Référence : |
Solvay Pharma Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 102, [2010] 1 R.C.F. 391 |
T-1934-07 |
Solvay Pharma Inc. (demanderesse)
c.
Procureur général du Canada et le ministre de la Santé (défendeurs)
Répertorié : Solvay Pharma Inc. c. Canada (Procureur général) (C.F.)
Cour fédérale, juge Lemieux—Toronto, 13 novembre 2008; Ottawa, 30 janvier 2009.
Brevets — Pratique — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Santé a refusé d’inscrire le brevet canadien no 2420895 (le brevet '895) au registre des brevets conformément à l’art. 4(3)c) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) au motif qu’il ne satisfaisait pas aux conditions d’admissibilité qui y sont prévues — La demanderesse a reçu un avis de conformité pour l’AndroGel — En outre, l’avis de conformité approuvait la monographie de produit — Le ministre a déclaré que le supplément à la présentation de drogue nouvelle (le SPDN) auquel le brevet '895 était rattaché ou lié et qu’on cherchait à faire inscrire n’était pas une présentation visant une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal ainsi qu’il était indiqué dans la monographie de produit — La preuve étayait les conclusions du ministre — Le terme « modification de l’utilisation » au sens de l’art. 4(3) du Règlement se mesure en fonction de l’utilisation approuvée dans la monographie de produit d’AndroGel — Aucune modification aux indications et à l’usage clinique de la monographie de produit de la demanderesse n’a été effectuée par suite de l’avis de conformité délivré relativement au SPDN — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Santé a refusé la demande d’inscription du brevet canadien no 2420895 (le brevet '895) au registre des brevets conformément à l’alinéa 4(3)c) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement AC) au motif qu’il ne satisfaisait pas aux conditions d’admissibilité qui y sont prévues. Le paragraphe 4(3) du Règlement AC, qui traite des conditions d’admissibilité régissant l’inscription des brevets au registre, a été modifié en profondeur le 5 octobre 2006.
La demanderesse a reçu un avis de conformité pour l’AndroGel en 2002. En outre, cet avis de conformité approuvait la monographie de produit pour l’AndroGel, qui est indiqué comme thérapie de remplacement hormonal chez les sujets masculins dans les cas de pathologies associées à une déficience de testostérone. Après la délivrance du brevet '895 plusieurs années plus tard, la demanderesse a présenté une demande d’inscription du brevet, demande qui a ensuite été refusée par le ministre de la Santé. Le ministre a déclaré que le supplément à la présentation de drogue nouvelle (le SPDN) de la demanderesse du 11 mars 2005 auquel le brevet '895 était rattaché ou lié et qu’on cherchait à faire inscrire au registre n’était pas une présentation visant une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal — la testostérone — ainsi qu’il était indiqué dans la monographie de produit parce qu’il avait seulement pour effet de mettre à jour la monographie pour tenir compte de l’innocuité et de l’efficacité thérapeutique de l’AndroGel au-delà de 180 jours. De même, le brevet '895 ne contenait pas de revendication portant sur l’utilisation modifiée proposée dans la monographie de produit par le SPDN de la demanderesse pour laquelle un avis de conformité a été délivré.
Jugement : la demande doit être rejetée.
En l’espèce, il existait trois outils pouvant aider à découvrir l’intention qui a motivé les modifications apportées au Règlement AC le 5 octobre 2006 : 1) une discussion dans la jurisprudence au sujet de la situation que l’on cherchait à corriger en modifiant le règlement; 2) une comparaison entre le régime prévu par les anciennes dispositions et celui que l’on trouve dans les nouvelles dispositions; et 3) l’éclairage que le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) jetait sur la question.
La Cour d’appel fédérale a examiné pour la première fois les modifications apportées aux avis de conformité dans l’affaire Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général). Elle a déclaré que la nouvelle rédaction qui avait donné à l’article 4 du Règlement AC sa forme actuelle se voulait une réponse à un débat sur la pertinence des brevets par rapport aux présentations à l’égard desquelles les fabricants de drogues les inscrivaient sur leurs listes. Selon l’alinéa 4(3)b) du Règlement, tout brevet dont on demande l’adjonction relativement à ce SPDN doit contenir « une revendication de la forme posologique modifiée ». De même, la Cour a statué que c’est la distinction entre les revendications étroitement déterminées ou explicites et les revendications larges ou non explicites qui a suscité dans la jurisprudence la discussion sur la nature de l’invention brevetée. Cette discussion se trouve maintenant dépassée par les modifications du Règlement AC.
Lorsqu’on compare le régime d’inscription des brevets actuel avec celui qui existait auparavant, le régime actuel est beaucoup plus précis lorsqu’il s’agit de définir les critères d’admissibilité d’inscription des brevets au registre en vertu du Règlement AC.
Pour ce qui est du REIR, le premier paragraphe indique que les modifications ont pour objectif de rétablir la politique équilibrée qui sous-tend le Règlement AC en réaffirmant les règles régissant l’inscription de brevets au registre et en éclaircissant les circonstances où ceux-ci doivent être respectés. Suivant le REIR, pour pouvoir bénéficier de la protection conférée par le Règlement, un brevet doit être « pertinent par rapport à la drogue pour laquelle l’innovateur a obtenu l’approbation de vente ». Il précise aussi que les modifications enracinent le concept de la spécificité des produits grâce à un libellé plus précis quant au lien entre l’objet d’un brevet inscrit sur une liste et le contenu de la demande d’avis de conformité à l’égard duquel elle est soumise. De plus, une nouvelle liste de brevets ne peut être soumise que dans le cas de certains types de demandes bien précis.
Pour conclure, la preuve étayait les conclusions du ministre suivant lesquelles la demanderesse n’a pas satisfait aux exigences prévues par le Règlement AC pour pouvoir inscrire le brevet '895 au registre parce que son SPDN ne représentait pas un changement dans l’utilisation de l’ingrédient médicinal d’ANDROGEL. Le terme « modification de l’utilisation » au sens du paragraphe 4(3) du Règlement se mesure en fonction de l’utilisation approuvée dans la monographie de produit d’ANDROGEL. Aucune modification aux indications et à l’usage clinique de la monographie de produit n’a été effectuée par suite de l’avis de conformité.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 55 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 48).
Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/99-379.
Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, partie C, titre 8.
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 2 « revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal » (édicté par DORS/2006-242, art. 1), 3 (mod. par DORS/98-166, art. 2; 2006-242, art. 2), 4 (mod. par DORS/98-166, art. 3; 2006-242, art. 2; erratum Gaz. C. 2008.II.1874(A)), 4.1 (édicté, idem).
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), tarif B (mod., idem, art. 31, 32), colonne IV.
JURISPRUDENCE CITÉE
décision appliquée :
Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, [2009] 3 R.C.F. 547, confirmant 2008 CF 700.
décisions examinées :
Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général), 2007 CF 797, inf. par 2008 CAF 244; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 24, [2003] 3 C.F. 140; Wyeth Canada c. ratiopharm inc., 2007 CAF 264, [2008] 1 R.C.F. 447, infirmant 2007 CF 340; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Ferring Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 274; Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CAF 140, [2006] 1 R.C.F. 141.
décisions citées :
G.D. Searle & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 437, [2009] 2 R.C.F. 293; Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2001] A.C.F. no 143 (C.A.) (QL), confirmant [1999] A.C.F. no 458 (1re inst.) (QL).
DOCTRINE CITÉE
Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/2006-242, Gaz. C. 2006.II.1510.
Santé Canada. Modifications aux drogues nouvelles sur le marché, avril 1994.
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Santé a refusé la demande d’inscription du brevet canadien no 2420895 au registre des brevets conformément à l’alinéa 4(3)c) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) au motif qu’il ne satisfaisait pas aux conditions d’admissibilité qui y sont prévues. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Caroline Zayid et David A. Tait pour la demanderesse.
David G. Cowie pour les défendeurs.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Lemieux :
I. Introduction
[1] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Solvay Pharma Inc. (Solvay, ou l’innovatrice) conteste la décision du 10 octobre 2007 par laquelle le ministre de la Santé (le ministre) a refusé la demande présentée par Solvay en vue de faire inscrire son brevet canadien no 2420895 (le brevet '895) au registre des brevets (le registre) tenu par le ministre conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133] (le Règlement AC).
[2] Le ministre s’est dit d’avis que le brevet '895 ne satisfaisait pas aux conditions d’admissibilité régissant l’inscription des brevets prévues à l’alinéa 4(3)c) [mod. par DORS/2006-242, art. 2] du Règlement AC. Le paragraphe 4(3) du Règlement AC, qui traite des conditions d’admissibilité régissant l’inscription des brevets au registre, a été modifié en profondeur le 5 octobre 2006 [DORS/2006-242, art. 2]. Voici le texte du paragraphe 4(3) du Règlement AC, incorporant les modifications du 5 octobre 2006 :
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133
4. […]
(3) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache au supplément à une présentation de drogue nouvelle visant une modification de la formulation, une modification de la forme posologique ou une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, s’il contient, selon le cas :
a) dans le cas d’une modification de formulation, une revendication de la formulation modifiée, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément;
b) dans le cas d’une modification de la forme posologique, une revendication de la forme posologique modifiée, la forme posologique ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément;
c) dans le cas d’une modification d’utilisation de l’ingrédient médicinal, une revendication de l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément. [Non souligné dans l’original.]
[3] Par souci de commodité, je reproduis également ici la définition de l’expression « revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal » qui a été ajoutée à l’article 2 du Règlement AC par les modifications du 5 octobre 2006 :
2. […]
« revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal » Revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal aux fins du diagnostic, du traitement, de l’atténuation ou de la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes. [Non souligné dans l’original.]
[4] Le refus du ministre tenait en particulier à deux raisons. Premièrement, le supplément à la présentation de drogue nouvelle de Solvay (le SPDN) du 11 mars 2005 auquel le brevet '895 était rattaché ou lié et qu’on cherchait à faire inscrire au registre n’était pas une présentation visant une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal — la testostérone — (sous forme de gel topique) ainsi qu’il est indiqué dans la monographie de produit homologuée par Santé Canada pour l’AndroGel, en l’occurrence, comme thérapie de remplacement hormonal chez les sujets masculins dans les cas de pathologies associées à une déficience de testostérone. Suivant Santé Canada, le SPDN de Solvay a seulement eu pour effet de mettre à jour la monographie pour tenir compte de l’innocuité et de l’efficacité thérapeutique de ce produit au-delà de 180 jours à la lumière d’études cliniques récemment réalisées au sujet de l’utilisation à long terme d’AndroGel. Deuxièmement, suivant le ministre, on ne trouve pas dans le brevet '895 de revendication portant sur l’utilisation modifiée proposée dans la monographie par le SPDN du 11 mars 2005 de Solvay pour laquelle un avis de conformité a été délivré.
[5] La décision du ministre est encadrée par deux régimes réglementaires. Il y a tout d’abord le régime réglementaire prévu par les dispositions applicables du titre 8 de la partie C [articles C.08.001 à C.08.011] du Règlement sur les aliments et drogues [C.R.C., ch. 870], qui interdit de vendre une drogue au Canada à moins que le ministre n’ait délivré au fabricant de la drogue nouvelle un avis de conformité pour cette drogue sur dépôt d’une présentation de drogue. Le Règlement sur les aliments et drogues prévoit divers types de présentations de drogue selon les circonstances. Habituellement, un fabricant qui, comme Solvay, élabore un nouveau médicament et qui cherche à être autorisé pour la première fois à le commercialiser au Canada, dépose auprès de Santé Canada une présentation de drogue nouvelle (PDN) qui renferme normalement une importante quantité de données sous forme d’études et d’essais cliniques, qui permettent au ministre d’être convaincu de l’innocuité et de l’efficacité de ce nouveau médicament avant d’en autoriser la vente au Canada. Après que la vente d’un médicament a été approuvée, une série de modifications peuvent être apportées au médicament ou à un document de référence, comme la monographie de produit approuvée ou l’étiquette du médicament. Pour procéder à ces modifications, il est nécessaire de soumettre un SPDN ou un autre type de présentation selon la nature des modifications proposées.
[6] Le second régime réglementaire dont le ministre doit tenir compte pour prendre une décision est le Règlement AC qui a été pris pour la première fois en 1993 par le gouverneur en conseil en application de l’article 55 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 48] de la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4]. Ce règlement l’oblige à tenir un registre des brevets dans lequel sont inscrits tous les brevets canadiens détenus par les fabricants de nouveaux médicaments. Si un fabricant de médicaments génériques souhaite commercialiser un médicament générique au Canada, il doit obtenir un avis de conformité du ministre en déposant une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN), qui compare habituellement le médicament générique avec le médicament équivalent d’un innovateur qui existe déjà sur le marché par suite de la délivrance d’un avis de conformité par le ministre. La PADN par le fabricant de médicaments génériques met en branle la procédure prévue par le Règlement AC si le médicament de l’innovateur est inscrit au registre des brevets. En pareil cas, le fabricant de médicaments génériques doit envoyer à l’innovateur un avis (l’avis d’allégation) dans lequel il déclare que la commercialisation de son médicament ne contreferait pas le brevet inscrit au registre ou encore que le brevet inscrit est invalide. Une fois que l’avis d’allégation a été signifié, l’innovateur qui a fabriqué le médicament peut introduire une instance en interdiction pour déterminer si l’avis d’allégation est justifié. En règle générale, tant qu’une décision n’a pas été rendue, le ministre ne peut, pendant une certaine période de temps, délivrer au fabricant de médicaments génériques un avis de conformité en vertu du Règlement sur les aliments et drogues. Toutefois, si le brevet portant sur le médicament en question ne figure pas au registre, il n’est pas nécessaire de déposer et de signifier un avis d’allégation et la société pharmaceutique innovatrice ne peut se prévaloir de la procédure prévue au Règlement AC, quoique l’action en contrefaçon de brevet lui soit ouverte. En d’autres termes, le ministre a toute latitude pour délivrer un avis de conformité au fabricant de médicaments génériques s’il est par ailleurs convaincu que les conditions prévues au Règlement sur les aliments et drogues sont réunies.
II. Faits et contexte
[7] Le 6 août 2000, Solvay a déposé auprès du ministre, en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, une PDN afin d’obtenir un avis de conformité l’autorisant à commercialiser son médicament AndroGel sur le marché canadien. Le 6 février 2002, Solvay a reçu l’avis de conformité en question qui approuvait également la monographie de produit d’AndroGel datée du 28 janvier 2002. La section Indications et usage clinique de la monographie de produit était ainsi libellée :
[traduction] AndroGelmc (gel de testostérone) est indiqué en thérapie de remplacement chez les sujets masculins dans les cas de pathologies associées à une déficience ou à une absence de testostérone endogène :
1. Hypogonadisme primaire (congénital ou acquis) : insuffisance testiculaire, notamment cryptorchidie, torsion bilatérale, orchite, anorchidie, orchidectomie, syndrome de Klinefelter, chimiothérapie ou lésions toxiques dues à l’alcool ou aux métaux lourds. Chez ces hommes, on constate habituellement de concentrations de testostérone sériques faibles, mais associées à des concentrations supérieures à la normale de gonadotrophine (FSH, LH).
2. Hypogonadisme hypogonadotrophique (congénital ou acquis) : déficience idiopathique en gonadotrophine ou hormone de libération de la lutéinostimuline (LH‑RH) ou lésions hypothalamo‑pituitaires dues à une tumeur, à un traumatisme ou à l’irradiation. Chez ces hommes, on constate de faibles concentrations sériques de testostérone, bien que les concentrations de gonadotrophine puissent atteindre des valeurs qui sont normales ou faibles.
3. Dans les cas de dysfonction sexuelle ou d’andropose, quand la pathologie est due à une déficience mesurée ou documentée en testostérone.
[8] Le 29 août 2001, Solvay a déposé sa demande relative au brevet '895 qui a été mise à la disposition du public pour consultation le 9 mars 2002. Ce brevet a été délivré six ans plus tard, soit le 13 mars 2007. Aux termes du paragraphe 4(6) du Règlement AC, Solvay disposait d’un délai de 30 jours après la délivrance du brevet '895 pour présenter le brevet pour inscription au titre d’une présentation de drogue admissible. Solvay a présenté cette demande le 13 mars 2007; la demande a été refusée par le ministre le 10 octobre 2007 pour les motifs déjà mentionnés.
[9] Après avoir obtenu, en février 2002, l’avis de conformité qui l’autorisait à vendre AndroGel, Solvay a sollicité en mars 2002, par la voie d’une modification à déclaration obligatoire, l’approbation de certaines mises à jour qui ont été apportées à la monographie de produit d’AndroGel afin de tenir compte de la terminologie médicale la plus récente. Cette mise à jour a été acceptée et la monographie du produit a été révisée le 16 juillet 2002.
[10] À la fin de l’année 2004, Solvay a obtenu les résultats d’une étude d’extension de longue durée intitulée « A Long-term Study of the Safety and Effectiveness of Testosterone Gel for Hormonal Replacement in Hypogonadal Men » (Étude de longue durée de l’innocuité et de l’efficacité du gel de testostérone en thérapie de remplacement chez les sujets masculins hypogonadiques). La PDN de Solvay était fondée sur une étude pivot initiale d’une durée de six mois dont les résultats cliniques pour le traitement par AndroGel de sujets masculins portaient sur une période maximale de 180 jours. Dans l’étude de prolongation, les patients ont poursuivi leur traitement par AndroGel pendant une période pouvant atteindre 42 mois. Solvay souhaitait que la monographie d’AndroGel prenne en compte les résultats de l’étude de prolongation; l’adjoint aux Affaires réglementaires a communiqué à cette fin avec Santé et Bien‑être social Canada [maintenant Santé Canada] afin de déterminer le type de présentation requise : les changements à la monographie pouvaient-ils être apportés par la voie d’une modification à déclaration obligatoire ou un SPDN était-il requis? Une version préliminaire des changements prévus à la monographie était jointe à la demande. L’objet du courriel était le suivant [traduction] : « Révisions de la monographie de produit ».
[11] Le 31 décembre 2004, l’adjoint aux Affaires réglementaires de Solvay a été avisé de ce qui suit par Adam Gibson, gestionnaire principal de projet de réglementation (int.) du Bureau de métabolisme, de l’oncologie et des sciences de la reproduction (BMOSR) de la Direction des produits thérapeutiques (DPT) de Santé Canada :
[traduction] En réponse à votre demande ci-dessous, les modifications prévues et l’inclusion des résultats de l’étude d’extension que vous avez menée nécessiteraient un SPDN.
Les principaux motifs de cette classification sont les suivants :
– Une modification a été apportée à la section Posologie et administration.
– Les renvois aux résultats de l’étude de longue durée dans d’autres sections, telles que Effets indésirables et Mode d’action et pharmacologie clinique impliquent une utilisation prolongée d’Androgel, d’une durée supérieure à celle dont il est fait état dans les données cliniques initiales. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une modification explicite à la section de la monographie d’Androgel sur les indications, la Division de la reproduction et de l’urologie (DRU) estime que l’inclusion des résultats de l’étude de longue durée a une influence directe sur l’utilisation implicite du médicament. Il est à noter que cette dernière considération s’applique à tous les promoteurs de produits stéroïdiens qui souhaiteraient faire des changements similaires.
Pour les motifs précités et conformément à notre Politique sur les modifications aux drogues nouvelles sur le marché, cette présentation sera considérée comme un SPDN. [Non souligné dans l’original.]
[12] Le dossier de la demanderesse comprend une copie de la Politique sur les modifications aux drogues nouvelles sur le marché de Santé et Bien-être social, datée d’avril 1994, laquelle précise qu’un SPDN est requis pour un changement apporté :
5. à l’étiquetage, y compris aux dépliants de conditionnement, aux notices du produit, aux cartes de fichier et aux monographies de produit, concernant, explicitement ou implicitement :
i) la voie d’administration recommandée du médicament,
ii) la posologie du médicament, et
iii) les qualités attribuées au médicament, incluant les indications. [Soulignement ajouté.]
[13] Le SPDN relatif à AndroGel a été soumis par Solvay le 10 mars 2005. Dans une lettre d’accompagnement, l’adjoint aux Affaires réglementaires explique que le SPDN avait deux objectifs, le premier étant de [traduction] « mettre à jour la monographie du médicament à la lumière des résultats de l’étude de prolongation ouverte à long terme ».
[14] L’avis de conformité qui a été délivré relativement au SPDN est daté du 25 janvier 2006 et précise que le SPDN vise à [traduction] « mettre à jour la monographie de produit à la lumière des résultats de l’étude de prolongation à long terme ».
[15] Le dossier de la demanderesse (volume 1, page 69) contient la monographie de produit d’AndroGel (la monographie d’AndroGel) mise à jour conformément au SPDN. Le libellé de la section Indications et usage clinique est sensiblement le même que celui de la monographie d’AndroGel datant de janvier 2002; il tient compte de la mise à jour apportée au libellé à la suite de la modification à déclaration obligatoire en mars 2002. Comme l’a souligné l’avocat de Solvay, certaines modifications ont été apportées au libellé des sections Contre-indications, Mises en garde et précautions, Effets indésirables, Posologie et administration, Pharmacocinétique et Essais cliniques de la monographie d’AndroGel. Le dossier de la demanderesse contient également l’affidavit du Dr Alvaro Morales, souscrit le 7 décembre 2007, et sur lequel Solvay se fonde pour étayer son argument selon lequel l’avis de conformité de 2006 représente une modification de l’utilisation d’AndroGel. Le ministre s’est opposé à l’admission de cette preuve au motif qu’elle ne lui avait pas été présentée et il invoque la jurisprudence établie. Je reviendrai plus loin sur cette objection.
[16] Le dossier des défendeurs contient plusieurs documents présentés par le biais de l’affidavit de Waleed Jubran, agent des brevets – Science du Bureau des médicaments brevetés et de la liaison (BMBL) de la DPT. Ce dernier est notamment chargé de l’application du Règlement AC, tâche qui consiste principalement à veiller à ce que les avis de conformité soient délivrés conformément audit règlement et qui nécessite une connaissance des processus liés à la présentation des drogues et du Règlement AC. Selon lui, le SPDN de Solvay [traduction] « a été approuvé en vue d’une mise à jour des renseignements relatifs à l’innocuité figurant dans la monographie d’ANDROGEL et non en vue d’une modification de formulation, d’une modification de la forme posologique ou d’une modification d’utilisation de l’ingrédient médicinal, comme l’exige le paragraphe 4(3) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ». Il conclut que [traduction] « le brevet '895 […] n’est pas admissible à l’adjonction au registre des brevets pour ce qui est du SPDN 097485 ». Il a été contre‑interrogé concernant son affidavit.
[17] L’agent des brevets déclare au paragraphe 9 de son affidavit que [traduction] « les indications (utilisations approuvées) sont décrites dans la section “Indications et usage clinique” ». Il ajoute : [traduction] « Seules les indications approuvées par Santé Canada peuvent être mentionnées ».
[18] Le paragraphe 12 de son affidavit est ainsi libellé :
[traduction] La raison qui justifie l’inscription des « brevets d’utilisation » au registre des brevets est décrite à la page 1517 du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) accompagnant les modifications du 5 octobre apportées au Règlement AC, document joint comme pièce C. Pour ce qui est des PDN, le Règlement AC vise à « limiter l’admissibilité des brevets d’utilisation à ceux contenant une revendication relative à une méthode d’utilisation approuvée de l’ingrédient médicinal, pour une indication approuvée. Ce lien devrait être apparent en comparant les revendications du brevet avec les sections pertinentes de la monographie de produit et de l’étiquetage du médicament approuvé ». Tel que mentionné à la page 1518 du REIR, le SPDN doit viser un changement de l’utilisation de l’ingrédient médicinal (c’est-à-dire une nouvelle méthode d’utilisation ou une nouvelle indication), et le brevet doit contenir une revendication relative à l’utilisation ainsi modifiée.
[19] L’agent des brevets décrit, au paragraphe 19 de son affidavit, la mise à jour apportée au libellé de la monographie d’AndroGel qui a été autorisée en mars 2002, par voie de modification à déclaration obligatoire.
[20] Au paragraphe 21 de son affidavit, il analyse toutes les modifications proposées par Solvay dans le SPDN du 10 mars 2005, telles qu’elles figurent dans le Modèle d’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité des produits pharmaceutiques (MEIEPP) de la DPT, qui a été préparé par le BMOSR chargé de l’examen et de l’approbation de médicaments comme AndroGel. Le BMOSR a, dans le cadre de ce processus, recommandé qu’un certain nombre d’autres modifications soient apportées à la monographie d’AndroGel.
[21] M. Jubran soutient que le BMOSR a conclu, dans l’ensemble, que le SPDN 097485 [traduction] « visait une mise à jour des renseignements de la monographie de produit relatifs à l’innocuité », comme en témoigne le MEIEPP ainsi que le Sommaire pour l’examen de la présentation daté du 9 décembre 2005, document que le directeur général de la DPT a examiné pour déterminer si un avis de conformité devait ou non être délivré à l’égard du SPDN 097485.
[22] Comme il a été mentionné, le 13 mars 2007, Solvay a soumis au BMBL une liste de brevets selon le formulaire IV pour le brevet '895 relativement à son médicament AndroGel, formulaire qui mentionnait que les utilisations de l’ingrédient médicinal (testostérone) étaient les suivantes :
1. hypogonadisme primaire;
2. hypogonadisme secondaire;
3. dysfonction sexuelle ou andropause.
[23] Selon le dossier, M. Jubran a, le 20 mars 2007, consulté M. Randall, gestionnaire de projets réglementaires de la Division de l’oncologie du BMOSR, qui lui a dit : [traduction] « Il ne semble pas que les indications aient changé selon cette présentation. »
[24] Le 26 mars 2007, le directeur associé du BMBL a avisé par écrit le vice-président, Affaires médicales et réglementaires de Solvay que le SPDN du 10 mars 2005 avait été soumis en vue de [traduction] « l’approbation d’une mise à jour de la monographie de produit à la lumière des résultats d’une étude de prolongation à long terme » et qu’il n’était donc pas admissible étant donné qu’il ne contenait pas une modification de la formulation, de la forme posologique ou encore de l’utilisation de la testostérone, l’ingrédient médicinal contenu dans AndroGel.
[25] Le directeur associé du BMBL a demandé à Solvay de déposer des observations écrites, ce qui a été fait dans une lettre datée du 25 avril 2007 par la conseillère juridique externe de Solvay, Me Anita Nador, du cabinet McCarthy Tétrault. Cette dernière a fait valoir que les changements mentionnés dans la monographie de produit n’étaient pas seulement une mise à jour, mais reflétaient une modification de l’utilisation de la testostérone, l’ingrédient médicinal, à la lumière des résultats d’une étude de longue durée sur l’innocuité et l’efficacité du médicament, laquelle [traduction] « a examiné l’utilisation de la drogue pendant une période bien supérieure à celle de six mois qui avait servi à appuyer la PDN initiale ». L’essentiel des observations de Me Nador figure dans les deux paragraphes suivants :
[traduction] À la lumière de ces données, le SPDN modifie la monographie de produit en prolongeant de six mois à trois ans la période durant laquelle l’innocuité et l’efficacité du médicament ont été établies. Solvay estime qu’il s’agit là d’un changement par rapport à l’utilisation décrite dans la monographie de produit.
Le supplément porte fondamentalement sur une modification de la durée de la période durant laquelle il a été établi que le médicament pouvait être utilisé de manière sûre et efficace. Les modifications comprennent une mention de l’innocuité, des avantages ou de l’efficacité durant la période prolongée d’utilisation. À ce titre, le SPDN vise une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, c’est‑à‑dire l’utilisation du médicament en vue d’obtenir des effets recherchés tels que « des taux hormonaux constants de testostérone » en toute sécurité au cours d’une période de traitement plus longue.
[26] Me Nador a ensuite énuméré les nombreuses modifications apportées à la monographie d’AndroGel et a fourni les exemples suivants relatifs à l’innocuité de l’utilisation au long cours :
• Dans la section Mises en garde et précautions, dans laquelle il est mentionné que l’utilisation prolongée de méthyltestostérone peut causer une péliose hépatique, l’énoncé suivant a été ajouté : « AndroGel n’est pas un agent connu pour produire ces effets indésirables ». Me Nador a fait valoir que cette phrase était un ajout clé à la monographie de produit, indiquant que l’étude de longue durée menée sur 36 mois a montré qu’AndroGel n’entraînait pas les effets indésirables associés à une « utilisation prolongée » et qu’il s’agissait d’une revendication quant à l’innocuité relative de l’utilisation d’AndroGel pendant une période plus longue que celle qui avait été approuvée dans le cadre de l’avis de conformité initial;
• Quant à l’ajout de la phrase : « Des tendances analogues ont été observées chez les patients ayant fait l’objet d’un suivi sur une période allant jusqu’à trois ans » dans une section de la monographie portant sur le maintien des concentrations sériques de testostérone lors de tests de suivi à 30, 90 et 180 jours, Me Nador a fait valoir que cet ajout au texte du SPDN démontrait [traduction] « que les concentrations peuvent être maintenues pendant des périodes plus longues que ce qui avait initialement été mentionné, ce dont témoigne encore une fois l’utilisation prolongée du produit »;
• Dans la section Essais cliniques, le SPDN fait mention de la nouvelle [traduction] « durée implicite d’utilisation efficace et sûre qui était auparavant basée sur une étude de six mois et qui se fonde à présent sur des données recueillies au cours d’une période de 42 mois ». Me Nador affirme que [traduction] « ce changement montre que la durée implicite d’utilisation efficace et sûre est à présent basée sur une période beaucoup plus longue que celle qui avait initialement été mentionnée »;
• Dans la section Mode d’action et pharmacologie clinique, il est fait mention de symptômes additionnels d’hypogonadisme; Me Nador a fait valoir que [traduction] « l’ajout de ces symptômes à la monographie de produit à la lumière des données présentées dans l’étude de longue durée est clairement lié à l’utilisation implicite du médicament pour traiter de tels symptômes ».
[27] L’avocate de Solvay a conclu :
[traduction] Il est clair que le SPDN vise à obtenir l’approbation des modifications à la monographie de produit, lesquelles sont directement liées à une modification de l’« utilisation » du médicament. La durée d’utilisation sûre et efficace est prolongée et des modifications importantes relatives à l’utilisation implicite du produit, dont la description est autorisée dans la monographie de produit, sont clairement l’objet principal du SPDN. [Non souligné dans l’original.]
[28] Elle a également souligné que Santé Canada [traduction] « partageait clairement l’opinion de Solvay quant à la nature et à l’importance des changements relatifs à l’utilisation d’ANDROGEL, comme en témoigne le SPDN qui fait mention du courriel d’Adam Gibson daté du 31 décembre 2004 et de son contenu ».
[29] Dans une lettre datée du 11 juin 2007, le directeur du BMBL, David Lee, a commenté les observations de Me Nador du 25 avril 2007. M. Lee a souligné que le Règlement AC modifié le 5 octobre 2006 s’appliquait, étant donné que la liste des brevets de Solvay pour le brevet '895 avait été reçue par le BMBL le 13 mars 2007. M. Lee a commenté les observations de Solvay en ces termes :
[traduction] Vous indiquez, dans vos observations, que le Supplément à une présentation de drogue nouvelle (« SPDN ») 097485 visait à obtenir un avis de conformité pour une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal. Vous faites valoir que le SPDN 097485 porte sur une modification de la période durant laquelle ANDROGEL peut être utilisé de manière sûre et efficace. Vous indiquez plus précisément que la période pendant laquelle l’innocuité et l’efficacité du médicament ont été établies est passée de six mois à trois ans.
Quand bien même le BMBL conviendrait que le SPDN 097485 visait à obtenir un avis de conformité pour une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, il n’en reste pas moins qu’il n’existe aucune revendication dans le brevet '895 concernant les changements précis qui ont été approuvés par le biais de la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément précité. Plus précisément, le brevet '895 ne contient pas de revendications quant à la modification de la durée d’utilisation ni de revendication quant à l’innocuité relative de l’utilisation d’ANDROGEL pendant une période plus longue. En vertu de l’alinéa 4(3)c) du Règlement AC, est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache au SPDN visant une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, s’il contient une revendication de l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal, utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément.
[30] M. Lee a ensuite mentionné le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [DORS/2006-242, Gaz. C. 2006.II.1510] (le REIR) qui accompagnait les modifications du 5 octobre 2006. Il a indiqué que [traduction] « la spécificité du produit est l’aspect clé considéré par le ministre lorsqu’il applique les critères d’inscription énoncés à l’article 4 du Règlement AC ». Il a écrit : [traduction] « les modifications utilisent un libellé plus précis qui exprime le lien voulu entre l’objet d’un brevet inscrit sur une liste de brevets et le contenu de la demande d’avis de conformité à l’égard duquel elle est soumise ».
[31] Dans une lettre adressée à M. Lee le 15 juin 2007, Me Nador a fait remarquer que le BMBL avait invoqué un nouveau motif pour ne pas inscrire le brevet '895 au registre. Elle réclamait un délai additionnel afin d’examiner ce nouveau motif. Ces observations additionnelles figurent dans sa lettre du 20 juillet 2007 adressée à M. Lee dans laquelle elle faisait valoir que le brevet '895 contenait des revendications relatives aux modifications qui constituent l’objet du SPDN, c’est-à‑dire que le brevet '895 contenait une revendication quant à la modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal.
[32] Elle invitait M. Lee à consulter sa lettre du 25 avril 2007 et notait que l’une de ces modifications consistait en l’ajout du symptôme de « dysfonction érectile » à la section Mode d’action et pharmacologie clinique. Elle faisait remarquer que l’ajout de ce symptôme à la monographie de produit, à la lumière des données de l’étude de longue durée, constituait clairement une modification de l’utilisation du médicament en vue du traitement de ce symptôme. Selon elle, les revendications 25, 63, 87, 91 et 95 du brevet '895 se rapportent au traitement de cette dysfonction.
[33] Me Nador a également observé : [traduction] « De plus, selon les données sur l’efficacité à long terme contenues dans la monographie de produit, les concentrations sériques de testostérone sont généralement maintenues dans la plage eugonadique et peuvent l’être pendant une période d’au moins trois ans. » Elle a ajouté que le brevet '895 contenait des revendications relatives à cette modification d’utilisation, mentionnant à l’appui les revendications 30, 59 et 91 qui, selon elle, [traduction] « envisagent le maintien des taux de testostérone pendant des périodes prolongées dans la mesure où elles visent l’utilisation de testostérone afin d’obtenir des taux hormonaux constants de testostérone », ajoutant que [traduction] « les revendications relatives à l’utilisation quotidienne sans durée d’utilisation maximale portent également sur l’utilisation modifiée d’ANDROGEL, c’est le cas par exemple des revendications 27, 56 et 88 ».
[34] Me Nador a également avancé que [traduction] « des revendications additionnelles quant à l’utilisation du médicament dans le traitement d’affections chroniques pour lesquelles une modification de la durée d’utilisation et de l’innocuité liée à l’utilisation d’ANDROGEL pendant une période prolongée est bénéfique, notamment en cas d’hypogonadisme (revendications 23, 24, 53, 54, 85 et 86), sont par nature des revendications relatives à la modification de l’utilisation qui a été approuvée par la délivrance de l’avis de conformité à l’égard du SPDN. Ces modifications sont directement liées à l’objet du SPDN ainsi qu’à la plus longue durée d’utilisation et à l’innocuité d’ANDROGEL ».
[35] Enfin, Me Nador a conclu en faisant valoir que l’ajout de données relatives [traduction] « à la durée d’utilisation et un changement concernant l’innocuité correspondent à une modification de l’utilisation d’ANDROGEL pour l’ensemble des indications/affections mentionnées dans la monographie », ajoutant que [traduction] « le brevet '895 comprenait des revendications quant à l’utilisation de l’ingrédient médicinal pour lesdites indications/affections. À ce titre, ces utilisations modifiées sont revendiquées dans le brevet '895 (p. ex., revendications 1 à 95) ». Elle a conclu :
[traduction] Puisque le SPDN porte sur une modification de l’utilisation d’ANDROGEL pour lesdites indications/affections et puisque les revendications du brevet '895 visent une « utilisation » modifiée d’ANDROGEL pour lesdites indications/ affections, toutes ces revendications font en sorte que le brevet '895 peut être inscrit au registre des brevets à l’égard dudit SPDN.
[36] Me Nador a conclu la question en attirant l’attention de M. Lee, dans une lettre datée du 3 août 2007, sur une décision récente rendue par la Cour fédérale, Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général), 2007 CF 797 (Abbott/Prevacid), décision qui, selon Mme Nador, appuyait la position de Solvay.
[37] Le 10 octobre 2007, le BMBL a informé Me Nador que ni elle ni les avocats de Solvay ne l’avaient convaincu que le SPDN en question visait une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal d’AndroGel — la testostérone.
[38] Anne Bowes, directrice associée du BMBL, a examiné les observations faites par Me Nador et par le conseiller juridique. Elle s’est dite d’avis que la réponse du BMBL, en date du 11 juin 2007, ne soulevait pas un nouveau motif de refus — l’absence, dans le brevet '895, d’une revendication relative à l’utilisation modifiée alléguée. Le BMBL a toutefois répondu aux observations de Solvay selon lesquelles le brevet '895 revendiquait l’utilisation modifiée, c’est‑à‑dire : a) l’utilisation de la testostérone pour traiter la dysfonction érectile et b) l’utilisation prolongée de la testostérone au regard de la présentation en vue de la nouvelle utilisation dans le traitement de la dysfonction érectile.
[39] Anne Bowes a ensuite écrit :
[traduction] Après avoir examiné vos observations du 20 juillet et du 3 août 2007, le BMBL demeure d’avis que le brevet '895 ne reflète pas le lien voulu entre le SPDN 097485 et le brevet '895. Comme il est mentionné plus bas, le brevet '895 ne contient aucune revendication concernant l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal, l’utilisation prolongée et l’innocuité relative d’ANDROGEL, comme l’exige l’alinéa 4(3)c) du Règlement AC. [Non souligné dans l’original.]
[40] Mme Bowes a ensuite analysé les observations de Solvay concernant le traitement de la dysfonction érectile et a confirmé l’opinion du BMBL selon laquelle le SPDN en question [traduction] « porte sur une mise à jour de la monographie d’ANDROGEL fondée sur les résultats d’une étude de prolongation à long terme », ajoutant que [traduction] « l’utilisation approuvée d’ANDROGEL demeure inchangée à la suite du SPDN 097485 ». Elle a ensuite fait référence à des extraits pertinents de la page 3 relatifs aux indications médicales d’AndroGel et de la page 13 de cette même monographie de produit concernant les symptômes, notamment la dysfonction érectile, associés à l’hypogonadisme chez l’homme. Elle a ensuite conclu :
[traduction] La modification précitée de la description des symptômes de l’hypogonadisme chez l’homme ne correspond pas à des modifications de l’utilisation d’ANDROGEL. Les utilisations de ce médicament sont les mêmes que celles qui avaient été approuvées dans le cadre de la PDN 068080 pour laquelle un avis de conformité a été délivré le 6 février 2002. Puisque la demande de brevet '895 a été déposée le 29 août 2001 et que la PDN 068080 l’a été le 28 août 2000, l’adjonction du brevet '895 au registre des brevets est inadmissible conformément au paragraphe 4(6) du Règlement AC. Les modifications introduites dans le SPDN 097485 ne correspondent pas aux modifications de l’utilisation de l’ingrédient médicinal prévues au paragraphe 4(3) du Règlement AC. L’avis de conformité constitue plutôt une mise à jour de la monographie de produit pour le traitement de symptômes liés à des utilisations connues de la testostérone. [Non souligné dans l’original.]
[41] Anne Bowes a ensuite abordé la question des [traduction] « traitements de longue durée et des traitements chroniques ». Elle a renvoyé à la lettre de Solvay datant du 20 juillet 2007 qui mentionnait plusieurs revendications figurant dans le brevet '895, [traduction] « se rapportant selon vous à l’utilisation sûre et prolongée de la testostérone » et à l’ajout, dans la monographie de produit d’AndroGel, de l’énoncé suivant : « Des tendances analogues ont été observées chez les patients ayant fait l’objet d’un suivi sur une période allant jusqu’à trois ans. » Anne Bowes a ensuite écrit :
[traduction] L’ajout de cette phrase ne reflète pas une nouvelle utilisation d’ANDROGEL. Par ailleurs, si cet ajout reflétait une nouvelle utilisation, le BMBL ne serait pas en mesure de conclure que le brevet '895 contient une revendication relative à cette utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal qui a été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du SPDN 097485. Les revendications du brevet '895 relatives à l’obtention d’un « taux hormonal constant », à une utilisation « sans limite maximale » et à « un traitement chronique » doivent être lues à la lumière de la divulgation du brevet '895. Ladite divulgation ne prévoit pas de durée de trois ans dans la mesure où les études qui y sont mentionnées se limitent à une durée de 180 jours. [Non souligné dans l’original.]
[42] Mme Bowes a conclu sa lettre en renvoyant à la décision dans Abbott/Prevacid de la Cour fédérale. Elle a fait remarquer que le SPDN se rapportait dans cette affaire à une nouvelle utilisation, contrairement à la présente espèce, et qu’il s’agissait en plus d’un appel sur la question de savoir si le brevet dans Abbott/Prevacid contenait une revendication de l’utilisation modifiée.
[43] Comme nous le verrons, la Cour d’appel fédérale a rendu son arrêt dans l’affaire Abbott/Prevacid le 25 juillet 2008 [2008 CAF 244]. Le juge Pelletier, s’exprimant au nom de la Cour, a estimé que la référence aux « ulcères » dans le brevet ne suffisait pas pour appuyer l’argument selon lequel il visait la nouvelle utilisation approuvée pour les « ulcères associés aux AINS ».
Analyse
a) La norme de contrôle
[44] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a réformé l’analyse de la norme de contrôle qui était appliquée jusqu’alors. Elle a notamment ramené de trois à deux les normes de contrôle en ne retenant désormais que la norme de la décision correcte et celle de la décision raisonnable.
[45] La Cour suprême a également dit, aux paragraphes 57 et 62, qu’« [i]l n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle », ce qui sera le cas lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».
[46] L’affaire la plus récente portant sur la norme de contrôle applicable à la décision prise par le ministre au sujet des conditions d’admissibilité à l’inscription au registre prévues à l’article 4 [mod. par DORS/2006-242, art. 2, erratum Gaz. C. 2006.II.1874(A)] du Règlement AC, dans sa version modifiée du 5 octobre 2006, est l’arrêt Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, [2009] 3 R.C.F. 547 (Abbott/ Meridia), prononcé le 17 novembre 2008. Les motifs du jugement ont été rédigés par la juge Sharlow, qui a rejeté l’appel de la décision de mon collègue le juge Hughes, publiée à 2008 CF 700, qui avait décidé que le médicament Meridia d’Abbott n’était pas admissible à l’inscription au registre, parce qu’il ne satisfaisait pas aux conditions d’admissibilité énoncées au paragraphe 4(1) et à l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, qui prévoient que le brevet inscrit sur la liste de brevets en rapport avec une PDN est admissible à l’adjonction au registre si ce brevet contient :
4. (2) […]
d) une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation. [Non souligné dans l’original.]
[47] Le juge Hughes a expliqué, au paragraphe 4 de ses motifs, que pour décider si, aux termes de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, un brevet devrait être ajouté à un avis de conformité existant, le ministre doit répondre aux trois questions suivantes :
1. Quelle est l’utilisation revendiquée par le brevet?
2. Quelle est l’utilisation approuvée par l’avis de conformité existant?
3. L’utilisation revendiquée par le brevet est-elle celle qui a été approuvée par l’avis de conformité existant?
[48] Dans l’affaire dont il était saisi, le ministre avait décidé que l’utilisation revendiquée par le brevet n’était pas celle qui était approuvée par l’avis de conformité existant et qu’en conséquence, le brevet ne pouvait être inscrit au registre relativement à cet avis de conformité. Plus précisément, le ministre a estimé que l’utilisation approuvée de Meridia, indiquée dans la monographie de produit du médicament, était une utilisation comme agent anorexigène/anti-obésité. On y indiquait que Meridia était approuvé comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de prise en charge du poids chez les patients obèses. Meridia n’était pas indiqué pour le traitement de l’hypertension, du diabète de type 2, de la dyslipidémie et de la masse grasse viscérale. En revanche, le brevet en cause revendiquait l’utilisation de l’ingrédient médicinal (sibutramine) pour améliorer la tolérance au glucose chez les sujets atteints de pré-diabète de type 2 ou de diabète de type 2. Le ministre a conclu que les revendications du brevet en cause ne visaient pas le traitement de l’obésité. Dans cette affaire, le BMBL a conclu que les utilisations revendiquées dans le brevet n’avaient pas été approuvées par l’avis de conformité pour Meridia.
[49] S’agissant de la norme de contrôle, voici ce que le juge Hughes a conclu, citant les propos de la juge Gauthier dans la décision G.D. Searle & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 437, [2009] 2 R.C.F. 293 :
1. L’interprétation des revendications de brevet est une question de droit qui est assujettie à la norme de la décision correcte.
2. Les utilisations approuvées dans un avis de conformité existant sont des questions de fait dont le contrôle judiciaire se fait selon la norme de la décision raisonnable; il faut faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard de la décision du ministre.
3. La question de savoir de quelle manière les utilisations revendiquées dans le brevet se comparent à celles qui sont approuvées par l’avis de conformité aux fins de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC est une question mixte de fait et de droit qui appelle un degré élevé de retenue à l’égard de la décision du ministre.
[50] On trouve l’analyse de la juge Sharlow au sujet de la norme de contrôle applicable aux paragraphes 26 à 34 de ses motifs. Elle a convenu que la réponse à la question « Quelle est l’utilisation revendiquée par le brevet? » est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.
[51] Elle a également convenu que la norme de la décision raisonnable était celle qui s’appliquait à la question : « Quelle est l’utilisation approuvée par l’avis de conformité existant? » Elle est toutefois arrivée à cette conclusion par un raisonnement différent. Elle a écrit ce qui suit au paragraphe 31 :
La décision relative à l’utilisation approuvée d’une drogue requiert l’interprétation de l’avis de conformité et de la monographie du produit. Généralement, l’interprétation d’un document qui définit des droits et obligations juridiques est une question de droit, et pour cette raison, on peut soutenir que l’interprétation d’une monographie de produit constitue une question de droit et non une question de fait, comme l’a conclu le juge Hughes. Malgré tout, il s’agit d’un exercice d’interprétation qui doit nécessairement reposer sur une expertise particulière en matière d’innocuité et d’efficacité de médicaments. Le ministre est plus compétent en ce domaine que ne l’est la Cour. De plus, cet exercice donne lieu à une conclusion qui s’attache à une affaire donnée et non pas à un principe d’application générale. M’appuyant sur ces considérations, je conclus que le contrôle judiciaire de la décision du ministre d’accepter ou non un brevet à l’inscription devrait être fait selon la norme du caractère raisonnable, même s’il s’agit d’une question de droit. [Non souligné dans l’original.]
[52] Elle a également confirmé que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à la question suivante : « L’utilisation revendiquée par le brevet est-elle celle qui a été approuvée par l’avis de conformité existant? » La juge Sharlow a conclu [au paragraphe 33] qu’il s’agissait d’une question mixte de fait et de droit en ce sens qu’« il s’agit d’appliquer le droit aux faits ». Elle s’est aussi dite d’avis que les éléments factuels de cette question devaient être examinés selon la norme de la raisonnabilité, mais que l’élément juridique de cette question, en l’occurrence le sens de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, devait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.
[53] Elle a résumé comme suit son opinion au paragraphe 34 de ses motifs :
En résumé, la décision du ministre de ne pas inscrire le brevet '620 doit être maintenue, à moins qu’elle ne soit fondée sur une interprétation erronée de la revendication 6 du brevet '620, sur une interprétation erronée de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, sur une conclusion déraisonnable relativement à l’utilisation approuvée de Meridia, ou sur une conclusion déraisonnable quant à savoir si l’utilisation du sibutramine revendiquée par le brevet '620 constitue une utilisation approuvée de Meridia.
[54] Appliquant l’arrêt Abbott/Meridia à l’application du paragraphe 4(3) du Règlement AC dans la présente affaire, je conclus :
1) L’interprétation du Règlement AC et l’interprétation du brevet '895 sont des questions de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.
2) Les utilisations de l’ingrédient médicinal revendiqué par le SPDN de Solvay et l’approbation subséquente dans l’avis de conformité sont des questions de fait susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et la décision du ministre sur la question commande un degré élevé de retenue.
3) La question de l’utilisation revendiquée dans le brevet '895 et de l’utilisation modifiée prévue dans le SPDN et approuvée par l’avis de conformité est une question mixte de fait et de droit dont la composante factuelle est assujettie à la norme de la décision raisonnable et dont l’élément juridique devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.
b) Analyse
1) L’arrêt Abbott/Prevacid de la Cour d’appel fédérale
[55] L’avocat du ministre a attiré l’attention de la Cour sur une autre affaire Abbott que la Cour d’appel fédérale a récemment tranchée, Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général), le 25 juillet 2008, 2008 CAF 244 (Abbott/Prevacid). Il a soutenu que cette décision réglait le sort de l’affaire dont je suis saisi parce qu’elle portait sur l’alinéa même qui m’est soumis, à savoir l’alinéa 4(3)c) du Règlement AC.
[56] Sous la plume du juge Pelletier, la Cour d’appel fédérale a infirmé la décision de la Cour fédérale, publiée sous la référence 2007 CF 797, que Solvay citait dans sa lettre du 3 août 2007 à M. Lee. Il importe de signaler que, dans l’affaire Abbott/Prevacid, le ministre et Abbott avaient convenu, devant le juge de première instance, qu’Abbott satisfaisait au premier volet du critère d’admissibilité prévu à l’alinéa 4(3)c) du Règlement AC, à savoir qu’Abbott avait démontré dans son SPDN qu’une modification avait été apportée à l’utilisation de l’ingrédient médicinal parce qu’il visait une nouvelle indication du Prevacid, soit la cicatrisation et la prévention des ulcères gastriques liés à des anti-inflammatoires non stéroïdiens.
[57] Dans l’affaire Abbott/Prevacid, la Cour d’appel fédérale s’est donc surtout attardée au second élément dont il faut tenir compte pour rendre une décision en vertu de cet alinéa, soit la question de savoir si le brevet en litige contient une revendication pour l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal. Le ministre avait jugé que le brevet ne contenait pas cette revendication et avait par conséquent radié le brevet du registre. Le juge de première instance avait conclu que le ministre avait commis une erreur en supprimant le brevet du registre mais, comme nous l’avons signalé, la Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision.
[58] Dans l’affaire Abbott/Prevacid tout comme dans le cas qui nous occupe, la PDN à l’égard de laquelle l’avis de conformité avait été délivré autorisait la commercialisation du Prevacid précédant le dépôt du brevet pertinent : 1) le 12 mai 1995, le ministre avait délivré un avis de conformité à l’égard de la drogue Prevacid pour son utilisation dans le traitement des ulcères duodénaux, des ulcères gastriques et de l’œsophagite peptique; 2) le 13 novembre 1997, une demande a été déposée au Bureau canadien des brevets pour le brevet pertinent, le brevet '053, qui n’a été délivré que le 18 juillet 2006; et 3) le 2 avril 2000, Abbott a déposé un SPDN tendant à obtenir l’homologation d’une nouvelle indication du Prevacid, soit la cicatrisation et la prévention des ulcères gastriques liés à des anti-inflammatoires non stéroïdiens.
[59] Dans l’affaire Abbott/Prevacid, c’était la première fois que la Cour d’appel fédérale était appelée à examiner les modifications qui sont entrées en vigueur le 5 octobre 2006. Le juge Pelletier a formulé deux observations sur la raison pour laquelle ces modifications avaient été apportées.
[60] Il a d’abord expliqué [au paragraphe 45] que la nouvelle rédaction qui avait donné à l’article 4 sa forme actuelle se voulait une réponse à un « débat continuel sur la “pertinence” des brevets par rapport aux présentations à l’égard desquelles les fabricants de drogues les inscrivaient sur leurs listes et en demandaient l’adjonction au registre », citant l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 24, [2003] 3 C.F. 140 [Eli Lilly], dans lequel la Cour d’appel fédérale avait annulé la décision du ministre de supprimer le brevet '969 du registre. Le juge Pelletier écrit ce qui suit aux paragraphes 46 et 47 :
On a mis fin à cette controverse en édictant des modifications qui spécifiaient les caractéristiques des brevets qu’il était permis d’inscrire à l’égard de catégories déterminées de SPDN. Ainsi, le Règlement dispose maintenant, à son alinéa 4(3)b), que, lorsqu’un fabricant a présenté un SPDN à l’égard d’une nouvelle forme posologique, tout brevet dont il demande l’adjonction relativement à cette présentation doit contenir « une revendication de la forme posologique modifiée ». Le SPDN en question dans la présente espèce se rattache à une nouvelle indication d’une drogue existante, soit le PREVACID. En effet, cette drogue a été approuvée à l’origine pour utilisation dans le traitement [traduction] « des ulcères duodénaux, des ulcères gastriques et de l’œsophagite peptique », et ledit SPDN revendique, comme nouvelle indication pour le PREVACID, [traduction] « la cicatrisation et la diminution de l’incidence des ulcères gastriques liés à des AINS ». Or l’alinéa 4(3)c) du Règlement dispose que tout brevet dont on demande l’adjonction au registre des brevets au titre de cette présentation doit contenir « une revendication de l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal ».
Il va sans dire que si le brevet doit contenir une revendication de l’utilisation modifiée que revendique le SPDN d’Abbott, il ne suffit pas que ce brevet revendique simplement l’utilisation qui formait la base de la première présentation. Un tel brevet ne revendique pas explicitement l’utilisation modifiée, même si celle‑ci peut être considérée comme comprise dans ses revendications. Autrement dit, le Règlement prévoit, comme condition à l’inscription d’un brevet à l’égard d’une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, que ce brevet revendique explicitement l’utilisation modifiée et non qu’il contienne simplement des revendications non explicites assez larges pour englober l’utilisation modifiée. [Non souligné dans l’original.]
[61] Il s’est ensuite dit d’avis [au paragraphe 48] que « [c]’est cette distinction entre les revendications étroitement déterminées ou explicites et les revendications larges ou non explicites qui a suscité dans la jurisprudence la discussion sur la nature de l’invention brevetée », citant l’arrêt Wyeth Canada c. ratiopharm inc., 2007 CAF 264, [2008] 1 R.C.F. 447 (Wyeth), au paragraphe 29. Il a poursuivi en écrivant : « Cette discussion se trouve maintenant dépassée par les modifications du Règlement ». Par souci de commodité, je reproduis les paragraphes 29 et 30 des motifs de la juge Sharlow dans l’arrêt Wyeth :
Le présent appel porte sur la régularité d’une inscription de brevet. La partie de l’arrêt AstraZeneca la plus pertinente pour cette question est celle où la Cour suprême explique que l’inscription d’un brevet sur la base d’un SPDN est subordonnée à l’existence d’un lien entre le changement faisant l’objet de ce SPDN, l’AC délivré en réponse à ce dernier et le brevet qu’on veut faire inscrire. Je souscris sur ce point aux conclusions du juge de première instance (voir le paragraphe 22 de son exposé des motifs).
Je pense aussi comme le juge de première instance que l’arrêt AstraZeneca infirme en partie le raisonnement sur lequel se fonde l’arrêt de notre Cour dans Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 3 C.F. 140 (C.A.). La partie de ce raisonnement qu’AstraZeneca rend caduque est l’idée qu’un brevet portant une revendication pour le médicament contenu dans une drogue est en général inscrit au titre de cette drogue plutôt qu’au titre d’un AC déterminé délivré en réponse à la PDN ou au SPDN qui fonde l’inscription de ce brevet.
[62] Dans l’affaire Wyeth, le juge de première instance était le juge Hughes et le paragraphe des motifs de ce dernier que la juge Sharlow a approuvé était le paragraphe 22 de la décision, publiée sous la référence 2007 CF 340, que je reproduis aussi par souci d’exhaustivité :
Les arrêts AstraZeneca et Biolyse permettent de constater que ce que le ministre doit faire, en vertu du paragraphe 3(1) de la version du Règlement en vigueur avant le 5 octobre 2006, pour décider si un brevet doit être inscrit à l’égard d’un avis de conformité donné, c’est examiner l’« invention brevetée » et déterminer s’il existe avec celle-ci un « lien » qui fait en sorte qu’il est « pertinent » à l’avis de conformité à l’égard duquel il est demandé que le brevet soit inscrit au registre ou, s’il est déjà inscrit, qu’il en soit rayé.
[63] Le juge Pelletier a formulé ses conclusions aux paragraphes 49 et 50 de ses motifs :
Même si l’on était tenté de prendre en considération la nature de l’invention, la difficulté est que le texte du Règlement ne parle que d’« une revendication de l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal ». Je conclus que l’alinéa 4(3)c) du Règlement pose comme condition de l’adjonction d’un brevet au registre l’obligation pour ce brevet de revendiquer expressément la modification précise de l’utilisation que le ministre a approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard d’un SPDN.
En conséquence, j’estime que la juge Simpson a commis une erreur en acceptant les opinions d’expert produites devant elle comme preuve que le brevet '053 contenait une revendication de l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal du PREVACID. Ces déclarations d’experts établissaient seulement que le brevet '053 aurait été admissible à l’inscription au titre de la première présentation relative au PREVACID, n’eût été l’antériorité de la date de cette présentation par rapport à la date de la demande dudit brevet. Permettre l’adjonction au registre du brevet '053 au titre d’un SPDN portant sur une utilisation modifiée qui ne faisait pas l’objet d’une revendication explicite ou étroitement déterminée irait à l’encontre de la réforme que les modifications du Règlement visent à opérer. Pour ce motif, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais la décision de la Cour fédérale et je rejetterais avec dépens la demande de contrôle judiciaire des intimées.
2) Principes d’interprétation des lois
[64] Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, la Cour suprême du Canada a tranché la question de l’approche à adopter en matière d’interprétation des lois. Elle a expliqué qu’il s’agissait essentiellement de rechercher la volonté du législateur. Sous la plume du juge Iacobucci, la Cour écrit ce qui suit, au paragraphe 21 des motifs :
Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution: il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
[65] Dans le cas qui nous occupe, il existe trois outils qui peuvent nous aider à découvrir l’intention qui a motivé les modifications apportées au Règlement AC le 5 octobre 2006 : 1) une discussion dans la jurisprudence au sujet de la situation que l’on cherchait à corriger en modifiant le règlement. Dans l’arrêt Abbott/Prevacid, le juge Pelletier discute, comme nous l’avons déjà vu, des incidences de la jurisprudence antérieure et des problèmes que l’on tentait de résoudre en modifiant le règlement; 2) une comparaison entre le régime prévu par les anciennes dispositions et celui que l’on trouve dans les nouvelles dispositions; 3) l’éclairage que le REIR jette sur la question. Le REIR est fort détaillé, aborde la jurisprudence antérieure et évoque les intentions qui ont motivé les modifications en date du 5 octobre 2006.
[66] Lorsqu’on compare le régime d’inscription des brevets actuel avec celui qui existait depuis 1999 en vertu du DORS/99-379 [Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)], force est de constater que les dispositions du 5 octobre 2006 ont apporté des changements en profondeur en ce qui concerne l’admissibilité à l’inscription des brevets au registre. Je reproduis en annexe aux présents motifs l’ancien régime et le nouveau régime que l’on trouve dans chaque cas à l’article 4 du règlement applicable. Il est évident que le régime actuel est beaucoup plus précis lorsqu’il s’agit de définir les critères d’admissibilité d’inscription des brevets au registre en vertu du Règlement AC.
[67] Au sujet du REIR, voici les propos qu’a tenus la juge Sharlow, au paragraphe 54 de l’arrêt Abbott/ Meridia, pour aider à mieux comprendre les modifications apportées le 5 octobre 2006 au Règlement AC :
Selon la lecture que j’en fais, l’alinéa 4(2)d) nous demande de déterminer si la revendication 6 du brevet '620 porte sur une utilisation de la sibutramine qui est une utilisation approuvée de « Meridia ». Ce n’est pas par hasard que nous sommes appelés à statuer sur cette question; en effet, la version actuelle de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC vise à contourner l’interprétation large accordée à la disposition générale à laquelle elle a été substituée (à comparer avec les paragraphes 34 et 35 de Eli Lilly, précité, et le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/2006-242, Gaz. C. 2006.II.1510, à la page 1514). Accepter l’approche plus globale de la contrefaçon proposée par Abbott comme étant une façon acceptable d’interpréter l’alinéa 4(2)d) serait incompatible avec le libellé actuel de cette disposition ou avec l’objet pour lequel elle a été adoptée. [Non souligné dans l’original.]
[68] La juge Sharlow semble souscrire au principe que l’on trouve dans la jurisprudence suivant lequel le REIR indique l’objet et l’intention du gouvernement en édictant des règlements, dont le Règlement AC (voir les paragraphes 68 à 74 des motifs du juge Isaac dans l’arrêt Eli Lilly, précité).
[69] Pour ce qui est du REIR qui nous intéresse, voici ce qu’on y lit, dès le premier paragraphe : « Ces modifications ont pour objectif de rétablir la politique équilibrée qui sous-tend le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (« règlement de liaison ») en réaffirmant les règles régissant l’inscription de brevets au registre et en éclaircissant les circonstances où ceux-ci doivent être respectés ». Sous la rubrique Les exigences relatives à l’inscription des brevets, le REIR explique, à la page 1511, que le Règlement AC « se veut un mécanisme très puissant dans l’application des droits conférés par un brevet », citant la suspension automatique de 24 mois prévue par le règlement lorsqu’un innovateur introduit une demande d’interdiction, ajoutant que « c’est ce même pouvoir qui doit être modéré dans l’application du règlement » de sorte que « [s]euls les brevets respectant les exigences énoncées à l’article 4 du règlement relatives au délai, à l’objet et à la pertinence, peuvent être inscrits au registre […] et bénéficier de la protection correspondante de la suspension de 24 mois ».
[70] On trouve un peu partout dans le REIR des exemples de problèmes découlant, selon le gouvernement, de la jurisprudence portant sur l’interprétation du Règlement AC. Je cite quelques exemples :
• Le fait que, dans sa rédaction antérieure, le règlement donnait l’impression que la date de dépôt du brevet devait précéder celle de la demande d’avis de conformité sans préciser si cette exigence s’appliquait à la date de la PDN ou d’un SPDN subséquent, d’autant plus que la Cour avait décidé, dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2001] A.C.F. no 143 (C.A.) (QL) [confirmant [1999] A.C.F. no 458 (1re inst.) (QL)], que des SPDN déposés subséquemment pouvaient rétablir des brevets n’ayant pas été déposés dans les délais prescrits à l’égard de la PDN, faisant observer qu’un SPDN [à la page 1513 du REIR] « peut être pratiquement déposé en tout temps et pour toutes sortes de raisons, qu’elles soient banales, telle une modification du nom de la drogue, ou majeures, tel un changement de ses indications ou de sa formulation ».
• La Cour fédérale a expressément approuvé, dans cette même décision, l’inscription de brevets relatifs à une nouvelle formulation [à la page 1513 du REIR] « ne revendiquant pas le produit spécifique que l’innovateur est autorisé à vendre », expliquant que l’arrêt Eli Lilly, publié sous la référence 2003 CAF 24, [2003] 3 C.F. 140, [à la page 1514 du REIR] « constituait un précédent [dans lequel la Cour avait] réaffirmé le droit des innovateurs d’inscrire des brevets relatifs à la formulation ne revendiquant pas la même formulation approuvée pour la vente ».
[71] À la page 1514, le REIR fait état de la crainte du gouvernement « que les décisions susmentionnées n’aient ensemble pour effet d’affaiblir les exigences relatives à l’inscription au point de les rendre redondantes », citant à l’appui deux arrêts de la Cour d’appel fédérale : Ferring Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 274 et Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CAF 140, [2006] 1 R.C.F. 141, dans lesquels la Cour avait refusé qu’un brevet soit inscrit à l’égard d’un SPDN pour un changement du lieu de fabrication au motif que ces changements ne pouvaient s’avérer pertinents à aucune revendication de contrefaçon de brevet portant sur une drogue et se situaient donc en dehors de la portée de l’article 4.
[72] Le REIR fait état de l’avis du gouvernement que, pour corriger la situation, il valait mieux de modifier le règlement plutôt que de procéder au cas par cas devant les tribunaux. Voici ce que le REIR explique aux pages 1514 et 1515 :
Jusqu’à présent, ces conséquences comprennent la possibilité qu’un innovateur retarde l’entrée de produits génériques sur le marché en inscrivant des nouveaux brevets parfois non pertinents se fondant sur des changements mineurs apportés au produit. Par suite de cette mesure, les différences entre le produit original approuvé au moyen de la PDN et la version « modifiée » décrite dans le SPDN pourraient devenir floues au point d’empêcher les fabricants de produits génériques de lancer une version concurrente du produit original sur le marché même lorsque les brevets originaux sont expirés depuis longtemps ou ont été traités par le fabricant de produits génériques.
[73] On trouve, à la page 1515 du REIR, les explications suivantes au sujet de l’objet des modifications :
Les modifications ont pour objectif principal d’empêcher tout comportement similaire à l’avenir en rétablissant l’objectif stratégique initial du règlement de liaison. Il s’agit donc de réaffirmer les exigences auxquelles doivent satisfaire les innovateurs pour inscrire des brevets au registre et de préciser les circonstances dans lesquelles ces brevets doivent être respectés par leurs concurrents génériques. En outre, un certain nombre de modifications complémentaires sont en cours en vue de limiter les litiges inutiles et d’accroître l’efficacité globale du régime. Ces modifications ont été formulées en réponse aux préoccupations exprimées par des intervenants à la suite de la publication au préalable d’une série de modifications antérieures dans la Gazette du Canada Partie I le 11 décembre 2004.
[74] Suivant le REIR, pour pouvoir bénéficier de la protection conférée par le règlement, un brevet doit être [à la page 1515] « pertinent par rapport à la drogue pour laquelle l’innovateur a obtenu l’approbation de vente » (non souligné dans l’original) et [à la page 1516] « le ministre, à cette fin, ne peut être appelé qu’à évaluer le rapport entre le brevet et la drogue décrite dans la demande d’avis de conformité de l’innovateur ». Le REIR poursuit en expliquant que « [l]es modifications mettent ce fait en évidence en enracinant davantage le concept de la spécificité des produits en tant que principale considération exigée du ministre dans l’application des exigences relatives à l’inscription, prévues à l’article 4 […] Les modifications utilisent un libellé plus précis quant au lien entre l’objet d’un brevet inscrit sur une liste et le contenu de la demande d’avis de conformité à l’égard duquel elle est soumise. De plus, en vertu des modifications, une nouvelle liste de brevets ne peut être soumise que dans le cas de certains types de demandes bien précis » (non souligné dans l’original).
[75] Le document poursuit en expliquant que, selon les modifications, ne peuvent être ajoutés au registre que les brevets déposés avant la PDN qui renferment au moins l’une des quatre revendications énumérées, l’une de celles‑ci étant « une revendication de l’utilisation approuvée de l’ingrédient médicinal ».
[76] Le document explique ensuite plus en détail certaines des nouvelles définitions prévues par le règlement modifié et indique ce qui suit, à la page 1517, au sujet de la définition de l’expression « revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal » :
Bien que la définition du terme « revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal » visée par ces changements est la même que la définition actuelle du terme « revendication de l’utilisation du médicament », il y a lieu d’apporter des éclaircissements au sujet de l’intention sous-jacente de cet aspect du règlement de liaison. On reconnaît que les termes réglementaires employés dans le contexte de la santé et de la sécurité pour décrire l’utilisation pour laquelle un ingrédient médicinal dans un médicament est destinée vont parfois à l’encontre de la façon dont sont rédigées les revendications dans les différents types de brevets communément appelés « brevets d’utilisation » existant dans le domaine pharmaceutique. À titre d’exemples, mentionnons les revendications relatives à des trousses, celles dites de « type suisse » et celles à l’égard des schémas posologiques. Toutefois, l’effet combiné de cette définition dans ce contexte et de l’exigence selon laquelle l’utilisation revendiquée doit être décrite dans la PND devrait limiter l’admissibilité des « brevets d’utilisation » à ceux contenant une revendication pour une utilisation approuvée de l’ingrédient médicinal, pour une indication approuvée. Ce lien devrait être apparent en comparant les revendications du brevet avec les sections pertinentes de la monographie du produit et de l’étiquetage du médicament approuvé.
[77] Le REIR conclut sur la question des liens entre le brevet à inscrire au registre et l’avis de conformité qui doit être présenté en expliquant [à la page 1518] que « les modifications relatives à l’article 4 confirment formellement le droit d’inscrire de nouveaux brevets en se fondant sur des dépôts de SPDN et instaurent des exigences régissant ce droit ». À ce propos, le REIR précise ce qui suit [à la page 1518] :
Selon ces exigences, un brevet ayant une date de dépôt antérieure au dépôt d’un SPDN peut être soumis à l’égard de ce SPDN à condition que ce dernier ait pour objet l’approbation d’un changement relatif à l’utilisation de l’ingrédient médicinal (c.-à-d. un nouveau mode d’utilisation ou une nouvelle indication), d’un changement relatif à la formulation ou d’un changement relatif à la forme posologique et que le brevet comporte une revendication relative à la formulation, à la forme posologique ou à l’utilisation ainsi modifiée. Ces exigences auront pour effet de protéger et d’encourager l’innovation progressive légitime et substantielle ayant une application thérapeutique directe. Les nouveaux brevets revendiquant de nouvelles formes physiques de l’ingrédient médicinal approuvé ne pourront être inscrits suivant ces modalités.
c) Conclusions
[78] La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. La preuve dont je dispose appuie les conclusions du ministre suivant lesquelles Solvay n’a pas satisfait aux exigences prévues par le Règlement AC pour pouvoir inscrire le brevet '895 au registre par la preuve que : 1) le SPDN représente un changement dans l’utilisation de l’ingrédient médicinal d’AndroGel, à savoir la testostérone; 2) le brevet '895 revendique une limite en ce qui concerne la durée de l’utilisation d’AndroGel, qui était le principal fondement sur lequel le SPDN auquel se rapporte l’avis de conformité de 2006 a été soumis.
[79] La preuve versée au dossier m’a convaincu que le SPDN qui a été déposé le 11 mars 2005 ne représente pas un changement dans l’utilisation de l’ingrédient médicinal d’AndroGel, à savoir la testostérone sous forme de gel topique. Il est de jurisprudence constante qu’une « modification de l’utilisation » au sens où cette expression est employée au paragraphe 4(3) du Règlement AC se mesure en fonction de l’utilisation approuvée dans la monographie de produit d’AndroGel qui a été homologuée par Santé Canada, et qui est décrite dans la section Indications et usage clinique de la monographie de produit. Or, AndroGel est indiqué comme thérapie de remplacement chez les sujets masculins dans les cas de pathologies associées à une déficience de testostérone. Aucune modification aux indications et à l’usage clinique de la monographie de produit d’AndroGel de Solvay n’a été effectuée par suite de l’avis de conformité de 2006.
[80] L’avocat de Solvay cite l’avis de M. Gibson suivant lequel les modifications proposées à la monographie de produit d’AndroGel auraient à être faites sous forme de SPDN pour indiquer une modification de l’utilisation qui satisferait aux exigences du paragraphe 4(3). Cet argument doit être rejeté pour deux raisons. Premièrement, cet avis a été donné en 2004, avant que le paragraphe 4(3) ne soit modifié, en octobre 2006. Deuxièmement, l’avis en question ne portait que sur la forme que revêtirait l’approbation des mises à jour de la monographie de produit. L’avis n’était pas censé se prononcer sur la nature de ces modifications.
[81] Je passe au second argument avancé par l’avocat de Solvay, qui soutient qu’il y a eu un affrontement entre les experts du BMOSR de Santé Canada et ceux du BMBL. Je ne puis accepter cet argument. Le BMBL a des compétences spécialisées en ce qui a trait à l’application du Règlement AC et il coordonne les vues de Santé Canada dans certains cas précis. En 2007, lorsque la question de l’AndroGel était à l’ordre du jour, le BMBL a cherché à obtenir l’avis d’experts du BMOSR, qui ont expliqué qu’[traduction] « il ne semble pas que cette présentation ait eu pour effet de modifier les indications pour ce produit ».
[82] Il est évident que Solvay ne satisfait pas à la seconde condition voulant que le brevet '895 revendique l’utilisation modifiée. Je suis disposé à accepter l’affidavit de M. Morales parce que, dans l’ensemble, il ne renferme pas des éléments de preuve nouveaux et importants n’ayant pas été portés à la connaissance du ministre. En revanche, il renferme des éléments de preuve démontrant nettement que les revendications du brevet '895 ne comportent aucune limite en ce qui concerne la durée de l’utilisation. Ainsi que l’avocat du ministre l’a expliqué, le brevet '895 ne porte pas sur la question de la durée du traitement à la testostérone.
[83] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens, lesquels seront taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV [du tarif B (mod. par DORS/2004-283, art. 31 et 32) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod., idem, art. 2)].
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens, lesquels seront taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV.