se marier et qu’il avait besoin d’un revenu;

• il travaillait comme analyste de systèmes et ingénieur industriel et il était classifié comme ingénieur élaborant des organigrammes et des diagrammes;

• il avait travaillé effectivement à des projets classifiés. Il n’était pas certain de son niveau de sécurité, mais il pensait qu’il avait le plus faible des quatre niveaux possibles;

• en réponse à des questions directes, il avait dit qu’il ne travaillait pas dans le domaine des armes, qu’il s’agisse d’armes chimiques, d’armes biologiques ou de vecteurs;

• il avait expliqué qu’il avait voyagé à l’étranger durant son emploi. Il avait donné des détails sur le mode de financement de ses voyages, sur ses moyens de transport, sur les endroits visités et sur l’objet des voyages. Il avait expliqué pourquoi il avait été choisi pour ces voyages, et il avait refusé de révéler les noms des autres membres de l’équipe et de fournir d’autres détails;

il avait refusé de donner le détail des travaux qu’il faisait dans le cadre des projets classifiés[2].

[21]      S’agissant de l’entrevue de 1998, l’agent du SCRS écrivait que [traduction] « le sujet a été interrogé sur son emploi à l’[OID] […] et il a refusé à nouveau d’en dire davantage parce que selon lui cela aurait été contraire à l’éthique »[3]. Le demandeur avait nié avoir été contraint de dissimuler des renseignements et avait affirmé que son refus de coopérer était une décision personnelle. L’agent du SCRS avait consigné la note suivante quant à la raison donnée par le demandeur pour justifier son silence : [traduction] « la divulgation de renseignements est punie de mort, même s’il s’agit de renseignements sociaux mineurs, et je préfère ne pas agir d’une manière pouvant mettre en péril ma vie et celle de ma famille »[4]. L’agent du SCRS écrivait aussi que le demandeur avait parlé d’une affaire récente où un Iranien avait été condamné à mort pour avoir livré des renseignements de nature économique au Japon.

[22]      Après ces entrevues, une note de service relative à la sécurité fut remise à la Section de l’immigration à Buffalo le 28 mars 2002 (ci-après la note de service). La note de service avait pour objet de donner des indications sur les aspects découlant d’une possible non-admissibilité du demandeur en vertu de la division 19(1)f)(iii)(A) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (en vigueur du 23 octobre 2000 au 27 juin 2002). L’analyste de la sécurité y exprimait l’avis que :

[traduction] Le sujet pourrait être déclaré non admissible en vertu de la division 19(1)f)(iii)(A), et l’agent des visas devrait le convoquer à nouveau pour tenter d’obtenir de lui d’autres renseignements concernant ses activités auprès de l’OID. Son refus constant de révéler des renseignements rend difficile la tâche de dire s’il devrait être déclaré non admissible. Cependant, on devrait faire un examen approfondi avant de rendre une décision finale[5]. [Non souligné dans l’original.]

[23]      Le demandeur a été convoqué à nouveau quatre ans plus tard, en mai 2006, à Damas, en Syrie, par un agent des visas. L’agent des visas lui a de nouveau posé des questions sur son travail à l’OID. Les détails complémentaires suivants ont été obtenus[6] :

• il a dit qu’il avait travaillé dans le génie industriel à l’OID;

• il n’avait pas travaillé dans une usine d’armement parce qu’il n’était pas ingénieur en mécanique;

• ses principales fonctions à l’OID concernaient notamment l’équilibrage des chaînes pour accroissement de la production, les organigrammes, les procédures de production et la documentation;

• il a déclaré qu’il avait travaillé pour une société d’armement (Muhimmat Sazi), qui avait été construite par des Allemands, des Israéliens et des Suisses et qui figurait sur le site du ministère de la Défense;

• cependant, il ne souhaitait pas révéler les activités de la société parce que cette information se trouve sur le site Web et que l’idée de parler de ce qu’elle produisait le rendait inquiet[7];

• encore une fois, il a nié avoir vu des armes chimiques ou biologiques en cours de développement.

A.        Le conseiller Dupuis a-t-il manqué à l’équité procédurale envers le demandeur?

[24]      L’état du droit est le suivant : « “la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas”. Il faut tenir compte de toutes les circonstances » (arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker), au paragraphe 21). On peut lire aussi dans l’arrêt Baker [au paragraphe 22] que le contenu de l’obligation d’équité procédurale « repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés ».

[25]      Il importe donc de définir le contexte de la LIPR pour déterminer le champ de l’équité procédurale ou de la justice fondamentale. « Or, le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non-citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer » (Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733). « Le gouvernement a le droit et le devoir d’empêcher des étrangers d’entrer dans notre pays et d’en expulser s’il le juge à propos » (Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, à la page 834).

[26]      Selon le demandeur, l’agent des visas a violé son droit à l’équité procédurale, de l’une des deux manières suivantes : 1) le demandeur n’a pas eu l’occasion de dissiper les doutes de l’agent entraînés par son refus de répondre aux questions sur l’OID, et/ou 2) il n’a pas eu l’occasion de dissiper les doutes de l’agent sur son explication censée justifier ses refus antérieurs de répondre.

[27]      Une audience n’est pas toujours nécessaire pour qu’un agent des visas s’acquitte de son obligation d’équité procédurale. « La nature souple de l’obligation d’équité reconnaît qu’une participation valable peut se faire de différentes façons dans des situations différentes » (arrêt Baker, précité, au paragraphe 33). Ce que requiert l’obligation d’équité, c’est que le demandeur ait une réelle possibilité de présenter les divers types de preuves intéressant son cas et d’obtenir qu’ils soient évalués pleinement et équitablement. En général, lorsque des doutes subsistent sur la crédibilité de l’intéressé, la possibilité doit lui être donnée d’éclaircir les aspects qui permettront de dire s’il est crédible ou non (Mukamutara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 451 (Mukamutara), au paragraphe 24). Comme je l’expliquerai cependant, l’absence d’une audience en règle n’a pas constitué de la part de l’agent des visas un manquement à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur.

[28]      Les refus répétés du demandeur de répondre aux questions concernant les activités qu’il avait exercées à l’OID ont fait naître des doutes dans l’esprit des fonctionnaires canadiens. À chacune des entrevues successives du demandeur avec les agents du SCRS et les agents des visas, le demandeur a donné plus de détails sur des questions passées auxquelles il avait refusé de répondre, mais, après examen du dossier, le conseiller Dupuis n’a finalement pas été persuadé que le demandeur n’était pas interdit de territoire.

[29]      S’agissant du premier manquement allégué, il ressort clairement des notes du STIDI consignées durant l’entrevue du 28 mai 2006 avec un agent des visas que le demandeur savait parfaitement que son refus de répondre aux questions était un sujet d’inquiétude.

[30]      S’agissant du deuxième manquement allégué, le conseiller Dupuis n’a manifestement pas été persuadé par l’explication donnée par le demandeur pour justifier ses refus passés et actuels de répondre aux questions. Selon le demandeur, il en a résulté que le conseiller Dupuis a rédigé sa décision en mettant en doute sa crédibilité. Le demandeur dit que, puisqu’il n’a pas été convoqué par le conseiller Dupuis, celui-ci a manqué à son obligation d’équité procédurale en concluant qu’il n’était pas crédible.

[31]      Je ferais observer que la décision du conseiller Dupuis n’était pas fondée sur la crédibilité du demandeur, mais plutôt sur ses fausses déclarations. Le demandeur a refusé de répondre aux questions. Il dit que, dans les cas où les réponses à des questions risquent de mettre en danger la vie d’une personne, comme il prétend que c’est le cas ici, on ne saurait attendre de lui qu’il réponde aux questions. Soit. Mais une explication raisonnable censée justifier un refus de répondre ne change pas le fait que le demandeur refuse de communiquer des renseignements. La jurisprudence prévoit un seul cas où l’état d’esprit d’un demandeur entre en ligne de compte, c’est-à-dire celui où il est raisonnable de croire qu’il n’est pas réticent quant à des renseignements importants. Ce cas ne saurait s’appliquer aux circonstances de la présente affaire : le demandeur a été interrogé sur le travail qu’il faisait à l’OID et il a refusé de répondre. Il est clair que l’agent des visas et les agents du SCRS voulaient savoir quel travail il avait accompli ou auquel il avait participé à l’OID.

[32]      L’évaluation que fait le conseiller Dupuis de l’explication donnée par le demandeur pour justifier son refus de répondre aux questions, évaluation qui, selon le demandeur, était fondée sur une appréciation défavorable de sa crédibilité ou sur des preuves extrinsèques, est donc inexacte et n’est pas pertinente quant à sa conclusion selon laquelle le demandeur a été réticent. Par conséquent, en ne convoquant pas une nouvelle fois le demandeur, le conseiller Dupuis n’a pas de ce fait manqué à l’équité procédurale envers lui.

B.        Le conseiller Dupuis a-t-il commis une erreur dans l’application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR de telle sorte qu’il n’y a pas eu conclusion de sa part sur l’importance des faits dissimulés?

[33]      Il n’est pas contesté que le refus de répondre à des questions constitue une réticence au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[34]      Selon le demandeur, les questions relatives au travail qu’il avait fait à l’OID ne révéleraient pas de faits importants pour sa demande de résidence permanente. Son avocate affirme qu’il n’est pas établi que le conseiller Dupuis s’est interrogé sur l’importance des faits dissimulés; il ne pouvait donc pas invoquer l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Au soutien de cet argument, le demandeur se fonde sur une décision du juge Douglas Campbell, Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 166 (Ali). Je souscris à la décision de mon collègue, mais elle se distingue totalement de la présente espèce.

[35]      Dans la décision Ali, précitée, la fausse déclaration n’était pas un refus de répondre à une question posée au demandeur aux fins d’un contrôle, c’était plutôt la présentation d’un faux dossier scolaire. La décision d’appliquer l’alinéa 40(1)a) de la LIPR était fondée sur le postulat suivant : puisque les dossiers scolaires sont utilisés comme preuve « de l’âge, de l’identité et de la relation avec le parent au Canada » [au paragraphe 3], un faux document risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Fait à noter, le juge Campbell a estimé qu’aucune de ces caractéristiques de l’intéressé n’avait été mise en doute avant que la fraude ne soit découverte. L’agent des visas n’avait pas tenu compte de l’importance de ce document et ne pouvait pas présumer qu’un faux document constitue une preuve de l’existence d’une fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. En somme, le juge Campbell a conclu que le faux document n’avait eu aucun effet sur la décision de l’agent des visas concernant l’admission d’enfants au Canada.

[36]      Les fausses déclarations dont il s’agit ici consistent dans une réticence prenant la forme d’un refus de répondre à certaines questions portant sur des activités exercées dans un emploi antérieur. L’importance des réponses à ces questions ne peut pas être mesurée pour la raison évidente qu’aucune réponse n’a été donnée, mais le champ de l’enquête peut l’être. En refusant la demande de résidence permanente, le conseiller Dupuis expliquait que les réticences du demandeur sur son travail à l’OID risquaient de conduire à une évaluation inexacte de son interdiction de territoire. Dans l’arrêt Biao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 43 (Biao), la Cour d’appel fédérale a jugé qu’un agent des visas serait fondé à refuser une demande de résidence permanente si le fait de l’accorder risquait de contrevenir à la Loi [Loi sur l’immigration]. Selon la Cour d’appel, le fait que le demandeur n’avait pas fourni les documents nécessaires pour établir son admissibilité au Canada ne contrevenait pas à la Loi sur l’immigration, mais constituait plutôt un motif valide pour l’agent des visas de refuser la demande de résidence permanente (arrêt Biao, au paragraphe 2). Ce même raisonnement devrait s’appliquer en l’espèce.

[37]      Le demandeur a fait aussi valoir que l’importance accordée aux faits dissimulés ne peut être justifiée parce qu’il n’y a aucun motif raisonnable de soupçonner qu’il est interdit de territoire. Plus précisément, il faisait valoir que, à l’époque pertinente, le bilan du gouvernement iranien en matière de droits de l’homme n’était pas pointé du doigt, que lui-même n’occupait pas un poste dans la chaîne de commandement, et que nul ne prétendait que lui-même ou le gouvernement iranien s’était livré à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité. Ainsi, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans la décision Sinnaiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1576 (Sinnaiah), il était déraisonnable de se fonder sur le refus du demandeur de répondre aux questions concernant le travail qu’il faisait à l’OID. Je ne suis pas de cet avis.

[38]      D’abord, dans la décision Sinnaiah, précitée, il ne s’agissait pas de savoir s’il était raisonnable ou non d’appliquer la disposition concernant les fausses déclarations, mais plutôt s’il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur appartenait à une organisation terroriste. Deuxièmement, dans la décision Sinnaiah, le demandeur avait nié appartenir à une telle organisation, et la Cour avait jugé que l’agent ne disposait d’absolument aucun « élément de preuve » susceptible de le convaincre le moindrement qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur appartenait à une organisation terroriste (au paragraphe 17). La Cour, après analyse de la preuve, était intervenue au motif que la preuve ne permettait pas à l’agent de conclure que le demandeur était membre d’une organisation terroriste. En l’espèce, la tentative du demandeur de se servir des remarques incidentes de la Cour sur la pertinence des questions de l’agent dans ce contexte-là ne lui est d’aucune aide.

[39]      L’avocate du demandeur a invoqué plusieurs autres précédents pour affirmer en l’espèce qu’il n’y avait aucun lien entre les réticences du demandeur et sa demande de résidence permanente au Canada. Elle s’est fondée sur la décision Baseer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1005 (Baseer), la décision Walia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 486 (Walia), et la décision Mukamutara, précitée. Malheureusement, aucun de ces précédents n’est d’une quelconque utilité pour le demandeur. La décision Baseer a été décidée sur le fondement d’une absence de preuve permettant de conclure à l’existence de fausses déclarations. La décision rendue dans Walia était fondée sur le fait que la preuve n’établissait pas les faits permettant de conclure à une interdiction de territoire, ce qui était également le cas dans la décision Mukamutara.

[40]      Il est vrai que le conseiller Dupuis n’a pas indiqué le motif précis de l’interdiction de territoire, par exemple sécurité, criminalité, terrorisme ou crimes de guerre. Cette omission ne constitue pas une erreur parce que la totalité des faits conduit à une seule et unique conclusion raisonnable : le demandeur savait qu’il suscitait une inquiétude du point de vue de la sécurité et que c’est encore le cas aujourd’hui. (Voir l’arrêt Boulis c. Ministre de la Main d’œuvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875, à la page 885, pour l’énoncé juridique selon lequel la Cour doit s’abstenir d’examiner à la loupe les motifs d’un organisme administratif; et, point à noter, les pages suivantes du dossier du demandeur montrent qu’il était parfaitement au courant des inquiétudes que causaient aux fonctionnaires canadiens les emplois qu’il avait occupés à l’OID et à l’UES, et il savait que les circonstances entourant les emplois en question (par exemple liens avec de hauts fonctionnaires du gouvernement iranien) rendaient son admissibilité problématique pour des raisons de sécurité — voir les pages 71 à 108, et en particulier la page 103.)

[41]      Malgré les arguments habiles de l’avocate du demandeur, l’importance des questions touchant ses activités à l’OID ne fait aucun doute. Comme c’était le cas dans la décision Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299 (1re inst.), le refus du demandeur de répondre, en particulier son refus de révéler ce qu’étaient ses activités, a eu pour effet d’exclure ou d’écarter d’autres enquêtes. Finalement, l’objet de l’enquête menée par l’agent concernant l’interdiction de territoire se trouve contrarié. Les réticences risquaient, ainsi que l’a précisé le conseiller Dupuis, d’entraîner une erreur sur la question de savoir si le demandeur était ou non interdit de territoire selon la LIPR.

[42]      J’ai examiné les demandes de dépens fondées sur l’argument de la mauvaise foi présentées par les parties. Puisque cet aspect n’a pas été poussé plus loin par l’avocate du demandeur, je ne crois pas que soit satisfait le critère des raisons spéciales dont parle la règle 22 [mod. par DORS/2002-232, art. 11] des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [mod. par DORS/2005-339, art. 1].

[43]      Pour conclure, j’ajouterais que le défendeur avait présenté, en vertu de l’article 87 [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la LIPR, une requête en interdiction de divulgation des pièces du dossier certifié du tribunal qui avaient été expurgées. L’avocate du demandeur a répliqué en demandant que soit nommé un avocat spécial. Ces requêtes n’ont pas été poussées plus loin après que le défendeur eut reconnu avec la Cour que le décideur ne s’était pas fondé, dans sa décision, sur les parties supprimées des pièces du dossier.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens. Chacune des parties pourra, au plus tard le 9 juillet 2010, proposer une ou plusieurs questions à certifier, et l’autre partie aura le droit d’y répondre sous réserve de signifier et déposer sa réponse au plus tard le 16 juillet 2010.



[1] Notes de l’entrevue de 1997, dossier de demande, p. 86, à la p. 103.

[2] Notes de l’entrevue de 1997, dossier de demande, p. 86, aux p. 87 et 88.

[3] Notes de l’entrevue de 1998, dossier de demande, p. 101.

[4] Ibid.

[5] Dossier certifié du tribunal, p. 82.

[6] Notes de l’entrevue de 2006, notes du STIDI, dossier certifié du tribunal, p. 9 et 10.

[7] Ibid., p. 9.

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