[2012] 2 R.C.F. 374
2010 CAF 309
A-419-09
St. Michael Trust Corp., en sa qualité de fiduciaire du Fundy Settlement (appelante)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
A-420-09
St. Michael Trust Corp., en sa qualité de fiduciaire du Summersby Settlement (appelante)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
Répertorié : Fundy Settlement c. Canada
Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Sharlow et Stratas, J.C.A.—Ottawa, 30 septembre et 17 novembre 2010.
Impôt sur le revenu –– Fiducies — Résidence — Appels visant une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a rejeté des appels à l’encontre de cotisations établies à l’égard de St. Michael Trust Corp., en sa qualité de fiduciaire — L’impôt était réclamé au titre des gains en capital réalisés par Fundy Settlement et Summersby Settlement (les fiducies) lors de la disposition d’actions de deux sociétés canadiennes — St. Michael Trust Corp. a été constituée à la Barbade — PMPL Holdings Inc. (PMPL) est la société canadienne qui détient les actions de deux sociétés canadiennes en exploitation — La structure du capital social de PMPL a été modifiée au profit des fiducies — Après que les fiducies ont acquis les actions des deux nouvelles sociétés, celles-ci ont acquis les nouvelles actions de PMPL — PMPL a fini par être vendue — Il s’agissait principalement de trancher la question de la résidence des fiducies aux fins de l’impôt — Le critère judiciaire de la résidence qui a été établi pour les sociétés doit également s’appliquer aux fiducies, avec les modifications qui s’imposent — L’analyse de la résidence aux fins de l’impôt repose sur les faits — La Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant que lors de la vente des actions des nouvelles sociétés, le centre de gestion et de contrôle des fiducies était situé au Canada et que les fiducies résidaient donc au Canada lorsqu’elles ont réalisé les gains en capital — Appels rejetés.
Interprétation des lois — L’impôt était réclamé au titre des gains en capital réalisés par Fundy Settlement et Summersby Settlement (les fiducies) lors de la disposition d’actions de deux sociétés canadiennes — L’interprétation de l’art. 94(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu a été prise en compte dans le cadre d’un obiter — La Cour de l’impôt a mal interprété l’art. 94(1)b) lorsqu’elle a tranché la question de savoir si les biens avaient été transférés « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » aux fiducies — Le législateur a de propos délibéré choisi la formule « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » de l’art. 94(1)b) afin de couvrir tous les moyens permettant de faire passer la richesse et les revenus potentiels que représentent les actions d’une société canadienne d’un bénéficiaire qui réside au Canada ou d’une personne liée à ce bénéficiaire à une fiducie non résidente.
Il s’agissait d’appels visant une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a rejeté des appels à l’encontre de cotisations établies relativement à St. Michael Trust Corp., en sa qualité de fiduciaire du Fundy Settlement et du Summersby Settlement (les fiducies). L’impôt qui lui était réclamé était au titre des gains en capital réalisés par les fiducies lors de la disposition d’actions de deux sociétés canadiennes. St. Michael Trust Corp. a été constituée à la Barbade.
PMPL Holdings Inc. (PMPL) est une société canadienne qui détient les actions de deux sociétés canadiennes en exploitation. À l’origine, le groupe de sociétés PMPL appartenait à M. Garron et à des membres de sa famille. M. Dunin est entré au service de l’une de ces sociétés et a contribué sensiblement au succès financier de PMPL. En 1998, la structure du capital social de PMPL a été modifiée de sorte que les actions ordinaires existantes de PMPL ont été annulées et remplacées par trois nouvelles catégories d’actions.
Les fiducies ont été constituées à la Barbade au profit de MM. Garron et Dunin respectivement et de leur famille. Le Fundy Settlement a acquis les actions d’une société ontarienne nouvellement constituée, 1287333 Ontario Ltd. (la nouvelle société Garron), et le Summersby Settlement a acquis les actions d’une autre société ontarienne nouvellement constituée, 1287325 Ontario Ltd. (la nouvelle société Dunin), les deux à peu de frais. Ces deux sociétés nouvellement constituées ont, elles, acquis les nouvelles actions ordinaires du nouveau capital social de PMPL à peu de frais. Grâce à ces opérations, le Summersby Settlement a eu droit à l’augmentation de la valeur des actions de PMPL et les nouvelles augmentations de la valeur de PMPL ont été réparties à parts égales entres les fiducies.
La quasi-totalité des participations indirectes de PMPL a fini par être vendue. Les ventes par les fiducies des actions de la nouvelle société Garron et de la nouvelle société Dunin, respectivement, ont produit les gains en capital visés par les cotisations d’impôt dont il est fait appel en l’espèce. Le montant des gains en capital a été, aux fins de l’impôt canadien sur le revenu, évalué à environ 217 millions de dollars pour le Fundy Settlement et à quelque 240 millions de dollars pour le Summersby Settlement. St. Michael Trust Corp. a fait valoir que comme les fiducies étaient, aux fins de l’Accord conclu entre le Canada et la Barbade tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune (l’Accord fiscal avec la Barbade), des résidentes de la Barbade, leurs gains en capital étaient exonérés d’impôt au Canada au titre de cet accord. St. Michael Trust Corp. a rempli, pour les fiducies, des déclarations d’impôt sur le revenu. Ces déclarations faisaient état des gains en capital réalisés et invoquaient l’exonération fiscale prévue dans l’Accord. Les demandes d’exonération ont été rejetées et une cotisation a été établie en conséquence à l’égard de St. Michael Trust Corp.
La principale question à trancher était celle de savoir si la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant qu’aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu les fiducies étaient des résidentes du Canada en 2000. Les questions suivantes, bien qu’elles ne soient pas nécessaires pour trancher l’appel, ont aussi été examinées, soit la question de savoir si la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que la règle de la résidence réputée que prévoit le paragraphe 94(1) de la Loi ne s’appliquait pas en 2000 aux fiducies; si les fiducies étaient, en vertu du paragraphe 94(1), réputées résider au Canada, étaient-elles néanmoins des résidentes de la Barbade aux fins de l’Accord fiscal avec la Barbade; et, si elle n’a pas commis d’erreur à ces égards, a-t-elle commis une erreur en concluant que la disposition générale anti-évitement prévue à l’article 245 de la Loi justifiait les cotisations en cause.
Arrêt : les appels doivent être rejetés.
La jurisprudence est rare sur la question de la détermination, aux fins de l’impôt, du lieu de résidence d’une fiducie. La Cour de l’impôt a conclu, à bon droit, à l’absence de jurisprudence établissant un critère unique qui permette de décider du lieu de résidence d’une fiducie. Elle a conclu en outre que le critère judiciaire de la résidence qui a été établi pour les sociétés doit également s’appliquer aux fiducies, avec les modifications qui s’imposent. La détermination du lieu de résidence aux fins de l’impôt est essentiellement une question de fait. Par conséquent, lorsque se pose, aux fins de l’impôt, la question de la résidence d’une fiducie, il faut procéder à une analyse des faits afin de décider où est effectivement situé le centre de gestion et de contrôle de la fiducie. La Cour de l’impôt n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu qu’en 2000, à l’époque en cause, et notamment lors de la vente des actions de la nouvelle société Garron et de la nouvelle société Dunin, le centre de gestion et de contrôle de la fiducie Garron et de la fiducie Dunin était situé au Canada, là où résidaient M. Garron et M. Dunin. C’est donc à bon droit qu’elle a conclu que les fiducies résidaient au Canada au moment où elles ont réalisé les gains en capital dus à la vente des actions de la nouvelle société Garron et de la nouvelle société Dunin. C’était là un motif suffisant pour rejeter les présents appels. Les arguments subsidiaires des parties ont néanmoins été examinés.
La Cour de l’impôt a mal interprété l’alinéa 94(1)b) de la Loi lorsqu’elle s’est penchée sur la question de savoir si des biens avaient été transférés « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » aux fiducies Fundy et Summersby. À partir du moment où l’on admet qu’il peut y avoir transfert indirect des actions d’une société, de l’actionnaire A à l’actionnaire B, par le truchement d’une réorganisation de la société qui fait passer une partie de la valeur de l’entreprise de la catégorie d’actions détenues par l’actionnaire A à la catégorie d’actions détenues par l’actionnaire B, il n’y a aucune raison de principe de conclure que la même opération ne pourrait pas en même temps constituer un transfert indirect de biens « de quelque manière que ce soit » à la personne propriétaire de l’actionnaire B. Cela reconnaît simplement que toute augmentation de la richesse de l’actionnaire B va nécessairement accroître la richesse de celui qui est propriétaire de l’actionnaire B. Le législateur a de propos délibéré choisi la formule « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » de l’alinéa 94(1)b) afin de couvrir tous les moyens permettant de faire passer la richesse et les revenus potentiels que représentent les actions d’une société canadienne d’un bénéficiaire qui réside au Canada ou d’une personne liée à ce bénéficiaire à une fiducie non résidente. Selon les faits de la présente affaire, les nouvelles actions ordinaires de PMPL visaient à enrichir les fiducies. Cet objectif a été atteint par une série d’opérations étroitement reliées entre elles et conçues à l’avance. Pour cette raison, les conditions que suppose le critère de la contribution énoncées à l’alinéa 94(1)b) sont réunies et, par conséquent, le paragraphe 94(1) s’applique aux fiducies. Cela étant, aux termes de l’alinéa 94(1)c), les fiducies sont réputées résider au Canada aux fins de la partie I de la Loi.
La Cour de l’impôt a conclu à juste titre que les fiducies avaient le droit d’être exonérées d’impôt au Canada en vertu du paragraphe 4 de l’article X1V de l’Accord fiscal avec la Barbade. La règle de la résidence réputée de l’article 94 est sensiblement limitée, car une fiducie étrangère est réputée être une personne résidant au Canada dont le revenu imposable dans une année donnée correspond à l’intégralité de son revenu imposable gagné au Canada dans l’année, plus le « revenu étranger accumulé, tiré de biens » (le REATB). Compte tenu des limites ainsi posées, une fiducie étrangère est réputée être une personne résidant au Canada, mais pas à toutes fins de la partie I, seulement aux fins de la partie I qui concerne la détermination de ses revenus de source canadienne ainsi que son REATB. Par conséquent, si le critère du centre de gestion et de contrôle ne s’appliquait pas, les fiducies pourraient invoquer à leur profit l’Accord fiscal avec la Barbade et seraient exonérées de tout impôt canadien sur les gains en capital réalisés en 2000 lors de la vente des actions de la nouvelle société Garron et de la nouvelle société Dunin.
La Cour de l’impôt a conclu à bon droit que si la résidence des fiducies était fonction de la résidence de St. Michael Trust Corp., en sa qualité de fiduciaire, et que les fiducies étaient donc des résidentes du Canada, les cotisations en cause en l’espèce ne pourraient pas se justifier au regard de la disposition générale anti-évitement inscrite à l’article 245 de la Loi. La série d’opérations qui a ouvert aux fiducies le droit de se prévaloir de l’exonération prévue dans l’accord malgré les dispositions de l’article 94 ne constituait pas un détournement ou un abus de l’Accord fiscal avec la Barbade. Dans cette situation, les fiducies ne se seraient pas soustraites à l’article 94 de la Loi; elles seraient plutôt tombées nettement sous le coup de cette disposition.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Financial Institutions Act, L.R.O. 1997, ch. 324A (Barbade).
Loi de 1980 sur l’Accord Canada-Barbade en matière d’impôt sur le revenu, S.C. 1980-81-82-83, ch. 44, partie IX.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 2(1),(3), 3 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 1), 85(1) (mod., idem, art. 64; ann. VIII, art. 35; 1995, ch. 3, art. 22; ch. 21, art. 53), 94(1) (mod. par L.C. 2001, ch. 17, art. 72), 104(1) (mod., idem, art. 78), (2), 110(1)f)(i) (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 78), 115(1) (mod., idem, ann. VIII, art. 50; 1999, ch. 22, art. 29; 2001, ch. 17, art. 90; 2005, ch. 19, art. 21; 2009, ch. 2, art. 31), 116 (mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 133; 2001, ch. 17, art. 91, 212), 233.3 (édicté par L.C. 1997, ch. 25, art. 69; 2001, ch. 17, art. 184), 233.4 (édicté par L.C. 1997, ch. 25, art. 69), 245 (mod. par L.C. 2005, ch. 19, art. 52), 248(1) « bien canadien imposable » (mod. par L.C. 2001, ch. 17, art. 188; 2007, ch. 35, art. 68), « bien protégé par traité » (mod. par L.C. 1999, ch. 22, art. 80).
Trustee Act, L.R.O. 1985, ch. 250 (Barbade).
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Accord entre le Canada et la Barbade tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, S.C. 1980-81-82-83, ch. 44, ann. IX, art. III, IV, XIV.
Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, S.C. 1984, ann. I.
JURISPRUDENCE CITÉE
décision appliquée :
De Beers Consolidated Mines, Ld. v. Howe, [1906] A.C. 455 (H.L.).
décisions examinées :
Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802; Thibodeau (Fiducie de la famille) c. La Reine, [1978] A.C.F. no 607 (1re inst.) (QL); Canada c. Kieboom, [1992] 3 C.F. 488 (C.A.).
décision citée :
Unit Construction Co., Ltd. v. Bullock (Inspector of Taxes), [1960] A.C. 351 (H.L.).
DOCTRINE CITEÉ
Krishna, Vern. The Fundamentals of Income Tax Law. Toronto : Carswell, 2009.
APPELS à l’encontre d’une décision (Garron (Fiducie familiale) c. La Reine, 2009 CCI 450) par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a rejeté des appels à l’encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à St. Michael Trust Corp., en sa qualité de fiduciaire du Fundy Settlement et du Summersby Settlement. Appels rejetés.
ONT COMPARU
Douglas H. Mathew, Matthew G. Williams et Mark A. Barbour pour l’appelante.
Elizabeth D. Chasson, Erin Strashin et Margaret J. Nott pour l’intimée.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Thorsteinssons LLP, Toronto, pour l’appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] La juge Sharlow, J.C.A. : St. Michael Trust Corp., en sa qualité de fiduciaire du Fundy Settlement et du Summersby Settlement (les fiducies), a fait l’objet d’une cotisation en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, pour l’année d’imposition 2000. L’impôt qui lui est réclamé est au titre des gains en capital réalisés par les fiducies lors de la disposition d’actions de deux sociétés canadiennes à une époque où, selon la Couronne, ces fiducies résidaient au Canada. St. Michael Trust Corp. a interjeté appel de ces cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt. Les appels ont été rejetés par la juge Woods (2009 CCI 450) [Garron (Fiducie familiale) c. La Reine]. St. Michael Trust Corp. interjette maintenant appel devant notre Cour. Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’estime que ces appels devraient être rejetés avec dépens.
Dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu applicables en l’espèce
[2] Aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’impôt doit être acquitté sur le revenu imposable de l’année de toute personne résidant au Canada à un moment donné au cours de l’année. Selon la formule prévue à l’article 3 [mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 1] de la Loi de l’impôt sur le revenu, le revenu imposable comprend la partie imposable de tout gain en capital réalisé au cours de l’année. En 2000, la part imposable d’un gain en capital correspondait aux deux tiers.
[3] Par le jeu combiné des paragraphes 2(3) et 115(1) [mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. VIII, art. 50; 1999, ch. 22, art. 29; 2001, ch. 17, art. 90; 2005, ch. 19, art. 21; 2009, ch. 2, art. 31] de la Loi de l’impôt sur le revenu, le paragraphe 2(1) ne s’applique pas à une personne qui ne réside pas au Canada, mais celle‑ci est néanmoins assujettie à l’impôt sur certains revenus de source canadienne, y compris sur la partie imposable de gains en capitaux réalisés lors de la disposition de biens répondant à la définition de « bien canadien imposable » [mod. par L.C. 2001, ch. 17, art. 188; 2007, ch. 35, art. 68], à moins que ces biens ne correspondent à la définition de « bien protégé par traité » [mod. par L.C. 1999, ch. 22, art. 80] au paragraphe 248(1).
[4] D’une manière générale, un bien est protégé par traité si le gain en capital réalisé lors de sa disposition n’est pas assujetti à l’impôt canadien sur le revenu en raison d’une convention fiscale internationale à laquelle est partie le Canada. Cette exonération est due au sous‑alinéa 110(1)f)(i) [mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 78] de la Loi de l’impôt sur le revenu, selon lequel, dans le calcul de son revenu imposable, une personne est admise à déduire une somme égale à tout montant inclus dans son revenu imposable, mais exonéré de l’impôt canadien au titre d’une convention fiscale internationale.
[5] Aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, le contribuable peut être un individu, une société ou une fiducie. Bien qu’une fiducie ne constitue pas une personne en droit, la Loi de l’impôt sur le revenu considère les fiducies comme des personnes aux fins de l’impôt sur le revenu. Conceptuellement, la fiducie s’incarne dans la personne du fiduciaire qui, généralement, détient les titres de propriété des biens appartenant à la fiducie. Il est investi d’un certain nombre de pouvoirs discrétionnaires que lui reconnaissent à l’égard des biens de la fiducie l’acte constitutif et la loi. Le fiduciaire est tenu, au nom de la fiducie, de remplir, en matière de déclarations et de dépôt de documents, toutes les obligations prescrites par la Loi de l’impôt sur le revenu. C’est à lui que sont envoyés les cotisations et autres avis officiels. C’est lui qui a qualité pour s’opposer aux cotisations et pour interjeter appel, et à qui incombe la responsabilité de s’acquitter des dettes fiscales de la fiducie. C’est ce qui ressort des paragraphes 104(1) [mod. par L.C. 2001, ch. 17, art. 78] et (2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont les passages pertinents en l’espèce sont les suivants :
104. (1) Dans la présente loi, la mention d’une fiducie ou d’une succession (appelées « fiducie » à la présente sous‑section) vaut également mention, sauf indication contraire du contexte, du fiduciaire, de l’exécuteur testamentaire, de l’administrateur successoral, du liquidateur de succession, de l’héritier ou d’un autre représentant légal ayant la propriété ou le contrôle des biens de la fiducie […] […] |
Fiducie ou succession |
(2) Pour l’application de la présente loi, et sans que l’assujettissement du fiduciaire ou des représentants légaux à leur propre impôt sur le revenu en soit atteint, une fiducie est réputée être un particulier relativement aux biens de la fiducie; |
Impôt à titre de particulier |
[6] Le paragraphe 94(1) [mod., idem, art. 72] de la Loi de l’impôt sur le revenu concerne spécialement les fiducies qui ne résident pas au Canada. Cette disposition s’applique, de manière générale, aux cas réunissant certaines conditions quant à l’identité des bénéficiaires de la fiducie (c’est le « critère du bénéficiaire », alinéa 94(1)a)), et quant à la manière dont la fiducie a acquis les biens en question (c’est le « critère de la contribution », alinéa 94(1)b)). Voici ce que prévoient les parties de cet article pertinentes en l’occurrence :
94. (1) Lorsque : a) d’une part, à un moment donné d’une année d’imposition d’une fiducie qui ne réside pas au Canada, ou qui, sans l’alinéa c), n’y résiderait pas, une personne ayant un droit de bénéficiaire sur la fiducie (appelé un « bénéficiaire » au présent article) était : (i) une personne résidant au Canada, […] b) d’autre part, à un moment donné avant la fin de l’année d’imposition de la fiducie : (i) soit la fiducie […] a acquis des biens, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit […] auprès : (A) ou bien d’une personne donnée qui remplit les conditions suivantes : (I) elle était le bénéficiaire visé à l’alinéa a), elle était liée à ce bénéficiaire ou elle était l’oncle, la tante, le neveu ou la nièce de ce bénéficiaire, […] les règles suivantes s’appliquent pour cette année d’imposition de la fiducie : |
Application de certaines dispositions aux fiducies ne résidant pas au Canada |
[7] Nul ne conteste en l’espèce que les deux fiducies ont des bénéficiaires résidant au Canada, condition qui satisfait au critère du bénéficiaire.
[8] Il y a désaccord, cependant, sur la question de savoir si la situation en cause répond au critère de la contribution. Il y a plusieurs manières de satisfaire à ce critère. Il suffit de dire que les conditions prévues par le critère de la contribution sont réunies si les fiducies ont acquis des biens, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit d’une personne résidant au Canada qui est soit un bénéficiaire, soit une personne liée à un bénéficiaire.
[9] Si les conditions répondant aux critères du bénéficiaire et de la contribution sont réunies et qu’il s’agit d’une fiducie à pouvoir discrétionnaire (comme le sont effectivement les fiducies en cause), aux termes de l’alinéa 94(1)c), la fiducie est réputée être une personne résidant au Canada aux fins de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu et de diverses dispositions de la partie XIV imposant certaines obligations en matière de déclarations (articles 233.3 [édicté par L.C. 1997, ch. 25, art. 69; 2001, c. 17, art. 184] et 233.4 [édicté par L.C. 1997, ch. 25, art. 69]). C’est à la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu que se trouvent les principales dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu imposant des responsabilités, y compris l’article 2, selon lequel toute personne résidant au Canada est imposée sur ses revenus quelle qu’en soit l’origine géographique. Voici ce que prévoit la partie de l’alinéa 94(1)c) qui nous concerne en l’occurrence :
94. (1) […] c) lorsque le montant du revenu ou du capital de la fiducie à attribuer à un moment donné à un bénéficiaire de la fiducie est fonction de l’exercice ou de l’absence d’exercice, par une personne, d’un pouvoir discrétionnaire : (i) la fiducie est réputée, pour l’application de la présente partie et des articles 233.3 et 233.4, être une personne résidant au Canada dont aucune partie du revenu imposable n’est exonérée, par l’effet de l’article 149, de l’impôt prévu à la présente partie et dont le revenu imposable pour l’année correspond à l’excédent éventuel de la somme des montants suivants : [Règles applicables au calcul du revenu imposable omises.] |
Application de certaines dispositions aux fiducies ne résidant pas au Canada |
[10] Le reste de l’alinéa 94(1)c) fixe les règles spéciales applicables au calcul du revenu imposable d’une fiducie relevant de l’article 94. Ces règles sont complexes, mais les parties conviennent en l’espèce qu’aux termes de l’alinéa 94(1)c), le revenu imposable d’une fiducie discrétionnaire comprend la totalité des revenus de la fiducie hormis le revenu provenant d’une entreprise exploitée activement hors du Canada.
[11] Les cotisations dont il est interjeté appel sont subsidiairement fondées sur la disposition générale anti‑évitement [DGAE] prévue à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le paragraphe 245(2) peut, de manière générale, et quoi que puisse prévoir une autre disposition de la Loi, être invoqué pour justifier une cotisation lorsqu’une opération est menée afin d’éviter l’impôt et que cette opération est jugée abusive au sens du paragraphe 245(4) [mod. par L.C. 2005, ch. 19, art. 52]. Voici ce que prévoit, à cet égard, l’article 245 :
245. […] |
|
(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie. |
Disposition générale d’anti-évitement |
(3) L’opération d’évitement s’entend : a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable; b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable. |
Opération d’évitement |
(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas : a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants : (i) la présente loi, (ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu, (iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu, (iv) un traité fiscal, (v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul; b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble. |
Application du par. (2) |
Dispositions pertinentes de l’Accord fiscal conclu avec la Barbade
[12] L’Accord Canada‑Barbade en matière d’impôt sur le revenu (1980) (l’Accord fiscal avec la Barbade), qui portait le titre officiel de « Accord conclu entre le Canada et la Barbade tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune » [S.C. 1980-81-82-83, ch. 44, ann. IX], a été édicté en tant que loi fédérale par L.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 44, partie IX [Loi de 1980 sur l’Accord du Canada-Barbade en matière d’impôt sur le revenu]. Aux fins des présents appels, voici les dispositions d’interprétation de l’article III (Définitions générales) de l’Accord fiscal avec la Barbade qui sont pertinentes :
1. Au sens du présent Accord, à moins que le contexte n’exige une interprétation différente:
[…]
c) le terme «personne» comprend les personnes physiques, les successions (estates), les fiducies (trusts), les sociétés, les sociétés de personnes (partnerships) et tous autres groupements de personnes;
[…]
2. Pour l’application du présent Accord par un État contractant, toute expression qui n’est pas autrement définie a le sens qui lui est attribué par la législation dudit État régissant les impôts qui font l’objet du présent Accord, à moins que le contexte n’exige une interprétation différente.
[13] De manière générale, et sous réserve de nombreuses conditions, l’Accord fiscal avec la Barbade exonère les résidents d’un des États contractants des impôts sur le revenu que l’autre partie contractante prélève sur certains revenus et gains. Aux fins de l’Accord fiscal avec la Barbade, la question de la résidence est tranchée par l’article IV (Domicile fiscal), qui, en sa partie pertinente, dispose :
1. Au sens du présent Accord, l’expression «résident d’un État contractant» désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit État, est assujettie à l’impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue, et les expressions «résident du Canada» et «résident de la Barbade» ont le sens correspondant.
[…]
3. Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne autre qu’une personne physique est considérée comme résident de chacun des États contractants, les autorités compétentes des États contractants s’efforceront d’un commun accord de trancher la question et de déterminer les modalités d’application du présent Accord à ladite personne.
[14] Aux termes du paragraphe 4 de l’article XIV de l’Accord fiscal avec la Barbade, toute personne (y compris une fiducie) qui répond à la définition que l’Accord donne de « résident de la Barbade », mais pas à la définition que l’Accord donne de « résident du Canada » n’est pas imposée au Canada sur les gains en capital réalisés lors de la disposition d’actions d’une société (sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce). L’article XIV (Gains provenant de l’aliénation de biens) prévoit notamment :
1. Les gains provenant de l’aliénation de biens immobiliers sont imposables dans l’État contractant où ces biens sont situés.
2. Les gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers faisant partie de l’actif d’un établissement stable qu’une entreprise d’un État contractant a dans l’autre État contractant […] sont imposables dans cet autre État […]
3. […]
a) Les gains provenant de l’aliénation d’actions d’une société dont les biens sont constitués principalement de biens immobiliers situés dans un État contractant sont imposables dans cet État.
[…]
4. Les gains provenant de l’aliénation de tous biens autres que ceux qui sont mentionnés aux paragraphes 1, 2 et 3 ne sont imposables que dans l’État contractant dont le cédant est un résident.
Les faits
[15] Voici, en résumé, les faits en rapport avec les opérations qui sont à l’origine des cotisations en cause.
[16] En 1992, la société PMPL Holdings Inc. (PMPL) est constituée en vue de détenir les actions de deux sociétés canadiennes en exploitation, Progressive Moulded Products Inc. et Progressive Tools Limited. À l’origine, le groupe de sociétés PMPL appartenait à Myron Garron et sa famille, qui en exerçait également le contrôle. En 1990, M. Andrew Dunin, qui n’est pas apparenté à la famille Garron, est entré à Progressive Moulded Products Inc. On lui a promis le droit d’obtenir des actions participatives de PMPL, et il a, de fait, contribué sensiblement au succès financier de l’entreprise.
[17] En 1996, les actions ordinaires de PMPL appartenaient à 50 p. 100 à M. Dunin et à 50 p. 100 à une société canadienne, Garron Holdings Ltd. (Garron Holdings). Les actions de Garron Holdings appartenaient à Myron Garron, à son épouse Berna Garron et à une fiducie dont les bénéficiaires étaient les enfants et petits‑enfants de M. et Mme Garron et les fiduciaires, M. et Mme Garron. À toutes les époques en cause, M. Garron, son épouse et M. Dunin étaient des résidents du Canada.
[18] Au début de 1998, il fut décidé de modifier la structure du capital social de PMPL, en partie afin d’accroître la part de M. Dunin dans PMPL en raison de sa contribution au succès financier de l’entreprise. On souhaitait, en outre, faire en sorte que ne soient pas imposés au Canada les gains en capital dus à l’augmentation de la valeur de PMPL à la suite de sa réorganisation en 1998.
[19] Il s’agissait sur le plan fiscal d’attribuer toute augmentation de la valeur de PMPL due à sa réorganisation aux actions ordinaires d’une société nouvellement créée détenue par des fiducies qui ne seraient pas résidentes du Canada, mais qui, en tant que résidentes de la Barbade, seraient exonérées de tout impôt canadien aux termes du paragraphe 4 de l’article XIV de l’Accord fiscal avec la Barbade.
[20] Selon le plan de restructuration du capital social de PMPL, les actions ordinaires de PMPL devaient être annulées et remplacées par trois nouvelles catégories d’actions, à savoir :
1 000 actions préférentielles de catégorie A – les « Actions gelées »
a. Les actions gelées devaient être échangées contre les actions ordinaires en circulation. Elles devaient comporter un droit de vote et être rachetables à la juste valeur marchande des actions ordinaires en circulation immédiatement avant la réorganisation, les parties convenant à l’époque que la valeur de ces actions s’élevait à 50 millions de dollars. Les dividendes ne seraient versés sur les actions gelées que lors de leur rachat, le montant des dividendes s’accumulant entre la date à laquelle était demandé leur rachat et la date à laquelle le rachat avait effectivement lieu.
100 actions de catégorie B – les « Actions à valeur spéciale »
b. Ces actions ne devaient comporter aucun droit de vote et ne donner droit à aucun dividende. Elles seraient encaissables par anticipation (c.‑à‑d. remboursables au gré du détenteur) pour une somme correspondant à 10 p. 100 de l’écart entre la juste valeur marchande, au jour de leur encaissement, de l’ensemble des actions de PMPL et de Progressive Marketing, Inc. et 50 millions de dollars. Ces actions seraient émises à M. Dunin ou à une société contrôlée par lui, l’avantage financier procuré par l’encaissement des actions à valeur spéciale étant acquis à M. Dunin.
Un nombre illimité d’actions de catégorie C – les « Nouvelles actions ordinaires »
c. Ce sont des actions ordinaires classiques. L’avantage financier lié à la valeur de PMPL irait aux détenteurs de ces nouvelles actions ordinaires, sauf pour ce qui est des sommes correspondant à la valeur d’encaissement des actions gelées et des actions à valeur spéciale. Les nouvelles actions ordinaires seraient émises à des sociétés contrôlées par les deux fiducies qui résident à la Barbade, l’une créée au profit de M. Garron et de sa famille, et l’autre au profit de M. Dunin et de sa famille.
[21] En mars 1998, M. Dunin a fait constituer en société Dunin Holdings Ltd. (Dunin Holdings) sous le régime des lois de l’Ontario. M. Dunin a souscrit l’unique action ordinaire émise par cette nouvelle société. Le 1er avril 1998, M. Dunin a cédé ses actions ordinaires de PMPL à Dunin Holdings en contrepartie de 499 actions ordinaires de Dunin Holdings. En vertu d’un choix effectué aux termes du paragraphe 85(1) [mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 64; ann. VIII, art. 35; 1995, ch. 3, art. 22; ch. 21, art. 53] de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’aliénation, par M. Dunin, des actions de PMPL n’a donné lieu à aucun gain en capital. Dès lors, les actions ordinaires de PMPL appartenaient à 50 p. 100 à Dunin Holdings et à 50 p. 100 à Garron Holdings.
[22] Le 2 avril 1998, M. Paul Ambrose, résident de Kingstown (Saint‑Vincent) et ami de longue date de M. Garron, a, à la demande de celui‑ci et pour lui rendre service, constitué deux fiducies, l’une au profit de M. Garron et de sa famille (le Fundy Settlement, que, pour simplifier, je dénommerai la « fiducie Garron ») et l’autre au profit de M. Dunin et de sa famille (le Summersby Settlement, que je dénommerai la « fiducie Dunin »). La Couronne reconnaît que la fiducie Garron et la fiducie Dunin ont été valablement constituées, c’est‑à‑dire qu’étaient réunies les « trois certitudes » nécessaires à la constitution d’une fiducie.
[23] La fiducie Garron et la fiducie Dunin se sont chacune vu assigner la somme de 100 $US, prélevée sur les fonds de M. Ambrose, qui a également signé les actes constitutifs de fiducie. M. Ambrose n’a aucunement participé à la rédaction des actes de fiducie, mais il les a examinés après coup avec une avocate de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines, Agnes E. Cato, qui en outre a certifié la signature de M. Ambrose.
[24] Il était prévu que la fiducie Garron acquerrait les actions d’une société ontarienne nouvellement constituée, 1287333 Ontario Ltd. (la nouvelle société Garron) qui acquerrait, elle, 800 des nouvelles actions ordinaires de PMPL. La fiducie Dunin acquerrait les actions d’une autre société ontarienne nouvellement constituée, 1287325 Ontario Ltd. (la nouvelle société Dunin), qui, elle aussi acquerrait 800 des nouvelles actions ordinaires de PMPL ainsi que 100 actions à valeur spéciale de PMPL. Cela étant, la fiducie Dunin (donc M. Dunin et sa famille) aurait droit à 10 p. 100 de l’écart entre l’augmentation de la valeur de PMPL et la valeur de rachat des actions gelées, et toute nouvelle augmentation de la valeur de PMPL serait répartie à parts égales entre la fiducie Dunin (au profit de M. Dunin et sa famille) et la fiducie Garron (au profit de M. Garron et sa famille).
[25] Les conditions inscrites dans les actes constitutifs de fiducie qui nous intéressent en l’espèce sont essentiellement les mêmes dans les deux cas, à part le nom de la fiducie et celui des bénéficiaires. Il n’est pas nécessaire de les reprendre ici intégralement. Il suffit, pour bien faire comprendre la teneur des actes constitutifs, de les résumer de la manière suivante :
a. Le fiduciaire devait veiller à ce que les biens de la fiducie demeurent investis jusqu’à la « date de partage » (c.‑à‑d. la première des dates suivantes : soit toute date choisie par le fiduciaire, soit 80 ans après la date de constitution de la fiducie), le fiduciaire pouvant cependant, en vertu du pouvoir discrétionnaire absolu qui lui était reconnu, distribuer une partie ou la totalité du revenu à un ou plusieurs bénéficiaires, les sommes non distribuées ou non affectées venant s’ajouter au capital.
b. Le fiduciaire pouvait, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, effectuer des prélèvements sur le capital au profit de l’un ou de plusieurs bénéficiaires, voire utiliser l’intégralité des biens de la fiducie.
c. À la date de partage, les biens devaient être répartis de la manière suivante :
i) en ce qui concerne la fiducie Garron, à parts égales entre les enfants de Myron et Berna Garron ou leurs enfants (sous réserve de certaines conditions ayant trait à l’âge de l’enfant à la date de partage);
ii) en ce qui concerne la fiducie Dunin, à M. Dunin ou, s’il n’était plus en vie, à parts égales entre ses enfants ou leurs enfants (sous réserve de certaines conditions ayant trait à l’âge de l’enfant à la date de partage).
d. Le fiduciaire ne pouvait pas en soi distribuer les actions de catégorie A de la nouvelle société Garron (en ce qui concerne la fiducie Garron) ou de la nouvelle société Dunin (en ce qui concerne la fiducie Dunin), mais pouvait en tout temps les réaliser, en les vendant ou en les échangeant contre d’autres biens qui pourraient alors être répartis en vertu de son pouvoir général de distribution.
e. Sauf en ce qui concerne l’interdiction précise concernant la distribution en soi des actions de catégorie A de la nouvelle société Garron et de la nouvelle société Dunin, le fiduciaire était investi de larges pouvoirs lui permettant d’effectuer des placements, des versements et distributions d’argent ou d’autres biens de la fiducie, ainsi que de conserver ou de vendre tout bien de la manière et aux conditions laissées à son appréciation.
f. Le protecteur était investi d’un pouvoir discrétionnaire absolu en vertu duquel il pouvait destituer et remplacer le fiduciaire, et en nommer un nouveau.
g. Le protecteur pouvait lui‑même être destitué et un nouveau protecteur nommé par une majorité des bénéficiaires ayant atteint l’âge prévu par les actes constitutifs.
[26] Nous avons vu que St. Michael Trust Corp. était fiduciaire des fiducies Dunin et Garron. St. Michael Trust Corp., société constituée sous le régime des lois de la Barbade, a été créée en 1987. À l’époque, ses actions étaient détenues par les associés barbadiens du cabinet de comptables Price Waterhouse, qui a plus tard fusionné avec Coopers & Lybrand. Après cette fusion, les associés barbadiens de la société née de cette fusion, PricewaterhouseCoopers, sont devenus actionnaires de St. Michael Trust Corp. La juge Woods a dénommé « PwC‑Barbade » à la fois les associés barbadiens de la société issue de la fusion et Price Waterhouse, la société absorbée, et je ferais de même en l’espèce. Les actions de St. Michael Trust Corp. ont été vendues en 2002 et à nouveau en 2008, mais ces deux opérations n’ont rien à voir avec les questions soulevées dans le cadre du présent appel.
[27] Aux époques pertinentes en l’espèce, St. Michael Trust Corp. était autorisée à agir à titre de fiduciaire en vertu du Financial Institutions Act de la Barbade [L.R.O. 1997, ch. 324A], et soumise à la réglementation de la Banque centrale de la Barbade. Cette société était en outre soumise au Trustee Act de la Barbade [L.R.O. 1985, ch. 250]. Son unique activité commerciale était l’administration de fiducies et l’exercice de son rôle de fiduciaire, activité qu’elle n’exerçait qu’à la Barbade. Elle possédait un seul bureau, situé à la Barbade. Ses registres d’entreprise ainsi que les registres de toutes les fiducies qu’elle administrait se trouvaient à la Barbade, où se réunissait son conseil d’administration.
[28] St. Michael Trust Corp. soutient qu’aux époques en cause, elle était, aux fins de l’Accord fiscal avec la Barbade, résidente de la Barbade. La juge Woods a jugé superflu de se prononcer sur ce point, et elle s’est refusée à le faire. Il ne fait cependant aucun doute qu’aux fins de l’Accord fiscal avec la Barbade, St. Michael Trust Corp. est en soi, et pour ce qui est de sa propre situation fiscale, une résidente de la Barbade et non du Canada. Une des questions que soulève le présent appel est de savoir si, en droit, le lieu de résidence de St. Michael Trust Corp. est nécessairement le même que le lieu de résidence de la fiducie Garron et de la fiducie Dunin. Nous reviendrons ultérieurement sur la question.
[29] À l’époque où ont eu lieu les opérations qui retiennent ici l’attention de la Cour, les actes accomplis par St. Michael Trust Corp. en tant que fiduciaire des fiducies Garron et Dunin étaient le fait de M. Peter Jesson, associé fiscaliste de PwC‑Barbade et l’un des administrateurs de St. Michael Trust Corp., et de M. Jim Knott, directeur général de St. Michael Trust Corp. À l’époque où l’affaire a été tranchée par la Cour de l’impôt, ils avaient déjà tous deux pris leur retraite et ni l’un ni l’autre n’a témoigné.
[30] Entre 2003 et la date de l’audition de la cause par la Cour de l’impôt, les actes accomplis par St. Michael Trust Corp., en sa qualité de fiduciaire de la fiducie Garron et de la fiducie Dunin, étaient le fait de M. Ian Hutchinson, président et l’un des administrateurs de St. Michael Trust Corp. M. Hutchinson avait avant cela été comptable au cabinet Coopers & Lybrand, à la Barbade. En 1999, il est passé à la division des fiducies de PwC‑Barbade, mais jusqu’en 2003, son rôle en matière de fiducies ne consistait qu’à « enregistrer les placements ». Il a témoigné à l’audience devant la Cour de l’impôt.
[31] M. Jesson a apposé sa signature à une note, en date du 9 avril 1998, concernant la fiducie Garron (le Fundy Settlement) qui dit ceci :
[traduction] En ce qui concerne le Fundy Settlement (la fiducie), l’intention du fiduciaire est la suivante :
1. Politique de placement
a. les actions de 1287333 Ontario Limited [la nouvelle société Garron] seront détenues tant que les autres actionnaires de PMPL Holdings Inc. ne décideront pas de vendre leurs actions. À ce moment‑là, nous faciliterons la vente des actions de [la nouvelle société Garron];
b. tout produit découlant de la vente des actions de [la nouvelle société Garron] (et tout autre montant reçu par la fiducie par suite de la réalisation de quelque actif de [la nouvelle société Garron] ou de quelque entité dans laquelle celle‑ci a une participation directe ou indirecte) sera placé prudemment en vue de la préservation à long terme du capital de la fiducie;
c. nous demanderons de temps en temps des conseils à Myron Garron en matière de placement.
2. Politique de distribution
a. durant la vie de Myron Garron, la principale considération, lorsque des montants seront distribués au titre du revenu et du capital, devrait consister à agir au mieux des intérêts de Myron Garron, sous réserve uniquement de ses vœux quant aux montants distribués à d’autres bénéficiaires;
b. dans l’éventualité où Myron Garron décéderait à un moment où nous détenons encore des actifs conformément aux conditions de la fiducie, les montants seront distribués au mieux des intérêts de la veuve de Myron Garron durant la vie de cette dernière et, par la suite, au mieux des intérêts des descendants de Myron Garron, conformément à la définition figurant dans l’acte de fiducie.
[32] M. Jesson a apposé sa signature à une note en date du 29 avril 1998 concernant la fiducie Dunin (le Summersby Settlement), qui prévoyait ceci :
[traduction]
1. Politique de placement
a. Les actions de 1287325 Ontario Limited [la nouvelle société Dunin] seront détenues tant que les autres actionnaires de PMPL Holdings Inc. ne décideront pas de vendre leurs actions. À ce moment‑là, nous faciliterons, en notre qualité de fiduciaire, la vente des actions de [la nouvelle société Dunin];
b. tout produit découlant de la vente des actions de [la nouvelle société Dunin] (et tout autre montant reçu par la fiducie par suite de la réalisation de quelque actif de [la nouvelle société Dunin] ou de quelque entité dans laquelle celle‑ci a une participation directe ou indirecte) sera placé prudemment en vue de la préservation à long terme du capital de la fiducie;
c. en notre qualité de fiduciaire, nous pourrons de temps en temps demander des conseils à Andrew Dunin en matière de placement.
2. Politique de distribution
Durant la vie d’Andrew Dunin, la principale considération, lorsque des montants seront distribués au titre du revenu et du capital, devrait consister à agir au mieux des intérêts d’Andrew Dunin, sous réserve uniquement de ses vœux quant aux montants distribués à d’autres bénéficiaires. Dans l’éventualité où Andrew Dunin décéderait à un moment où, en notre qualité de fiduciaire, nous détenons encore des actifs conformément aux conditions de [la fiducie Dunin], les montants seront distribués au mieux des intérêts de la veuve d’Andrew Dunin durant la vie de cette dernière et, par la suite, au mieux des intérêts des descendants d’Andrew Dunin (conformément à la définition figurant dans l’acte de fiducie).
3. Pouvoir de modification de la fiducie
En notre qualité de fiduciaire, nous consulterons Andrew Dunin au mois d’avril de chaque année (*) en vue de décider si les clauses 3.1e)(iv) ou 3.1f) de l’acte de fiducie doivent être modifiées de façon à correspondre à toute modification apportée au testament d’Andrew Dunin.
[33] Le 2 avril 1998, M. Julian Gill, un autre ami de M. Garron, celui‑là même qui a été nommé protecteur des fiducies, a accordé à chacune des deux fiducies un prêt de 7 190 $US portant intérêt à 10 p. 100. Le prêt accordé à la fiducie Dunin était remboursable soit à la vente de ses actions à la nouvelle société Dunin, soit lorsque celle‑ci verserait un dividende. Le prêt accordé à la fiducie Garron était remboursable à la vente de ses actions de la nouvelle société Garron ou lorsque celle‑ci verserait un dividende. Les événements activant l’obligation pour les fiducies de rembourser ces deux prêts (décrits ci‑dessous) sont survenus en août 2000, et les prêts ont alors été remboursés avec intérêts.
[34] Le 3 avril 1998, la fiducie Garron a acquis dans la nouvelle société Garron 1 000 actions de catégorie A et 1 000 actions de catégorie B, et la fiducie Dunin a acquis dans la nouvelle société Dunin 1 000 actions de catégorie A et 1 000 actions de catégorie B.
[35] Le 6 avril 1998, il a été procédé aux opérations suivantes. La réorganisation du capital social de PMPL, décrite plus haut, a été menée à bien. Mille actions gelées de PMPL ont été émises en remplacement des actions ordinaires que possédaient au départ Garron Holdings et Dunin Holdings, Garron Holdings et Dunin Holdings devenant chacune propriétaire de 500 actions gelées de PMPL. La nouvelle société Garron a souscrit 800 nouvelles actions ordinaires de PMPL au prix de 80 $, alors que la nouvelle société Dunin a souscrit au prix de 10 $, 100 actions à valeur spéciale de PMPL et au prix de 80 $, 800 nouvelles actions ordinaires de PMPL.
[36] La valeur des actions ordinaires de PMPL juste avant la réorganisation du 6 avril 1998 a, devant la Cour de l’impôt, fait l’objet d’opinions divergentes de la part des experts. Aux fins de la réorganisation, les parties leur avaient attribué une valeur de 50 millions de dollars, conformément à une opinion sur l’appréciation de la valeur obtenue au début de 1998. Dans son calcul de la nouvelle cotisation des appelantes, le ministre s’est fondé sur l’hypothèse que la juste valeur marchande de ces actions, juste avant la réorganisation, était sensiblement supérieure à 50 millions de dollars. L’expert appelé par la Couronne leur a en effet attribué une valeur de 102 millions de dollars.
[37] Pour des raisons qu’elle a bien expliquées, la juge Woods a conclu que l’hypothèse retenue par le ministre n’avait pas été réfutée, mais elle n’a pas estimé nécessaire de se prononcer sur la valeur des actions à l’époque. Aux fins du présent appel, nous pouvons considérer comme acquis qu’au moment de la réorganisation, les actions en question avaient une valeur sensiblement supérieure à 50 millions de dollars.
[38] Cela veut dire, en pratique, que la valeur de rachat des actions gelées a été fixée à 50 millions de dollars, c’est‑à‑dire à une somme inférieure à leur valeur véritable, ce qui a eu pour effet de transférer une partie de la valeur de PMPL des détenteurs d’actions gelées (Garron Holdings et Dunin Holdings) aux détenteurs des nouvelles actions ordinaires (les fiducies). Les statuts de PMPL contiennent une disposition permettant d’ajuster la valeur de rachat des actions gelées au cas où un tribunal ou les autorités fiscales décideraient que la juste valeur marchande des actions gelées était autre que 50 millions de dollars, mais cette clause n’a jamais été invoquée étant donné qu’une telle décision n’a jamais été prise.
[39] Après la réorganisation, les sociétés appartenant à PMPL ont continué à exercer leurs activités, avec un succès considérable, semble‑t‑il. Au cours de la première moitié de 1999, des négociations ont été engagées en vue de vendre PMPL à une entreprise suisse au prix, selon un calcul effectué par M. Dunin, de 400 millions de dollars, mais ces négociations n’ont pas abouti. Vers le mois de juin 1999, M. Dunin a retenu les services de M. Timothy W. Carroll, du bureau d’Arthur Anderson, à Chicago, le chargeant de trouver un acheteur et de mener la vente. Une société gérant un fonds d’investissement basée à New York, Oak Hill Capital Partners, L.P., a manifesté son intérêt et, en août 2000, a pris une participation indirecte dans PMPL par l’intermédiaire d’une société canadienne, 1424666 Ontario Ltd. (l’acheteur). Les parties s’accordent pour reconnaître que l’opération entre l’acheteur et St. Michael Trust Corp., M. Dunin et M. Garron n’était marquée par aucun lien de dépendance.
[40] Il semble avoir été convenu par toutes les parties qu’en 2000, la valeur de PMPL s’élevait à environ 532 millions de dollars. Il était prévu que l’acheteur acquerrait dans PMPL une participation indirecte évaluée à environ 482 millions de dollars et que M. Dunin et la fiducie Dunin conserveraient, dans PMPL, une participation indirecte d’une valeur totale d’environ 50 millions de dollars.
[41] Ce résultat a été atteint par le biais des opérations ci‑après exposées. La fiducie Garron a, au prix d’environ 217 millions de dollars, vendu à l’acheteur toutes ses actions dans la nouvelle société Garron. La fiducie Dunin a, au prix d’environ 240 millions de dollars, vendu à l’acheteur 907 de ses 1 000 actions de catégorie A et 907 de ses 1 000 actions de catégorie B de la nouvelle société Dunin (soit 90,7 p. 100 des actions émises). Les actionnaires de Garron Holdings (qui possédaient 500 actions gelées de PMPL) ont vendu à l’acheteur, au prix de 25 millions de dollars, toutes leurs actions dans Garron Holdings. Dunin Holdings a échangé ses 500 actions gelées de PMPL contre des actions de la société mère canadienne appartenant à l’acheteur évaluées à 25 millions de dollars.
[42] Après ces diverses ventes, l’acheteur possédait indirectement la totalité ou presque de PMPL, qu’il avait acquise pour environ 482 millions de dollars. Sa participation indirecte dans PMPL comprenait l’intégralité des actions de Garron Holdings, qui possédait 500 actions gelées de PMPL (d’une valeur d’environ 25 millions de dollars), toutes les actions de la nouvelle société Garron, propriétaire de 800 nouvelles actions ordinaires de PMPL (d’une valeur d’environ 217 millions de dollars), et 907 actions de catégorie A et 907 actions de catégorie B de la nouvelle société Dunin, propriétaire de 100 actions à valeur spéciale et de 800 nouvelles actions ordinaires de PMPL (d’une valeur d’environ 240 millions de dollars).
[43] La participation indirecte que M. Dunin conservait dans PMPL était constituée des actions qu’il continuait à posséder dans Dunin Holdings, propriétaire des actions nouvelles émises par la société mère de l’acheteur (évaluées à environ 25 millions de dollars). Cette société mère possédait, elle, 500 actions gelées de PMPL ainsi qu’une participation majoritaire dans la société de l’acheteur qui, à son tour, possédait ou contrôlait le reste des actions de PMPL. M. Dunin était en outre un bénéficiaire discrétionnaire de la fiducie Dunin, qui conservait une participation de 9,3 p. 100 dans la nouvelle société Dunin, participation évaluée à environ 25 millions de dollars (et constituée de 93 actions de catégorie A et de 93 actions de catégorie B de la nouvelle société Dunin, propriétaire de 100 actions à valeur spéciale et de 800 nouvelles actions ordinaires de PMPL).
[44] Les ventes, par la fiducie Garron et la fiducie Dunin, des actions de la nouvelle société Garron et de la nouvelle société Dunin, respectivement, ont produit les gains en capital visés par les cotisations d’impôt dont il est fait appel en l’espèce. Ces gains n’étaient pas imposables à la Barbade. Étant donné que les actions de la nouvelle société Garron et de la nouvelle société Dunin avaient été acquises à peu de frais, le montant des gains en capital a été, aux fins de l’impôt canadien sur le revenu, évalué à environ 217 millions de dollars pour la fiducie Garron et à environ 240 millions de dollars pour la fiducie Dunin. À l’époque en question, l’impôt sur les gains en capital frappait les deux tiers des gains en question et, par conséquent, les montants imposables étaient d’environ 145 millions de dollars pour la fiducie Garron et d’environ 160 millions de dollars pour la fiducie Dunin.
[45] Outre les faits résumés ci‑dessus concernant les opérations à l’origine des cotisations dont il est fait appel, la juge Woods a conclu que le rôle joué dans tout cela par St. Michael Trust Corp. était, par consentement des parties, plus restreint que ne porteraient à le penser les actes de fiducie. Ses conclusions à cet égard sont exposées de manière détaillée aux paragraphes 189 à 262 de ses motifs. Selon l’appelante, la juge Woods aurait commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les fiducies étaient contrôlées et administrées par quelqu’un d’autre que St. Michael Trust Corp. Les conclusions de fait auxquelles est parvenue la juge Woods sur ce point et les motifs qu’elle a exposés à leur appui sont analysés ci‑dessous.
[46] L’acheteur a, conformément à l’article 116 [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 133; 2001, ch. 17, art. 91, 212] de la Loi de l’impôt sur le revenu, retenu, sur les sommes revenant à la fiducie Garron, environ 72 millions de dollars sur le produit de l’achat des actions de la nouvelle société Garron et environ 80 millions de dollars sur la somme revenant à la fiducie Dunin à l’occasion de l’achat des actions de la nouvelle société Dunin. Les sommes ainsi retenues ont été versées au ministre pour être portées au crédit de la fiducie Garron et de la fiducie Dunin respectivement.
[47] St. Michael Trust Corp. a fait valoir que comme la fiducie Garron et la fiducie Dunin étaient, aux fins de l’Accord fiscal avec la Barbade, des résidentes de la Barbade, leurs gains en capital étaient exonérés d’impôt au Canada au titre du paragraphe 4 de l’article XIV. Demandant le remboursement des sommes retenues et versées au fisc par l’acheteur, St. Michael Trust Corp. a rempli, pour la fiducie Garron et la fiducie Dunin, des déclarations d’impôt sur le revenu. Ces déclarations faisaient état des gains en capital réalisés et invoquaient l’exonération fiscale prévue par l’Accord.
[48] Le ministre a rejeté les demandes d’exonération et établi en conséquence les cotisations de St. Michael Trust Corp. Celle‑ci a en vain contesté ces cotisations et a également en vain interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Voici, en résumé, les principales conclusions auxquelles est parvenue la juge Woods :
a. Pour décider, aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, du lieu de résidence, il convient de retenir le critère applicable à cet égard aux sociétés, à savoir une fiducie est considérée comme résidente du pays où est situé son centre de gestion et de contrôle. En ce qui concerne les fiducies en cause, il était dès le départ prévu qu’en matière de décisions, les responsabilités essentielles seraient, et ont effectivement été, exercées par M. Dunin et M. Garron, et non par St. Michael Trust Corp. Par conséquent, le centre de gestion et de contrôle des fiducies se trouvait au Canada et les fiducies étaient résidentes du Canada.
b. En ce qui concerne les arguments subsidiaires avancés par la Couronne :
i. les fiducies n’étaient pas réputées résidentes du Canada aux termes de l’article 94 de la Loi de l’impôt sur le revenu étant donné qu’elles ne répondaient pas au critère de la contribution;
ii. même si les fiducies avaient été réputées résider au Canada aux termes de l’article 94, elles ne pouvaient pas être considérées comme des « résidentes du Canada » aux termes de l’Accord fiscal avec la Barbade, car l’article 94 n’assujettit pas aussi complètement à l’impôt une fiducie réputée résider au Canada qu’une fiducie qui y réside effectivement (Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802);
iii. les cotisations dont il est fait appel en l’espèce ne sauraient se justifier au titre de la disposition générale anti‑évitement. Ce n’est nullement abuser des dispositions de l’Accord fiscal avec la Barbade que de céder des biens à une fiducie résidant à la Barbade de manière à les soustraire à l’article 94. D’une manière générale, un accord fiscal est censé l’emporter sur les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, et on ne trouve rien dans la loi qui indique que le législateur n’ait pas voulu que l’Accord fiscal avec la Barbade l’emporte sur les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu dans des circonstances comme celles de l’espèce.
[49] St. Michael Trust Corp. interjette appel devant notre Cour sur la première question résumée ci‑dessus. La Couronne soutient que, sur le premier point, la juge Woods avait raison, mais que si elle avait tort à cet égard, elle a également eu tort de rejeter les arguments subsidiaires avancés par la Couronne.
Questions en litige
[50] Voici comment se résument les questions soulevées en l’espèce :
a. Le lieu de résidence selon les principes juridiques applicables : la juge Woods a‑t‑elle commis une erreur de droit ou de fait en concluant qu’aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, les fiducies en cause étaient des résidentes du Canada en 2000? Si la réponse est non, les appels doivent être rejetés. Si oui, il est nécessaire de se pencher sur la question b.
b. Résidence réputée aux termes du paragraphe 94(1) :
i. La juge Woods a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que la règle de la résidence réputée que prévoit le paragraphe 94(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’appliquait pas en 2000 aux fiducies en cause? Si la réponse est oui, il faudra se pencher sur la question bii. Si la juge Woods n’a commis aucune erreur sur ce point, il y aura lieu de se pencher sur la question c.
ii. Si, en vertu du paragraphe 94(1), les fiducies étaient réputées résider au Canada, étaient‑elles néanmoins des « résidentes de la Barbade » et non des « résidentes du Canada » aux fins de l’Accord fiscal avec la Barbade, et avaient‑elles alors droit à l’exonération prévue au paragraphe 4 de l’article XIV de l’Accord fiscal avec la Barbade? Si la réponse est non, les appels doivent être rejetés. Si la réponse est oui, il y a lieu de se pencher sur la question c.
c. La disposition générale anti‑évitement : Si les fiducies ne résidaient pas au Canada et étaient, aux fins de l’Accord fiscal avec la Barbade, des résidentes de la Barbade, la DGAE justifie‑t‑elle néanmoins les cotisations en cause en l’espèce? Si la réponse est oui, les appels doivent être rejetés.
[51] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les présents appels devraient être rejetés. À l’instar de la juge Woods, j’estime qu’il y a lieu, pour trancher la question de la résidence des fiducies, d’appliquer le critère du centre de gestion et de contrôle. Je considère qu’au vu du dossier, la juge Woods a pu raisonnablement conclure qu’aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, les fiducies résidaient au Canada en 2000.
Analyse
La résidence des fiducies selon les principes juridiques applicables
[52] Comme de nombreux pays, le Canada a fait du lieu de résidence le principal fondement de son régime d’imposition. Comme l’explique le professeur Vern Krishna (The Fundamentals of Income Tax Law, Toronto : Carswell, 2009, à la page 85), le Canada en a décidé ainsi au vu du principe voulant que ceux qui bénéficient des avantages juridiques, politiques et économiques que leur assure un lien avec le Canada devraient supporter une part correspondante des coûts de cette association.
[53] En général, le lieu de résidence est une simple question de fait, qui va dépendre d’un certain nombre de facteurs portant à conclure ou non à l’existence d’un lien économique ou social entre la personne en question et tel ou tel pays. S’agissant d’un particulier, par exemple, les facteurs à prendre en compte comprennent notamment la nationalité, la présence physique, le lieu où se trouve le domicile familial, le lieu où s’expriment des intérêts commerciaux ou sociaux, le mode de vie de la famille, les liens sociaux découlant de la naissance ou du mariage (une liste plus détaillée des divers facteurs se trouve dans l’ouvrage du professeur Krishna, aux pages 88 à 91). Certains principes juridiques précis permettant de se prononcer sur la question de la résidence peuvent s’appliquer dans certaines circonstances, mais aucun de ces principes n’élimine le besoin de prendre pleinement en compte l’ensemble des faits pertinents.
[54] En ce qui concerne le lieu de résidence d’une société, il a été décidé il y a plus de 100 ans qu’à cet égard, on peut utilement s’inspirer de la jurisprudence relative à la résidence d’un particulier. Dans l’arrêt de principe De Beers Consolidated Mines, Ld. v. Howe, [1906] A.C. 455 (H.L.), le lord Loreburn (à la page 458) s’est exprimé en ces termes sur ce point :
[traduction] En appliquant la notion de résidence à une société, nous devons à mon avis faire le plus possible une analogie avec les particuliers. Une société ne peut pas manger ou dormir, mais elle peut avoir un siège et faire des affaires. Nous devrions donc nous demander où elle a réellement son siège et où elle fait réellement des affaires. Un particulier peut être de nationalité étrangère, tout en résidant au Royaume‑Uni. Il en va de même pour une société. Si ce n’était pas le cas, le siège de la direction et le centre des activités commerciales de la société pourraient se trouver en Angleterre sous la protection du droit anglais, tout en échappant à l’impôt approprié du simple fait que la société est enregistrée à l’étranger et qu’elle distribue ses dividendes à l’étranger. La décision rendue par le baron en chef Kelly et par le baron Huddleston dans les affaires Calcutta Jute Mills v. Nicholson et Cesena Sulphur Co. v. Nicholson ((1876) 1 Ex. D. 428), il y a maintenant trente ans, portait sur le principe selon lequel une société réside, aux fins de l’impôt sur le revenu, là où elle fait réellement des affaires. Il a depuis lors été donné suite à ces décisions. J’estime qu’il s’agit de la règle à suivre, et que les affaires se font réellement là où se trouve effectivement le centre de gestion et de contrôle.
Il reste à décider si cette règle s’applique à la présente affaire. Il s’agit d’une simple question de fait à trancher, non selon l’interprétation d’un règlement administratif ou autre quelconque, mais en examinant le cours des activités de l’entreprise et des opérations commerciales.
[55] Il reste qu’aujourd’hui, aux fins de l’impôt sur le revenu, la résidence d’une société va essentiellement dépendre du lieu où se trouve le centre de gestion et de contrôle de l’entreprise, une question de fait. Les facteurs à prendre en compte comprennent les indices juridiques du lieu où s’exercent la gestion et le contrôle de l’entreprise (selon, par exemple, les statuts et actes constitutifs de l’entreprise). Lorsqu’une société est effectivement gérée et contrôlée par ses administrateurs selon ce que prévoient les statuts de l’entreprise, le domicile de l’entreprise est généralement le lieu où les administrateurs exercent leurs responsabilités en matière de gestion et de contrôle.
[56] Il peut, cependant, ne pas en être ainsi lorsque les faits démontrent que la société n’est pas en fait gérée et contrôlée de la manière prévue par ses statuts. Il convient, à cet égard, d’examiner la nature du pouvoir décisionnel effectivement exercé par les administrateurs. Si, en matière de gestion, d’importantes décisions sont en fait prises par quelqu’un qui n’est pas administrateur de la société, il se peut que le lieu où cette personne réside ou exerce ses activités puisse être considéré comme le lieu de résidence de la société. Ainsi, par exemple, si l’on démontre que la gestion et le contrôle sont en fait exercés par un actionnaire installé dans un autre pays, il pourrait être jugé que la société est résidente du lieu de résidence de cet actionnaire : voir Unit Construction Co., Ltd. v. Bullock (Inspector of Taxes), [1960] A.C. 351 (H.L.).
[57] La jurisprudence est rare sur la question de la détermination, aux fins de l’impôt, du lieu de résidence d’une fiducie. La juge Woods s’est livrée à un examen de cette jurisprudence et a conclu, à bon droit selon moi, à l’absence de jurisprudence établissant un critère unique qui permette de décider du lieu de résidence d’une fiducie. Elle a conclu en outre que « le critère judiciaire de la résidence qui a été établi pour les sociétés doit également s’appliquer aux fiducies, avec les modifications qui s’imposent » (motifs, paragraphe 162). Je suis de son avis, essentiellement pour les motifs qu’elle a exposés.
[58] Certains fiscalistes chevronnés estiment que le lieu de résidence d’une fiducie doit être déterminé uniquement en fonction du lieu de résidence du fiduciaire, citant à l’appui de cette thèse des jugements en ce sens (ainsi qu’une affaire où la Cour a retenu le lieu de résidence d’une majorité des fiduciaires, l’acte constitutif de la fiducie permettant en l’occurrence à une majorité de ceux‑ci d’agir au nom de la fiducie : voir Thibodeau (Fiducie de la famille) c. La Reine, [1978] A.C.F. no 607 (1re inst.) (QL)).
[59] Aucun précédent n’a cependant établi que le lieu de résidence du fiduciaire est le critère juridique qui s’impose lorsqu’il s’agit de déterminer le lieu de résidence de la fiducie. Aucun précédent n’a non plus rejeté de manière concluante le critère du centre de gestion et de contrôle en tant que critère juridique permettant de décider du lieu de résidence d’une fiducie dans l’hypothèse où, par exemple, la gestion et le contrôle des biens de la fiducie sont exercés par quelqu’un d’autre que le fiduciaire, ou que le fiduciaire est domicilié à un endroit, mais qu’il exerce dans un autre endroit la gestion et le contrôle des biens de la fiducie.
[60] Certains passages de la décision Thibodeau sont parfois tenus comme rejetant, en ce qui concerne les fiducies, le critère permettant normalement de déterminer le lieu de résidence d’une entreprise. Dans cette affaire, la Couronne faisait valoir qu’il convenait d’appliquer le critère du centre de gestion et de contrôle, mais son argument a été rejeté par la Cour. Les passages les plus souvent cités à l’appui de l’argument rejetant intégralement le critère du centre de gestion et de contrôle visaient en fait un argument plus restreint voulant que la fiducie ait pu être résidente de deux endroits, étant donné qu’un des fiduciaires vivait au Canada et que les deux autres vivaient aux Bermudes. Sur ce point, dans la décision Thibodeau (au paragraphe 22), le juge s’est exprimé en ces termes :
J’estime également non fondé l’argument suivant lequel, dans la présente espèce, même si elle décide également que la fiducie a une résidence aux Bermudes, la Cour devrait décider qu’elle a également une résidence au Canada, parce qu’une partie du pouvoir suprême relatif à la gestion de cette fiducie s’exerçait au Canada, en appliquant par analogie les principes des affaires citées pour la détermination de la résidence aux fins le l’impôt sur le revenu des compagnies. La formule judiciaire à cet égard, s’agissant d’une compagnie, ne peut, à mon avis, s’appliquer aux fiduciaires car les fiduciaires ne peuvent déléguer aucune partie de leur mandat à des co‑fiduciaires. Un fiduciaire ne peut adopter la "politique d’inactivité du maître" qui fait l’objet d’un commentaire dans Underhill on the Law of Trusts and Trustees, 12e édition, page 284, et d’après les éléments de preuve, aucun des fiduciaires n’a adopté une telle politique. Par conséquent il n’est pas possible pour une fiducie d’avoir une double résidence aux fins de l’impôt sur le revenu, et il n’est donc pas possible de conclure à l’existence du "pouvoir supérieur de gestion" d’une fiducie en deux lieux différents. De toute manière, il n’est pas conclu, dans la présente affaire, à l’existence d’une double résidence de cette fiducie.
[61] Je n’interprète pas ce paragraphe comme rejetant le principe voulant que la résidence d’une fiducie ne puisse jamais être déterminée en fonction du lieu où est situé son centre de gestion et de contrôle, mais doit toujours être déterminée exclusivement en fonction du lieu de résidence du fiduciaire. Si, cependant, c’est ce qu’a en fait conclu le juge dans l’affaire Thibodeau, qu’il me soit permis de signifier mon désaccord sur ce point.
[62] Par analogie avec l’arrêt De Beers, précité, il s’agit de dire où une fiducie [traduction] « peut avoir un siège et faire des affaires », c’est‑à‑dire où le fiduciaire exerce en fait ses pouvoirs. Il se peut que dans la plupart des cas, le lieu de résidence du fiduciaire suffise à déterminer le lieu de résidence de la fiducie. Il en sera ainsi lorsque le fiduciaire est investi de pouvoirs de gestion et de contrôle des biens de la fiducie, et qu’il les exerce effectivement à partir de son lieu de résidence. Un critère juridique inflexible qui rattacherait nécessairement le lieu de résidence de la fiducie au lieu de résidence du fiduciaire, quels que soient les faits, ne serait pas, selon moi, un principe solide puisqu’il rejetterait l’idée centrale de la jurisprudence relative à la détermination du lieu de résidence aux fins de l’impôt, qui veut, justement, que la question de la résidence soit essentiellement une question de fait. J’estime par conséquent que lorsque se pose, aux fins de l’impôt, la question de la résidence d’une fiducie, il faut procéder à une analyse des faits afin de décider où est effectivement situé le centre de gestion et de contrôle de la fiducie.
[63] St. Michael Trust Corp. fait valoir qu’on ne saurait appliquer à une fiducie le critère du centre de gestion et de contrôle étant donné qu’une fiducie est une simple « relation juridique » sans personnalité juridique distincte. Je n’admets pas cet argument. Il est vrai qu’en droit, une fiducie n’est pas une personne, mais il est également vrai qu’aux fins de l’impôt, une fiducie est traitée comme s’il s’agissait d’une personne. Il est d’après moi conforme à cette fiction légale implicite de reconnaître que le lieu de résidence d’une fiducie peut ne pas toujours être décidé en fonction du lieu de résidence du fiduciaire.
[64] St. Michael Trust Corp. fait également valoir que le lieu de résidence d’une fiducie doit être le même que le lieu de résidence du fiduciaire car, selon l’article 104 de la Loi de l’impôt sur le revenu, la fiducie, en tant que contribuable, s’incarne dans la personne du fiduciaire. C’est, selon moi, donner à l’article 104 un sens qui dépasse à la fois le libellé de cette disposition et son objet. L’article 104 a été adopté afin de résoudre les problèmes fiscaux d’ordre pratique qui vont nécessairement survenir à partir du moment où l’on décide que les fiducies sont imposables bien qu’elles soient dénuées de personnalité juridique. Je n’interprète pas l’article 104 comme voulant dire que le législateur a voulu que le lieu de résidence d’une fiducie corresponde invariablement au lieu de résidence du fiduciaire.
[65] Enfin, St. Michael Trust Corp. fait valoir que même si en 2000 le lieu de résidence des fiducies Garron et Dunin correspondait au lieu où était situé à l’époque leur centre de gestion et de contrôle, la juge Woods a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant ce critère aux faits de la cause. Afin de juger de la validité de cet argument, il y a lieu de se pencher sur les facteurs que la juge Woods a pris en compte pour décider que le centre de gestion et de contrôle des fiducies se trouvait au Canada, là où résidaient M. Garron et M. Dunin.
[66] Selon la juge Woods, St. Michael Trust Corp. n’exerçait pas les principaux pouvoirs conférés aux fiduciaires par les actes constitutifs. Son rôle consistait plutôt en fait à « signer au besoin des documents et de fournir des services administratifs connexes. On ne s’attendait généralement pas à ce [qu’elle] soit chargée de prendre d’autres décisions » (au paragraphe 189). En effet, au lieu d’exercer les pouvoirs et attributions que lui conféraient les actes constitutifs des fiducies, St. Michael Trust Corp. s’en remettait automatiquement aux recommandations de M. Dunin et de M. Garron. Il était « au départ compris que tels étaient les arrangements » (au paragraphe 194). La juge Woods a conclu que c’étaient M. Dunin et M. Garron « qui prenaient les décisions fondamentales au sujet des fiducies », et non St. Michael Trust Corp. (au paragraphe 252). Les conclusions auxquelles la juge Woods est parvenue à cet égard se fondent sur un certain nombre de faits exposés de manière détaillée dans ses motifs. Voici un résumé de certains des faits en question :
a. Aux termes des actes constitutifs des fiducies, M. Garron et M. Dunin, et leur épouse respective, étaient les seuls à pouvoir remplacer le protecteur, qui, lui, pouvait remplacer le fiduciaire si celui‑ci n’agissait pas conformément à leur volonté.
b. Le rôle restreint que St. Michael Trust Corp. était appelée à jouer était convenu dès le départ par l’ensemble des parties. Il était notamment convenu que St. Michael Trust Corp. n’exercerait aucun pouvoir décisionnel quant à la vente des participations que les fiducies détenaient dans PMPL, quant à l’investissement du produit de cette vente, quant aux sommes ou avoirs répartis entre les bénéficiaires et quant aux mesures à prendre afin de réduire le montant des impôts devant être acquittés par les fiducies. Il était en outre convenu dès le départ que ce genre de décisions seraient prises par M. Garron et par M. Dunin et mises en œuvre par St. Michael Trust Corp. conformément à leurs instructions.
c. Les fiducies ont eu recours aux mêmes conseillers financiers que les bénéficiaires. Cela permettait aux bénéficiaires de traiter directement avec les conseillers financiers des fiducies et d’exercer sur les placements effectués par les fiducies un contrôle direct sans qu’intervienne St. Michael Trust Corp.
d. Les conseillers fiscaux de M. Garron et de M. Dunin étaient les mêmes que ceux des fiducies, et lorsqu’ils agissaient au nom des fiducies, ils suivaient les instructions de M. Garron et de M. Dunin.
e. Aucune preuve documentaire ne permet d’affirmer que St. Michael Trust Corp. a joué un rôle actif dans la gestion des fiducies, et la correspondance et autres documents produits par la Couronne portent à penser que St. Michael Trust Corp. n’intervenait guère dans les affaires des fiducies, sauf pour signer et valider des documents et pour s’occuper des volets fiscal, comptable et administratif.
f. St. Michael Trust Corp., division d’un cabinet de comptables, connaissait bien les domaines de la comptabilité et des impôts, mais rien n’indique que cette société ait eu une expertise en gestion des biens d’une fiducie.
g. Les témoignages de M. Garron et de M. Dunin, fragmentaires à certains égards, n’ont pas permis de saisir clairement le mode de fonctionnement des fiducies.
h. M. Dunin en particulier a fait preuve de mauvaise foi lorsqu’il a, dans son témoignage, affirmé que les fiducies étaient effectivement contrôlées par St. Michael Trust Corp.
i. M. Dunin a cherché à accréditer l’idée qu’il s’intéressait peu à ce que St. Michael Trust Corp. faisait dans le cadre de la fiducie Dunin, ce qui, compte tenu de l’intérêt financier qu’il avait dans cette fiducie, porte à conclure que c’est effectivement lui qui la contrôlait. On peut affirmer la même chose au sujet du témoignage de M. Garron qui a dit peu s’intéresser aux activités de St. Michael Trust Corp.
j. Les autres personnes qui auraient pu éclaircir les faits pertinents en ce qui a trait au fonctionnement des fiducies n’ont pas été appelées à témoigner. Il s’agit notamment des divers conseillers ayant participé à la planification et à l’exécution des opérations en question, de M. Gill qui était le protecteur des deux fiducies, de M. Jesson qui était à la tête de St. Michael Trust Corp. lors de la constitution des fiducies et qui est également celui qui a préparé les « déclarations d’intention du fiduciaire » citées plus haut, de M. Knott qui s’occupait au jour le jour des affaires des fiducies, de M. Carroll, principal conseiller lors de la vente de PMPL, et de diverses autres personnes qui sont intervenues en tant que conseillers financiers des fiducies ou qui ont participé au choix de ces conseillers.
k. Le témoignage livré par M. Hutchinson, cadre de St. Michael Trust Corp. qui s’occupait des fiducies en question, ne s’est pas révélé très utile étant donné qu’il n’avait aucune connaissance directe de ce qui s’était fait avant son entrée en fonctions en 2003. M. Hutchinson n’a pu fournir aucun renseignement utile pour expliquer dans quelle mesure St. Michael Trust Corp. a exercé, à l’égard des opérations en question, ses responsabilités de diligence raisonnable.
l. Selon le témoignage de M. Hutchinson, les administrateurs de St. Michael Trust Corp. étaient appelés à ratifier les mesures que les fiducies avaient prises ou se proposaient de prendre, mais rien n’indique que ces administrateurs aient été vraiment informés des opérations en question, ce qui tendrait à confirmer qu’ils savaient que le rôle de St. Michael Trust Corp. se limitait aux questions d’ordre administratif.
[67] Certains des facteurs dont il est fait état ci‑dessus sont assez caractéristiques de fiducies ordinaires et, pris isolément, ne suffiraient pas à situer le centre de gestion et de contrôle des fiducies ailleurs qu’au lieu de résidence de St. Michael Trust Corp. Ainsi, par exemple, le fait que les bénéficiaires aient le droit de nommer un protecteur habilité à remplacer St. Michael Trust Corp. en nommant un autre fiduciaire est une mesure de protection qu’il est fréquent de retrouver dans les actes constitutifs d’une fiducie. À lui seul, il ne permet pas de conclure que les biens des fiducies étaient contrôlés par les bénéficiaires. Il en va de même du fait que St. Michael Trust Corp. et les bénéficiaires avaient recours aux services des mêmes conseillers ou du fait que les bénéficiaires n’hésitaient pas à conseiller St. Michael Trust Corp. et à l’inciter fermement à effectuer telle ou telle opération. En fait, même la nomination d’un fiduciaire qui ne s’y connaît guère en placements, alors que les biens de la fiducie vont devoir être investis, n’est pas nécessairement d’une grande importance à condition que le fiduciaire soit en mesure de faire appel à des conseillers et que ce soit lui, par contre, qui prenne en définitive les décisions.
[68] Cela dit, il faut bien tracer la ligne quelque part. Il y a, d’un côté, les recommandations, même fermes, que les bénéficiaires peuvent adresser au fiduciaire, en laissant cependant celui‑ci libre de décider de la manière dont il convient d’exercer les pouvoirs et attributions que lui confère l’acte constitutif de la fiducie. Dans une telle hypothèse, la gestion et le contrôle de la fiducie sont exercés par le fiduciaire. Dans l’autre hypothèse, cependant, ce sont en fait les bénéficiaires qui exercent véritablement les pouvoirs et attributions prévus dans l’acte constitutif, qui assurent la gestion et le contrôle des fiducies, écartant en cela le fiduciaire en titre. Comme nous l’avons dit plus haut, la question de savoir dans quel cas de figure on se trouve est une question de fait qui exige que l’on tienne compte de tous les éléments de preuve.
[69] La juge Woods a pris en compte un certain nombre de faits qui seraient normalement neutres, tels l’existence d’un protecteur ou le recours aux mêmes conseillers, et, les ajoutant à un nombre considérable d’éléments de preuve touchant les circonstances de l’affaire, a conclu, compte tenu des faits constatés, que la frontière entre les deux cas hypothétiques avait été franchie. Elle pouvait, d’après moi, raisonnablement parvenir à cette conclusion.
[70] En effet, comment expliquer autrement le fait que les parties en cause aient convenu, comme l’a constaté la juge Woods, que les décisions concernant la vente des participations des fiducies dans PMPL, l’investissement du produit de cette vente, la distribution de certaines sommes aux bénéficiaires, et la prise de mesures permettant de réduire le montant des impôts qu’auraient à acquitter les fiducies seraient prises par M. Garron et par M. Dunin et mises en œuvre par St. Michael Trust Corp.? Comment expliquer autrement le manque de preuves, documentaires ou autres, relativement au rôle actif que St. Michael Trust Corp. aurait joué dans l’étude des décisions importantes concernant la disposition des biens de la fiducie? Comment expliquer que, ainsi qu’ils l’affirment, M. Garron et M. Dunin ne se soient guère intéressés à l’expertise que possédait St. Michael Trust Corp. en matière de gestion de biens, sauf en ce qui concerne ses connaissances en matière de tâches normalement dévolues à des comptables et à des fiscalistes? Comment expliquer le peu de preuves concernant la constitution et le fonctionnement des fiducies, et le fait que d’importants témoins n’aient pas été appelés?
[71] D’après moi, la juge Woods n’a commis aucune erreur appelant l’intervention de notre Cour lorsqu’elle a conclu qu’en 2000, à l’époque en cause, et notamment lors de la vente à l’acheteur des actions de la nouvelle société Garron et de la nouvelle société Dunin, le centre de gestion et de contrôle de la fiducie Garron et de la fiducie Dunin était situé au Canada, là où résidaient M. Garron et M. Dunin. C’est donc à bon droit qu’elle a conclu que les fiducies résidaient au Canada au moment où elles ont réalisé les gains en capital dus à la vente des actions de la nouvelle société Garron et de la nouvelle société Dunin.
[72] C’est là un motif suffisant pour rejeter les présents appels. Dans la mesure, cependant, où ont été plaidés des arguments subsidiaires, j’entends me prononcer également sur ceux‑ci.
Résidence réputée des fiducies aux termes du paragraphe 94(1)
[73] Si, contrairement à l’avis exprimé ci‑dessus sur ce point, le lieu de résidence d’une fiducie doit être déterminé uniquement en fonction de la résidence du fiduciaire, il ne fait aucun doute que les fiducies résidaient effectivement à la Barbade aux fins de l’Accord fiscal avec la Barbade. Il s’agit alors de savoir si l’article 94 s’appliquait aux fiducies en 2000 et, si c’est effectivement le cas, si les gains en capital en question étaient imposables au Canada. Cela dépend de deux questions, à savoir : 1) les conditions que suppose le critère de la contribution prévu à l’alinéa 94(1)b) étaient-elles réunies? 2) les fiducies avaient-elles droit à l’exonération prévue au paragraphe 4 de l’article XIV de l’Accord fiscal avec la Barbade?
[74] La situation en cause répond au critère de la contribution si les fiducies Garron et Dunin ont acquis des biens « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » auprès d’un bénéficiaire résidant au Canada ou d’une personne liée à ce bénéficiaire. Les deux fiducies avaient chacune un bénéficiaire résidant au Canada, M. Garron dans le cas de la fiducie Garron, et M. Dunin dans le cas de la fiducie Dunin. Il y avait également, parmi les parties intéressées, deux sociétés, Garron Holdings et Dunin Holdings, qui étaient, aux fins de l’impôt sur le revenu, liées respectivement à M. Garron et à M. Dunin. La question est ainsi de savoir si la fiducie Garron a acquis des biens, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, de M. Garron ou de Garron Holdings, et si la fiducie Dunin a acquis des biens, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, de M. Dunin ou de Dunin Holdings.
[75] Il existe assurément bien des moyens d’opérer un transfert de biens directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, et la jurisprudence sur la question est rare. Il est toutefois désormais établi que si les actions ordinaires d’une entreprise, valant, disons, 100 $, sont échangées contre des actions préférentielles d’une valeur moindre, disons de 80 $, et que de nouvelles actions ordinaires sont émises à un nouvel actionnaire pour une somme symbolique, les détenteurs des actions préférentielles ont indirectement transféré au nouvel actionnaire des biens d’une valeur de 20 $ (voir Canada c. Kieboom, [1992] 3 C.F. 488 (C.A.), aux pages 498 et 499).
[76] L’arrêt Kieboom reconnaît que la valeur d’une société correspond intégralement à la valeur de ses actions, celles‑ci constituant des biens. La répartition de la valeur d’une société entre les actions de diverses catégories est fonction des conditions se rattachant à ces divers types d’actions. Il est ainsi possible de modifier la valeur des actions d’une catégorie, et, en modifiant les conditions qui s’y rattachent, de transférer d’une catégorie d’actions à une autre, une partie de la valeur de la société. La réorganisation correspondant à ce cas de figure entraîne le transfert indirect de biens d’une valeur de 20 $ des détenteurs d’actions privilégiées au nouveau souscripteur.
[77] Il y a eu, en l’occurrence, la même sorte de transfert indirect de biens lors de la réorganisation du capital social de PMPL. Avant la réorganisation, les actions ordinaires de PMPL valaient sensiblement plus de 50 millions de dollars, soit la valeur de rachat des actions gelées contre lesquelles elles ont été échangées à l’occasion de la réorganisation. La réorganisation a ainsi opéré un transfert de valeur des détenteurs des actions gelées (Dunin Holdings et Garron Holdings) aux souscripteurs des nouvelles actions ordinaires de PMPL, la nouvelle société Dunin et la nouvelle société Garron. Selon l’arrêt Kieboom, Dunin Holdings et Garron Holdings ont transféré indirectement des biens à la nouvelle société Dunin et à la nouvelle société Garron respectivement.
[78] La question qui se pose au regard de l’alinéa 94(1)b) est cependant celle de savoir si des biens ont été transférés « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » à la fiducie Dunin et à la fiducie Garron, en tant qu’unique actionnaire respectivement de la nouvelle société Dunin et de la nouvelle société Garron. Selon la juge Woods, la réponse est non, car il faudrait autrement que l’on « aille au‑delà » de la nouvelle société Dunin et de la nouvelle société Garron pour constater que les fiducies étaient les destinataires des biens ainsi cédés, ce qui donnerait au membre de phrase « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » un sens démesuré susceptible d’avoir, dans d’autres circonstances, des conséquences incertaines et imprévisibles.
[79] Je ne partage pas les inquiétudes que cette question inspire à la juge Woods, et je dois dire, en toute déférence, que je ne suis pas d’accord avec son interprétation de l’alinéa 94(1)b). À partir du moment où l’on admet qu’il peut y avoir transfert indirect des actions d’une société, de l’actionnaire A à l’actionnaire B, par le truchement d’une réorganisation de la société qui fait passer une partie de la valeur de l’entreprise de la catégorie d’actions détenues par l’actionnaire A à la catégorie d’actions détenues par l’actionnaire B, je ne vois aucune raison de principe de conclure que la même opération ne pourrait pas en même temps constituer un transfert indirect de biens « de quelque manière que ce soit » à la personne propriétaire de l’actionnaire B. Cela n’implique aucune modification du principe juridique voulant que les biens d’une société n’appartiennent pas à ses actionnaires. Cette conclusion reconnaît simplement que toute augmentation de la richesse de l’actionnaire B va nécessairement accroître la richesse de celui qui est propriétaire de l’actionnaire B. Dans l’hypothèse d’une réorganisation de la société telle que celle décrite ci‑dessus, ce n’est pas faire violence au libellé de l’alinéa 94(1)b) que de conclure qu’il y a eu transfert indirect de biens « de quelque manière que ce soit » de l’actionnaire A au propriétaire de l’actionnaire B.
[80] Je considère que le législateur a de propos délibéré choisi la formule « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » de l’alinéa 94(1)b) afin de couvrir tous les moyens permettant de faire passer la richesse et les revenus potentiels que représentent les actions d’une société canadienne d’un bénéficiaire qui réside au Canada ou d’une personne liée à ce bénéficiaire à une fiducie non résidente. Selon toute manière pratique et réaliste d’envisager les faits de la présente affaire, les nouvelles actions ordinaires de PMPL (incorporant la valeur qui leur a été transférée des anciennes actions ordinaires à l’occasion de la réorganisation de PMPL) visaient à enrichir les fiducies. Cet objectif a été atteint par une série d’opérations étroitement reliées entre elles et conçues à l’avance, dans le cadre desquelles la nouvelle société Garron et la nouvelle société Dunin ont été les instruments permettant aux fiducies d’obtenir l’avantage financier découlant des nouvelles actions ordinaires de PMPL, y compris la part de la valeur de ces actions prélevée sur les actions ordinaires d’avant la réorganisation. J’estime pour cela que les conditions que suppose le critère de la contribution sont réunies et que, par conséquent, le paragraphe 94(1) s’applique en l’espèce aux fiducies. Cela étant, aux termes de l’alinéa 94(1)c), les fiducies sont réputées résider au Canada aux fins de la partie I.
[81] Puis, il y a la question de savoir si la démarche retenue par la Cour suprême dans l’arrêt Crown Forest nous impose de conclure que les fiducies avaient en l’occurrence le droit d’être exonérées d’impôt au Canada en vertu du paragraphe 4 de l’article XIV de l’Accord fiscal avec la Barbade. La juge Woods a conclu qu’en l’espèce, l’exonération prévue dans le traité l’emporte sur les dispositions de l’article 94. Selon moi, c’est à bon droit qu’elle a conclu en ce sens.
[82] La définition que le traité donne de la résidence est conforme au modèle habituel. Je la reproduis ici par souci de commodité [article IV, paragraphe 1] :
1. Au sens du présent Accord, l’expression «résident d’un État contractant» désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit État, est assujettie à l’impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue, et les expressions «résident du Canada» et «résident de la Barbade» ont le sens correspondant.
[83] Selon l’arrêt Crown Forest, l’élément que les critères énumérés ont en commun dans la définition de résidence inscrite dans l’accord est que chacun pourrait constituer un motif pour lequel les États imposent généralement, à l’égard des revenus mondiaux, un assujettissement intégral à l’impôt. Il s’ensuit que toute personne qui n’est imposable au Canada que sur les revenus provenant de telle ou telle source (assujettissement fondé sur la source) et non imposée sur l’intégralité de ses revenus quelle qu’en soit la source, ne serait pas, aux fins de l’accord fiscal, considérée comme un résident de cet État. Voici en quels termes le juge Iacobucci a, dans l’arrêt Crown Forest, expliqué au nom de la Cour ce point (au paragraphe 40, renvois omis) :
Je conviens avec l’appelante que l’élément que les critères énumérés ont le plus en commun est que chacun d’entre eux pourrait à lui seul constituer un motif pour lequel les États imposent généralement, à l’égard des revenus mondiaux, un assujettissement intégral à l’impôt […] À cet égard, les critères applicables pour déterminer le lieu de résidence à l’article IV, paragraphe 1 impliquent plus que le simple fait d’être redevable d’un impôt à l’égard d’une part de revenu (assujettissement fondé sur la source), ils comportent l’assujettissement fiscal le plus complet qu’un État puisse imposer. Aux États‑Unis et au Canada, cette imposition complète vise les revenus mondiaux. Cependant, conformément à l’art. 882 de l’Internal Revenue Code, l’assujettissement fiscal relatif au revenu effectivement relié à une entreprise exploitée aux États‑Unis est simplement un assujettissement fondé sur la source. En conséquence, le critère de l’exploitation d’une entreprise aux États‑Unis n’est pas de nature analogue aux facteurs énumérés puisqu’il n’est qu’un motif d’imposition fondée sur la source.
[84] Le même point essentiellement est repris de manière plus succincte dans cet extrait du paragraphe 68 de l’arrêt Crown Forest, dans lequel le juge Iacobucci résume les conclusions auxquelles il est parvenu. Sa troisième conclusion est la suivante :
3. Les parties à la Convention voulaient seulement que les résidents de l’un des États contractants, qui, dans l’un des États contractants, sont assujettis à l’impôt sur leurs «revenus mondiaux», soient considérés comme des «résidents» aux fins de la Convention.
[85] Ces observations se situent dans le contexte d’une affaire dans laquelle une société bahamienne demandait à être exonérée des impôts canadiens au titre d’une exonération prévue dans la Convention Canada‑États‑Unis en matière d’impôts (1984) [Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, S.C. 1984, ann. I], faisant valoir que son assujettissement fiscal aux États‑Unis tenait au fait que son « siège de direction » était situé aux États‑Unis. (La définition de la résidence dans ce traité‑là est essentiellement la même que celle qui est prévue dans l’Accord fiscal avec la Barbade.) Aux États‑Unis, la société bahamienne était considérée, du point de vue fiscal, comme une société étrangère, et n’était imposée que sur le revenu provenant des activités commerciales menées à partir de son siège américain (c’est‑à‑dire, uniquement sur les revenus provenant des activités qu’elle menait aux États‑Unis).
[86] Selon le juge Iacobucci, le fait que cette société bahamienne avait son siège de direction aux États‑Unis n’était pas le motif de l’assujettissement de l’entreprise aux impôts américains, mais seulement l’un des facteurs permettant de dire si son revenu d’entreprise provenait effectivement des activités que l’entreprise menait aux États‑Unis. La société bahamienne n’a été imposée aux États‑Unis qu’en tant que société étrangère, c’est‑à‑dire en fonction de la source de son revenu, et non sur l’ensemble de ses revenus mondiaux, ce qui aurait été le cas s’il s’était agi d’une société américaine. C’est pourquoi, aux fins de la convention fiscale, la société n’était pas résidente des États‑Unis.
[87] Selon la règle de la résidence réputée de l’article 94, une fiducie étrangère est réputée être une personne résidant au Canada, mais l’effet de cette règle est sensiblement limité, car une fiducie étrangère est réputée être une personne résidant au Canada dont le revenu imposable dans une année donnée correspond à l’intégralité de son revenu imposable gagné au Canada dans l’année, plus le « revenu étranger accumulé, tiré de biens » (ou le REATB, qui se compose essentiellement de certains revenus de placement ou de revenus hors exploitation, y compris des gains en capital, d’une société étrangère, attribués dans certaines circonstances à un actionnaire résidant au Canada). Compte tenu des limites ainsi posées, une fiducie étrangère est réputée être une personne résidant au Canada, mais pas à toutes fins de la partie I (car alors la fiducie serait imposable sur l’intégralité de ses revenus, quelle qu’en soit l’origine), mais seulement aux fins de la partie I qui concerne la détermination de ses revenus de source canadienne ainsi que son REATB. Les parties conviennent qu’en pratique, cela n’exclut que les revenus tirés d’une entreprise exploitée activement de source étrangère, mais cela ne parvient pas cependant à écarter la définition de résidence contenue dans l’accord.
[88] Par conséquent, si le critère du centre de gestion et de contrôle examiné plus haut ne s’appliquait pas en l’espèce, les fiducies pourraient invoquer à leur profit le paragraphe 4 de l’article XIV de l’Accord fiscal avec la Barbade et seraient exonérées de tout impôt canadien sur les gains en capital réalisés en 2000 lors de la vente des actions de la nouvelle société Garron et de la nouvelle société Dunin.
La disposition générale anti‑évitement
[89] Si, contrairement aux avis exposés ci‑dessus, le lieu de résidence d’une fiducie était uniquement fonction du lieu de résidence du fiduciaire, et que, par conséquent, les fiducies en question résident à la Barbade, mais ont droit à l’exonération prévue au paragraphe 4 de l’article XIV de l’Accord fiscal avec la Barbade, il y aurait lieu de se demander si les cotisations en cause en l’espèce se justifient néanmoins au regard de la disposition générale anti‑évitement inscrite à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Comme devant la Cour de l’impôt, la réponse va en l’espèce dépendre de la question de savoir si la série d’opérations qui a ouvert aux fiducies le droit de se prévaloir de l’exonération prévue dans l’accord malgré les dispositions de l’article 94 constitue un détournement ou un abus de l’Accord fiscal avec la Barbade. La juge Woods a estimé que ce n’était pas le cas. C’est aussi mon avis.
[90] Si la résidence des fiducies est fonction de la résidence de St. Michael Trust Corp. (hypothèse sur laquelle repose l’argument avancé par la Couronne au regard de la disposition générale anti‑évitement), les fiducies ne peuvent pas se soustraire à l’article 94 et, au contraire, tombent nettement sous le coup de cette disposition. Le fait que les fiducies auraient également droit à l’exonération prévue dans l’accord est dû au fait que, dans l’Accord fiscal avec la Barbade, le Canada a convenu de ne pas imposer certains gains en capital réalisés par une personne résidant à la Barbade. Si, aux fins de l’accord, les fiducies résident à la Barbade, on ne saurait dire qu’en invoquant à leur profit l’exonération prévue, elles détournent ou abusent des dispositions de l’Accord fiscal avec la Barbade.
Conclusion
[91] Je rejetterais les appels au motif que les fiducies résident au Canada et je n’accorderais qu’un seul mémoire de dépens à la Couronne.
Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.