[2012] 1 R.C.F. 413
IMM-1474-09
2010 CF 957
The Toronto Coalition to Stop the War, l’Assemblée pour la paix d’Ottawa, Solidarité pour les droits humains des Palestiniens, George Galloway, James Clarke, Yavar Hameed, Hamid Osman, Krisna Saravanamuttu, Charlotte Ireland, Sid Lacombe, Judith Deutsch, Joel Harden, Denis Lemelin et Lorraine Guay (demandeurs)
c.
Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeurs)
et
L’Association canadienne des libertés civiles (intervenante)
Répertorié : Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)
Cour fédérale, juge Mosley—Toronto, 26 au 28 avril; Ottawa, 27 septembre 2010.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire d’une prétendue décision des défendeurs portant que le demandeur, George Galloway, est interdit de territoire en vertu de l’art. 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — M. Galloway avait apporté de l’aide financière et matérielle dans la bande de Gaza, au Hamas — Il avait été invité à participer à des conférences au Canada — L’Agence des services frontaliers du Canada s’était livrée à un examen préliminaire de l’interdiction de territoire — L’examen préliminaire a été communiqué à M. Galloway dans une lettre — Il s’agissait de savoir si l’examen préliminaire était raisonnable et s’il y avait eu une « décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte » susceptible de contrôle en vertu de l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales — 1) L’examen préliminaire n’était pas raisonnable, ne tenant pas compte de la raison pour laquelle M. Galloway a fourni de l’aide — L’allégation selon laquelle du soutien matériel a été fourni à une organisation terroriste ne suffit pas — Les fonds doivent être donnés dans le but d’accroître la capacité de l’organisation de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter — S’agissant de la complicité, le fait d’attribuer à l’expression « membre d’une organisation » une interprétation large et libérale ne donne pas carte blanche au décideur pour considérer quiconque comme étant un terroriste — 2) L’examen préliminaire n’est pas susceptible de contrôle — La lettre adressée à M. Galloway ne portait pas atteinte à ses droits et n’entraînait aucune conséquence juridique — Un avis anticipé de la position qu’un ministre envisage prendre n’est pas susceptible de contrôle — Certification de questions quant à la question de savoir si l’« examen préliminaire » concluant à l’interdiction de territoire constitue une décision, une ordonnance, une procédure ou un acte susceptible de contrôle judiciaire, et quant à la question de savoir si le don à une organisation terroriste constitue un motif raisonnable de croire que le donneur s’est livré au terrorisme ou est membre d’une organisation terroriste — Demande rejetée.
Pratique — Parties — Qualité pour agir — L’Agence des services frontaliers du Canada a conclu dans l’examen préliminaire que le demandeur, George Galloway, est interdit de territoire en vertu de l’art. 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — M. Galloway a choisi de ne pas se présenter à la frontière pour faire l’objet d’un contrôle et ses conférences ont eu lieu par téléconférence et vidéoconférence depuis des installations à l’étranger — Il s’agissait de savoir si les autres demandeurs avaient qualité pour agir en l’espèce — Les autres demandeurs satisfaisaient au critère relatif à la qualité pour agir dans l’intérêt public formulé dans l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) — Le refus d’accorder la qualité pour agir empêcherait la Cour de tenir compte de l’argument selon lequel les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés avaient été violés.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — L’Agence des services frontaliers du Canada a conclu dans l’examen préliminaire que le demandeur, George Galloway, est interdit de territoire en vertu de l’art. 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — M. Galloway a choisi de ne pas se présenter à la frontière pour faire l’objet d’un contrôle et ses conférences ont eu lieu par téléconférence et vidéoconférence depuis des installations à l’étranger — Il s’agissait de savoir si les droits des demandeurs garantis par l’art. 2 de la Charte avaient été violés — Les droits des demandeurs garantis par la Charte n’avaient pas été violés — Il n’était pas nécessaire que le gouvernement réponde aux attentes des demandeurs — Le texte législatif protège les Canadiens, il ne porte pas atteinte aux libertés d’expression et d’association des demandeurs — Les conditions dans lesquelles M. Galloway a pu communiquer son message n’équivalaient pas à une violation de la Charte.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une prétendue décision prise par les défendeurs selon laquelle le demandeur, George Galloway, est interdit de territoire en vertu de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).
M. Galloway, un citoyen britannique, avait accompagné un convoi qui apportait une aide financière et matérielle dans la bande de Gaza afin de mettre fin à l’embargo imposé par Israël. Lorsqu’il a appris que M. Galloway avait été invité à participer à une tournée de conférences au Canada portant sur le conflit à Gaza et sur la guerre en Afghanistan, le personnel politique de Citoyenneté et Immigration Canada a demandé à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) de se livrer à une évaluation d’admissibilité. Dans son examen préliminaire, l’ASFC a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables d’invoquer l’article 34 pour interdire à M. Galloway l’entrée au Canada. Le Haut-commissariat du Canada à Londres a communiqué l’examen préliminaire de l’ASFC à M. Galloway dans le cadre d’une lettre qui précisait, entre autres, qu’il y avait des motifs de croire qu’il avait fourni du soutien financier au Hamas, qui figure sur la liste des organisations terroristes, et qu’il ne réussirait pas à se procurer un permis de séjour temporaire. M. Galloway a choisi de ne pas se présenter à la frontière pour faire l’objet d’un contrôle et ses conférences ont eu lieu par téléconférence et vidéoconférence depuis des installations à l’étranger.
Les questions à trancher étaient celles de savoir si 1) les demandeurs, autres que M. Galloway, avaient qualité pour agir en l’espèce; 2) les droits des demandeurs garantis par l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés avaient été violés; 3) l’examen préliminaire effectué par l’ASFC était raisonnable; et 4) il y a eu une « décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte » susceptible de contrôle en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.
Jugement : la demande doit être rejetée.
1) Les autres demandeurs ont satisfait au critère relatif à la qualité pour agir dans l’intérêt public formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration). Des questions sérieuses ont été soulevées et les autres demandeurs avaient un intérêt véritable dans ces questions. Le refus d’accorder aux autres demandeurs la qualité pour agir empêcherait la Cour de tenir compte de l’argument selon lequel leurs libertés d’association et d’expression garanties par la Charte avaient été violées par l’exclusion de M. Galloway du Canada.
2) Les droits des demandeurs garantis par l’article 2 de la Charte n’ont pas été violés. Il n’était pas nécessaire que le gouvernement réponde aux attentes des demandeurs et permette à une personne d’entrer au Canada ou fournisse le moyen leur permettant d’exercer leur liberté d’expression. Il n’existait aucune entrave ni au droit des demandeurs d’entendre M. Galloway ni à leur liberté de s’associer à sa façon de voir le monde par leur participation aux conférences prévues. L’objet du régime légal n’est pas de porter atteinte aux libertés d’expression et d’association des demandeurs, mais plutôt de protéger les Canadiens en refusant l’admission à des personnes qui ont pu ou pourraient se livrer au terrorisme ou qui sont membres d’organisations terroristes. Les conditions dans lesquelles M. Galloway a en fin de compte pu communiquer avec ses supporteurs au Canada n’étaient pas idéales, mais elles n’équivalaient pas à une violation de la Charte. Leur droit de recevoir le contenu du message de M. Galloway n’a pas été violé.
3) L’examen préliminaire n’est pas raisonnable parce qu’il va trop loin dans l’interprétation des faits, parce qu’il renferme une erreur de droit et parce qu’il ne tient pas compte de la raison pour laquelle M. Galloway a fourni de l’aide aux Gazans par l’intermédiaire du Hamas. En outre, il ne tient pas compte de la possibilité que la visite de M. Galloway ait constitué une prise de position politique contre l’embargo plutôt que la démonstration de son appui au Hamas. Laisser entendre que l’aide humanitaire apportée au Hamas ferait en sorte que le donneur est partie à tout crime terroriste va au‑delà de l’intention du législateur et du libellé de la législation. La simple allégation selon laquelle du soutien matériel a été fourni à une organisation terroriste ne suffit pas. Les fonds doivent être donnés dans le but d’accroître la capacité de l’organisation de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter. Étant donné qu’aucune preuve n’établit que M. Galloway a effectivement participé à une activité terroriste, seule la complicité peut être plaidée pour affirmer que M. Galloway s’est « livr[é] au terrorisme ». À cet égard, la Cour a constaté que le fait d’attribuer à l’expression « membre d’une organisation » une interprétation large et libérale ne donne pas carte blanche au décideur pour considérer quiconque ayant déjà eu affaire à une organisation terroriste comme étant membre de cette organisation.
4) Aucune décision susceptible de contrôle empêchant la venue de M. Galloway au Canada n’a été rendue. Le message communiqué dans la lettre constituait un avis adressé à M. Galloway, mais il ne portait pas atteinte à ses droits et n’entraînait aucune conséquence juridique. Un avis anticipé de la position qu’un ministre envisage prendre n’est pas susceptible de contrôle. Les commentaires des fonctionnaires à la presse n’ont pas été faits par un « office fédéral » et ils doivent être interprétés dans le contexte du régime légal. Si M. Galloway avait été frappé d’interdiction de territoire par un agent des visas qui se serait fondé sur l’examen préliminaire, la Cour n’aurait eu aucune difficulté à conclure que le pouvoir discrétionnaire de l’agent avait été entravé et que les courriels et les déclarations à la presse soulevaient une crainte raisonnable de partialité. Cependant, en l’absence d’une telle preuve, aucune décision susceptible de contrôle empêchant la venue de M. Galloway au Canada n’a été rendue.
Des questions ont été certifiées quant à la question de savoir si l’examen préliminaire concluant à l’interdiction de territoire constitue une décision, une ordonnance, une procédure ou un acte dûment susceptible de contrôle judiciaire par la Cour fédérale en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, et quant à la question de savoir si le don volontaire d’argent ou de marchandises à une organisation terroriste constitue un motif raisonnable de croire que le donneur s’est livré au terrorisme ou est membre d’une organisation terroriste de telle sorte que le donneur serait interdit de territoire pour des raisons de sécurité en application des alinéas 34(1)c) ou f) de la LIPR.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2, 7, 15.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 83.01 « activité terroriste » (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4), 83.02 (édicté, idem), 83.03 (édicté, idem), 83.04 (édicté, idem), 83.05(1) (édicté, idem; 2005, ch. 10, art. 34), 83.18 (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4).
Crimes and Criminal Procedure, 18 U.S.C. §§ 2339A, 2339B (2006).
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), 53(1) (mod., idem, art. 43).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 15(4), 24 (mod. par L.C. 2010, ch. 8, art. 3), 25 (mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 117), 33, 34, 72 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 74d), 87 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4).
Règlement modifiant le Règlement établissant une liste d’entités, DORS/2002-434, art. 1.
Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (mod. par DORS/2005-339, art. 1), règles 9 (mod. par DORS/98-235, art. 8(F); 2002-232, art. 15), 18(1) (mod., idem, art. 9).
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221.
JURISPRUDENCE CITÉE
décision appliquée :
Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236.
décisions différenciées :
Morgentaler c. Nouveau-Brunswick, 2009 NBCA 26, 344 R.N.-B. (2e) 39; Henry Global Immigration Services c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 1998 CanLII 8854 (C.F. 1re inst.); Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229 (1re inst.); Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 (1re inst.), inf. par 2001 CAF 144, [2001] 3 C.F. 449; Khadr c. Canada (Premier ministre), 2010 CF 715, [2010] 4 R.C.F. 36.
décisions examinées :
Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 326; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Ugbazghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 694, [2009] 1 R.C.F. 454; R. v. Khawaja, 2006 CanLII 63685, 214 C.C.C. (3d) 399, 42 C.R. (6th) 348, 147 C.R.R. (2d) 281 (C.S. Ont.), conf. par 2010 ONCA 862, 103 O.R. (3d) 321, 82 C.R. (6th) 122, 271 O.A.C. 238; Holder v. Humanitarian Law Project, 130 S.Ct. 2705 (2010); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 867; Suresh (Re), [1997] A.C.F. no 1537 (1re inst.) (QL); Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hajialikhani, [1999] 1 C.F. 181 (1re inst.); Farkhondehfall c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 471; Nkumbi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8817 (C.F. 1re inst.); Carvajal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 751 (1re inst.) (QL); Bouchard c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 1999 CanLII 9105 (C.A.F.); Kunkel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 347.
décisions citées :
Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530; Skoke-Graham et autres c. La Reine et autre, [1985] 1 R.C.S. 106; Khalil c. Canada, 2009 CAF 66; Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 51; Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163; Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487; Saleh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 303; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Carson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 656 (1re inst.) (QL); Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15149 (C.F. 1re inst.); Tribus Kwicksutaineuk/Ah-kwa-mish c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2003 CFPI 30, conf. par 2003 CAF 484, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2004] 1 R.C.S. vii; Canada (Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 213, [2006] 1 R.C.F. 53; Slahi c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 CF 160, conf. par 2009 CAF 259, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2010] 1 R.C.S. xv; Farrakhan, R (on the application of) v. Secretary of State for the Home Department, [2002] EWCA Civ 606, [2002] Q.B. 1391; GW (EEA reg 21: “fundamental interests”) Netherlands, [2009] UKAIT 00050; Kleindienst v. Mandel, 408 U.S. 753 (1972); Allende v. Schultz, 605 F. Supp. 1220 (1985); Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673; R. v. Ahmad, 2009 CanLII 84774, 257 C.C.C. (3d) 199 (C.S. Ont.); Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995; Soe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 671; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, 1998 CanLII 8281 (C.F. 1re inst.); Sepid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 907; Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 7; Mahabir c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 133 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; Larny Holdings Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2002 CFPI 750, [2003] 1 C.F. 541; Nunavut Tunngavik Inc. c. Canada (Procureur général), 2004 CF 85; Demirtas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 602 (C.A.); Démocratie en surveillance c. Canada (Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique), 2009 CAF 15; Pieters c. Canada (Procureur général), 2007 CF 556, [2008] 2 R.C.F. 421; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 1998 CanLII 7237 (C.F. 1re inst.); Mohammad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 363 (C.A.).
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une prétendue décision prise par les défendeurs selon laquelle le demandeur, George Galloway, est interdit de territoire en vertu de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Barbara L. Jackman et Hadayt Nazami pour les demandeurs.
Marie-Louise Wcislo, Kristina S. Dragaitis, Hillary Stephenson et Neal Samson pour les défendeurs.
Sonia L. Bjorkquist et Jason MacLean pour l’intervenante.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Jackman & Associates, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l., Toronto, pour l’intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Mosley :
Introduction
[1] Comme les demandeurs l’ont formulé, il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, selon laquelle le demandeur George Galloway était interdit de territoire. La décision, selon les demandeurs, a été communiquée par lettre le 20 mars 2009 à M. Galloway par M. Robert J. Orr, gestionnaire du programme d’immigration au Haut‑commissariat du Canada à Londres, au Royaume-Uni.
[2] Les autres demandeurs sont des groupes et des personnes qui avaient organisé la venue de M. Galloway au Canada pour une tournée de conférences. Ils souhaitaient entendre M. Galloway exprimer son point de vue en personne à plusieurs endroits au Canada lors de conférences en mars et avril 2009 au sujet des guerres en Iraq et en Afghanistan et de la situation dans les territoires palestiniens.
[3] Les demandeurs soutiennent que M. Galloway a été [traduction] « empêché de venir au Canada » parce que les défendeurs s’opposent à ses opinions politiques. Ils allèguent que la décision de le frapper d’une interdiction de territoire était partiale, qu’elle a été prise de mauvaise foi et qu’elle constituait un abus du pouvoir exécutif motivé par de simples raisons politiques.
[4] Les défendeurs soutiennent que la question de savoir s’ils approuvent les opinions politiques de M. Galloway est, du point de vue juridique, dénuée de pertinence parce son admissibilité a été à juste titre évaluée sur le fondement de ses propres actions et des dispositions légales applicables. Ils affirment que rien ne donne à penser qu’il y ait eu mauvaise foi, partialité ou manquement à l’équité dans l’exercice de leur charge publique. En outre, ils allèguent qu’aucune décision susceptible de contrôle en droit entraînant l’interdiction de territoire de M. Galloway n’a été prise.
[5] Je suis d’accord avec les défendeurs qu’en droit la présente demande doit être rejetée. Compte tenu des mesures des défendeurs, M. Galloway aurait pu être frappé d’interdiction de territoire s’il s’était effectivement présenté à un aéroport ou à un poste frontalier afin de faire l’objet d’un contrôle par un agent. Ce n’est jamais arrivé. L’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), dans un examen préliminaire effectué à la demande du personnel politique des défendeurs, a conclu que M. Galloway était interdit de territoire. Les mesures prises par les ministères des défendeurs afin d’appliquer cet examen n’ont jamais été menées à terme. M. Galloway a décidé de ne pas essayer d’entrer au Canada parce qu’il aurait pu être détenu. Par conséquent, les intentions des défendeurs et les mesures qu’ils avaient prises n’ont mené à aucune décision susceptible de contrôle entraînant l’exclusion de M. Galloway.
[6] La lettre de M. Orr, qui avait communiqué l’examen préliminaire à M. Galloway, a eu l’effet souhaité : elle a dissuadé M. Galloway de tester la détermination des demandeurs à lui interdire l’entrée au Canada. Cependant, cette lettre ne constituait pas une décision et elle ne faisait pas non plus état d’une conclusion officielle qui aurait porté sur l’interdiction de territoire et qui aurait été prise suivant les dispositions légales pertinentes. M. Galloway a choisi de ne pas se présenter à la frontière afin de faire l’objet d’un contrôle et il n’a pas demandé au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de lui accorder une dispense ou un permis de séjour temporaire. Aucune décision définitive n’a donc été prise quant à son admissibilité. Par conséquent, il n’y a aucune décision pouvant être contrôlée par la Cour.
[7] Les conclusions exposées ci‑dessus ne signifient pas que la Cour souscrit à la position des défendeurs selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que M. Galloway pourrait être interdit de territoire en application de l’article 34 de la Loi. Il ressort clairement du dossier que l’examen préliminaire de l’ASFC à cet égard a été effectué hâtivement sur les instructions du bureau du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et des fonctionnaires de ce ministère qui tenaient pour acquis, sur le fondement de preuve ténue, que M. Galloway était interdit de territoire. Cela s’est traduit, à mon avis, par une interprétation erronée et excessive du critère applicable en droit canadien pour déterminer qu’une personne s’est livrée à du terrorisme ou est membre d’une organisation terroriste. La Cour ne se fait pas d’illusions quant à la nature de l’organisation en cause, le Hamas. Cependant, la preuve dont a tenu compte les défendeurs ne fournit pas de motifs raisonnables de croire que M. Galloway est membre du Hamas.
[8] Le dossier renferme des déclarations du ministre et de son personnel qui ont été qualifiées à juste titre par l’avocate des défendeurs comme étant [traduction] « peu judicieuses ». Ces déclarations, interprétées de concert avec la rapidité à laquelle les fonctionnaires en sont arrivés à la conclusion selon laquelle M. Galloway était d’interdit de territoire et ont pris des mesures pour l’empêcher de venir au Canada avant que son examen quant à son admissibilité ait été effectué, auraient pu étayer une conclusion selon laquelle les défendeurs avaient fait preuve de partialité et de mauvaise foi. Il est clair que les efforts déployés pour garder M. Galloway à l’extérieur du pays étaient davantage attribuables à ses opinions politiques qu’à une réelle préoccupation selon laquelle M. Galloway s’était livré au terrorisme ou était membre d’une organisation terroriste. On semble n’avoir aucunement tenu compte des intérêts des Canadiens qui souhaitaient entendre M. Galloway parler ni des libertés d’expression et d’association garanties par la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].
[9] Les commentaires précédents ne doivent en aucun cas être interprétés comme étant une approbation des opinions politiques de M. Galloway ni comme étant une désapprobation de la position des défendeurs au sujet de ces opinions politiques. En l’espèce, on a demandé à la Cour de déterminer si les mesures prises pour empêcher M. Galloway d’exprimer ses opinions au Canada étaient susceptibles de contrôle et, dans l’affirmative, si ces mesures respectaient la norme jurisprudentielle de la raisonnabilité. Vu la preuve dont je disposais, je dois conclure que les mesures prises par les défendeurs pour empêcher M. Galloway de venir au Canada n’ont mené à aucune décision ou mesure pour laquelle une réparation pourrait être accordée par la Cour.
[10] Si cette conclusion est erronée, je suis convaincu que la preuve examinée par les défendeurs ne justifiait pas une conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que M. Galloway est membre d’une organisation terroriste ou s’est livré à des actes de terrorisme. Il était donc déraisonnable que les défendeurs se fondent sur ces motifs pour le déclarer interdit de territoire au Canada.
Le contexte
George Galloway
[11] George Galloway est un citoyen britannique et était, pendant toute la période en cause, membre du Parlement du Royaume-Uni pour le Respect Party. Il a depuis été battu aux dernières élections. M. Galloway est connu en Grande‑Bretagne et à l’étranger pour les controverses qui ont suivi sa participation dans divers mouvements de protestation; il a notamment participé à une campagne contre les sanctions imposées à l’Iraq après la guerre du Golfe. Il a fait l’objet d’une enquête et a été temporairement suspendu du Parlement parce qu’il aurait tiré profit de façon irrégulière du programme « Pétrole contre nourriture » des Nations Unies. M. Galloway a eu gain de cause contre un journal britannique dans une action en diffamation portant sur des allégations semblables. Il a été en fin de compte exclu du Labour Party du Royaume-Uni parce qu’il aurait encouragé l’ennemi à attaquer les troupes britanniques en Iraq après l’invasion de 2003, ce qu’il nie. En résumé, M. Galloway est un homme qui provoque grandement la controverse et dont les déclarations et les gestes entraînent de fortes réactions.
[12] La sympathie de M. Galloway envers les Palestiniens et leur cause est bien connue et est longuement décrite dans le dossier de la Cour. M. Galloway était férocement opposé à l’intervention d’Israël dans la bande de Gaza en décembre 2008 et en janvier 2009 ainsi qu’à l’embargo sur les marchandises visant ce territoire. Au début de mars 2009, M. Galloway a accompagné un convoi organisé par un groupe nommé Viva Palestina, qui apportait une aide financière et matérielle à Gaza afin de mettre fin à l’embargo. Comme M. Galloway l’a affirmé publiquement, sa participation au convoi se voulait une prise de position politique en opposition à l’embargo et elle visait également à apporter de l’aide humanitaire aux personnes vivant dans ce territoire. Le dossier renferme de nombreux éléments de preuve sur plusieurs autres groupes qui s’opposent à l’embargo et qui apportent leur soutien à ces personnes, y compris des gouvernements occidentaux par l’entremise d’organisations telles que la Société du Croissant‑Rouge.
[13] Le convoi de Viva Palestina comprenait 109 camions remplis de fournitures médicales, de jouets et de vêtements ainsi que d’autres véhicules, notamment des ambulances et un camion à incendie. M. Galloway a également offert 25 000 livres sterling (45 000 $CAN) qu’il a recueillies grâce à des dons de personnes souhaitant contribuer aux efforts d’aide. Après quelques retards en raison de négociations avec les gouvernements d’Israël et d’Égypte, on a accepté que la plus grande partie de l’aide entre à Gaza via un poste frontalier égyptien. L’aide non médicale a été apportée à Gaza par un poste israélien de vérification de sécurité.
[14] Le Harakat Al-Muqawama Al-Islamiya (Mouvement de résistance islamique), mieux connu sous l’acronyme Hamas, est actuellement au pouvoir à Gaza. Lors des élections de 2006, le Hamas a gagné la majorité des sièges au Conseil législatif palestinien de Gaza et s’est emparé du pouvoir du gouvernement local. Le Hamas a la mainmise sur la sécurité, la santé, l’éducation et les services sociaux dans ce territoire.
[15] Le gouverneur en conseil a ajouté le Hamas à la liste des entités terroristes en novembre 2002 [Règlement modifiant le Règlement établissant une liste d’entités, DORS/2002-434, art. 1] en vertu du paragraphe 83.05(1) [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4; 2005, ch. 10, art. 34] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Cette inscription à la liste a été examinée en novembre 2008 et elle a été maintenue. Le Hamas a été mis à l’index d’une façon semblable par les États‑Unis et l’Union européenne. Le fait que le Hamas fut considéré comme étant une organisation terroriste au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi n’a pas été contesté en l’espèce.
[16] M. Galloway affirme respecter le droit démocratique des Palestiniens d’élire leurs propres dirigeants et, à cet égard, il respecte la décision des Gazans d’élire en janvier 2006 une majorité de membres du Hamas au Conseil législatif palestinien de Gaza. Cependant, M. Galloway nie être membre d’une organisation terroriste ou appuyer le Hamas. Au contraire, il soutient appuyer une autre organisation palestinienne, le Fatah, qui s’oppose depuis longtemps au Hamas.
[17] M. Galloway soutient qu’il souhaitait aider le peuple palestinien et non le Hamas lorsqu’il a fourni de la marchandise et de l’argent à Gaza. Il affirme avoir fourni de l’aide humanitaire au gouvernement de Gaza et non au Hamas. Cependant, il ressort clairement du dossier que M. Galloway savait que ses actions pourraient être interprétées comme étant un appui au Hamas et il était prêt à courir ce risque. Il a également remis les dons en argent directement au dirigeant du gouvernement du Hamas, geste auquel les médias ont fait largement écho.
[18] L’objet et la distribution de l’aide apportée par le convoi ne sont pas contestés par les défendeurs. Rien au dossier ne donne à penser que le Hamas a utilisé cette aide à des fins terroristes. La preuve non contestée au dossier révèle que l’argent donné par M. Galloway a été utilisé pour l’achat d’incubateurs et d’appareils de dialyse pour enfant pour un hôpital de Gaza.
[19] Par la suite, M. Galloway a été invité à participer à une tournée de conférences au Canada portant notamment sur le conflit à Gaza et sur la guerre en Afghanistan. Il était censé venir au Canada du 30 mars au 2 avril 2009 et donner des conférences à Toronto, à Mississauga, à Ottawa et à Montréal, après avoir participé à une tournée semblable aux États‑Unis. Les organisateurs, y compris les autres demandeurs en l’espèce, ont dépensé beaucoup de temps, d’argent et d’énergie pour tout préparer.
[20] M. Galloway était déjà venu au Canada sans difficulté et avait pris la parole devant des Canadiens en septembre 2005 et en novembre 2006. Les visites de M. Galloway ont chaque fois attiré des centaines de personnes à des débats publics sur la politique étrangère du Canada, sur les guerres en Iraq et en Afghanistan et sur la situation politique au Moyen‑Orient. Le dossier ne révèle aucunement que ses visites précédentes au Canada ont incité au désordre public ou ont créé un risque pour la sécurité. La preuve révèle que M. Galloway ne figurait sur aucune liste de surveillance de l’ASFC avant ces faits.
La « décision » contestée
[21] Quelques Canadiens s’opposant aux opinions de M. Galloway sur le Moyen-Orient ont été mis au fait du projet consistant à inviter M. Galloway à donner de nouveau des conférences au Canada. Le 15 mars 2009, ils ont publié sur Internet une lettre ouverte adressée à M. Jason Kenney, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, dans laquelle ils lui demandaient d’empêcher M. Galloway de venir au Canada.
[22] Le 16 mars 2009, en début d’après‑midi, M. Alykhan Velshi a envoyé un courriel à M. Edison Stewart, directeur de la Section des communications de Citoyenneté et Immigration (CIC), dans lequel il lui mentionnait avoir reçu un [traduction] « message des médias » lui demandant pourquoi le Canada allait accepter M. Galloway en tant que visiteur étant donné ses déclarations et ses actions publiques antérieures. M. Velshi n’était pas un fonctionnaire de CIC, mais un membre du personnel politique du ministre : il occupait le poste de directeur des communications et des affaires parlementaires au cabinet du ministre.
[23] Dans le courriel envoyé à M. Stewart et dans plusieurs courriels y faisant suite, M. Velshi a affirmé être d’avis que M. Galloway était interdit de territoire. Il a fait part d’un certain nombre de recherches en ligne qu’il avait effectuées. Il a également informé M. Stewart que le ministre n’accorderait pas de permis de séjour temporaire si M. Galloway en faisait la demande. Un permis de séjour temporaire peut être accordé en vertu de l’article 24 [mod. par L.C. 2010, ch. 8, art. 3] de la Loi à une personne frappée d’une interdiction de territoire au Canada si un agent estime que les circonstances le justifient. Lors de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’agent est tenu de se conformer aux instructions que le ministre peut donner. M. Stewart a transmis la demande de renseignements de M. Velshi à M. Stéphane Larue, qui était alors directeur de la Direction générale du règlement des cas à CIC.
[24] Vu que les décisions portant sur l’admissibilité relèvent du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, M. Larue a envoyé la demande à Mme Connie Terreberry de l’ASFC, qui a accepté de faire une rapide évaluation d’admissibilité. Elle a fait suivre les courriels de M. Velshi et de M. Larue à des collègues et leur a donné l’instruction suivante : [traduction] « faites une petite vérification, et faites‑moi part des résultats de vos recherches ». Dans les deux heures qui ont suivi le premier message de M. Velshi, des fonctionnaires de l’ASFC envoyaient des courriels au personnel de CIC dans lesquels ils mentionnaient avoir terminé les vérifications préliminaires et affirmaient que [traduction] « [s]ur le fondement d’abondants renseignements publics, le demandeur est interdit de territoire suivant l’alinéa 34(1)f) et possiblement 34(1)c) ».
[25] Tôt le lendemain matin, Mme Terreberry a informé un fonctionnaire de CIC que la recherche qui devait confirmer l’interdiction de territoire était terminée, mais qu’il faudrait un peu plus de temps pour effectuer un examen officiel et que l’ASFC allait devoir consulter son partenaire, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). À l’exception des sources publiques citées par M. Velshi dans ses courriels, le dossier ne révèle pas quelles autres recherches il y a eu, s’il y en a eu. Lorsque le SCRS a été consulté, il a informé l’ASFC qu’il ne voyait aucun problème, au point de vue de la sécurité, à ce que M. Galloway vienne au Canada. L’avis du SCRS ne semble pas avoir influencé la façon dont l’ASFC voyait l’affaire.
[26] Le rapport d’examen, qui a été rédigé le 17 mars 2009, était moins catégorique quant à l’admissibilité de M. Galloway que la série de courriels échangés la veille. On peut y lire ce qui suit au premier paragraphe :
[traduction] Les renseignements actuels donnent à penser que l’intéressé, M. George Galloway, pourrait être interdit de territoire au Canada suivant les alinéas 34(1)c) et f) de la [Loi]. [Non souligné dans l’original.]
[27] La dernière recommandation était qu’il y avait des motifs raisonnables d’invoquer les moyens prévus à l’article 34 [traduction] « si un agent des visas décidait de le faire après avoir examiné l’ensemble des faits de la présente affaire » (non souligné dans l’original). Cet examen préliminaire a par la suite été diffusé au sein de l’ASFC, de CIC et d’autres organismes gouvernementaux et des discussions s’en sont suivies quant à savoir quoi faire si M. Galloway se présentait à un aéroport ou à la frontière et demandait d’entrer au Canada.
[28] Le dossier révèle que les courriels concernant l’affaire ont grandement circulé au sein du gouvernement, y compris au Cabinet du Premier ministre et au Bureau du Conseil privé. Le haut‑commissaire du Canada à Londres, M. James Wright, a écrit à un grand nombre de cadres supérieurs afin de les inciter à tenir compte d’un certain nombre de facteurs, notamment le fait que ni la Grande-Bretagne ni les États‑Unis n’avaient pris des mesures contre M. Galloway en raison de son appui aux Palestiniens. Ses déclarations publiques, bien que largement critiquées, seraient protégées par le droit à la liberté d’expression en Grande-Bretagne. Le premier ministre devait bientôt visiter Londres, et M. Wright avait comme premier souci la réaction que la presse britannique pourrait avoir.
[29] Lorsque l’attaché de presse du Haut‑commissariat a fait remarquer que M. Galloway pouvait entrer aux États‑Unis, M. Larue a répondu que les lois du Canada étaient différentes et qu’elles établissaient une norme qui laissait peu de place à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire lors d’une décision portant sur l’admissibilité. Il a noté que le recours au permis de séjour temporaire prévu à l’article 24 ainsi qu’à la dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire établie à l’article 25 [mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 117] de la Loi offraient une certaine souplesse, mais que [traduction] « notre ministre a affirmé qu’il ne souhaitait pas y avoir recours dans la présente affaire ».
[30] Un autre assistant de M. Kenney, M. Kennedy Hong, a écrit à M. Larue et à d’autres personnes à 11 h 59, le 18 mars, afin de les informer que M. Galloway pourrait déjà se trouver aux États‑Unis, et il a demandé s’il y avait déjà une alerte quelconque [traduction] « sur le réseau de la sécurité frontalière afin qu’on ne le laisse pas entrer par accident ».
[31] Dans un courriel envoyé à 12 h 14, le 18 mars, M. Velshi a écrit ce qui suit à M. Larue :
[traduction] Stéphane, un de mes vieux amis affirme qu’il [M. Galloway] donne actuellement une conférence à New York. Il pourrait essayer de traverser la frontière par voie terrestre. Pouvez‑vous confirmer qu’il sera renvoyé s’il tente de traverser la frontière canado‑américaine par la voie terrestre ou bien s’il tente d’entrer au Canada par les airs à l’aéroport Pearson (que ce soit à partir des États‑Unis ou du Royaume-Uni)? Le ministre a dit qu’il ne lui accorderait pas de permis de séjour temporaire et qu’il ne voulait pas qu’on lui en accorde un. Pouvez‑vous donc simplement me confirmer que, en tenant pour acquis qu’il n’est pas encore ici, en aucun cas on ne lui permettra d’entrer au pays?
[32] Une averse de courriel s’ensuivit afin de confirmer au personnel politique que les agents des services frontaliers seraient aux aguets quant à la possible arrivée de M. Galloway par voie terrestre, maritime ou aérienne. À 12 h 34, M. Hong a voulu savoir si les fonctionnaires allaient inscrire le nom de M. Galloway dans leur système informatique : [traduction] « comment l’ASFC peut‑elle garantir qu’on ne laissera pas tout simplement entrer M. Galloway au Canada? Peut‑on fournir à l’ASFC un profil ou une photo? » À 12 h 40, M. Velshi a voulu qu’on lui confirme ce qui suit :
[traduction] Étant donné que le ministre n’accordera pas de permis de séjour temporaire, il n’y a bien aucune chance que l’on permette à M. Galloway d’entrer au Canada malgré qu’il soit interdit de territoire? Autrement dit, est‑il possible qu’un agent des services frontaliers ou l’administration centrale à Ottawa lui délivre par accident un permis de séjour temporaire?
M. Larue lui a assuré que les agents aux points d’entrée n’avaient pas la compétence d’en délivrer. Il s’est engagé à s’assurer que les motifs d’interdiction de territoire étaient clairement énumérés dans l’avis de signalement (il s’agit d’un message d’avertissement envoyé aux agents des services frontaliers).
[33] Toujours le 18 mars 2009, M. Velshi a dit à un attaché de presse au Haut‑commissariat à Londres que M. Galloway serait informé le jour suivant qu’on lui interdirait l’entrée au Canada parce que l’ASFC le considérait interdit de territoire. Il a demandé que toutes les questions de la presse lui soient transférées.
[34] Vu que M. Galloway n’était vraisemblablement pas au courant des efforts déployés pour lui interdire l’entrée au Canada, des fonctionnaires de CIC avaient décidé qu’il serait judicieux de lui donner une notification préalable. M. Robert Orr, gestionnaire du programme d’immigration et premier fonctionnaire de CIC au Haut‑commissariat du Canada à Londres, a été chargé de donner cette notification. Dans son affidavit, M. Orr a affirmé qu’il avait seulement assuré la liaison entre l’administration centrale de CIC et M. Galloway qu’il n’avait pris aucune décision quant à l’interdiction de territoire de M. Galloway. Il a déclaré avoir été informé que le ministre Kenney ne voulait pas que M. Galloway ait le droit d’entrer au Canada sur le fondement des exceptions à l’interdiction de territoire.
[35] M. Orr a tout d’abord essayé, sans succès, de communiquer avec M. Galloway par téléphone à son bureau parlementaire à Londres le 19 mars. Le 20 mars 2009, M. Orr a parlé avec l’adjoint parlementaire de M. Galloway, qui lui a fait part de son émoi parce que l’information avait fait les manchettes dans la presse britannique avant que le bureau de M. Galloway en soit informé. M. Orr a convenu en contre‑interrogatoire que la divulgation de cette information personnelle avait pu constituer une violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels [L.R.C. (1985), ch. P-21]. Il ne savait pas comment cette divulgation avait été faite; tout ce qu’il savait c’était que la divulgation n’était pas le fait du Haut‑commissariat.
[36] M. Velshi avait précédemment obtenu du Haut‑commissariat les coordonnées de tous les principaux journaux du Royaume-Uni. M. Velshi est cité dans une nouvelle qui a paru dans le journal The Sun du 20 mars au matin. Lorsqu’on lui a demandé si le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration délivrerait un permis spécial à M. Galloway, M. Velshi aurait affirmé ce qui suit :
[traduction] George Galloway n’obtiendra pas de permis, un point c’est tout. Il défend les terroristes mêmes qui essaient de tuer des membres des Forces canadiennes en Afghanistan.
[37] M. Velshi s’est également adressé à d’autres médias afin de communiquer le même message. Dans une entrevue donnée à un réseau de télévision du Royaume-Uni le même jour, M. Velshi a affirmé ce qui suit :
[traduction] M. Galloway se vante publiquement d’avoir fourni du soutien financier au Hamas, une organisation terroriste interdite au Canada. Il a exprimé sa sympathie envers les Talibans meurtriers qui essaient de tuer les soldats canadiens et britanniques en Afghanistan.
Nous croyons qu’il ne s’agit pas de quelqu’un à qui nous devrions accorder un traitement spécial en lui permettant d’entrer dans notre pays. Il s’agit essentiellement de quelqu’un qui a dit souhaiter venir au Canada pour amasser des fonds pour ces groupes qui sont sur le terrain et qui tuent des Canadiens. C’est fort odieux, et je pense qu’il convient parfaitement que nos organismes de sécurité, s’ils savent à l’avance que M. Galloway vient au Canada nous rire en pleine face, qu’ils disent que nous devrions lui interdire l’entrée.
[…] cela n’a absolument rien à voir avec la liberté d’expression. La décision quant à savoir si une personne constitue une menace à la sécurité nationale du Canada est prise par nos organismes responsables de la sécurité à la frontière qui appliquent les critères prévus dans nos lois sur l’immigration. Et ces organismes ont décidé que M. Galloway était interdit de territoire pour des raisons de sécurité. Notre position, en tant que gouvernement, est donc que nous ne critiquerons pas, nous ne remettrons pas en question et nous n’annulerons pas la décision d’interdire de territoire M. Galloway rendue par nos organismes responsables de la sécurité à la frontière.
Vous savez, M. Galloway a parfaitement le droit de se percher sur son estrade et de dire tout ce qu’il veut. Mais il ne peut pas constituer une menace à la sécurité des Canadiens, et, au bout du compte, cette décision revient à nos organismes de sécurité.
[38] Dans cette entrevue et dans d’autres communications avec la presse, M. Velshi a affirmé qu’il avait été décidé d’interdire de territoire M. Galloway pour des raisons de sécurité. Comme je l’ai déjà mentionné, la preuve révèle que le SCRS ne voyait aucun problème, au point de vue de la sécurité, à ce que M. Galloway vienne au Canada. En outre, l’examen préliminaire ne donne aucunement à penser que M. Galloway constitue [traduction] « une menace à la sécurité des Canadiens ». Le ministre Kenney a plus tard essayé de minimiser la participation de son bureau dans le processus en le décrivant comme étant un processus administratif suivi par les fonctionnaires de l’ASFC.
[39] M. Orr a envoyé deux courriels pour informer le haut‑commissaire qu’une décision concernant M. Galloway avait été prise à Ottawa. Le 19 mars, il lui a fait savoir qu’il avait reçu une directive du bureau du ministre selon laquelle il devait communiquer avec le bureau de M. Galloway pour [traduction] « l’informer de la décision ». Dans un courriel du 20 mars, M. Orr a affirmé que, lors d’une discussion avec l’adjoint parlementaire de M. Galloway, il avait affirmé [traduction] « que M. Galloway a été déclaré interdit de territoire par le ministre de l’Immigration du Canada, M. Jason Kenney, et qu’on lui refusera l’entrée au Canada au point d’entrée ». Aucune question n’a été posée à M. Orr à ce sujet lors du contre‑interrogatoire, mais il décrit d’autres commentaires dans la série de courriels entre Ottawa et Londres qui donnaient à penser que la décision prise était mal rédigée ([traduction] « formulation laissant à désirer »). M. Orr a affirmé que les fonctionnaires savaient qu’une telle décision dépendait du processus de contrôle qui suivrait tout essai de M. Galloway d’entrer au Canada.
[40] M. Orr a écrit à M. Galloway plus tard le 20 mars. Sa lettre renfermait les motifs expliquant à M. Galloway pourquoi il était déclaré interdit de territoire. Outre les renvois aux lois, la lettre était rédigée de la façon suivante :
[traduction] Suite à ma conversation avec votre bureau parlementaire, la présente lettre confirme que, selon l’examen préliminaire de l’Agence des services frontaliers du Canada, vous êtes interdit de territoire au Canada […]
Le Hamas figure sur la liste canadienne des organisations terroristes. Il y a des motifs raisonnables de croire que vous avez fourni du soutien financier au Hamas. Plus précisément, nous avons des renseignements qui donnent à penser que vous avez organisé un convoi renfermant de l’aide et des véhicules valant au total plus d’un million de livres sterling et que vous avez personnellement donné des véhicules et de l’argent au premier ministre Ismail Haniya, membre du Hamas. Le soutien financier offert à cette organisation fait en sorte que vous êtes interdit de territoire en application des alinéas 34(1)c) et f) de la LIPR.
Nous croyons comprendre que vous avez l’intention de venir au Canada le 30 mars 2009. Nous vous invitons à présenter avant cette date toute observation que vous estimez nécessaire en ce qui a trait au présent examen préliminaire sur l’interdiction de territoire. Nous tiendrons compte de toute observation fournie. Veuillez m’envoyer vos observations à l’adresse mentionnée ci‑dessus.
Si nous ne recevons aucune observation d’ici le 30 mars 2009 et que vous vous présentez à un point d’entrée, l’agent des Services frontaliers du Canada rendra une décision définitive quant à l’interdiction de territoire sur le fondement du présent examen préliminaire et de toute observation que vous présenterez à ce moment‑là.
Afin d’échapper à l’interdiction de territoire, vous pourriez présenter une demande de permis de séjour temporaire. On m’a demandé de vous informer qu’il est peu probable que cette demande soit accueillie. Cependant, la décision définitive quant au permis temporaire ne sera rendue qu’une fois la demande présentée.
[41] Lors du contre‑interrogatoire, M. Orr a mentionné que le contenu de la lettre lui avait été dicté par téléphone. Il a catégoriquement maintenu qu’il n’a pas rendu de décision quant à l’interdiction de territoire de M. Galloway, mais qu’il a simplement communiqué l’examen préliminaire de l’ASFC qui lui avait été décrit au téléphone et par courriel. Selon son expérience, ce type d’avertissement était rare, mais il y avait des précédents. Il n’était au fait d’aucun autre cas, comme celui en l’espèce, où l’affaire tirait son origine d’un « message des médias » adressé à un membre du personnel politique.
[42] M. Orr a confirmé que, si M. Galloway s’était présenté à un point d’entrée au Canada, il y aurait pu avoir plusieurs issues. M. Galloway aurait fait l’objet d’un contrôle par un agent, qui aurait pu immédiatement prendre une décision quant à son interdiction de territoire. Subsidiairement, il aurait pu être renvoyé aux États‑Unis durant plusieurs semaines pendant qu’un agent considérait la possibilité d’établir un rapport d’interdiction de territoire. Il aurait aussi pu être détenu en tant que personne soupçonnée de terrorisme. L’agent décideur aurait tenu compte de l’examen préliminaire, car cette note de service avait été rédigée par une section spécialisée, mais il aurait été loisible à l’agent de faire des recherches supplémentaires. M. Orr a soutenu que l’agent n’aurait pas été obligé de souscrire à l’opinion formulée dans l’examen préliminaire, bien qu’il ait admis qu’à sa connaissance cela n’était jamais arrivé. Il a reconnu que l’agent des services frontaliers aurait été au courant de ce qui s’était passé à Ottawa et qu’il en aurait tenu compte dans sa décision. M. Galloway aurait également pu présenter au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile une demande d’exception en vertu du paragraphe 34(2). Pour qu’une exception puisse être accordée, il faut conclure que la présence du demandeur au Canada, malgré qu’il puisse être interdit de territoire pour l’une des raisons prévues au paragraphe 34(1), ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.
[43] Dans une lettre datée du 23 mars 2009, mais que M. Orr a reçue le 25 mars 2009, l’avocat de M. Galloway a fourni des observations au Haut‑commissariat quant à l’interdiction de territoire. M. Galloway a demandé que le Haut‑commissariat examine ses observations et lui fournisse une réponse au plus tard le 24 mars 2009.
[44] Plus tard le même jour (le 25 mars 2009), l’avocat de M. Galloway a envoyé un courriel à M. Orr, au Haut‑commissariat, dans lequel il affirmait que M. Galloway ne pouvait pas attendre la réponse de M. Orr et qu’il avait déjà déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale, ce qui empêchait, à son avis, la prise de toute autre mesure par M. Orr.
Le contrôle judiciaire
[45] Le 29 mars 2009, M. Galloway et ses supporteurs ont sollicité une injonction interlocutoire à la Cour afin de permettre à M. Galloway d’entrer au Canada pour qu’il puisse participer à la tournée de conférences. Le 30 mars 2009, le juge Martineau a rejeté la requête des demandeurs. Il a conclu que les arguments des demandeurs soulevaient une question sérieuse satisfaisant au critère peu exigeant établi par la jurisprudence et n’étaient ni futiles ni vexatoires. Cependant, M. Galloway n’a pas satisfait à un autre volet essentiel du critère relatif à l’injonction interlocutoire, à savoir qu’il subirait un préjudice irréparable si l’injonction n’était pas accordée : Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 326.
[46] Le 30 mars 2009, en après‑midi, le demandeur se trouvait aux États‑Unis. Selon l’issue de la demande d’injonction, il avait l’intention de se présenter au poste frontalier de Lacolle, au Québec. Comme l’a expliqué M. Galloway dans son affidavit, il envisageait défavorablement la possibilité d’être détenu par l’ASFC pendant que la question de son admissibilité serait tranchée. Il a donc décidé de ne pas se présenter au poste frontalier. Il semble également que M. Galloway n’ait pas envisagé la possibilité de présenter une demande d’exception fondée sur le paragraphe 34(2) ou une demande de permis de séjour temporaire.
[47] Les conférences de M. Galloway au Canada ont eu lieu par téléconférence et par vidéoconférence depuis des installations situées à New York, et ce, malgré de nombreuses difficultés et une augmentation des dépenses. Selon la preuve par affidavit déposée par les demandeurs, il n’y a pas eu autant de participants qu’escompté, ce qui a contribué à la perte de revenus, car de nombreuses personnes qui avaient acheté des billets pour voir M. Galloway en personne ont demandé un remboursement. Depuis ces faits, M. Galloway est retourné sans difficulté à trois reprises aux États‑Unis afin d’y donner des conférences.
[48] Au début de la présente instance, les défendeurs ont demandé, par voie de requête incidente dans le cadre de la requête en injonction interlocutoire présentée par les demandeurs afin d’obtenir un sursis, de radier du dossier tous les demandeurs sauf M. Galloway. La requête incidente a été rejetée par la Cour le 27 mars 2009, sous réserve du droit de présenter de nouveau cette demande par requête lors d’une audience régulière de la Cour.
[49] Les défendeurs ont plaidé dès le début que la décision de refuser l’entrée au Canada de M. Galloway n’avait jamais été prise. En réponse à la demande du greffe présentée suivant la règle 9 [mod. par DORS/98-235, art. 8(F); 2002-232, art. 15] des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 [mod. par DORS/2005-339, art. 1] soit de fournir une copie certifiée de la décision et de tout motif y afférent, le Haut‑commissariat du Canada à Londres a répondu le 21 mai 2009 que selon leur dossier aucune décision n’avait été rendue le 20 mars 2009 concernant M. Galloway.
[50] L’audience de la présente affaire a été retardée en raison d’une série de requêtes présentées par les parties concernant le contenu du dossier certifié déposé en définitive par le Haut‑commissariat en réponse à l’ordonnance de la Cour autorisant l’instruction du contrôle judiciaire. Le dossier certifié est principalement composé de copies de courriels que se sont envoyés les bureaux à Ottawa et au Haut‑commissariat à Londres.
[51] Les défendeurs craignaient que le dossier certifié du tribunal ne renferme des renseignements de nature délicate qui ne devraient pas être divulgués. Ils ont présenté une requête en protection de renseignements en vertu de l’article 87 [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi; j’ai accueilli en partie la requête dans une ordonnance rendue en décembre 2009. Par conséquent, la Cour a accordé davantage de temps pour les autres étapes de la demande.
[52] Les demandeurs ont présenté une requête en divulgation de renseignements supplémentaires qui ne se trouvaient pas dans le dossier des défendeurs; ils ont allégué que les défendeurs n’avaient pas divulgué toutes les communications pertinentes au sujet de M. Galloway que leurs bureaux s’étaient envoyées. Les parties ont été incitées à s’entendre sur ce que devait renfermer le dossier, mais elles n’en ont pas été capables. Les défendeurs ont présenté deux témoins qui ont été contre‑interrogés relativement à leurs affidavits.
[53] Les demandeurs m’ont par la suite, sans succès, demandé d’ordonner le dépôt d’autres pièces et ont sollicité une ordonnance visant à obliger des témoins à répondre à certaines questions. À mon avis, les défendeurs avaient produit un dossier adéquat sur ce qui avait mené à la décision contestée, et les demandeurs se livraient à une « recherche à l’aveuglette » afin de trouver d’autres éléments de preuve témoignant de la mauvaise foi et de la partialité qu’ils n’avaient pas été en mesure d’établir, tels que d’autres communications entre les bureaux à Ottawa. Suivant le principe de la proportionnalité, j’ai estimé que le processus d’interrogatoire préalable et de communication des documents avait assez duré et devait prendre fin.
[54] Je note que le 9 avril 2010, après le contre‑interrogatoire d’un témoin de l’ASFC, les défendeurs ont de leur propre chef divulgué un certain nombre de courriels non expurgés de l’ASFC qui ne faisaient pas partie du dossier certifié daté du 13 janvier 2010. Les demandeurs soutiennent encore que le dossier est incomplet et qu’on aurait dû leur permettre de tenter de déterminer s’il existait des éléments de preuve supplémentaires établissant que des décisions touchant leurs intérêts avaient été prises dans d’autres bureaux.
[55] Malgré ces réserves, je suis convaincu que les défendeurs ont produit ce qui semble être un dossier complet des communications de CIC et de l’ASFC qui ont mené à la lettre du 20 mars 2009 adressée à M. Galloway. Avant l’audience, les défendeurs ont renoncé à leur prétention à un privilège d’intérêt public quant aux documents pour lesquels ils avaient précédemment sollicité une requête en protection de renseignements.
[56] Les demandeurs ont signifié et déposé un avis de question constitutionnelle le 12 mars 2010 dans lequel ils allèguent que l’article 34 de la Loi viole leurs libertés d’expression et d’association, leur droit à l’égalité ainsi que leurs droits à la liberté et à la sécurité de leur personne garantis aux articles 2, 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) (la Charte).
[57] L’Association canadienne des libertés civiles a sollicité et obtenu un statut limité d’intervenante afin qu’elle puisse présenter des observations orales et écrites concernant la constitutionnalité et l’interprétation de l’article 34 de la Loi.
Les questions en litige
[58] Comme je l’ai mentionné précédemment, les demandeurs ont signifié et déposé un avis de question constitutionnelle dans lequel ils ont allégué que l’article 34 de la Loi violait leurs libertés d’expression et d’association ainsi que leurs droits à la sécurité de leur personne et à l’égalité. Ils ont déposé des observations écrites sur ces questions, mais elles n’ont pas été débattues à l’audience. L’intervenante, l’Association canadienne des libertés civiles, n’a pas contesté la validité de l’article en question à l’audience; ses observations portaient plutôt sur l’interprétation et l’application adéquates de la loi au regard des valeurs énoncées dans la Charte.
[59] La Cour doit, de façon générale, éviter toute déclaration inutile en matière constitutionnelle et elle n’est pas obligée de répondre aux questions constitutionnelles si elle peut trancher l’affaire autrement : Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, à la page 571; Skoke-Graham et autres c. La Reine et autre, [1985] 1 R.C.S 106, à la page 121.
[60] J’estime donc qu’il n’est pas nécessaire de trancher la question de la validité constitutionnelle. Si j’avais tranché cette question, j’aurais été d’accord avec les défendeurs pour affirmer que, sur le fondement de la jurisprudence, l’article 34 passe avec succès l’épreuve d’une contestation constitutionnelle fondée sur les alinéas 2b) ou d) de la Charte tant et aussi longtemps que le pouvoir discrétionnaire qu’il confère aurait été exercé selon la loi : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh); Khalil c. Canada, 2009 CAF 66.
[61] Dans le cas où j’aurais commis une erreur dans la conclusion que j’ai tirée quant à l’issue de la présente question, je crois qu’il est nécessaire d’examiner le bien‑fondé de l’examen préliminaire effectué par l’ASFC. Dans leurs observations orales, les demandeurs m’ont demandé de faire des commentaires sur cet examen, et ce, même si je concluais qu’aucune décision susceptible de contrôle entraînant l’exclusion de M. Galloway n’avait été prise, car, selon eux, il existe toujours un litige entre les parties sur cette question. M. Galloway pourrait souhaiter revenir au Canada et l’examen, s’il n’est pas contesté, pourrait guider la décision des agents à l’avenir quant à l’admissibilité de M. Galloway.
[62] Les questions soulevées par les parties peuvent donc être résumées de la façon suivante :
1. Les demandeurs autres que M. Galloway ont‑ils qualité pour agir dans la présente demande de contrôle judiciaire? Leurs libertés garanties par l’article 2 de la Charte ont‑elles été violées?
2. L’examen préliminaire effectué par l’ASFC, selon lequel M. Galloway pourrait être interdit de territoire pour des raisons de sécurité, est‑il raisonnable?
3. Y a‑t‑il eu une « décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte » susceptible de contrôle en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales?
Analyse
Cadre légal
[63] L’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], confère à la Cour fédérale le pouvoir de contrôler et d’annuler les décisions ou les actes des institutions fédérales. Les paragraphes 18.1(1), (3) et (4) constituent les dispositions légales pertinentes et sont ainsi rédigés :
18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande. […] |
Demande de contrôle judiciaire |
(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut : a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable; b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral. |
Pouvoirs de la Cour fédérale |
(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas : a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer; b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter; c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier; d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose; e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages; f) a agi de toute autre façon contraire à la loi. |
Motifs |
[64] Les dispositions pertinentes de l’article 34 de la Loi sont les suivantes :
34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants : […] c) se livrer au terrorisme; […] f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c). |
Sécurité |
(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. |
Exception |
[65] L’article 33 de la Loi fournit un guide pour l’interprétation de l’article 34 et est ainsi rédigé :
33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. |
Interprétation |
La norme de contrôle
[66] Selon la jurisprudence, la norme des « motifs raisonnables de croire » énoncée à l’alinéa 34(1)f) et le guide d’interprétation établi à l’article 33 de la Loi exigent davantage que de simples soupçons, mais est moins rigoureuse que la prépondérance de la preuve en matière civile. Il s’agit d’une croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi : Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 51, au paragraphe 50; Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163, au paragraphe 100. L’application de cette norme ou de ce guide à la preuve constitue une question mixte de fait et de droit et la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité : Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487 (Poshteh).
[67] L’interprétation du mot « membre » employé à l’alinéa 34(1)f) constitue une question de droit. La question de savoir si une personne s’est « livr[ée] au terrorisme » au sens de l’alinéa 34(1)c) ou si elle est « membre d’une organisation » qui s’est livrée au terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)f) constituent des questions mixtes de fait et de droit et la norme d’ordinaire applicable est la raisonnabilité : Poshteh, précité, aux paragraphes 16 à 23.
[68] La raisonnabilité reflète l’élément factuel présent dans les questions relatives à la qualité de membre et l’expertise que démontrent les agents lorsqu’ils évaluent les demandes au regard du critère de l’interdiction de territoire prévu au paragraphe 34(1) de la Loi : Ugbazghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 694, [2009] 1 R.C.F. 454 (Ugbazghi); Saleh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 303.
[69] Dans le cadre de alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur les Cours fédérales, la norme applicable aux questions de droit est la décision correcte. La conclusion selon laquelle un acte constitue un acte de terrorisme doit être valable en droit : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 116.
[70] En ce qui a trait aux questions de fait, la Cour fédérale ne peut intervenir sur le fondement de l’alinéa 18.1(4)d) que si elle estime que le décideur a « rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». La Cour suprême a clairement mentionné que le législateur, lorsqu’il a édicté ce motif de contrôle, voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), au paragraphe 46.
[71] En résumé, l’application de la norme de la raisonnabilité commande un degré élevé de déférence : Khosa, précité, au paragraphe 59.
Les demandeurs autres que M. Galloway ont-ils qualité pour agir dans la présente demande de contrôle judiciaire? Leurs libertés garanties par l’article 2 de la Charte ont‑elles été violées?
[72] Comme je l’ai déjà dit, les défendeurs ont plaidé dès le début de la présente instance que les demandeurs autres que M. Galloway n’avaient pas qualité pour agir en l’espèce. La requête en radiation des autres demandeurs du dossier présentée par les défendeurs a été rejetée sous réserve du droit de présenter de nouveau cette question au juge saisi de la demande, ce que les défendeurs ont fait.
[73] Le critère lié à la qualité pour agir dans un contrôle judiciaire est énoncé au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.
[74] Les mots « quiconque est directement touché » mettent l’accent sur les droits ainsi que sur les intérêts du demandeur. Il ne suffit pas d’avoir un intérêt dans l’issue de l’affaire. Par exemple, la Cour a conclu que les parrains et les membres de la famille d’un étranger qui demande un visa d’immigrant n’avaient pas la qualité nécessaire pour présenter une demande de contrôle judiciaire, car leurs droits n’étaient pas directement touchés : Carson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 656 (1re inst.) (QL) (Carson), au paragraphe 4; Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15149 (C.F. 1re inst.) (Wu), au paragraphe 15.
[75] Les défendeurs allèguent que les mesures prises par les ministres défendeurs en l’espèce n’ont pas directement touché les garanties juridiques constitutionnelles des autres demandeurs, ne leur ont pas imposé des obligations légales et ne leur ont causé aucun préjudice, de sorte qu’ils ne sont pas visés par le paragraphe 18.1(1). Les demandeurs autres que M. Galloway plaident que cette allégation ne tient pas compte de leur liberté d’expression garantie pas la Charte, laquelle liberté comprend le droit à l’information. Ils soutiennent que les décisions Carson et Wu se distinguent d’avec la présente affaire, car aucune question de cette nature n’a été soulevée dans ces décisions.
[76] Les demandeurs allèguent, sur le fondement des paragraphes 34 et 35 de l’arrêt Morgentaler c. Nouveau‑Brunswick, 2009 NBCA 26, 344 R.N.-B. (2e) 39, rendu par la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick, qu’une partie a qualité pour agir si elle a un intérêt personnel dans l’issue de la controverse. C ependant, dans l’affaire Morgentaler, le demandeur avait un intérêt direct dans l’application de la politique en cause, car il n’aurait pas été payé par la province pour les services effectués si la politique avait été confirmée. En outre, il avait demandé la qualité pour agir dans l’intérêt public, ce qui soulève des considérations différentes comme je l’explique ci‑dessous.
[77] Dans la décision Henry Global Immigration Services c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 1998 CanLII 8854 (C.F. 1re inst.), également invoquée par les demandeurs, le juge Frederick Gibson de la Cour fédérale, Section de première instance a conclu qu’une conseillère en immigration avait la qualité pour agir dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision défavorable portant sur une demande d’établissement au Canada. Dans les circonstances particulières de cette affaire, la conseillère risquait d’être obligée de mettre fin à ses activités professionnelles si la décision en question était confirmée. Dans la décision Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229 (1re inst.), les membres de la demanderesse étaient des agriculteurs et des pêcheurs. La preuve établissait amplement que ces personnes seraient directement touchées par l’annulation des services de traversier à l’Île‑du‑Prince‑Édouard. Rien ne donne à penser qu’il y ait en l’espèce un intérêt économique semblable.
[78] On pourrait alléguer que les autres demandeurs ont été directement touchés par la décision d’empêcher M. Galloway d’entrer au Canada. Comme je l’ai noté précédemment, le nombre restreint de participants par rapport au nombre de personnes qui s’était initialement inscrit aux conférences a contribué à la perte de revenus. Cette modeste participation a également fait en sorte que de nombreuses personnes qui souhaitaient entendre M. Galloway de vive voix ont retourné leurs billets. Bien que je reconnaisse que cette allégation a un certain bien‑fondé, je ne suis pas convaincu que l’intérêt des autres demandeurs respecte le critère de la personne directement touchée.
[79] Je conclus donc que les autres demandeurs n’étaient pas directement touchés par la prétendue décision contestée. Cependant, cela ne tranche pas la question de leur qualité pour agir. Selon la jurisprudence, la portée du libellé du paragraphe 18.1(1) est assez large pour viser des demandeurs qui ne sont pas directement touchés si ces demandeurs font la preuve qu’ils ont qualité pour agir dans l’intérêt public : Tribus Kwicksutaineuk/Ah-kwa-mish c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2003 CFPI 30, conf. par 2003 CAF 484, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée le 20 mai 2004, [2004] 1 R.C.S. vii; Canada (Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 213, [2006] 1 R.C.F. 53.
[80] La Cour suprême, dans l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, a expliqué en quoi consiste la preuve de la qualité pour agir dans l’intérêt public : elle a conclu que l’on doit tenir compte de trois aspects lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a lieu de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public. Premièrement, une question sérieuse a‑t‑elle été soulevée? Deuxièmement, a‑t‑on démontré que le demandeur est directement touché par la loi, sinon qu’il a un intérêt véritable quant à l’issue? Troisièmement, y a‑t‑il une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour? Il est évident que des questions sérieuses ont été soulevées et que les autres demandeurs ont un intérêt véritable dans ces questions. Il ne reste donc à la Cour qu’à déterminer si les intéressés ont une autre manière raisonnable et efficace de lui soumettre la question.
[81] Dans les circonstances particulières de l’espèce, il ne semble pas qu’il y eût une autre manière raisonnable et efficace de soumettre à la Cour la question des intérêts garantis par la Charte invoqués par les autres demandeurs. Les droits et les libertés garantis à l’article 2 de la Charte n’auraient pas pu être invoqués au nom de M. Galloway parce qu’il n’était pas citoyen du Canada, parce qu’il ne se trouvait pas au Canada lorsque les mesures contestées ont été prises et parce qu’il n’a aucun « lien » avec le Canada : Slahi c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 CF 160, au paragraphe 48, conf. par 2009 CAF 259, et autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée le 18 février 2010 [[2010] 1 R.C.S. xv].
[82] Les défendeurs contestent que CIC et l’ASFC avaient effectivement appliqué le droit canadien à M. Galloway et avaient rendu une décision susceptible de contrôle. Ils conviennent que, si CIC ou l’ASFC avaient rendu cette décision, un tel lien aurait peut-être existé. Je note que les tribunaux au Royaume-Uni ont conclu que les libertés d’expression et d’association prévues par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, peuvent être invoquées par des non‑citoyens exclus dans des circonstances semblables : Farrakhan, R (on the application of) v. Secretary of State for the Home Department, [2002] EWCA Civ 606, [2002] Q.B. 1391; GW (EEA reg 21: “fundamental interests”) Netherlands, [2009] UKAIT 00050. Cependant, ces affaires se fondaient sur une décision officielle qui avait été prise par un ministre ou un fonctionnaire légalement habilité. Une situation semblable aurait pu arriver si M. Galloway avait présenté une demande de permis de séjour temporaire de l’extérieur du Canada et que la demande avait été rejetée.
[83] Les demandeurs et l’intervenante ont attiré mon attention sur plusieurs décisions rendues par des tribunaux aux États‑Unis qui ont conclu que le refus de délivrer un visa à un visiteur étranger invité à donner une conférence aux États‑Unis constituait une violation du droit garanti aux citoyens des États‑Unis par le Premier Amendement : Kleindienst v. Mandel, 408 U.S. 753 (1972); Allende v. Schultz, 605 F. Supp. 1220 (D. Mass. 1985). La Cour suprême du Canada a cité avec approbation l’arrêt Kleindienst : Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827 (Harper), au paragraphe 18.
[84] J’accepte la position des autres demandeurs selon laquelle le refus de leur accorder la qualité pour agir ferait en sorte que la Cour ne pourrait pas tenir compte de l’argument selon lequel leurs libertés d’associations et d’expression garanties par la Charte ont été violées par l’exclusion de M. Galloway du Canada. La possible violation serait qu’ils ont été incapables de le voir en personne et d’entendre ses opinions directement. Dans ces circonstances, j’estime donc qu’il est approprié d’accorder aux autres demandeurs la qualité pour agir dans l’intérêt public.
[85] Les parties conviennent que la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte protège également l’auditeur en ce sens qu’il comprend le « droit d’entendre » et le droit à l’information : Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; Harper, précité, aux paragraphes 17 et 18.
[86] La preuve en l’espèce ne révèle pas que le gouvernement a essayé de limiter le droit à l’information des autres demandeurs. Ces derniers auraient pu, par de nombreux autres moyens, entendre M. Galloway parler et ils ont été en mesure de le faire, même si les conditions étaient difficiles. La preuve révèle plutôt que le gouvernement souhaitait empêcher M. Galloway d’exprimer ses opinions en sol canadien. Je suis d’accord avec les demandeurs pour affirmer que, vu les courriels et les déclarations publiques déposés en preuve, le seul problème lié à la venue de M. Galloway au Canada concernait le contenu du message que les défendeurs s’attendaient à ce que M. Galloway communique. Cependant, il n’est pas certain que les mesures prises aient empêché la transmission de ce message. On peut en effet soutenir que ces mesures ont davantage attiré l’attention sur ce que M. Galloway avait à dire tant ici qu’à l’étranger.
[87] Les demandeurs, appuyés par l’intervenante, soutiennent que je devrais rejeter la position du gouvernement qui affirme que leur droit d’entendre M. Galloway n’a pas été violé et qu’on leur a seulement refusé une tribune parmi d’autres permettant à M. Galloway de faire des conférences et aux demandeurs de l’entendre. Les demandeurs allèguent que leur seule présence dans un endroit où M. Galloway devait donner une conférence constitue une forme d’expression, car les participants sont ainsi associés à un groupe de personnes qui sont intéressées par les sujets dont il aurait été question. Selon les demandeurs, l’ingérence du gouvernement dans la visite de M. Galloway au Canada les a privés de leur liberté d’expression parce qu’ils n’ont pas pu s’associer aux vues de M. Galloway par leur présence à ces endroits et les a privés du droit d’écouter directement les opinions de M. Galloway.
[88] Les demandeurs soutiennent qu’ils ne demandent pas au gouvernement de fournir à M. Galloway une tribune où exprimer ses opinions. Ils souhaitent plutôt obtenir l’annulation d’une décision qui constitue une entrave à la capacité de M. Galloway de venir au Canada et qui viole donc leurs libertés d’expression et d’association. Les défendeurs affirment que souhaiter voir au Canada quelqu’un qui est interdit de territoire en application des lois canadiennes ne constitue pas une forme d’expression protégée. Bien qu’une certaine entrave aux droits des autres demandeurs ait pu avoir lieu, il ne s’agissait pas d’une entrave substantielle équivalant à une violation de l’article 2 : Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673, au paragraphe 48.
[89] L’intervenante est d’accord avec le gouvernement que les objectifs de l’article 34 de la Loi — à savoir protéger les Canadiens et veiller à ce que les craintes liées à la sécurité nationale soient écartées — sont pressants et importants. Cependant, elle allègue que l’application de l’article 34 nécessite une mise en balance des intérêts. Si un nombre important de citoyens canadiens ou de résidents permanents souhaitent voir en personne de façon ponctuelle un étranger dont l’admission au pays ne constitue pas une menace, la balance devrait pencher en faveur des libertés d’expression et d’association de ces citoyens ou de ces résidents permanents plutôt qu’en faveur des autres intérêts en cause. L’intervenant fonde son allégation sur le paragraphe 32 de l’arrêt Suresh, précité, rendu par la Cour suprême du Canada.
[90] L’affaire Suresh portait sur l’expulsion d’un demandeur d’asile visé par un certificat de sécurité. Dans cet arrêt, la Cour suprême a clairement établi que, dans le cadre de l’examen des mesures prises par le gouvernement contre une personne dans des circonstances semblables à l’affaire Suresh, la Cour doit déterminer si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire dans les limites imposées par la Constitution. Je ne crois pas que l’arrêt Suresh aille aussi loin que le laisse entendre l’intervenante et qu’il exige la mise en balance des intérêts de l’État et de ceux de tiers non directement touchés par la décision.
[91] Par conséquent, je suis d’accord avec les demandeurs pour conclure que l’activité pour laquelle ils souhaitent obtenir la protection de l’alinéa 2b) constitue une forme d’expression. Je suis également d’accord avec les demandeurs pour affirmer que la principale raison pourquoi les défendeurs essayaient d’empêcher M. Galloway d’entrer au Canada était qu’ils ne souscrivaient pas à ses opinions politiques. Si l’objectif des défendeurs était de restreindre le contenu de l’expression en vue de contrôler l’accès au message transmis, il restreignait également la liberté d’expression : R. v. Ahmad, 2009 CanLII 84774, 257 C.C.C. (3d) 199 (C.S. Ont.), au paragraphe 123, citant les motifs concordants du juge Lamer [alors juge puîné] dans l’arrêt Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123.
[92] Cependant, je n’accepte pas que l’inférence qui découle d’une telle conclusion est que les droits des autres demandeurs garantis par l’article 2 de la Charte ont été violés. Pour que les autres demandeurs puissent exercer ces droits, il n’est pas nécessaire que le gouvernement réponde à leurs attentes et permette à une personne d’entrer au Canada afin de les voir et de leur parler en personne. Selon mon interprétation de la jurisprudence portant sur l’article 2, le gouvernement n’a aucune obligation de fournir le moyen — en l’espèce, la tribune — permettant aux demandeurs d’exercer leur liberté d’expression : Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995.
[93] Vu l’ensemble de la preuve, il n’existait aucune entrave substantielle ni au droit des autres demandeurs d’entendre M. Galloway donner son opinion ni à leur liberté de s’associer à sa façon de voir le monde par leur participation aux conférences prévues. L’objet du régime légal, sur lequel les défendeurs entendaient se fonder pour empêcher M. Galloway de venir au Canada, n’est pas non plus de porter atteinte aux libertés d’expression et d’association des demandeurs, mais plutôt de protéger les Canadiens en refusant l’admission à des personnes qui ont pu ou pourraient se livrer au terrorisme ou qui sont membres d’organisations terroristes.
[94] Seule la présence physique de M. Galloway a été refusée aux autres demandeurs et non son image ou sa voix, qui ont été transmises par vidéo et par téléphone. Comme la Cour suprême l’a énoncé au paragraphe 27 de l’arrêt Baier, précité, les demandeurs doivent rechercher davantage qu’une voie particulière pour l’exercice de leurs libertés fondamentales. Je suis conscient que les conditions dans lesquelles M. Galloway a en fin de compte pu communiquer avec ses supporteurs au Canada en avril 2009 n’étaient pas idéales et que certaines des personnes qui avaient acheté des billets avaient par conséquent choisi de ne pas y participer, mais cela n’équivaut pas à une violation de la Charte. Leur droit de recevoir le contenu du message de M. Galloway n’a pas été violé.
L’examen préliminaire effectué par l’ASFC, selon lequel M. Galloway pourrait être interdit de territoire en application des alinéas 34(1)c) et f) de la Loi, est-il raisonnable?
[95] Comme je l’ai déjà mentionné, je pense qu’il est nécessaire de trancher cette question au cas où l’on conclurait que ma décision en l’espèce est erronée. En outre, il existe encore un litige actuel entre les parties quant à la validité de l’examen préliminaire.
[96] De façon générale, la norme de contrôle applicable à une décision d’interdiction de territoire fondée sur les alinéas 34(1)c) et f) et sur l’article 33 est la raisonnabilité. La Cour doit accorder au juge des faits un degré élevé de déférence. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle la nature de l’organisation est mise en doute. Les questions en litige étaient de savoir si M. Galloway s’était livré au terrorisme ou s’il était membre de l’organisation. La déférence n’impose pas à la Cour de fermer les yeux sur des erreurs évidentes commises par le juge des faits dans son examen.
[97] Cela étant dit, je pense qu’il convient de reconnaître que les auteurs de l’examen préliminaire en l’espèce n’ont pas pu profiter des observations des avocats et qu’ils n’ont pas eu plusieurs mois pour examiner l’affaire. Il s’agissait d’une situation inusitée, car ils n’ont pas d’ordinaire à se pencher sur la question de l’interdiction de territoire d’un membre du Parlement. En outre, on leur a demandé de fournir un examen rapide alors que des bureaux de ministres participaient activement au dossier et que du personnel politique et de hauts fonctionnaires avaient déjà établi les grandes lignes de l’examen. Selon mon interprétation de la preuve, l’examen a été rédigé après que des membres du personnel politique et de hauts fonctionnaires eurent hâtivement conclu que M. Galloway était interdit de territoire. Il n’est pas surprenant que le résultat de l’examen ait confirmé cette position, bien que son libellé ait été moins catégorique.
[98] À mon avis, l’examen n’est pas raisonnable parce qu’il va trop loin dans l’interprétation des faits, parce qu’il renferme une erreur de droit et, ce qui est plus important encore, parce qu’il ne tient pas compte de la raison pour laquelle M. Galloway a fourni de l’aide aux Gazans par l’intermédiaire du gouvernement du Hamas. Je pense qu’il est nécessaire que je fournisse des motifs assez détaillés afin d’aider les parties advenant que la question de l’admissibilité de M. Galloway refasse surface.
[99] La plus grande partie de l’examen repose sur des renseignements généraux obtenus de sources publiques, comme Internet, concernant la participation de M. Galloway dans des activités telles que le programme « Pétrole contre nourriture » parrainé par les Nations Unies pour le bénéfice de l’Iraq. Il est impossible de déterminer au vu du document si les renseignements sont exacts, car les sources ne sont pas citées. Les auteurs ont mentionné quelques détails en faveur de M. Galloway; par exemple, la conclusion tirée par un organisme d’enquête selon laquelle M. Galloway n’avait pas violé les sanctions imposées par les Nations Unies ainsi que l’action en diffamation pour laquelle il avait eu gain de cause et qui portait sur des accusations à cet égard. Ces renseignements ne sont en rien une corroboration de la participation de M. Galloway à des actes terroristes ou de son appartenance à une organisation s’étant livrée au terrorisme, car ils ne se fournissent aucune preuve de l’une ou l’autre.
[100] Il est allégué que l’examen aurait mis l’accent sur [traduction] « l’interdiction de territoire de M. Galloway en application des alinéas 34(1)c) et f) de la Loi » sur le fondement de son appui au Hamas. Aucun élément de preuve ne corrobore cet appui à l’exception du convoi d’aide de Viva Palestina. L’examen mentionne ce qui suit :
[traduction] De nombreux document font état des activités terroristes du Hamas. En outre, le Hamas figure à la liste des entités terroristes établie par le gouvernement du Canada. La Loi antiterroriste permet au gouvernement du Canada de créer une liste des entités terroristes. Sécurité publique Canada affirme qu’un individu commet une infraction s’il participe sciemment, directement ou indirectement à toute activité d’un groupe terroriste. Cette participation ne constitue une infraction que si elle accroît la capacité de tout groupe terroriste de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter.
M. Galloway a publiquement soutenu le Hamas. Non seulement M. Galloway a organisé un convoi d’aide et de véhicules valant au total plus d’un million de livres sterling, mais il a aussi personnellement donné trois véhicules et 44 000 $ au premier dirigeant du Hamas, M. Haniya. [Non souligné dans l’original.]
[101] La déclaration de Sécurité publique Canada soulignée dans le premier paragraphe ci‑dessus serait tirée de la partie II.1 [articles 83.01 à 83.33 (édictés par L.C. 2001, ch. 41, art. 4)] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, dans sa version modifiée. Les infractions établies dans cette partie portent, entre autres, sur le soutien matériel à une organisation qui se livre au terrorisme.
[102] Dans une affaire en droit administratif portant sur l’interprétation de l’article 34 de la Loi, il convient de tenir compte de la définition de terrorisme donnée par le Code criminel : Soe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 671. Le paragraphe 83.01(1) du Code criminel définit « activité terroriste » [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4] comme englobant un éventail d’infractions établies par les conventions antiterroristes des Nations Unies, conventions auxquelles le Canada est partie, ainsi que d’autres crimes violents précis et le fait de causer des dommages considérables aux biens au nom d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique.
[103] La partie de la définition exigeant un but politique, religieux ou idéologique a été déclarée anticonstitutionnel dans la décision R. v. Khawaja, 2006 CanLII 63685, 214 C.C.C. (3d) 399 (C.S. Ont.). La Cour d’appel de l’Ontario est actuellement saisie de l’appel de cette décision [les motifs de la décision ont depuis été rendus : 2010 ONCA 862, 103 O.R. (3d) 321]. Il ne fait néanmoins aucun doute que les infractions établies par la partie II.1 du Code criminel exigent la preuve d’un élément moral, c’est‑à‑dire [traduction] « qu’un accusé à la fois avait sciemment participé ou contribué aux activités d’un groupe terroriste et savait qu’il s’agissait d’un groupe terroriste que l’accusé souhaitait aider à se livrer à des activités terroristes ou à les faciliter » : Khawaja, au paragraphe 38.
[104] L’article 83.18 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4] du Code criminel définit l’infraction consistant à participer sciemment à une activité d’un groupe terroriste, ou à y contribuer, directement ou non. Afin d’établir l’infraction prévue à l’article 83.18, on doit prouver que le but que poursuivait l’accusé était d’accroître la capacité d’un groupe terroriste de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter. La nécessité d’établir la connaissance, l’intention, le but ou le caractère délibéré est également prévue dans les définitions des infractions énoncées aux articles 83.02 [édicté, idem], 83.03 [édicté, idem] et 83.04 [édicté, idem], qui mettent l’accent sur le fait de réunir, de fournir ou d’utiliser des biens en vue de commettre des actes terroristes.
[105] Le droit canadien à cet égard est semblable au droit des États‑Unis, mais un élément important l’en distingue, et les fonctionnaires chargés de son application devraient l’avoir à l’esprit. La loi aux États‑Unis portant sur le soutien matériel renferme une infraction semblable à celles prévues dans le Code criminel, lesquelles nécessitent l’établissement à la fois de la connaissance et du but : 18 U.S.C. § 2339A (2006). Cependant, suivant 18 U.S.C. § 2339B (2006), qui prévoit l’infraction la plus souvent invoquée, il suffit d’établir que la personne a sciemment contribué à un groupe ayant été désigné comme étant une [traduction] « organisation terroriste étrangère », et ce, peu importe que la personne ait contribué à des fins terroristes : Holder v. Humanitarian Law Project, 130 S.Ct. 2705 (2010) (Holder).
[106] Comme l’a noté le juge en chef John Roberts au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Holder, bien que d’autres dispositions antiterroristes aux États‑Unis exigent que la personne ait eu l’intention de soutenir des activités terroristes, le Congrès n’a pas ajouté ce critère lorsqu’il a édicté 18 U.S.C. § 2339B en 1996 ou lorsqu’il a précisé les critères en matière de connaissance en 2004. Le Parlement du Canada a bien prévu un critère lié au but lorsqu’il a édicté la partie II.1.
[107] Les allégations selon lesquelles M. Galloway a publiquement soutenu le Hamas et lui a offert de l’aide reviennent à plusieurs reprises dans l’examen. Elles semblent constituer le fondement de la conclusion selon laquelle il y aurait des motifs raisonnables de croire que M. Galloway s’est livré au terrorisme ou était membre d’une organisation terroriste. Cependant, l’examen ne comporte aucune analyse quant au but que M. Galloway poursuivait lorsqu’il a fourni l’aide ni d’analyse sur la façon dont la réalisation de ce but aurait pu accroître la capacité du Hamas de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter. On ne semble pas non plus y avoir tenu compte de la possibilité que la visite de M. Galloway à Gaza ait constitué une prise de position politique contre l’embargo plutôt que la démonstration de son appui au Hamas.
[108] Les défendeurs soutiennent, à juste titre, que les fonds fournis à une organisation pour un but donné peuvent être utilisés par l’organisation pour un autre but, soit l’un de ceux mentionnés à la définition d’« activité terroriste » prévue au Code criminel. Cela peut arriver lorsque de l’aide fournie dans un but louable libère des ressources qui peuvent alors être employées par l’organisation pour commettre un attentat terroriste. Comme l’a mentionné le juge en chef Roberts à la page 5 [du sommaire] de l’arrêt Holder, précité, [traduction] « les organisations terroristes étrangères désignées n’ont pas en place des cloisons organisationnelles entre leurs activités sociales, politiques et terroristes ni des cloisons financières entre les fonds amassés à des fins humanitaires et ceux utilisés pour commettre des attentats terroristes ».
[109] Bien que cela soit sans doute vrai dans de nombreux cas, rien au dossier n’établit que c’est ce qui est arrivé en l’espèce. Les défendeurs ne contestent pas la preuve des demandeurs selon laquelle l’argent a été utilisé à des fins humanitaires.
[110] La Cour n’est pas assez naïve pour croire que le Hamas serait incapable de profiter de la bonne volonté des personnes lui ayant fourni des fonds à des fins humanitaires. Cependant, laisser entendre que les dons offerts aux Hamas à des fins humanitaires feraient en sorte que le donneur est partie à tout crime terroriste commis par le Hamas va au‑delà de l’intention du législateur et du libellé de la législation. Les fonds doivent être donnés dans le but d’accroître la capacité de l’organisation de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter et, en l’absence d’un tel but, la simple allégation selon laquelle du soutien matériel a été fourni à une telle organisation ne suffit pas. Le contraire pourrait faire en sorte que d’innocents Canadiens qui ont fait des dons à des organisations qu’ils croient, de bonne foi, faire du travail humanitaire soient pris dans un piège.
[111] En ce qui a trait à la question de l’appartenance à une organisation terroriste, l’examen mentionne ce qui suit :
[traduction] Un membre d’une organisation terroriste, subversive ou criminelle, n’a pas à commettre lui‑même les actes ou à participer à la direction de l’organisation : il suffit que la personne connaisse la nature fondamentale de l’organisation et qu’il y ait une manifestation objective de la volonté de participer à ses activités. Le demandeur a fourni du soutien financier à un groupe que le gouvernement canadien a estimé se livrer au terrorisme. M. Galloway a aidé la cause du Hamas et on peut, en droit, interpréter son rôle comme étant de l’aide et du soutien : il a fourni du soutien financier au Hamas. [Non souligné dans l’original.]
[112] L’examen ne fait état d’aucune preuve de la volonté de M. Galloway de participer aux activités du Hamas ni de preuve de son intention d’aider la cause du Hamas autrement qu’en offrant son aide au Hamas en tant que gouvernement de Gaza afin de soulager les souffrances de la population civile. Qualifier l’organisation d’un convoi d’aide humanitaire comme étant « du soutien » ou « du soutien financier » qui témoigne de la volonté de M. Galloway de participer aux activités d’une organisation terroriste constitue une interprétation excessive de la loi.
[113] Dans l’examen, on a renvoyé à la décision Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 867 (Pushpanathan), rendue par la Cour fédérale, Section de première instance, afin d’alléguer que la complicité par le soutien aux activités d’une organisation terroriste suffit pour constituer un acte de terrorisme ou pour établir l’appartenance à cette organisation. On a mentionné ce qui suit dans l’examen :
[traduction] Il est également important de noter que la complicité d’activités terroristes peut également être considérée comme étant un acte terroriste en soi. Bien que la jurisprudence portant sur la complicité ait été élaborée dans le contexte des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, il y a lieu de penser que les principes établis dans cette jurisprudence s’appliquent également aux actes terroristes. Fournir du soutien, tel que du soutien financier, à une organisation dans le but d’appuyer ses activités peut être interprété comme étant des activités équivalant à de la complicité.
[114] Étant donné qu’aucune preuve n’établit que M. Galloway a effectivement participé à une activité terroriste, seule la complicité peut être plaidée par les défendeurs pour affirmer que M. Galloway est visé par l’alinéa 34(1)c), soit qu’il s’est « livr[é] au terrorisme », dans la mesure où l’on tient pour acquis que cette extension de la doctrine de la complicité est justifiée. Encore une fois, je pense que l’allégation des défendeurs selon laquelle M. Galloway est complice des activités terroristes du Hamas constitue une interprétation excessive des faits de l’espèce et du droit.
[115] Dans l’affaire Pushpanathan, précitée, dont avait été saisi le juge Pierre Blais, maintenant juge en chef de la Cour d’appel fédérale, la complicité constituait un enjeu parce que la Section de la protection des réfugiés avait conclu que le demandeur ne pouvait pas obtenir l’asile en raison de son soutien aux activités terroristes des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Le demandeur avait amassé des fonds pour les TLET en faisant du trafic de stupéfiants. Le juge Blais avait expressément conclu au paragraphe 48 que les activités criminelles du demandeur établissaient sa « participation personnelle et consciente » et que le demandeur avait un « but commun » avec les TLET. Vu la preuve en l’espèce, on ne peut pas mettre M. Galloway dans le même panier.
[116] Les auteurs de l’examen ont noté qu’au paragraphe 22 de la décision Suresh (Re), [1997] A.C.F. no 1537 (1re inst.) (QL), le juge Max Teitelbaum a affirmé que « [l]’appartenance ne saurait ni ne devrait être interprétée de façon restrictive quand elle se rapporte à la question de la sécurité nationale du Canada. Par ailleurs, l’appartenance ne fait pas uniquement référence à des personnes qui se sont livrées ou pourraient se livrer à des activités terroristes. »
[117] Bien qu’il s’agisse de la citation exacte d’une partie de la décision du juge Teitelbaum, les autres facteurs dont le juge Teitelbaum a tenu compte n’y sont pas mentionnés. Suresh avait nié appartenir au TLET parce qu’il n’avait jamais prêté un serment d’engagement ou de loyauté envers les TLET. Le juge Teitelbaum a rejeté cette allégation parce que Suresh avait participé aux activités des TLET depuis son jeune âge et parce qu’il avait progressivement obtenu des responsabilités de plus en plus importantes; il avait notamment amassé des fonds, fait partie de la direction du TLET et dirigé une section de cette organisation. Rien ne donne à penser que M. Galloway a un tel lien avec le Hamas en l’espèce.
[118] La loi ne définit pas l’expression « membre d’une organisation ». Les tribunaux n’ont pas établi une définition précise et complète de cette expression. Il est de jurisprudence constante que cette expression doit recevoir une interprétation large et libérale : Poshteh, précité, au paragraphe 27; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, 1998 CanLII 8281 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 52. Cependant, une interprétation large et libérale ne donne pas carte blanche au décideur pour considérer quiconque ayant déjà eu affaire à une organisation terroriste comme étant membre de cette organisation. Il faut tenir compte des faits de chaque affaire, y compris de la preuve contredisant une conclusion d’appartenance : Poshteh, au paragraphe 38. Rien ne donne à penser que les auteurs de l’examen ont accordé quelque poids que ce soit aux facteurs ne portant pas sur le soutien financier et matériel qui a été fourni au Hamas par M. Galloway.
[119] Il convient de noter que, dans la décision Suresh et dans plusieurs des autres décisions citées par les auteurs de l’ASFC à l’appui de leur examen, des enjeux liés à la sécurité nationale ont été invoqués. Selon la preuve au dossier, la question de l’admissibilité de M. Galloway n’a jamais constitué un enjeu de sécurité nationale. Comme je l’ai déjà mentionné, l’ASFC avait consulté le SCRS avant de rédiger son rapport examen, et le SCRS ne voyait aucun enjeu lié à la sécurité nationale en ce qui avait trait à la visite de M. Galloway. On ne peut affirmer avec certitude que les auteurs connaissaient la position du SCRS, car il n’en est aucunement fait mention dans l’examen et ce n’est que lors du dépôt du dossier de courriels que cette position a été révélée.
[120] L’examen renvoie à un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, afin d’étayer l’allégation selon laquelle l’appartenance à une organisation suppose [traduction] « l’existence d’un lien institutionnel entre l’organisation et la personne, accompagné d’un engagement plus que nominal dans les activités de l’organisation ». L’examen ne renferme aucune analyse quant à savoir si M. Galloway avait un lien institutionnel avec le Hamas et rien ne donne à penser qu’il a eu un engagement plus que nominal dans leurs activités. Dans l’arrêt Harb, la Cour d’appel fédérale a refusé de préciser ce qu’elle avait voulu dire par « appartenance à un groupe », expression qu’elle avait employée dans une décision antérieure portant sur la complicité, au motif que chaque affaire dépend des faits et du degré de participation dans les activités du groupe. En l’espèce, outre l’aide envoyée par convoi, rien ne donne à penser que M. Galloway a participé aux activités du Hamas.
[121] Les auteurs de l’examen ont cité hors contexte l’extrait suivant tiré de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hajialikhani, [1999] 1 C.F. 181 (1re inst.) (Hajialikhani) [au paragraphe 41] : « Il ne fait aucun doute que le fait de contribuer au financement de crimes constitue un acte de complicité. » Encore une fois, rien ne donne à penser que M. Galloway a sciemment et délibérément contribué au financement de crimes. La preuve non contestée révèle que M. Galloway a fourni de l’aide humanitaire, même si cela a été l’occasion pour lui de prendre une position politique en plus de faire la charité.
[122] La décision Hajialikhani concernait une autre affaire dans laquelle l’asile avait été refusé au demandeur en raison de sa longue association à une organisation terroriste. Dans l’examen, la citation tirée de cette décision était jumelée à l’observation suivante : [traduction] « Le soutien offert publiquement par M. Galloway au Hamas et à sa cause montre que son soutien était plus que nominal. » En plus de ne faire aucun lien avec le principe énoncé dans la décision Hajialikhani, les auteurs n’ont pas défini ce qu’était la cause du Hamas. Les auteurs avaient peut‑être à l’esprit que la cause du Hamas visait la fin de l’embargo et ils ont peut‑être interprété l’opposition de M. Galloway à l’embargo comme étant un appui à cette cause. Cependant, cela ne fait pas de M. Galloway un complice des crimes commis ou qui seront commis par le Hamas, en l’absence d’éléments de preuve établissant que M. Galloway a offert du soutien à la perpétration de ces crimes.
[123] Dans leurs observations écrites, les défendeurs ont pris la position suivante (mémoire supplémentaire des défendeurs, au paragraphe 32) :
[traduction] Tant la Cour, la Cour d’appel fédérale que la Cour suprême du Canada ont confirmé qu’une personne qui offre un soutien financier et matériel à une organisation terroriste est considérée comme étant membre de l’organisation terroriste au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.
[124] Je crois qu’il s’agit d’une interprétation trop large de l’application de la jurisprudence à la présente question. L’avocate des défendeurs a, à juste titre, concédé dans ses observations orales que fournir du soutien financier et matériel n’est que l’un des facteurs que l’on peut considérer avant d’en arriver à la conclusion qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est membre d’une organisation terroriste. Cela ressort de l’analyse des décisions invoquées par les défendeurs à l’appui de cette interprétation, y compris la décision Suresh, dont j’ai parlé ci‑dessus.
[125] Dans la décision Ugbazghi, précitée, par exemple, la demanderesse avait admis appartenir à un groupe qui appuyait les objectifs de l’organisation en cause et s’être livrée à une série d’activités telles qu’assister à des réunions, faire des dons et distribuer des documents qui encourageaient d’autres personnes à se joindre à la lutte armée ou à faire des dons. Des faits semblables constituaient également la toile de fond d’autres affaires dans lesquelles la Cour a confirmé des conclusions selon lesquelles les demandeurs appartenaient à des organisations terroristes : Sepid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 907; Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 7.
[126] Les défendeurs, dans une lettre que j’ai reçue après l’audience, ont attiré m’ont attention sur la récente décision Farkhondehfall c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 471 (Farkhondehfall), rendue par ma collègue la juge Ann Mactavish. L’avocate des défendeurs a soutenu que la juge Mactavish dans cette décision avait également conclu qu’une personne qui fournit de l’argent à une organisation terroriste (dans cette affaire, il s’agissait de la Mujahedin-e-Khalq ou « MEK ») était visée par l’alinéa 34(1)f) de la Loi.
[127] Dans la décision Farkhondehfall, la juge Mactavish a conclu que le dossier renfermait de nombreux éléments de preuve étayant la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur était membre de la MEK; le demandeur avait, entre autres, assisté à des réunions, vendu des livres et fait des contributions pécuniaires. Il avait longtemps été membre d’une organisation-écran amassant des fonds pour le MEK en Iran et en Inde et il avait continué ses activités à l’appui du MEK après son arrivée au Canada. Les contributions pécuniaires n’étaient donc que l’un de plusieurs facteurs donnant à penser que le demandeur appartenait au MEK.
[128] La preuve de soutien financier ou d’autres formes de soutien matériel pourrait bien suffire dans certaines affaires, selon le contexte et le but poursuivi par le soutien offert, pour qu’il y ait des motifs raisonnables de croire qu’une personne est membre d’une organisation terroriste. Une personne qui offre sciemment de l’argent ou des marchandises à un groupe afin de l’aider à perpétrer des actes terroristes ne peut pas éviter de se faire étiqueter comme membre de ce groupe simplement parce qu’elle n’en est jamais formellement devenue membre ou parce qu’elle n’a jamais été sous la direction ou sous le contrôle de ses dirigeants. L’appartenance peut être inférée de la preuve dans son ensemble, comme dans les affaires citées ci‑dessus, y compris des déclarations et des gestes qui donnent à penser que le but poursuivi par le donateur était d’accroître la capacité du groupe de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter. Le but poursuivi par le donateur peut être inféré si le donateur, pour justifier son don, n’a pas fourni d’explication raisonnable montrant qu’il n’avait pas l’intention de faciliter des actes terroristes.
[129] L’intervenante allègue qu’il n’est pas raisonnable d’appliquer l’alinéa 34(1)f) de façon si large qu’il viserait un simple lien avec une organisation sans qu’il soit nécessaire d’établir la participation de la personne à des actes de violence, sa volonté de se livrer à de tels actes ou la probabilité que cette personne se livre à de tels actes. L’intervenante a invoqué le paragraphe 110 de l’arrêt de la Cour suprême Suresh, précité, à l’appui de son allégation.
[130] Les propos de la Cour suprême au paragraphe 110 découlaient d’une analyse du paragraphe 19(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11] de l’ancienne Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], la disposition qui a précédé l’article 34. Comme l’a décrit la Cour suprême au paragraphe 103 de l’arrêt Suresh, le paragraphe 19(1) avait une autre fonction dans l’ancienne loi. Le paragraphe 53(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43] de l’ancienne loi, une disposition portant sur une mesure de renvoi, renvoyait également au paragraphe 19(1) : il définissait la catégorie des réfugiés au sens de la Convention pouvant être renvoyés parce qu’ils constituaient un danger pour la sécurité du Canada. Vu les modifications législatives entrées en vigueur avec la Loi, je ne crois pas que les propos tenus par la Cour suprême au paragraphe 110 de l’arrêt Suresh étayent l’allégation selon laquelle une conclusion d’interdiction de territoire nécessite la preuve d’une participation à des actes de violence ou de la volonté de se livrer à de tels actes. Il suffit d’établir que le demandeur a sciemment appuyé la perpétration d’actes terroristes par l’organisation et qu’il a posé des gestes pour faciliter ces actes.
La décision contestée du ministre communiquée par la lettre du gestionnaire du programme d’immigration est‑elle susceptible de contrôle?
[131] Les demandeurs allèguent essentiellement que les ministres défendeurs ont pris la décision d’empêcher M. Galloway d’entrer au Canada et que cette décision a par la suite été confirmée dans la lettre de M. Orr datée du 20 mars 2009. Selon leur interprétation des faits, il importe peu que la décision n’ait pas été exécutée parce que M. Galloway ne s’est pas présenté à un point d’entrée pour faire l’objet d’un contrôle.
[132] Comme je l’ai cité ci‑dessus, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut, en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, déclarer nulle toute « décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral ». Selon l’approche classique liée à ce pouvoir, pour qu’une décision soit susceptible de contrôle, il dût s’agir de la décision définitive qui tranchait sur le fond la question soumise au décideur : Mahabir c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 133 (C.A.), à la page 140; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554. Suivant cette approche, les mesures prises en l’espèce par les détenteurs du pouvoir exécutif ne seraient pas susceptibles de contrôle puisque aucune décision définitive portant sur l’admissibilité de M. Galloway n’a été rendue. Il était loisible à M. Galloway de présenter des observations et de faire en sorte qu’un agent à la frontière rende une décision.
[133] Plus récemment, on a conclu que le mandat de contrôle judiciaire confié à la Cour visait aussi toute décision déterminant les droits d’une partie et toute question pour laquelle une réparation pourrait être accordée en vertu de l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] et du paragraphe 18.1(3) : Larny Holdings Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2002 CFPI 750, [2003] 1 C.F. 541. La compétence de la Cour va au‑delà du contrôle des décisions au sens strict et elle comprend le contrôle d’actes ou de procédures découlant d’un pouvoir légal : Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 (1re inst.) (Markevich), infirmée sur une question distincte, 2001 CAF 144, [2001] 3 C.F. 449; Nunavut Tunngavik Inc. c. Canada (Procureur général), 2004 CF 85.
[134] Les demandeurs soutiennent qu’il ressort clairement de la preuve que les agents des services frontaliers avaient reçu l’instruction de déclarer M. Galloway interdit de territoire et que l’examen préliminaire avait été effectué à cette fin. Même si les agents des services frontaliers sont théoriquement des décideurs, ils sont liés par les instructions données par le ministre et, dans l’exercice de leur fonction, il y a lieu de penser qu’ils se fondent sur l’examen préparé par les spécialistes. En outre, suivant le paragraphe 15(4) de la Loi, les agents sont tenus de se conformer aux instructions du ministre sur l’exécution du contrôle.
[135] La prétention des demandeurs pose un problème : il ressort clairement de la preuve que tous les efforts déployés pour empêcher M. Galloway de venir au Canada prévoyaient que la véritable décision visant l’interdiction de territoire serait rendue par un agent d’immigration à un poste frontalier ou à un aéroport. Le message transmis par la lettre de M. Orr était que la décision n’avait pas encore été prise et qu’elle ne serait prise en application du régime de la Loi que si M. Galloway se présentait à un contrôle. C’est ainsi que M. Orr a interprété le régime de la loi et le processus administratif qui devait être suivi. Il a maintenu fermement sa position lors de son contre‑interrogatoire.
[136] La section 1 de la partie 1 de la Loi prévoit que quiconque cherche à entrer au Canada doit d’abord se soumettre à un contrôle d’un agent. Bien que M. Galloway, en qualité de citoyen britannique, n’eût pas besoin de visa pour entrer au Canada, il devait tout de même respecter l’exigence du contrôle. Normalement, il aurait suffit d’une brève discussion entre M. Galloway et un agent de l’ASFC à la frontière ou à l’aéroport. La lettre de M. Orr informait M. Galloway qu’il pourrait être déclaré interdit de territoire s’il se soumettait à un contrôle comme l’exige la loi et que, s’il était déclaré interdit de territoire suivant l’article 34 de la Loi, il était improbable que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en sa faveur et lui délivre un permis de séjour temporaire. Comme je l’ai noté précédemment, ce message a également été transmis à la presse britannique par M. Velshi.
[137] La jurisprudence des Cours fédérales a établi que de telles lettres « de courtoisie » ou « d’information » ne constituent pas des décisions susceptibles de contrôle, particulièrement lorsque ces lettres sont écrites par des personnes non autorisées à prendre la décision en cause : Demirtas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 602 (C.A.), aux pages 606 et 607; Nkumbi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8817 (C.F. 1re inst.) (Nkumbi), aux paragraphes 37 à 40; Carvajal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 751 (1re inst.) (QL) (Carvajal), au paragraphe 4.
[138] Dans la décision Nkumbi, par exemple, la demanderesse sollicitait le contrôle judiciaire d’une lettre écrite par une conseillère en immigration qui lui avait expliqué qu’elle ne pouvait pas présenter une nouvelle demande d’asile parce qu’elle avait été frappée d’une mesure d’interdiction de séjour. Le juge Blais, maintenant juge en chef à la Cour d’appel fédérale, avait conclu que cette lettre d’information n’était pas susceptible de contrôle parce que la conseillère n’avait pas pris la mesure d’interdiction de séjour et qu’elle n’était pas habilitée à rejeter la demande. Dans l’arrêt Carvajal, l’agente d’immigration avait écrit aux demandeurs pour leur rappeler qu’ils n’étaient pas admissibles au statut de résident permanent en raison d’une décision antérieure dont ils n’avaient pas demandé le contrôle judiciaire. Le juge McKeown avait rejeté la demande en se fondant en partie sur le fait que l’agente qui avait communiqué l’information n’était pas habilitée en droit à rendre la décision que les demandeurs souhaitaient contester. De même, en l’espèce, M. Orr n’était pas autorisé à contrôler l’admissibilité de M. Galloway à un point d’entrée au Canada.
[139] Il ne fait aucun doute que, dans certaines circonstances, une lettre constitue une décision prise par une personne ou un organisme habilité à prendre la décision. La décision sera susceptible de contrôle judiciaire même si elle découle des gestes de la personne et non des gestes du décideur. Dans l’arrêt Bouchard c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 1999 CanLII 9105 (C.A.F.), par exemple, il a été conclu que la lettre informant l’appelante qu’elle ne pourrait pas être réintégrée dans ses fonctions après avoir démissionné constituait une décision.
[140] Dans l’affaire Markevich, précitée, le demandeur avait reçu une lettre de Revenu Canada qui l’informait qu’il devait de l’impôt qui avait précédemment été estimé irrécouvrable. La Cour fédérale avait conclu que la lettre constituait une mesure administrative prise par une personne à qui la loi conférait des pouvoirs que cette personne avait choisi d’exercer. Il s’agissait donc d’une « procédure ou [d’un] autre acte » susceptible de contrôle. En l’espèce, l’analogie serait que la lettre de M. Orr constituait un acte susceptible de contrôle, car elle communiquait l’intention d’exercer les pouvoirs légaux. Cette analogie pose un problème : M. Orr n’avait aucunement l’intention d’exercer les pouvoirs en cause et qu’il n’était pas en position de les utiliser parce qu’il n’était pas l’agent qui devait soumettre M. Galloway au contrôle.
[141] Le message communiqué dans la lettre de M. Orr constituait un avis adressé à M. Galloway, mais il ne portait pas atteinte à ses droits et n’entraînait aucune conséquence juridique. Seule une décision produisant de tels effets serait susceptible de contrôle : Démocratie en surveillance c. Canada (Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique), 2009 CAF 15, aux paragraphes 9 et 10; Pieters c. Canada (Procureur général), 2007 CF 556, [2008] 2 R.C.F. 421, au paragraphe 60.
[142] Les demandeurs allèguent que la lettre était le reflet d’une décision qui avait déjà été prise au plus hauts échelons du gouvernement et qui frappait M. Galloway d’interdiction de territoire. Le dossier étaye cette allégation comme en témoignent les déclarations de M. Velshi à la presse et les courriels de M. Orr envoyés les 19 et 20 mars à M. Wright. Il est également clair que l’examen préliminaire devait servir de justification à la décision de l’agent de l’ASFC d’interdire de territoire M. Galloway s’il se présentait à la frontière. Néanmoins, la décision était virtuelle ou incomplète tant qu’elle n’était pas exécutée, ce qui n’est pas arrivé. En outre, M. Galloway n’a pris aucune mesure afin de faire confirmer les déclarations selon lesquelles le permis de séjour temporaire ne serait pas délivré, car il n’en a pas fait la demande.
[143] Bien que les agents des services frontaliers de l’ASFC aient été avisés de la possible arrivée de M. Galloway par voie terrestre à la frontière avec les États‑Unis ou par voie aérienne à l’Aéroport international Pearson et qu’ils aient été mis au courant de l’examen préliminaire effectué par les fonctionnaires de la Section de la coordination de la sécurité nationale de l’ASFC, ils n’ont pas eu l’occasion de rendre une décision définitive concernant l’admissibilité de M. Galloway.
[144] La Cour a conclu qu’un avis anticipé de la position qu’un ministre envisage prendre n’est pas susceptible de contrôle : Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 1998 CanLII 7237 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 28. La position des ministres selon laquelle aucun permis de séjour temporaire ne serait délivré et qui a été communiquée par les courriels de M. Orr ou par les déclarations de M. Velshi à la presse n’a pas eu pour effet juridique de trancher la question quant au droit de M. Galloway d’obtenir un permis de séjour temporaire, parce que M. Galloway n’a pas demandé de permis de séjour temporaire.
[145] Je suis d’accord avec l’avocate des défendeurs pour affirmer que les commentaires de M. Velshi à la presse ne constituaient qu’une « regrettable expression de ses opinions ». Ces commentaires n’ont pas été faits par un « office fédéral » habilité à exercer des pouvoirs légaux et ils doivent être interprétés dans le contexte du régime légal. Bien que l’on eût pu s’attendre à ce que l’assistant d’un ministre fasse preuve de plus de retenue lorsqu’il prétendît parler au nom du gouvernement, ses commentaires à la presse ne valaient pas vraiment davantage que des paroles en l’air. Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale, de tels commentaires peuvent être interprétés comme n’étant rien d’autre qu’un excès de confiance dans la solidité de la preuve : Mohammad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 363 (C.A.), à la page 381. En l’espèce, il semble également que, par la condamnation publique de M. Galloway, on ait souhaité marquer des points sur le plan politique. Quoi qu’il en soit, les commentaires n’ont eu aucun effet direct sur la question de l’admissibilité de M. Galloway, car ce dernier n’a pas essayé d’entrer au Canada.
[146] Les demandeurs ont allégué, dans une lettre envoyée après l’audience, que la récente décision Khadr c. Canada (Premier ministre), 2010 CF 715, [2010] 4 R.C.F. 36 (Khadr), rendue par mon collègue le juge Russel Zinn, pourrait avoir une incidence en l’espèce. Dans l’affaire Khadr, le demandeur s’était fondé sur des déclarations qu’un ministre et que le directeur adjoint des communications du premier ministre avaient faites aux médias à deux occasions, afin d’établir qu’une décision portant atteinte à ses intérêts avait été prise. Le juge Zinn a conclu que les commentaires traduisaient la décision qui avait été prise par le pouvoir exécutif concernant la réparation qui serait fournie au demandeur par suite d’un arrêt de la Cour suprême du Canada. Une telle décision était susceptible de contrôle judiciaire, car elle avait une incidence sur le droit reconnu du demandeur de pouvoir, en qualité de citoyen, jouir de la protection de son pays.
[147] Je suis d’accord avec les défendeurs : l’affaire Khadr n’est d’aucune aide en l’espèce. Il n’y avait aucune preuve dans cette affaire permettant de remettre en question l’allégation du demandeur selon laquelle les déclarations publiques établissaient qu’une décision avait été prise aux plus hauts échelons du gouvernement, décision que le gouvernement était tenu de prendre. En l’espèce, les témoignages de M. Sauvé et de M. Orr établissent qu’aucun agent des visas n’a conclu que M. Galloway était interdit de territoire et le régime légal ne permet aucune conclusion contraire.
[148] Si M. Galloway avait effectivement été frappé d’interdiction de territoire par un agent des visas qui se serait fondé sur l’examen préliminaire et sur les alertes envoyées aux postes frontaliers, je n’aurais eu aucune difficulté à conclure que le pouvoir discrétionnaire de l’agent avait été entravé par la procédure suivie en l’espèce et que les courriels et les déclarations à la presse soulevaient une crainte raisonnable de partialité.
[149] En l’absence d’une telle preuve, je conclus qu’aucune décision susceptible de contrôle empêchant la venue de M. Galloway au Canada n’a été rendue et que la présente demande doit être rejetée.
Les questions proposées aux fins de certification
[150] Les parties ont eu l’occasion de proposer des questions aux fins de certification. Comme le prévoit l’alinéa 74d) de la Loi et le paragraphe 18(1) [mod. par DORS/2002-232, art. 9] des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, dans sa version modifiée, la présente décision n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si la Cour certifie une question.
[151] Dans l’arrêt Kunkel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 347, au paragraphe 9, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une question certifiée doit se prêter à une approche générique et être susceptible d’apporter une réponse d’application générale. C’est‑à‑dire que la question doit transcender le contexte particulier dans laquelle elle se posait.
[152] Les défendeurs ont proposé les questions suivantes aux fins d’examen :
[traduction]
a. Un don d’argent volontaire et important à une entité figurant sur la liste des organisations terroristes suivant le Code criminel peut‑il faire en sorte que le donneur soit interdit de territoire pour des raisons de sécurité suivant l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?
b. Les libertés fondamentales d’expression et d’association garanties à quiconque au Canada par les alinéas 2b) et d) de la Charte canadienne des droits et libertés imposent‑elles au Canada l’obligation de laisser entrer au pays une personne interdite de territoire suivant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés si des personnes au Canada souhaite la rencontrer?
c. En ce qui a trait à un étranger exempté d’obtenir un visa qui a mentionné avoir l’intention de venir au Canada, l’« examen préliminaire » relatif à son admissibilité constitue‑t‑il une « décision ou une ordonnance » dûment susceptible de contrôle judiciaire par la Cour fédérale en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales?
[153] Les demandeurs ne conviennent pas que les questions ci‑dessus proposées par les défendeurs soulèvent des questions graves de portée générale et qu’elles sont appropriées compte tenu des faits dont était saisie la Cour.
[154] Les demandeurs soumettent plutôt les questions qui suivent et, selon eux, il s’agit de questions graves de portée générale :
[traduction]
a. La notion de « membre » d’une organisation terroriste dont il est question à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés vise‑t‑elle une personne qui, par suite d’une terrible crise humanitaire et au nom d’autres personnes ou organisations ou bien en son nom, fournit de l’aide humanitaire à des civils par l’intermédiaire de leur gouvernement démocratiquement élu dont le parti au pouvoir figure à la liste des organisations terroristes établie par le Canada suivant la Loi antiterroriste?
b. Si une personne a exercé des libertés d’expression et d’association à l’étranger, qui seraient protégées si elles avaient été exercées au Canada, l’exercice de ces libertés peut‑il constituer le fondement d’une interdiction de territoire en droit canadien suivant, en l’espèce, l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?
[155] Bien que les demandeurs soutiennent qu’une « décision » a effectivement été rendue quant à l’admissibilité de M. Galloway au Canada, ils proposeraient en outre les deux questions qui suivent si la Cour devait conclure que les renseignements communiqués à M. Galloway et à la presse étrangère ne constituaient pas une décision :
[traduction]
c. La Cour fédérale a‑t‑elle compétence pour examiner « l’objet de la demande » aux termes du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales ou un « acte » aux termes du paragraphe 18.1(3) de cette loi si « l’objet de la demande » ou l’« acte » porte atteinte aux droits de Canadiens de la même façon que dans l’affaire Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 (1re inst.), dont la décision a été infirmée en appel sur une question différente dans l’arrêt Markevich c. Canada, 2001 CAF 144?
d. Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales confère‑t‑il à la Cour fédérale la compétence d’examiner une décision provisoire rendue par le ministre de CIC ou de l’ASFC concernant l’interdiction de territoire d’un étranger, laquelle décision étant un examen préliminaire qui a été effectué et communiqué à l’étranger et au public?
[156] L’intervenante ne s’est pas prononcée quant au caractère approprié des questions proposées par les défendeurs ou les demandeurs et elle a demandé l’examen des questions suivantes :
[traduction]
a. L’expression « membre d’une organisation » employée à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés englobe‑t‑elle les personnes qui font des dons aux civils à des fins humanitaires par l’intermédiaire d’un gouvernement démocratiquement élu dont le parti au pouvoir figure à la liste des organisations terroristes établie par le Canada?
b. Lorsque le gouvernement prend des décisions quant à l’interdiction de territoire et exerce son pouvoir discrétionnaire suivant l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, est‑il tenu de mettre en balance les libertés d’expression et d’association garanties par les alinéas 2b) et d) de la Charte canadienne des droits et libertés dans le cas où des personnes au Canada souhaitent s’associer à un étranger ou à un résident permanent sollicitant l’entrée au Canada ou bien souhaitent l’entendre parler?
[157] Après examen des questions proposées par les parties et l’intervenante, j’estime que les questions qui suivent transcendent le contexte particulier dans lequel ces questions se posent et qu’elles constituent des questions graves de portée générales qui trancheraient l’appel :
a. En ce qui a trait à un étranger exempté d’obtenir un visa qui a mentionné avoir l’intention de venir au Canada, l’« examen préliminaire » concluant à l’interdiction de territoire constitue‑t‑il une décision, une ordonnance, une procédure ou un acte dûment susceptible de contrôle judiciaire par la Cour fédérale en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales?
b. Le don volontaire d’argent ou de marchandises à une organisation figurant à la liste des « entités terroristes » suivant le Code criminel, en l’absence de tout autre acte ou indice donnant à penser que le donneur appartient à cette entité terroriste, constitue‑t‑il un motif raisonnable de croire que le donneur s’est livré au terrorisme ou est membre d’une organisation terroriste de telle sorte que le donneur serait interdit de territoire pour des raisons de sécurité en application des alinéas 34(1)c) ou f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?
JUGEMENT
LA COUR STATUE : la demande est rejetée. Les questions suivantes sont certifiées :
1. En ce qui a trait à un étranger exempté d’obtenir un visa qui a mentionné avoir l’intention de venir au Canada, l’« examen préliminaire » concluant à l’interdiction de territoire constitue‑t‑il une décision, une ordonnance, une procédure ou un acte dûment susceptible de contrôle judiciaire par la Cour fédérale en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales?
2. Le don volontaire d’argent ou de marchandises à une organisation figurant à la liste des « entités terroristes » suivant le Code criminel, en l’absence de tout autre acte ou indice donnant à penser que le donneur appartient à cette entité terroriste, constitue‑t‑il un motif raisonnable de croire que le donneur s’est livré au terrorisme ou est membre d’une organisation terroriste de telle sorte que le donneur serait interdit de territoire pour des raisons de sécurité en application des alinéas 34(1)c) ou f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?