RÉférence : |
Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 672, [2010] 1 R.C.F. 255 |
T-18-09 |
Syed Ali Asghar Iqbal Ahmed (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Mactavish—Toronto, 3 juin; Ottawa, 29 juin 2009.
Il s’agissait d’un appel à l’encontre de la décision par laquelle un juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté du demandeur parce que ce dernier faisait l’objet d’accusations criminelles à la date de l’audience et il était donc sous le coup de l’interdiction de la loi prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. Le demandeur avait été inculpé pour des infractions mixtes et, avant la tenue de son audience, le procureur de la Couronne chargé de le poursuivre avait choisi de procéder par voie sommaire. Il s’agissait de savoir si le caractère essentiel d’une infraction criminelle peut changer lorsque la Couronne choisit de procéder par voie sommaire, ou si l’infraction demeure un acte criminel pour l’application de l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté.
Jugement : l’appel doit être accueilli.
Le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en statuant que le demandeur était sous le coup d’une interdiction selon la loi. Même si l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation précise que lorsqu’un texte crée une infraction, celle-ci est réputée un acte criminel si le texte prévoit que le contrevenant peut être poursuivi par mise en accusation, la jurisprudence récente de la Cour d’appel a interprété l’alinéa 34(1)a) comme signifiant que les infractions mixtes sont réputées des actes criminels, à moins que la Couronne choisisse de procéder par voie de procédure sommaire. À la lumière de l’analyse actuelle de l’alinéa 34(1)a), le demandeur ne faisait plus l’objet d’accusations relativement à un acte criminel à la date de l’audience. En conséquence, l’interdiction de la loi prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté ne s’appliquait pas.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 264.1(1)a) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 38; L.C. 1994, ch. 44, art. 16), 266.
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 34(1)a).
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 22(1)b) (mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 67; 2008, ch. 14, art. 11).
Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18, art. 3(1)b)(i).
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(2)a) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Trinidad and Tobago (Republic) v. Davis, 2008 ABCA 275, 433 A.R. 253, [2008] 12 W.W.R. 633, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2008] C.S.C.R. no 421 (QL); R. v. Paul-Marr, 2005 NSCA 73, 234 N.S.R. (2d) 6, 99 C.C.C. (3d) 424.
décision différenciée :
Ngalla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 360 (1re inst.) (QL).
décisions examinées :
Gulri (Re), [1993] A.C.F. no 654 (1re inst.) (QL); Vithiyananthan c. Canada (Procureur général), [2000] 3 C.F. 576 (1re inst.).
décisions citées :
Dallman v. The King, [1942] R.C.S. 339, [1942] D.L.R. 145, (1942), 77 C.C.C. 289; Brown c. Baugh et autre, [1984] 1 R.C.S. 192; R. v. Connors (1998), 155 D.L.R. (4th) 391, [1998] 8 W.W.R. 421, 49 B.C.L.R. (3d) 376; R. v. S.P., [1996] O.J. no 4620 (Div. gén.) (QL); R. v. Wilson (1997), 44 C.R.R. (2d) 480 (C.J. Ont.); R. v. J.W.D. (1997), 26 O.T.C. 381 (Div. gén.); R. v. Martin, [1996] O.J. no 4343 (C.J.); R. v. Mitchell (1997), 36 O.R. (3d) 643, 121 C.C.C. (3d) 139 (C.A.); R. v. Gougeon (1980), 55 C.C.C. (2d) 218 (C.A. Ont.).
APPEL à l’encontre de la décision par laquelle un juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté du demandeur parce que ce dernier faisait l’objet d’accusations criminelles à la date de l’audience et il était donc sous le coup de l’interdiction de la loi prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. Appel accueilli.
ONT COMPARU
Syed Ali Asghar Iqbal Ahmed pour son propre compte.
Bridget A. O’Leary pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] La juge Mactavish : La demande de citoyenneté de Syed Ali Asghar Iqbal Ahmed a été rejetée car le juge qui a entendu cette demande a conclu que M. Ahmed faisait l’objet d’accusations criminelles à la date de l’audience. Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en statuant que M. Ahmed était sous le coup d’une interdiction selon la loi. L’appel sera donc accueilli.
Contexte
[2] Les faits en l’espèce sont simples et ne sont pas contestés. M. Ahmed est arrivé au Canada depuis l’Iran en mai 2003. Il a rempli les conditions de résidence prévues par la loi, et il a présenté une demande de citoyenneté canadienne en juin 2006.
[3] En janvier 2008, M. Ahmed a eu une dispute avec son épouse, et la police est intervenue. Il a été inculpé pour deux chefs de voies de fait en vertu de l’article 266 du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] et un chef d’accusation d’avoir proféré des menaces, infraction prévue à l’alinéa 264.1(1)a) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 38; L.C. 1994, ch. 44, art. 16] du Code. Bien que cela ne soit pas pertinent comme tel à la question soumise en l’espèce, il semble que plusieurs semaines après l’audience relative à la citoyenneté, la Couronne ait retiré les chefs d’accusation sur consentement de M. Ahmed de signer un engagement de ne pas troubler l’ordre public.
[4] M. Ahmed a comparu devant un juge de la citoyenneté le 3 octobre 2008. Il a rempli toutes les conditions prévues par la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, mais le juge de la citoyenneté a conclu qu’il ne pouvait pas recevoir la citoyenneté en vertu de l’alinéa 22(1)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 67; 2008, ch. 14, art. 11] de la Loi, qui est ainsi rédigé :
22. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre des paragraphes 5(1), (2) ou (4) ou 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté :
[. . .]
b) tant qu’il est inculpé pour une infraction prévue aux paragraphes 29(2) ou (3) ou pour un acte criminel prévu par une loi fédérale, autre qu’une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions, et ce, jusqu’à la date d’épuisement des voies de recours; [Non souligné dans l’original.]
[5] M. Ahmed s’est représenté lui-même dans la présente instance et s’est essentiellement placé à la merci de la Cour, demandant qu’elle lui attribue la citoyenneté pour qu’il puisse voyager à l’extérieur du Canada avec son épouse et son enfant.
[6] Les accusations de voies de fait et de menaces sont des infractions mixtes. Ce qui signifie qu’elles peuvent être portées soit par voie de mise en accusation, soit par voie de déclaration sommaire de culpabilité, au choix de la poursuite. Lors de mon examen du dossier avant l’audience, j’avais noté que le procureur de la Couronne chargé de poursuivre M. Ahmed avait choisi, le 21 janvier 2008, de procéder par voie sommaire à l’égard de toutes les accusations.
[7] À l’audience, j’ai demandé aux parties si M. Ahmed était effectivement « inculpé pour [. . .] un acte criminel » à la date de l’audition de sa demande de citoyenneté, compte tenu du choix de la poursuite de procéder par voie sommaire. Comme aucune des parties n’a pu me donner de réponse au cours de l’audience, je leur ai accordé un délai pour déposer des observations supplémentaires à l’égard de cette question.
Analyse
[8] La Cour est saisie de la question de savoir si le caractère essentiel d’une infraction criminelle peut changer lorsque la Couronne choisit de procéder par voie sommaire, ou si l’infraction demeure un acte criminel pour l’application de l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté.
[9] Les observations des parties, combinées avec les propres recherches de la Cour, ont révélé que ce qui pouvait sembler une question assez simple au départ est en réalité une question à laquelle il n’est pas facile de répondre, étant donné que les opinions judiciaires sur ce point divergent sensiblement.
[10] Bon nombre de décisions portant sur la classification des infractions criminelles se fondent sur l’application de l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, ainsi rédigé :
34. (1) Les règles suivantes s’appliquent à l’interprétation d’un texte créant une infraction :
a) l’infraction est réputée un acte criminel si le texte prévoit que le contrevenant peut être poursuivi par mise en accusation;
[11] Pour déterminer si M. Ahmed était toujours inculpé pour un acte criminel à la date de l’audition de sa demande de citoyenneté, je vais d’abord examiner la jurisprudence que la Cour a établie en matière de citoyenneté et d’immigration. Je vais ensuite examiner l’état de la jurisprudence en droit pénal.
Jurisprudence de la Cour fédérale
[12] D’abord, en ce qui concerne la jurisprudence de la Cour fédérale, la seule affaire de citoyenneté qui, selon la Cour, semble être à propos est Gulri (Re), [1993] A.C.F. no 654 (1re inst.) (QL). Comme dans le cas de M. Ahmed, M. Gulri était accusé de voies de fait, et le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté après avoir conclu qu’il faisait l’objet d’accusations relativement à un acte criminel.
[13] À l’audition de la demande de contrôle judiciaire de M. Gulri, la Cour a conclu qu’il n’y avait rien au dossier indiquant que la Couronne avait procédé par voie de mise en accusation ou par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Le juge de la demande a donc décidé d’ajourner l’appel pour permettre aux parties d’obtenir des renseignements sur la façon dont l’accusation avait été portée. À la reprise de l’audience, la Cour a jugé que l’accusation avait été traitée en tant qu’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et que, tout comme la situation de M. Ahmed, l’accusation de voies de fait s’était soldée par un retrait ou un rejet quelque temps après l’audience relative à la citoyenneté, lorsque M. Gulri a souscrit l’engagement de ne pas troubler la paix publique.
[14] La Cour a conclu que le juge de la citoyenneté avait commis une erreur en appliquant l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté à l’égard de M. Gulri. Étant donné que la Couronne avait procédé par voie sommaire, la Cour a conclu que M. Gulri n’était pas inculpé pour un acte criminel à la date de l’audience relative à sa citoyenneté.
[15] Il semble que l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation n’ait pas été porté à l’attention de la Cour dans Gulri (Re), puisque celle-ci n’a pas tenu compte de l’incidence de cette disposition sur la classification de l’infraction proprement dite pour laquelle M. Gulri était inculpé.
[16] Le défendeur cite la décision de la Cour [auparavant la Section de première instance] dans Ngalla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 360 (QL), comme fondement à son argument selon lequel une infraction ne peut en soi être considérée comme une infraction punissable par procédure sommaire uniquement parce que la poursuite a choisi de procéder par voie sommaire. Plus particulièrement, le défendeur a souligné la déclaration de la Cour qui indiquait qu’« [u]ne infraction punissable par procédure sommaire, comparativement à une infraction mixte, doit être poursuivie par procédure sommaire et la Couronne n’a aucun pouvoir discrétionnaire à son égard » : Ngalla, au paragraphe 13.
[17] Lus dans l’abstrait, ces propos pourraient donner à entendre que le choix de la poursuite n’aura pas d’incidence sur le caractère essentiel d’une infraction mixte, et que celle-ci demeurera un acte criminel même après que la Couronne eut choisi de procéder par voie sommaire. Les propos de la Cour doivent toutefois être lus en contexte.
[18] Ngalla concernait une conclusion d’inadmissibilité fondée sur la déclaration de culpabilité relativement à un acte criminel de la demanderesse. Dans cette affaire, cette dernière avait été inculpée pour une infraction mixte, et la Couronne avait choisi de procéder par voie sommaire. Cependant, les dispositions de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] pertinentes quant à Ngalla prévoyaient qu’appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants qui [art. 19(2)a) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11)] « ont été déclarés coupables au Canada d’un acte criminel ou d’une infraction dont l’auteur peut être poursuivi par mise en accusation » (non souligné dans l’original).
[19] Il ne fait aucun doute que les accusations criminelles en cause dans Ngalla auraient pu être traitées par voie de mise en accusation, plutôt que par voie sommaire. La Cour a donc eu raison de juger la demanderesse inadmissible dans cette affaire.
[20] En revanche, dans l’affaire qui nous occupe, l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté ne fait pas mention d’une infraction « dont l’auteur peut être poursuivi par mise en accusation », mais plutôt d’« un acte criminel prévu par une loi fédérale ».
[21] En conséquence, interprétés en contexte, les propos de la Cour dans l’affaire Ngalla ne sont guère utiles en l’espèce.
[22] La décision de la Cour dans Vithiyananthan c. Canada (Procureur général), [2000] 3 C.F. 576 (1re inst.) est plus problématique. Dans Vithiyananthan, le demandeur cherchait à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision discrétionnaire par le Bureau des passeports qui avait révoqué son passeport canadien jugeant qu’il avait été utilisé en vue de commettre un acte criminel punissable en vertu de la Loi sur l’immigration. L’acte en question était une infraction mixte, et la Couronne a accepté de procéder par voie de procédure sommaire à la condition que l’accusé plaide coupable à l’infraction.
[23] La Cour était donc saisie de la question de savoir si, dans ces circonstances, le demandeur avait utilisé son passeport pour « commettre un acte criminel ».
[24] Pour donner une réponse affirmative à cette question, la Cour a tenu compte de l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation. Elle a conclu que l’alinéa 34(1)a) dispose clairement que l’acte criminel est créé à même le libellé en soi du texte de loi qui prévoit qu’un accusé peut être poursuivi pour une infraction par voie de mise en accusation, et que la façon dont la Couronne choisit de procéder n’a aucune incidence sur le libellé du texte de loi en question. La Cour a également fait observer que la décision de la Couronne ne détermine pas forcément le choix de la procédure qui sera finalement retenue aux fins de la poursuite, puisqu’il existe des cas où la Couronne a décidé de changer son choix de procédure après que l’accusé eut inscrit son plaidoyer : voir Vithiyananthan, au paragraphe 18.
[25] Cela a amené la Cour à conclure que les infractions mixtes constituent des actes criminels, même lorsque la déclaration de culpabilité a été obtenue par voie de procédure sommaire : voir Vithiyananthan, au paragraphe 21.
Autres décisions de la jurisprudence canadienne
[26] Comme il en sera question plus loin, on constate un certain désaccord au fil des ans dans la jurisprudence de la Cour d’appel quant à l’interprétation appropriée de l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation. Cependant, l’interprétation que donne la Cour de l’alinéa 34(1)a) dans Vithiyananthan concorde avec une jurisprudence abondante en matière de droit pénal : voir par exemple, Dallman v. The King, [1942] R.C.S. 339; Brown c. Baugh et autre, [1984] 1 R.C.S. 192; R. v. Connors (1998), 155 D.L.R. (4th) 391 (C.A.C.-B.), aux paragraphes 69 et 73; R. v. S.P., [1996] O.J. no 4620 (Div. gén.), au paragraphe 8; R. v. Wilson (1997), 44 C.R.R. (2d) 480 (C.J. Ont.); R. v. J.W.D. (1997), 26 O.T.C. 381 (Div. gén.); et R. v. Martin, [1996] O.J. no 4343 (C.J.).
[27] Cependant, il semble que la jurisprudence plus récente de la Cour d’appel ait interprété l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation d’une manière un peu différente.
[28] Par exemple, dans Trinidad and Tobago (Republic) v. Davis, 2008 ABCA 275, 433 A.R. 253, la Cour d’appel de l’Alberta a conclu (au paragraphe 14) que :
[traduction] Les tribunaux canadiens ont toujours interprété le paragraphe 34(1) de la Loi d’interprétation comme présumant que les infractions mixtes sont réputées des actes criminels à moins que la Couronne choisisse de procéder par voie de procédure sommaire : voir R. v. Paul-Marr, 2005 NSCA 73, 234 N.S.R. (2d) 6, et la jurisprudence qui y est citée. Son choix peut être explicite ou découler implicitement de la procédure suivie dans le cadre de la poursuite, mais dans l’un et l’autre cas, l’infraction constitue un acte criminel jusqu’à ce que le choix soit fait ou réputé avoir été fait. [Non souligné dans l’original.]
[29] Il vaut la peine de signaler que la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel dans cette affaire : voir [2008] C.S.C.R. no 421 (QL).
[30] L’arrêt Paul-Marr [R. v. Paul-Marr, 2005 NSCA 73, 234 N.S.R. (2d) 6] cité dans l’affaire Trinidad and Tobago a été rendu par le juge Cromwell de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse qui, en rédigeant la décision unanime de la Cour, a conclu que la classification des infractions (aux paragraphes 18 à 20) :
[traduction] [. . .] dépend de l’application de l’article 34 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21. Cet article prévoit qu’une infraction qui est punissable soit par procédure sommaire, soit par mise en accusation, est réputée un acte criminel à moins que la Couronne choisisse de procéder par procédure sommaire [. . .]
Le point de départ est donc l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation [. . .] [Disposition législative omise.]
Selon cette disposition, cela signifie qu’une infraction qui est punissable par mise en accusation ou par procédure, au choix de la poursuite, est réputée un acte criminel à moins que la poursuite choisisse de procéder par voie de procédure sommaire [. . .] [Jurisprudence non citée; non souligné dans l’original.]
[31] Le juge Cromwell a poursuivi en concluant que l’effet de l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation peut être écarté lorsque, comme en l’espèce, la Couronne choisit expressément la procédure par voie sommaire : Paul-Marr, au paragraphe 24.
[32] La Cour d’appel de l’Ontario a également interprété l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation comme signifiant que les infractions mixtes sont réputées des actes criminels, à moins que la Couronne choisisse de procéder par voie de procédure sommaire : voir R. v. Mitchell (1997), 36 O.R. (3d) 643, au paragraphe 4 et R. v. Gougeon (1980), 55 C.C.C. (2d) 218, au paragraphe 47.
[33] À très juste titre, le défendeur a porté les décisions susmentionnées à l’attention de la Cour, même si elles ne semblaient guère appuyer sa position. Il allègue toutefois que les affaires en question peuvent être distinguées d’avec la présente espèce, puisqu’elles ne traitent pas de la nature même de l’infraction en cause mais plutôt de questions de procédure et de compétence. Plus particulièrement, les affaires portent sur les conséquences liées à l’absence d’un choix de procédure explicite par la Couronne.
[34] Il est vrai que plusieurs décisions qui sont examinées dans les paragraphes précédents traitent effectivement des conséquences sur le plan de la procédure découlant de l’absence d’un choix explicite du procureur de la Couronne sur la façon dont il entend poursuivre une infraction mixte. Cependant, à mon avis, cela n’enlève rien au fait que plusieurs cours d’appel ont conclu qu’une infraction criminelle perd sa nature d’acte criminel lorsque la Couronne a choisi de procéder par voie de procédure sommaire.
[35] De plus, dans la décision Trinidad and Tobago, il n’est pas question des conséquences sur le plan de la procédure découlant de l’absence d’un choix explicite du procureur de la Couronne sur la façon dont il entend poursuivre une infraction mixte.
[36] L’affaire Trinidad and Tobago concernait une instance d’extradition contre M. Davis. Aux termes du sous-alinéa 3(1)b)(i) de la Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18, pour pouvoir extrader du Canada M. Davis, ce dernier devait être poursuivi à l’égard d’une infraction commise dans un autre pays qui, si elle avait été commise au Canada, aurait été punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans.
[37] L’infraction reprochée était de nature mixte, et M. Davis n’aurait pas fait l’objet d’une procédure d’extradition si l’affaire avait été traitée par procédure sommaire. La question soumise à la Cour d’appel de l’Alberta était donc de savoir si, dans le cadre d’une demande d’extradition, il incombait à la Couronne d’établir qu’elle aurait choisi de procéder par voie de mise en accusation plutôt que par voie de procédure sommaire si l’infraction avait été poursuivie au Canada.
[38] La Cour d’appel a conclu que la question de savoir si l’infraction canadienne de comparaison était punissable d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans relevait de l’exercice d’interprétation des lois, et non de la preuve. Dans ce contexte, la Cour a eu recours à l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation, non pas pour déterminer la procédure à suivre, mais plutôt pour établir la nature de l’infraction en question. C’est dans cette optique que la Cour d’appel a conclu que l’infraction mixte en cause avait été à juste titre qualifiée d’acte criminel, mais seulement jusqu’à ce que le choix de la poursuite soit expressément fait ou réputé avoir été fait, date à laquelle l’effet de l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation serait écarté, et l’infraction deviendrait punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité.
[39] Vu l’absence de poursuite en instance contre M. Davis au Canada, il faut conclure que la Couronne n’avait pas fait de choix quant à la procédure et, par conséquent, la Cour d’appel de l’Alberta a conclu que l’infraction de comparaison conservait sa nature d’acte criminel.
[40] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que, selon l’analyse actuelle de l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation, la classification d’une infraction mixte passe d’une infraction punissable par voie de mise en accusation à une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, lorsque la Couronne choisit de procéder par voie sommaire.
Application du droit à la situation de M. Ahmed
[41] Étant donné que la Couronne avait expressément choisi de procéder par voie de procédure sommaire dans le cas de M. Ahmed bien avant l’audience relative à sa citoyenneté, il faut en conclure qu’à la date de cette audience, le demandeur ne faisait plus l’objet d’accusations relativement à un acte criminel. Par conséquent, l’interdiction de la loi prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté ne s’appliquait pas. L’appel sera donc accueilli, et la décision du juge de la citoyenneté sera annulée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que le présent appel soit accueilli et que l’affaire soit renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.