Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence :

Assoc. canadienne de protection médicale c. Canada, 2009 CAF 115, [2010] 2 R.C.F. 368

A-243-08

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

L’Association canadienne de protection médicale (intimée)

Répertorié : Assoc. canadienne de protection médicale c. Canada (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Desjardins, Nadon et Blais, J.C.A.—Toronto, 2 décembre 2008; Ottawa, 16 avril 2009.

Douanes et Accise — Loi sur la taxe d’accise — Appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt portant que les honoraires versés par l’intimée en contrepartie de services de gestion de placements étaient exonérés de TPS parce qu’ils étaient visés par la définition de « service financier » énoncée à l’art. 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise — L’intimée a retenu les services de gestionnaires de placements — Les gestionnaires de placements achetaient et vendaient des titres par l’entremise de leurs pupitres de négociation ou de courtiers — L’Agence du revenu du Canada a conclu que les services rendus par les gestionnaires de placements n’étaient pas visés par la définition de « service financier » et n’étaient donc pas des services exonérés — La Cour canadienne de l’impôt a infirmé cette décision, statuant qu’il s’agissait de services exonérés et qu’ils constituaient « [la prise de] mesures en vue […] [du] transfert de propriété […] d’un effet financier » au sens des alinéas d) et l) de la définition de « service financier » — Les gestionnaires de placements sélectionnent les meilleurs titres et sont rémunérés en raison de leur savoir-faire et de leur capacité à comprendre le marché — Le fait de « prendre les mesures […] en vue d’effectuer » le transfert de propriété d’un effet financier ne prédomine pas — Les expressions « cause to occur » (« faire en sorte qu’une chose se produise »), « give instructions » (« donner des directives ») et « make preparations for » (« prendre les dispositions en vue de ») sont équivalentes — Le caractère dominant des services rendus par les gestionnaires de placements est la recherche et l’aspect analytique de la profession, mais ceux-ci s’avéreraient inutiles s’ils ne se traduisent pas ultimement par un ordre d’acquisition ou de disposition, ou encore de « statu quo » — Les services rendus par les gestionnaires de placements ne peuvent être divisés et leur conséquence ultime est de « prendre les dispositions en vue d’effectuer la cession de propriété […] d’un effet financier » — En conséquence, les services des gestionnaires de placements sont des services financiers exonérés — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt portant que les honoraires versés par l’intimée aux gestionnaires de placements étaient exonérés de TPS parce qu’ils étaient visés par la définition de « service financier » énoncée au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise.

L’intimée a retenu les services de gestionnaires de placements pour investir son capital. Les gestionnaires de placements ont acheté et vendu des titres pour le compte de l’intimée, soit par l’entremise de leurs pupitres de négociation, soit par celle de courtiers. En 2004, l’Agence du revenu du Canada a rejeté les demandes de remboursement présentées par l’intimée afin de récupérer la TPS perçue sur les honoraires facturés par les gestionnaires de placements. L’Agence du revenu du Canada a conclu que les services rendus par les gestionnaires de placements n’étaient pas visés par la définition de « service financier » et n’étaient donc pas des services exonérés. Cependant, dans le cadre de l’appel, la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’il s’agissait de services exonérés parce qu’ils constituaient « [la prise de] mesures en vue […] [du] transfert de propriété […] d’un effet financier » au sens des alinéas d) et l) de la définition de « service financier ».

La question à trancher en l’espèce était celle de savoir si les honoraires versés par l’intimée étaient exonérés de TPS parce que les services fournis par les gestionnaires de placements étaient visés par la définition de « service financier » énoncée au paragraphe 123(1) de la Loi.

La Cour s’est penchée sur la nature des services rendus par les gestionnaires de placements et le sens juridique de l’expression arranging for (prendre les mesures pour).

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

C’est la nature du service rendu par les gestionnaires de placements qui étaient en cause, et non la nature de celui que les gestionnaires de placements et les courtiers fournissent. Les gestionnaires de placements sélectionnent les meilleurs titres et sont rémunérés en raison de leur savoir-faire et de leur capacité à comprendre le marché. Même si le fait de « prendre les mesures […] en vue d’effectuer » le transfert de propriété d’un effet financier constitue une partie essentielle des activités des gestionnaires de placements, cette partie ne prédomine pas. Pour établir le sens juridique à donner à l’expression « arranging for » (« prendre les mesures pour »), les énoncés de politique et les divers autres documents sont d’ordre trop général. Les expressions équivalentes « cause to occur » (« faire en sorte qu’une chose se produise »), « give instructions » (« donner des directives ») et « make preparations for » (« prendre les dispositions en vue de ») que l’on trouve dans les dictionnaires sont toutes acceptables et leur sens peut s’avérer aussi large et élastique qu’on le veut. D’une part, le caractère dominant des services rendus par les gestionnaires de placements est la recherche et l’aspect analytique de la profession. D’autre part, la recherche ainsi que l’aspect analytique s’avéreraient inutiles s’ils ne se traduisent pas ultimement par un ordre d’acquisition ou de disposition, ou encore de « statu quo ». Les services, examinés dans leur ensemble, rendus par les gestionnaires de placements ne peuvent être divisés. La conséquence ultime de leurs services est de « prendre les dispositions en vue d’effecteur la cession de propriété […] d’un effet financier ». En conséquence, les services des gestionnaires de placements sont des services financiers exonérés.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 123(1) « activité commerciale » (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 10; 1997, ch. 10, art. 1), « effet financier » (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1997, ch. 10, art. 1), « fourniture taxable » (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 10), « service financier » (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 10; 1997, ch. 10, art. 1; 2000, ch. 30, art. 18; 2006, ch. 4, art. 136), 165 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 31; 1997, ch. 10, art. 17, 160; 2006, ch. 4, art. 3; 2007, ch. 18, art. 7, ch. 35, art. 184), ann. V, partie VII, art. 1 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 18).

Loi sur les banques, L.C. 1990, ch. 46.

Loi sur les valeurs mobilières, L.R.O. 1990, ch. S.5, art. 25 (mod. par L.O. 1994, ch. 11, art. 359; 1999, ch. 9, art. 199).

R.R.O. 1990, Règl. 1015, art. 99.

Règlement sur les services financiers (TPS), DORS/91-26, art. 4 (mod. par DORS/93-242, art. 2(F); 2001-61, art. 3).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision examinée :

Banque Royale du Canada c. Canada, 2007 CAF 72, confirmant 2005 CCI 802.

décisions citées :

General Motors du Canada Ltée c. Canada, 2008 CCI 117; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

DOCTRINE CITÉE

Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. Toronto : Oxford University Press, 2004, « arrange ».

Concise Oxford Dictionary of Current English, 9e éd. Oxford : Clarendon Press, 1995, « arrange ».

Énoncé de politique de placement du gouvernement du Canada. Ottawa : Ministère des Finances, janvier 2008, en ligne : <http://www.fin.gc.ca/efa-cfc/SIP08_f.pdf>.

Énoncé de politique sur la TPS/TVH P-239. « Signification de l’expression “prendre les mesures en vue de l’effectuer” que l’on trouve dans la définition de “service financier” », le 30 janvier 2002, en ligne : <http://www.cra-arc.gc.ca/F/pub/gl/p-239/p-239-f.pdf>.

Énoncé de politique sur la TPS P-119. « Honoraires de service (commission remorque) », le 22 février 1994, en ligne : <http://www.cra-arc.gc.ca/F/pub/gl/p-119/p-119-f.pdf>.

Goods & Services Tax: Notice of Ways and Means Motion, 19 décembre 1989 : Canadian Tax Reports, Special Report No. 263: Canadian Goods & Services Tax Reports No. 4, Don Mills, Ont. : CCH Canadian Ltd., 1989.

Goods & Services Tax Technical Paper, 8 août, 1989 : Canadian Sales Tax Reports, Special Report No. 259: Canadian Goods & Services Tax Reports No. 1, Don Mills, Ont. : CCH Canadian Ltd., 1989.

Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, 11e éd. Springfield, Mass. : Merriam-Webster, 2003, « arrange ».

APPEL de la décision (2008 CCI 33) de la Cour canadienne de l’impôt portant que les honoraires versés par l’intimée en contrepartie de services de gestion de placements sont exonérés de la TPS parce qu’ils sont visés par la définition de « service financier » énoncée au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Bonnie F. Moon pour l’appelante.

Ian S. MacGregor, c.r. et D’Arcy A. Schieman pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l., Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1] La juge Desjardins, J.C.A. : Le présent appel d’une décision du juge en chef Bowman de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la Cour de l’impôt), laquelle a été publiée à 2008 CCI 33 et l’appel A-136-08, General Motors du Canada Ltée c. Canada, 2008 CCI 117, entendu par le juge Campbell, également juge à la Cour canadienne de l’impôt, ont été entendus consécutivement. L’appel en l’espèce a été le premier des deux à être inscrit.

[2] Les questions en litige sont connexes mais, comme les deux affaires présentent quelques différences, des motifs distincts sont rendus dans chacun des appels.

[3] En l’espèce, le débat porte sur la question de savoir si les honoraires versés par l’intimée, l’Association canadienne de protection médicale (l’ACPM), à certains gestionnaires de placement pour les périodes se situant entre le 15 octobre 2001 et le 15 octobre 2003 ainsi qu’entre le 1er janvier 2002 et le 31 mars 2004 sont exonérés de TPS [Taxe sur les produits et services] parce qu’ils sont visés par la définition de « service financier » [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 10; 1997, ch. 10, art. 1; 2000, ch. 30, art. 18; 2006, ch. 4, art. 136] prévue au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi).

LES FAITS

[4] Les faits ne sont pas contestés et ils se trouvent dans la décision publiée. Pour les besoins du présent appel, les faits principaux sont énoncés ci-dessous.

[5] L’ACPM est une personne morale sans but lucratif qui, entre autres choses, à titre d’organisme de défense mutuelle, offre aux médecins pratiquant au Canada une protection à l’égard des poursuites en responsabilité professionnelle. Les montants reçus par l’ACPM de la part de ses médecins membres font partie de ses réserves pour réclamations. 

[6] L’ACPM retient les services de gestionnaires de placement qui ont entière discrétion pour investir ces montants dans deux types de comptes : les fonds réservés et les fonds communs.

 [7] Environ 75 à 80 % des fonds sont des fonds réservés. Ceux-ci ne sont pas amalgamés avec les fonds des autres investisseurs. Le reste des fonds est mis en commun avec ceux d’autres investisseurs. L’expression « fond  réservé » ne renvoie pas à l’investissement de sommes d’argent par un gestionnaire de placement dans une entité juridique telle un fonds en fiducie ou un fonds commun de placement, etc. Par ailleurs, les « fonds communs » sont des fiducies de fonds commun de placement dans lesquels l’ACPM investit des capitaux et reçoit des parts de fonds commun de placement. Les gestionnaires de placement agissent soit comme fiduciaire du fonds, soit comme organisme de gestion associé au fiduciaire.

[8] Les gestionnaires de placement jouissent d’une discrétion absolue dans la gestion des fonds. Ils achètent et vendent des titres pour le compte de l’ACPM, encore qu’ils suivent certaines lignes directrices de prudence en matière de placement appelées [traduction] Énoncé des politiques et objectifs de placement (EPOP). L’EPOP est un document en matière de gouvernance qui s’intéresse à la façon dont les actifs du fonds sont investis et qui définit la structure et les procédures à mettre en place concernant l’exploitation du fonds.

[9] L’exécution des opérations se fait soit par l’entremise des pupitres de négociation des gestionnaires de placement, soit par celle de courtiers. 

[10] Le pupitre de négociation a été décrit dans les termes suivants (témoignage de Anthony Gage, D.A., vol. 4, onglet 9, pages 221 et 222) : 

[traduction]

Q. Pourriez-vous expliquer à la Cour ce qu’est un pupitre de négociation.

R. Un pupitre de négociation, je me situerai en ce cas dans le cadre des revenus fixes; ce pupitre se compose de neufs personnes qui négocient les titres faisant partie des portefeuilles dont la gestion leur est confiée en vertu de divers mandats; elles sont responsables, dans leur cas particulier, ce qui est très intéressant, à la fois des fonctions d’acquisition de titres et d’exécution d’opérations qui se fondent ainsi en une seule personne.

[11] Des frais de transaction sur l’achat et la vente de titres sont inclus dans leur coût d’acquisition ou sont déduits de leur produit de disposition.

[12] Les honoraires des gestionnaires de placement ne sont pas basés sur le nombre ou le volume de transactions, mais plutôt sur la taille du portefeuille qui est géré; ces honoraires sont payables même s’ils sont générés au cours d’une période de facturation. Pour des services de cette nature, des honoraires de gestionnaires de placement et la TPS sont facturés à CIBC Mellon qui les paye, à titre de fiduciaire ou de dépositaire, à même l’argent détenu en fiducie, à la suite des autorisations de paiement données par l’ACPM. 

[13] Selon les dispositions de l’article 25 [mod. par L.O. 1994, ch. 11, art. 359; 1999, ch. 9, art. 199] de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, L.R.O. 1990, c. S.5 (LVMO), il incombe au gestionnaire de placement ayant entière discrétion de s’inscrire auprès de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario en tant que « conseiller ». Selon les termes de l’article 99 du Règlement 1015, R.R.O. 1990,  les « conseillers » se divisent en deux catégories distinctes, soit i) le [traduction] « conseiller en placement » et ii) le « gestionnaire de portefeuille ». La catégorie de « conseiller en placement » vise des personnes ou sociétés qui [traduction] « donnent régulièrement des avis portant sur le placement de fonds pour répondre aux objectifs précis de chaque client ». Alors que le « gestionnaire de placement » tombe dans la catégorie de personnes ou sociétés qui [traduction] « sont inscrites dans le but de gérer le portefeuille de placements de clients en vertu de pouvoirs discrétionnaires dévolus par un ou plusieurs clients ».

[14] Les gestionnaires de placements qui ont contracté avec l’ACPM étaient inscrits dans la catégorie des « gestionnaires de portefeuille ».

LA DÉCISION FRAPPÉE D’APPEL

[15] Le 6 mai 2004, l’ACPM a présenté deux demandes de remboursement afin de récupérer la TPS perçue sur les honoraires facturés par les gestionnaires de placement. La période couverte par la première réclamation s’étendait du 15 octobre 2001 au 15 octobre 2003, alors que la deuxième couvrait la période du 1er janvier 2002 au 31 mars 2004.  

[16] Les deux réclamations ont été rejetées par l’Agence du revenu du Canada (ARC), laquelle dans sa décision a statué comme suit : 

[traduction] La fourniture consiste principalement à fournir des avis professionnels en matière de placements et à gérer des fonds. […] Les services rendus par le fournisseur de service de placements ne sont visés par aucun des alinéas de la définition de « services financiers » du paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise. […] En conséquence, l’inscrit [ACPM] était l’acquéreur d’une fourniture taxable et était tenu de payer  la TPS en vertu du paragraphe 165(1) de la Loi sur la taxe d’accise. (J11)

[17] L’ACPM a interjeté appel de cette décision.

[18] La question dont le juge de la Cour de l’impôt a été saisi était de savoir si les honoraires versés par l’ACPM aux gestionnaires de placement étaient exonérés de TPS parce qu’ils étaient visés par la définition de « service financier » aux termes du paragraphe 123(1) de la Loi.

[19] Voici ce qu’a dit le juge de la Cour de l’impôt au paragraphe 42 de ses motifs :

Il s’agit de savoir où, le cas échéant, les services fournis à l’ACPM par les GP se situent dans la définition des services financiers, au paragraphe 123(1) de la LTA. La question initiale est une question de fait : quel est le service que les GP fournissent pour gagner leurs honoraires? Une fois que la réponse est connue, une question de droit se pose, à savoir cette activité est-elle visée par la définition.

[20] Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que les services rendus étaient une fourniture exonérée parce qu’ils étaient visés par la définition de « service financier » aux alinéas 123(1)d) et l) de la Loi, et aux alinéas 123(1)c) et l) en ce qui concerne le prêt de titres. Il a fondé sa conclusion sur la constatation que les services de gestion des placements étaient rendus en vertu de pouvoirs discrétionnaires absolus, qu’aucun avis n’était demandé ou donné au sens de l’alinéa 123(1)p) de la définition de « service financier », que les services rendus par les gestionnaires de placement ne contituaient pas de l’expertise et que ni l’acquisiton ni la disposition de titres n’étaient visées par la définition de « service financier » aux alinéas 123(1)q) ou t).

[21] Le juge de la Cour de l’impôt a fait une distinction avec la décision rendue par le juge Campbell dans General Motors du Canada Ltée c. Canada (l’affaire GMCL) déjà mentionnée, une décision qui venait à peine d’être rendue avant le prononcé de son propre jugement. À son avis, l’affaire GMCL était « beaucoup plus complexe sur le plan factuel » et le contrôle exercé par General Motors du Canada Ltée était beaucoup plus grand dans cette affaire que celui dans la présente espèce où les gestionnaires de placements disposaient d’un pouvoir d’action absolu.

[22] Voici les paragraphes les plus pertinents des motifs de la décision du juge en chef Bowman (aux paragraphes 43 et 44, 46 à 49) :

Ma conclusion de fait est la suivante : les services des GP sont retenus pour qu’ils achètent et vendent pour le compte de l’appelante, à leur entière discrétion, un groupe particulier de titres, qu’il s’agisse de titres à revenu fixe, d’actions canadiennes ou d’actions américaines. On s’attend à ce qu’ils le fassent en utilisant leurs compétences et leur expertise. Les GP sont choisis avec soin, compte tenu de leur expérience, de leur rendement passé et de leur expertise. Ils sont renvoyés si leur rendement ne répond pas aux attentes de l’appelante. Ils ont entière discrétion dans les limites du groupe de titres visé par leur mandat et sous réserve des restrictions imposées dans l’EPOP de l’appelante.

Les GP ne sont pas rémunérés pour donner des conseils et ils ne donnent pas de conseils, sauf dans des circonstances fort restreintes, lorsqu’ils peuvent proposer à l’appelante de modifier son EPOP, de façon à avoir plus de latitude en matière de placements, par exemple lorsqu’il s’agit de modifier le pourcentage d’obligations provinciales qui peuvent être détenues dans un portefeuille. Ils font chaque mois rapport à l’appelante au sujet des achats et des ventes qu’ils ont effectués. Ils n’obtiennent pas au préalable l’autorisation de l’appelante pour les achats et les ventes qu’ils concluent. Leurs honoraires sont basés sur un pourcentage de la valeur des titres qui sont détenus dans le portefeuille. Il ne s’agit pas de courtiers. Ils exécutent les opérations sur titres en donnant des instructions aux courtiers. Les titres sont détenus au nom du dépositaire, dont le rôle est essentiellement passif.

[…]

À mon avis, il convient ici de signaler deux choses. En premier lieu, je ne puis rien voir qui permette de faire une distinction entre les services fournis par les GP à l’égard des fonds réservés et ceux qui sont fournis à l’égard des fonds communs. Les fonds réservés ne sont pas amalgamés aux actifs d’autres investisseurs. Ils sont tenus à l’écart, et les GP les achètent et les vendent conformément aux pouvoirs discrétionnaires qui leur sont conférés aux termes de la convention de gestion de placements. Les fonds communs sont des fonds dans lesquels les GP ont investi les fonds de l’appelante qui ont été mis en commun avec les fonds d’autres investisseurs. Les actifs investis dans les fonds communs étaient de deux types : des participations dans des sociétés en commandite et des unités de fiducies de fonds commun de placement.

En second lieu, il est à mon avis essentiel de faire une distinction entre la qualité du service fourni et la nature du service. L’avocat de l’intimée a fortement mis l’accent sur les compétences, sur l’expertise et sur l’expérience des GP dont l’appelante avait retenu les services. Je ne doute pas des compétences et de l’expertise des GP. Néanmoins, il est inexact de dire que l’appelante achetait ces compétences et cette expertise, et qu’elle payait pour en bénéficier. On n’achète pas ces qualités dans l’abstrait, indépendamment du service qui est fourni. Lorsque l’on retient les services d’un médecin, d’un avocat, d’un ingénieur, d’un courtier ou d’un comptable, chacun de ces spécialistes fournit un service qui est défini par son domaine particulier d’expertise — services médicaux, services financiers, services juridiques et ainsi de suite. Les services peuvent être fournis d’une façon adroite et éclairée ou leur fourniture peut être effectuée d’une façon malhabile. Peu importe qu’un spécialiste fournisse bien ou mal un service professionnel donné, la nature du service demeure la même.

Je crois que les services fournis à l’ACPM par les GP sont visés par la définition des services financiers en raison des alinéas d) et l) de la définition, parce qu’ils constituent « [la prise de] mesures en vue […] [du] transfert de propriété […] d’un effet financier ». Voir Royal Bank v. R., [2007] G.S.T.C. 18, paragraphes 9 et 12. Selon certains éléments de preuve, l’appelante s’occupait également de prêt de titres. Dans la mesure où elle le faisait, les honoraires sont également visés aux alinéas c) et l).

Étant donné que j’ai conclu que les services sont visés aux alinéas c) ou d) et l), j’examinerai maintenant le second volet de l’analyse, à savoir l’exclusion prévue aux alinéas p), q) et t). [Non souligné dans l’original.]

[23] Au paragraphe 48 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt n’a pas fait état de la définition de « [la prise de] mesures en vue » (« arranging for » dans le texte anglais) qu’il a retenue. Il s’en est simplement remis à une décision de notre Cour dans Banque Royale du Canada c. Canada, 2007 CAF 72, une décision que je commenterai dans mon analyse.

LE RÉGIME LÉGISLATIF

[24] L’article 165 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 31; 1997, ch. 10, art. 17, 160; 2006, ch. 4, art. 3; 2007, ch. 18, art. 7, c. 35, art. 184] de la Loi impose de la TPS sur les « fournitures taxables ». Le paragraphe 123(1) de la Loi définit une « fourniture taxable » [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 10] comme une fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale et l’« activité commerciale » [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 10; 1997, ch. 10, art. 1] d’une personne y est à son tour définie de façon à exclure la réalisation par une personne de fournitures exonérées.

[25] L’annexe V de la Loi énumère les fournitures éxonérées. « La fourniture de services financiers » est exonérée de taxe par l’article 1 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 18] de la partie VII de l’annexe V.

[26] Voici comment le paragraphe 123(1) de la Loi définit, en partie, un « service financier » :

123. (1) […]

« service financier »

a) L’échange, le paiement, l’émission, la réception ou le transfert d’argent, réalisé au moyen d’échange de monnaie, d’opération de crédit ou de débit d’un compte ou autrement;

b) la tenue d’un compte d’épargne, de chèques, de dépôt, de prêts, d’achats à crédit ou autre;

c) le prêt ou l’emprunt d’un effet financier;

d) l’émission, l’octroi, l’attribution, l’acceptation, l’endossement, le renouvellement, le traitement, la modification, le transfert de propriété ou le remboursement d’un effet financier;

e) l’offre, la modification, la remise ou la réception d’une garantie, d’une acceptation ou d’une indemnité visant un effet financier;

f) le paiement ou la réception d’argent à titre de dividendes, sauf les ristournes, d’intérêts, de principal ou d’avantages, ou tout paiement ou réception d’argent semblable, relativement à un effet financier;

[…]

l) le fait de consentir à effectuer un service visé à l’un des alinéas a) à i) ou de prendre les mesures en vue de l’effectuer;

[…]

La présente définition exclut :

[…]

p) les services de conseil […]

q) l’un des services suivants rendus soit à un régime de placement, au sens du paragraphe 149(5), soit à une personne morale, à une société de personnes ou à une fiducie dont l’activité principale consiste à investir des fonds

[…]

t) les services visés par règlement. [Je souligne.]

[27] Pour l’application de l’alinéa t) de la définition de « service financier », au paragraphe 123(1) de la Loi, voici les dispositions pertinentes du Règlement sur les services financiers (TPS), DORS/91-26 [art. 4 (mod. par DORS/93-242, art. 2(F); 2001-261, art. 3)] :

 4. […]

(2) Sous réserve du paragraphe (3), pour l’application de l’alinéa t) de la définition de « service financier », au paragraphe 123(1) de la Loi, sont visés les services suivants, sauf ceux mentionnés à l’article 3 :

a) la communication, la collecte ou le traitement de renseignements;

b) les services administratifs, y compris ceux reliés au paiement ou au recouvrement de dividendes, d’intérêts, de capital, de créances, d’avantages ou d’autres montants, à l’exclusion des services ne portant que sur le paiement ou le recouvrement.

(3) Pour l’application de l’alinéa t) de la définition de « service financier », au paragraphe 123(1) de la Loi, ne sont pas visés les services mentionnés au paragraphe (2) et fournis relativement à un effet par :

a) la personne à risque;

b) la personne étroitement liée à la personne à risque, si l’acquéreur du service n’est ni la personne à risque, ni une autre personne étroitement liée à celle-ci;

c) le mandataire, le vendeur ou le courtier qui prend des mesures en vue de l’émission, du renouvellement, de la modification ou du transfert de propriété de l’effet pour le compte de la personne à risque ou d’une personne étroitement liée à celle-ci. [Je souligne.]

[28] Si le service rendu par les gestionnaires de placement est visé par l’un ou l’autre des alinéas a) à m) de la définition de « service financier », il s’agit d’une fourniture exonérée, sauf si elle est exclue par l’un ou l’autre des alinéas n) à t). Par ailleurs, si le service n’est visé par aucun des alinéas a) à m), il s’agit d’une fourniture imposable.

[29] Le terme « effet financier » [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1997, ch. 10, art. 1] est également défini dans la Loi, mais cette définition n’est pas en cause.

LA NORME DE CONTRÔLE

[30] La principale question en litige dans la présente instance consiste à déterminer le sens à donner à l’expression « prendre les mesures en vue de l’effectuer » (« arranging for » dans le texte anglais) à l’alinéa 123(1)l) de la Loi. Il s’agit essentiellement d’une question de droit. La norme de contrôle est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 8 et suivants).

LA QUESTION EN LITIGE — LES ARGUMENTS DES PARTIES

[31] Les deux parties ont reconnu que le service qui consiste à prendre les mesures en vue d’acquérir et de vendre des titres est visé par les alinéas 123(1)d) et l) de la Loi qui font référence à « prendre les mesures en vue d’effectuer […] le transfert de propriété […] d’un effet financier »; (« arranging for […] the transfer of ownership […] of a financial instrument » dans le texte anglais).

[32] Ainsi, les deux parties conviennent, à tout le moins, qu’aucune TPS n’est payable sur les honoraires des courtiers car le service qu’ils rendent est un service financier.

[33] La question en litige est de savoir si l’expression « prendre les mesures » (« arranging for ») aux alinéas 123(1)d) et l) de la Loi vise le service rendu par les gestionnaires de placement.

[34] L’appelante dit que ce n’est pas le cas. Elle soutient que le législateur a établi une distinction entre les services rendus par les gestionnaires de placement et ceux des courtiers. L’appelante fait valoir que le juge de la Cour de l’impôt a donné un sens beaucoup trop large à l’expression « arranging for » qui, selon elle, devrait s’interpréter conformément à son sens grammatical ordinaire, sans plus. L’appelante s’appuie sur le Concise Oxford Dictionary of Current English, 9e éd., Oxford : Clarendon Press, 1995, lequel donne à la page 68 le sens suivant au mot « arrange », notamment [traduction] « faire en sorte qu’une chose se produise » et « donner instruction ».

[35] L’intimée soutient que le juge de la Cour de l’impôt a donné à l’expression « arranging for » un sens qui est conforme à la jurisprudence de notre Cour établie dans Banque Royale du Canada c. Camada, précité. L’ACPM fait valoir que selon la décision Banque Royale, plus d’une personne ou groupe de personnes peuvent « prendre les mesures […] en vue de » fournir un « service financier ». Voici ce que soutient l’ACPM au paragraphe 57 de son exposé des faits et du droit :

[traduction] La décision de la présente Cour dans Banque Royale permet clairement de tirer la conclusion selon laquelle deux parties peuvent « prendre les mesures en vue d’effectuer » le transfert des mêmes titres. Dans cette décision, il a été jugé qu’il y avait eu réalisation d’une fourniture exonérée de la part de la Banque (partie #1) « en raison des mesures qu’elle avait prises en vue de » permettre à Royal Mutual Funds Inc. (« RMFI ») (partie #2) de « prendre les mesures […] en vue d’effectuer » la vente de titres provenant de différentes fiducies et sociétés de fonds commun de placement de la Banque Royale (partie #3) à des épargnants (partie #4). En d’autres termes, la Banque et le RMFI « prenaient les mesures […] en vue d’effectuer » la vente de titres par l’intermédiaire de fiducies et de sociétés de fonds commun de placement à des épargnants.

ANALYSE

[36] Au départ, il convient de formuler trois remarques.

[37] Premièrement, je conviens avec le juge de la Cour de l’impôt que rien ne permet de faire une distinction entre les services qui sont fournis par les gestionnaires de placement à l’égard des fonds réservés et ceux fournis à l’égard des fonds communs (motifs du jugement, au paragraphe 46).

[38] Deuxièmement, il conviendrait de préciser le sens du mot « expertise ».

[39] Au sous-alinéa 6a) de sa réponse modifiée à l’avis d’appel, l’appelante dit ce qui suit :

[traduction] […] l’objet primordial de l’embauche des gestionnaires de placement (les « GP ») se rapportait à l’expertise des GP lorsqu’il s’agissait de choisir des produits de placement rentables et de décider à quel moment il fallait échanger ces produits ou les vendre.

[40] L’« expertise » n’est pas rattachée aux personnes elles-mêmes. Elle renvoie plutôt à la formation ou spécialisation qui appartient à cette catégorie de professionnels. Il ne fait aucun doute que l’ACPM a retenu les services de gestionnaires de placement de très grande compétence, mais la question de savoir s’il s’agit de personnes compétentes n’est d’aucune pertinence en ce qui concerne la question en litige. C’est la nature du service fourni qu’il faut déterminer. Autrement dit, nous devons comprendre quel genre de services ont à offrir les gestionnaires de placement, grâce à leur formation et spécialisation particulières, pour que d’autres personnes, à savoir des particuliers et des sociétés, soient intéressées à retenir leurs services.

[41] À mon avis, le juge de la Cour de l’impôt a bien saisi la distinction entre l’expertise personnelle et la formation professionnelle lorsqu’il a déclaré à la fin de son paragraphe 52 : 

Le service n’est pas composé de l’expertise. Le service est ce qu’il est, qu’il soit fourni d’une façon éclairée ou non. La nature d’un service particulier ne dépend pas du degré de compétence avec lequel ce service est fourni.

[42] Troisièmement, au paragraphe 48 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt s’appuie sur la décision Banque Royale, précitée, rendue par notre Cour, pour conclure que les services fournis par les gestionnaires de placement sont des « services financiers » visés par les alinéas 123(1)d) et  l) de la Loi.

[43] Un examen attentif de la décision Banque Royale s’impose.

[44] Dans cette affaire (selon les explications du juge Bowie de la Cour de l’impôt dans 2005 CCI 802), la Banque Royale (la Banque) a conclu des contrats avec Fonds d’investissement Royal Inc. (FIRI), la Compagnie Trust Royal et la Société Trust Royal du Canada, aux termes desquels la Banque fournissait à FIRI ce qu’on appelait des « services de succursale » dans le but d’aider FIRI à s’acquitter de fonctions de distribution et gestion de titres de fonds commun de placement, dans le cadre de certaines limites fixées par les autorités réglementaires. Le FIRI devait détenir, et détenait, des permis délivrés par les commissions des valeurs mobilières provinciales pour exercer de telles activités. Ainsi qu’il a été souligné au paragraphe 6 de la décision, la distribution de titres de fonds commun de placement était une activité fortement réglementée et les banques ne pouvaient les distribuer en  raison des dispositions de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46.

[45] Les « services de succursale » en cause ont donc été définis dans l’entente-cadre de prestation de services (l’ECPS) intervenue entre le FIRI, la Banque et les autres signataires (voir Banque Royale, 2005 CCI 802, au paragraphe 7) : 

[traduction] Par « Services de succursale » , on entend la fourniture de personnel, de bureaux de succursales, de services informatiques et d’autres services nécessaires de [la Banque] visant à permettre la vente de fonds communs de placement du Trust Royal et de RoyFund ainsi que le service continu à la clientèle.

[46] La Banque a toujours considéré que les services de succursale constituaient des fournitures imposables. La TPS était perçue et des crédits de taxe pour intrants (CTI) étaient réclamés. Il n’a pas été contesté que si les services de succursale étaient des services financiers, ils constituaient des services exonérés. La Banque aurait payé les taxes par erreur et réclamé les CTI également par erreur.

[47] Le ministre a établi la cotisation de la Banque en se fondant sur le fait que les services de succursale étaient visés par les alinéas d) et l) du paragraphe 123(1) de la Loi. Selon la Banque, les services fournis au FIRI étaient des services administratifs exclus de la définition de « service financier » par l’alinéa t) (« services visés par règlement »).

[48] Dans Banque Royale, 2005 CCI 802, le juge Bowie de la Cour de l’impôt a rejeté l’argument de la Banque. Il a accepté la définition que donne le Canadian Oxford Dictionnary [2e éd. Toronto : Oxford University Press, 2004] du terme « arrange » ([traduction] « planifier ou prévoir »; « faire en sorte qu’une chose se produise ») et il a conclu que le service que la Banque fournissait au FIRI « consistait à prendre des mesures pour la distribution de fonds communs de placement ainsi qu’à fournir des services continus à la clientèle, notamment en répondant aux demandes de renseignements des clients et en prépayant les documents de rachat pour les clients sur demande ». Il dit au paragraphe 15 de ses motifs :

Il n’existe dans la preuve aucun fondement me permettant de répartir la contrepartie entre l’organisation de ventes de parts et le service continu à la clientèle; de plus, aucune des deux parties n’a soutenu qu’il y avait autre chose qu’une seule fourniture en cause. Dans la mesure où il en était question dans la preuve, il semble que la prise de mesures en vue de la vente de fonds communs de placement ait été l’élément dominant de l’activité. [Non souligné dans l’original.]

[49] Au paragraphe 12 de 2007 CAF 72, notre Cour a confirmé cette conclusion en déclarant :

L’appelante fournissait des services qui étaient beaucoup plus que des services de soutien et des conseils. Les parties ont convenu que les services devaient être traités comme une seule fourniture de services et ne pas être divisés. Il est évident que la caractéristique dominante et, dirions-nous essentielle, de cette fourniture de services par des membres du personnel titulaires de permis conformément au régime de réglementation était la vente de valeurs mobilières pour le compte de FIRI, c’est-à-dire la distribution de parts des Fonds. [Non souligné dans l’original.]

[50] En fait, le personnel de la Banque servait deux maîtres : la Banque et le FIRI. La Cour a été appelée à déterminer la nature des services rendus par le personnel de la Banque. Les deux parties ont convenu que les services devaient être traités comme une seule fourniture de services et ne pas être divisés. De plus, il ressortait de la preuve que la vente de valeurs mobilières constituait la caractéristique dominante du service fourni.

[51] En l’espèce, c’est la nature du service rendu par les gestionnaires de placement qui est en cause, et non la nature de celui que les gestionnaires de placement et les courtiers fournissent. Les parties n’ont pas convenu en l’espèce que les deux services ne devaient pas être divisés et elles contestent également la caractéristique dominante des services rendus par les gestionnaires de placement.

[52] Je conclus que l’affaire Banque Royale n’est d’aucun secours.

[53] J’examinerai donc la nature des services rendus par les gestionnaires de placement.

[54] Je commencerai par examiner les faits.

[55] La composition du pupitre de négociation des gestionnaires de placement appelés à témoigner au procès par l’ACPM comprenait des personnes dont le travail consiste à sélectionner les titres qui seront acquis ou dont il sera disposé, et qui exécutent les opérations. D’autres gestionnaires de placement donnent les ordres pour l’achat ou la vente des titres et des courtiers les exécutent. La preuve démontre que les services des gestionnaires de placement sont retenus parce qu’il s’agit de personnes habiles, parce qu’ils comprennent le marché et ont la faculté de générer un rendement supérieur à celui du marché, que la conjoncture soit bonne ou mauvaise. Leur rôle consiste à sélectionner les meilleurs titres en procédant par l’analyse d’états financiers et en effectuant des recherches poussées dans des domaines pertinents afin de découvir la perle rare et de déceler les titres offrant de piètres rendements. C’est d’ailleurs en raison de leur savoir-faire en matière d’acquisition ou de disposition de titres qu’ils sont rémunérés, assez généreusement, en fonction d’un pourcentage calculé sur la valeur du portefeuille qu’ils gèrent. Plus leur réussite est grande dans l’acquisition de titres, plus les résultats sont probants. Si la valeur du portefeuille croît, les sommes qu’ils reçoivent augmentent également. La prestation de services de gestion de placement nécessite une formation particulière et une capacité de jugement de la part des gestionnaires de placement pour qu’ils soient en mesure de se pencher sur des conditions de marché complexes en mouvance constante.

[56] Le résultat final de l’exercice est le transfert de propriété d’effets financiers. « Prendre les mesures [...] en vue d’effectuer » le transfert de propriété d’un effet financier, c.-à-d., donner des instructions, faire en sorte que soient données ou donnent les ordres d’achat ou de vente aux courtiers ne requièrent qu’une dose infime de savoir-faire et de temps. Bien que les ordres ainsi donnés constituent une partie essentielle et vitale des activités des gestionnaires de placement, elle n’est cependant pas celle qui prédomine. Le savoir-faire démontré dans la sélection, c.-à-d., la recherche nécessaire à la préparation de l’ordre d’achat ou de vente, constitue l’activité principale des gestionnaires de placement et la raison d’être de leur embauche. La qualité de la sélection est la marque de commerce de leur profession.

[57] La question de droit qui se pose est la suivante : considérée dans son ensemble, comment cette activité devrait-elle être classée suivant le paragraphe 123(1) de la Loi?

[58] Quel sens juridique doit-il être donné aux expressions « arranging for » à l’alinéa 123(1)l) (« prendre les mesures [pour] ») et « the service of providing advice » (« les services de conseil ») à l’alinéa 123(1)p) de la Loi?

[59] J’estime inutiles les énoncés de politique et les divers autres documents auxquels renvoie l’intimée, notamment  l’Énoncé de politique sur la TPS P-119 – Honoraires de service (commission remorque), daté du 22 février 1994; l’Énoncé de politique sur la TPS/TVH P-239 – Signification de l’expression « prendre les mesures en vue de l’effectuer » que l’on trouve dans la définition de « service financier », daté du 30 janvier 2002; Michael Wilson, ministère des Finances, « Goods and Services Tax: Notice of Ways and Means Motion », Canadian Goods and Services Tax Reports No. 4, (19 décembre 1989); Michael Wilson, ministère des Finances, « Goods and Services Tax Technical Paper », Canadian Goods and Services Tax Reports No. 1, (8 août 1989) :  ils sont ou bien d’ordre trop général, ou alors les exemples donnés ne correspondent pas à ceux en l’espèce, ou encore ils appuient des thèses sans en démontrer le bien-fondé.

[60] Le Concise Oxford Dictionary of Current English énumère des expressions équivalentes telles « cause to occur » (« faire en sorte qu’une chose se produise »), « give instructions » (« donner des directives »). Le Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary [11e éd. Springfield, Mass. : Merriam-Wester, 2003] indique « make preparations for » (« prendre les dispositions en vue de »); « plan » (« planifier »). En français, l’expression « prendre des mesures » équivaut à dire « prendre les dispositions, les mesures pour ».

[61] Je conclus que les expressions « give instructions », « make preparations for » et « prendre les dispositions pour » sont toutes acceptables et que leur sens peut s’avérer aussi large et élastique  qu’on le veut.

[62] D’une part, il y a un monde de différence entre les services rendus par les gestionnaires de placement et ceux des courtiers dont, de façon générale, la nature des tâches est plus mécanique. Si je devais retenir le caractère dominant des services rendus par les gestionnaires de placement, j’opterais sans doute pour la recherche et l’aspect analytique de la profession.

[63] D’autre part, la recherche ainsi que l’aspect analytique de la profession s’avéreraient inutiles s’ils ne se traduisaient pas ultimement par un ordre d’acquisition ou de disposition, ou encore de « statu quo ». L’ordre final est un élément essentiel de la gestion des fonds par les gestionnaires de placement. Autrement, le gestionnaire de placement ne gère en rien.

[64] Je conclus que les services, examinés dans leur ensemble, rendus par les gestionnaires de placement ne peuvent être divisés. Il s’agit d’un amalgame. Ces gestionnaires ne prodiguent pas d’avis puisqu’il n’y a personne pour les recevoir et qu’ils sont les seuls à en bénéficier. La conséquence ultime de leurs services est de « prendre les dispositions en vue d’effectuer la cession de propriété […] d’un effet financier ». Ces services sont visés par les alinéas 123 (1)d) et l) de la Loi.

[65] En conséquence, les services qu’ils fournissent sont des services financiers exonérés.

[66] Je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Blais, J.C.A. : Je suis d’accord.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.