[2012] 3 R.C.F. 136
2010 CF 1233
T-1552-08
La Georgia Strait Alliance, le Sierra Club du Canada, la Fondation David Suzuki, Dogwood Initiative, Environmental Defence Canada, Greenpeace Canada, le Fonds international pour la protection des animaux, la Raincoast Conservation Society, et le Western Canada Wilderness Committee (demandeurs)
c.
Le ministre des Pêches et des Océans (défendeur)
T-541-09
La Fondation David Suzuki, Dogwood Initiative, Environmental Defence Canada, Greenpeace Canada, le Fonds international pour la protection des animaux, la Raincoast Conservation Society, le Sierra Club du Canada, et le Western Canada Wilderness Committee (demandeurs)
c.
Le ministre des Pêches et des Océans, le ministre de l’Environnement (défendeurs)
Répertorié : Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans)
Cour fédérale, juge Russell—Vancouver, 14 juin; Ottawa, 7 décembre 2010.
* Note de l’arrêtiste : La présente décision a été infirmée en partie en appel (A‑2‑11, 2012 CAF 40). Les motifs du jugement, qui ont été prononcés le 9 février 2012, seront publiés dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.
Environnement — Contrôles judiciaires de décisions ayant trait aux obligations que l’art. 58 de la Loi sur les espèces en péril (la LEP) imposent aux défendeurs, à savoir la protection juridique de l’habitat essentiel de deux populations d’épaulards — La première demande conteste la déclaration du ministre des Pêches et des Océans, intitulée Épaulards (Orcinus orca) résidents du nord et du sud du Canada : Énoncé sur la protection de l’habitat critique (l’Énoncé sur la protection), qui a été publiée conformément à l’art. 58(5)b) de la LEP — La seconde demande conteste l’arrêté de protection pris conjointement par le ministre des Pêches et des Océans et le ministre de l’Environnement (les ministres ou les défendeurs), en vue de limiter la portée de l’Arrêté visant les habitats essentiels des populations de l’épaulard (Orcinus orca) résidentes du sud et du nord du Pacifique Nord-Est (l’Arrêté de protection) pris en vertu de l’art. 58(5)a) de la LEP — Les épaulards résidents du nord et du sud sont considérés comme étant en péril — Le ministre des Pêches et des Océans a commis une erreur de droit en établissant une déclaration de protection fondée sur des politiques et d’autres instruments non réglementaires, des lois prospectives et des pouvoirs discrétionnaires ministériels afin de protéger légalement l’habitat essentiel — La protection relative à la destruction de l’habitat essentiel que prévoit l’art. 58(1) de la LEP ne s’applique que dans le cas où un ministre compétent prend un arrêté de protection en vertu de l’art. 58(4) — Un ministre compétent n’a pas le pouvoir discrétionnaire de se fonder sur une disposition d’une autre loi fédérale, sauf si cette loi procure un degré de protection légale de l’habitat essentiel qui est égal à celui que l’on offrirait par l’entremise des art. 58(1) et (4) de la LEP — Les dispositions citées dans l’Énoncé sur la protection ne protègent pas légalement l’habitat essentiel contre sa destruction, parce que la protection étant discrétionnaire, elle n’est ni impérative, ni exécutoire — L’Énoncé sur la protection est illégal en l’espèce, car il ne protégeait légalement que certains éléments de l’habitat essentiel et ne permettait pas d’éviter les menaces les plus sérieuses pour celui-ci — En ce qui a trait à l’Arrêté de protection, les ministres ont agi de manière illégale en limitant son application à des zones géophysiques, plutôt que de protéger tous les éléments de l’habitat essentiel — Par conséquent, l’Arrêté de protection est inexact et illégal, parce que les défendeurs ont omis de répondre à une obligation que leur imposait la LEP — Demandes accueillies.
Interprétation des lois — L’article 58 de la Loi sur les espèces en péril (la LEP) impose aux demandeurs une obligation de protéger légalement l’habitat de deux populations d’épaulards — Le sens d’arrêté de protection, tel que décrit l’art. 58(5)b) de la LEP a été examiné et interprété — L’emploi du mot « légalement » pour modifier le mot « protégés » dans l’art. 58(5)a), de pair avec la référence faite aux « dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, ou une mesure prise sous leur régime », confirme que les dispositions citées dans une déclaration de protection doivent être des dispositions légales ou réglementaires — Une déclaration de protection est censée citer les dispositions d’une loi fédérale ou une disposition établie sous le régime d’une telle loi, et non les dispositions de lois provinciales ou de règlements municipaux — Une déclaration de protection doit énoncer de quelle façon l’habitat essentiel ou des parties de celui-ci « sont » légalement protégés, et non la façon dont l’habitat essentiel pourrait être, ou sera, légalement protégé.
Pratique — Caractère théorique — Demandeur contestant la déclaration du ministre des Pêches et des Océans intitulée Épaulards (Orcinus orca) résidents du nord et du sud du Canada : Énoncé sur la protection de l’habitat critique (l’Énoncé sur la protection), qui a été publiée en vertu de l’art. 58(5)b) de la Loi sur les espèces en péril (la LEP) — L’Énoncé sur la protection a subséquemment été remplacé par l’Arrêté de protection — Bien que la demande relative à l’Énoncé sur la protection en question soit théorique, les demandeurs ont établi que la Cour fédérale doit néanmoins entendre et trancher les points de désaccord fondamentaux entre les parties au sujet des éléments sur lesquels on peut se fonder de manière légale dans une déclaration de protection, ainsi que la question de savoir si, en l’espèce, l’Énoncé sur la protection était illégal parce qu’il omettait de fournir les mesures de protection que, d’après la LEP, les ministres sont tenus de prendre à l’égard des épaulards résidents.
Il s’agissait de deux demandes de contrôle judiciaire jointes qui avaient trait aux obligations qu’impose l’article 58 de la Loi sur les espèces en péril (la LEP) aux défendeurs, à savoir la protection juridique de l’habitat essentiel de deux populations d’épaulards.
La première demande (la demande relative à la déclaration de protection) contestait une déclaration (appelée parfois aussi « énoncé ») du ministre des Pêches et des Océans intitulée Épaulards (Orcinus orca) résidents du nord et du sud du Canada : Énoncé sur la protection de l’habitat critique (l’Énoncé sur la protection), qui a été publiée en vertu de l’alinéa 58(5)b) de la LEP en septembre 2008. Plus précisément, elle contestait la décision du ministre de publier l’Énoncé sur la protection. La seconde demande (la demande relative à l’arrêté de protection) contestait un arrêté pris en février 2009 par le ministre des Pêches et des Océans et par le ministre de l’Environnement (les ministres ou les défendeurs) en vue de limiter la portée de l’Arrêté visant les habitats essentiels des populations de l’épaulard (Orcinus orca) résidentes du sud et du nord du Pacifique Nord-Est (l’Arrêté de protection) pris en vertu de l’alinéa 58(5)a) de la LEP. Plus précisément, elle contestait la décision qu’ont prise les ministres de limiter la portée de l’Arrêté de protection de façon à ce qu’il ne s’applique qu’à des zones géospatiales ou à des caractéristiques géophysiques de l’habitat essentiel, et non aux éléments biologiques de cet habitat.
Deux populations distinctes d’épaulards, soit celle des résidents du nord et celle des résidents du sud, sont considérées comme étant en péril (appelées conjointement les épaulards résidents). L’épaulard résident du sud est une « espèce en voie de disparition », selon la définition prévue au paragraphe 2(1) de la LEP, alors que l’épaulard résident du nord est une « espèce menacée », selon la définition prévue au paragraphe 2(1) de la LEP. Le ministère des Pêches et des Océans (le MPO) a publié l’Énoncé sur la protection (qui assure une protection indirecte en vertu d’autres lois fédérales), qui aurait effectué une distinction entre l’obligation qu’a le MPO de protéger légalement les caractéristiques géophysiques de l’habitat essentiel et le pouvoir discrétionnaire qu’a le MPO de [traduction] « gérer et atténuer » les menaces qui pèsent sur les caractéristiques biologiques et les autres éléments écosystémiques. Le MPO s’est par la suite ravisé et a remplacé l’Énoncé sur la protection par un arrêté de protection (qui assure une protection directe sous le régime de la LEP). Les défendeurs ont déposé une requête en vue d’obtenir que la demande relative à l’Énoncé sur la protection soit rejetée du fait de son caractère théorique, mais la requête a été rejetée.
Les questions principales étaient de savoir si la Cour fédérale devait entendre la demande relative à la déclaration de protection qui est de nature théorique; si le ministre des Pêches et des Océans a commis une erreur en établissant une déclaration de protection qui se fonde sur des politiques et d’autres textes non réglementaires, des dispositions légales prospectives et des pouvoirs discrétionnaires ministériels pour assurer une protection légale à l’habitat essentiel des épaulards, et si les ministres ont commis une erreur en limitant l’application de l’Arrêté de protection à la zone géophysique, à l’exclusion des autres éléments de l’habitat essentiel.
Jugement : les demandes doivent être accueillies.
Bien que la demande relative à la déclaration de protection soit théorique, les demandeurs ont établi que la Cour fédérale doit néanmoins entendre et trancher les points de désaccord fondamentaux entre les parties au sujet des éléments sur lesquels on peut se fonder de manière légale dans une déclaration de protection, ainsi que la question de savoir si, en l’espèce, l’Énoncé sur la protection était illégal parce qu’il omettait de fournir les mesures de protection que, d’après la LEP, les ministres sont tenus de prendre à l’égard des épaulards résidents.
Le ministre des Pêches et des Océans a commis une erreur de droit en établissant une déclaration de protection qui était fondée sur des politiques et d’autres instruments non réglementaires, des lois prospectives et des pouvoirs discrétionnaires ministériels afin de protéger légalement l’habitat essentiel des épaulards résidents. La protection relative à la destruction de l’habitat essentiel, que prévoit le paragraphe 58(1) de la LEP, ne s’applique que dans le cas où un ministre compétent prend un arrêté de protection en vertu du paragraphe 58(4). Par ailleurs, un ministre compétent n’a pas le pouvoir discrétionnaire de se fonder sur une disposition d’une autre loi fédérale, sauf si cette loi procure un degré de protection légale de l’habitat essentiel qui est égal à celui que l’on offrirait par l’entremise des paragraphes 58(1) et (4). Si une disposition citée dans une déclaration de protection ne protège pas légalement l’habitat essentiel jusqu’à un point qui équivaut à la protection que prévoient le paragraphe 58(1) et d’autres dispositions de la LEP, cela signifie que le ministre doit prendre un arrêté de protection. Selon le paragraphe 58(5) de la LEP, le ministre est tenu de s’assurer, soit au moyen d’un arrêté de protection, soit au moyen d’une déclaration de protection, que l’habitat essentiel est « légalement protégé ».
L’emploi du mot « légalement » pour modifier le mot « protégés » dans l’alinéa 58(5)b), de pair avec la référence faite dans l’alinéa 58(5)a) aux « dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, ou une mesure prise sous leur régime », confirme qu’une disposition citée dans une déclaration de protection doit être une disposition légale ou réglementaire, par opposition à une politique ou à une directive. Il est clair aussi qu’une déclaration de protection est censée citer les dispositions d’une loi fédérale ou une disposition établie sous le régime d’une telle loi, par opposition aux dispositions de lois provinciales ou de règlements municipaux. Une déclaration de protection doit énoncer de quelle façon l’habitat essentiel ou des parties de celui-ci « sont » légalement protégés — et non la façon dont l’habitat essentiel pourrait être, ou sera, légalement protégé. Sous le régime de la LEP, une déclaration de protection tient lieu de substitut à un arrêté de protection. Les dispositions que l’on cite dans une déclaration de protection visent à assurer, pour l’habitat essentiel, la même protection que celle qu’assure un arrêté de protection. L’Énoncé sur la protection dont il est question dans la présente demande citait des textes non réglementaires, lesquels sont des politiques, et non pas des lois qui protègent légalement l’habitat essentiel de sa destruction. De plus, une déclaration de protection ne peut citer et invoquer des lois prospectives ou celles qui exigent la prise d’une mesure ultérieure pour engager ou déclencher une protection légale. En l’espèce, l’Énoncé sur la protection se fondait de manière illégale sur des mesures réglementaires hypothétiques ou futures pour protéger l’habitat essentiel. Les dispositions citées dans l’Énoncé sur la protection conféraient un pouvoir discrétionnaire, vaste et non structuré, d’autoriser à mener des activités préjudiciables, dont celles qui détruiraient l’habitat essentiel. Ce pouvoir discrétionnaire ne protège pas légalement l’habitat essentiel contre sa destruction, parce que la protection étant discrétionnaire, elle n’est ni impérative, ni exécutoire.
Bien que la Loi sur les pêches et ses règlements aient été cités dans l’Énoncé sur la protection, censément pour protéger l’habitat essentiel des épaulards contre de nombreuses menaces, le régime réglementaire que prévoit la Loi sur les pêches accorde nettement plus de pouvoirs discrétionnaires que la LEP. À défaut d’un règlement précis qui protégerait l’habitat essentiel, le régime de la Loi sur les pêches ne peut remplacer légalement un arrêté pris en vertu du paragraphe 58(4) de la LEP. De plus, les lois provinciales ne protègent pas légalement l’habitat essentiel au sens de l’article 58 de la LEP, et il était illégal que le ministre ait cité des lois provinciales dans l’Énoncé sur la protection. L’Énoncé sur la protection était de plus illégal, car il était destiné à ne protéger légalement que certains éléments de l’habitat essentiel et ne permettait pas d’éviter les menaces les plus sérieuses pour l’habitat essentiel, telles que la réduction de la disponibilité de proies et la contamination toxique.
L’énoncé du droit des demandeurs et leurs conclusions concernant l’Arrêté de protection et son application à tous les éléments de l’habitat essentiel étaient exacts. Malgré les changements de position du MPO depuis la prise initiale de l’Arrêté de protection, les ministres ont agi de manière illégale en limitant la portée de l’Arrêté de protection pris en vertu du paragraphe 58(4) de la LEP. L’Arrêté de protection était — et est — inexact et illégal parce que, en limitant son application à des zones géophysiques, les défendeurs ont omis de répondre à une obligation que leur imposait la loi, la LEP en l’occurrence. La manière dont les demandeurs interprètent l’obligation qu’impose la LEP aux ministres à l’égard de la protection de tous les éléments de l’habitat essentiel des épaulards résidents était pleinement étayée par le libellé clair de l’article 58 lu dans le contexte entier de la LEP, par la version bilingue de cette disposition ainsi que par la décision rendue par la Cour dans l’affaire Environmental Defence Canada c. Canada (Pêches et Océans).
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Arrêté visant les habitats essentiels des populations de l’épaulard (Orcinus orca) résidentes du sud et du nord du Pacifique Nord-Est, DORS/2009-68.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Ecological Reserve Act, R.S.B.C. 1996, ch. 103.
Endangered Species Act of 1973, 16 U.S.C. §§ 1531 à 1544 (2006).
Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33.
Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5].
Loi sur le vérificateur général, L.R.C. (1985), ch. A-17.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18(1)a) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), (3) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1(3) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).
Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29, art. 2(1) « COSEPAC », « espèce en voie de disparition », « espèce menacée », « habitat essentiel », 11, 41 (mod. par L.C. 2005, ch. 2, art. 21), 42, 56, 57, 58, 63, 73 (mod. par L.C. 2005, ch. 2, art. 23), 74, 120.
Loi sur les océans, L.C. 1996, ch. 31, art. 31, 32, 35, 36.
Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 7, 35, 36, 43 (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 12).
Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S-22, art. 2(1) « règlement ».
Projet de loi C-5, Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada, 1re sess., 37e lég., 2001 (1re lecture, 2 février 2001).
Règlement de 1996 de pêche sportive de la Colombie-Britannique, DORS/96-137.
Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53, art. 22 (mod. par DORS/93-333, art. 4).
Règlement de pêche du Pacifique (1993), DORS/93-54.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 317 (mod. par DORS/2002-417, art. 19; 2006-219, art. 11(F)).
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992, [1993] R.T. Can. no 24.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.‑B. (2e) 1; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Commission des droits de la personne c. Procureur général du Canada et autre, [1982] 1 R.C.S. 215; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Doucet-Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3.
décisions examinées :
Environmental Defence Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2009 CF 878; Ahousaht Indian Band and Nation v. Canada (Attorney General), 2009 BCSC 1494, [2010] 1 C.N.L.R. 1; Greater Yellowstone Coalition, Inc. v. Servheen, 672 F.Supp.2d 1105 (D. Mont. 2009); Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1998] 2 C.F. 548 (C.A.); R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217; Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1997] A.C.F. no 347 (1re inst.) (QL); Sinclair c. Québec (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 579; Dixon c. Canada (Gouverneur en conseil), [1997] 3 C.F. 169 (C.A.); Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49; Ecology Action Centre Society c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1087.
décisions citées :
Alberta Wilderness Association c. Canada (Environnement), 2009 CF 710; Arsenault c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 300; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Glowinski c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 78; Maystar General Contractors Inc. v. International Union of Painters and Allied Trades, Local 1819, 2008 ONCA 265, 90 O.R. (3d) 451, 292 D.L.R. (4th) 554, 69 Admin. L.R. (4th) 271; Amax Potash Ltd. et al. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576; ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Gaudes c. Canada (Procureur général), 2005 CF 351; Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190, 17 Admin. L.R. (2d) 243, 67 F.T.R. 98 (C.F. 1re inst.); Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; R. v. Richards, [1991] B.C.J. no 4101 (C.P.) (QL).
DOCTRINE CITÉE
Boyd, David R. Unnatural Law: Rethinking Canadian Environmental Law and Policy. Vancouver : UBC Press, 2003.
Collins Robert French Dictionary, 7e éd. New York : HarperCollins, 2005, « élément ».
Épaulards (Orcinus orca) residents du nord et du sud du Canada : Énoncé sur la protection de l’habitat critique, en ligne : Registre public des espèces en péril , <http://www.registrelep-sararegistry.gc.ca/virtual_sara/files/ch_killer_Whale_0908_f.pdf>
Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, 10e éd. Springfield, Mass. : Merriam‑Webster, 1998, « component ».
Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Dictionnaires Le Robert, 2002, « élément ».
Politiques de la Loi sur les espèces en péril : Séries de politiques et de lignes directrices : Ébauche, en ligne : <http://publications.gc.ca/collections/collection_2009/ec/En4-113-2009-fra.pdf>.
Programme de rétablissement de l’épaulard (Orcinus orca), populations résidents du nord et du sud des eaux du Pacifique au Canada [Projet], juin 2007, en ligne : <http://www.sararegistry.gc.ca/virtual_sara/files/plans/rs_Resident_Killer_Whale%20_0607_f.pdf>.
Programme de rétablissement des épaulards résidents (Orcinus orca) du nord et du sud au Canada, mars 2008, en ligne : <http://publications.gc.ca/collections/collection_2008/ec/En3-4-46-2007F.pdf>.
Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/2009-68, Gaz. C. 2009.II.338.
Robert & Collins dictionnaire français-anglais, anglais-français senior, 4e éd. Paris : Dictionnaires Le Robert, 1995, « élément ».
Walton, Janice H. Blakes’ Canadian Law of Endangered Species. Toronto : Carswell, 2007.
DEMANDES de contrôle judiciaire ayant trait à l’obligation qu’impose l’article 58 de la Loi sur les espèces en péril aux demandeurs, à savoir la protection juridique de l’habitat essentiel de deux populations d’épaulards. Demandes accueillies.
ONT COMPARU
Margot Venton et Keith Ferguson pour les demandeurs.
Donnaree Nygard et Lisa S. Riddle pour les défendeurs.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Ecojustice Canada, Vancouver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Table des matières
Paragraphe
Le contexte |
3 |
L’historique des procédures judiciaires et les parties en cause |
3 |
Les épaulards résidents du nord et du sud |
9 |
Les plans d’inscription et de rétablissement concernant les épaulards résidents |
13 |
Le Programme de rétablissement désigne l’habitat essentiel |
27 |
180 jours plus tard, le MPO est tenu de protéger l’habitat essentiel |
31 |
Les demandes de contrôle judiciaire |
37 |
La réunion des demandes |
46 |
Les questions en litige |
49 |
La norme de contrôle applicable |
51 |
Les arguments des demandeurs au sujet de la norme de contrôle applicable |
52 |
Les arguments des défendeurs au sujet de la norme de contrôle applicable |
57 |
La norme de contrôle applicable |
58 |
Les arguments des parties |
61 |
Les demandeurs |
61 |
La Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la première demande de nature théorique |
61 |
L’audition d’une demande de nature théorique |
64 |
L’obligation des ministres |
69 |
Le Programme de rétablissement |
70 |
L’Énoncé sur la protection |
72 |
L’Énoncé sur la protection est illégal |
72 |
La Loi sur les pêches |
82 |
La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale |
86 |
Les lois provinciales ne sont pas des lois fédérales |
87 |
L’Énoncé sur la protection ne protège pas tous les éléments |
88 |
L’Arrêté de protection |
91 |
L’interprétation de l’article 58 |
93 |
L’interprétation bilingue |
93 |
La décision Environmental Defence |
102 |
La limitation illégale de la portée de l’Arrêté de protection |
105 |
Les défendeurs |
113 |
La Cour ne devrait pas exercer sa compétence |
114 |
L’Énoncé sur la protection |
120 |
La demande relative à l’arrêté de protection est mal fondée |
129 |
Les intentions futures |
138 |
L’absence de compétence |
142 |
Des observations irrégulières |
145 |
La réponse des demandeurs |
146 |
Analyse |
154 |
Introduction générale |
154 |
La demande relative à l’arrêté de protection |
163 |
Les motifs des défendeurs |
166 |
La demande est mal fondée |
167 |
L’Arrêté ne peut pas être contesté |
171 |
L’Arrêté ne peut pas être plus que ce qu’il est |
185 |
Une tentative pour contrôler d’hypothétiques intentions futures |
189 |
Les demandeurs ne peuvent pas obtenir le jugement déclaratoire sollicité |
203 |
La demande relative à la déclaration de protection |
236 |
La Cour devrait-elle l’instruire? |
236 |
Le contexte contradictoire |
241 |
L’économie des ressources judiciaires |
246 |
Le bien-fondé de la demande relative à la déclaration de protection |
253 |
L’Énoncé sur la protection |
254 |
Le désaccord entre les parties |
258 |
Les exigences légales d’une déclaration de protection |
291 |
L’interprétation fondée sur le sens ordinaire de l’alinéa 58(5)b) |
293 |
Le rôle d’une déclaration de protection sous le régime de la LEP |
296 |
L’intention du Parlement — la protection de l’habitat doit être impérative et sérieuse |
299 |
L’Énoncé sur la protection inclut de manière illégale des textes non réglementaires |
300 |
L’Énoncé sur la protection cite de manière illégale d’éventuelles dispositions futures |
305 |
L’Énoncé sur la protection se fonde illégalement sur le pouvoir discrétionnaire ministériel |
312 |
La Loi sur les pêches et ses règlements |
315 |
La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale |
334 |
Les lois provinciales ne sont pas des lois fédérales |
335 |
L’Énoncé sur la protection ne dit pas de quelle façon tous les éléments de l’habitat essentiel sont légalement protégés |
337 |
Conclusions |
340 |
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Russell : Sont en litige deux demandes de contrôle judiciaire jointes, qui visent à contester des décisions connexes. La première de ces demandes (la demande relative à la déclaration de protection) conteste une déclaration (appelée parfois aussi « énoncé ») du ministre des Pêches et des Océans intitulé Épaulards (Orcinus orca) résidents du nord et du sud du Canada : Énoncé sur la protection de l’habitat critique (l’Énoncé sur la protection), qui a été publiée en vertu de l’alinéa 58(5)b) de la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29 (la LEP ou la Loi), le 10 septembre 2008.
[2] La seconde demande (la demande relative à l’arrêté de protection) conteste un arrêté pris en février 2009 par le ministre des Pêches et des Océans et le ministre de l’Environnement (les ministres) en vue de limiter la portée de l’Arrêté visant les habitats essentiels des populations de l’épaulard (Orcinus orca) résidentes du sud et du nord du Pacifique Nord-Est [DORS/2009-68] (l’Arrêté de protection) pris en vertu de l’alinéa 58(5)a) de la LEP.
L’historique des procédures judiciaires et les parties en cause
[3] Les deux demandes de contrôle judiciaire jointes dont il est question en l’espèce ont trait aux obligations qu’impose l’article 58 de la LEP aux défendeurs, à savoir la protection juridique de l’habitat essentiel de deux populations d’épaulards.
[4] La première demande conteste la décision du ministre des Pêches et des Océans, prise en date du 10 septembre 2008, de publier l’Énoncé sur la protection en vertu de l’alinéa 58(5)b) de la LEP.
[5] La seconde demande conteste la décision, datée de février 2009 et prise conjointement par le ministre des Pêches et des Océans et le ministre de l’Environnement, de prendre l’Arrêté de protection en vertu des paragraphes 58(4) et (5) de la LEP. Plus précisément, elle conteste la décision qu’ont prise les défendeurs de limiter la portée de l’Arrêté de protection de façon à ce qu’il ne s’applique qu’à des zones géospatiales ou à des caractéristiques géophysiques de l’habitat essentiel.
[6] Les neuf demandeurs sont des organismes à vocation environnementale et à but non lucratif d’un peu partout au Canada. Ils ont chacun un intérêt véritable à l’égard de la survie et du rétablissement des épaulards résidents, ainsi que de l’interprétation et de l’application de la LEP. Les défendeurs ne contestent pas la qualité qu’ont les demandeurs pour agir dans l’intérêt public devant la Cour.
[7] Le premier des défendeurs, le ministre des Pêches et des Océans, est tenue de protéger l’habitat essentiel de n’importe quelle espèce aquatique, dont l’épaulard résident.
[8] Le second défendeur, le ministre de l’Environnement, en sa qualité de ministre chargé de l’Agence Parcs Canada, est tenu de protéger les habitats essentiels sur les terres fédérales qu’administre Parcs Canada, dont de petites parties chevauchent l’habitat essentiel des épaulards résidents qui est en litige en l’espèce.
Les épaulards résidents du nord et du sud
[9] Deux populations distinctes d’épaulards, les résidents du nord et les résidents du sud (appelés conjointement dans la présente les « épaulards résidents »), occupent les eaux situées au large de la Colombie-Britannique.
[10] L’épaulard résident du sud est une espèce en voie de disparition. Le paragraphe 2(1) de la LEP définit une « espèce en voie de disparition » comme étant une « Espèce sauvage qui, de façon imminente, risque de disparaître du pays ou de la planète. »
[11] L’épaulard résident du nord est une espèce menacée. Le paragraphe 2(1) de la LEP définit une « espèce menacée » comme étant une « Espèce sauvage susceptible de devenir une espèce en voie de disparition si rien n’est fait pour contrer les facteurs menaçant de la faire disparaître. »
[12] Les populations d’épaulards résidents sont considérées comme étant en péril à cause de la faiblesse de leur nombre et de leur taux de reproduction, ainsi que de leur exposition à diverses menaces d’origine humaine (ou anthropiques), tant pour les épaulards que pour leur habitat. Ces menaces risquent de faire obstacle à leur rétablissement ou d’aggraver la réduction de leur population. Au nombre de ces menaces anthropiques figurent principalement la réduction de la disponibilité du saumon-proie (c.-à-d. leur nourriture), la contamination de l’environnement et les perturbations physiques et acoustiques.
Les plans d’inscription et de rétablissement concernant les épaulards résidents
[13] La LEP prescrit un processus dans le cadre duquel les espèces en péril sont inscrites et jouissent d’une protection juridique, l’objectif étant d’assurer le rétablissement de ces espèces jusqu’à ce qu’elles atteignent un niveau de population sain. Pour atteindre cet objectif, un programme de rétablissement est établi et mis en œuvre pour chaque espèce inscrite en tant qu’espèce en voie de disparition ou menacée. Un élément fondamental du processus de rétablissement est la désignation et la protection de l’habitat essentiel de l’espèce.
[14] Conformément aux délais impératifs que prévoit le paragraphe 42(2) de la LEP, le ministère des Pêches et des Océans (le MPO) était tenu d’inclure dans le registre un projet de programme de rétablissement concernant les épaulards résidents au plus tard le 5 juin 2006. Le registre de la LEP est établi en vertu de l’article 120 en vue de faciliter l’accès aux documents traitant de questions régies par la Loi.
[15] En 2004, le MPO a mis sur pied l’Équipe de rétablissement des épaulards résidents (l’Équipe de rétablissement). Cette Équipe, formée d’éminents experts, à titre indépendant ou représentant le gouvernement, a été chargée de créer un programme de rétablissement pour les épaulards résidents, en application de la LEP.
[16] Au cours de l’année qui a suivi, les membres de l’Équipe de rétablissement se sont rencontrés à intervalles périodiques pour mettre au point le programme de rétablissement. L’Équipe a été chargée de déterminer l’habitat essentiel des épaulards résidents, ainsi que de trouver des exemples d’activités susceptibles de détruire cet habitat.
[17] Lors de réunions et dans le cadre de communications électroniques, l’Équipe de rétablissement a discuté des caractéristiques biologiques et écosystémiques de l’habitat essentiel. Les discussions portant sur les caractéristiques biologiques de cet habitat ont été axées sur l’association entre l’abondance du saumon et l’utilisation que font les épaulards résidents d’une zone, de même que sur les qualités acoustiques et environnementales de l’habitat essentiel.
[18] La première ébauche du programme de rétablissement a été terminée le 15 mars 2005. L’habitat essentiel y était décrit, tout comme les menaces pour les caractéristiques « abiotiques » (c.-à-d. géophysiques) et « biotiques » (c.-à-d. biologiques).
[19] À la suite d’un long processus d’examen et de rétroaction, l’ébauche finale d’un programme de rétablissement a été établie en vue d’être présentée au ministre des Pêches et des Océans de l’époque, le 15 mai 2006 (l’ébauche du programme de rétablissement de mai 2006). Cette ébauche désignait l’habitat essentiel comme étant un ensemble de caractéristiques physiques et biologiques survenant à un emplacement géospatial déterminé. Elle désignait également les éléments qui menaçaient ces caractéristiques.
[20] L’ébauche du programme de rétablissement de mai 2006 n’a jamais été présentée au ministre. Au lieu de cela, en août 2006, l’Équipe de rétablissement a été informée que cette ébauche avait été révisée et que des renseignements désignant l’habitat essentiel avaient été retirés conformément à la politique du MPO.
[21] Cela été suivi d’un long litige entre les membres de l’Équipe de rétablissement et les bureaucrates du MPO. En mars 2007, la section de l’ébauche du programme de rétablissement de mai 2006 qui portait sur l’habitat essentiel a été rétablie.
[22] En mai 2007, le document maintenant rétabli a été de nouveau envoyé en vue d’être examiné par divers organismes gouvernementaux. Lors de cet examen, une autre tentative a été faite, cette fois-ci par le ministère de la Défense nationale, pour réviser la section portant sur l’habitat essentiel. Les révisions proposées avaient trait aux caractéristiques acoustiques de l’habitat essentiel ainsi qu’aux menaces causées à ce dernier par des bruits sous-marins. Les membres de l’Équipe de rétablissement se sont opposés avec succès à un grand nombre des remaniements de texte proposés.
[23] Le 21 juin 2007, en application du paragraphe 42(1) de la LEP, le MPO a affiché dans le registre le Programme de rétablissement de l’épaulard (Orcinus orca), populations résidentes du nord et du sud des eaux du Pacifique au Canada [Projet] (le Projet du programme de rétablissement). Ce dernier était semblable — mais non identique — à l’ébauche du programme de rétablissement de mai 2006.
[24] L’affichage du Projet du programme de rétablissement a été suivi d’une période de commentaires publics qui a pris fin en août 2007. Selon les délais impératifs que prescrit la LEP, le programme de rétablissement définitif concernant les épaulards du nord et du sud aurait dû être terminé 30 jours plus tard, soit le 19 septembre 2007. Au lieu de cela, il a été retardé, les bureaucrates du MPO ayant tenté une fois de plus d’y apporter des révisions.
[25] Au cours de l’automne de 2007, les fonctionnaires du MPO ont apporté d’importantes révisions à la section du Projet du programme de rétablissement qui portait sur l’habitat essentiel. Le MPO a supprimé toutes les références faites à deux menaces pour l’habitat essentiel : la dégradation acoustique et la réduction de la disponibilité du saumon-proie. De plus, des études scientifiques ultérieures sur ces menaces ont été supprimées du projet de « calendrier des études visant à désigner l’habitat essentiel » qu’exige l’alinéa 41(1)c.1).
[26] Les membres de l’Équipe de rétablissement se sont vivement opposés à ces remaniements et ont tenté de régler leurs préoccupations avec le MPO. À un certain moment avant le 14 mars 2008, le MPO a rétabli la plupart des passages retirés où il était affirmé que le bruit et la disponibilité réduite du saumon-proie constituaient une menace pour l’habitat essentiel. Le 14 mars 2008, le MPO a mis le Programme de rétablissement dans le registre [Programme de rétablissement des épaulards résidents (Orcinus orca) du nord et du sud au Canada].
Le Programme de rétablissement désigne l’habitat essentiel
[27] Comme l’exige l’alinéa 41(1)c) de la LEP, la section 3 du Programme de rétablissement désignait l’habitat essentiel des épaulards résidents, les éléments de cet habitat essentiel ainsi que les menaces pour ce dernier.
[28] L’emplacement géospatial de l’habitat essentiel des épaulards résidents est situé sur les cartes des figures 4 et 5, et les coordonnées marines se trouvent à l’annexe B du Programme de rétablissement.
[29] Les éléments de l’habitat essentiel comprennent manifestement la présence et la disponibilité de saumon-proie pour les épaulards résidents.
[30] Les menaces qui pèsent sur l’habitat essentiel (voir la section 3.2) comprennent la disponibilité réduite de proies, la contamination chimique et biologique de même que la dégradation acoustique.
180 jours plus tard, le MPO est tenu de protéger l’habitat essentiel
[31] L’article 58 de la LEP exigeait que, au plus tard le 10 septembre 2008, l’habitat essentiel désigné dans le Programme de rétablissement soit légalement protégé contre toute destruction en vertu du paragraphe 58(5). La protection légale de l’habitat essentiel peut revêtir l’une des deux formes suivantes : une protection directe sous le régime de la LEP ou une protection indirecte sous le régime d’autres lois fédérales.
[32] La protection directe qu’assure la LEP est enclenchée par la prise d’un arrêté de protection en vertu du paragraphe 58(4). Cet arrêté applique l’interdiction de destruction de l’habitat essentiel dont il est question au paragraphe 58(1) aux zones et aux éléments de l’habitat essentiel qui y sont mentionnés. Si l’habitat essentiel n’est pas déjà protégé, un ministre compétent est alors tenu de prendre un arrêté de protection.
[33] La protection indirecte qui est assurée en vertu d’autres lois fédérales est confirmée par une déclaration de protection établie en vertu de l’alinéa 58(5)b) de la LEP. Cette déclaration décrit la façon dont un habitat essentiel est déjà protégé contre sa destruction par des dispositions établies ou des mesures prises en vertu d’autres lois fédérales. Une déclaration de protection cite les autres dispositions légales fédérales qui protègent déjà légalement l’habitat essentiel contre sa destruction.
[34] Le 10 septembre 2008, les bureaucrates du MPO ont transmis au sous-ministre des Pêches et des Océans une note de service expliquant leur recommandation concernant la protection de l’habitat essentiel des épaulards résidents (la note de service sur la déclaration de protection). Cette note de service recommandait que l’on établisse une déclaration de protection. Y était joint un tableau contenant une liste des outils disponibles devant servir à protéger l’habitat essentiel, de même qu’une ébauche de déclaration de protection à faire approuver par le délégué du nouveau ministre.
[35] Les demandeurs affirment que la note de service sur la déclaration de protection, ainsi que les pièces qui y étaient jointes, limitaient l’obligation légale, imposée par l’article 58, de protéger l’habitat essentiel à la protection des [traduction] « caractéristiques géophysiques » de l’habitat essentiel. Ils ajoutent que la note de service sur la déclaration de protection et les pièces qui étaient jointes font systématiquement une distinction de principe, que les demandeurs contestent en l’espèce. Cette distinction est faite entre, d’une part, l’obligation qu’a le MPO de protéger légalement les caractéristiques géophysiques de l’habitat essentiel et, d’autre part, le pouvoir discrétionnaire qu’à le MPO de [traduction] « gérer et atténuer » les éléments biologiques, chimiques et acoustiques de l’habitat essentiel.
[36] Le 10 septembre 2008, la version finale de l’Énoncé sur la protection a été affichée dans le registre de la LEP. Selon les demandeurs, cette déclaration conserve la distinction faite entre l’obligation de protéger légalement les caractéristiques géophysiques de l’habitat essentiel et le pouvoir discrétionnaire de [traduction] « gérer et atténuer » les menaces qui pèsent sur les caractéristiques biologiques et autres éléments écosystémiques.
Les demandes de contrôle judiciaire
[37] Le 8 octobre 2008, une demande de contrôle judiciaire contestant la légalité de l’Énoncé sur la protection a été déposée. Dans la demande T‑1552‑08, les demandeurs ont allégué que le MPO avait commis une erreur de droit et de compétence en établissant une déclaration de protection qui se fonde sur une politique non exécutoire, des dispositions légales prospectives et des pouvoirs discrétionnaires ministériels — des éléments dont aucun ne protège légalement l’habitat essentiel au sens de l’article 58 de la LEP. L’avis de demande a été modifié le 23 janvier 2009.
[38] Au 9 février 2009, le MPO s’était ravisé, recommandant que son ministre remplace l’Énoncé sur la protection par un arrêté de protection sous le régime de la LEP.
[39] Le 13 février 2009, le MPO a sollicité la collaboration du ministre de l’Environnement, en tant que ministre chargé de Parcs Canada, en vue de prendre un arrêté conjoint en vertu des paragraphes 58(4) et (5) de la LEP. Alan Latourelle, directeur général de Parcs Canada, a fait des recommandations au ministre sur l’arrêté de protection envisagé, dans une note de service datée du 13 février 2009 (la note de service de Latourelle). Paraphrasée, cette note de service explique ce qui suit :
1. le MPO fait actuellement l’objet d’une contestation judiciaire devant la Cour fédérale au sujet de l’Énoncé sur la protection. Le MPO encourage Parcs Canada à prendre rapidement un arrêté conjoint avant que le MPO donne suite de quelque manière à la poursuite existante;
2. une nouvelle déclaration de protection de Parcs Canada risquerait d’être contestée pour les mêmes motifs que l’Énoncé sur la protection que le MPO a établi;
3. l’arrêté de protection que propose le MPO ne définit pas quelles activités sont interdites parce qu’elles ont un effet destructeur sur l’habitat essentiel. Il pourrait donc être difficile de faire appliquer l’arrêté que propose le MPO.
[40] La prise d’un arrêté de protection en vertu du paragraphe 58(4) de la LEP comporte habituellement sa publication préalable dans la Partie I de la Gazette du Canada, afin d’allouer un délai de 30 jours pour obtenir des commentaires du public. Cependant, à la recommandation des fonctionnaires du MPO, les ministres ont convenu de renoncer à la tenue d’une consultation publique sur l’Arrêté de protection. Les demandeurs disent donc qu’on les a privés de toute occasion de faire des commentaires sur l’Arrêté de protection avant que l’on y mette la dernière main.
[41] Le 4 mars 2009, l’Arrêté de protection a été publié dans la Partie II de la Gazette du Canada [DORS/2009-68]. Cet Arrêté établit que l’interdiction de destruction de l’habitat essentiel dont il est question au paragraphe 58(1) de la LEP s’applique à l’habitat essentiel des épaulards résidents décrits à l’annexe I. Cette annexe est une liste de coordonnées marines désignant l’emplacement géospatial de l’habitat essentiel.
[42] L’Arrêté de protection a été publié avec un Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR) [Gaz. C. 2009.II.338]. Les demandeurs sont d’avis que le REIR, dont un passage est cité ci-dessous, continue de refléter la distinction que fait le MPO entre ses obligations à l’égard des zones géophysiques et le pouvoir discrétionnaire qu’il a de gérer et d’atténuer les caractéristiques biologiques de l’habitat essentiel [à la page 340] :
Le programme de rétablissement nous présente, dans la section 3, les habitats essentiels comme des zones géophysiques définies où ces populations sont concentrées. De plus, MPO reconnaît que d’autres caractéristiques de cet écosystème, comme l’existence de proies à des fins de fourrage et la qualité de l’environnement, sont importantes pour la survie et le rétablissement des épaulards résidents du nord et du sud.
[43] Le 6 mars 2009, les demandeurs ont écrit au MPO pour faire savoir qu’ils s’inquiétaient sérieusement du fait que l’Arrêté de protection ne protégeait peut-être pas légalement les éléments biologiques de l’habitat essentiel. Ils ont également demandé des éclaircissements sur d’autres questions, dont celle de savoir si le MPO avait abandonné sa position selon laquelle les lois et les politiques énoncées dans l’Énoncé sur la protection [traduction] « protégeaient légalement » l’habitat essentiel des épaulards résidents.
[44] Le 10 mars 2009, le gouvernement du Canada a répondu par l’entremise de ses avocats. Comme l’ont paraphrasé les demandeurs, la réponse a été :
1. le MPO qualifie l’Arrêté de protection de [traduction] « solution de rechange facultative » à l’Énoncé sur la protection, plutôt que de solution de rechange requise en vue de l’illégalité de l’Énoncé sur la protection;
2. le MPO refuse de désavouer son recours à des outils discrétionnaires et de politique générale qui ne protégeraient pas légalement l’habitat essentiel dans les déclarations de protection;
3. le MPO refuse de confirmer que l’Arrêté de protection protège contre toute destruction les caractéristiques biologiques de l’habitat essentiel.
[45] Le 3 avril 2009, les demandeurs ont déposé la seconde demande de contrôle judiciaire à l’encontre du MPO et du ministre de l’Environnement. La demande relative à l’arrêté de protection conteste la pratique qu’a le MPO de limiter l’application et la portée de l’article 58 de la LEP à la protection des zones géospatiales ou des éléments géophysiques de l’habitat essentiel, et elle conteste l’application de cette pratique ou de cette politique à l’Arrêté de protection.
[46] Le 18 mars 2009, les défendeurs ont déposé une requête en vue d’obtenir que la demande relative à la déclaration de protection, dans le dossier no T‑1552‑08, soit rejetée du fait de son caractère théorique.
[47] Le 9 avril 2009, les demandeurs ont déposé une requête visant à faire joindre les deux demandes de contrôle judiciaire.
[48] Par l’ordonnance du juge O’Reilly, la requête des défendeurs en vue de faire rejeter la demande relative à la déclaration de protection du fait de son caractère théorique a été rejetée. La requête des demandeurs en vue de faire joindre les deux demandes en une seule instance a été accordée. Le juge O’Reilly a conclu que la demande relative à la déclaration de protection présentée dans le dossier no T‑1552‑08 était techniquement de nature théorique, mais il a refusé de radier la demande de façon à préserver le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’accorder la réparation sollicitée dans la demande relative à la déclaration de protection.
[49] Les questions que comporte la demande peuvent être résumées comme suit :
1. si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande relative à la déclaration de protection qui est de nature théorique;
2. si le ministre des Pêches et des Océans a commis une erreur en établissant une déclaration de protection qui se fonde sur des politiques et d’autres textes non réglementaires, des dispositions légales prospectives et des pouvoirs discrétionnaires ministériels pour assurer une protection légale à l’habitat essentiel;
3. s’il existe une question justiciable à soumettre à un contrôle dans la demande relative à l’arrêté de protection;
4. si les ministres ont commis une erreur en limitant l’application de l’Arrêté de protection à la zone géophysique, à l’exclusion des autres éléments de l’habitat essentiel.
[50] Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce [le paragraphe 41(4) (mod. par L.C. 2005, ch. 2, art. 21)] :
2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi. [...] |
Définitions |
« COSEPAC » Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, constitué en application de l’article 14. [...] |
« COSEPAC » “COSEWIC” |
41. (1) Si le ministre compétent conclut que le rétablissement de l’espèce sauvage inscrite est réalisable, le programme de rétablissement doit traiter des menaces à la survie de l’espèce — notamment de toute perte de son habitat — précisées par le COSEPAC et doit comporter notamment : a) une description de l’espèce et de ses besoins qui soit compatible avec les renseignements fournis par le COSEPAC; b) une désignation des menaces à la survie de l’espèce et des menaces à son habitat qui soit compatible avec les renseignements fournis par le COSEPAC, et des grandes lignes du plan à suivre pour y faire face; c) la désignation de l’habitat essentiel de l’espèce dans la mesure du possible, en se fondant sur la meilleure information accessible, notamment les informations fournies par le COSEPAC, et des exemples d’activités susceptibles d’entraîner sa destruction; c.1) un calendrier des études visant à désigner l’habitat essentiel lorsque l’information accessible est insuffisante; d) un énoncé des objectifs en matière de population et de dissémination visant à favoriser la survie et le rétablissement de l’espèce, ainsi qu’une description générale des activités de recherche et de gestion nécessaires à l’atteinte de ces objectifs; e) tout autre élément prévu par règlement; f) un énoncé sur l’opportunité de fournir des renseignements supplémentaires concernant l’espèce; g) un exposé de l’échéancier prévu pour l’élaboration d’un ou de plusieurs plans d’action relatifs au programme de rétablissement. |
Rétablissement réalisable |
(2) Si le ministre compétent conclut que le rétablissement de l’espèce sauvage inscrite est irréalisable, le programme de rétablissement doit comporter une description de l’espèce et de ses besoins, dans la mesure du possible, et la désignation de son habitat essentiel, ainsi que les motifs de la conclusion. |
Rétablissement irréalisable |
(3) Pour l’élaboration du programme de rétablissement, le ministre compétent peut, s’il l’estime indiqué, traiter de plusieurs espèces simultanément ou de tout un écosystème. |
Plusieurs espèces ou écosystème |
(4) Sur recommandation faite par le ministre après consultation du ministre responsable de l’Agence Parcs Canada et du ministre des Pêches et des Océans, le gouverneur en conseil peut prévoir par règlement, pour l’application de l’alinéa (1)e), les éléments additionnels à inclure dans un programme de rétablissement. |
Règlement |
42. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le ministre compétent met le projet de programme de rétablissement dans le registre dans l’année suivant l’inscription de l’espèce sauvage comme espèce en voie de disparition ou dans les deux ans suivant l’inscription de telle espèce comme espèce menacée ou disparue du pays. |
Projet de programme de rétablissement |
(2) En ce qui concerne les espèces sauvages inscrites à l’annexe 1 à l’entrée en vigueur de l’article 27, le ministre compétent met le projet de programme de rétablissement dans le registre dans les trois ans suivant cette date dans le cas de l’espèce sauvage inscrite comme espèce en voie de disparition ou dans les quatre ans suivant cette date dans le cas de l’espèce sauvage inscrite comme espèce menacée ou disparue du pays. […] |
Liste des espèces en péril originale |
58. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, il est interdit de détruire un élément de l’habitat essentiel d’une espèce sauvage inscrite comme espèce en voie de disparition ou menacée — ou comme espèce disparue du pays dont un programme de rétablissement a recommandé la réinsertion à l’état sauvage au Canada : a) si l’habitat essentiel se trouve soit sur le territoire domanial, soit dans la zone économique exclusive ou sur le plateau continental du Canada; b) si l’espèce inscrite est une espèce aquatique; c) si l’espèce inscrite est une espèce d’oiseau migrateur protégée par la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. |
Destruction de l’habitat essentiel |
(2) Si l’habitat essentiel ou une partie de celui-ci se trouve dans un parc national du Canada dénommé et décrit à l’annexe 1 de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, une zone de protection marine sous le régime de la Loi sur les océans, un refuge d’oiseaux migrateurs sous le régime de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs ou une réserve nationale de la faune sous le régime de la Loi sur les espèces sauvages du Canada, le ministre compétent est tenu, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel, de publier dans la Gazette du Canada une description de l’habitat essentiel ou de la partie de celui-ci qui se trouve dans le parc, la zone, le refuge ou la réserve. |
Zone de protection |
(3) Le paragraphe (1) s’applique à l’habitat essentiel ou à la partie de celui-ci visés au paragraphe (2) après les quatre-vingt-dix jours suivant la publication de sa description dans la Gazette du Canada en application de ce paragraphe. |
Application |
(4) Le paragraphe (1) s’applique à l’habitat essentiel ou à la partie de celui-ci qui ne se trouve pas dans un lieu visé au paragraphe (2), selon ce que précise un arrêté pris par le ministre compétent. |
Application |
(5) Dans les cent quatre-vingts jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel, le ministre compétent est tenu, après consultation de tout autre ministre compétent, à l’égard de l’habitat essentiel ou de la partie de celui-ci qui ne se trouve pas dans un lieu visé au paragraphe (2) : a) de prendre l’arrêté visé au paragraphe (4), si l’habitat essentiel ou la partie de celui-ci ne sont pas protégés légalement par des dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, ou une mesure prise sous leur régime, notamment les accords conclus au titre de l’article 11; b) s’il ne prend pas l’arrêté, de mettre dans le registre une déclaration énonçant comment l’habitat essentiel ou la partie de celui-ci sont protégés légalement. |
Obligation : arrêté ou déclaration |
LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE
[51] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada conclut qu’il n’est pas nécessaire de procéder systématiquement à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. Si la jurisprudence établit bien la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont le tribunal de contrôle est saisi, c’est cette norme-là que ce dernier peut adopter. Ce n’est que dans les cas où cette recherche est vaine que le tribunal de contrôle doit entreprendre un examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.
Les arguments des demandeurs au sujet de la norme de contrôle applicable
[52] Les demandeurs soutiennent que la décision du MPO de se fonder sur des instruments non réglementaires, tels que des politiques et des pouvoirs discrétionnaires ministériels pour assurer une protection légale, dans l’Énoncé sur la protection est susceptible de contrôle selon la décision correcte. Dans le même ordre d’idées, ils sont d’avis que la décision prise par les ministres de limiter l’Arrêté de protection aux éléments géophysiques de l’habitat essentiel doit être contrôlée selon la décision correcte, car il s’agit d’une erreur d’interprétation. Voir, par exemple, l’arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 124 et 128.
[53] Les demandeurs offrent l’analyse suivante pour déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer, d’après les facteurs énumérés dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Premièrement, la Loi ne comporte aucune clause privative, ce qui montre que le législateur n’entendait pas soustraire au contrôle judiciaire les décisions prises en vertu de la Loi.
[54] Deuxièmement, la Loi a pour objet d’éviter que les espèces en péril disparaissent et de faciliter leur survie, et l’article 58 de la Loi est essentiel à la réalisation des objectifs de cette dernière.
[55] Troisièmement, les questions en litige mettent en cause l’interprétation de textes légaux. Cela étant, ces questions relèvent nettement plus de l’expertise de la Cour que de celle de bureaucrates gouvernementaux. La Loi n’est pas une loi constitutive pour les défendeurs. En outre, le MPO n’a pas consulté les experts de son Équipe de rétablissement à propos de l’Énoncé sur la protection ou de l’Arrêté de protection. Les demandeurs font donc valoir qu’il serait absurde de faire preuve de retenue à l’égard de l’une ou l’autre de ces décisions en se fondant sur le facteur de l’expertise.
[56] Enfin, cette question concerne des questions de droit et de compétence. C’est donc la décision correcte qu’il convient d’appliquer comme norme. Dans des demandes de contrôle judiciaire récemment présentées sous le régime de la Loi, la nature de la question en litige a été un facteur qui a eu un poids considérable pour ce qui est de déterminer la norme de contrôle appropriée. Voir, par exemple, Alberta Wilderness Association c. Canada (Environnement), 2009 CF 710 (Alberta Wilderness Association), aux paragraphes 40 à 46; ainsi qu’Environmental Defence Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2009 CF 878 (Environmental Defence), aux paragraphes 31 et 44. Les demandeurs soutiennent qu’au vu des facteurs qui précèdent, la norme de contrôle appropriée est la décision correcte.
Les arguments des défendeurs au sujet de la norme de contrôle applicable
[57] Les défendeurs soutiennent que, en l’espèce, il n’y a aucune question susceptible de recours judiciaire à soumettre au contrôle de la Cour et que, dans ce contexte, la question de la norme de contrôle ne se pose pas. Cependant, à la suite de l’audition de l’affaire à Vancouver, le 14 juin 2010, la Cour a ordonné aux défendeurs de traiter du bien-fondé de la demande des demandeurs relative à la déclaration de protection. Dans le cadre de leurs observations supplémentaires ultérieures, les défendeurs soutiennent que la norme de contrôle devrait être la raisonnabilité.
La norme de contrôle applicable
[58] Je crois que les demandeurs ont raison en ce qui concerne la norme de contrôle qui s’applique aux questions nos 2 et 4.
[59] La question de savoir si le ministre des Pêches et des Océans a commis une erreur en publiant une déclaration de protection qui repose sur des politiques et d’autres instruments non réglementaires est, essentiellement, une affaire d’interprétation de la Loi. Pour dire les choses plus simplement, si la Cour décide d’exercer sa compétence pour examiner la première demande, de nature théorique, elle se doit d’examiner si ces instruments non réglementaires répondent à l’obligation de protéger légalement l’habitat essentiel, aux termes du paragraphe 58(5) de la Loi. Il s’agit là d’une question d’interprétation de la Loi qu’il convient de contrôler selon la décision correcte. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité.
[60] Je crois que l’interprétation est également le nœud de la question no 4. La décision correcte est donc aussi la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer pour déterminer si les ministres se sont conformés aux exigences légales en prenant l’Arrêté de protection en vertu du paragraphe 58(5) de la Loi.
LES ARGUMENTS DES PARTIES
[61] Les demandeurs sont d’avis que la Cour devrait entendre et trancher toutes les questions de droit qui lui sont soumises, car la clarification judiciaire de l’obligation qu’ont les défendeurs de protéger légalement l’habitat essentiel aura des effets importants pour la survie de toutes les espèces aquatiques en péril.
[62] La première demande soumise à la Cour soulève une question d’interprétation de la Loi : il s’agit de savoir si l’on peut dire que des politiques et des textes de loi prospectifs, d'application facultative ou provinciaux protègent légalement l’habitat essentiel au sens de l’article 58 de la Loi. Cette question n’a pas été tranchée par l’Arrêté de protection que les défendeurs ont pris par la suite. Les demandeurs soutiennent qu’il est nécessaire de trancher cette question et de rendre ensuite un jugement déclaratoire pour se prémunir contre les violations futures de l’article 58 de la LEP.
[63] La conviction inexacte du MPO selon laquelle l’article 58 ne protège que les zones géospatiales de l’habitat essentiel est présente dans les deux demandes et continue de limiter la portée de l’Arrêté de protection. Des faits et des questions de droit semblables sont soulevées dans les deux demandes. Le fait de régler simultanément les deux demandes constituera de ce fait une bonne utilisation des ressources judiciaires.
L’audition d’une demande de nature théorique
[64] L’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 (Borowski), énonce, à la page 353 du recueil, un critère en deux volets qui permet de déterminer s’il convient que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour instruire une affaire de nature théorique :
1. Premièrement, le différend concret et tangible a-t-il disparu et les questions en litige sont-elles devenues purement théoriques (le critère du litige actuel)?
2. Deuxièmement, si la réponse à la première question est affirmative, la Cour doit-elle exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire même si celle-ci est devenue théorique?
Pour rendre sa décision, la Cour doit prendre en considération l’existence d’un débat contradictoire, le souci d’économie des ressources judiciaires et sa propre fonction véritable. Voir l’arrêt Borowski, précité, aux pages 353 et 358 à 363.
[65] En l’espèce, les demandeurs disent que le débat contradictoire est toujours présent car les parties contestent encore la nature et la portée de l’obligation que l’article 58 de la Loi impose aux défendeurs. Il est important que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour trancher cette question parce que, sans cela, cette dernière échapperait au contrôle judiciaire. Les défendeurs ont également tenté de faire radier la demande des demandeurs dans la décision Environmental Defence, précitée, mais dans cette dernière, au paragraphe 2, la Cour a conclu qu’« un examen du processus décisionnel du ministre dans le cadre de la LEP mis en application pour le naseux de Nooksack démontre amplement qu’il était absolument nécessaire de saisir la Cour de la présente demande ».
[66] Dans la présente affaire, toute incertitude juridique aura un prix sur le plan environnemental. Le fait de ne pas examiner en détail la présente instance, qui résulte d'une jonction d'instances, risque d’assurer moins qu’une protection complète de l’habitat essentiel d’espèces vulnérables. En outre, la présente cause aura, comme cause type, des répercussions pour toutes les espèces aquatiques. Les espèces en voie de disparition n’ont pas le temps d’attendre que le MPO [traduction] « fasse bien les choses ». De plus, ce ne sont pas toutes les déclarations de protection qui peuvent être contestées devant un tribunal et, dans ce contexte, d’autres déclarations de protection illégales pourraient facilement échapper à un contrôle judiciaire.
[67] Même si le différend dont il est question dans la demande relative à la déclaration de protection est techniquement théorique, la question qui subsiste relève clairement de la fonction de la Cour. Comme cette demande fait état de faits et de questions qui recoupent ceux dont il est question dans la demande relative à l’arrêté de protection, il est économique de régler les deux demandes ensemble.
[68] Si la demande relative à la déclaration de protection n’est pas réglée, cela pourrait mettre à l’abri de tout contrôle judiciaire l’approche que suit le MPO à l’égard des déclarations de protection. En outre, si la question demeure non réglée, les défendeurs continueront de se fonder sur des politiques et des textes de loi prospectifs et d'application facultatives qui ne protègent pas légalement l’habitat essentiel. On servira manifestement l’intérêt public en formulant des directives judiciaires sur la nature et la portée de l’obligation qu’impose l’article 58 de la Loi aux défendeurs.
[69] Selon les demandeurs, l’article 58 impose aux deux ministres défendeurs l’obligation d’assurer une protection légale contre la destruction de tout élément de l’habitat essentiel d’une espèce. Aux paragraphes 4, 45, 46 et 58 de la décision Environmental Defence, précitée, le juge Campbell a décidé que l’habitat essentiel englobe non seulement une zone géographique définie, mais aussi une série d’éléments essentiels. Les demandeurs soutiennent que, dans le contexte de la Loi, la destruction de l’habitat essentiel inclut la destruction des caractéristiques et des éléments de cet habitat.
Le Programme de rétablissement
[70] La Cour fédérale a conclu qu’il est obligatoire de désigner l’habitat essentiel dans un programme de rétablissement; il incombe au ministre de désigner à la fois l’emplacement et les éléments de l’habitat essentiel. Voir la décision Alberta Wilderness Association, précitée, aux paragraphes 24 et 25, ainsi que la décision Environmental Defence, précitée, au paragraphe 61.
[71] En l’espèce, le Programme de rétablissement précise que l’habitat essentiel englobe les zones situées dans les eaux côtières où se concentrent les épaulards résidents pour se nourrir de saumon. La présence et la disponibilité du saumon sont une caractéristique de cet habitat essentiel. Le Programme de rétablissement énonce également les principales menaces aux éléments de l’habitat essentiel, dont la disponibilité réduite des proies, les contaminants environnementaux ainsi que les perturbations physiques et acoustiques. Il est important que toute mesure prise en vertu de la Loi traite intégralement et convenablement de chacun de ces éléments.
L’Énoncé sur la protection est illégal
[72] Les demandeurs soutiennent que l’Énoncé sur la protection que le ministre des Pêches et des Océans a établi est illégal parce qu’il repose sur des instruments non réglementaires, des lois provinciales, des lois de nature prospective et des lois d'application facultative pour protéger l’habitat essentiel.
[73] Les demandeurs sont d’avis qu’une disposition contenue dans une déclaration de protection publiée en vertu de l’alinéa 58(5)b) doit répondre aux critères suivants :
a. il doit s’agir d’une disposition d'une loi;
b. il doit s’agir d’une loi fédérale (à l’exception des accords de conservation visés à l’article 11);
c. la protection légale sur laquelle on se fonde doit être en vigueur au moment où la déclaration de protection est publiée;
d. comme la protection légale tient lieu de substitut à l’interdiction mentionnée au paragraphe 58(1) de la LEP, il doit s’agir d’une interdiction impérative et exécutoire;
e. les dispositions légales doivent protéger tous les éléments de l’habitat essentiel.
[74] Au sein du régime de la Loi, une déclaration de protection peut tenir lieu de substitut à un arrêté de protection. Cela étant, les dispositions qui sont citées dans une déclaration de protection visent à procurer à un habitat essentiel la même protection que le feraient les dispositions d’un arrêté de protection.
[75] Le Parlement a clairement envisagé que la protection de l’habitat soit une question impérative et sérieuse et n’a pas laissé aux ministres le soin de décider s’il convient de protéger ou non les habitats essentiels. À la première lecture du projet de loi C‑5, l’article 58 était d’une portée plus faible et laissait plus de place au pouvoir discrétionnaire : voir le projet de loi C‑5, intitulé Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada, 1re session, 37e législature (1re lecture, 2 février 2001). Cependant, un certain nombre de parlementaires se sont opposés à ce pouvoir discrétionnaire et ont fait pression pour que la protection de l’habitat essentiel soit impérative. Des amendements ont donc été proposés en vue d’affermir la protection de l’habitat essentiel, et ils se reflètent dans la version actuellement en vigueur de l’article 58.
[76] Pour qu’une déclaration de protection tienne lieu de substitut à la protection légale impérative et exécutoire d’un arrêté de protection, il faut que les dispositions légales qui y sont citées soient elles aussi impératives et exécutoires. Cependant, l’Énoncé sur la protection que le ministre a publié en l’espèce cite de nombreux instruments non réglementaires, dont les suivants :
a. des initiatives en matière de code de conduite et de sensibilisation;
b. des lignes directrices sur l’observation des baleines;
c. un énoncé des pratiques d’atténuation des ondes sismiques en milieu marin;
d. une politique concernant les zones benthiques vulnérables;
e. une politique concernant le saumon sauvage;
f. des plans de gestion intégrée des pêches;
g. des protocoles concernant les sonars militaires.
Ces instruments ne sont pas des lois qui protègent légalement l’habitat essentiel contre sa destruction; il s’agit plutôt de politiques, qui ne peuvent pas lier le ministre et qui n’obligent pas à se comporter d’une certaine façon. Voir Ahousaht Indian Band and Nation v. Canada (Attorney General), 2009 BCSC 1494, [2010] 1 C.N.L.R. 1 (Ahousaht Indian Band), au paragraphe 752; Arsenault c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 300 (Arsenault), aux paragraphes 33, 38 et 43, autorisation d’interjeter appel devant la C.S.C. demandée.
[77] Dans de rares cas, un tribunal donne force de loi à une ligne directrice ou à une politique. Cependant, dans ces cas, c’est la loi habilitante qui prescrit l’établissement de la politique, ce qui en fait une politique impérative. Par ailleurs, il y a une interdiction qui prend effet si l’on ne se conforme pas à cette politique. Voir, par exemple, l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3 (Oldman River), aux pages 33, 35 et 37; ainsi que la décision Glowinski c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 78 (Glowinski), aux paragraphes 40 et 43. Cela n’est pas le cas des politiques énumérées dans l’Énoncé sur la protection qui fait l’objet d’un contrôle en l’espèce. Au moment où l’Énoncé sur la protection a été fait, certaines des politiques qu’il citait n’avaient pas encore été mises au point ou mises en œuvre. De plus, certaines d’entre elles ne s’appliquent tout simplement pas à l’habitat essentiel des épaulards résidents.
[78] Au dire des demandeurs, une déclaration de protection ne peut pas non plus citer des lois de nature prospective, car les dispositions qui se fondent sur l’exercice prospectif de pouvoirs législatifs ne peuvent pas assurer une protection légale avant que ces pouvoirs eux-mêmes soient exercés. Il s’agit là d’une conclusion qu’a confirmée la Cour fédérale des États-Unis dans la décision Greater Yellowstone Coalition, Inc. v. Servheen, 672 F.Supp.2d 1105 (D. Mont. 2009) (Greater Yellowstone Coalition), à la page 1116, et dans laquelle il a été conclu que [traduction] « [l]es promesses d’une intervention hypothétique future ne sont pas des mécanismes réglementaires existants. » En l’espèce, la déclaration de protection se fonde à tort sur des interventions réglementaires hypothétiques ou futures pour protéger l’habitat essentiel en vertu du paragraphe 58(5) de la LEP.
[79] Les dispositions légales citées dans une déclaration de protection doivent être impératives et exécutoires. Même si l’interdiction prononcée au paragraphe 58(1) est déclenchée par un arrêté de protection, c’est le cas aussi des articles 73 [mod. par L.C. 2005, ch. 2, art. 23] et 74, qui restreignent la capacité qu’a le ministre de délivrer un permis touchant un habitat essentiel. En fait, la Loi dispose qu’aucun permis ne peut être délivré qui mettrait en péril la survie et le rétablissement de l’espèce.
[80] De plus, les dispositions citées dans l’Énoncé sur la protection confèrent le pouvoir discrétionnaire vaste et non structuré d’autoriser des activités dommageables, y compris celles qui détruiraient l’habitat essentiel. Une protection discrétionnaire ne protège pas légalement l’habitat essentiel contre sa destruction, car elle n’est ni impérative ni exécutoire.
[81] L’Énoncé sur la protection énumérait également la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14, la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (la LCEE) de même que diverses lois provinciales, qui protègent la population en question. Chacune de ces lois sont analysées comme suit, par les demandeurs.
[82] Selon les demandeurs, une évaluation appropriée de la question de savoir si l’Énoncé sur la protection satisfait à la norme juridique requise en vertu de l’article 58 de la LEP oblige à faire une comparaison entre les dispositions légales que cite l’Énoncé et la protection qu’assure la LEP. Il y a une nette différence, ajoutent-ils, entre la protection juridique que le paragraphe 58(1) de la LEP confère à l’habitat essentiel et le vaste pouvoir discrétionnaire que prévoit la Loi sur les pêches.
[83] La Loi sur les pêches et ses règlements d’application sont conçus pour protéger l’habitat essentiel, mais le régime réglementaire que prévoit la Loi sur les pêches est de nature hautement discrétionnaire. En outre, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas restreint par des politique ou par des plans. Voir, par exemple, l’arrêt Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1998] 2 C.F. 548 (C.A.) (Carpenter Fishing Corp.), aux paragraphes 35 et 37, et la décision Ahousaht Indian Band, précitée, au paragraphe 752.
[84] Les demandeurs attirent l’attention sur les articles 35 et 36 de la Loi sur les pêches, qui confèrent au MPO, pour ce qui est d’autoriser la destruction d’un habitant, un pouvoir discrétionnaire nettement plus vaste que ce que permet la LEP. Voir, par exemple, Janice Walton, Blakes’ Canadian Law of Endangered Species (Toronto : Carswell, 2007), aux pages 2‑31 à 2‑33. En fait, ces deux articles de la Loi sur les pêches n’interdisent que la destruction non autorisée de l’habitat du poisson, tandis que la LEP interdit toute destruction de l’habitat essentiel. Selon les demandeurs :
[traduction] Les dispositions en matière de délivrance de permis de la LEP limitent les activités qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’habitat essentiel et empêchent d’autoriser toute activité qui pourrait mettre en péril la survie et le rétablissement de l’espèce. L’interdiction du paragraphe 58(1) relative à la destruction de l’habitat essentiel s’applique à tous les habitats essentiels et vise n’importe quelle activité qui pourrait les détruire.
[85] Les demandeurs soutiennent que, même s’il est possible de recourir à la Loi sur les pêches pour protéger légalement l’habitat essentiel, aucune mesure de ce genre n’a été prise. Les demandeurs soutiennent donc qu’à défaut d’une disposition réglementaire précise qui protège l’habitat essentiel, la Loi sur les pêches ne peut se substituer légalement à un arrêté pris en vertu de la LEP.
La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale
[86] L’Énoncé sur la protection se fonde également sur la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE) pour protéger légalement l’habitat essentiel. Cependant, la LCEE est essentiellement une loi de nature procédurale qui énonce une série de mesures à prendre avant qu’un projet puisse être mis à exécution à la discrétion du ministre. De ce fait, elle n’interdit pas d’approuver les projets destructeurs sur le plan environnemental.
Les lois provinciales ne sont pas des lois fédérales
[87] L’article 58 de la Loi exige que l’habitat essentiel soit protégé par les dispositions d’une « loi fédérale » ou, subsidiairement, par un accord de conservation visé à l’article 11. Cela étant, il ne convient pas de citer des lois provinciales et des règlements municipaux dans une déclaration de protection.
L’Énoncé sur la protection ne protège pas tous les éléments
[88] L’Énoncé sur la protection est illégal parce qu’il ne protège légalement que certains éléments de l’habitat essentiel. Ce faisant, il omet de traiter des menaces les plus sérieuses pour l’habitat essentiel, dont la disponibilité réduite de proies, la contamination toxique et les perturbations physiques et acoustiques.
[89] La première partie de l’Énoncé sur la protection vise à protéger les « attributs géospatiaux et géophysiques » de l’habitat essentiel (appelé « habitat critique » dans l’Énoncé) contre les menaces que représentent les activités industrielles, les engins de pêche destructeurs et les ancres des navires. Selon le Programme de rétablissement, ces menaces ne sont pas les plus sérieuses pour l’habitat essentiel et, pourtant, il s’agit des seules activités pour lesquelles la déclaration de protection cite les lois, les règlements ou les politiques à appliquer en vue de protéger l’habitat essentiel.
[90] La seconde partie de l’Énoncé sur la protection traite de la dégradation de l’environnement acoustique, de la dégradation de la qualité de l’environnement marin et de la disponibilité réduite de proies. Elle tente de régler ces problèmes en énumérant des instruments qui, selon le texte de la déclaration, sont « [disponibles] pour gérer et atténuer les menace[s] aux diverses fonctions [écosystémiques] ». Les demandeurs soutiennent que la division entre la première et la seconde partie de l’Énoncé sur la protection reflète la distinction de principe illégale, qui reconnaît l’obligation qu’a le MPO de protéger les éléments géophysiques de l’habitat essentiel mais fait abstraction de celle d’en protéger les éléments biologiques.
[91] Les demandeurs disent qu’en créant un arrêté de protection restreint, qui inclut les aires géophysiques de l’habitat essentiel mais exclut les éléments désignés de cet habitat, les ministres défendeurs ont mis en œuvre une politique illégale et ne s’acquittent donc pas d’une obligation que leur impose la loi. Voir, par exemple, Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735.
[92] La Cour fédérale a établi, dans la décision Environmental Defence, précitée, que les politiques de cette nature sont illégales. De ce fait, la Cour devrait confirmer que l’article 58 de la Loi exige que tous les éléments de l’habitat essentiel soient protégés légalement.
L’interprétation de l’article 58
[93] Les demandeurs sont d’avis que l’interprétation appropriée de l’article 58 de la Loi oblige les défendeurs à protéger légalement tous les éléments de l’habitat essentiel. Cette interprétation est étayée par de nombreux motifs, dont un examen du simple libellé de cette disposition, la version française de l’article 58 et la décision Environmental Defence, précitée.
[94] La création d’un arrêté de protection en vertu des paragraphes 58(4) et (5) déclenche l’interdiction de détruire l’habitat essentiel prescrite par le paragraphe 58(1). Les demandeurs soutiennent que l’interprétation appropriée des mots « any part of the critical habitat », dans la version anglaise du paragraphe 58(1), englobe n’importe quel component de l’habitat essentiel, puisque c’est la combinaison de chaque component qui forme l’habitat essentiel dans son ensemble.
[95] En l’espèce, l’habitat essentiel des épaulards résidents se compose de la disponibilité de proies, d’eaux non polluées et d’un environnement tranquille. En fait, le Programme de rétablissement et d’autres publications gouvernementales signalent que ces components de l’habitat sont nécessaires à la survie de l’espèce.
[96] Le mot « part », dans la version anglaise du paragraphe 58(1), peut être interprété comme signifiant « component » (ou « élément », comme dans la version française de cette disposition). Voir, par exemple, le Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, 10e éd., s.v. « component » [Springfield, Mass. : Merriam-Webster, 1998]. En outre, l’article 58 utilise le mot « part » différemment de la façon dont il emploie le mot « portion » (en français : « partie »). Au dire des demandeurs, lorsque le législateur entend désigner une partie géospatiale de l’habitat essentiel — de façon à dénoter une sous-zone — il mentionne une « portion of the critical habitat » (en français : « partie de [l’habitat essentiel] ») : voir les paragraphes 58(2) à (4). Cependant, le législateur emploie le mot « part » au paragraphe 58(1) pour désigner un élément constitutif.
[97] De plus, la version française de l’article 58 de la Loi exige que l’on protège légalement tous les éléments de l’habitat essentiel. De ce fait, une interprétation bilingue de l’article 58 montre que l’obligation des défendeurs englobe la protection de tous les éléments de l’habitat. Selon la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217, au paragraphe 28 :
Il faut vérifier s’il y a ambiguïté, c’est-à-dire si une ou les deux versions de la loi sont « raisonnablement susceptible[s] de donner lieu à plus d’une interprétation » [...] S’il y a ambiguïté dans une version de la disposition et pas dans l’autre, il faut tenter de concilier les deux versions, c’est-à-dire chercher le sens qui est commun aux deux versions [...] Le sens commun favorisera la version qui n’est pas ambiguë, la version qui est claire […] [Citations omises.]
[98] Si l’on applique cette approche à l’interprétation du paragraphe 58(1) de la LEP, il devient évident que le sens qu’ont en commun les deux versions est une interdiction de détruire les components de l’habitat essentiel. La version anglaise de la Loi dit : « no person shall destroy any part of the critical habitat », mais la version française dit ceci : « il est interdit de détruire un élément de l’habitat essentiel ». Le mot « élément » est défini dans l’édition 2002 de Le Nouveau Petit Robert [Paris : Dictionnaires Le Robert] comme suit : « Partie constitutive d’une chose. 1 ♦ Chacune des choses dont la combinaison, la réunion forme une autre chose. » En outre, dans un important dictionnaire français-anglais, le mot « élément » est traduit par le mot « component ». Voir Le Robert & Collins dictionnaire français-anglais, anglais-français senior, 4e éd. [Paris : Dictionnaires Le Robert, 1995], et le Collins Robert French Dictionary, 7e éd., s.v. « élément » [New York : HarperCollins, 2005].
[99] Même si le mot anglais « part » peut être interprété de plus d’une façon au sein du paragraphe 58(1), ce n’est pas le cas du mot français « élément »; « un élément » désigne plutôt l’une des diverses parties constitutives qui, en combinaison, forment un tout.
[100] Cette interprétation est de plus étayée par la structure générale de l’article 58, dont la version française emploie le mot « partie » plutôt qu’« élément » pour faire référence à une sous-zone ou une portion de l’habitat essentiel. Aux paragraphes 58(2) à (4), le mot « partie » est systématiquement utilisé comme équivalent français du mot anglais « portion ».
[101] Il devient évident, quand on applique les principes de l’interprétation bilingue, que le sens ordinaire des mots « any part » et « un élément » inclut tous les « components » intégrants de l’habitat essentiel d’une espèce.
La décision Environmental Defence
[102] Les demandeurs soutiennent qu’il convient d’interpréter l’article 58 de la Loi d’une manière téléologique qui assure une protection légale sérieuse, comme c’est le cas avec l’alinéa 41(1)c) de la LEP, dans la décision Environmental Defence, précitée. Le juge Campbell a conclu, dans cette décision-là, que l’habitat essentiel n’est pas seulement une zone géospatiale. Il a plutôt décidé, aux paragraphes 57 à 66, que, lorsqu’il est question de désigner l’habitat essentiel d’une espèce, le ministre doit désigner à la fois l’emplacement de l’habitat et ses caractéristiques ou attributs essentiels. La désignation des éléments constitutifs de l’habitat essentiel (« its components ») a pour but de garantir que ces éléments sont plus tard légalement protégés en vertu de la Loi.
[103] Au paragraphe 53 de la décision Environmental Defence, le juge Campbell examine la relation qui existe entre les éléments constitutifs désignés de l’habitat essentiel et ses coordonnées géospatiales :
Si ce n’est peut-être d’un cataclysme nucléaire, il est impossible de détruire un lieu dans son entièreté. Tout comme il est impossible de détruire un ensemble de coordonnées géospatiales. La destruction d’un habitat essentiel est plutôt le résultat de la destruction de ses éléments constitutifs. Ainsi, la destruction de l’habitat de la chouette tachetée implique la coupe rase de la forêt ancienne dont elle dépend pour son alimentation et pour la protection contre les prédateurs. La destruction de l’habitat d’une grenouille peut être causée par l’assèchement et le remblayage d’une zone humide afin d’y ériger un centre commercial. Dans le même ordre d’idées, une façon de détruire l’habitat du naseux de Nooksack consisterait à éliminer la végétation rivulaire qui régule la température et prévient l’érosion et la pollution du milieu dont le naseux dépend ou encore à assécher le lit de ses ruisseaux. La coupe rase d’arbres, le remblayage des zones humides et l’assèchement des ruisseaux ne détruisent pas le lieu : ces pratiques détruisent plutôt les caractéristiques et les éléments constitutifs dont dépendait une espèce en voie de disparition.
[104] De plus, pour rendre sa décision, le juge Campbell a pris en considération la Convention sur la diversité biologique, datée du 5 juin 1992, [1993] R.T. Can. no 24 (entrée en vigueur le 29 décembre 1993) et a conclu qu’il convient de considérer que l’habitat essentiel englobe à la fois ses caractéristiques physiques et ses caractéristiques biologiques, de façon à éviter que le Canada manque à ses obligations en matière de traités internationaux (paragraphes 38 et 39, 55, 62). Comme la Loi a été créée en partie pour mettre en œuvre les engagements pris par le Canada dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique, la Loi devrait être interprétée en harmonie avec les valeurs et les principes de ce traité.
La limitation illégale de la portée de l’Arrêté de protection
[105] Les demandeurs soutiennent que les éléments de preuve soumis à la Cour, dont le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) dans les deux langues officielles et la conduite et les positions du MPO avant et après la prise de l’Arrêté de protection, montrent que les défendeurs ont restreint de manière illégale la portée de l’Arrêté de protection.
[106] Il ressort du REIR que les défendeurs ont pris la décision de limiter l’Arrêté de protection de manière à ne protéger que la « zone géophysique » de l’habitat essentiel [à la page 340] :
[107] Cet extrait du REIR illustre à la fois une erreur de droit et une erreur de fait.
[108] Bien que les défendeurs disent que leur obligation légale ne consiste qu’à protéger les « zones géophysiques », ils reconnaissent que l’habitat essentiel comporte des éléments biologiques, acoustiques et chimiques. Cependant, même s’ils reconnaissent l’existence de caractéristiques constitutives, les défendeurs ne les protègent pas légalement. Il s’agit là d’une erreur de droit.
[109] En outre, les défendeurs ne comprennent pas comme il faut le Programme de rétablissement. On ne peut pas faire valoir que ce Programme, dans son ensemble, désigne l’habitat essentiel comme étant uniquement comme une zone. Il s’agit là d’une erreur de fait.
[110] Il ressort d’une comparaison de la version française et de la version anglaise du REIR que les défendeurs ont mal interprété l’article 58 de la LEP et, partant, qu’ils ont mal saisi l’obligation que leur impose cette disposition.
[111] En outre, avant la publication de l’Arrêté de protection, le MPO a exercé des pressions sur le plan bureaucratique pour affaiblir la protection légale de l’habitat essentiel et faire disparaître les références faites aux caractéristiques écosystémiques de cet habitat.
[112] La position des défendeurs selon laquelle l’habitat essentiel n’est qu’un emplacement géospatial n’a pas changé après la publication de l’Arrêté de protection, et il s’agit là d’une position que le MPO maintenait dans l'affaire Environmental Defence, précitée. Ce fait reflète la compréhension légalement incorrecte qu’a le MPO de la portée de l’obligation que lui impose l’article 58, de même que l’intention des défendeurs de limiter l’Arrêté de protection de façon à ce qu’il n’englobe pas tous les éléments physiques et biologiques de l’habitat essentiel.
[113] Les défendeurs soutiennent que l’Arrêté de protection procure aux épaulards résidents la protection dont cette espèce a besoin. On n’assurera pas plus de protection si la Cour prend en considération l’Énoncé sur la protection, qui n’a plus de raison d’être, et il n’y a rien que la Cour puisse soumettre à un contrôle en rapport avec l’Arrêté de protection.
La Cour ne devrait pas exercer sa compétence
[114] Comme le juge O’Reilly a décidé que l’Énoncé sur la protection est de nature théorique, la Cour se doit maintenant de décider si la première demande que les demandeurs ont déposée est à ce point exceptionnelle qu’elle justifie que l’on s’écarte de la pratique générale qui consiste à radier les affaires de nature théorique. Le demandeur a le fardeau de prouver que c’est bien le cas. Voir l’arrêt Maystar General Contractors Inc. v. International Union of Painters and Allied Trades, Local 1819, 2008 ONCA 265, 90 O.R. (3d) 451, au paragraphe 32.
[115] Les défendeurs soutiennent que le contexte contradictoire qu’exige l’arrêt Borowski, précité, n’existe pas en l’espèce. Il n’existe plus de litige réel en rapport avec l’Énoncé sur la protection puisque celui-ci a été remplacé par l’Arrêté de protection. Le fait que les demandeurs croient avoir une relation de nature contradictoire avec le ministre des Pêches et des Océans n’est pas une raison suffisante pour que la Cour instruise une affaire de nature théorique; il faut plutôt que cette dernière aient des conséquences qui font qu’il est justifié de l’instruire. Comme l’a déclaré le juge Rothstein [maintenant juge à la Cour suprême du Canada] dans la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1997] A.C.F. no 347 (1re inst.) (QL), au paragraphe 15 :
[…] la relation contradictoire continue ne signifie pas simplement que les parties sont des concurrents, qu'elles ne s'aiment pas ou qu'un autre litige en instance les oppose. La relation contradictoire qui doit exister doit avoir un certain lien logique avec l'instance qui est devenue théorique.
En l’espèce, il n’y a pas de lien logique entre une relation contradictoire dont les demandeurs affirment l'existence et la demande relative à la déclaration de protection, qui a été considérée comme devenue théorique.
[116] Il n’existe en l’espèce aucune circonstance spéciale qui justifie que l’on investisse des ressources judiciaires additionnelles. Étant donné que l’Arrêté de protection contient une interdiction relative à la destruction de l’habitat essentiel, la décision de la Cour au sujet de la demande relative à la déclaration de protection n’aura aucun effet pratique sur les droits ou les obligations des parties. L’Arrêté de protection est de nature générale, et les déclarations faites au sujet des instruments mentionnés dans la déclaration de protection n’auront pas d’effet sur la protection qu’assure l’Arrêté de protection.
[117] Les circonstances qui ont mené à la demande relative à la déclaration de protection sont uniques et découlent de faits particuliers. Dans le même ordre d’idées, chaque déclaration de protection dorénavant établie sous le régime de la LEP ne visera que l’espèce en question.
[118] En outre, la demande relative à la déclaration de protection n’est pas de nature récurrente, et elle ne risque pas non plus d’échapper au contrôle de la Cour. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Borowski, précité, aux pages 360 et 361, le simple fait qu’une affaire soulevant la même question puisse se présenter de nouveau ne justifie pas à lui seul l’audition de l’appel s’il est devenu théorique. En fait, il faut qu’« il ressorte des circonstances que le différend aura toujours disparu avant d’être résolu ».
[119] Enfin, les énoncés abstraits de droits ou d’obligations ne sont pas conformes à l’intérêt public car ils ne favorisent pas l’économie judiciaire ou l’évolution ordonnée et progressive du droit. Il n’y a pas d’intérêt public à trancher des questions liées à l’Énoncé sur la protection si ce dernier a déjà été remplacé par l’Arrêté de protection.
[120] Dans leurs documents initiaux, les défendeurs n’ont pas soumis à la Cour d’éléments de preuve ou d’arguments portant sur le bien-fondé de la position des demandeurs quant à la nature illégale de l’Énoncé sur la protection. À la suite de l’audience, la Cour a décidé qu’il était impossible de traiter des arguments des défendeurs à propos du caractère théorique et de la compétence sans débattre pleinement du bien-fondé de la demande relative à la déclaration de protection. La Cour a donc ordonné aux défendeurs de fournir des observations écrites, et aux demandeurs d’y répondre, le cas échéant, par écrit. Les observations des défendeurs sur le bien-fondé de la position des demandeurs figurent dans leurs observations écrites supplémentaires et sont exposées ci-dessous.
[121] Les défendeurs disent que les textes sur lesquels on se fonde dans la déclaration de protection assurent une « protection juridique », au sens où cette expression est censée être interprétée sous le régime de la LEP.
[122] Suivant le paragraphe 58(5) de la LEP, le législateur donne au ministre le choix de prendre un arrêté de protection, qui frappe d’interdiction la destruction de l’habitat essentiel, ou de publier une déclaration de protection, qui énumère d’autres instruments réglementaires et non réglementaires qui interdisent cette destruction. Le but visé par le législateur était d’offrir une certaine souplesse quant à la façon de protéger l’habitat essentiel. Même si les « dispositions » d’autres lois fédérales ou « mesure[s] prise[s] sous leur régime » qui sont énumérées dans une déclaration de protection peuvent assurer une protection d’une manière différente de celle que peut offrir un arrêté de protection, cela ne viole aucune exigence de la LEP. La protection est tout aussi efficace jusqu'à preuve du contraire.
[123] L’argument des demandeurs selon lequel ces « dispositions » et « mesure[s] » doivent être des « dispositions légales » ou d'une « loi fédérale » qui assurent une protection sous la forme d’une [traduction] « interdiction de destruction impérative et exécutoire » fait perdre tout son sens à la souplesse que le législateur envisageait si clairement de procurer au ministre dans le cadre de l’alinéa 58(5)b). Le fait que cette intention ait un sens est confirmé par l’absence notable de cette souplesse dans les autres dispositions de la LEP.
[124] Les défendeurs sont d’avis que des instruments non réglementaires peuvent également tenir lieu de « dispositions » d’autres lois fédérales ou « mesure[s] prise[s] sous leur régime », au sens du paragraphe 58(5). Par exemple, les articles 57 et 58 de la LEP renvoient aux accords conclus au titre de l’article 11 en tant qu’exemple de textes qui peuvent être utilisés pour protéger l’habitat essentiel. Ces accords, en tant qu’instruments non réglementaires, ne sont pas des « loi[s] fédérale[s] », comme doivent l’être, ainsi que le donnent à penser les demandeurs, tous les instruments inclus dans une déclaration de protection. Leur inclusion à titre d’exemple aux articles 57 et 58 témoignent de l’intention du législateur selon laquelle les « dispositions » et « mesure[s] » sur lesquelles on se fonde dans une déclaration de protection peuvent revêtir une forme différente de celle de la protection qu’offre l’interdiction de destruction qui figurerait dans un arrêté de protection. Le fait que le législateur inclue ces instruments non réglementaires dans la liste des « dispositions » et « mesure[s] » sur lesquelles il est possible de se fonder est le signe d’une approche souple.
[125] De plus, l’article 56 prévoit que l’on peut aussi se servir de codes de pratique, de normes ou directives nationales pour protéger l’habitat essentiel. L’affirmation des demandeurs selon laquelle on ne peut se fonder sur de tels instruments parce qu’ils ne « protègent pas légalement » l’habitat essentiel suppose que la protection légale n’est disponible qu’au moyen d’une [traduction] « interdiction de destruction impérative et exécutoire ». Cependant, les exemples qui précèdent, tirés de la LEP, donnent à penser, en premier lieu, qu’il n’est pas nécessaire que de tels instruments revêtent la forme d’une [traduction] « interdiction de destruction impérative et exécutoire » et, en second lieu, que l'absence de caractère exécutoire n’est pas pertinente quant à savoir si de tels instruments protègent légalement l’habitat essentiel.
[126] Par ailleurs, soutiennent les défendeurs, la possibilité que ces « dispositions » et « mesure[s] » puissent être modifiées ultérieurement n’a pas d’incidence sur la validité de l’Énoncé sur la protection. L’article 35 de la Loi sur les pêches protège l’habitat essentiel des épaulards. Le fait que le ministre, en vertu du paragraphe 35(2) de cette loi, ait le pouvoir discrétionnaire d’autoriser des activités qui détruisent l’habitat essentiel n’exclut pas le fait que, tant qu’une telle autorisation n’a pas été donnée, l’article 35 assure une protection et que l’on peut se fonder sur cette dernière dans une déclaration de protection. Rien ne prouve qu’une telle autorisation a été donnée. Une logique semblable s’applique à la protection décrite à l’article 36 de la Loi sur les pêches.
[127] La Loi sur les pêches et les règlements régissant les activités de pêche protègent les proies et l’habitat géophysique des épaulards. L’octroi de permis et l’ouverture et la clôture des activités de pêche sont des « mesure[s] prise[s] » sous le régime d’une loi fédérale. Une déclaration de protection fondée sur ces mesures ne satisferait pas aux exigences de l’alinéa 58(5)b) que si le ministre exerçait son pouvoir discrétionnaire de ne pas limiter la pêche, ce qui mènerait à la destruction des proies disponibles des épaulards. Rien ne prouve que le pouvoir discrétionnaire du ministre a été exercé d’une telle façon.
[128] Enfin, les défendeurs soutiennent que la question de savoir si les instruments sur lesquels on se fonde dans une déclaration de protection assurent la protection que requiert l’article 58 de la LEP est une question mixte de faits et de droit et qu’elle est donc soumise à la raisonnabilité comme norme de contrôle.
La demande relative à l’arrêté de protection est mal fondée
[129] Les défendeurs disent que la demande relative à l’arrêté de protection n’est pas claire quant à ce que les demandeurs cherchent exactement à soumettre à un contrôle judiciaire. Comme la majorité des arguments de ces derniers concernent la demande relative à la déclaration de protection, il semble que la seconde demande, celle qui concerne l’arrêté de protection, soit simplement une tentative pour que la Cour demeure saisie de questions de nature théorique.
[130] Les demandeurs semblent vouloir soumettre l’Arrêté de protection à un contrôle judiciaire, mais ils ne demandent pas à le faire annuler ou infirmer. En fait, ils sollicitent un jugement déclaratoire visant à éviter qu’on applique l’arrêté de protection d’une manière particulière. Un tel jugement déclaratoire est inapproprié et dépasse la compétence de la Cour.
[131] L’Arrêté de protection est un règlement au sens de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S‑22. Le paragraphe 2(1) de cette loi [dans la définition du terme « règlement »] précise que tous les arrêtés « pris dans l’exercice d’un pouvoir législatif conféré sous le régime d’une loi fédérale » sont des règlements. L’Arrêté de protection pris en vertu des paragraphes 58(4) et (5) de la Loi est donc un règlement.
[132] La teneur d’un règlement est de nature législative lorsque son texte comprend une règle de conduite, a force de loi et s’applique à un nombre indéterminé de personnes, lorsque le règlement fait partie d’une série de textes qui le font. Voir Sinclair c. Québec (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 579 (Sinclair), à la page 587.
[133] En l’espèce, l’Arrêté de protection complète le régime légal en créant une interdiction de détruire n’importe quel élément de l’habitat essentiel, aux termes du paragraphe 58(1) de la LEP. Comme la teneur de ce règlement est intimement liée à la législation, il est de nature législative. Voir, par exemple, l’arrêt Sinclair, précité, aux pages 587 à 589.
[134] Comme l’Arrêté de protection est un règlement et que sa teneur est de nature législative, la Cour doit se borner à vérifier si les ministres étaient habilités à le prendre et s’il va à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte) : voir Dixon c. Canada (Gouverneur en conseil), [1997] 3 C.F. 169 (C.A.), au paragraphe 17.
[135] Les demandeurs n’allèguent pas que l’Arrêté de protection excède le pouvoir des ministres ou qu’il va à l’encontre de la Charte. Ils sollicitent plutôt un jugement déclaratoire portant que les ministres agissent de manière illégale en limitant l’application et la portée de l’Arrêté de protection. Cependant, la Cour ne peut contrôler la teneur de cet arrêté au-delà des questions d'habilitation et de conformité à la Charte sans empiéter sur la souveraineté du Parlement; selon la jurisprudence, seuls les électeurs peuvent débattre de la teneur de dispositions légales validement adoptées. Voir Amax Potash Ltd. et al. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576.
[136] Aux termes du paragraphe 58(5) de la Loi, un arrêté peut être pris « à l’égard de l’habitat essentiel ou de la partie de celui-ci qui ne se trouve pas dans un lieu visé au paragraphe (2) ». Dans le cas présent, comme l’ont signalé les demandeurs, le mot « partie » désigne une portion géographique. Un arrêté de protection doit donc préciser la zone géographique à laquelle il s’applique. Comme l’habitat essentiel dont il est question en l’espèce n’est aucunement mentionné au paragraphe 58(2), l’Arrêté de protection englobe précisément la zone tout entière que couvre l’habitat essentiel.
[137] L’Arrêté de protection ne définit pas l’habitat essentiel; il précise plutôt la partie de cet habitat auquel s’applique l’interdiction prononcée en vertu du paragraphe 58(1). La Loi dispose que l’habitat essentiel doit être désigné dans un programme de rétablissement ou un plan d’action. Cela est clairement dit dans la définition [au paragraphe 2(1)] de l’« habitat essentiel », qui est un habitat « désigné comme tel dans un programme de rétablissement ou un plan d’action élaboré à l’égard de l’espèce ». Le fait de prendre un arrêté en vertu des paragraphes 58(4) et (5) ne change pas l’habitat essentiel qui est désigné dans ces documents.
[138] Incapables de contester l’Arrêté de protection, les demandeurs ont plutôt tenté de contester ce qu’ils croient être les intentions des défendeurs quant à l’interdiction prononcée en vertu du paragraphe 58(1). Cela se reflète dans leurs arguments, qui sont fortement axés sur le paragraphe 58(1), et ce, même si l’Arrêté de protection a été pris en vertu des paragraphes 58(4) et (5).
[139] Les défendeurs soutiennent que l’Arrêté de protection ne contient pas l’interdiction de destruction, pas plus qu’il ne désigne l’habitat essentiel. Il précise plutôt la partie de l’habitat essentiel à laquelle s’applique l’interdiction de destruction, c’est-à-dire la partie physique. C’est le paragraphe 58(1) qui contient l’interdiction, et non l’Arrêté de protection même. Dans le même ordre d’idées, c’est le Programme de rétablissement qui désigne l’habitat essentiel, et non l’Arrêté de protection.
[140] Les demandeurs font valoir que les ministres ont exclu de manière illégale les caractéristiques écosystémiques de l’habitat essentiel de la portée de l’Arrêté de protection; cependant, cela est impossible. Ce qui est interdit est déterminé en fonction de l’interaction entre le paragraphe 58(1) et l’habitat essentiel désigné dans le Programme de rétablissement, et non pas par l’Arrêté de protection. En l’espèce, c’est l’application de l’interdiction que les demandeurs contestent. Cependant, leurs arguments sont fondés sur des conjectures et de vagues éléments de preuve selon lesquels les défendeurs appliqueront l’Arrêté de protection d’une manière qui, croient les demandeurs, est illégale. Les demandeurs tentent de se fonder sur la conduite qu’ont eue des fonctionnaires du MPO avant que l’Arrêté de protection soit pris, mais cette conduite n’est pas pertinente. Par ailleurs, leurs arguments au sujet du REIR n’examine et n’évalue pas le document dans son ensemble.
[141] À l’époque où l’Arrêté de protection a été pris et où le REIR a été publié, la nature de l’habitat essentiel était examinée dans l'affaire Environmental Defence, précitée, où il est clairement dit que l’interdiction dont il est question au paragraphe 58(1) de la Loi s’applique aux caractéristiques de l’habitat essentiel qui sont désignées dans le Programme de rétablissement. Il est déraisonnable pour les demandeurs de supposer, maintenant que la décision Environmental Defence a été rendue, que les défendeurs ont l’intention de faire tout simplement abstraction de la décision de la Cour sur cette question.
L’absence de compétence
[142] S’il ne lui est pas demandé de contrôler la décision de prendre l’Arrêté de protection, la Cour n’a pas compétence pour accorder le jugement déclaratoire que les demandeurs sollicitent dans la demande relative à l’Arrêté de protection. La Cour fédérale est un organisme créé par le législateur et sa compétence doit être attribuée par une loi. Voir ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766. La Cour fédérale a le pouvoir de déclarer illégal « toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte » : voir le paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)]. Cependant, les demandeurs ne cherchent pas à obtenir que l’Arrêté de protection soit déclaré illégal, pas plus qu’ils n’ont fait état d’une autre décision, d’une autre procédure ou d’un autre acte qu’ils souhaitent voir déclarer illégal.
[143] De plus, bien que les demandeurs aient contesté la décision des ministres d’appliquer la politique censément illégale en vue de limiter l’application de l’Arrêté de protection, ils n’ont fait état d’aucune occasion à laquelle cet arrêté a été appliqué de la sorte.
[144] À défaut d’une contestation visant une décision, une ordonnance, un acte ou une procédure, la Cour n’a pas compétence pour rendre le jugement déclaratoire demandé.
[145] Les défendeurs soutiennent que l’affidavit de M. Scott Wallace comporte [traduction] « des éléments de preuve, des opinions et des arguments désuets, et certains de ses passages sont manifestement inappropriés et il ne faudrait leur accorder aucun poids ». Qui plus est, les demandeurs ont tenté de soumettre un certain nombre de documents à titre de documentation secondaire. Cependant, il aurait fallu les mettre en preuve au moyen d’un affidavit, car ne pas l’avoir fait a empêché les défendeurs de produire des éléments de preuve en réponse. Il convient donc de faire abstraction de ces documents.
[146] À la suite des observations écrites des défendeurs sur le bien-fondé des allégations des demandeurs, à savoir le caractère illégal de l’Énoncé sur la protection, les demandeurs ont fourni à la Cour une réponse écrite, et leurs observations à cet égard sont exposées ci-dessous.
[147] Les demandeurs soutiennent que l’approche moderne adoptée en matière d’interprétation des lois étaye la manière dont ils interprètent l’alinéa 58(5)b) de la LEP. Le libellé de cette disposition, lu suivant son sens ordinaire et d’une manière qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de la Loi et de l’intention du législateur, établit les critères auxquels doit satisfaire une disposition sur laquelle une déclaration de protection s'appuie. Premièrement, il doit s’agir d’une disposition légale. Deuxièmement, exception faite des accords conclus au titre de l’article 11, il doit s’agir d’une disposition légale fédérale. Troisièmement, elle doit être en vigueur au moment où la déclaration de protection est émise. Quatrièmement, la protection qu’offre la disposition doit être un substitut à l’interdiction de destruction prescrite au paragraphe 58(1); autrement dit, elle doit être impérative et exécutoire. Cinquièmement, les dispositions, considérées ensemble, doivent protéger la totalité des éléments de l’habitat essentiel. Comme les défendeurs ont concédé les deuxième, troisième et cinquième critères, les observations des demandeurs portent sur le premier et le quatrième.
[148] Les dispositions sur lesquelles s'appuie une déclaration de protection doivent être « légales ». Les demandeurs utilisent cette expression pour désigner n’importe quelle disposition qui fixe une norme de conduite que le public peut comprendre et qui doit être suivie, exécutée et interprétée par un tribunal en cas de litige. Comme une déclaration de protection a pour objet d’énoncer quelles autres dispositions s’appliquent à la place de la protection légale qu’assure l’article 58, il s’ensuit que ces dispositions doivent être elles aussi des « dispositions légales ».
[149] Par ailleurs, l’article 58 exige expressément qu’une déclaration de protection dise de quelle façon les dispositions énumérées protègent « légalement » l’habitat essentiel. Les défendeurs font remarquer que l’alinéa 58(5)a) inclut les accords de conservation conclus au titre de l’article 11 parmi les dispositions que l’on peut citer dans une déclaration de protection. Les demandeurs font valoir que cette inclusion concorde avec leurs arguments car les accords de conservation constituent des « mesure[s] » légales sous le régime d’une loi fédérale.
[150] La protection légale sur laquelle on se fonde dans une déclaration de protection doit agir comme substitut à la protection dont il est question au paragraphe 58(1); autrement dit, elle ne doit assurer rien de moins qu’une interdiction impérative et exécutoire en rapport avec la destruction de l’habitat essentiel. Contrairement aux arguments des défendeurs, les dispositions de lois d’application facultative et générale ne sont pas suffisantes pour satisfaire à l’exigence que prévoit l’article 58.
[151] L’article 58 offre deux moyens différents d’atteindre le même résultat, soit l’obtention d’une protection légale exécutoire et sérieuse pour l’habitat essentiel. Contrairement aux arguments des défendeurs, le législateur n’a pas prévu de souplesse en rapport avec la norme ou la rigueur de cette protection. Les défendeurs affirment qu’il existe deux niveaux de protection différents, ce qui permet de penser que le ministre pourrait décider d’autoriser la destruction de l’habitat essentiel. Il s’agit là d’une interprétation qui a été manifestement rejetée par le législateur et qui est contraire à l’objet de la LEP et de son historique législatif. Quand le législateur entend offrir une protection qui n’est pas impérative, comme c’est le cas à l’article 63 de la LEP, il le dit expressément. Aucune intention de ce genre n’est évidente dans le cas de l’article 58.
[152] Les défendeurs font valoir que les articles 35 et 36 de la Loi sur les pêches protègent l’habitat essentiel et que cette loi et ses règlements régissant les activités de pêche protègent la disponibilité des proies des épaulards ainsi que les éléments de leur habitat géophysique. Cependant, seul l’article 35 de la Loi sur les pêches et le paragraphe 22(1) [mod. par DORS/93-333, art. 4] du Règlement de pêche (dispositions générales) [DORS/93-53] sont énumérés dans l’Énoncé sur la protection. Sinon, cette dernière ne fait référence que de manière générale aux dispositions de la Loi sur les pêches et de ses règlements. Les demandeurs font valoir que ces références vagues et imprécises ne permettent pas aux défendeurs de s’acquitter de l’obligation que leur impose l’alinéa 58(5)b), soit d’« énon[cer] comment » les dispositions qui y figurent protègent légalement à la fois l’habitat essentiel et la disponibilité de proies pour les épaulards. En outre, la protection disponible en vertu de l’article 35 — qui accorde au ministre le vaste pouvoir discrétionnaire de détruire l’habitat essentiel — ne peut en aucun cas être considérée comme une solution de rechange tout aussi efficace à la protection qu’assure un arrêté de protection pris en vertu du paragraphe 58(1). En bref, le ministre ne peut se fonder sur le pouvoir discrétionnaire absolu dont il dispose pour gérer la pêche pour s’acquitter de son obligation de protéger un élément de l’habitat essentiel.
[153] Enfin, les demandeurs soutiennent qu’ils demandent à la Cour d’interpréter les exigences légales d’une déclaration de protection émise en vertu de l’alinéa 58(5)b) et de conclure que les défendeurs n’ont pas compétence pour se fonder sur des politiques et leurs pouvoirs discrétionnaires pour « protéger légalement » l’habitat essentiel. Cela soulève une question de droit. Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle appropriée est la décision correcte.
[154] Je suis saisi de deux demandes de contrôle judiciaire qui ont été jointes, qui portent toutes deux sur les obligations qu’ont les défendeurs, en vertu de l’article 58 de la LEP, de protéger légalement l’habitat essentiel des épaulards résidents.
[155] Les demandes sont l’aboutissement d’une suite d’échanges entre les demandeurs et les défendeurs à propos de la juste interprétation de la LEP et de savoir si les défendeurs ont interprété et exécuté correctement leurs obligations légales de protéger les épaulards résidents d’une manière conforme à la LEP. Les demandes sont donc constituées d'un exposé unique de ce qui a mené à la présente comparution devant la Cour, et elles se recoupent nettement sur le double plan des faits et du droit. C’est pour cette raison même que le juge O’Reilly a joint les demandeurs.
[156] Les défendeurs ont tout d’abord suivi une approche semblable à l’égard des deux demandes. Jusqu’à ce que la Cour le leur prescrive, ils ont fondé leur opposition sur des motifs de caractère théorique et de compétence, plutôt que de contester les faits ou de s’attaquer au bien-fondé directement. Cependant, à mesure que l’instance s’est déroulée devant moi, il est devenu évident que les défendeurs ne contestent pas un grand nombre des points qu’invoquent les demandeurs en matière de bien-fondé. Ils disent cependant que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire la demande relative à la déclaration de protection parce qu’il a été jugé qu’elle était théorique et que, en l’espèce, il n’y a pas de motifs pour examiner une demande de cette nature.
[157] En ce qui concerne la demande relative à l’arrêté de protection, les défendeurs disent qu’elle n’est pas claire, que le contrôle de l’Arrêté de protection excède la compétence de la Cour, qu’il est demandé à cette dernière de contrôler les intentions futures, et autres motifs connexes.
[158] Ce qui est curieux au sujet de la contestation des défendeurs à l’égard de la demande relative à l’arrêté de protection est que, quand la Cour les a interrogés sur le bien-fondé à l’audience, ils ont concédé d’importants arguments qu’invoquaient les demandeurs. Ce n’était pas leur intention quand l’Arrêté a été émis, mais cela découle de la clarification du droit concernant le sens et la portée de l’« habitat essentiel » qu’a faite le juge Campbell dans la décision Environmental Defence.
[159] Les défendeurs conviennent qu’il faudrait maintenant interpréter l’Arrêté comme les demandeurs soutiennent qu’il le faudrait, c’est-à-dire que cet arrêté assure la protection de l’habitat essentiel de la façon dont les demandeurs disent que cet habitat devrait être défini pour les épaulards résidents.
[160] En outre, à la suite d’observations écrites supplémentaires sur la demande relative à la déclaration de protection, il est évident qu’une bonne partie de ce que disent les demandeurs sur la teneur des déclarations de protection est acceptable aux yeux des défendeurs, à part certains points de désaccords fondamentaux que j’analyserai plus loin.
[161] Vu le degré d’entente sur le bien-fondé de la demande relative à l’arrêté de protection, la Cour ne peut s’empêcher de se demander pourquoi elle a été contestée pour des motifs techniques et pourquoi les défendeurs ne pensent pas que la Cour devrait en traiter. Si ces derniers avaient clarifié leur accord au sujet de la définition de l’habitat essentiel et rectifié les documents publics pertinents qui renferment une interprétation manifestement différente, ou du moins possible, jamais il n’aurait été nécessaire de soumettre à la Cour la demande relative à l’arrêté de protection. Le fait qu’elle l’a été aura une incidence sur la façon dont je traiterai de l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’a la Cour d’instruire la demande relative à la déclaration de protection.
[162] En ce qui concerne les points de divergence non réglés à propos de l’Énoncé sur la protection, il m’apparaît évident que l’importance du désaccord entre les parties signifie qu’il y a des points fondamentaux d’interprétation de la Loi qui constituent un litige bien réel entre les parties. Ces points, en plus de toucher précisément les faits dont il est question dans ces demandes, sont généralement importants pour l’interprétation et l’application de la LEP.
La demande relative à l’arrêté de protection
[163] Je suis d’avis que l’énoncé que font les demandeurs du droit et leurs conclusions concernant l’Arrêté de protection et son application à tous les éléments de l’habitat essentiel sont exacts. De plus, malgré les changements de position du MPO depuis la prise initiale de l’Arrêté de protection en février 2009, les ministres ont bel et bien agi de manière illégale en limitant la portée de l’Arrêté de protection pris en vertu du paragraphe 58(4) de la LEP. Les défendeurs semblent maintenant ne pas contester la position des demandeurs quant à la portée de l’« habitat essentiel », et ils disent reconnaître ce que la décision que le juge Campbell a rendue dans l’affaire Environmental Defence implique pour la présente affaire. Indépendamment du changement de position des défendeurs au sujet de la portée de l’« habitat essentiel », il me semble quand même que l’Arrêté de protection était — et est — inexact et illégal parce que, en limitant son application à des zones géophysiques, les défendeurs ont omis de répondre à une obligation que leur impose la loi, la LEP en l’occurrence. Voir l’arrêt Inuit Tapirisat, précité, à la page 752.
[164] La manière dont les demandeurs interprètent l’obligation qu’impose la LEP aux ministres à l’égard de la protection de tous les éléments de l’habitat essentiel des épaulards résidents est pleinement étayée par le libellé clair de l’article 58 lu dans le contexte entier de la LEP, par la version bilingue de cette disposition ainsi que par la décision rendue par la Cour dans l’affaire Environmental Defence. La jurisprudence pertinente est entièrement exposée dans les observations des demandeurs. Il n’est pas nécessaire de la réitérer ici car les défendeurs ne contestent pas les arguments des demandeurs sur la question.
[165] Les défendeurs soutiennent plutôt que la Cour devrait néanmoins refuser d’accorder le jugement déclaratoire que sollicitent les demandeurs, et ce, pour diverses raisons que j’examinerai successivement.
[166] Je traiterai brièvement de chacun des motifs pour lesquels les défendeurs s’opposent à la demande relative à l’arrêté de protection.
[167] Les défendeurs disent que la demande relative à l’arrêté de protection est mal fondée parce que ce que les demandeurs tentent de faire contrôler n’est pas clair et que, en tout état de cause, ils sollicitent un jugement déclaratoire qui vise à éviter que l’on applique l’Arrêté de protection d’une manière particulière à l’avenir. Un tel jugement déclaratoire, disent les défendeurs, excède la compétence de la Cour.
[168] Cette question a déjà été relevée et réglée par le protonotaire Lafrenière. En mai 2009, les demandeurs ont exigé en vertu de la règle 317 [mod. par DORS/2002-417, art. 19; 2006-219, art. 11(F)] des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] que les défendeurs produisent le dossier relatif à l’Arrêté de protection. Les défendeurs ont affirmé qu’il n’y avait aucune décision en litige, et qu’ils n’étaient donc pas tenus de produire un dossier. Le protonotaire Lafrenière a convenu avec les demandeurs qu’il y avait bel et bien une décision et il a ordonné aux défendeurs de produire le dossier. C’est ce qu’ils ont fait en novembre 2009. Étant donné que la Cour ne peut ordonner la production d’un dossier en vertu de la règle 317 des Règles que s’il existe une décision ou une ordonnance qui fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, il est évident que la Cour a déjà décidé qu’il existe une décision à contrôler, et il s’agit de l’Arrêté de protection. Voir Gaudes c. Canada (Procureur général), 2005 CF 351, aux paragraphes 6 et 15 à 19. Les défendeurs n’ont pas interjeté appel de la décision du protonotaire Lafrenière, et c’est donc là que les choses en sont présentement.
[169] Le contrôle que je ferai de l’Arrêté de protection portera sur ce que les demandeurs ont qualifié de mauvaise interprétation et de mauvaise application systématiques du droit qui ont mené à la prise de l’Arrêté de protection, et qui sont devenues manifestes dans ce dernier.
[170] Je contrôlerai également la légalité de l’Arrêté de protection à l’époque où il a été promulgué. Ma décision aura une incidence sur les actes futurs des ministres, mais cela ne m’empêche pas de contrôler l’Arrêté de protection et de déclarer qu’il est invalide à cause d’une erreur susceptible de contrôle.
L’Arrêté ne peut pas être contesté
[171] Les défendeurs disent aussi qu’étant donné que l’Arrêté de protection est un « règlement » au sens de la Loi sur les textes réglementaires, sa teneur est de nature législative. La compétence de la Cour se limite donc à décider si les ministres avaient le pouvoir de prendre l’Arrêté ou si ce dernier contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).
[172] En fait, selon cet argument, l’Arrêté de protection (à vrai dire, n’importe quel arrêté de protection pris en vertu de la LEP) est à l’abri de tout contrôle, à part un contrôle relatif à la compétence ou à la conformité à la Charte, du fait de la notion de souveraineté du Parlement.
[173] À mon avis, cependant, les défendeurs tentent ici de revendiquer la souveraineté des ministres plutôt que celle du Parlement. Voir la décision Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 68. Les défendeurs ont concédé que lorsque l’Arrêté de protection a été pris, il l’a été par suite d’une erreur de droit, à savoir que l’« habitat essentiel » se limitait à un espace géographique. Cette erreur n’est pas évidente au vu de l’Arrêté de protection, qu’il est nécessaire de lire de pair avec le Programme de rétablissement et le REIR pour en saisir la portée et l’effet. Le libellé du Programme de rétablissement révèle bien l’erreur de droit, et le libellé du REIR en contient également une preuve.
[174] Tout en concédant cette erreur de droit (une erreur des plus graves, vu l’objet de la LEP et le sort possible des épaulards résidents et de toute autre espèce en péril), les défendeurs laissent entendre, en fait, que la Cour n’est pas habilitée à contrôler un arrêté de protection illégal et les mesures prises par le ministre en promulguant un tel arrêté.
[175] À mon avis, cependant, la LEP n’est pas une loi, comme la Loi sur les pêches, qui délègue au ministre le vaste pouvoir discrétionnaire de prendre un large éventail de mesures pour gérer une ressource nationale au nom de l’ensemble de la population du Canada. La LEP est une loi qui oblige le ministre compétent — et les débats parlementaires sont clairs sur ce point crucial — à agir de manières précises en vue de protéger l’habitat essentiel d’une espèce en péril. La protection de l’habitat essentiel et ce qui constitue cet habitat ne sont pas laissés à la discrétion du ministre dans la LEP. S’il était permis aux ministres d’appliquer illégalement la LEP à l’abri de l’examen de la Cour, et en violation de ce que le législateur (le Parlement) a dit qu’il doit avoir lieu, cela signifierait que la souveraineté du Parlement serait remplacée par celle des ministres. Je ne vois rien dans la LEP ou dans les débats parlementaires mis en preuve qui donne à penser qu’il s’agissait là de l’intention du Parlement.
[176] Le pouvoir exécutif, qui inclut les ministres et leurs délégués, est distinct du Parlement et subordonnée à ce dernier. Lorsqu’il est allégué que ce pouvoir ne s’est pas acquitté de manière légale d’une obligation que le Parlement lui a imposée, le rôle de la Cour consiste à interpréter la nature et la portée de l’obligation légale et de décider si le pouvoir exécutif s’est conformé à son obligation. Le contrôle judiciaire est le moyen par lequel les ministres qui négligent de s’acquitter des obligations que leur impose la loi en sont tenus responsables. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Commission des droits de la personne c. Procureur général du Canada et autre, [1982] 1 R.C.S. 215, à la page 216 du recueil : « il ne faut pas confondre la loi adoptée par le Parlement et l’acte de l’Exécutif en application de cette loi ».
[177] Cette position a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt clé en droit administratif, Inuit Tapirisat (à la page 752) :
[…] à mon avis, l’essentiel du principe de droit applicable en l’espèce est simplement que dans l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi, le gouverneur en conseil, comme n’importe quelle autre personne ou groupe de personnes, doit respecter les limites de la loi édictée par le Parlement ou la Législature. Y déroger déclenchera le rôle de surveillance de la cour supérieure qui a la responsabilité de faire appliquer la loi, c’est-à-dire de s’assurer que les actes autorisés par la loi sont accomplis en conformité avec ses dispositions ou qu’une autorité publique ne se dérobe pas à une obligation qu’elle lui impose.
[178] Dans le contexte de la LEP, le Parlement a imposé aux ministres défendeurs l’obligation de veiller à ce qu’on protège légalement l’habitat essentiel. Ces derniers sont tenus de s’acquitter de cette obligation d’une manière conforme à la loi. C’est un Parlement souverain qui a promulgué l’article 58 de la LEP, et les ministres sont subordonnés au Parlement lorsqu’ils s’acquittent des obligations que leur impose l’article 58.
[179] Les défendeurs étayent leur argument en formulant l’observation non controversée selon laquelle l’Arrêté de protection est désigné comme étant un « règlement » en vertu de la Loi sur les textes réglementaires. À mon avis, toutefois, il n’existe aucun principe de droit qui dise qu’un texte visé par la Loi sur les textes réglementaires n’est pas susceptible de contrôle.
[180] Les défendeurs soutiennent en outre qu’étant donné qu’il s’agit d’un règlement, l’Arrêté de protection revêt donc un [traduction] « caractère législatif » et, de ce fait, la Cour ne peut le contrôler sans violer la souveraineté du Parlement. L’analyse que font les défendeurs du [traduction] « caractère législatif » des décisions liées à l’article 58 repose sur l’arrêt Sinclair c. Québec (Procureur général), précité, et sur le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721. Il me semble que ces arrêts confirment que la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1], reproduite dans L.R.C. (1985), appendice II, no 5, exige que tous les textes à « caractère législatif » soient publiés en anglais et en français, ce qui n’est pas la question qui m’est soumise. Les demandeurs ne s’opposent pas à la thèse selon laquelle il est constitutionnellement exigé que l’Arrêté de protection soit publié en anglais et en français. Cependant, les défendeurs extraient cette jurisprudence constitutionnelle de son contexte juridique approprié dans une tentative de prétendre que l’Arrêté de protection ne peut pas être contrôlé.
[181] À mon avis, les autres décisions jurisprudentielles qu’invoquent les défendeurs pour mettre leur décision à l’abri d’un contrôle sont tout aussi inefficaces. L’arrêt Dixon, précité, confirme simplement que les tribunaux peuvent contrôler une décision du Cabinet pour cause d’erreur de droit, mais pas de motivations politiques. La décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, confirme qu’une question d’interprétation des lois est susceptible de recours judiciaire, qu’elle ait des connotations politiques ou pas. Dans l’arrêt Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49, la Cour suprême du Canada confirme que l’exclusion de recours judiciaires est une question d’intention législative : l’intention qu’a le législateur de faire en sorte qu’une question juridique ne soit pas susceptible de recours judiciaires doit être exprimée dans des dispositions légales particulières. En concluant que la Loi sur le vérificateur général, L.R.C. (1985), ch. A‑17, limite le vérificateur général — un agent du Parlement — au recours non judiciaire de rechange qui consiste à faire rapport au Parlement, la Cour souligne, à la page 110, que cela doit être considéré comme « limit[é] à l’interprétation d’une loi unique, eu égard au rôle particulier du vérificateur général ».
[182] En outre, au paragraphe 17 de leur mémoire, les défendeurs soutiennent que le caractère légal de l’Énoncé sur la protection du MPO est une question qui relève de la fonction décisionnelle de la Cour. C’est-à-dire qu’ils concèdent que la Cour a compétence pour trancher une prétention selon laquelle un ministre compétent a émis une déclaration de protection illicite au vu de l’alinéa 58(5)b). Cependant, font-ils valoir, la Cour n’a pas compétence pour trancher une prétention selon laquelle un ministre compétent a pris de manière illégale un arrêté de protection au vu de l’alinéa 58(5)a). Selon moi, cette distinction ne ressort nulle part de la lecture de la disposition.
[183] À mon avis, concernant la compétence qu’a la Cour de contrôler une décision d’origine législative, on doit se demander si, en adoptant la LEP, le Parlement entendait mettre à l’abri les décisions prises en vertu du paragraphe 58(5) d’un contrôle judiciaire. Lorsque le Parlement entend mettre une décision à l’abri d’un contrôle, il se sert habituellement d’une disposition privative. Il n’y a dans la LEP aucune disposition de cette nature et aucune autre disposition qui protège les décisions prises en vertu du paragraphe 58(5) contre un examen judiciaire. Les défendeurs n’ont pas fait état d’une disposition quelconque de la LEP qui ait cet effet-là.
[184] À mon avis, la LEP est donc manifestement une loi ouvrant droit au recours judiciaire, qui impose des obligations impératives aux ministres compétents. La Cour a déjà contrôlé des mesures ministérielles prises sous le régime de la LEP et a rendu un jugement déclaratoire contre ces mêmes ministres défendeurs.
L’Arrêté ne peut pas être plus que ce qu’il est
[185] Les défendeurs soutiennent de plus que le paragraphe 58(5) de la LEP prévoit qu’un arrêté doit être pris « à l’égard de l’habitat essentiel ou de la partie de celui-ci qui ne se trouve pas dans un lieu visé au paragraphe (2) ». Ils disent que le mot « partie » désigne une partie géographique. De ce fait, un arrêté est donc tenu de désigner la zone géographique à laquelle il s’applique. En l’espèce, comme aucun élément de l’habitat essentiel ne se trouve dans un lieu visé au paragraphe 58(2), l’Arrêté de protection désigne la zone tout entière de l’habitat essentiel et, en vertu du paragraphe 58(4), rien de plus ne pouvait être fait.
[186] L’Arrêté de protection ne définit toutefois pas l’habitat essentiel; il précise simplement la partie de cet habitat à laquelle s’applique l’interdiction prévue au paragraphe 58(1). La LEP prévoit que l’habitat essentiel doit être désigné dans l’un des deux endroits suivants : un programme de rétablissement ou un plan d’action. Cela est prévu à la définition de l’« habitat essentiel » que l’on donne au paragraphe 2(1), c’est-à-dire l’habitat nécessaire à la survie ou au rétablissement d’une espèce sauvage inscrite « qui est désigné comme tel dans un programme de rétablissement ou un plan d’action élaboré à l’égard de l’espèce ». Un arrêté pris en vertu des paragraphes 58(4) et (5) ne change pas et, selon moi, ne peut pas changer l’habitat essentiel qui est désigné dans ces documents. Rien à l’article 58 ne le permet.
[187] Il est vrai que l’Arrêté de protection dépend, pour avoir tout son sens et tout son effet, de l’habitat essentiel désigné dans le Programme de rétablissement. Les défendeurs reconnaissent que, à l’époque où l’Arrêté de protection a été pris, leur opinion sur ce qui était inclus dans l’habitat essentiel, et exprimé dans le Programme de rétablissement, était erronée et contraire à la LEP. Ils ont changé leur vision erronée de l’« habitat essentiel » à la suite de la décision du juge Campbell dans l’affaire Environmental Defence, précitée. Pourtant, ils n’ont pas changé le Programme de rétablissement pour qu’il reflète ce changement dans leur compréhension de la loi. De plus, ils n’ont pas éclairci, pour ceux qui pourraient chercher à vérifier les règles de droit régissant la protection de l’habitat essentiel des épaulards résidents, qu’il ne fallait pas interpréter l’Arrêté de protection de la manière dont il était censé l’être quand il a été pris et de la manière dont il pourrait être encore interprété si l’on se fondait sur une partie du libellé contenu dans le Programme de rétablissement et le REIR.
[188] En d’autres termes, le fait que l’Arrêté de protection soit formulé de manière si générale que les défendeurs peuvent considérer qu’il englobe leur compréhension nouvelle des aspects de l’habitat essentiel qui sont à protéger sous le régime de la LEP ne le légalise pas. De plus, cela ne veut pas dire que ceux qui cherchent à connaître les règles de droit sur cette question cruciale ne seront pas induits en erreur si la Cour ne fournit pas d’éclaircissements.
Une tentative pour contrôler d’hypothétiques intentions futures
[189] Les défendeurs disent que la Cour ne devrait pas instruire la demande relative à l’arrêté de protection parce que les demandeurs contestent en fait ce qu’ils considèrent comme étant l’intention future des défendeurs quant à l’application de l’interdiction prévue à l’article 58 de la LEP.
[190] Selon les défendeurs, l’argument des demandeurs qui repose sur l’interprétation de la loi et qui concerne le paragraphe 58(1) en fait foi, même si l’Arrêté de protection est pris en vertu des paragraphes 58(4) et (5).
[191] L’Arrêté de protection ne contient pas l’interdiction de destruction que prescrit la LEP, et il ne désigne pas non plus l’habitat essentiel. Conformément aux paragraphes 58(4) et (5), l’Arrêté de protection précise simplement la « partie » de l’habitat essentiel, c’est-à-dire la partie physique, à laquelle s’applique l’interdiction. C’est au paragraphe 58(1) que figure cette dernière. Dans le même ordre d’idées, conformément à la définition de l’« habitat essentiel » que donne la LEP, c’est le Programme de rétablissement qui désigne l’habitat essentiel.
[192] Même si, dans la réparation demandée, les demandeurs soutiennent que les ministres ont, de manière illégale, [traduction] « exclu les caractéristiques écosystémiques [de l’habitat essentiel] de la portée de l’Arrêté de protection », les défendeurs disent que cela est tout simplement impossible. Ce qui est interdit est déterminé par l’interaction du paragraphe 58(1) et de l’habitat essentiel, lequel a été désigné dans le Programme de rétablissement et non pas par l’Arrêté de protection.
[193] Les défendeurs disent que ce que les demandeurs contestent c’est l’application de l’interdiction, déclenchée par l’Arrêté de protection. Cependant, ajoutent-ils, les plaintes des demandeurs reposent entièrement sur des conjectures. Ils supposent que les défendeurs appliqueront l’Arrêté de protection d’une manière qui, selon eux, est illégale.
[194] Les défendeurs soutiennent que, dans les cas où la compétence requise existe, il est possible d’émettre un jugement déclaratoire qui aura une incidence sur des droits futurs, sauf si le litige en question est simplement conjectural. Voir l’arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821 (Solosky).
[195] Les défendeurs disent que les éléments de preuve sur lesquels les demandeurs se fondent ne créent rien de plus que des conjectures et que la conduite des fonctionnaires du MPO avant la prise de l’Arrêté de protection est peu pertinente, pour deux raisons : premièrement, même si les demandeurs se plaignent que le MPO a tenté de retirer la désignation de l’habitat essentiel du programme de rétablissement, le fait est qu’en fin de compte cette désignation n’a pas été retirée, ni même modifiée en profondeur; deuxièmement, toutes ces mesures datent d’avant la décision de prendre l’Arrêté de protection et elles ne prouvent pas quelles sont les intentions futures des défendeurs au sujet de l’Arrêté de protection.
[196] Les défendeurs disent qu’ils entendent bel et bien appliquer et faire respecter l’Arrêté de protection en fonction de leur nouvelle compréhension de l’étendue de l’habitat essentiel et qu’ils concèdent maintenant que la position des demandeurs au sujet de cette portée est exacte. Cependant, il est difficile pour la Cour de saisir, en premier lieu, pourquoi les défendeurs n’ont pas clarifié leur nouvelle position et les concessions faites aux demandeurs avant l’audience et, en second lieu, pourquoi ils n’ont rien fait pour garantir que le Programme de rétablissement et le REIR énoncent de manière absolument claire les obligations légales qu’ils ont de protéger l’habitat essentiel, de façon à ce que tous ceux qui doivent savoir ce qui est protégé n’aient à cet égard aucun doute dans leur esprit. À mon avis, il est fallacieux pour les défendeurs de prétendre qu’un programme de rétablissement et un REIR qui étayaient initialement leur opinion antérieure et erronée au sujet du droit sont maintenant adéquats et suffisamment clairs pour étayer et expliquer une opinion tout à fait différente. Si tel était le cas, le Programme de rétablissement et le REIR ne permettraient pas d’interpréter ce qui est protégé en vertu de l’Arrêté de protection. Ce que les ministres semblent vouloir dire, c’est que, après avoir été informés de la bonne façon d’interpréter leurs obligations depuis que l’Arrêté de protection a été pris, on peut maintenant compter sur eux pour faire appliquer toute la protection requise, indépendamment de ce que le Programme de rétablissement et le REIR peuvent dire. Cela exclut manifestement les nombreuses autres personnes qui ne sont pas au courant de la nouvelle position des ministres et qui pourraient bien se fonder sur le Programme de rétablissement et le REIR pour interpréter l’Arrêté de protection.
[197] Les défendeurs disent que les arguments qu’invoquent les demandeurs à l’égard du REIR ne s’appliquent pas au document dans son ensemble. Le REIR fait référence à plusieurs reprises à la protection de l’habitat essentiel désigné dans le Programme de rétablissement. Les défendeurs disent que lorsqu’on lit le REIR dans son ensemble, il en ressort clairement que l’intention, dans la mesure où celle-ci peut être pertinente, était d’appliquer l’Arrêté de protection à l’habitat essentiel désigné dans le Programme de rétablissement. C’est exactement ce qu’exige le régime de la LEP. Il est difficile de souscrire à ce point de vue, selon moi, parce que le même REIR visait initialement à étayer et à expliquer une opinion tout à fait inexacte quant à quels aspects de l’habitat essentiel l’Arrêté de protection s'adressait.
[198] Les défendeurs disent que l’allégation des demandeurs selon laquelle les défendeurs ont refusé de confirmer que l’Arrêté de protection interdisait la destruction d’éléments biologiques de l’habitat essentiel est une qualification erronée. Ils disent avoir simplement expliqué le régime de la LEP, que l’Arrêté de protection applique à l’habitat essentiel désigné dans le Programme de rétablissement.
[199] En outre, les défendeurs disent qu’il est important de garder à l’esprit que, à l’époque où l’Arrêté de protection a été pris, et à celle où le REIR a été publié, la question de la nature de l’habitat essentiel était soumise à la Cour, dans l’affaire Environmental Defence, précitée. Maintenant que la Cour, dans cette affaire, a établi que l’habitat essentiel se compose d’un lieu et de caractéristiques, il est déraisonnable que les demandeurs présument que les défendeurs en feront abstraction.
[200] Les défendeurs disent que, par suite de la décision Environmental Defence, il est maintenant clair que l’interdiction dont il est question au paragraphe 58(1) s’applique aux caractéristiques de l’habitat essentiel qui sont désignées dans le Programme de rétablissement. Les plaintes des demandeurs n’étant que conjecturales, aucun jugement déclaratoire ne devrait être prononcé, même si la compétence pour le faire existe.
[201] Comme le font remarquer les demandeurs, la demande relative à l’arrêté de protection ne repose pas sur des éléments de preuve conjecturaux au sujet de faits à venir. Cette demande repose plutôt sur des éléments de preuve existants, à savoir la politique qu’applique actuellement le MPO, laquelle consiste à limiter la portée de la protection de l’habitat essentiel prévue par l’article 58. Il vaut également la peine de signaler que les défendeurs, même s’ils auraient pu le faire facilement, n’ont produit aucune preuve par affidavit pour affirmer qu’ils ont renoncé à leur interprétation actuelle et attestée de l’article 58. Quoi que puissent dire les avocats des défendeurs au sujet de l’interprétation révisée de leurs clients, le dossier de preuve non contesté révèle que le MPO a pour politique claire et continue d’interpréter l’article 58 de la LEP de manière à limiter la portée de la protection de l’habitat essentiel.
[202] À l’appui de leur thèse selon laquelle le présent litige est [traduction] « conjectural », la seule décision jurisprudentielle dont les défendeurs font état est l’arrêt Solosky, précité. Il me semble toutefois que cet arrêt aide la cause des demandeurs. Dans l’arrêt Solosky, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’un jugement déclaratoire qui influencerait des faits à venir n’était pas un obstacle à un telle réparation, à la condition que le litige ne soit pas hypothétique. La Cour a conclu que la contestation de M. Solosky à l’égard d’un ordre de censure en milieu carcéral n’était pas hypothétique; comme elle l’a dit : « Le jugement déclaratoire sollicité attaque directement et maintenant l’ordre de censure » : Solosky, précité, aux pages 832 et 833. Comme l’ordre restait en vigueur, du passé au présent et dans l’avenir, il soulevait une controverse non théorique qu’un jugement déclaratoire pouvait régler convenablement : « Le fait qu’un jugement déclaratoire accordé aujourd’hui ne puisse réparer les maux passés ou puisse toucher aux droits futurs, ne prive pas le recours de son utilité potentielle dans la solution du litige découlant de l’ordre permanent du directeur » : Solosky, précité, à la page 833. À mon avis, les demandeurs font valoir avec raison que l’Arrêté de protection est tout à fait analogue. Les jugements déclaratoires demandés régleront toute controverse en cours au sujet de l’Arrêté de protection.
Les demandeurs ne peuvent pas obtenir le jugement déclaratoire sollicité
[203] Enfin, pour s’opposer à la demande relative à l’arrêté de protection, les défendeurs soutiennent qu’à défaut d’une demande de contrôle de la décision de prendre l’Arrêté de protection même, qui, de toute façon, n’aurait pas été disponible, la Cour n’est pas compétente pour accorder les jugements déclaratoires que sollicitent les demandeurs.
[204] L’argument des défendeurs est le suivant : la Cour, en tant que création d’une loi, n’a pas la compétence générale voulue pour rendre un jugement déclaratoire mais doit trouver une attribution légale de compétence. Dans les circonstance de l’espèce, disent-ils, il n’existe pas de compétence pour accorder le jugement déclaratoire sollicité dans la demande relative à l’arrêté de protection.
[205] Aux termes de l’alinéa 18(1)a) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour a compétence exclusive pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral. Ce recours ne peut être demandé que par la voie d’un contrôle judiciaire, en application du paragraphe 18(3) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4]. Cependant, les pouvoirs qu’a la Cour d’accorder les mesures prévues sont énoncés au paragraphe 18.1(3), comme suit :
18.1 […] |
|
(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut : a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable; b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral. |
Pouvoirs de la Cour fédérale |
[206] Les défendeurs disent que la Cour n’est habilitée qu’à déclarer illégal « toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte ». Ils sont d’avis que les demandeurs ne cherchent pas à faire déclarer illégal l’Arrêté de protection même et qu’ils ne visent pas non plus une autre décision ou procédure ou un autre acte qu’ils souhaitent voir déclarer illégal.
[207] Je crois qu’il est possible de répondre brièvement à cet argument : les demandeurs demandent effectivement à la Cour de déclarer l’Arrêté de protection illégal. Au paragraphe 192 de leur mémoire des faits et du droit, les demandeurs précisent qu’ils veulent que la Cour déclare, notamment, que [traduction] « les ministres ont commis une erreur de droit en limitant l’application et la portée de l’Arrêté de protection de façon à ne protéger légalement que les parties géophysiques de l’habitat essentiel ».
[208] Ce qui semble sous-tendre les objections des défendeurs à l’égard du recours demandé est que l’Arrêté de protection, à première vue, ne révèle pas l’erreur de droit qui a été commise à l’époque où cet arrêté a été pris et que, maintenant que la décision Environmental Defence, précitée, leur a fait prendre tout à fait conscience de leur erreur, il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur l’illégalité de l’Arrêté de protection à l’époque où il a été pris.
[209] Cette démarche, selon moi, suscite plusieurs problèmes. Tout d’abord, les ministres, dans la présente demande, ne reconnaissent pas clairement l’erreur de droit qui sous-tend l’Arrêté de protection, pas plus qu’ils ne formulent des suggestions pour rectifier la confusion qui pourrait s’ensuivre si on laisse les choses comme elles sont. Dans le processus qui a mené à l’audition des demandes, les ministres ont simplement fait abstraction du bien-fondé de la position des demandeurs et ont tenté de convaincre la Cour qu’elle n’était pas compétente pour entendre la demande relative à l’arrêté de protection et qu’elle ne devrait pas instruire la demande relative à la déclaration de protection.
[210] Ce fait, de pair avec les réponses inutiles des défendeurs aux tentatives faites par les demandeurs pour clarifier auprès d’eux les questions de droit soulevées dans les présentes demandes, amène la Cour à penser que les ministres sont réticents à reconnaître l’erreur qui a été commise et à prendre des mesures pour la corriger. Ce n’est qu’en réponse à des questions soumises aux avocats par la Cour à l’audition de la demande relative à l’arrêté de protection que les ministres ont reconnu qu’ils considéraient effectivement que l’« habitat essentiel » se limitait aux éléments géophysiques, avant que la décision soit rendue dans l’affaire Environmental Defence, précitée, et que l’Arrêté de protection avait été pris en se fondant sur leur mauvaise interprétation de la loi.
[211] Même si les ministres ont maintenant l’intention d’appliquer l’Arrêté de protection d’une manière conforme à la décision Environmental Defence, de façon à ce que tous les éléments de l’habitat essentiel — y compris les facteurs cruciaux que sont la réduction de la disponibilité du saumon-proie, la contamination environnementale et les perturbations physiques et acoustiques — soient maintenant protégés d’une manière conforme à l’article 58 de la LEP, cela ne résout pas les problèmes qu’a causés la prise de l’Arrêté de protection.
[212] Comme les défendeurs le font remarquer eux-mêmes, l’Arrêté de protection, à première vue, ne dit pas ce qui est inclus dans l’habitat essentiel des épaulards résidents. Il faut pour cela se tourner vers le Programme de rétablissement et le REIR. Cela pose un problème car le Programme de rétablissement contient un libellé qui reflète l’opinion erronée des défendeurs quant au droit à l’époque où l’Arrêté de protection a été pris. Quiconque veut savoir quels éléments de l’habitat essentiel des épaulards résidents sont protégés sous le régime de la LEP doit consulter le Programme de rétablissement. Les défendeurs n’ont pas dit comment ils entendent clarifier la situation pour ceux qui mettent en œuvre, ou tentent de suivre, le Programme de rétablissement, mais qui n’étaient pas présents à l'audience pour entendre les avocats reconnaître que tous les éléments de l’habitat essentiel des épaulards résidents doivent maintenant être considérés comme visés par l’Arrêté de protection. Vu l’historique de la présente affaire, et la réticence manifeste des défendeurs à reconnaître que l’habitat essentiel est plus qu’un simple espace géophysique, cette question cruciale ne peut pas rester douteuse. Sans cela, ce manque de clarté pourrait bien mener à la mise en échec de l’objet de la LEP quant à l’éventail des mesures de protection qui doivent être prises à l’égard des épaulards résidents.
[213] L’Énoncé sur la protection qui a été affiché dans le registre de la LEP le 10 septembre 2008 faisait une distinction entre, d’une part, la protection légale qu’exige la LEP pour les caractéristiques géophysiques de l’habitat essentiel et, d’autre part, la gestion et l’atténuation d’autres menaces pour les caractéristiques biologiques et écosystémiques de l’habitat des épaulards résidents. Ce fait, de pair avec le processus qui a mené à la publication de l’Énoncé sur la protection, a amené à se demander si les ministres percevaient pour cette espèce deux niveaux de protection : l’un d’eux était l’espace géophysique que les épaulards occupaient et qui, selon les ministres, bénéficiait de la pleine protection impérative que confère le paragraphe 58(1) de la LEP; l’autre était les aspects biologiques et autres éléments écosystémiques de l’habitat des épaulards qui, selon les ministres, devaient être gérés et atténués et qui ne bénéficiaient pas de la pleine protection du paragraphe 58(1) de la LEP.
[214] Comme nous le savons maintenant, l’Énoncé sur la protection du 10 septembre 2008 a été remplacé par l’Arrêté de protection de février 2009.
[215] Cependant, tant l’Énoncé sur la protection que l’Arrêté de protection ne peuvent être interprétés qu’en se reportant au Programme de rétablissement qui, après bien des débats sur ce qu’il fallait inclure dans la notion d’« habitat essentiel », a été affiché dans le registre le 14 mars 2008.
[216] Indépendamment des débats susmentionnés, l’Énoncé sur la protection fait clairement état de la détermination du MPO à maintenir une distinction entre les caractéristiques géophysiques de l’habitat essentiel et les caractéristiques biologiques et autres éléments écosystémiques.
[217] Quand l’Arrêté de protection a été publié dans la Partie II de la Gazette du Canada le 4 mars 2009, il disait que l’interdiction prévue au paragraphe 58(1) de la LEP s’appliquait à l’habitat essentiel des épaulards résidents, qui est décrit à l’annexe 1. Cette dernière est une liste de coordonnées marines concernant l’emplacement géospatial de l’habitat essentiel.
[218] S’il y a eu confusion, c’est parce que l’Arrêté de protection a été publié avec un REIR qui, dans une de ses sections au moins, semble maintenir la distinction entre les zones géophysiques et les caractéristiques biologiques de l’habitat essentiel [à la page 340] :
Le programme de rétablissement nous présente, dans la section 3, les habitats essentiels comme des zones géophysiques définies où ces populations sont concentrées. De plus, MPO reconnaît que d’autres caractéristiques de cet écosystème, comme l’existence de proies à des fins de fourrage et la qualité de l’environnement, sont importantes pour la survie et le rétablissement des épaulards résidents du nord et du sud.
[219] Une autre source de confusion est le libellé suivant, extrait du paragraphe 3.2 du Programme de rétablissement, qui donne aussi à penser qu’il y a une distinction entre les caractéristiques géophysiques et les autres éléments ou caractéristiques de l’habitat essentiel :
Si, pour les besoins de la LEP, l’habitat essentiel lui-même consiste en une zone géophysique (voir ce qui précède), il reste que d’autres caractéristiques écosystémiques – par exemple, la disponibilité des proies et la qualité de l’environnement – doivent être gérées à titre de risques afin de ne pas compromettre la fonction de l’habitat essentiel et donc de ne pas entraver la survie et le rétablissement de l’espèce.
[220] Manifestement, on laisse entendre ici qu’il y a une distinction entre la zone géophysique, pour laquelle les mesures de protection de la LEP sont disponibles, et d’« autres caractéristiques écosystémiques », qui ne sont pas protégées par la LEP et qui doivent peut-être être « gérées ».
[221] La note de service qui a été adressée au ministre des Pêches et des Océans en date du 10 septembre 2008 confirme cette confusion :
[traduction] Les mesures qu’il serait possible de prendre pour protéger légalement les populations d’épaulard résident ont été difficiles à déterminer, à cause des complexités qui entourent la nature des menaces possibles pour les animaux et leur habitat essentiel. Le Programme de rétablissement désigne l’habitat essentiel en termes géophysiques; ce sont les caractéristiques géophysiques de l’habitat essentiel que la LEP doit protéger. Cependant, le Programme de rétablissement désigne aussi, pour les épaulards, un certain nombre de menaces éventuelles qu’il est nécessaire de gérer si l’on veut assurer la survie et le rétablissement de l’espèce; ces menaces comprennent la disponibilités de proies, la dégradation acoustique et divers polluants environnementaux. [Non souligné dans l’original.]
[222] Ces mots disent clairement que la protection impérative de la LEP n’est exigée que pour les caractéristiques géophysiques, tandis que les autres caractéristiques de l’habitat essentiel font l’objet d’une gestion discrétionnaire. Comme l’a confirmé le juge Campbell dans la décision Environmental Defence, précitée, il s’agit là fondamentalement d’une mauvaise interprétation de ce qui constitue l’habitat essentiel pour les besoins de la protection impérative que prévoit la LEP. Cette même interprétation erronée de la LEP est évidente dans le tableau d’analyse qui accompagne la note de service destinée aux ministres.
[223] Si le MPO peut interpréter le Programme de rétablissement de cette façon, on peut donc présumer que toute autre personne qui le consulte pour déterminer la portée entière de l’Arrêté de protection peut arriver à la même interprétation.
[224] Il s’agit là de confusions qui auraient pu — et auraient dû — être éclaircies et réglées sans qu’il faille recourir à une action en justice. C’est précisément ce que les demandeurs ont tenté de faire. Le 6 mars 2009, ils ont écrit au MPO pour l’informer de leurs préoccupations à l’égard du fait que l’Arrêté de protection ne protégeait peut-être pas légalement les éléments biologiques de l’habitat essentiel des épaulards résidents et poser une série de questions pertinentes visant à clarifier la situation. Le MPO a répondu par l’entremise de ses avocats, dans une lettre datée du 10 mars 2009.
[225] La question précise que les demandeurs ont posée au MPO est la suivante :
[traduction] L’Arrêté interdit-il de détruire les éléments biologiques (ou les caractéristiques écosystémiques) de l’habitat essentiel? Ou alors l’Arrêté n’interdit-il que la destruction des caractéristiques géophysiques de l’habitat (à savoir, le fond de l’océan)?
[226] La réponse du MPO à cette question est la suivante :
[traduction] Au sujet de votre troisième question, comme il a déjà été mentionné, la conséquence de la prise de l’arrêté en vertu de l’article 58 est que la destruction de l’habitat essentiel devient une infraction. Il y a deux points qui découlent de cela. Premièrement, comme vous le savez, les habitats essentiels de ces espèces ont été désignés dans le Programme de rétablissement. Cette désignation n’a pas été contestée par vos clients, ni par qui que ce soit d’autre, et le temps pour le faire est expiré depuis longtemps. Deuxièmement, la responsabilité d’engager une poursuite en vertu de l’article 97 de la LEP relève du procureur général du Canada et du pouvoir discrétionnaire du Service des poursuites pénales du Canada d’engager des poursuites, et non des ministres compétents. Comme cela est arrivé dans le cas de dispositions semblables, comme l’article 35 de la Loi sur les pêches, le droit entourant la portée et l’application de l’interdiction énoncée au paragraphe 58(1) évoluera sans aucun doute à la longue à mesure que l’on engagera des poursuites.
[227] À mon avis, cette réponse, donnée à une question directe, est des plus évasives. Il est difficile de voir ce que les poursuites ont à voir avec la présente affaire. À moins que tous les intéressés sachent clairement ce qui est inclus dans l’« habitat essentiel », le procureur général du Canada ne saura pas quoi ou qui poursuivre. Les poursuites ne définissent pas l’habitat essentiel, elles exécutent les mesures de protection de l’habitat essentiel qu’accorde la LEP.
[228] En outre, signaler que les habitats essentiels [traduction] « ont été désignés dans le Programme de rétablissement » revient à dire que les doutes que crée le libellé ambigu du Programme de rétablissement et que perpétue la propre note de service du MPO aux ministres est le problème des demandeurs, et que le MPO n’a pas intérêt à clarifier les choses. Bien sûr, il y a peut-être bien une raison à cela. Cependant, à défaut d’une explication, le dossier me donne à penser que le MPO n’était pas intéressé à régler la confusion causée par ses propres documents et sa position antérieure et qu’il espérait maintenir la distinction faite entre l’espace géophysique (protégé par la LEP) et d’autres aspects de l’habitat (sous réserve d’une gestion discrétionnaire, et non protégés par la LEP). Si je dis cela c’est que, sans explication, il n’y a pas d’autre raison plausible pour laquelle on ne pouvait pas répondre à cette question simple, ou pour laquelle, compte tenu des réponses qu’ont données et des concessions qu’ont faites les défendeurs à audience devant moi dans le cadre de la présente demande, les demandeurs ont dû soumettre l'affaire à la Cour.
[229] Le fait qu’aucune réponse sérieuse n’ait été donnée à la demande d’éclaircissements des demandeurs au sujet de la protection que confère l’Arrêté de protection a entraîné forcément le dépôt de la demande relative à l’arrêté de protection, ce que les demandeurs ont fait le 3 avril 2009.
[230] Il est intéressant de noter que le juge Campbell a clarifié le sens complet de l’expression « habitat essentiel » sous le régime de la LEP dans la décision Environmental Defence, précitée. Cette dernière a été rendue le 9 septembre 2009. À l’audition, devant moi, de la demande relative à l’arrêté de protection, les défendeurs ont admis que le juge Campbell avait tranché la question de droit et ils ont ensuite exprimé l’avis que l’Arrêté de protection visait tous les aspects de l’habitat essentiel qu’il fallait, selon les demandeurs, qu’il couvre.
[231] Cela dit à la Cour qu’il y a deux choses à signaler. Premièrement, au moment de la prise de l’Arrêté de protection en février 2009, et jusqu’à la lettre de réponse de leurs avocats datée de mars 2009, les défendeurs ne considéraient l’habitat essentiel que comme un simple espace géophysique, mais ils n’étaient pas disposés à reconnaître ce fait aux demandeurs, ce qui explique le caractère si évasif de leur réponse à la question de ces derniers. Deuxièmement, cela révèle que les défendeurs ont changé d’avis au sujet de la portée entière de l’« habitat essentiel » à la suite de la décision du juge Campbell dans l’affaire Environmental Defence, précitée, mais qu’ils n’ont pas pris la peine d’en informer les demandeurs. Ils ont plutôt résisté jusqu’au bout à la demande relative à l’arrêté de protection, n’ont fourni au départ aucun argument quant au bien-fondé de cette dernière et ont informé la Cour qu’elle n’était pas compétente pour instruire la demande. Ce n’est que lorsque la Cour a posé des questions précises aux avocats à l’audience que les défendeurs ont admis qu’ils souscrivaient à la version des demandeurs sur ce qui était inclus dans l’habitat essentiel. Ils ont allégué de plus que la demande relative à l’arrêté de protection était inutile parce que cet arrêté englobait maintenant les aspects biologiques et écosystémiques de l’habitat essentiel, un fait qu’ils avaient refusé d’éclaircir lorsque la question leur avait été posée en mars 2009, ou à un moment quelconque avant l’audience.
[232] Tout cela me convainc que la demande relative à l’arrêté de protection était — et demeure — absolument nécessaire.
[233] Les défendeurs ont, en fait, admis maintenant à la Cour qu’ils souscrivent à la position des demandeurs quant au sens de l’habitat essentiel et à la portée de la protection assurée à l’épaulard résident sous le régime de la LEP, mais ils ne veulent pas que j’examine le bien-fondé de la demande relative à l’arrêté de protection parce que, notamment, je n’ai pas la compétence requise pour le faire.
[234] Je me demande dans ce cas ce qui se cache derrière la résistance des défendeurs. S’ils ne voulaient pas que j’instruise la demande relative à l’arrêté de protection, tout ce qu’ils avaient à faire, suivant la décision Environmental Defence, était d’éclaircir leur nouvelle position auprès des demandeurs, ainsi que dans le dossier public. On ne m’a donné aucune explication quant à la raison pour laquelle cela n’avait pas pu se faire.
[235] Quoi qu’il en soit, compte tenu de la conduite évasive des défendeurs et de l’état embrouillé du dossier public, comme je l’ai mentionné ci-dessus, je crois que la Cour doit donner à la question en litige l’éclaircissement que les défendeurs ont refusé de fournir. Les demandeurs se sont acquittés du fardeau nécessaire pour obtenir le jugement déclaratoire qu’ils sollicitent en rapport avec l’Arrêté de protection.
La demande relative à la déclaration de protection
La Cour devrait-elle l’instruire?
[236] Le juge O’Reilly a déjà décidé que la demande relative à la déclaration de protection est de nature théorique. Néanmoins, il m’a laissé le soin de décider si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire et trancher la demande, après avoir examiné le bien-fondé des deux demandes et avoir obtenu les observations complètes et les éléments de preuve pertinents des deux parties.
[237] Dans la demande relative à l’arrêté de protection et la demande relative à la déclaration de protection, les défendeurs ont décidé au départ de ne pas me faire part d’observations sur le bien-fondé de ces demandes. Ils ont plutôt mis l’accent sur le caractère théorique et sur la raison pour laquelle je ne devais instruire ni l’une ni l’autre demande. Toutefois, ils ont depuis ce temps admis qu’il y a un certain fondement aux deux demandes. Pour ce qui est de la demande relative à la déclaration de protection, par exemple, ils ont admis à l’audience qu’une déclaration de protection ne peut pas reposer sur des lois provinciales et qu’elle ne peut être fondée que sur les mesures de protection, autres que celles que comporte la LEP, qui sont [traduction] « présentement en vigueur » à l’époque où la déclaration est émise. À la suite de la directive que la Cour a donnée aux défendeurs, à savoir qu’ils lui fassent part d’observations sur le bien-fondé de la demande relative à la déclaration de protection, les défendeurs ont maintenant, dans leurs observations écrites supplémentaires, fait d’autres concessions au sujet du bien-fondé des arguments des demandeurs. Ces concessions sont les suivantes :
1. on ne peut se fonder sur les lois provinciales pour assurer la protection qu’exige l’alinéa 58(5)b);
2. une déclaration de protection ne peut être fondée sur des textes légaux ou réglementaires futurs qui ne sont pas en vigueur à l’époque où la déclaration de protection est émise;
3. la protection à assurer est une protection contre la destruction de l’habitat essentiel ou l’une quelconque de ses caractéristiques désignées — en l’occurrence, l’acoustique, la qualité de l’eau et la disponibilité de proies.
[238] En ce qui concerne le bien-fondé des demandes, il subsiste donc entre les parties les points de désaccord suivants :
1. si une disposition d’une déclaration de protection émise en vertu de l’alinéa 58(5)b) de la LEP doit être une disposition légale;
2. si la protection légale doit tenir lieu de substitut à l’interdiction prévue au paragraphe 58(1) — c’est-à-dire qu’il doit s’agir d’une interdiction de destruction qui soit impérative et exécutoire.
[239] Il n’y a pas de désaccord quant au droit qui s’applique quand la Cour doit envisager d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire une demande de nature théorique. Ce pouvoir ne doit être exercé que dans des circonstances exceptionnelles, conformément aux trois facteurs que la Cour suprême du Canada a établis dans l’arrêt Borowski, précité, aux pages 358 à 362 :
a. la présence d’un contexte contradictoire;
b. le souci de l’économie des ressources judiciaires;
c. la nécessité pour la Cour d’être sensible à sa fonction véritable dans l’élaboration du droit, ce qui veut dire que la Cour doit être consciente de sa fonction juridictionnelle dans la structure politique canadienne.
[240] En énonçant les critères à prendre en considération, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Borowski, précité, a pris soin de souligner (à la page 363 du recueil) qu’il ne s’agit pas d’un processus mécanique :
Il se peut que les principes examinés ici ne tendent pas tous vers la même conclusion. L’absence d’un facteur peut prévaloir malgré la présence de l’un ou des deux autres, ou inversement.
[241] Étant donné que les ministres, dans le cadre des deux demandes, ont décidé au départ de ne pas traiter entièrement du bien-fondé des arguments invoqués par les demandeurs, il a été impossible d’apprécier avec précision l’étendue complète du contexte contradictoire. Comme je l'ai déjà mentionné, dans le cadre de la demande relative à l’arrêté de protection, les ministres ont concédé lors des plaidoiries qu’ils ne contestaient plus la portée de l’habitat essentiel qu’avançaient les demandeurs. Cela semble être dû à la décision du juge Campbell dans l’affaire Environmental Defence, précitée.
[242] Pour ce qui est de la demande relative à la déclaration de protection, à la suite de questions et de directives de la Cour, les défendeurs en ont concédé une grande partie. Cependant, ils ont maintenant aussi révélé que leur interprétation de l’article 58 de la LEP contredit nettement celle des demandeurs au sujet de questions fondamentales qui sont lourdes de conséquences pour la protection des épaulards résidents ainsi que pour d’autres espèces qui risquent de disparaître du pays et de la planète. Les demandes de la Cour ont révélé qu’il existe bel et bien un contexte contradictoire qui oppose les parties et qui doit être réglé.
[243] Il est ressorti lors des plaidoiries que les demandeurs se soucient particulièrement du fait que les ministres considèrent de vastes pouvoirs discrétionnaires, comme ceux qui figurent dans la Loi sur les pêches, comme l’équivalent des protections impératives que contient l’article 58 de la LEP, et les défendeurs n’ont pas traité entièrement de cette question cruciale.
[244] Dans l’ensemble, donc, je crois qu’il me faut conclure qu’il existe un litige important au sujet des obligations qu’impose l’article 58 de la LEP aux défendeurs et que ce litige se poursuivra si l’on ne clarifie pas le droit quant aux mesures de protection autres que celles de la LEP que l’on peut légalement invoquer dans le cadre d’une déclaration de protection.
[245] Je crois qu’il est également évident que si ce litige n’est pas réglé, il pourrait y avoir de graves conséquences accessoires pour d’autres espèces à protéger, mais sans défenseurs pour soumettre leur cause à la Cour. La protection des espèces revêt un caractère urgent que saisissent les objectifs et les délais que l’on trouve dans la LEP, et cela donne à penser qu’il faudrait rapidement régler ce litige avant qu’il survienne des dommages indirects.
L’économie des ressources judiciaires
[246] Les défendeurs préfèrent que le litige opposant les parties soit réglé au cas par cas et que la Cour ne rende pas de décision en l’absence de faits, ce qui pourrait nuire à des causes futures.
[247] Je suis conscient qu’il ne faudrait pas que je rende de décisions en l’absence de faits, mais il me semble que le litige entre les parties n’est pas de nature factuelle et que la question de savoir sur quoi l’on peut se fonder dans une déclaration de protection est manifestement une question de droit qui ne dépend pas de faits. Par exemple, les défendeurs eux-mêmes ont maintenant clairement admis que les ministres ne peuvent pas se fonder sur des lois provinciales et qu’ils doivent faire référence à des dispositions qui sont en vigueur au moment où la déclaration de protection est faite.
[248] Je reconnais que, en théorie du moins, l’efficacité et la portée d’une disposition ou d’une mesure particulière sur laquelle on se fonderait et qui serait énoncée dans une « autre loi fédérale » pourraient susciter un certain désaccord, mais je ne crois pas qu’une interprétation de ce que la LEP exige en matière de dispositions ou de mesures particulières pourrait nuire à des causes futures. Il me semble, en réalité, qu’une telle interprétation de la Loi doit être faite avant que l’on puisse évaluer n’importe quelle disposition ou mesure particulière.
[249] Dans l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, aux paragraphes 20 et 21, la Cour suprême du Canada a prescrit que la Cour devait « soupeser les ressources judiciaires limitées en fonction du “coût social de l’incertitude du droit” ». En l’espèce, des ressources judiciaires considérables ont déjà été dépensées pour présenter à la Cour un point de droit général. Cette dépense est fortement liée à la façon dont les défendeurs ont continué de s’opposer aux points que les demandeurs ont invoqués à la longue, mais que les défendeurs concèdent maintenant à l'audience. Si on laisse persister l’incertitude constante entourant les obligations qu’impose aux ministres la LEP, cela pourrait mettre en danger des espèces vulnérables. Selon moi, il n’y a rien à gagner, et beaucoup à perdre, en reportant une décision sur cette question jusqu’à ce qu’au jour où une autre déclaration de protection soit soumise à la Cour. Comme le font remarquer les demandeurs, la persistance d’une incertitude juridique aura des coûts environnementaux et il se pourrait fort bien que des espèces vulnérables soient privées de la protection complète qu’elles devrait avoir, selon la LEP. Cette incertitude mine l’objet global de la LEP. Le présent litige a des conséquences nationales pour toutes les espèces aquatiques en péril, et le fait que les défendeurs continuent de se fonder sur leurs pouvoirs discrétionnaires ministériels sous le régime de lois telles que la Loi sur les pêches pourrait toucher les espèces menacées en général. Comme le soulignent les demandeurs, une espèce en voie de disparition est une espèce qui, de façon imminente, risque de disparaître du pays ou de la planète. Il ne faudrait pas que cette espèce doive attendre une protection complète, ce qui pourrait ne pas se faire avant un certain temps si l’on ne tranche pas cette question dès à présent. Les intéressés doivent savoir de quelle façon est censé s’appliquer le droit régissant les déclarations de protection. Bien des choix en dépendent, et ceux qui informent la planète de la portée de la protection que confère la LEP doivent savoir dès à présent quelles sont les obligations légales des ministres.
[250] Le litige que présente la demande relative à la déclaration de protection soulève une question fondamentale d’interprétation des lois, et celle-ci repose sur le dossier de preuve complet qui m’a été soumis. La manière dont les ministres abordent ces demandes me convainc qu’il est nécessaire de trancher la question. Sans cela, le MPO continuera de se fonder sur des dispositions et des mesures qui ne protègent pas légalement l’habitat essentiel d’espèces en péril comme il devrait l’être selon la LEP. Les ministres ont déjà concédé ce qui suit : a) une déclaration de protection doit, à part les accords de conservation conclus au titre de l’article 11, être fondée sur une loi fédérale; b) la protection légale sur laquelle on se fonde doit être en vigueur au moment où la déclaration de protection est émise; c) les dispositions auxquelles il est fait référence et sur lesquelles on se fonde doivent protéger tous les éléments de l’habitat essentiel. Cependant, les ministres ne conviennent pas de ce qui suit : a) seules des dispositions légales peuvent être citées dans une déclaration de protection; b) les dispositions citées dans une déclaration de protection doivent tenir lieu de substitut à l’interdiction que contient le paragraphe 58(1) de la LEP et elles ne peuvent pas offrir, de manière légale, un niveau de protection légale inférieur.
[251] La Cour doit se garder de rendre des jugements en l’absence d’un litige touchant les droits des parties. Cependant, à mon avis, une décision sur cette question ne créera pas un précédent inutile. Elle mènera plutôt à un précédent nécessaire, au sein d’un litige qui perdure et pour lequel l’intérêt public exige une solution rapide.
[252] Somme toute, je crois que les demandeurs ont établi que, indépendamment du caractère théorique de la demande relative à la déclaration de protection, la Cour doit néanmoins entendre et trancher les points de désaccord fondamentaux entre les parties au sujet des éléments sur lesquels on peut se fonder de manière légale dans une déclaration de protection, ainsi que la question de savoir si, en l’espèce, l’Énoncé sur la protection était illégal parce qu’il omettait de fournir les mesures de protection que, d’après la LEP, les ministres sont tenus de prendre à l’égard des épaulards résidents.
Le bien-fondé de la demande relative à la déclaration de protection
[253] Je crois que, de façon générale, les demandeurs ont raison dans les affirmations qu’ils font au sujet des exigences légales concernant les dispositions et les mesures sur lesquelles les ministres peuvent se fonder dans une déclaration de protection. Ils ont également raison, selon moi, dans l’évaluation qu’ils font de l’illégalité de l’Énoncé sur la protection qui est en litige en l’espèce.
[254] Une déclaration de protection cite les dispositions d’autres lois fédérales qui protègent légalement l’habitat essentiel. Ces autres dispositions sont destinées, selon moi, à remplacer l’interdiction relative à la destruction de l’habitat essentiel que prévoit le paragraphe 58(1) de la LEP.
[255] Si l’habitat essentiel n’est pas protégé directement sous le régime de la LEP, mais par d’autres lois fédérales, c’est à l’organisme chargé d’appliquer les lois en question qu’incombe la responsabilité de respecter et de faire appliquer ces autres lois fédérales. Voir : Environnement Canada, Politiques de la Loi sur les espèces en péril : Série de politiques et de lignes directrices : Ébauche (Ottawa : Ministre de l’Environnement, 2009), à la page 19 (Politiques sur les espèces en péril : Ébauche).
[256] Il y a deux points importants qui découlent de ce régime. Premièrement, la protection relative à la destruction de l’habitat essentiel, que prévoit le paragraphe 58(1) de la LEP, ne s’applique que dans les cas où un ministre compétent prend un arrêté de protection en vertu du paragraphe 58(4).
[257] Deuxièmement, et ceci est important, le ministre n’a pas, selon moi, le pouvoir discrétionnaire de « décider » de conférer à l’habitat essentiel un degré de protection légale contre une destruction, qui soit inférieure au degré de protection que l’on offre par un arrêté de protection pris en vertu du paragraphe 58(4). Autrement dit, selon moi, un ministre compétent n’a pas le pouvoir discrétionnaire de se fonder sur une disposition d’une autre loi fédérale, sauf si cette loi procure un degré de protection légale de l’habitat essentiel qui est égal à celui que l’on offrirait par l’entremise des paragraphes 58(1) et (4). Si une disposition citée dans une déclaration de protection ne protège pas légalement l’habitat essentiel jusqu’à un point qui équivaut à la protection que prévoient le paragraphe 58(1) et d’autres dispositions de la LEP, cela signifie que le ministre doit prendre un arrêté de protection.
Le désaccord entre les parties
[258] La directive que la Cour a donnée aux défendeurs, c’est-à-dire fournir des observations supplémentaires sur le bien-fondé de la demande relative à la déclaration de protection, m’a permis, enfin, de voir précisément où et pourquoi les parties sont en désaccord. Il s’agissait là d’un prélude nécessaire à ma décision concernant la question d’entendre ou non une demande de nature théorique et, après avoir décidé de l’entendre, à ma décision sur le bien-fondé de cette dernière.
[259] Le point de désaccord est fondamental et il met en cause un important point d’interprétation des lois qui est lourd de conséquences pour ceux qui appliquent le régime établi dans le cadre de la LEP, ou qui sont liés par lui. Essentiellement, le point principal est le suivant.
[260] Les défendeurs disent que le législateur entendait accorder une certaine souplesse quant à la façon de protéger l’habitat essentiel. Toute déclaration de protection, y compris celle qui est en litige dans la présente demande, n’a pas à être fondée sur des dispositions légales et des textes réglementaires qui assurent une protection [traduction] « de la même façon que l’arrêté de protection ».
[261] Les défendeurs disent que, sous le régime de la LEP, le législateur a donné aux ministres deux options pour protéger l’habitat essentiel. Ces derniers peuvent publier une déclaration de protection exposant la manière dont l’habitat essentiel est [traduction] « déjà protégé », ou ils peuvent prendre un arrêté de protection qui met en place une [traduction] « interdiction de détruire n’importe quelle partie de l’habitat essentiel ».
[262] Les défendeurs concèdent que ces deux options [traduction] « doivent atteindre le même but — la protection de l’emplacement et des caractéristiques désignées de l’habitat essentiel — mais ils ne sont pas tenus de le faire de la même manière ».
[263] Les défendeurs concèdent de plus ce qui suit :
[264] Contrairement aux demandeurs, les défendeurs disent que, pour atteindre le degré de protection admis, il n’est pas nécessaire qu’un texte ou une disposition que l’on invoque dans une déclaration de protection soit une disposition légale et une loi fédérale [traduction] « qui assure une protection sous la forme d’une interdiction de destruction qui soit impérative et exécutoire ». L’approche des demandeurs, disent les défendeurs, [traduction] « fait abstraction de la structure de la LEP et rend inutiles les options que le législateur offre au ministre dans le texte de l’article 58 ».
[265] Il apparaît tout de suite évident que les défendeurs croient que la protection de l’habitat essentiel que prévoit la LEP peut, au choix du ministre, revêtir l’une des deux formes suivantes : le ministre peut toujours, s’il le décide, prendre un arrêté de protection qui déclenchera les interdictions impératives que contient la LEP; mais il peut aussi décider de prendre une autre mesure : émettre une déclaration de protection qui n’a pas à assurer une protection sous la forme d’une interdiction de destruction qui soit impérative et exécutoire.
[266] À première vue, il est difficile pour la Cour de voir comment une déclaration de protection qui n’est pas fondée sur une interdiction impérative et exécutoire concernant la destruction de l’habitat essentiel peut, comme les défendeurs admettent qu’elle le doit, assurer une protection contre la destruction de l’habitat essentiel ou de n’importe quelle de ses caractéristiques désignées — en l’occurrence, l’acoustique, la qualité de l’eau et la disponibilité de proies. Cependant, comme l’expliquent les défendeurs, la réponse se trouve dans l’interprétation de l’article 58 de la LEP.
[267] Les défendeurs disent que le paragraphe 58(1) de la LEP énonce l’interdiction relative à la destruction de l’habitat essentiel. Mais l’interdiction visée au paragraphe 58(1) est « Sous réserve des autres dispositions du présent article ». Cela signifie donc, disent-ils, que l’interdiction que prescrit le paragraphe 58(1) ne s’applique que si le ministre prend un arrêté de protection dans lequel l’habitat essentiel, ou une partie de ce dernier, est désigné.
[268] Les défendeurs conviennent que même si le ministre peut toujours prendre un arrêté de protection, il [traduction] « est tenu de le faire [uniquement] si l’habitat essentiel, ou une partie de ce dernier, n’est pas par ailleurs protégé comme l’exige le paragraphe 58(5) ». Le texte du paragraphe 58(5) de la LEP est le suivant :
(5) Dans les cent quatre-vingts jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel, le ministre compétent est tenu, après consultation de tout autre ministre compétent, à l’égard de l’habitat essentiel ou de la partie de celui-ci qui ne se trouve pas dans un lieu visé au paragraphe (2) : a) de prendre l’arrêté visé au paragraphe (4), si l’habitat essentiel ou la partie de celui-ci ne sont pas protégés légalement par des dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, ou une mesure prise sous leur régime, notamment les accords conclus au titre de l’article 11; |
Obligation : arrêté ou déclaration |
[269] Si l’on donne à ces dispositions leur sens ordinaire dans le contexte global de la LEP, il me semble que le ministre est tenu de s’assurer, soit au moyen d’un arrêté de protection soit au moyen d’une déclaration de protection, que l’habitat essentiel est « légalement protégé ». La LEP elle-même nous dit, à l’article 57, qu’il s’agit là de l’objet général de l’article 58 :
57. L’article 58 a pour objet de faire en sorte que, dans les cent quatre-vingts jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel visé au paragraphe 58(1), tout l’habitat essentiel soit protégé : a) soit par des dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, ou une mesure prise sous leur régime, notamment les accords conclus au titre de l’article 11; b) soit par l’application du paragraphe 58(1). |
Objet |
[270] Cela nous ramène au paragraphe 58(5) et au sens des mots « protégés légalement ».
[271] Les défendeurs semblent vouloir dire que l’« option » dont dispose le ministre en vertu du paragraphe 58(5) n’exige pas que la protection sur laquelle on se fonde dans une déclaration de protection soit la même que, ou l’équivalent de, la protection que confère un arrêté de protection qui fait entrer en jeu l’interdiction impérative du paragraphe 58(1) à l’égard de la destruction de l’habitat essentiel. Les défendeurs affirment ce qui suit :
[traduction] Si le but du législateur était que la protection de l’habitat essentiel revête toujours la forme d’une « interdiction de destruction qui soit impérative et exécutoire », l’alinéa 58(5)b) n’aurait pas été inclus dans la LEP […] La Cour ne devrait pas présumer que l’option d’une déclaration de protection était inutile ou que la disponibilité de cette option n’a pas un rôle précis à jouer dans la réalisation de l’objet de la Loi.
[272] À mon avis, cet argument contient plusieurs faussetés. Tout d’abord, le sens que les défendeurs donnent au mot « option » est le leur. Il ne fait pas partie du régime de la LEP, pas plus qu’il ne s’agit d’un terme défini. Ils disent que le ministre peut opter entre un arrêté de protection et une déclaration de protection à la condition qu’il existe des dispositions ou des mesures sous le régime de la LEP ou de n’importe quelle loi fédérale qui protègent l’habitat essentiel en question, ou une partie de ce dernier. Il me semble, cependant, qu’on ne peut pas se servir du paragraphe 58(5) pour définir le mot « option » de cette façon. Lu dans son contexte, le paragraphe 58(5) prescrit au ministre de veiller à ce que l’habitat essentiel soit « protégé légalement ». Le ministre est tenu de prendre un arrêté de protection en vertu de l’alinéa 58(5)a) « si l’habitat essentiel ou la partie de celui-ci ne sont pas protégés légalement par des dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, ou une mesure prise sous leur régime, notamment les accords conclus au titre de l’article 11 ». L’alinéa 58(5)b) est là pour obliger le ministre à publier une déclaration de protection qui expliquera pourquoi il n’est pas nécessaire de prendre un arrêté de protection en vertu de l’alinéa 58(5)a) parce que la protection légale qu’exige l’alinéa 58(5)a) existe déjà. Je ne crois pas que l’alinéa 58(5)b) devrait, ou peut, être lu de manière à procurer au ministre l’« option » de renoncer à prendre un arrêté de protection en vertu de l’alinéa 58(5)a), sauf si les sources de protection de rechange sont du même type, du même degré et de la même portée que la protection que confère l’alinéa 58(5)a), ce qui fait entrer en jeu l’interdiction légale et impérative de détruire l’habitat essentiel qui est contenue au paragraphe 58(1).
[273] Je crois que les défendeurs sont conscients de cela parce qu’ils concèdent qu’ils ne contestent que la [traduction] « façon dont les demandeurs disent que la protection doit être assurée dans tous les cas ». Ils conviennent que [traduction] « la protection à assurer est une protection contre la destruction de l’habitat essentiel ou de n'importe quelle de ses caractéristiques désignées — en l’occurrence, l’acoustique, la qualité de l’eau et la disponibilité de proies ».
[274] Il y a toutefois plusieurs questions importantes qui ne sont pas éclaircies dans cette concession :
a. le degré, la portée et le type de protection de rechange sur laquelle on se fonde dans une déclaration de protection doivent-ils être les mêmes que ceux qu’un arrêté de protection accorderait?
b. la protection de rechange sur laquelle on se fonde doit-elle être impérative?
c. l’« option » dont parlent les défendeurs permet-elle au ministre de se fonder sur des mesures de protection de rechange dans une déclaration de protection (à la condition de viser tous les aspects de l’habitat essentiel) même si la disposition ou la mesure de rechange procure quelque chose de moins qu’une interdiction impérative à l’encontre de la destruction de l’habitat essentiel, et/ou la disposition ou la mesure de rechange confère-t-elle au ministre le pouvoir discrétionnaire d’appliquer ou non une interdiction ou d’accorder ou non des permis et des dispenses qui excluraient l’obligation de respecter les interdictions impératives que l’arrêté de protection fait entrer en jeu?
[275] En lisant les observations des défendeurs dans leur ensemble, il m’apparaît clairement qu’ils s’opposent nettement plus qu'à la seule « façon » dont les demandeurs disent que la protection doit être assurée dans tous les cas.
[276] Ils concèdent que les dispositions et les mesures de rechange que prévoit l’alinéa 58(5)b) doivent protéger tous les aspects de l’habitat essentiel. Cependant, ils nient que les interdictions impératives qu’un arrêté de protection fait entrer en jeu sont exigées et ils souhaitent, à mon avis, réserver au ministre le pouvoir discrétionnaire d’amoindrir les interdictions impératives de la LEP advenant qu’il estime que d’autres intérêts (économiques, par exemple) opposés l’exigent.
[277] En définitive, les défendeurs souhaitent réserver au ministre le maximum de pouvoirs discrétionnaires possible quant à la mesure dans laquelle il est nécessaire de protéger l’habitat essentiel sous le régime de la LEP. Le MPO a déjà perdu la première manche du débat entourant les pouvoirs ministériels discrétionnaires qui a pris naissance dans l’affaire Environmental Defence, précitée, et il a été contraint de faire face à la réalité selon laquelle l’habitat essentiel est plus qu’un simple espace géospatial et qu’il inclut tous ses éléments constitutifs.
[278] Les observations que les défendeurs ont faites dans la présente affaire — à savoir que le législateur entendait accorder au ministre une « option » qui confère à ce dernier, dans certaines circonstances, le pouvoir discrétionnaire d'amoindrir les interdictions impératives de la LEP — constitue, selon moi, une autre tentative pour réserver au ministre le maximum de pouvoirs discrétionnaires possible.
[279] Cette approche pose problème de deux façons. Premièrement, elle entre en conflit avec une lecture simple et ordinaire de la LEP dans son juste contexte. Deuxièmement, elle est contraire à l’intention que le législateur a exprimée, à savoir que les mesures de protection fondamentales de la LEP (pour lesquelles il existe des exceptions) devraient être impératives et ne pas relever du pouvoir discrétionnaire de ministres particuliers. Ces derniers, sans aucun doute, subiront de temps à autre d’énormes pressions pour qu’ils prennent leurs distances par rapport à ces interdictions impératives, ou qu’ils les modifient, par souci de commodité politique ou économique. Comme l’illustrent les débats parlementaires, cependant, c’est exactement pour cela que le Parlement a opté pour une interdiction impérative plutôt que pour un pouvoir ministériel discrétionnaire, et je crois que, pris dans son contexte, l’alinéa 58(5)b) ne peut pas être interprété de la manière voulue par les défendeurs.
[280] Comme le montrent les observations et les éléments de preuve qui m’ont été soumis, les ministres préféreraient nettement mieux utiliser les pouvoirs discrétionnaires qu’accorde une loi telle que la Loi sur les pêches que de souscrire aux interdictions impératives que comporte la LEP. Je puis comprendre pourquoi. Cependant, je crois que le législateur avait une autre intention. Il est loisible aux ministres de soumettre l'affaire au Parlement s’ils jugent que le régime de la LEP ne leur accorde pas le pouvoir discrétionnaire dont ils ont besoin.
[281] Pour étayer leur interprétation de l’alinéa 58(5)b), les défendeurs invoquent la référence précise qui est faite dans ce paragraphe aux accords conclus au titre de l’article 11 :
[traduction] […] la référence précise qui est faite aux accords conclus au titre de l’article 11 est une pièce importante du casse-tête auquel on a affaire lorsqu’on effectue un exercice d’interprétation de la Loi. Les accords conclus au titre de l’article 11 ne sont pas inscrits comme une exception aux critères qui précèdent la référence qui y est faite, mais à titre d’exemple d’une chose qui satisfait à ces critères — le mot employé est « notamment ».
[282] Les défendeurs disent de la référence faite aux accords conclus au titre de l’article 11 qu’il s’agit d’une [traduction] « preuve de l’intention du législateur que les textes sur lesquels on se fonde dans une déclaration de protection peuvent revêtir une forme différente de celle de la protection que confère un arrêté mettant en place l’interdiction de destruction ».
[283] L’argument des défendeurs sur ce point est important, et il convient d’y faire référence en entier :
[traduction]
18. Les accords conclus au titre de l’article 11 doivent « prévoir des mesures de conservation », ce qui inclut le suivi de la situation de l’espèce, la mise en oeuvre de programmes d’éducation, de programmes de rétablissement, de plans d’action et de plans de gestion, la protection de l’habitat de l’espèce et la mise sur pied de projets de recherche. Ces accords ne sont pas une « loi fédérale » et ne prévoient pas nécessairement [traduction] « une interdiction de destruction qui soit impérative et exécutoire », comme doivent le faire, d’après les demandeurs, tous les textes inclus dans une déclaration de protection. Les accords conclus au titre de l’article 11 sont conçus pour être utilisés dans un large éventail de situations différentes, et ils mettent en cause de nombreux types différents de parties, et la souplesse de ces accords est importante et prévue par l’article 11 même.
19. Il est évident, d’après l’inclusion des accords conclus au titre de l’article 11 dans la liste des textes qui procurent une protection légale, que le législateur entendait que la solution de rechange à un arrêté de protection contienne une certaine souplesse quant à la protection accordée. Cela est logique, car les habitats sont des écosystèmes souvent compliqués, et ils peuvent couvrir de vastes superficies qui sont également utilisées par les humains et d’autres espèces, dont certaines peuvent être aussi en péril et avoir des besoins différents. Il est nécessaire de faire preuve de souplesse dans la façon de s’attaquer à la question complexe que constitue la protection de ces aires. Une interdiction directe de destruction de l’habitat ne serait pas, en toutes circonstances, la solution la plus appropriée.
[284] Les défendeurs semblent laisser entendre que, à la condition qu’il existe un accord conclu au titre de l’article 11, le ministre bénéficie ainsi d’une [traduction] « certaine souplesse en matière de protection », c’est-à-dire du choix d’une protection moindre qu’une [traduction] « interdiction simple de détruire l’habitat », ou d'une protection différente de cette dernière. À mon avis, l’alinéa 58(5)a) ne peut pas être interprété de cette façon. Une fois de plus, les défendeurs tentent d’intégrer au paragraphe 58(5) un pouvoir ministériel discrétionnaire que le législateur n’a pas prévu.
[285] À mon avis, ce ne peut pas être n’importe quel accord conclu au titre de l’article 11 qui permet au ministre de s’exclure de l’obligation impérative qu’impose le paragraphe 58(5), c’est-à-dire protéger légalement l’habitat essentiel. L’accord conclu au titre de l’article 11 dont il est question à l’alinéa 58(5)a) serait forcément celui qui protège légalement l’habitat essentiel de façon telle que les interdictions impératives que déclenchent un arrêté de protection ne sont pas exigées. Cela ne peut avoir lieu que si la protection de l’habitat essentiel qu’assure l’accord conclu au titre de l’article 11 est le même qu’une interdiction impérative visée à l’article 58, ou l’équivalent. Je ne crois pas que l’on puisse considérer que l’alinéa 58(5)a) confère au ministre la souplesse nécessaire pour être dispensé de l’interdiction de détruire l’habitat essentiel parce que ce ministre peut décider, à sa discrétion, que [traduction] « en toutes circonstances », une telle interdiction serait inappropriée. Cela reviendrait à importer dans le régime de la LEP des commodités politiques et d’autre nature, alors que le législateur a clairement décidé d’éviter aux ministres les problèmes associés à ce genre de commodités en exigeant une interdiction impérative.
[286] Dans une autre tentative qu’ils font pour étayer leur interprétation de l’article 58 de la LEP, les défendeurs invoquent l’argument suivant :
[traduction]
21. Cependant, quand on évalue la protection assurée, il est important de garder à l’esprit que cette protection concerne la destruction. Par contraste, la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, protège l’habitat du poisson contre sa détérioration, sa destruction ou sa perturbation. Malgré les règles de droit établies de longue date sous le régime de la Loi sur les pêches, le législateur a décidé de ne pas employer ces termes dans la LEP, mais uniquement d’assurer une protection contre la destruction. Étant donné que l’on emploie des termes distincts dans la Loi sur les pêches, la destruction désigne forcément quelque chose de plus important qu’une détérioration ou une perturbation.
[287] Il ressort clairement de toutes les observations des défendeurs que les ministres préfèrent nettement les pouvoirs discrétionnaires et la souplesse de la Loi sur les pêches que les obligations impératives de la LEP. Vu les exigences de la fonction de ministre, cela est parfaitement compréhensible. Le problème que pose l’approche discrétionnaire à l’égard de la protection d’une espèce dans ce contexte, cependant, c’est qu’elle a été abondamment défendue et débattue au Parlement, et que ce dernier l’a rejetée. Le MPO tente, dans son interprétation de la LEP, de maintenir cette approche rejetée, qui aurait pu fort bien être plus commode, compte tenu du grand nombre d’intérêts opposés que le MPO doit forcément prendre en considération. Cela dit, la Loi sur les pêches est une loi ancienne. Le Parlement a reconnu que les temps avaient changé et qu’il était nécessaire d’adopter une approche plus coercitive à l’égard de la protection des espèces. Si la Loi sur les pêches offre aux ministres le genre d’approche à l’égard de la protection des espèces que le Parlement juge nécessaire dans les circonstances actuelles, il est difficile de savoir pourquoi la LEP a été considérée comme nécessaire ou pourquoi le Parlement n’a pas dit clairement que l’approche ancienne et discrétionnaire qui est intégrée à la Loi sur les pêches se poursuivrait sous le régime de la LEP. Il ressort clairement des débats parlementaires que la LEP ne poursuivrait pas l’ancienne approche.
[288] L’emploi de termes différents dans la Loi sur les pêches ne peut, selon moi, étayer l’interprétation que font les défendeurs de l’article 58 de la LEP. Le sens du mot « destruction » n’a pas été soumis dans le cadre de la présente demande et on ne l’a pas pleinement débattu en se fondant sur des éléments de preuve et des précédents appropriés.
[289] En l’espèce, les défendeurs tentent d’expliquer certains des textes, des politiques et des lignes directrices inappropriés auxquels il est fait référence dans l’Énoncé sur la protection en disant qu’il s’agit de [traduction] « mesures additionnelles qui étayent la protection de l’habitat essentiel qu’offrent d’autres instruments ».
[290] Il s’agit là d’une rationalisation après coup. On ne m’a soumis aucune preuve à l’appui de l’argument selon lequel les ministres faisaient référence à des « mesures additionnelles » autres que les dispositions et les mesures sur lesquelles ils se sont fondés pour éviter d’avoir à prendre un arrêté de protection. L’Énoncé sur la protection lui-même ne fait pas cette distinction, et je n’ai en main aucune preuve qui donne à penser qu’il s’agit là de ce que le MPO envisageait.
Les exigences légales d’une déclaration de protection
[291] Les demandeurs contestent le caractère légal de l’Énoncé sur la protection parce que celui-ci se fonde sur des « outils », comme des instruments non réglementaires, des lois provinciales, des lois prospectives et des lois d'application facultative, pour protéger l’habitat essentiel. Selon les demandeurs, une disposition citée dans une déclaration de protection publiée en vertu de l’alinéa 58(5)b) de la LEP doit, à tout le moins, satisfaire aux cinq critères suivants :
1. il doit s’agir d’une disposition légale;
2. à part les accords de conservation conclus au titre de l’article 11, il doit s’agir d’une disposition légale fédérale;
3. la protection légale sur laquelle on se fonde doit être en vigueur au moment où la déclaration de protection est faite;
4. la protection légale doit tenir lieu de substitut à l’interdiction dont il est question au paragraphe 58(1) — il doit s’agir d’une interdiction de destruction qui soit impérative et exécutoire;
5. les dispositions légales doivent protéger tous les éléments de l’habitat essentiel.
[292] Ces critères découlent d’un examen des mots de l’alinéa 58(5)b), lus dans leur contexte global et en suivant leur sens ordinaire et grammatical, d’une manière qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Voir Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26.
L’interprétation fondée sur le sens ordinaire de l’alinéa 58(5)b)
[293] Au moment des faits litigieux, l’alinéa 58(5)b) de la LEP décrivait une déclaration de protection comme suit : « une déclaration énonçant comment l’habitat essentiel ou la partie de celui-ci sont protégés légalement ».
[294] L’emploi du mot « légalement » pour modifier le mot « protégés » dans l'alinéa 58(5)b), de pair avec la référence faite dans l’alinéa 58(5)a) aux « dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, ou une mesure prise sous leur régime », confirme qu’une disposition citée dans une déclaration de protection doit être une disposition légale ou réglementaire, par opposition à une politique ou à une directive. Il est clair aussi qu’une déclaration de protection est censée citer les dispositions d’une loi fédérale ou une disposition établie sous le régime d’une telle loi, par opposition aux dispositions de lois provinciales ou de règlements municipaux.
[295] Les articles 57 et 58 font état d’un sentiment d’urgence. L’alinéa 58(5)b) est écrit au présent. Une déclaration de protection doit énoncer de quelle façon l’habitat essentiel ou des parties de celui-ci « sont » légalement protégés — et non la façon dont l’habitat essentiel pourrait être, ou sera, légalement protégé. Cette protection doit être mise en place dans les 180 jours qui suivent le programme de rétablissement. Comme l’ont maintenant concédé les défendeurs, les dispositions citées dans une déclaration de protection ne peuvent pas inclure de plans de protection légale futurs.
Le rôle d’une déclaration de protection sous le régime de la LEP
[296] Comme les demandeurs le font remarquer, une déclaration de protection reconnaît qu’il n’est pas nécessaire d’accorder une protection sous le régime de la LEP dans certaines circonstances où cette protection est déjà assurée en vertu d’une autre loi fédérale. Une déclaration de protection évite de dédoubler une protection légale déjà existante.
[297] Sous le régime de la LEP, une déclaration de protection tient lieu de substitut à un arrêté de protection. Les dispositions citées dans une déclaration de protection remplacent donc l’interdiction dont il est question au paragraphe 58(1) et la disposition qui, à l’article 73 de la LEP, permet de délivrer un permis. Fait important, selon moi, les dispositions que l’on cite dans une déclaration de protection visent à assurer, pour l’habitat essentiel, la même protection que celle qu’assure un arrêté de protection.
[298] Selon une ébauche de politique qu’Environnement Canada a récemment rendue publique, la question de savoir si l’habitat essentiel est légalement protégé oblige à examiner si les dispositions citées dans la déclaration de protection permettent d’éviter les activités potentiellement destructrices (comme celles qui sont désignées dans le programme de rétablissement applicable) qui risquent de détruire l’habitat essentiel. Cette approche confirme que, à l’instar de l’interdiction mentionnée au paragraphe 58(1), les dispositions citées dans les déclarations de protection doivent éviter les activités qui sont susceptibles de détruire des éléments de l’habitat essentiel. Voir Politiques sur les espèces en péril : Ébauche, précitée, à la page 15.
L’intention du Parlement — la protection de l’habitat doit être impérative et sérieuse
[299] L’historique législatif de l’article 58, que les demandeurs ont cité, illustre que les parlementaires ont reconnu que la protection qu’offre la LEP à l’habitat essentiel doit être impérative et non discrétionnaire. Le Parlement n’envisageait pas que les ministres puissent « choisir » de protéger l’habitat essentiel ou non.
L’Énoncé sur la protection inclut de manière illégale des textes non réglementaires
[300] L’Énoncé sur la protection dont il est question dans la présente demande cite les textes non réglementaires suivants : codes de conduite et initiatives de sensibilisation, directives sur l’observation des baleines, énoncé de pratiques en rapport avec l’atténuation des sons sismiques en milieu marin, politique sur les zones benthiques vulnérables, politique sur le saumon sauvage, plan de gestion intégrée des pêches, protocole relatif aux sonars militaires. Il s’agit là de politiques, et non pas de lois qui protègent légalement l’habitat essentiel contre sa destruction.
[301] La Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il est bien établi en droit qu’une politique ministérielle ne lie pas le ministre et ne peut pas le lier. Des instruments non réglementaires peuvent avoir une incidence sur le comportement, mais ils n’obligent pas à se comporter d’une certaine façon. Les politiques peuvent guider, mais elles ne lient pas. Voir l’arrêt Arsenault, précité, au paragraphe 38, et l’arrêt Carpenter Fishing Corp., précité, au paragraphe 28.
[302] Comme le Canada l’a concédé dans la décision Ahousaht Indian Band, précitée, au paragraphe 752, [traduction] « les politiques du MPO […] ne […] lient ni ne confinent le ministre dans la façon d’exercer ce pouvoir discrétionnaire ». Ceux qui ont procédé à un examen judiciaire des politiques du MPO ont systématiquement conclu que ces dernières ne sont pas contraignantes. Les tribunaux ont également conclu que les directives sur l’observation des baleines et les plans de gestion de la pêche ne sont pas légalement contraignants. Voir les décisions Carpenter Fishing Corp., précitée, au paragraphe 28; R. v. Richards, [1991] B.C.J. no 4101 (C.P.) (QL), et Arsenault, précitée, aux paragraphes 33, 38 et 43.
[303] Les tribunaux ont conféré force de loi à une « directive » ou à une « politique » dans des cas restreints où la loi habilitante exige la publication de la politique, où la politique est impérative et où une interdiction est assortie au défaut de se conformer à la politique. Cela n’est pas le cas des politiques citées dans la déclaration de protection dont la Cour est actuellement saisie. Voir l’arrêt Oldman River, précité, aux pages 33, 35 et 36; ainsi que la décision Glowinski, précitée, aux paragraphes 40 et 43.
[304] De plus, comme il a été expliqué dans l’affidavit de Wallace, lorsque l’Énoncé sur la protection a été fait, un certain nombre des politiques qui y sont citées n’étaient pas encore au point ou mises en œuvre, et certaines d’entre elles ne s’appliquent même pas à l’habitat essentiel des épaulards résidents.
L’Énoncé sur la protection cite de manière illégale d’éventuelles dispositions futures
[305] L’Énoncé sur la protection cite des outils légaux dont le MPO pourrait se servir ultérieurement pour protéger l’habitat essentiel contre sa destruction.
[306] Comme les défendeurs le concèdent maintenant, une déclaration de protection ne peut citer et invoquer des lois prospectives ou celles qui exigent la prise d’une mesure ultérieure, comme un règlement, pour engager ou déclencher une protection légale. Les dispositions qui se fondent sur l’exercice prospectif d’un pouvoir législatif ne peuvent pas exercer une protection légale, et elles ne le font pas, avant que l’on exerce ce pouvoir.
[307] Ce point est confirmé dans la jurisprudence sous le régime de la Endangered Species Act of 1973, 16 U.S.C. §§ 1531 à 1544 (2006), aux États-Unis. Par exemple, dans la décision Greater Yellowstone Coalition, précitée, à la page 1116, la Cour fédérale des États-Unis, en examinant si des mécanismes réglementaires existants étaient suffisants pour protéger la population d’ours bruns, a conclu que [traduction] « les promesses de mesures hypothétiques futures ne constituent pas un mécanisme réglementaire existant ».
[308] En l’espèce, l’Énoncé sur la protection se fonde de manière illégale sur des mesures réglementaires hypothétiques ou futures pour protéger l’habitat essentiel. Par exemple, il cite les articles 35 et 36 de la Loi sur les océans, L.C. 1996, ch. 31, comme source de protection légale de l’habitat essentiel. Ces dispositions permettent au ministre des Pêches et des Océans de désigner et de gérer des zones de protection marines protégées. Cependant, dans l’habitat essentiel des épaulards résidents, il n’existe aucune zone de protection marine légalement désignée en vertu des articles 35 ou 36 de la Loi sur les océans. Voir la Loi sur les océans, articles 31, 35 et 36; l’affidavit de M. Wallace, aux paragraphes 75 à 77.
[309] En outre, une zone de protection marine visée par la Loi sur les océans ne peut pas être citée dans une déclaration de protection publiée en vertu du paragraphe 58(5). L’habitat essentiel qui est situé dans une zone de protection marine requiert déjà un type distinct d’arrêté de protection en vertu des paragraphes 58(2) et (3).
[310] Le fait que le MPO se fonde sur la possibilité prospective ou future de réglementer sous le régime de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33, les toxines qui risqueraient de détruire l’habitat essentiel ou d’imposer des conditions sur les permis de pêche en application de l’article 22 du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53, souffre de ce même vice juridique.
[311] Comme les demandeurs le font remarquer, certaines dispositions de la Loi sur les océans, si elles étaient mises en œuvre, pourraient être citées légalement dans une déclaration de protection. Par exemple, les articles 31 et 32 permettent au MPO de créer des plans de gestion intégrée qui régissent toutes les activités touchant les zones marines. Ces plans peuvent inclure des mesures destinées à protéger légalement l’habitat essentiel des épaulards résidents.
L’Énoncé sur la protection se fonde illégalement sur le pouvoir discrétionnaire ministériel
[312] Le rôle du pouvoir discrétionnaire ministériel semble être le principal point de litige entre les parties. Comme je l’ai mentionné plus tôt, une déclaration de protection vise à mentionner les mesures prises en substitution à un arrêté de protection pris sous le régime de la LEP. Selon moi, pour remplacer convenablement la protection légale impérative et exécutoire que procure le paragraphe 58(1), il faut donc que les dispositions légales citées dans une déclaration de protection soient impératives et exécutoires.
[313] Ce n’est pas seulement l’interdiction visée au paragraphe 58(1) qui est déclenchée par un arrêté de protection, mais aussi les dispositions relatives à l’octroi de permis. Comme il a été mentionné plus tôt, les articles 73 et 74 limitent la capacité qu’a un ministre de délivrer un permis qui aura une incidence sur l’habitat essentiel. Fait important, dans le cadre de la LEP aucun permis ne peut être délivré qui mettrait en péril la survie et le rétablissement de l’espèce.
[314] Par contre, il me semble que les dispositions citées dans l’Énoncé sur la protection confèrent un pouvoir discrétionnaire, vaste et non structuré, d’autoriser à mener des activités préjudiciables, dont celles qui détruiraient l’habitat essentiel. Ce pouvoir discrétionnaire ne protège pas légalement l’habitat essentiel contre sa destruction, parce que la protection étant discrétionnaire, elle n’est ni impérative, ni exécutoire.
La Loi sur les pêches et ses règlements
[315] Comme il ressort maintenant clairement des observations des avocats, les interprétations contradictoires de l’article 58 de la LEP qu’offrent les parties atteignent un point critique en rapport avec le fait que les ministres se fondent sur la Loi sur les pêches pour justifier la légalité de l’Énoncé sur la protection.
[316] Les défendeurs disent que [traduction] « l’article 35 de la Loi sur les Pêches assure une protection qui satisfait aux exigences de l’alinéa 58(5)b) ». Cependant, ils concèdent également ce qui suit :
[traduction]
30. Il est vrai que le régime légal de la Loi sur les pêches autorise à émettre des autorisations de détérioration, de destruction ou de perturbation (les DDP ) de l’habitat à la discrétion du ministre des Pêches et des Océans. Cependant, la possibilité de délivrer des autorisations ne change rien au fait que l’article 35 assure une protection de l’habitat, pas plus que cela signifie que l’on ne peut pas se fonder sur cet article pour l’application de l’alinéa 58(5)b).
[317] Les défendeurs soutiennent de plus que :
[traduction] La même logique s’applique à la protection que confère l’interdiction prescrite à l’article 36 de la Loi sur les pêches, à la différence que le pouvoir d’enfreindre l’interdiction est prévu par règlement, et non par l’autorisation du ministre des Pêches et des Océans.
[318] En réponse à l’argument selon lequel les pouvoirs discrétionnaires ministériels que prévoit la Loi sur les pêches pourraient signifier que le ministre serait en droit d’autoriser des activités qui mineraient les interdictions impératives de la LEP et mettraient en péril la protection de l’habitat essentiel des épaulards résidents, les défendeurs font valoir ce qui suit :
[traduction]
35. Les demandeurs soutiennent à la fois que l’article 35 de la Loi sur les pêches n’offre pas de protection contre la destruction de l’habitat géophysique causée par la pêche, et que la gestion de la pêche sous le régime de la Loi sur les pêches […]
36. À quelque moment que ce soit, la façon dont la pêche peut être effectuée et la quantité de poisson qui peut être récoltée sont gérées par la délivrance de permis assortis de conditions concernant les engins utilisés et, dans certains cas, de restrictions contingentaires, ainsi que par l’ouverture et la clôture des activités de pêche pour divers utilisateurs. Dans le cas de la pêche au saumon au sein de l’habitat essentiel des épaulards, des restrictions de pêche sont prévues dans la Loi sur la pêche, le Règlement de pêche (dispositions générales), article 22, le Règlement de pêche du Pacifique (1993), DORS/93-54, articles 51 à 60 et l’annexe VI, ainsi que le Règlement de 1996 de pêche sportive de la Colombie-Britannique, DORS/96-137, articles 42 à 50 et annexe VI. La délivrance de permis assortis de conditions, ainsi que l’ouverture et la clôture des activités de pêche, sont des « mesure[s] prise[s] » sous le régime d’une loi fédérale, car ces mesures sont expressément prévues dans la Loi sur les pêches et ses règlements.
37. Ces mesures ne sont pas statiques, et elles ne devraient pas l’être non plus, car les conditions de pêche changent au fil du temps et il est nécessaire d’adapter les mesures en conséquence. Le pouvoir discrétionnaire qu’a le ministre des Pêches et des Océans de modifier ces mesures à la longue est nécessaire si l’on veut gérer convenablement la pêche et protéger le poisson. Cependant, l’existence de ce pouvoir discrétionnaire n’exclut pas la protection offerte.
38. À quelque moment que ce soit, un certain nombre de ces mesures sont appliquées pour protéger le poisson, et donc la disponibilité de proies. La seule fois où la déclaration de protection ne satisferait pas aux exigences de l’alinéa 58(5)b) serait s’il y avait un moment dans le temps où le ministre des Pêches et des Océans exerçait le pouvoir discrétionnaire dont il dispose pour ne pas mettre en place des mesures visant à restreindre la récolte, ce qui aurait pour effet de détruire la disponibilité de proies pour les épaulards. Il s’agit là d’une question de fait. Le défendeur dit que les mesures mises en place au moment où la déclaration de protection a été faite étaient suffisantes pour protéger la disponibilité des proies des épaulards contre la destruction. Quoi qu’il en soit, c’est aux demandeurs qu’il incombe de prouver le contraire et il n’y a, en l’espèce, aucune preuve que les mesures en vigueur au moment où la déclaration de protection a été faite étaient insuffisantes pour empêcher que l’on détruise la disponibilité de proies.
[319] Je conviens avec les demandeurs que, pour évaluer si l’Énoncé sur la protection satisfait à la norme légale qui est exigée en vertu de l’article 58, les dispositions légales citées dans l’Énoncé sur la protection doivent être comparées à la protection offerte sous le régime de la LEP. Il y a un net contraste entre la protection légale que le paragraphe 58(1) de la LEP confère à l’habitat essentiel et le vaste pouvoir discrétionnaire que prévoit la Loi sur les pêches.
[320] La Loi sur les pêches et ses règlements sont cités dans l’Énoncé sur la protection censément pour protéger l’habitat essentiel contre de nombreuses menaces. Cependant, le régime réglementaire que prévoit la Loi sur les pêches accorde nettement plus de pouvoirs discrétionnaires que la LEP. À défaut d’un règlement précis qui protègerait l’habitat essentiel, le régime de la Loi sur les pêches, qui inclut l’article 35, ne peut, selon moi, remplacer légalement un arrêté pris en vertu du paragraphe 58(4) [de la LEP].
[321] La Loi sur les pêches crée un régime exhaustif pour la gestion de la pêche au Canada. Il s’agit d’une loi hautement discrétionnaire, qui confère au ministre des Pêches et des Océans de vastes pouvoirs pour gérer les activités de pêche avec peu de limites légales. Comme l’a reconnu la Cour d’appel dans l’arrêt Carpenter Fishing Corp., précité, aux paragraphes 35 et 37, le législateur a accordé au MPO « la plus grande marge de possible manœuvre » pour réglementer le secteur de la pêche. Par exemple, l’article 7 permet au ministre d’octroyer « à discrétion » des permis de pêche. Le paragraphe 35(2) confère au ministre le pouvoir discrétionnaire absolu d’autoriser la destruction de l’habitat du poisson. L’article 22 du Règlement de pêche (dispositions générales), précité, accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire absolu d’assortir un permis de pêche de diverses conditions. Voir la décision Ecology Action Centre Society c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1087 (Ecology Action Centre), au paragraphe 54, et la décision Ahousaht Indian Band, précitée, au paragraphe 752.
[322] Le pouvoir discrétionnaire que la Loi sur les pêches confère au MPO n’est pas restreint par une politique ou par des plans. Voir l’arrêt Carpenter Fishing Corp., précité, au paragraphe 28, la décision Ahousaht Indian Band, précitée, au paragraphe 752, et l’arrêt Arsenault, aux paragraphes 38 et 43.
[323] Les seules dispositions de la Loi sur les pêches auxquelles fait expressément référence l’Énoncé sur la protection sont les articles 35 et 36. L’article 35 de la Loi sur les pêches prévoit ce qui suit :
35. (1) Il est interdit d’exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson. |
Détérioration de l’habitat du poisson, etc. |
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux personnes qui détériorent, détruisent ou perturbent l’habitat du poisson avec des moyens ou dans des circonstances autorisés par le ministre ou conformes aux règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la présente loi. |
Exception |
[324] Ainsi que l’a confirmé la Cour dans la décision Ecology Action Centre, précitée, au paragraphe 74 : « l’article 35 n’interdit pas absolument la DDP [détérioration, destruction ou perturbation de l’habitat] ». L’approbation de la destruction de l’habitat du poisson en vertu de l’article 35 est laissée à la discrétion absolue du ministre.
[325] Si, à première vue, la Loi sur les pêches peut sembler offrir à l’habitat essentiel une protection qui est semblable à celle qu’offre la LEP, il semble aussi que le MPO ait le pouvoir discrétionnaire nettement plus vaste d’autoriser la destruction de l’habitat en vertu de la Loi sur les pêches que sous le régime de la LEP. Dans le cadre de la Loi sur les pêches, la possibilité qu’a le ministre d’avoir une incidence sur l’habitat essentiel est illimitée. Par exemple, l’article 36 de cette loi interdit de rejeter une substance nocive dans des eaux où vivent des poissons, mais il prévoit qu’il est permis de procéder à de tels rejets par voie réglementaire à la discrétion du Cabinet. Voir Janice Walton, Blakes’ Canadian Law of Endangered Species (Toronto : Carswell, 2007). Par contre, la LEP limite la capacité qu’a le ministre de porter préjudice à l’habitat essentiel. Voir Walton, 2007, aux pages 2-31 à 2-33, ainsi que la LEP, articles 73 et 74.
[326] Les tribunaux hésitent à s’immiscer dans le pouvoir discrétionnaire qu’a le ministre, en vertu de l’article 35, d’autoriser ou d’interdire la destruction de l’habitat du poisson. Voir la décision Ecology Action Centre, précitée.
[327] Plus particulièrement, comme en a fait état la Cour, l’article 35 n’empêche pas toute destruction de l’habitat du poisson. Par exemple, il n’empêche pas la destruction de l’habitat du poisson qui découle d’activités de pêche — une menace particulière pour l’habitat essentiel des épaulards résidents. Voir la décision Ecology Action Centre, précitée, aux paragraphes 75 à 78 et 91.
[328] Par contre, la LEP n’accorde pas le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la destruction de l’habitat essentiel. Comme le font remarquer les demandeurs, les dispositions de la LEP en matière d’octroi de permis restreignent les activités qui pourraient toucher l’habitat essentiel et interdisent d’autoriser toute activité susceptible de mettre en péril la survie et le rétablissement de l’espèce. Je conviens avec les demandeurs que l’interdiction que comporte le paragraphe 58(1) à l’égard de la destruction de l’habitat essentiel s’applique à l’ensemble de l’habitat essentiel ainsi qu’à toute activité qui est susceptible de le détruire.
[329] Les demandeurs font valoir qu’il est possible que l’on puisse se servir de la Loi sur les pêches pour protéger légalement l’habitat essentiel. Par exemple, le Canada pourrait décider d’adopter un règlement particulier qui protégerait l’habitat essentiel ou qui régirait l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’accorde l’article 35 dans les cas où l’habitat essentiel pourrait être touché ou modifié. Mais ces mesures n’ont pas été prises. Voir la Loi sur les pêches, au paragraphe 35(2) et à l’article 43 [mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 12].
[330] Il me semble que les arguments qu’invoquent les défendeurs pour justifier le fait de se fonder sur la Loi sur les pêches dans l’Énoncé sur la protection ne sont pas convaincants, et ce, pour un certain nombre de raisons.
[331] Tout d’abord, les pouvoirs discrétionnaires que la Loi sur les pêches accorde au ministre ne peuvent, selon moi, être assimilés à une loi qui, à une date ultérieure, peut être abrogée ou modifiée. Le pouvoir discrétionnaire existait, et on s’est fondé sur lui, à l’époque où l’Énoncé sur la protection a été publié. Cela signifie que le ministre a décidé de ne pas prendre un arrêté de protection qui interdirait impérativement la destruction de l’habitat essentiel et de remplacer l'arrêté par les pouvoirs discrétionnaires que prévoit la Loi sur les pêches. À mon avis, il ne s’agit pas d’une protection équivalente. Rien dans la Loi sur les pêches ne dit que le ministre ne peut pas exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère cette loi, d'une façon qui modifiera ou minera les interdictions impératives que prévoit la LEP. En outre, rien dans la LEP ne dit que la protection que la Loi sur les pêches confère à l’habitat essentiel ne peut être modifiée ou minée par le ministre en exerçant les pouvoirs que lui confère la Loi sur les pêches. Le fait que le ministre ne l’a peut-être pas encore fait est, selon moi, peu pertinent. Dans le cadre de l’Énoncé sur la protection, le ministre a, en fait, conservé le pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures à l’égard de l’habitat essentiel des épaulards résidents. Selon moi, le dossier parlementaire, cité par les demandeurs, révèle que l’intention du Parlement, en donnant naissance à la LEP, était de ne pas accorder au ministre le pouvoir discrétionnaire de toucher à l’habitat essentiel d’espèces en péril en s'appuyant sur les pouvoirs discrétionnaires que lui confèrent la Loi sur les pêches et le régime de cette dernière.
[332] Le ministre n’a pas, et, selon moi, ne pouvait pas exercer, les pouvoirs que lui confère la Loi sur les pêches d’une manière qui préserverait les interdictions impératives que prévoit la LEP. L’argument des défendeurs, à savoir que l’Énoncé sur la protection demeure valide sauf s’il survient quelque chose ultérieurement, est à mon avis fallacieux. La raison d’être de la LEP est de protéger l’habitat essentiel d’une espèce en péril de façon telle que les mesures de protection prises ne peuvent pas être mises de côté ou modifiées par l’exercice, à un moment quelconque ultérieurement, de pouvoirs discrétionnaires ministériels. La protection de l’habitat essentiel que crée un arrêté de protection n’est pas une protection qu’il est possible de modifier ou de compromettre par un pouvoir discrétionnaire ministériel. Le ministre ne peut pas renoncer aux pouvoirs discrétionnaires que lui accorde la Loi sur les pêches ou en réduire la portée. Ainsi, le fait de se fonder sur la Loi sur les pêches signifie que l’habitat essentiel des épaulards résidents est protégé, sauf si le ministre en décide autrement. Ce n’était pas là l’intention du Parlement lorsqu’il a donné naissance à la LEP. Le dossier parlementaire est clair.
[333] Comme le font remarquer les demandeurs, les points suivants étayent également cette position :
a. le pouvoir discrétionnaire qu’a le ministre d’autoriser la destruction en vertu de l’article 35 est vaste et absolu, et aucune autre disposition légale ne le limite. Par contre, un arrêté de protection pris en vertu du paragraphe 58(1) interdit toute destruction de l’habitat essentiel; il est possible seulement de « toucher » l’habitat essentiel, et ce, uniquement pour les fins limitées et dans les conditions préalables strictes qui sont énoncées aux paragraphes 73(2) et 73(3) de la LEP;
b. le Règlement de pêche du Pacifique (1993) [DORS/93-54] et le Règlement de 1996 de pêche sportive de la Colombie-Britannique [DORS/96-137] ne font pas référence à une allocation de saumon pour les épaulards résidents, et ils ne comportent aucune disposition à cet égard. Ces deux règlements énoncent plutôt les règles générales qui régissent la pêche récréative et commerciale du Pacifique, y compris la pêche au saumon — et le vaste pouvoir discrétionnaire qu’a le ministre de gérer cette activité comme bon lui semble. Aucune disposition, dans l’un ou l’autre règlement, n’exige que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui protège le saumon pour les épaulards;
c. aucune des dispositions ni aucun des textes réglementaires que cite le MPO dans l’Énoncé sur la protection, soit la Loi sur les pêches et le Règlement de pêche (dispositions générales), ne fait référence à une allocation de saumon pour les épaulards, ou ne comporte une disposition quelconque à cet égard. Au lieu de cela, ces dispositions codifient davantage le vaste pouvoir discrétionnaire qu’a le ministre des Pêches et des Océans de réglementer le secteur de la pêche comme bon lui semble. La Loi sur les pêches et le Règlement de pêches (dispositions générales) permettent au ministre de prendre toutes sortes de mesures pour presque n’importe quel motif — mais il n’exige pas qu’une mesure particulière soit prise pour protéger l’habitat essentiel des épaulards, ce qui inclut la disponibilité de proies;
d. l’Énoncé sur la protection ne cite ni le Règlement de pêche du Pacifique (1993) ni le Règlement de 1996 de pêche sportive de la Colombie-Britannique, qui sont mentionnés au paragraphe 36 des observations des défendeurs. L’Énoncé sur la protection ne fait pas non plus mention des permis précis, des conditions d’octroi de permis ou des clôtures d’activités de pêche auxquelles font mention les défendeurs au paragraphe 36 de leurs observations supplémentaires;
e. les défendeurs laissent entendre que c’est aux demandeurs qu’il incombe de montrer que toute mesure d’octroi de permis qui était en vigueur à l’époque où l’Énoncé a été publié était insuffisante pour empêcher de détruire la disponibilité de proies. Cependant, pour être légal, l’Énoncé sur la protection aurait dû « énon[cer] comment » un permis particulier protégeait l’habitat essentiel. Il n’y a dans le dossier aucune preuve qu’il existe bel et bien de tels permis, conditions d’octroi de permis ou clôtures d’activités de pêche. Comme le MPO a décidé de ne citer aucun permis dans son Énoncé sur la protection ou de ne produire aucune preuve au sujet de leur existence, il faut donc inférer qu’il n’existe aucun permis de ce genre qui pourrait satisfaire aux exigences de l’article 58;
f. la seule preuve dans le dossier qui se rapporte à la gestion du saumon quinnat à l’époque où l’Énoncé sur la protection a été fait figure dans l’affidavit de M. Scott Wallace. Ce dernier affirme qu’à l’époque où l’Énoncé sur la protection a été fait, les stocks de saumon quinnat n’étaient pas gérés de façon à garantir que les épaulards résidents en disposent;
g. les défendeurs soutiennent qu’il faudrait permettre au ministre de se fonder sur son pouvoir discrétionnaire pour [traduction] « modifier les mesures relatives à la pêche au fil du temps » en vue de protéger la disponibilité du saumon pour les épaulards résidents. Cependant, comme l’ont concédé avec raison les défendeurs, l’Énoncé sur la protection doit être jugé en fonction du droit qui existe à l’époque où la déclaration est faite. Il n’est pas légal que l’on se fonde, pour une déclaration de protection, sur la capacité d’établir des règlements. Par conséquent, le ministre ne peut pas se fonder sur sa capacité prospective d’octroyer des permis, de restreindre l’ouverture des activités de pêche ou de prendre n’importe quelle autre mesure de gestion qu’il n’a pas prise au moment où la déclaration a été publiée;
h. comme l’a confirmé la Cour fédérale, le ministre n’est obligé d’aucune manière à octroyer des permis assortis de conditions ou de dispositions quelconques qui protègent l’habitat essentiel des épaulards résidents. Il ne peut se fonder sur son pouvoir discrétionnaire absolu de gérer les activités de pêche pour s’acquitter de son obligation impérative de protéger un élément de l’habitat essentiel.
La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale
[334] Les demandeurs soutiennent également que le fait que le MPO se fonde sur la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale pour protéger légalement l’habitat essentiel souffre du même genre de vice juridique que celui qui caractérise le fait qu’il se fonde sur la Loi sur les pêches. La LCEE est essentiellement une loi de nature procédurale qui énonce les mesures qu’il est nécessaire de prendre avant qu’un projet puisse aller de l’avant à la discrétion du ministre. La LCEE n’interdit pas l’approbation de projets destructeurs sur le plan environnemental. Voir David Boyd, Unnatural Law: Rethinking Canadian Environmental Law and Policy (Vancouver : UBC Press, 2003) aux pages 150 à 154. Pour des raisons déjà données en rapport avec la Loi sur les pêches, je suis d’accord.
Les lois provinciales ne sont pas des lois fédérales
[335] Comme le concèdent maintenant les défendeurs, l’article 58 de la LEP exige clairement que l’habitat essentiel soit protégé sous le régime d’une « loi fédérale » ou subsidiairement, dans le cadre d’un accord de conservation conclu au titre de l’article 11. Les lois d’autres assemblées législatives et les règlements municipaux ne peuvent pas être cités dans une déclaration de protection.
[336] L’Énoncé sur la protection cite illégalement la réserve écologique de Robson Bight (Michael Bigg), créée en vertu de la Ecological Reserve Act, de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 103, qui couvre une infime partie de l’habitat essentiel des épaulards résidents. Aucun accord de conservation n’est établi.
[337] Je conviens également avec les demandeurs que l’Énoncé sur la protection est illégal, car il est destiné à ne protéger légalement que certains éléments de l’habitat essentiel et ne permet pas d’éviter les menaces les plus sérieuses pour l’habitat essentiel : la réduction de la disponibilité de proies, la contamination toxique, de même que les perturbations physiques et acoustiques.
[338] L’Énoncé sur la protection est divisé en deux parties. La première vise à exposer de quelle façon les « attributs géospatiaux et géophysiques » de l’habitat essentiel sont légalement protégées. Les menaces pour l’habitat qui sont incluses à la première page découlent des activités industrielles, des engins de pêche destructeurs et des ancres de navire. Il ne s’agit pas des menaces les plus sérieuses pour l’habitat essentiel que l’Équipe de rétablissement a désignées, et pourtant ces activités, qui menacent les éléments géophysiques de l’habitat essentiel, sont les seules pour lesquelles l’Énoncé sur la protection cite des lois, des règlements ou des politiques qui serviraient à « assurer la protection contre une telle destruction ».
[339] La seconde partie de l’Énoncé sur la protection porte sur la dégradation de l’environnement acoustique, la dégradation de la qualité de l’environnement marin ainsi que la réduction de la disponibilité des proies. Elle énumère des instruments qui sont disponibles « pour gérer et atténuer les menace[s] aux diverses fonctions [écosystémiques] ». Cette partie reflète la distinction de principe illégale que fait le MPO entre les éléments géophysiques, qu’il est tenu de protéger, et les éléments biologiques de l’habitat essentiel, qu’il n’est pas tenu de protéger.
Conclusions
[340] Je crois que les demandeurs ont raison de dire que le ministre des Pêches et des Océans a commis une erreur en faisant, en vertu de l’alinéa 58(5)b) de la LEP, une déclaration de protection qui est fondée sur des politiques et d’autres instruments non réglementaires, des lois prospectives et des pouvoirs discrétionnaires ministériels prévus par la Loi sur les pêches et la LCEE, afin de protéger légalement l’habitat essentiel des épaulards résidents.
JUGEMENT
LA COUR fait par le présent jugement les déclarations de droit suivantes :
1. Pour ce qui est de la demande relative à la déclaration de protection :
a. le ministre des Pêches et des Océans a commis une erreur de droit en décidant que l’habitat essentiel des épaulards était déjà légalement protégé par des lois existantes du Canada;
b. l’article 58 de la LEP exige que les ministres compétents protègent légalement tous les éléments de l’habitat essentiel;
c. des programmes de sensibilisation, des programmes de gestion, des codes volontaires de conduite ou de pratiques, des protocoles volontaires ou des lignes directrices volontaires et des politiques ne protègent pas légalement l’habitat essentiel au sens de l’article 58 de la LEP, et il était illégal que le ministre cite dans l’Énoncé sur la protection des documents de politique générale;
d. le pouvoir discrétionnaire ministériel ne protège pas légalement l’habitat essentiel au sens de l’article 58 de la LEP, et il était illégal que le ministre cite dans l’Énoncé sur la protection des dispositions de nature discrétionnaire de la Loi sur les pêches;
e. les lois prospectives et les règlements non encore en vigueur ne protègent pas légalement l’habitat essentiel au sens de l’article 58 de la LEP, et il était illégal que le ministre cite dans l’Énoncé sur la protection des dispositions qui ne sont pas encore en vigueur;
f. les lois provinciales ne protègent pas légalement l’habitat essentiel au sens de l’article 58 de la LEP, et il était illégal que le ministre cite dans l’Énoncé sur la protection des lois provinciales.
2. Pour ce qui est de la demande relative à l’arrêté de protection :
a. les ministres ont agi illégalement en restreignant l’application et la portée de l’Arrêté de protection pris en vertu du paragraphe 58(4) de la LEP;
b. les ministres sont tenus en vertu de l’article 58 de protéger légalement tous les éléments de l’habitat essentiel des épaulards résidents contre leur destruction;
c. les ministres ont agi illégalement en limitant l’application et la portée de l’interdiction de destruction prévue au paragraphe 58(1) de la LEP à certains éléments de l’habitat essentiel, alors que cette interdiction s'applique à tous les éléments;
d. les ministres ont commis une erreur de droit en limitant l’application et la portée de l’Arrêté de protection de façon à ne protéger légalement que les éléments géophysiques de l’habitat essentiel;
e. il était illégal que les ministres excluent de la portée de l’Arrêté de protection les caractéristiques écosystémiques de l’habitat essentiel des épaulards résidents, y compris la disponibilité de proies et les facteurs acoustiques et environnementaux.
3. Il est loisible aux parties de s’adresser à la Cour au sujet des dépens. Cela se fera, initialement du moins, au moyen d’observations écrites.