2011 CF 120
T-1615-09
Association des pilotes d’Air Canada (demanderesse)
c.
Robert Neil Kelly, George Vilven, Commission canadienne des droits de la personne et Air Canada (défendeurs)
et
T-1606-09
Air Canada (demanderesse)
c.
Robert Neil Kelly, George Vilven, Commission canadienne des droits de la personne et Association des pilotes d’Air Canada (défendeurs)
Répertorié : Association des Pilotes d’Air Canada c. Kelly
Cour fédérale, juge Mactavish—Ottawa, 22, 23, 24 novembre 2010 et 3 février 2011.
* Note de l’arrêtiste : Cette décision a été infirmée en appel (A-107-11, 2012 CAF 209). Les motifs du jugement, qui ont été prononcés le 17 juillet 2012, seront publiés dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.
Droits de la personne — Relations du travail — Contrôle judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne concluant que l’art. 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne constitue pas une limite raisonnable en vertu de l’art. premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et que les demanderesses n’avaient pas établi que l’âge est une exigence professionnelle justifiée pour les pilotes — Les pilotes défendeurs ont été contraints de prendre leur retraite aux termes d’une disposition de leur convention collective prévoyant la retraite obligatoire — Le Tribunal a conclu, entre autres, que les objectifs de l’art. 15(1)c) ne sont pas urgents, réels; l’arrêt McKinney c. Université de Guelph n’est pas applicable; les normes de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) pour les vols internationaux n’empêchaient pas les défendeurs d’effectuer de vols à titre de premiers officiers avant 2006 — Il s’agissait de savoir si le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’art. 15(1)c) n’est pas une limite raisonnable, que les dispositions sur la retraite obligatoire ne sont pas à une exigence professionnelle justifiée — Le Tribunal a eu raison de conclure que l’art. 15(1)c) n’a pas été sauvegardé par l’art. 1 de la Charte — Le Tribunal a convenablement appliqué le critère de l’arrêt Oakes, mais a refusé de suivre l’arrêt McKinney — Le Tribunal a commis une erreur en concluant que les objectifs de l’art. 15(1)c) n’étaient ni urgents, ni réels, en confondant les éléments de l’analyse de la proportionnalité avec l’évaluation des objectifs poursuivis par le législateur — L’objectif de la retraite obligatoire qui vise à préserver les régimes d’emploi est un objectif urgent, réel — L’art. 15(1)c) a un lien logique avec l’objectif — Aucune preuve n’a été établie permettant de conclure que des modalités de retraite obligatoire sont nécessaires pour réaliser les objectifs de l’art. 15(1)c) — Il est possible de réaliser ces objectifs sans porter atteinte aux droits des travailleurs âgés garantis par la Charte — L’approche du Tribunal sur la question de proportionnalité était juste — Les effets préjudiciables de la retraite obligatoire l’emportent sur ses avantages — La conclusion du Tribunal sur la responsabilité d’Air Canada à l’égard de la cessation de l’emploi des défendeurs était raisonnable — Rien n’empêchait les pilotes âgés de plus de 60 ans d’effectuer des vols en vertu des anciennes normes de l’OACI — Air Canada n’a pas examiné toutes les formes d’accommodement — L’analyse du Tribunal sur la question de l’exigence professionnelle justifiée en vertu des nouvelles normes de l’OACI n’était pas raisonnable — La preuve d’Air Canada sur l’incidence de l’accommodement en vertu des nouvelles normes a été laissée de côté — La décision à cet égard est dénuée de transparence et de responsabilité — La question a été renvoyée au Tribunal pour réexamen — Demande dans le dossier T-1615-09 rejetée; demande dans le dossier T-1606-09 accueillie en partie.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Disposition limitative — Les pilotes défendeurs contraints de prendre leur retraite en vertu de la disposition sur la retraite obligatoire de leur convention collective — Le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que l’art. 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne n’est pas une limite raisonnable aux termes de l’art. premier de la Charte, et que ses objectifs ne sont pas urgents, réels — Le Tribunal a convenablement appliqué le critère de l’arrêt Oakes, mais a refusé de suivre l’arrêt McKinney c. Université de Guelph — Le Tribunal a commis une erreur en concluant que les objectifs poursuivis par l’art. 15(1)c) n’étaient ni urgents ni réels en confondant les éléments de l’analyse de la proportionnalité avec l’évaluation des objectifs poursuivis par le législateur — L’objectif de la retraite obligatoire visant à préserver des régimes d’emplois est un objectif urgent, réel — L’art. 15(1)c) a un lien rationnel avec l’objectif — Aucune preuve ne permet de conclure que des modalités de retraite obligatoire sont nécessaires pour réaliser les objectifs de l’art. 15(1)c) — Il est possible de réaliser ces objectifs sans porter atteinte aux droits des travailleurs garantis par la Charte — L’approche du Tribunal sur la question de proportionnalité était juste — Les effets préjudiciables de la retraite obligatoire l’emportent sur ses avantages.
Interprétation des lois — Le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que l’art. 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) n’est pas une limite raisonnable et justifiable en vertu de l’art. premier de la Charte canadienne des droits et libertés — Il s’agissait de savoir si le Tribunal a commis une erreur en interprétant l’art. 15(2) de la LCDP — Le Tribunal s’est appuyé sur l’arrêt Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal pour examiner des questions autres que les coûts, la santé et la sécurité à l’art. 15(2) — L’interprétation par le Tribunal de l’art. 15(2) de la LCDP était déraisonnable — La décision dans McGill n’a pas été rendue dans le cadre de la LCDP, et elle ne mettait pas en cause une disposition législative telle que l’art. 15(2) — Le Tribunal n’a pas traité de principes d’interprétation (à savoir, expressio unius est exclusio alterius; l’approche qu’il convient de suivre dans l’interprétation des lois relatives aux droits de la personne), ce qui donne à penser que les facteurs mentionnés à l’art. 15(2) de la LCDP doivent être considérés comme une liste exhaustive — Le législateur a voulu que la liste à l’art. 15(2) soit exhaustive.
Juges et Tribunaux — Stare decisis — Le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que l’art. 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) n’est pas une limite raisonnable en vertu de l’art. premier de la Charte canadienne des droits et libertés — Il était approprié pour le Tribunal canadien des droits de la personne d’appliquer le critère de l’arrêt Oakes et de refuser de suivre l’arrêt McKinney c. Université de Guelph et des arrêts connexes — L’arrêt McKinney ne dicte pas le résultat de la présente affaire en raison 1) des différences entre l’art. 15(1)c) de la LCDP et les dispositions de la loi provinciale en matière de droits de la personne en litige dans McKinney; 2) du fait que la Cour suprême n’envisageait pas que l’arrêt McKinney tranche de manière définitive la question de la retraite obligatoire; 3) de la présence de faits nouveaux qui mettent en doute le fondement factuel de l’arrêt McKinney; 4) de l’évolution des politiques d’intérêt public et de la jurisprudence en matière de droits de la personne dans un contexte non lié à la Charte, qui remet en question le fondement de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt McKinney et des arrêts connexes, et reflètent le fait que les attitudes sociales à l’égard de la discrimination fondée sur l’âge ont évolué depuis que l’arrêt McKinney a été rendu.
Il s’agissait de deux demandes réunies de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne selon laquelle l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), qui permet à un employeur de mettre fin à l’emploi d’une personne si cette dernière a atteint l’« âge de la retraite en vigueur » pour ce genre d’emploi, ne constitue pas une limite raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique, comme l’envisage l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et que la demanderesse Air Canada n’avait pas établi que l’âge était une exigence professionnelle justifiée pour ses pilotes.
Les défendeurs, le premier officier George Vilven et le capitaine Robert Kelly, anciens pilotes d’Air Canada, furent obligés de prendre leur retraite en 2003 et en 2005, respectivement, à cause d’une disposition de la convention collective entre Air Canada et ses pilotes qui prescrivait la retraite obligatoire à 60 ans. En examinant si l’alinéa 15(1)c) de la LCDP était sauvegardé par l’article premier de la Charte, le Tribunal a conclu que les objectifs pour lesquels le législateur avait adopté l’alinéa 15(1)c) n’étaient ni urgents ni réels et que le lien existant entre la retraite obligatoire et les avantages qui lui étaient traditionnellement associés n’était pas aussi solide qu’on l’avait naguère cru. Il a également souligné que l’arrêt McKinney c. Université de Guelph, dans lequel la Cour suprême du Canada avait conclu que les dispositions qui limitaient la protection de la loi aux personnes âgées de moins de 65 ans constituaient des limites raisonnables au sens de l’article premier de la Charte, n’était plus applicable parce que le contexte social et économique avait suffisamment changé. Le Tribunal a également conclu que l’alinéa 15(1)c) ne portait pas atteinte le moins possible aux droits à l’égalité des travailleurs âgés et que le fait de priver de la protection de la LCDP des travailleurs au-delà de l’âge de la retraite en vigueur avait d’importants effets préjudiciables qui l’emportaient sur les avantages générés par l’alinéa 15(1)c). En examinant si les demanderesses avaient établi que la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans constituait, pour les pilotes d’Air Canada, une exigence professionnelle justifiée, le Tribunal a pris en considération les questions de coûts, de santé et de sécurité conformément au paragraphe 15(2) de la LCDP, ainsi que d’autres questions. Avant les modifications qui leur ont été apportées en 2006, les normes de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) sur les vols internationaux et les limites d’âge auxquelles étaient soumis les pilotes pour effectuer des vols internationaux prévoyaient que les pilotes-commandants de bord âgés de plus de 60 ans ne pouvaient pas effectuer de vols internationaux, mais il n’existait pas de limite d’âge obligatoire pour les premiers officiers. Les normes modifiées de l’OACI prévoient que les pilotes-commandants de bord âgés de moins de 65 ans peuvent effectuer des vols internationaux, dans la mesure où l’un des pilotes, dans les équipages qui en comptent plus d’un, est âgé de moins de 60 ans (la « règle des 60 ans »). Le Tribunal a conclu que rien n’interdisait aux défendeurs d’effectuer des vols à titre de premiers officiers antérieurement à la modification de 2006. Le Tribunal a donc conclu que les demanderesses n’avaient pas établi l’existence d’une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée pour leur conduite discriminatoire. Le Tribunal a également jugé qu’il y avait des lacunes dans la preuve apportée par Air Canada au sujet des difficultés que poserait la production d’horaires de vol si l’entreprise était tenue d’accommoder les pilotes aux termes des normes modifiées de l’OACI, et a conclu qu’Air Canada n’aurait pas subi de contrainte excessive.
Il s’agissait de savoir si le Tribunal avait commis une erreur en concluant que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP n’est pas une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte; en interprétant le paragraphe 15(2) de la LCDP, et en déterminant qu’Air Canada n’avait pas établi que les dispositions en matière de retraite obligatoire constituaient une exigence professionnelle justifiée.
Arrêt : la demande dans le dossier T-1615-09 doit être rejetée; la demande dans le dossier T-1606-09 doit être accueillie en partie.
Le Tribunal a conclu avec raison que les demanderesses n’avaient pas démontré que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP est sauvegardé par l’article premier de la Charte. Il était approprié pour le Tribunal d’appliquer le critère de l’arrêt Oakes et de refuser de suivre l’arrêt McKinney c. Université de Guelph et les arrêts connexes. L’arrêt McKinney ne devrait pas dicter le résultat de la présente affaire pour les raisons suivantes : 1) il y a des différences marquantes entre l’alinéa 15(1)c) et les dispositions la loi provinciale sur les droits de la personne qui étaient en litige dans l’arrêt McKinney, tels leur historique législatif et leurs objectifs; 2) la Cour suprême n’envisageait pas que l’arrêt McKinney tranche de manière définitive la question de la retraite obligatoire à tout jamais, laissant manifestement la question ouverte en vue d’un réexamen ultérieur, lorsque l’on disposerait de preuves sur les conséquences de l’abolition de la retraite obligatoire; 3) il existe des faits nouveaux qui mettent en doute le fondement factuel de l’arrêt McKinney, et 4) il y a eu des changements dans les politiques d’intérêt public et dans la jurisprudence en matière de droits de la personne dans un contexte non lié à la Charte qui remettent en question le fondement de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt McKinney et les arrêts connexes, et qui reflètent le fait que les attitudes sociales à l’égard de la discrimination fondée sur l’âge ont évolué depuis que l’arrêt McKinney a été rendu. Le Tribunal a commis une erreur dans sa conclusion que les objectifs de l’alinéa 15(1)c) n’étaient ni urgents, ni réels, en confondant les éléments de l’analyse de la proportionnalité avec l’évaluation des objectifs poursuivis par le législateur en adoptant l’alinéa 15(1)c). L’un des objectifs de l’alinéa 15(1)c) est de permettre de négocier des ententes en matière de retraite obligatoire entre les employeurs et les employés. Un tel objectif est urgent et réel puisqu’il permet la préservation de régimes d’emploi socialement souhaitables, qui traitent de questions telles les pensions et la sécurité d’emploi. Dans la mesure où l’alinéa 15(1)c) élimine un obstacle juridique à la retraite obligatoire, il est logiquement lié à son objectif. Toutefois, la preuve soumise ne démontrait pas que l’État continue d’avoir un motif raisonnable de conclure qu’il est nécessaire de permettre aux parties de négocier des modalités de retraite obligatoire pour réaliser les objectifs de l’alinéa 15(1)c). Le Tribunal a eu raison de conclure que les demanderesses n’avaient pas établi que l’alinéa 15(1)c) porte atteinte le moins possible aux droits des travailleurs âgés, qui sont garantis par la Charte. Il est possible de réaliser les objectifs du législateur sans porter atteinte aux droits que garantit la Charte aux travailleurs au-delà de l’âge de la retraite en vigueur, dans la mesure où l’autorise l’alinéa 15(1)c). En outre, le Tribunal a évalué de façon correcte la question de la proportionnalité. Il n’a pas été établi que ces régimes d’emploi avantageux exigent qu’il soit loisible aux parties de négocier des clauses relatives à l’emploi qui incluent la retraite obligatoire afin que ces régimes puissent se poursuivre. En l’absence de preuve que l’un des avantages associés aux structures traditionnelles du marché du travail a disparu dans les provinces qui ont aboli la retraite obligatoire, on ne peut pas dire que les avantages de la retraite obligatoire l’emportent sur ses effets préjudiciables.
L’interprétation par le Tribunal du paragraphe 15(2) de la LCDP était déraisonnable. Bien qu’il relevait de l’expertise du Tribunal d’interpréter sa loi habilitante et d’examiner la portée de l’obligation d’accommodement, la décision sur laquelle il s’est fondé pour déterminer qu’il pouvait examiner des questions autres que les coûts, la santé et la sécurité n’avait pas été rendue en vertu de la LCDP et ne mettait pas en cause une disposition législative telle le paragraphe 15(2). En outre, le Tribunal n’a pas traité de deux principes d’interprétation différents, lesquels donnent tous deux à penser que les facteurs mentionnés au paragraphe 15(2) doivent être considérés comme une liste exhaustive. Il s’agit, d’une part, de la maxime latine « expressio unius est exclusio alterius » et, d’autre part, de l’approche qu’il convient de suivre lors de l’interprétation des lois relatives aux droits de la personne. Le fait que le législateur ne mentionne pas un point dans une liste amène à inférer qu’il a été délibérément exclu. En l’espèce, il y a eu une abondante jurisprudence de la Cour suprême bien avant l’ajout du paragraphe 15(2) de la LCDP en 1998, relativement à la nature et à la portée de l’obligation d’accommodement ainsi qu’aux facteurs à prendre en considération au moment d’évaluer si l’on s’est acquitté de cette obligation. Le législateur aurait donc été bien au courant du fait que des facteurs tels que l’effet sur le moral des employés et l’ingérence dans les droits d’autres employés avaient été soulignés comme des facteurs pertinents dans une analyse portant sur l’accommodement. En adoptant le paragraphe 15(2), le législateur n’a pas dit que le Tribunal devait prendre en considération des questions « telles que » ou « incluant » les coûts, la santé et la sécurité. Cela dénote nettement que le législateur envisageait que la liste énumérée au paragraphe 15(2) soit exhaustive. Une telle conclusion est renforcée lorsqu’on examine la question dans le contexte des principes à appliquer au moment d’interpréter une loi relative aux droits de la personne. S’il est nécessaire d’interpréter de manière large les droits quasi constitutionnels que confère une loi relative aux droits de la personne, les moyens de défense à l’égard de l’exercice de ces droits doivent être interprétés de manière restrictive.
En décidant si Air Canada avait établi que les dispositions sur la retraite obligatoire constituaient une exigence professionnelle justifiée, il était approprié pour le Tribunal d’évaluer la question des mesures d’accommodement à la date à laquelle l’emploi avait pris fin et d’examiner de façon prospective la question de la contrainte excessive, en tenant compte des changements apportés par la suite aux normes de l’OACI. La conclusion du Tribunal à propos de la responsabilité d’Air Canada à l’égard de la cessation de l’emploi de M. Vilven était raisonnable. Rien dans les normes de l’OACI qui étaient en vigueur à l’époque où M. Vilven a dû prendre sa retraite n’empêchait les premiers officiers âgés de plus de 60 ans d’effectuer des vols internationaux. M. Vilven et les autres premiers officiers qui étaient du même âge continuaient d’être en mesure de répondre aux exigences de leurs emplois sous les anciennes normes de l’OACI. La conclusion du Tribunal à propos de la responsabilité à l’égard de la cessation d’emploi de M. Kelly était également raisonnable. Il n’y avait aucune restriction sur le plan opérationnel ou sur celui de l’octroi d’une licence qui empêchait M. Kelly de se prévaloir de son ancienneté pour briguer un poste de pilote à titre de premier officier après avoir atteint l’âge de 60 ans. Il incombait à Air Canada de montrer qu’elle avait pris en considération et rejeté de manière raisonnable toutes les formes viables d’accommodement. Air Canada n’a pas établi que le fait de permettre à M. Kelly de poursuivre sa carrière de pilote auprès de la société, quoiqu’à un titre différent, aurait causé à cette dernière une contrainte excessive au cours de la période préalable à la modification des normes de l’OACI. De ce fait, la conclusion du Tribunal au sujet de la responsabilité à l’égard de la cessation d’emploi de M. Kelly était raisonnable.
L’analyse que le Tribunal a faite de l’exigence professionnelle justifiée était déraisonnable en ce qui a trait à la capacité d’Air Canada de prendre des mesures d’accommodement à l’égard des pilotes âgés de plus de 60 ans après 2006. L’analyse que le Tribunal a faite des preuves apportées par Air Canada sur sa capacité de prendre des mesures d’accommodement en faveur des capitaines et des premiers officiers âgés de plus de 60 ans, compte tenu de l’effet de la règle des 60 ans sur l’ancienneté et l’organisation des horaires de vol, laisse quelque peu à désirer. Les déclarations du Tribunal à l’effet qu’il n’y avait aucune preuve sur certains points donnaient lieu à l’inférence inévitable que des éléments de preuve importants d’Air Canada ont été laissés de côté. Le Tribunal a également omis d’expliquer pourquoi les preuves sur ce qu’il en coûterait pour engager d’autres pilotes n’avaient pas été prises en compte, en dépit du fait qu’Air Canada ait bel et bien fourni des preuves à cet égard. Cet élément de la décision du Tribunal est donc dénué de la transparence et de la responsabilité que requiert une décision raisonnable. Pour ces motifs, la question de savoir si le fait d’être âgé de moins de 60 ans était une exigence professionnelle justifiée pour les pilotes d’Air Canada après 2006 a été renvoyée au Tribunal pour réexamen.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.
Code des droits de la personne, L.R.O. 1970, ch. 318.
Code des droits de la personne (1981), S.O. 1981, ch. 53, art. 9a) « âge ».
Human Rights Act, S.B.C. 1984, ch. 22, art. 1 « age ».
Individual’s Rights Protection Act, R.S.A. 1980, ch. I-2, art. 11.1 (édicté par S.A. 1985, ch. 33, art. 5).
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 7, 9 (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 12), 10 (mod., idem, art. 13(A)), 15(1)a) (mod., idem, art. 10), c) (mod., idem), (2) (mod., idem), 48.3(10) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27), 50(1) (mod., idem), (2) (mod., idem), 51 (mod., idem).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52(1).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 57 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19; 2002, ch. 8, art. 54).
Loi sur les droits de la personne, L.R.N.-B. 1973, ch. H-11.
Saskatchewan Human Rights Code (The), S.S. 1979, ch. S-24.1.
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention relative à l’aviation civile internationale, 7 décembre 1944, [1944] R.T. Can. no 36.
Organisation de l’aviation civile internationale. Annexe I à la Convention relative à l’aviation civile internationale : Licences du personnel, 10e éd. Montréal : OACI, 2006.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISION NON SUIVIE :
Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 434 (FTQ) c. Gagnon, 2005 CanLII 25032 (C.S. Qué.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3.
décisions différenciées :
McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; Harrison c. Université de la Colombie-Britannique, [1990] 3 R.C.S. 451; Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, [2007] 1 R.C.S. 161.
décisions examinées :
Vilven c. Air Canada, 2009 CF 367, [2010] 2 R.C.F. 189, inf. en partie Vilven c. Air Canada; Kelly c. Air Canada, 2007 TCDP 36; Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; Dickason c. Université de l’Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103; Edwards, Henrietta Muir v. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (P.C.); Bedford v. Canada (Attorney General), 2010 ONSC 4264 (CanLII), 102 O.R. (3d) 321, 327 D.L.R. (4th) 52, 262 C.C.C. (3d) 129; Wakeford v. Canada (Attorney General), 2001 CanLII 28318, 81 C.R.R. (2d) 242 (C.S. Ont.), conf. par 2001 CanLII 32775, 156 O.A.C. 385 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2002] 2 R.C.S. ix; Leeson et al. v. University of Regina et al., 2007 SKQB 252 (CanLII), 301 Sask. R. 316; Assn. of Justices of the Peace of Ontario v. Ontario (Attorney General), 2008 CanLII 26258, 92 O.R. (3d) 16, 292 D.L.R. (4th) 623, 67 C.C.E.L. (3d) 56 (C.S. Ont.); Greater Vancouver Regional District Employees’ Union v. Greater Vancouver Regional District, 2001 BCCA 435 (CanLII), 206 D.L.R. (4th) 220, 43 Admin. L.R. (3d) 12, [2002] CLLC 230-002; CKY-TV v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada (Local 816) (Kenny Grievance) (2008), 175 L.A.C. (4th) 29, conf. par 2009 MBQB 252 (CanLII), 246 Man. R. (2d) 100, [2010] 1 W.W.R. 493, [2009] CLLC 230-036; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; R. c. Edwards Books & Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 R.C.S. 561; Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321.
décisions citées :
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407; Commission de la capitale nationale c. Brown, 2009 CAF 273; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Nouveau-Brunswick (Commission des droits de la personne) c. Potash Corporation of Saskatchewan Inc., 2008 CSC 45, [2008] 2 R.C.S. 604, 332 R.N.-B. (2e) 341; Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868; R. c. Bryan, 2007 CSC 12, [2007] 1 R.C.S. 527; Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827; Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., 2001 CSC 70, [2001] 3 R.C.S. 209; Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., 2004 CSC 66, [2004] 3 R.C.S. 381; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3; Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; Hutchinson v. B.C. (Min. of Health), 2004 BCHRT 58; Hassan v. Minister of Employment and Immigration (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.); Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c. Canada, 2010 CAF 307, [2012] 2 R.C.F. 312; Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 341 (C.A.); Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 3 C.F. 404 (C.A.).
DOCTRINE CITÉE
Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La promotion de l’égalité : Une nouvelle vision. Ottawa : Ministère de la Justice, 2000.
Gunderson, Morley et James Pesando. « The Case for Allowing Mandatory Retirement » (1988), 14 Anan. de pol. 32.
Jamal, Mahmud et Matthew Taylor. The Charter of Rights in Litigation: Direction from the Supreme Court of Canada, feuilles mobiles. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 2001.
Kesselman, Jonathan R. « Mandatory Retirement And Older Workers: Encouraging Longer Working Lives » (2004), 200 C.D. Howe Institute Commentary 1, en ligne : <http://www.cdhowe.org/pdf/commentary_200.pdf>.
Mandatory Retirement Study: The Effects of Raising the Age Limit for Mandatory Retirement in the Age Discrimination in Employment Act. Part 1: Final Report. Washington : The Urban Institute, 1981.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.
Zinn, Russel W. The Law of Human Rights in Canada: Practice and Procedure, feuilles mobiles. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1996.
DEMANDES de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (2009 TCDP 24) concluant que l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne n’est pas une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et que la demanderesse Air Canada n’avait pas établi que l’âge constituait une exigence professionnelle justifiée pour ses pilotes. Demande dans le dossier T-1615-09 rejetée; demande dans le dossier T-1606-09 accueillie en partie.
ONT COMPARU
Bruce Laughton, c.r., pour l’Association des pilotes d’Air Canada (demanderesse dans le dossier T-1615-09 et défenderesse dans le dossier T-1606-09).
Raymond D. Hall et David Baker pour les défendeurs Robert Neil Kelly et George Vilven.
Daniel Poulin pour la défenderesse Commission canadienne des droits de la personne.
Gavin MacKenzie et Christianna Scott pour Air Canada (défenderesse dans le dossier T-1615-09 et demanderesse dans le dossier T-1606-09).
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Laughton & Company, Vancouver, pour l’Association des pilotes d’Air Canada (demanderesse dans le dossier T-1615-09 et défenderesse dans le dossier T-1606-09).
Bakerlaw, Toronto, pour les défendeurs Robert Neil Kelly et George Vilven.
Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour la défenderesse Commission canadienne des droits de la personne.
Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour Air Canada (défenderesse dans le dossier T-1615-09 et demanderesse dans le dossier T-1606-09).
Table des matières
Paragraphe
I. Introduction |
|
II. Le contexte |
7 |
A. La retraite obligatoire à Air Canada |
8 |
B. La carrière de George Vilven |
10 |
C. La carrière de Robert Neil Kelly |
15 |
III. Les plaintes relatives aux droits de la personne |
20 |
IV. L’historique des procédures judiciaires |
24 |
V. La seconde décision du Tribunal |
31 |
VI. Les questions en litige |
43 |
VII. La norme de contrôle applicable |
45 |
VIII. L’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne constitue-t-il une limite raisonnable dans une société libre et démocratique? |
50 |
A. La jurisprudence de la Cour suprême du Canada en matière de retraite obligatoire |
54 |
i) Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Etobicoke |
55 |
ii) McKinney c. Université de Guelph |
59 |
iii) Harrison c. Université de la Colombie-Britannique |
80 |
iv) Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College |
82 |
v) Stoffman c. Vancouver General Hospital |
83 |
vi) Dickason c. Université de l’Alberta |
86 |
vii) Nouveau-Brunswick c. Potash Corporation of Saskatchewan Inc. |
96 |
B. Les raisons pour lesquelles la décision de la Cour suprême dans l’arrêt McKinney ne dicte pas le résultat de la présente affaire |
98 |
i) Les différences entre les dispositions législatives |
103 |
ii) L’arrêt McKinney ne visait pas à régler définitivement la question de la retraite obligatoire |
130 |
iii) Les différences dans les dossiers de preuve |
142 |
iv) L’évolution des politiques d’intérêt public |
147 |
v) Autres arrêts jurisprudentiels relatifs à la retraite obligatoire et postérieurs à l’arrêt McKinney |
157 |
a) Greater Vancouver Regional District Employees’ Union v. Greater Vancouver Regional District |
159 |
b) Assn. of Justices of the Peace of Ontario v. Ontario (Attorney General) |
164 |
c) CKY-TV v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada (Local 816) |
167 |
d) Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) |
174 |
C. L’alinéa 15(1)c) de la LCDP se justifie-t-il au regard de l’article premier de la Charte? |
186 |
i) Le cadre analytique de l’article premier |
187 |
ii) Quels sont les objectifs de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP? |
195 |
iii) Les objectifs de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP sont-ils urgents et réels? |
197 |
iv) L’élément de proportionnalité du critère énoncé dans l’arrêt Oakes |
205 |
v) Le lien logique |
208 |
vi) L’atteinte minimale |
218 |
a) Les principes juridiques applicables |
219 |
b) Les conclusions du Tribunal au sujet de la question de l’atteinte minimale |
226 |
c) Les arguments d’Air Canada et de l’APAC au sujet de l’atteinte minimale |
227 |
d) Les preuves d’expert |
234 |
e) L’application du critère de l’atteinte minimale |
281 |
f) La conclusion relative à la question de l’atteinte minimale |
323 |
vii) La proportionnalité entre les effets de la loi et ses objectifs |
327 |
viii) La conclusion au sujet de la question relative à la Charte |
350 |
IX. L’âge est-il une exigence professionnelle justifiée pour les pilotes d’Air Canada? |
352 |
A. Les principes juridiques régissant les exigences professionnelles justifiées |
353 |
B. La décision du Tribunal |
359 |
C. L’importance des normes de l’OACI |
377 |
D. Le moment choisi et l’obligation d’accommodement |
381 |
E. Les facteurs à prendre en considération en rapport avec la question de l’accommodement |
386 |
F. Les mesures d’accommodement au cours de la période préalable au mois de novembre 2006 |
405 |
i) Les mesures d’accommodement concernant M. Vilven au cours de la période préalable au mois de novembre 2006 |
408 |
ii) Les mesures d’accommodement concernant M. Kelly au cours de la période préalable au mois de novembre 2006 |
415 |
G. Les mesures d’accommodement prises au cours de la période postérieure au mois de novembre 2006 |
429 |
i) La façon dont le Tribunal a traité le témoignage du capitaine Duke |
431 |
ii) La conclusion du Tribunal au sujet des deux premières conditions du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin |
466 |
X. La mesure de réparation |
472 |
XI. Conclusion |
490 |
XII. Les dépens |
493 |
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
La juge Mactavish :
I. Introduction
[1] L’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6 (la LCDP ou la Loi) permet à un employeur de mettre fin à l’emploi d’une personne si cette dernière a atteint l’« âge de la retraite en vigueur » pour ce genre d’emploi.
[2] La Cour a déjà statué que l’alinéa 15(1)c) de la Loi viole le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), car il prive les travailleurs ayant dépassé l’âge de la retraite en vigueur pour des emplois semblables aux leurs de la même protection et du même bénéfice de la loi. En ce faisant, l’alinéa 15(1)c) a pour effet de perpétuer le désavantage et le préjudice dont sont collectivement victimes les travailleurs plus âgés en renforçant l’opinion stéréotypée selon laquelle ces derniers sont moins aptes, sont moins dignes d’être reconnus ou ont moins de valeur en tant qu’êtres humains ou membres de la société canadienne : voir Vilven c. Air Canada, 2009 CF 367, [2010] 2 R.C.F. 189 (Vilven no 1), aux paragraphes 9 et 337 à 339.
[3] Les présents motifs ont trait à deux demandes de contrôle judiciaire concernant une décision ultérieure par laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a conclu que l’alinéa 15(1)c) ne constitue pas une limite raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique, comme l’envisage l’article premier de la Charte. L’une des demandes a été déposée par Air Canada et l’autre par l’Association des pilotes d’Air Canada (l’APAC), l’agent de négociation représentant les pilotes d’Air Canada. Les deux demandes ont été regroupées par la voie d’une ordonnance de la Cour.
[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision que le Tribunal a rendue au sujet de la question relative à la Charte est correcte. De ce fait, la demande de l’APAC, qui ne fait état que de la question relative à la Charte, sera rejetée.
[5] La demande de contrôle judiciaire d’Air Canada comporte également une autre question litigieuse, soit celle de savoir si la conclusion du Tribunal selon laquelle Air Canada n’a pas établi que, pour ses pilotes, l’âge est une exigence professionnelle justifiée était raisonnable. Je suis arrivée à la conclusion que le Tribunal a commis une erreur dans son analyse de la question de l’exigence professionnelle justifiée en rapport avec la période postérieure au mois de novembre 2006. Cela étant, la demande de contrôle judiciaire d’Air Canada sera accueillie en partie.
[6] Ce qui n’est pas en litige en l’espèce est toute question relative à la sécurité des pilotes. L’aptitude d’un pilote à piloter un aéronef est déterminée non pas par Air Canada, mais par Transports Canada dans le cadre de son régime d’octroi de licences de pilote. Si, à la suite d’une évaluation individualisée, Transports Canada juge qu’une personne n’est plus apte à piloter, la licence qu’elle détient ne sera pas renouvelée.
[7] Pour situer les présents motifs dans leur juste contexte, je vais résumer brièvement les faits, qui sont tirés en grande partie de la décision que j’ai rendue dans la décision Vilven no 1.
A. La retraite obligatoire à Air Canada
[8] Chez Air Canada, la mise à la retraite obligatoire des pilotes a d’abord été une politique de la société. Depuis 1957, le régime de retraite de ce transporteur prescrit que, pour les pilotes, 60 ans est l’âge obligatoire de la retraite. Depuis le début des années 1980, des dispositions prescrivant la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans sont incluses dans la convention collective en vigueur entre Air Canada et le syndicat représentant ses pilotes. L’APAC a commencé à représenter les pilotes d’Air Canada en 1995.
[9] Peu avant que le Tribunal entende les plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Vilven et Kelly, l’APAC a tenu un référendum sur la question de la retraite obligatoire : 75 p. 100 de ses membres se sont prononcés en faveur du maintien de la retraite obligatoire pour les pilotes d’Air Canada.
B. La carrière de George Vilven
[10] George Vilven a été embauché par Air Canada en mai 1986. Au fil des années qui ont suivi, et grâce à son ancienneté, il a pu solliciter une succession de postes de statut supérieur et mieux rémunérés à bord d’aéronefs de plus en plus gros. Dans le cadre du dernier emploi qu’il a occupé auprès d’Air Canada, M. Vilven pilotait, à titre de premier officier, des Airbus 340 [A340].
[11] M. Vilven a eu 60 ans le 30 août 2003. Conformément aux dispositions en matière d’âge de la retraite obligatoire de la convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC et du régime de retraite des pilotes d’Air Canada, il était tenu de prendre sa retraite le premier jour du mois suivant son 60e anniversaire.
[12] Rien ne laisse croire que M. Vilven avait des problèmes de rendement au travail ou de santé. En fait, il n’est pas contesté que le seul motif de la cessation de son emploi a été l’application des dispositions en matière de retraite obligatoire de la convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC, ainsi que du régime de retraite des pilotes d’Air Canada, lequel est incorporé par renvoi à la convention collective.
[13] Compte tenu de ses années de service auprès d’Air Canada et de ses années de service militaire antérieures à son embauche (lesquelles sont incluses en tant qu’années de service pour les besoins du régime de retraite d’Air Canada), M. Vilven a droit à des prestations de retraite élevées jusqu’à son décès.
[14] Après avoir quitté Air Canada, M. Vilven a pu poursuivre sa carrière dans le domaine de l’aviation. Il a travaillé comme pilote chez Flair Airlines d’avril 2005 à mai 2006, date à laquelle il a cessé de piloter afin de se préparer à l’audience tenue devant le Tribunal. À l’époque où cette audience a eu lieu, M. Vilven détenait toujours une licence canadienne de pilote de ligne valide.
C. La carrière de Robert Neil Kelly
[15] Robert Neil Kelly a été embauché par Air Canada en septembre 1972. À l’époque où il a pris sa retraite de cette société, il pilotait des Airbus 340 à titre de capitaine et de pilote‑commandant de bord.
[16] Il ne faut pas confondre le titre de « pilote-commandant de bord » avec celui de « capitaine ». Chez Air Canada, les postes de pilote comprennent ceux de capitaine, de premier officier et de pilote de relève. Les normes internationales sur les licences du personnel qui sont promulguées par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), l’organisation des Nations Unies qui est chargée de promouvoir la sécurité dans le domaine de l’aviation civile, exigent qu’à chaque vol un pilote soit désigné comme pilote-commandant de bord : voir la Convention relative à l’aviation civile internationale, 7 décembre 1944, [1944] R.T. Can. no 36 (la Convention de Chicago) (entrée en vigueur le 4 avril 1947); voir l’Annexe I à la Convention relative à l’aviation civile internationale : Licences du personnel (Licences du personnel, 10e éd. Montréal : ICAO, 2006). Le capitaine d’un aéronef est en général le pilote-commandant de bord, mais ce n’est pas toujours le cas.
[17] M. Kelly a atteint l’âge de 60 ans le 30 avril 2005, et il a été obligé de prendre sa retraite d’Air Canada le 1er mai 2005. À l’instar de M. Vilven, la capacité de M. Kelly à exercer en toute sécurité son métier de pilote ne posait aucun problème, et les parties s’accordent pour dire que la seule raison pour laquelle M. Kelly a cessé de travailler pour Air Canada est l’application des dispositions en matière de retraite obligatoire qui figurent dans le régime de retraite et la convention collective en vigueur.
[18] Tout comme M. Vilven, M. Kelly a droit à des prestations de retraite élevées durant le reste de sa vie.
[19] M. Kelly a également pu poursuivre sa carrière de pilote après son départ d’Air Canada. Il a d’abord travaillé à contrat comme premier officier auprès de Skyservice Airlines. À l’époque de l’audience initiale du Tribunal, il était au service de ce transporteur à titre de capitaine et de pilote-commandant de bord de Boeing 757 sur divers itinéraires, dont des itinéraires internationaux.
III. Les plaintes relatives aux droits de la personne
[20] M. Vilven a déposé sa plainte contre Air Canada auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en août 2004, soutenant qu’en l’obligeant à prendre sa retraite à l’âge de 60 ans, Air Canada violait les articles 7 et 10 [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 13(A)] de la LCDP. Le texte intégral des dispositions légales applicables est annexé aux présents motifs.
[21] La plainte relative aux droits de la personne de M. Kelly a été déposée le 31 mars 2006 et elle visait à la fois Air Canada et l’APAC. Sa plainte alléguait une discrimination fondée sur l’âge, ce qui est contraire aux dispositions des articles 7, 9 [mod., idem, art. 12] et 10 de la Loi.
[22] La Commission a renvoyé les deux plaintes au Tribunal canadien des droits de la personne, et les deux ont été entendues et tranchées ensemble.
[23] Lors des observations orales des parties, on m’a informée que le Tribunal a maintenant tenue une audience en rapport avec 68 autres plaintes de la part d’anciens pilotes d’Air Canada que l’on a obligés à prendre leur retraite contre leur volonté. La décision du Tribunal à propos de cette affaire est actuellement en délibéré. On m’a également informée qu’il existe un autre « grand groupe » d’anciens pilotes d’Air Canada dont la Commission canadienne des droits de la personne a renvoyé au Tribunal les plaintes relatives aux droits de la personne, de même qu’un autre « grand groupe » d’anciens pilotes d’Air Canada dont les plaintes de discrimination fondée sur l’âge sont en instance devant la Commission.
IV. L’historique des procédures judiciaires
[24] Pour situer les questions en litige dans leur juste contexte, il est nécessaire de connaître l’historique des procédures judiciaires qui a fait en sorte que la Cour se trouve actuellement saisie des demandes.
[25] L’audition initiale des plaintes de MM. Vilven et Kelly a eu lieu en 2007. L’APAC a obtenu le statut de « partie intéressée » devant le Tribunal en rapport avec la plainte de M. Vilven. Le Tribunal a également accordé le même statut à la « Fly Past 60 Coalition », un groupe formé de pilotes actuels ou d’anciens pilotes d’Air Canada qui se sont regroupés dans le but de faire abolir la retraite obligatoire à Air Canada.
[26] Avant l’audience du Tribunal, la Fly Past 60 Coalition a déposé un avis de question constitutionnelle auprès des procureurs généraux du gouvernement fédéral et des provinces, indiquant que la constitutionnalité de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP était en litige dans l’instance. Comme il a été mentionné plus tôt, l’alinéa 15(1)c) de la Loi prescrit que le fait de mettre fin à l’emploi d’une personne « en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur pour ce genre d’emploi » ne constitue pas un acte discriminatoire.
[27] Dans une décision rendue en août 2007, le Tribunal a rejeté les plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Vilven et Kelly : Vilven c. Air Canada; Kelly c. Air Canada, 2007 TCDP 36 (la décision no 1 du Tribunal). Il a conclu que 60 ans était l’âge de la retraite en vigueur pour les personnes occupant le genre d’emploi qu’exerçaient les plaignants et, de plus, que l’alinéa 15(1)c) de la Loi ne contrevenait pas au paragraphe 15(1) de la Charte. En raison de sa conclusion concernant la question relative à l’article 15 de la Charte, le Tribunal n’a pas eu à décider si l’alinéa 15(1)c) de la LCDP pouvait se justifier au regard de l’article premier de la Charte.
[28] À l’étape du contrôle judiciaire, j’ai conclu que même si le Tribunal avait commis des erreurs dans son analyse, la conclusion selon laquelle 60 ans était l’âge de la retraite en vigueur pour les personnes occupant le genre d’emploi qu’exerçaient MM. Vilven et Kelly avant qu’ils prennent leur retraite était raisonnable : Vilven no 1, au paragraphe 174.
[29] Cependant, comme il a été dit plus tôt, j’ai conclu que l’alinéa 15(1)c) de la Loi viole le paragraphe 15(1) de la Charte, car il prive de la même protection et du même bénéfice de la loi les travailleurs ayant plus que l’âge de la retraite en vigueur pour des emplois semblables. J’ai donc annulé la décision du Tribunal en rapport avec la question relative à la Charte et renvoyé l’affaire à ce dernier pour qu’il décide si l’alinéa 15(1)c) de la Loi pouvait se justifier en tant que limite raisonnable dans une société libre et démocratique : Vilven no 1, au paragraphe 340.
[30] J’ai ordonné que si le Tribunal décidait que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP n’était pas sauvegardé par l’article premier de la Charte, il lui fallait traiter du bien-fondé des plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Vilven et Kelly. Cela obligerait le Tribunal à prendre en considération l’argument d’Air Canada selon lequel le fait d’exiger que tous ses pilotes soient âgés de moins de 60 ans équivaut à une exigence professionnelle justifiée, au sens de l’alinéa 15(1)a) de la LCDP : Vilven no 1, au paragraphe 341.
V. La seconde décision du Tribunal
[31] En août 2009, le Tribunal a rendu une seconde décision en rapport avec les plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Vilven et Kelly : Vilven c. Air Canada; Kelly c. Air Canada, 2009 TCDP 24 (la décision no 2 du Tribunal).
[32] Pour évaluer si l’alinéa 15(1)c) de la LCDP était sauvegardé par l’article premier de la Charte, le Tribunal a appliqué le critère que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l’arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, et qui exige que l’on satisfasse à deux conditions : l’objectif de la loi doit se rapporter à des préoccupations sociales « urgentes et réelles », et les moyens choisis pour atteindre cet objectif doivent être « proportionnels ».
[33] Le Tribunal a signalé que, pour être proportionnelles, les mesures choisies doivent avoir « un lien rationnel avec l’objectif en question et [être] de nature à porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en question. Ce critère exige également qu’il y ait proportionnalité entre les objectifs poursuivis et les effets de la mesure restrictive en cause » : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 12, citant l’arrêt Oakes, à la page 139.
[34] Le Tribunal a reconnu que dans des arrêts tels que McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, et Harrison c. Université de la Colombie-Britannique, [1990] 3 R.C.S. 451, la Cour suprême du Canada a conclu que les dispositions qui, dans les codes des droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie‑Britannique, limitaient la protection de la loi aux personnes âgées de moins de 65 ans constituaient des limites raisonnables au sens de l’article premier de la Charte.
[35] Le Tribunal a également fait remarquer que, dans l’arrêt McKinney, les juges majoritaires ont accordé un degré élevé de déférence au législateur, car la question de la retraite obligatoire comprenait une mise en équilibre complexe entre des intérêts opposés au sujet desquels les experts ne parvenaient pas à s’entendre. Il a toutefois fait remarquer qu’il avait été décidé dans plusieurs décisions plus récentes que le contexte social et économique avait suffisamment changé depuis que les arrêts McKinney et Harrison avaient été tranchés pour que les décisions prises soient aujourd’hui inapplicables : décision no 2 du Tribunal, aux paragraphes 18 et 19.
[36] Le Tribunal a comparé le contexte factuel et social de la présente affaire à celui qui avait été soumis à la Cour suprême dans l’arrêt McKinney, et il a conclu que la preuve dont il était saisi montrait que la retraite obligatoire n’était plus la norme en vigueur comme elle l’était à l’époque où l’arrêt McKinney avait été rendu. Au moment de la tenue de l’audience, seules trois provinces permettaient la retraite obligatoire. Dans toutes les autres provinces, la retraite obligatoire était soit interdite, soit autorisée seulement si elle reposait sur une exigence professionnelle justifiée ou sur un régime de retraite ou de pension existant : décision no 2 du Tribunal, aux paragraphes 26 et 27.
[37] Le Tribunal a fait remarquer que l’abolition de la retraite obligatoire dans ces provinces n’avait pas sonné le glas des régimes de rémunération différée, de retraite et de prestations, de même que des modalités relatives à l’ancienneté : décision no 2 du Tribunal, aux paragraphes 29 et 34. Il a ajouté que les preuves d’expert qui lui avaient été soumises mettaient en doute les préoccupations relevées par la Cour suprême dans l’arrêt McKinney quant aux conséquences néfastes possibles qui pouvaient découler de l’abolition de la retraite obligatoire pour des questions telles que les régimes de retraite et de rémunération différée. Il a donc conclu que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP ne pouvait se justifier en fonction de l’un quelconque des éléments du critère de l’arrêt Oakes.
[38] Il a donc fallu que le Tribunal examine ensuite si Air Canada et l’APAC avaient établi que la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans constituait, pour les pilotes d’Air Canada, une exigence professionnelle justifiée.
[39] Pour répondre à cette question, le Tribunal a appliqué le critère établi par la Cour suprême dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), au paragraphe 54.
[40] Selon le Tribunal, ni MM. Vilven et Kelly ni la Commission ne contestaient que l’on avait satisfait aux deux premiers éléments du critère de l’arrêt Meiorin : c’est-à-dire, que les dispositions en matière de retraite obligatoire du régime de retraite d’Air Canada et de la convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC avaient été adoptées dans un but qui avait un lien rationnel avec les fonctions de l’emploi occupé, et que ces dispositions avaient été adoptées en étant convaincu de bonne foi qu’elles étaient nécessaires pour atteindre un objectif légitime lié aux fonctions de l’emploi.
[41] La « vraie question » que le Tribunal avait à trancher consistait à savoir s’il était possible de prendre à l’endroit de MM. Vilven et Kelly des mesures d’accommodement sans imposer une contrainte excessive à Air Canada et/ou à l’APAC : décision no 2 du Tribunal, aux paragraphes 82 et 83.
[42] Après avoir examiné les preuves produites par les plaignants à cet égard, le Tribunal a conclu que ni Air Canada ni l’APAC n’avaient établi que la mise à la retraite des pilotes d’Air Canada à l’âge de 60 ans constituait une exigence professionnelle justifiée. Il a donc considéré que les plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Vilven et Kelly étaient justifiées, et a conservé la compétence de trancher la question des réparations.
[43] Il y a deux questions en litige dans les présentes demandes de contrôle judiciaire. La première consiste à savoir si le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP n’est pas une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte.
[44] La seconde question consiste à savoir si le Tribunal a commis une erreur en décidant qu’Air Canada n’avait pas établi que les dispositions en matière d’âge obligatoire de la retraite du régime de retraite d’Air Canada et de la convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC constituaient une exigence professionnelle justifiée.
VII. La norme de contrôle applicable
[45] MM. Vilven et Kelly, Air Canada et l’APAC conviennent tous que la conclusion du Tribunal quant au fait de savoir si l’alinéa 15(1)c) de la LCDP est sauvegardé par l’article premier de la Charte est susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision correcte. La Commission n’adopte aucune position au sujet de la question relative à la Charte.
[46] Je conviens qu’en ce qui concerne cet aspect-là de la décision du Tribunal, c’est la décision correcte qui est la norme applicable. Les questions relatives à la Charte doivent être tranchées de manière constante et correcte : voir les arrêts Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 58 et 163; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 32. Cela dit, les conclusions de nature purement factuelle que tire le Tribunal dans le cadre de son analyse constitutionnelle ont droit à un certain degré de retenue : voir, par exemple, l’arrêt Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, au paragraphe 26.
[47] MM. Vilven et Kelly, la Commission et Air Canada conviennent également que la conclusion du Tribunal quant à la question de savoir si Air Canada avait établi l’existence d’une défense fondée sur l’exigence professionnelle justifiée est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. L’APAC n’adopte aucune position au sujet de la question de l’exigence professionnelle justifiée.
[48] Je conviens que la raisonnabilité est la norme de contrôle qui s’applique à cet aspect de la décision du Tribunal. La question de savoir si le moyen de défense fondé sur l’exigence professionnelle justifiée a été établi dans une affaire particulière est une question mixte de fait et de droit, qui oblige le Tribunal à appliquer sa loi habilitante aux faits qui lui sont soumis. Une telle conclusion donne lieu à un degré de retenue judiciaire : Commission de la capitale nationale c. Brown, 2009 CAF 273, au paragraphe 5.
[49] En appliquant la norme de la raisonnabilité, la Cour se doit de prendre en considération la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, et déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit : voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59.
VIII. L’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne constitue-t-il une limite raisonnable dans une société libre et démocratique?
[50] Avant d’analyser cette question, il convient de signaler que l’APAC a signifié un avis de question constitutionnelle au procureur général du Canada et à ceux des provinces en application des dispositions de l’article 57 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19; 2002, ch. 8, art. 54] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], afin d’indiquer que la validité constitutionnelle de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP était en litige dans les présentes demandes. Aucun des procureurs généraux n’a décidé de prendre part à la présente instance.
[51] Il ne fait aucun doute que le Tribunal canadien des droits de la personne a le pouvoir de trancher des questions relatives à la Charte, car la LCDP habilite législativement le Tribunal à trancher des questions de droit : voir le paragraphe 50(2) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 27] ainsi que l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, précité, au paragraphe 3.
[52] Les parties conviennent qu’il incombe à Air Canada et à l’APAC de justifier la limite imposée aux droits à l’égalité dont jouissent MM. Vilven et Kelly : voir l’arrêt Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483, à la page 520. La norme de preuve exigée au regard de l’article premier de la Charte est la norme civile ordinaire, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités : Oakes, à la page 137.
[53] Il n’est pas non plus contesté que le critère de l’arrêt Oakes que le Tribunal a appliqué pour décider si l’alinéa 15(1)c) de la LCDP se justifie au regard de l’article premier de la Charte est le critère qui convient.
A. La jurisprudence de la Cour suprême du Canada en matière de retraite obligatoire
[54] La Cour suprême du Canada a étudié la question de la retraite obligatoire à un certain nombre de reprises au cours des 30 dernières années. Avant d’appliquer le critère de l’arrêt Oakes aux faits de l’espèce, et pour situer cette analyse dans son juste contexte, il est utile de commencer par examiner ce que la Cour suprême dit sur le sujet.
i) Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Etobicoke
[55] La question de la retraite obligatoire a été soumise pour la première fois à la Cour suprême au début des années 1980, dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202. Dans cette affaire, les appelants étaient des pompiers au service de la municipalité d’Etobicoke; chacun avait déposé une plainte en vertu du Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, ch. 318, parce qu’il avait été contraint de prendre sa retraite à l’âge de 60 ans aux termes de la convention collective régissant les conditions de son emploi.
[56] L’Ontario Human Rights Code prévoyait que l’interdiction relative à la discrimination fondée sur l’âge ne s’appliquait pas dans les cas où l’on pouvait établir que, pour l’emploi en question, l’âge était une exigence professionnelle justifiée. Un commissaire‑enquêteur a jugé que la municipalité n’avait pas établi l’existence d’une telle exigence pour ses pompiers. Cette décision a été infirmée par la Cour divisionnaire de l’Ontario, et la décision de cette dernière a par la suite été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario.
[57] En rétablissant la décision du commissaire-enquêteur, la Cour suprême a conclu que les preuves que l’employeur avait produites n’établissaient pas que le fait d’être âgé de moins de 60 ans était une exigence professionnelle réelle justifiée. La Cour suprême a fait remarquer que, chronologiquement, tous vieillissent au même rythme mais, « au sens fonctionnel », le vieillissement se fait à des rythmes très différents et est difficilement prévisible. Elle a ensuite fait remarquer que lorsque l’employeur se soucie de la productivité plutôt que de la sécurité, « il peut être difficile, voire impossible, d’établir que la retraite obligatoire à un âge déterminé, sans égard à la capacité d’une personne en particulier, peut valablement être imposée en vertu du Code » : à la page 209.
[58] La Cour suprême a rejeté l’argument de l’employeur selon lequel il fallait considérer l’âge de la retraite obligatoire en litige comme une exigence professionnelle réelle justifiée car c’est ce qui avait été convenu dans le cadre d’une convention collective : à la page 212. La Cour suprême a exprimé l’avis qu’étant donné que le Code avait été adopté dans l’intérêt de l’ensemble de la collectivité et de chacun de ses membres, on ne pouvait pas renoncer ou modifier par contrat privé la protection qu’il offrait : aux pages 213 et 214.
ii) McKinney c. Université de Guelph
[59] La question de la retraite obligatoire a été soumise une fois de plus à la Cour suprême au début des années 1990, dans une série d’affaires déposées en vertu de l’article 15 de la Charte : McKinney; Harrison; Stoffman; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570.
[60] Dans les quatre affaires, les jugements ont été rendus en même temps, et l’arrêt McKinney a été la décision principale. Air Canada et l’APAC soutiennent que le Tribunal est lié par l’arrêt McKinney et qu’il aurait donc dû conclure que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP était sauvegardé par l’article premier de la Charte. Les demanderesses font valoir qu’en omettant de suivre l’arrêt McKinney, le Tribunal a commis une erreur de droit. Compte tenu de cet argument, il est nécessaire d’examiner de façon assez détaillée le raisonnement que la Cour suprême a suivi dans cet arrêt.
[61] Dans l’arrêt McKinney, les appelants étaient des professeurs de quatre universités de l’Ontario qui avaient été contraints de prendre leur retraite à l’âge de 65 ans, conformément aux politiques de ces universités en matière de retraite obligatoire. Comme dans le cas présent, les professeurs ne pouvaient pas solliciter un recours en vertu de la législation relative aux droits de la personne, car l’alinéa 9a) du Code des droits de la personne (1981), S.O. 1981, ch. 53, de l’Ontario limitait la protection qu’accordait le Code contre la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi aux personnes dont l’âge se situait entre 18 et 65 ans.
[62] Les juges majoritaires ont conclu que les universités ne faisaient pas partie du « gouvernement » et que la portée de la Charte se limitait aux fonctions de nature gouvernementale. Cependant, la Cour suprême a ensuite examiné à titre incident les politiques de retraite des universités en se fondant sur l’hypothèse que ces dernières étaient des organismes gouvernementaux, et elle a conclu que ces politiques étaient justifiables.
[63] Quant à la constitutionnalité de l’alinéa 9a) du Code des droits de la personne (1981) de l’Ontario, les juges de la Cour suprême ont été unanimes à conclure que la disposition législative en litige violait le paragraphe 15(1) de la Charte car il privait des personnes d’un avantage conféré par le Code pour l’un des motifs énumérés. Ils ont toutefois été partagés sur la question de savoir si la disposition pouvait se justifier au regard de l’article premier de la Charte.
[64] C’est le juge La Forest qui a rédigé le jugement de la majorité, et le juge en chef Dickson et le juge Gonthier y ont souscrit. Les juges Cory et Sopinka ont écrit chacun des motifs distincts, en souscrivant au résultat. Les juges Wilson et L’Heureux-Dubé ont toutes deux rédigé des jugements dissidents, n’étant pas d’accord avec la majorité à propos de la question de savoir si l’alinéa 9a) pouvait se justifier au regard de l’article premier.
[65] Le juge La Forest a commencé par passer en revue l’historique et le rôle de la retraite obligatoire au Canada. En 1970, a-t-il fait remarquer, des régimes de retraite publics et privés avaient été établis pour assurer la sécurité du revenu après l’âge de 65 ans et, depuis 1990, la retraite obligatoire faisait « maintenant partie de l’organisation même du marché du travail dans notre pays » : à la page 295.
[66] Selon le juge La Forest, les objectifs de la loi visaient à mettre en équilibre la préoccupation du législateur à l’égard de l’absence de protection après l’âge de 65 ans et la crainte qu’un tel changement puisse obliger à repousser la date de la retraite et à en retarder ses avantages pour les travailleurs plus âgés. Il a aussi été fait état de l’effet possible qu’un tel changement aurait pour le marché du travail et les régimes de retraite. De l’avis du juge La Forest, ces objectifs étaient urgents et réels.
[67] La majorité a également conclu que l’alinéa 9a) du Code avait un lien rationnel avec ces objectifs et, à cet égard, le juge La Forest a fait remarquer que « le système qui permet aux individus du secteur privé de fixer eux-mêmes l’âge de la retraite qui convient dans un domaine particulier d’activité n’a rien d’absurde » : à la page 304.
[68] Pour ce qui est de la question de l’atteinte minimale, le juge La Forest a fait remarquer que lorsque le législateur avait devant lui des théories socio-économiques contradictoires et des preuves liées aux sciences sociales, il lui était loisible de faire un choix entre elles et d’agir avec prudence en apportant des modifications. La question dont la Cour était saisie consistait à savoir si le gouvernement était raisonnablement fondé à conclure que la loi portait le moins possible atteinte au droit visé, compte tenu des objectifs urgents et réels du gouvernement : à la page 315.
[69] En traitant de cette question, le juge La Forest a qualifié la question de la retraite obligatoire de problème socio-économique complexe, faisant intervenir « les règles fondamentales et intimement liées du milieu du travail à l’intérieur de toute notre société » : à la page 302. Il a expliqué que la retraite obligatoire faisait partie d’« ententes contractuelles intimement liées et applicables pendant la vie active et [qu’elle comportait] quelque chose comme des prestations de rémunération différée », surtout dans le cas des travailleurs syndiqués où « l’ancienneté joue en quelque sorte le rôle équivalent de la permanence » : à la page 307.
[70] Le juge La Forest a fait remarquer de plus que les incidences qu’aurait l’abolition de la retraite obligatoire pour l’organisation du milieu du travail, et pour la société en général, n’étaient pas des questions que l’on pouvait évaluer précisément : à la page 304.
[71] Enfin, le juge La Forest a conclu qu’il y avait une proportionnalité entre les effets de l’alinéa 9a) du Code sur le droit garanti et les objectifs de la disposition. Un législateur, a-t-il ajouté, n’est pas tenu de traiter de tous les aspects d’un problème à la fois, et il doit pouvoir adopter des mesures progressives en rapport avec des questions telles que la retraite obligatoire : à la page 317.
[72] Les juges Cory et Sopinka, dans leurs motifs concourants, ont convenu que l’alinéa 9a) du Code était sauvegardé par l’article premier de la Charte.
[73] Par contraste, la juge Wilson a fait remarquer que l’alinéa 9a) du Code ne faisait pas que permettre la retraite obligatoire; il avait aussi pour effet de permettre toute forme de discrimination fondée sur l’âge en matière de travail envers les personnes âgées de plus de 65 ans. Elle a donc exprimé l’avis qu’il n’était donc pas satisfait au volet du lien rationnel énoncé dans le critère de l’arrêt Oakes : à la page 414.
[74] Ce qui importe davantage pour le cas qui nous occupe, la juge Wilson a conclu que la loi ne satisfaisait pas à l’élément de l’atteinte minimale que comporte le critère énoncé dans l’arrêt Oakes. Elle a fait remarquer que les travailleurs âgés, à cause de l’atteinte à leur droit à l’égalité, subiraient disproportionnellement plus de difficultés. Elle a aussi ajouté que les femmes étaient négativement touchées par la retraite obligatoire, car leurs antécédents de travail étaient souvent interrompus à cause des responsabilités liées aux soins des enfants, ce qui pouvait les priver des bénéfices d’un régime de retraite : aux pages 414 à 416.
[75] La juge Wilson a reconnu que les exigences en matière de retraite obligatoire sont souvent le produit de négociations collectives. Cependant, elle a fait remarquer aussi que même s’il était acceptable que des citoyens écartent par entente leurs droits fondamentaux en échange d’un gain économique, il restait que la majorité des travailleurs de l’Ontario n’avaient pas accès à de tels arrangements : à la page 415.
[76] La juge L’Heureux-Dubé a convenu avec la juge Wilson que l’alinéa 9a) du Code n’était pas justifiable au regard de l’article premier de la Charte. Elle a conclu qu’il n’y avait aucune preuve convaincante que la retraite obligatoire était intimement liée au système de permanence. À son avis, la valeur de la permanence était menacée non pas par le vieillissement, mais par l’incompétence. Les différences entre les capacités physiques et intellectuelles des travailleurs âgés et celles des travailleurs plus jeunes étaient compensées par l’expérience et la sagesse plus grandes des travailleurs âgés, ainsi que par les habiletés qu’ils avaient acquises au fil du temps. Elle a donc conclu que la politique de retraite obligatoire des universités ne satisfaisait à aucun objectif urgent et réel : aux pages 430 à 432.
[77] La juge L’Heureux-Dubé a de plus exprimé l’opinion que les moyens choisis par le législateur étaient trop envahissants. Les personnes âgées de plus de 65 ans étaient exclues de la protection du Code uniquement du fait de leur âge, indépendamment des circonstances qui leur étaient propres. Elle a ajouté que c’étaient les démunis qui ressentaient le plus douloureusement les effets de la retraite obligatoire, et que les femmes étaient particulièrement touchées en ce sens qu’elles étaient moins susceptibles d’avoir accumulé une pension suffisante : aux pages 433 et 434.
[78] En l’absence de justification raisonnable pour un régime législatif permettant la retraite obligatoire à l’âge de 65 ans, la juge L’Heureux-Dubé aurait radié dans son intégralité l’alinéa 9a) du Code comme étant inconstitutionnel.
[79] En même temps qu’elle a rendu son jugement dans l’affaire McKinney, la Cour suprême du Canada a aussi publié ses décisions dans les trois arrêts connexes que sont Harrison, Stoffman et Douglas College. Comme ces affaires reposent dans une large mesure sur le raisonnement exposé dans l’arrêt McKinney, je ne ferai référence que brièvement à chacune d’elles.
iii) Harrison c. Université de la Colombie-Britannique
[80] Dans l’arrêt Harrison, il était question d’une contestation de la politique de retraite obligatoire de l’Université de la Colombie-Britannique. Il était question aussi de la constitutionnalité de la définition du mot [traduction] « âge » à l’article premier de la Human Rights Act, S.B.C. 1984, ch. 22, de la Colombie-Britannique qui limitait la protection de la Loi aux personnes âgées entre 45 et 65 ans.
[81] La Cour, dans la décision majoritaire, a conclu qu’étant donné que les faits, les points en litige et les questions constitutionnelles dans l’arrêt Harrison étaient semblables à ceux qui avaient été examinés dans McKinney, Harrison était régi par cet arrêt. En conséquence, l’arrêt Harrison n’ajoute pas grand-chose à l’analyse. Mais il vaut toutefois la peine de signaler que les juges Wilson et L’Heureux-Dubé ont une fois de plus exprimé leur dissidence à l’égard de la question de l’article premier.
iv) Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College
[82] Dans l’arrêt Douglas College, l’appel concernait une autre contestation relative à une disposition en matière de retraite obligatoire incluse dans une convention collective. L’affaire a été tranchée pour des raisons de compétence, la question étant celle de savoir si l’arbitre avait compétence pour trancher des questions relatives à la Charte. La Cour suprême a statué que l’arbitre avait bel et bien compétence pour le faire. Cependant, comme ce dernier n’avait pas examiné si la violation de l’article 15 de la Charte se justifiait au regard de l’article premier de cette dernière, la Cour n’a pas traité de cet aspect.
v) Stoffman c. Vancouver General Hospital
[83] Dans l’arrêt Stoffman, il était question d’une contestation de la part de médecins ayant des privilèges d’admission au Vancouver General Hospital. Un règlement des Medical Staff Regulations de l’hôpital exigeait que les médecins prennent leur retraite à l’âge de 65 ans, à moins de pouvoir démontrer qu’ils avaient quelque chose d’unique à offrir à l’hôpital.
[84] Les médecins n’étaient pas des employés de l’hôpital, et ils ne bénéficiaient donc pas de la protection que prévoit la Human Rights Act de la Colombie-Britannique contre la discrimination fondée sur l’âge dans le cadre des emplois. La Cour suprême a conclu que les médecins ne pouvaient pas non plus se prévaloir de la protection de la Charte, car les hôpitaux ne faisaient pas partie du gouvernement.
[85] Même si la Charte s’était appliquée, la majorité aurait conclu que le règlement relatif à la retraite obligatoire qui était discriminatoire aurait été sauvegardé par l’article premier pour les motifs indiqués dans l’arrêt McKinney. Les juges Wilson, L’Heureux-Dubé et Cory ont exprimé leur dissidence.
vi) Dickason c. Université de l’Alberta
[86] Deux ans après que la Cour suprême eut rendu ses décisions dans l’arrêt McKinney et les arrêts connexes, la question de la retraite obligatoire dans le milieu universitaire lui a été soumise de nouveau dans l’affaire Dickason c. Université de l’Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103.
[87] Dans l’arrêt Dickason, la question consistait à savoir si l’arrêt McKinney tranchait pleinement « la question de savoir si une politique de mise à la retraite obligatoire dans le cadre d’un emploi privé [pouvait] être justifiée aux termes de l’art. 11.1 de l’IRPA [Individual’s Rights Protection Act, R.S.A. 1980, ch. I‑2] » : à la page 1128. Là encore, les jugements majoritaires et dissidents ont mis au jour de profondes divisions au sein de la Cour suprême sur la question.
[88] Comme dans l’arrêt McKinney, l’appelante, dans l’arrêt Dickason, était une professeure permanente qui avait été contrainte de prendre sa retraite à l’âge de 65 ans, conformément à une clause figurant dans sa convention collective. Mme Dickason avait porté plainte auprès de l’Alberta Human Rights Commission, alléguant que la disposition en matière de retraite obligatoire de la convention collective violait l’IRPA [Individual’s Rights Protection Act, R.S.A. 1980, ch. I-2].
[89] Contrairement aux lois sur les droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie‑Britannique qui étaient en litige dans les arrêts McKinney et Harrison, l’IRPA ne limitait pas sa protection contre la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi aux personnes âgées de moins de 65 ans. L’article 11.1 [édicté par S.A. 1985, ch. 33, art. 5] de l’IRPA interdisait cette discrimination, sauf si un employeur pouvait démontrer qu’elle était [traduction] « raisonnable et justifiable, eu égard aux circonstances ». Mme Dickason ne contestait pas la validité constitutionnelle de l’article 11.1 en vertu de la Charte, mais plutôt la prétention de l’Université selon laquelle l’exigence de la retraite obligatoire qui était en litige était raisonnable et justifiable.
[90] En rejetant l’appel de Mme Dickason contre le rejet de sa plainte relative aux droits de la personne, le juge Cory (s’exprimant au nom d’une majorité des juges, comprenant les juges La Forest, Gonthier et Iacobucci) a analysé la différence qui existe entre les droits conférés par une loi relative aux droits de la personne et ceux que confère la Charte. Il a fait remarquer qu’une loi sur les droits de la personne vise à réglementer la conduite d’acteurs privés, tandis que la Charte a pour but de réglementer les actions de l’État : aux pages 1121 et 1122.
[91] En conséquence, le juge Cory a conclu que même si la décision rendue dans l’arrêt McKinney donnait quelques lignes directrices, elle ne déterminait pas l’issue de l’affaire de Mme Dickason, car il n’était pas obligatoire de faire preuve de retenue à l’égard des choix de politique de l’Université en tant qu’institution privée : aux pages 1123 et 1124.
[92] Tout en reconnaissant que les parties ne peuvent généralement pas renoncer par contrat à l’application d’une loi sur les droits de la personne, le juge Cory a fait remarquer que la disposition en matière de retraite obligatoire qui était en litige était le résultat du processus de négociation collective. À son avis, cela pouvait fournir une preuve du caractère raisonnable d’une pratique qui semblait à première vue discriminatoire : à la page 1131.
[93] Gardant cela à l’esprit, le juge Cory a examiné si les objectifs de la promotion de la permanence, du renouvellement du corps professoral, de la planification et de la gestion des ressources ainsi que de la mise à la retraite dans la dignité justifiaient l’imposition de limites fondées sur l’âge aux droits fondamentaux à un traitement égal : à la page 1128. La preuve concernant le rôle de la retraite obligatoire dans ce contexte était fort semblable à celle qui avait été soumise à la Cour suprême dans l’arrêt McKinney, et la majorité a conclu que la politique de retraite obligatoire était raisonnable et justifiable.
[94] Les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin [maintenant juge en chef] ont exprimé leur dissidence, concluant que la politique de retraite obligatoire de l’Université n’était ni raisonnable ni justifiable. Les juges dissidentes ont exprimé l’avis que, étant donné que les parties ne peuvent généralement pas renoncer par contrat à l’application d’une loi sur les droits de la personne, le fait que l’exigence de la retraite obligatoire figurait dans une convention collective n’était pas une preuve du caractère raisonnable de la pratique discriminatoire dans le cas de Mme Dickason. Tout en reconnaissant qu’il pouvait s’agir là d’un facteur à prendre en considération dans des circonstances exceptionnelles, il convenait néanmoins d’examiner avec soin la convention collective afin de s’assurer qu’elle avait été véritablement négociée de manière libre et qu’elle n’était pas injustement discriminatoire envers une minorité des membres du syndicat : aux pages 1170 et 1171.
[95] Souscrivant aux propos des juges L’Heureux-Dubé et McLachlin, le juge Sopinka a décrété qu’il fallait faire droit à l’appel de Mme Dickason au motif que le commissaire-enquêteur n’avait trouvé qu’un lien ténu entre l’objectif de l’Université et sa politique de retraite obligatoire. Le commissaire-enquêteur avait aussi conclu qu’il y avait, pour l’Université, d’autres moyens plus raisonnables d’atteindre ses objectifs, et qu’on n’avait fait la preuve d’aucune raison valable de modifier ces conclusions de fait.
vii) Nouveau-Brunswick c. Potash Corporation of Saskatchewan Inc.
[96] Comme nous le verrons plus loin, la Cour suprême du Canada a été appelée à plusieurs reprises ces dernières années à revenir sur la question de la retraite obligatoire. La Cour suprême l’a elle-même reconnu explicitement dans l’arrêt Nouveau-Brunswick (Commission des droits de la personne) c. Potash Corporation of Saskatchewan Inc., 2008 CSC 45, [2008] 2 R.C.S. 604.
[97] La Cour suprême n’a pas écarté la possibilité de procéder à un réexamen de la retraite obligatoire, si besoin était : au paragraphe 4. Cependant, les faits dont il était question dans l’arrêt Potash n’offraient pas une occasion appropriée de le faire, car aucune contestation constitutionnelle n’avait été formulée contre la disposition pertinente de la Loi sur les droits de la personne, L.R.N.‑B. 1973, ch. H‑11, du Nouveau-Brunswick.
B. Les raisons pour lesquelles la décision de la Cour suprême dans l’arrêt McKinney ne dicte pas le résultat de la présente affaire
[98] Air Canada et l’APAC soutiennent que la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’arrêt McKinney liait le Tribunal et que, cela étant, il aurait fallu conclure que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP était sauvegardé par l’article premier de la Charte. Selon ces deux parties, il n’existe en l’espèce aucune différence de fait ou de preuve qui soit suffisamment importante pour justifier une conclusion différente à propos de la question relative à l’article premier.
[99] Les demanderesses soutiennent que le seul véritable changement qui est survenu entre le moment où la Cour suprême a rendu sa décision dans l’arrêt McKinney et le moment où le Tribunal a tenu l’audience sur l’affaire en l’espèce est que la retraite obligatoire a été abolie en Ontario, un fait qui a eu lieu après la cessation de l’emploi de MM. Vilven et Kelly auprès d’Air Canada. Ce simple fait, de l’avis des demanderesses, n’autorise pas le Tribunal à refuser de suivre l’arrêt McKinney.
[100] Notre système juridique est soumis au principe de la stare decisis. C’est-à-dire que, par souci d’assurer la certitude du droit, les décisions que rendent les tribunaux d’appel lient les tribunaux de première instance et il faut habituellement qu’elles soient suivies dans les affaires qui mettent en cause des faits semblables.
[101] Tout en reconnaissant que les décisions de la Cour suprême du Canada lient sans conteste aussi bien le Tribunal que la présente Cour, il y a quatre raisons pour lesquelles les décisions que la Cour suprême a rendues dans l’arrêt McKinney et les arrêts connexes ne devraient pas dicter le résultat de la présente affaire :
1. les différences marquantes entre les dispositions légales en litige;
2. l’indication claire, dans l’arrêt McKinney, que la Cour suprême n’envisageait pas que la décision tranche de manière définitive la question de la retraite obligatoire à tout jamais;
3. les différences dans les dossiers de preuve qui ont été soumis à la Cour suprême et au Tribunal;
4. l’évolution des politiques d’intérêt public qui a eu lieu depuis que l’affaire McKinney a été tranchée.
[102] J’analyserai chacune de ces raisons à tour de rôle.
i) Les différences entre les dispositions législatives
[103] Bien qu’il y ait des similitudes entre l’alinéa 15(1)c) de la LCDP et les dispositions des lois sur les droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie-Britannique qui étaient en litige dans les arrêts McKinney et Harrison, il existe aussi dans ces lois des différences marquantes.
[104] La disposition du Human Rights Code de l’Ontario dont il était question dans l’arrêt McKinney contenait une interdiction générale contre la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi. Le mot « âge » était défini à l’alinéa 9a) du Code, comme suit : [traduction] « s’entend de dix-huit ans ou plus et de moins de soixante-cinq ans ». De ce fait, les personnes âgées de plus de 65 ans ne bénéficiaient pas de la protection du Code.
[105] Dans l’arrêt Harrison, la disposition de la Human Rights Act de la Colombie-Britannique définissait le mot « âge » [à l’article 1] comme suit : [traduction] « 45 ans ou plus et moins de 65 ans », et le résultat était semblable.
[106] Il y a sans aucun doute des similitudes entre ces dispositions et l’alinéa 15(1)c) de la LCDP, dont le texte est le suivant :
15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires : […] c) le fait de mettre fin à l’emploi d’une personne en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur pour ce genre d’emploi […] |
Exceptions |
[107] Aucune de ces dispositions législatives n’oblige à prendre sa retraite à un âge précisé. Il s’agit, dans tous les cas, de dispositions permissives qui limitent la protection qu’offrent les lois applicables dans le contexte de l’emploi.
[108] L’APAC et Air Canada soutiennent que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP est plus aisément défendable, car sa portée est plus étroite que celle de l’article 9 du Human Rights Code de l’Ontario. Comme l’a fait remarquer la juge Wilson dans les motifs dissidents qu’elle a rendus dans l’arrêt McKinney, l’article 9 du Code autorise toutes les formes de discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi contre les personnes âgées de plus de 65 ans, et non pas seulement leur mise à la retraite obligatoire : au paragraphe 350. Par contraste, l’exception que crée l’alinéa 15(1)c) de la LCDP n’est liée qu’à la question de la retraite obligatoire.
[109] Je suis d’accord qu’à cet égard, l’alinéa 15(1)c) de la LCDP est d’une portée plus étroite que l’article 9 du Human Rights Code de l’Ontario. Il y a toutefois d’autres différences marquantes entre l’alinéa 15(1)c) de la LCDP et les dispositions des lois sur les droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie-Britannique qui étaient en litige dans les arrêts McKinney et Harrison et qui ont une incidence sur la question de savoir si l’alinéa 15(1)c) est sauvegardé par l’article premier de la Charte.
[110] Tout d’abord, l’historique législatif et les objectifs de chaque disposition sont différents. Le juge La Forest a traité de l’historique législatif et des objectifs de l’article 9 du Human Rights Code de l’Ontario dans l’arrêt McKinney. Tout en signalant que les législateurs avaient fait état de leur préoccupation à l’égard du fait qu’aucune protection dans le secteur de l’emploi n’était offerte aux personnes âgées de plus de 65 ans, en bout de ligne « d’autres considérations ont prévalu », dont le fait que l’on reporte le moment de prendre sa retraite et qu’on ne profite de ses avantages que plus tard, de même que l’effet sur les pratiques en matière d’embauche et de personnel ainsi que sur le chômage chez les jeunes : aux pages 300 et 301.
[111] Par contraste, quand la LCDP a été soumise au Parlement, le ministre de la Justice Ron Basford et le sous-ministre adjoint Barry Strayer ont déclaré que l’intention de l’alinéa 15(1)c) était de laisser aux employeurs et aux employés le soin de négocier la question de l’âge de la retraite obligatoire dans le secteur privé : voir Vilven no 1, aux paragraphes 159 à 161 et 243 à 247.
[112] De plus, dans les lois sur les droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, les assemblées législatives provinciales ont expressément indiqué l’âge auquel la protection qu’accordaient ces lois cesserait d’être offerte aux employés. Le Parlement n’a pas fait un tel choix de principe au moment d’adopter l’alinéa 15(1)c). Il a plutôt décidé de déléguer le choix de l’âge auquel les employés cesseraient de bénéficier de la protection de la LCDP aux employeurs d’une catégorie particulière de travailleurs.
[113] C’est donc dire qu’il revient aux employeurs de décider quel sera « l’âge normal de la retraite » pour divers types d’emplois. Cette décision peut être prise dans le cadre du processus de négociation collective, mais elle peut aussi résulter de l’imposition unilatérale des politiques de retraite d’un employeur. Dans la pratique, l’alinéa 15(1)c) de la LCDP s’applique principalement aux employeurs du secteur privé, car le gouvernement fédéral a aboli la retraite obligatoire pour ses employés dans les années 1980.
[114] Il existe une autre différence entre la loi qui est en litige en l’espèce et celle qui était en litige dans l’arrêt McKinney. Dans ce dernier, la Cour suprême a indiqué que 65 ans était « l’âge normal de la retraite » dans la société canadienne : à la page 306. C’est donc dire que les dispositions législatives qui étaient en litige dans l’arrêt McKinney ainsi que dans l’arrêt Harrison étaient conformes à cette norme sociale. Par contraste, l’alinéa 15(1)c) de la LCDP permet d’imposer la retraite aux employés à un âge inférieur à 65 ans, tant que cela concorde avec « l’âge de la retraite en vigueur » pour un type particulier d’emploi.
[115] Plus l’âge de la retraite obligatoire est bas, plus il y aura d’effets défavorables pour les travailleurs qui ont été incapables d’accumuler des ressources pécuniaires ou des gains ouvrant droit à pension suffisants avant d’être contraints de prendre leur retraite. Les économistes du travail qui ont témoigné devant le Tribunal ont convenu que ce groupe se composera, de façon disproportionnée, de femmes et d’immigrants.
[116] De plus, comme je l’ai fait remarquer dans la décision Vilven no 1, l’alinéa 15(1)c) de la LCDP est une disposition qu’il est inusité de trouver dans une loi relative aux droits de la personne, en ce sens qu’il permet aux employeurs assujettis à la réglementation fédérale d’agir de façon discriminatoire contre leurs employés du fait de leur âge, tant que cette discrimination est répandue au sein d’une industrie particulière : au paragraphe 1.
[117] Le fait de déléguer aux employeurs du secteur privé le choix de l’âge de la retraite obligatoire permissible a une autre conséquence pour les employés soumis à la réglementation fédérale — une conséquence que ne subissaient pas ceux qui travaillaient en Ontario ou en Colombie-Britannique à l’époque où les arrêts McKinney et Harrison ont été rendus.
[118] C’est-à-dire qu’en Ontario, comme en Colombie-Britannique, les employés auraient pu facilement découvrir l’âge auquel ils cesseraient de bénéficier de la protection de la loi provinciale applicable sur les droits de la personne. Par contraste, l’alinéa 15(1)c) de la LCDP n’informe pas clairement les employés de leurs droits, et les faits en l’espèce illustrent l’incertitude et les difficultés pratiques que crée le libellé de cette disposition.
[119] Pour connaître ses droits, il faudrait qu’un employé soumis à la réglementation fédérale sache quels emplois seraient semblables au « genre d’emploi » qu’il occupe. Cela l’obligerait à relever convenablement le groupe de comparaison approprié. Il ne s’agit pas là d’une tâche aisée, même pour des personnes ayant suivi une formation juridique et bien au fait des principes relatifs aux droits de la personne.
[120] En fait, en l’espèce, le Tribunal a décidé que le groupe de comparaison approprié, pour les besoins de l’analyse relative à l’alinéa 15(1)c), était les « pilotes qui effectuent des vols internationaux réguliers pour une importante entreprise de transport aérien international » : voir la décision no 1 du Tribunal, au paragraphe 55.
[121] Dans le cadre du contrôle judiciaire, j’ai conclu que le Tribunal avait commis une erreur de principe en arrivant à cette conclusion, avec le résultat que le groupe de comparaison qu’il avait choisi était déraisonnable. J’ai considéré que le groupe de comparaison approprié serait « celui des pilotes au service de sociétés aériennes canadiennes et aux commandes d’aéronefs de taille et de type divers, transportant des voyageurs vers des destinations à la fois intérieures et internationales, en traversant l’espace aérien canadien et étranger » : Vilven no 1, au paragraphe 112.
[122] Même si l’employé était capable de cibler comme il faut le groupe de comparaison approprié, et de déterminer quels emplois étaient semblables au sien, il aurait ensuite à réunir les renseignements nécessaires sur le nombre de personnes occupant des emplois semblables auprès d’autres employeurs. Il faudrait aussi que cet employé puisse découvrir à quelles politiques de retraite ces autres employés seraient soumis, ce qui serait nécessaire pour déterminer s’il existait un « âge de la retraite en vigueur » pour ces genres d’emploi, et de quel âge il s’agissait.
[123] Les renseignements numériques sur le nombre de personnes qui occupent des emplois précis sont souvent des renseignements exclusifs hautement confidentiels, auxquels les employés d’autres sociétés n’ont peut-être pas facilement accès. En fait, en l’espèce, une preuve a été soumise au Tribunal au sujet des difficultés que MM. Vilven et Kelly ont rencontrées en tentant de recueillir ce genre de renseignements auprès de concurrents d’Air Canada. À l’époque où le Tribunal a entendu l’affaire, le dossier à cet égard n’était toujours pas complet.
[124] Il y a un autre aspect qui distingue l’alinéa 15(1)c) de la LCDP des dispositions des lois sur les droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie-Britannique qui étaient en litige dans les arrêts McKinney et Harrison. C’est-à-dire qu’en ce qui concerne la protection contre la discrimination fondée sur l’âge, l’âge limite supérieur spécifié dans la loi provinciale s’appliquait de manière égale à tous les employés travaillant dans la province en question. Par contraste, l’âge limite envisagé par l’alinéa 15(1)c) de la LCDP peut varier d’une industrie à une autre et d’un emploi à un autre.
[125] En outre, contrairement aux lois provinciales qui étaient en litige dans les arrêts McKinney et Harrison, l’alinéa 15(1)c) de la LCDP permet à un seul acteur dominant au sein d’une industrie de fixer à toutes fins pratiques l’âge normal de la retraite pour l’industrie tout entière. Là encore, cette caractéristique distinctive est illustrée par les faits de l’espèce.
[126] D’autres sociétés aériennes canadiennes n’exigent pas que leurs pilotes prennent leur retraite à l’âge de 60 ans. À l’époque où MM. Vilven et Kelly ont été forcés de prendre leur retraite d’Air Canada, plusieurs sociétés aériennes canadiennes permettaient à leurs pilotes de travailler jusqu’à l’âge de 65 ans, et l’une d’elles n’avait aucune politique de retraite obligatoire : Vilven no 1, au paragraphe 173.
[127] Cependant, Air Canada occupe une position dominante au sein de l’industrie aérienne canadienne : elle emploie la majorité des pilotes aux commandes d’aéronefs de tailles et de types divers, transportant des passagers vers des destinations intérieures et étrangères, en traversant l’espace aérien canadien et étranger. De ce fait, Air Canada (de pair avec l’APAC) est en mesure de fixer la norme de l’industrie et elle peut fixer à toutes fins pratiques « “l’âge de la retraite en vigueur” » de tous les pilotes canadiens pour l’application de l’alinéa 15(1)c) de la Loi : voir Vilven no 1, au paragraphe 171.
[128] Autrement dit, l’alinéa 15(1)c) de la Loi autorise la propre conduite discriminatoire d’Air Canada et de l’APAC et fournit aux deux un moyen de se défendre contre les plaintes de MM. Vilven et Kelly en rapport avec les droits de la personne : voir Vilven no 1, au paragraphe 313.
[129] Aucune de ces questions n’a été examinée par la Cour suprême dans les arrêts McKinney et Harrison pour décider si, dans ces deux affaires, la justification des dispositions législatives en litige pouvait se justifier au regard de l’article premier de la Charte. Les différences entre les dispositions des lois sur les droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie-Britannique et l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont suffisamment importantes pour qu’il soit justifié de conclure que la décision que la Cour suprême a rendue dans l’arrêt McKinney ne devrait pas dicter automatiquement le résultat d’une analyse relative à l’article premier de la Charte dans le cas présent.
ii) L’arrêt McKinney ne visait pas à régler définitivement la question de la retraite obligatoire
[130] La deuxième raison pour conclure que l’arrêt McKinney ne dicte pas le résultat en l’espèce est que, dans cet arrêt, la décision de la majorité ne visait pas à régler à tout jamais la question de la retraite obligatoire.
[131] La constitution est [traduction] « un arbre susceptible de croître et de se développer à l’intérieur de ses limites naturelles ». Résultat, les droits constitutionnels peuvent faire l’objet d’interprétations judiciaires différentes au fil du temps : voir Edwards, Henrietta Muir v. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (C.P.), à la page 136, lord Sankey.
[132] Cependant, comme l’a fait remarquer la Cour supérieure de l’Ontario dans l’arrêt Bedford v. Canada (Attorney General), 2010 ONSC 4264, 102 O.R. (3d) 321, la Cour suprême du Canada est habilitée à revenir sur ses décisions antérieures, mais [traduction] « les tribunaux d’instance inférieure ne doivent le faire que dans des cas très restreints » : au paragraphe 78.
[133] Pour ce qui est de savoir quels sont ces cas restreints, la Cour supérieure de l’Ontario, dans l’arrêt Bedford, a cité des commentaires formulés dans l’arrêt Wakeford v. Canada (Attorney General), 2001 CanLII 28318, 81 C.R.R. (2d) 342 (C.S. Ont.), conf. par 2001 CanLII 32775, 156 O.A.C. 385 (C.A. Ont.), autorisation d’interjeter appel auprès de la C.S.C. refusée, [2002] 2 R.C.S. ix. Dans cet arrêt, le juge Swinton a déclaré que lorsqu’une décision de la Cour suprême porte précisément sur la question en litige, [traduction] « il doit y avoir une indication quelconque — soit dans les faits plaidés, soit dans les décisions de la Cour suprême — que la décision antérieure peut donner lieu à un réexamen » : au paragraphe 14.
[134] Comme je l’ai expliqué plus tôt, je ne suis pas convaincue que l’arrêt McKinney et les autres arrêts jurisprudentiels de la Cour suprême en matière de retraite obligatoire « portent précisément sur la question en litige ». Quoi qu’il en soit, la Cour suprême a clairement indiqué dans l’arrêt McKinney qu’elle n’envisageait pas que son jugement sur la question relative à l’article premier règle définitivement le sujet.
[135] Le juge La Forest a fait remarquer que « les incidences de la retraite obligatoire sur l’organisation du milieu du travail et ses répercussions sur la société en général ne sont pas des questions susceptibles d’être évaluées précisément ». Il a ensuite ajouté que « l’effet de sa suppression par autorisation judiciaire est encore moins certain ». Il a fait remarquer que les décisions prises en rapport avec de telles questions « découlent inévitablement de la combinaison d’hypothèses, de connaissances fragmentaires, de l’expérience générale et de la connaissance des besoins, des aspirations et des ressources de la société ainsi que d’autres éléments » : extraits tous tirés de l’arrêt McKinney, aux pages 304 et 305.
[136] En analysant les preuves d’expert d’économistes du travail au sujet des conséquences possibles de l’abolition de la retraite obligatoire, le juge La Forest a fait remarquer que l’on ne pouvait pas considérer la retraite obligatoire isolément et que, d’après les experts « les répercussions de l’abolition de la retraite obligatoire se feraient sentir [traduction] “dans tous les aspects du rôle du personnel: l’embauche, la formation, les renvois, la surveillance et l’évaluation, et la rémunération” » : à la page 307. Le juge La Forest a donc ajouté qu’« il ne serait pas du tout surprenant que le législateur ait choisi d’aborder la question avec prudence » : à la page 309.
[137] Cependant, dans le paragraphe suivant, le juge La Forest a ensuite signalé que la retraite obligatoire avait été abolie dans un certain nombre d’administrations, encore que ce fût par choix législatif plutôt que par ordonnance judiciaire, et que les effets appréhendés ne s’étaient pas matérialisés. Il a fait remarquer que « nous ne connaissons pas vraiment les incidences de ces nouveaux régimes et la preuve indique qu’il faudra attendre 15 à 20 ans avant de pouvoir en faire une analyse sérieuse » (non souligné dans l’original) : à la page 310.
[138] C’est donc dire que la déclaration du juge La Forest selon laquelle il n’était pas « prêt à dire que la ligne de conduite adoptée par le législateur […] n’établit pas un équilibre raisonnable entre les revendications sociales concurrentes auxquelles doit s’attaquer notre société » a été expressément faite dans le contexte social et historique du début des années 1990 : à la page 314. Il a manifestement laissé la question ouverte en vue d’un réexamen ultérieur, quand on disposerait de preuves fiables sur ce qui s’était réellement passé après l’abolition de la retraite obligatoire.
[139] Lorsque des décisions antérieures de la Cour suprême peuvent être réexaminées et qu’elles doivent l’être, [traduction] « ces réexamens doivent nécessairement débuter en première instance » : Leeson et al. v. University of Regina et al., 2007 SKQB 252, 301 Sask. R. 316, au paragraphe 9.
[140] La présente affaire se situe donc dans les cas exceptionnels dont il était question dans l’arrêt Wakeford. Il était loisible au Tribunal de réexaminer la question de la retraite obligatoire en rapport avec l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans le contexte de preuves plus récentes.
[141] Cela nous amène donc à la troisième caractéristique distinctive de l’espèce, soit les différences qu’il y a dans les dossiers de preuve qui ont été soumis à la Cour suprême dans l’affaire McKinney ainsi qu’au Tribunal dans le cas présent.
iii) Les différences dans les dossiers de preuve
[142] Il est possible aussi de revenir sur la jurisprudence de la Cour suprême quand il y a des [traduction] « faits nouveaux susceptibles de mettre en doute le fondement de la décision de la Cour suprême » : voir l’arrêt Bedford, au paragraphe 80.
[143] Dans l’arrêt Leeson, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a examiné dans quelles situations il convient qu’un tribunal d’instance inférieure réexamine les décisions d’un tribunal d’instance supérieure. Il vaut la peine de signaler que cette analyse portait sur une contestation fondée sur la Charte, formulée par des professeurs d’université, contre une disposition du Saskatchewan Human Rights Code (The), S.S. 1979, ch. S-24.1, limitant aux personnes de moins de 65 ans la protection offerte par le Code contre la discrimination fondée sur l’âge. Il s’agissait essentiellement de la question qui avait été soumise à la Cour suprême du Canada dans l’arrêt McKinney.
[144] La Cour du Banc de la Reine a traité de l’argument des professeurs selon lequel les hypothèses sociales, politiques et économiques qui sous-tendaient la décision rendue dans l’arrêt McKinney n’étaient plus valables. À cet égard, elle a déclaré que [traduction] « [q]uand on allègue un tel changement, et qu’il y a au moins quelques faits allégués à l’appui d’un tel changement, il n’y a pas lieu d’empêcher que l’affaire soit entendue pour cause de stare decisis » : Leeson, au paragraphe 9. Cependant, elle a ensuite rejeté pour d’autres motifs la contestation fondée sur la Charte des professeurs.
[145] Cela fait maintenant environ 18 ans que l’arrêt McKinney a été prononcé, et environ 24 ans que l’on a établi le dossier de preuve dans cette affaire. La Cour suprême, quand elle a prononcé cet arrêt, ignorait quelles seraient les incidences de l’abolition de la retraite obligatoire. Comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs, il existe aujourd’hui des preuves d’expert sur l’effet qu’a eu concrètement l’abolition de la retraite obligatoire pour les structures traditionnelles du marché du travail, dont les régimes de retraite et de rémunération différée, les systèmes d’ancienneté et de permanence, et ainsi de suite.
[146] Je suis donc persuadée qu’il existe des faits nouveaux qui mettent en doute le fondement factuel de la décision que la Cour suprême a rendue dans l’arrêt McKinney.
iv) L’évolution des politiques d’intérêt public
[147] Il a été déclaré aussi dans l’arrêt Bedford qu’il était possible de revenir sur la jurisprudence de la Cour suprême lorsqu’il y avait [traduction] « de nouveaux changements dans les politiques d’intérêt public […] susceptibles de mettre en doute le fondement de la décision de la Cour suprême » : au paragraphe 80.
[148] Il est survenu des changements dans les politiques d’intérêt public et dans la jurisprudence en matière de droits de la personne dans un contexte non lié à la Charte qui remettent en question le fondement des décisions que la Cour suprême a rendues dans l’arrêt McKinney et les arrêts connexes.
[149] Depuis que l’arrêt McKinney a été rendu, de nombreuses études ont été menées sur les effets de l’abolition de la retraite obligatoire au Canada. En fait, l’auteur de la décision majoritaire rendue dans l’arrêt McKinney — le juge La Forest lui-même — a étudié la question en sa qualité de président du Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ce Comité a recommandé, il y a 10 ans de cela, qu’il n’y ait plus d’exemptions générales pour les politiques de retraite obligatoire dans la Loi canadienne sur les droits de la personne : voir le rapport de ce Comité intitulé La promotion de l’égalité : Une nouvelle vision (Ottawa : Ministère de la Justice, juin 2000), à la page 132.
[150] Tout en reconnaissant qu’il était nécessaire d’étudier davantage la situation en vue de mettre au point des solutions de rechange à la retraite obligatoire, le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne a souligné dans son rapport que ces études devraient garder à l’esprit les questions relatives à l’égalité. Fait important, le rapport indique que « [l]es employeurs ne devraient pas pouvoir justifier la mise à la retraite forcée sous prétexte qu’elle est normale dans les emplois similaires » (non souligné dans l’original). Selon les auteurs : « C’est un argument très arbitraire, qui s’inspire de postulats anciens que les lois sur les droits de la personne sont censées éliminer » : à la page 134.
[151] Les auteurs du rapport admettent toutefois que la retraite obligatoire peut se justifier dans certains lieux de travail, comme dans les Forces canadiennes. Cependant, ils recommandent que « [s]i la défense générale de la retraite obligatoire est supprimée dans la Loi, le gouvernement devrait obliger les employeurs à justifier que leur politique de retraite obligatoire constitue une exigence professionnelle justifiée » : à la page 134.
[152] Le rapport du Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne reflète le fait que les attitudes sociales à l’égard de la discrimination fondée sur l’âge ont évolué depuis que l’arrêt McKinney a été rendu. Comme l’a fait remarquer la Cour supérieure de l’Ontario dans l’arrêt Assn. of Justices of the Peace of Ontario v. Ontario (Attorney General), 2008 CanLII 26258, 92 O.R. (3d) 16 (Justices of the Peace) : [traduction] « la vision qu’a la société de la discrimination fondée sur l’âge, que la Charte interdit, a évolué au point où des pratiques considérées comme acceptables il y a 20 ans sont aujourd’hui frappées d’interdiction » : au paragraphe 177.
[153] De plus, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada en matière de droits de la personne, postérieurement à l’arrêt McKinney et dans un contexte non lié à la Charte, renforce le fait que les employeurs doivent éviter de formuler des hypothèses générales quant à la capacité d’employés particuliers.
[154] C’est-à-dire que dans l’arrêt Meiorin, précité, et dans l’arrêt Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (Grismer), la Cour suprême a réitéré le critère relatif à la discrimination, et elle a introduit l’obligation d’adopter des mesures d’accommodement dans des affaires de discrimination directe visées par des codes des droits de la personne.
[155] Ce faisant, la Cour a souligné qu’il était nécessaire de procéder à des évaluations individualisées, de façon à éviter d’appliquer des stéréotypes fondés sur des motifs prohibés. À ce sujet, elle a déclaré que les employeurs doivent « tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérente de chaque personne, dans la mesure où cela n’impose aucune contrainte excessive » : Meiorin, au paragraphe 62.
[156] Ces circonstances étayent davantage l’opinion selon laquelle, en l’espèce, la décision que la Cour suprême a rendue dans l’arrêt McKinney ne devrait pas dicter le résultat d’une analyse fondée sur l’article premier de la Charte.
v) Autres arrêts jurisprudentiels relatifs à la retraite obligatoire et postérieurs à l’arrêt McKinney
[157] Avant de passer à une autre question, je signale qu’une revue de plusieurs décisions rendues par des tribunaux d’instances inférieures après l’arrêt McKinney conforte ma conclusion selon laquelle les décisions que la Cour suprême a rendues dans l’arrêt McKinney et les arrêts connexes n’obligent pas à conclure que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP est sauvegardé par l’article premier de la Charte.
[158] Ces affaires ont trait à la validité constitutionnelle de politiques de retraite obligatoire ou de dispositions législatives et, dans l’une d’elles, de la validité constitutionnelle de l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne lui-même. Dans chacune de ces affaires, des tribunaux d’instance supérieure ou d’appel, dans trois provinces différentes, ont conclu que les présomptions contextuelles sur lesquelles reposait la décision de la Cour suprême dans l’arrêt McKinney n’étaient plus valables.
a) Greater Vancouver Regional District Employees’ Union v. Greater Vancouver Regional District
[159] La première de ces décisions est le jugement qu’a rendu la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Greater Vancouver Regional District Employees’ Union v. Greater Vancouver Regional District, 2001 BCCA 435, 206 D.L.R. (4th) 220. Cette affaire n’avait pas trait à une contestation fondée sur la Charte au sujet de dispositions législatives en matière de droits de la personne, mais plutôt au contrôle d’une décision par laquelle un arbitre avait invalidé la politique de retraite obligatoire d’un employeur.
[160] En rejetant l’appel de l’employeur, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a statué que la politique de retraite obligatoire était discriminatoire et que l’employeur ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir que cette politique se justifiait au regard de l’article premier de la Charte. Pour arriver à cette conclusion, elle s’est dite non convaincue que l’arrêt McKinney et les arrêts suivants avaient réglé que [traduction] « les politiques de retraite obligatoire dans le secteur public sont toutes sauvegardées par l’article premier de la Charte du simple fait qu’elles ne contreviennent pas aux lois provinciales applicables en matière de droits de la personne » : Greater Vancouver, au paragraphe 120.
[161] Revêtent une importance particulière les commentaires formulés dans l’arrêt Greater Vancouver à propos de la pertinence actuelle de l’arrêt McKinney. À cet égard, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a fait remarquer que l’arrêt McKinney n’était pas destiné à trancher de façon définitive la question de la retraite obligatoire et que, comme je l’ai mentionné plus tôt, il était sous-entendu dans les motifs de la majorité qu’il y avait lieu de revoir la question dans l’avenir : au paragraphe 28.
[162] Dans l’arrêt Greater Vancouver, on peut lire ce qui suit dans la décision de la majorité : [traduction] « Comme cela fait maintenant 11 ans que l’arrêt McKinney a été tranché, et que la question de la retraite obligatoire présente une importance et un intérêt considérables au sein de notre société, je soutiens, avec égards, que le temps est venu pour nous de réexaminer la question » : au paragraphe 28.
[163] Sous la rubrique [traduction] « Un réexamen s’impose », la majorité, dans l’arrêt Greater Vancouver, conclut son analyse par le cri de cœur suivant, exhortant la Cour suprême du Canada à revoir la question de la retraite obligatoire [au paragraphe 27] :
[traduction] Onze années se sont maintenant écoulées depuis que l’arrêt McKinney a été rendu. Les caractéristiques démographiques du lieu de travail ont nettement changé, au sein non seulement du milieu universitaire, mais aussi du milieu de travail en général. Au moins deux autres pays, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ont aboli la retraite obligatoire. Des études récentes ont été menées sur l’effet de l’abolition de la retraite obligatoire au Canada et à l’étranger. (Voir, par exemple, le Rapport du Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne […] et le document de la Commission ontarienne des droits de la personne intitulé Il est temps d’agir : Faire respecter les droits des personnes âgées en Ontario (Toronto : Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 28 juin 2001).) La mesure dans laquelle les politiques de retraite obligatoire se répercutent sur d’autres droits à l’égalité, de même que sur la mobilité de la main‑d’œuvre, est devenue un enjeu social de première importance. Les faits sociaux et législatifs maintenant disponibles pourraient fort bien remettre en question la mesure dans laquelle les tribunaux devraient s’en remettre à des décisions législatives rendues il y a maintenant plus de 10 ans. L’enjeu est certes d’une importance nationale.
b) Assn. of Justices of the Peace of Ontario v. Ontario (Attorney General)
[164] Sept ans plus tard, la Cour supérieure de l’Ontario a été appelée à examiner une contestation constitutionnelle relative à des dispositions législatives exigeant que les juges de paix prennent leur retraite à l’âge de 70 ans, plutôt qu’à 75, comme c’est le cas pour les juges : Justices of the Peace, précité.
[165] Dans la mesure où une bonne part de la décision est axée sur la retraite obligatoire en rapport avec l’indépendance judiciaire, la décision n’est pas directement à propos. Cela dit, la Cour supérieure de l’Ontario y procède à une analyse détaillée du [traduction] « changement frappant » qui est survenu en Ontario au chapitre de la retraite obligatoire depuis l’époque où l’arrêt McKinney a été rendu, et ce, tant dans la législation que dans les attitudes du public : voir les paragraphes 33 à 45. La Cour supérieure a fait remarquer que la retraite obligatoire, admise naguère de façon générale comme une norme sociale, [traduction] « est aujourd’hui l’exception, applicable uniquement à quelques rares métiers pour lesquels cela est considéré comme nécessaire » : au paragraphe 33.
[166] Après avoir passé en revue diverses études et initiatives législatives prônant l’abolition de la retraite obligatoire en Ontario, la Cour a conclu son analyse en faisant remarquer que depuis l’époque où l’arrêt McKinney a été tranché, [traduction] « il y a eu un changement de fond dans l’attitude à l’égard de la retraite obligatoire en Ontario, un changement mené par les efforts de la Commission [ontarienne des droits de la personne] ». Ce changement d’attitude s’est soldé par une réforme législative dans le cadre de laquelle l’Assemblée législative de la province a reconnu que [traduction] « la retraite obligatoire est une forme sérieuse de discrimination fondée sur l’âge », ce qui a mené à son abolition dans les secteurs tant public que privé au sein de la province : au paragraphe 45.
c) CKY-TV v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada (Local 816)
[167] Les affaires les plus récentes et les plus pertinentes sont une paire de décisions qui ont été rendues en premier par un arbitre du travail et, ensuite, par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, et qui traitent expressément de la constitutionnalité de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP. Les deux décisions concluent que cet alinéa viole le paragraphe 15(1) de la Charte et n’est pas sauvegardé par l’article premier.
[168] CKY-TV v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada (Local 816) (Kenny Grievance) (2008), 175 L.A.C. (4th) 29, est la décision arbitrale concernant la mise à la retraite obligatoire d’un technicien d’entretien au service de CKY-TV, à l’âge de 65 ans, conformément à une politique de l’entreprise. Le syndicat de l’employé a déposé un grief au sujet de la cessation de l’emploi de ce dernier, contestant également la constitutionnalité de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP.
[169] En concluant que l’alinéa 15(1)c) violait le paragraphe 15(1) de la Charte et n’était pas sauvegardé par l’article premier, l’arbitre Peltz a conclu que la Cour suprême, dans l’arrêt McKinney, s’était fondée sur des hypothèses contextuelles qui, au vu de la preuve d’expert dont il était saisi, n’étaient plus valables.
[170] L’analyse de l’arbitre au sujet de l’article premier a reposé sur la question de l’atteinte minimale, et il a conclu que la preuve dont il disposait n’établissait pas qu’[traduction] « il existe un motif raisonnable de croire que le régime d’emploi des pensions, de la sécurité d’emploi, d’une bonne rémunération et de prestations raisonnables exige que l’on maintienne la retraite obligatoire à l’âge de 65 ans ou à un âge prédominant » : au paragraphe 216.
[171] La décision de l’arbitre a par la suite été confirmée par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba : CKY-TV v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 816, 2009 MBQB 252, 246 Man. R. (2d) 100. La Cour du Banc de la Reine a souscrit à l’avis de l’arbitre, à savoir que l’employeur n’avait pas satisfait au volet de l’atteinte minimale du critère énoncé dans l’arrêt Oakes, compte tenu de la preuve figurant dans le dossier au sujet de la conjoncture sociale et économique.
[172] La Cour du Banc de la Reine a fait remarquer que l’application de l’alinéa 15(1)c) ne se limitait pas aux situations où les syndicats ou les employés avaient négocié ou accepté la retraite obligatoire à un âge particulier. Au contraire, l’exception à l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge que créait l’alinéa 15(1)c) allait [traduction] « nettement plus loin que le fait de restreindre la pratique discriminatoire aux situations dans lesquelles les contrats sont véritablement négociés » : au paragraphe 32.
[173] En fait, la Cour du Banc de la Reine a conclu que l’alinéa 15(1)c) [traduction] « vise à permettre à un employeur de mettre fin à l’emploi d’une personne simplement en établissant ou en prouvant “l’âge de la retraite en vigueur” pour les travailleurs occupant des emplois semblables ». Elle a donc été convaincue que la conclusion de l’arbitre à propos de l’atteinte minimale était correcte : au paragraphe 32.
d) Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)
[174] Avant de passer à la question suivante, il y a une autre décision, rendue après l’arrêt McKinney, qui mérite d’être commentée : il s’agit de la décision que la Cour suprême a rendue dans l’affaire Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854 (Bell et Cooper).
[175] Techniquement, Bell et Cooper n’est pas un arrêt portant sur la retraite obligatoire, dans la mesure où le point en litige soumis à la Cour suprême consistait à savoir si la Commission canadienne des droits de la personne ou le Tribunal avait compétence pour examiner la validité constitutionnelle d’une disposition de la LCDP.
[176] Il est toutefois notable que la disposition légale en litige dans l’arrêt Bell et Cooper était l’alinéa 15(1)c) de la Loi, et que ces deux affaires avaient pris naissance dans le contexte de plaintes relatives aux droits de la personne de deux anciens pilotes des Lignes aériennes Canadien International. MM. Bell et Cooper soutenaient avoir été victimes de discrimination fondée sur l’âge quand on les avait obligés à prendre leur retraite de la société aérienne à l’âge de 60 ans, conformément aux dispositions de leur convention collective.
[177] La Commission a fait enquête sur les plaintes relatives aux droits de la personne, et l’enquêteur a conclu que 60 ans était l’âge normal de la retraite pour les pilotes de ligne. Cependant, avant que la Commission puisse se prononcer sur les plaintes, la Cour suprême a rendu sa décision dans l’arrêt McKinney. La Commission a par la suite informé les plaignants qu’il n’était pas justifié qu’un Tribunal fasse enquête sur leurs plaintes, et qu’elle était liée par l’arrêt McKinney.
[178] Comme il a été signalé plus tôt, c’est en fin de compte une question de compétence qui a été soumise à la Cour suprême. La majorité des juges de la Cour suprême a conclu que ni la Commission ni le Tribunal n’avaient compétence pour examiner la validité constitutionnelle de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP. Elle n’a donc pas traité de l’importance de l’arrêt McKinney pour les plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Bell et Cooper.
[179] Dans leur jugement dissident, les juges McLachlin et L’Heureux-Dubé ont conclu que la Commission et le Tribunal étaient tous deux habilités à examiner si la Charte invalidait le moyen de défense fondé sur l’âge normal de la retraite.
[180] Détail plus important pour les besoins de la présente affaire, les juges dissidentes ont rejeté l’argument de la société aérienne selon lequel l’arrêt McKinney répondait entièrement aux plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Bell et Cooper. Elles ont fait remarquer que « [p] ersonne ne conteste qu’il est important pour les appelants et pour les Canadiens en général de savoir si l’art. 15 de la Charte et l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 rendent nulle une disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne » : au paragraphe 69.
[181] Les juges McLachlin et L’Heureux-Dubé n’ont pas retenu l’argument de la société aérienne selon lequel, étant donné que l’arrêt McKinney statuait que 65 ans était l’âge normal de la retraite pour les professeurs d’université, il s’ensuivait forcément qu’une loi prévoyant la retraite à l’âge normal pour le métier en question devait aussi être sauvegardée par l’article premier.
[182] Selon les juges dissidentes, « cet argument procède d’une simplification à outrance du processus que suppose l’article premier de la Charte ». Elles ont déclaré que : « Même en acceptant l’affirmation douteuse selon laquelle la conclusion voulant que la violation en cause dans le pourvoi McKinney ait été jugée justifiée au regard de l’article premier de la Charte pour le seul motif qu’il s’agissait de l’âge de la retraite en vigueur, on ne saurait conclure que ce seul facteur suffirait, dans tous les cas, à justifier une contravention à l’art. 15 » : au paragraphe 106.
[183] Les juges McLachlin et L’Heureux-Dubé ont conclu que l’article premier « fait intervenir beaucoup plus qu’un usage habituel ou “en vigueur” ». Elles ont exprimé l’opinion qu’un usage habituel peut être « injustifiable en raison de l’énormité de la violation ou du peu d’importance des objectifs qu’il est censé poursuivre ». De ce fait, chaque affaire devait être examinée en tenant compte des circonstances qui lui étaient propres : au paragraphe 106.
[184] Les juges dissidentes ont donc conclu que la Commission avait commis une erreur en concluant que l’arrêt McKinney répondait entièrement à la plainte relative aux droits de la personne de MM. Bell et Cooper.
[185] Il est donc évident que, aux yeux d’au moins deux juges de la Cour suprême, la décision rendue dans l’arrêt McKinney ne répond pas de manière complète à une contestation concernant la validité constitutionnelle de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP.
C. L’alinéa 15(1)c) de la LCDP se justifie-t-il au regard de l’article premier de la Charte?
[186] Ayant ainsi décidé que l’arrêt McKinney ne répond pas de manière complète à la contestation fondée sur la Charte de MM. Vilven et Kelly, la question à laquelle la Cour doit répondre consiste à savoir si la conclusion du Tribunal selon laquelle l’alinéa 15(1)c) de la LCDP n’est pas sauvegardé par l’article premier de la Charte est correcte.
i) Le cadre analytique de l’article premier
[187] Comme il a été mentionné plus tôt, les parties conviennent que la Cour devrait appliquer le critère énoncé dans l’arrêt Oakes pour décider si l’alinéa 15(1)c) de la LCDP est sauvegardé par l’article premier de la Charte. Pour satisfaire à ce critère, il faut qu’Air Canada et l’APAC démontrent que :
1) l’objectif de la disposition législative doit être urgent et réel;
2) l’atteinte au droit doit être proportionnelle à l’importance de l’objectif, en ce sens que:
a) les moyens choisis doivent avoir un lien rationnel avec l’objectif législatif en question;
b) le moyen choisi doit être de nature à porter « le moins possible » atteinte au droit que garantit la Charte;
c) il doit y avoir proportionnalité entre les effets négatifs de la disposition légale et son objectif salutaire, de sorte que l’atteinte de l’objectif législatif ne doit pas céder le pas à l’atteinte au droit en question.
Voir l’arrêt Oakes, aux pages 138 et 139. Voir aussi R. c. Edwards Books & Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927.
[188] Le point de départ d’une analyse fondée sur l’article premier consiste à déterminer les objectifs de la loi, de façon à pouvoir décider si ces objectifs sont suffisamment importants pour justifier qu’on limite un droit constitutionnel : voir l’arrêt Stoffman, précité, à la page 520.
[189] Pour déterminer quels sont les objectifs de la loi, la Cour doit examiner la nature du problème social auquel se rapporte la disposition légale. Le contexte de la disposition légale contestée est également important « pour déterminer le type de preuve que le tribunal peut demander au législateur d’apporter pour justifier ses mesures au regard de l’article premier » : voir Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, au paragraphe 88. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, « dans les cas où l’examen du texte en cause exige que soient soupesés des intérêts opposés et des questions de politique sociale, le critère de l’arrêt Oakes doit être appliqué avec souplesse, et non de manière formaliste ou mécanique » : au paragraphe 85.
[190] Dans l’arrêt Eldridge, la Cour suprême a aussi fait remarquer que l’application du critère énoncé dans l’arrêt Oakes « commande un examen attentif du contexte dans lequel s’inscrit le texte de loi attaqué » : au paragraphe 85.
[191] Les facteurs contextuels pertinents peuvent inclure la nature du préjudice visé, la vulnérabilité du groupe protégé, une crainte subjective et une appréhension du préjudice, de même que la nature et l’importance de l’activité protégée : voir R. c. Bryan, 2007 CSC 12, [2007] 1 R.C.S. 527, au paragraphe 10. Voir aussi Thomson Newspapers Co., et Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827.
[192] Même si la présente contestation fondée sur la Charte est soulevée dans le contexte de la mise à la retraite forcée de deux pilotes d’Air Canada, je conviens avec les parties que mon analyse fondée sur l’article premier ne devrait pas se limiter à ce contexte-là. Ce n’est pas parce qu’ils étaient des pilotes de ligne travaillant pour Air Canada que MM. Vilven et Kelly se sont vus privés de la protection de la LCDP, mais parce qu’ils avaient atteint l’« âge de la retraite en vigueur » pour des emplois semblables, comme l’envisage l’alinéa 15(1)c) de la LCDP.
[193] Ainsi que la Cour suprême l’a fait remarquer dans l’arrêt McKinney, le fait de restreindre une analyse fondée sur l’article premier au contexte factuel particulier dans lequel la contestation est soulevée serait incompatible avec le critère énoncé dans l’arrêt Oakes, lequel exige que l’on examine si les mesures adoptées ont été conçues avec soin en vue d’atteindre l’objectif en question. L’alinéa 15(1)c) de la LCDP ne se limite pas à l’industrie aérienne, et même si la preuve relative à la situation précise de pilotes d’Air Canada peut « servir d’exemple pour démontrer le caractère raisonnable des objectifs, il ne faut pas la confondre avec ces objectifs » : McKinney, à la page 299.
[194] En gardant à l’esprit ces principes, j’examinerai maintenant l’alinéa 15(1)c) de la LCDP dans le contexte du critère énoncé dans l’arrêt Oakes.
ii) Quels sont les objectifs de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP?
[195] Le premier élément du critère énoncé dans l’arrêt Oakes exige que la Cour détermine les objectifs de la disposition légale en question. Dans la décision Vilven no 1, j’ai déterminé comme suit quels étaient les objectifs de l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (aux paragraphes 243 à 247) :
Le Tribunal a décrit comme suit l’objet de l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne : « parvenir à un équilibre entre le besoin de protéger contre la discrimination fondée et sur l’âge et l’intérêt des intervenants du milieu du travail qui souhaitent négocier et organiser les modalités d’emploi à leur convenance » : au paragraphe 98.
La description que fait le tribunal de l’objet de la disposition est exacte, quand on la considère isolément. Une description plus complète de l’objet de la disposition législative contestée a été donnée par l’arbitre dans l’affaire CKY‑TV précitée. À cet égard, ce dernier a fait remarquer [au paragraphe 210] que l’objectif législatif qui sous‑tend l’alinéa 15(1)c) de la Loi [traduction] « est de protéger un régime d’emploi de longue date ».
Faisant référence aux commentaires du ministre Basford cités précédemment dans les présents motifs, l’arbitre a fait remarquer que le ministre s’était reporté aux [traduction] « “nombreux facteurs économiques et sociaux complexes” qui entrent en ligne de compte dans la retraite obligatoire », ce qui l’a amené à conclure que [traduction] « la préférence déclarée du gouvernement était de poursuivre l’approche traditionnelle, à savoir que la question, dans le secteur privé, était réglée entre les employeurs et les employés » : CKY‑TV, au paragraphe 210.
L’arbitre a en outre déclaré que l’alinéa 15(1)c) de la Loi avait pour objet d’assurer la poursuite d’un régime d’emploi socialement souhaitable, qui comportait des pensions, une sécurité d’emploi, des salaires et des avantages sociaux. Cet objectif devrait être atteint en autorisant la retraite obligatoire [traduction] « si l’âge correspondait à l’âge prédominant pour le poste » : CKY‑TV, au paragraphe 211.
Il ressort clairement des déclarations qu’ont faites le ministre Basford et le sous‑ministre adjoint Strayer, à l’époque où la Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée, que l’alinéa 15(1)c) de la Loi avait pour but de créer une exception aux droits quasi constitutionnels que prévoyaient par ailleurs la Loi, de façon à ce qu’il soit possible de négocier des ententes en matière de retraite obligatoire entre les employeurs et les employés, notamment dans le cadre du processus de négociation collective.
[196] La décision que j’ai rendue dans Vilven no 1 n’a pas été portée en appel, et l’APAC et Air Canada ne contestent pas maintenant la manière dont j’ai décrit quels étaient les objectifs du législateur au moment d’adopter l’alinéa 15(1)c) de la LCDP. Ces deux parties font plutôt valoir que c’est le Tribunal qui a commis une erreur en omettant de conclure que ces objectifs étaient urgents et réels.
iii) Les objectifs de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP sont-ils urgents et réels?
[197] Le Tribunal a conclu que les objectifs pour lesquels le législateur a adopté l’alinéa 15(1)c) de la LCDP n’étaient ni urgents ni réels, car les solutions de rechange à la retraite obligatoire qui sont appliqués dans d’autres provinces préservent les avantages des structures actuelles du marché du travail, comme les régimes de retraite et de rémunération différée, sans discrimination fondée sur l’âge. Dans ce contexte, le Tribunal a demandé comment l’objectif visant à permettre la liberté contractuelle pouvait être assez important pour permettre de passer outre à un droit constitutionnel : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 45.
[198] Le Tribunal a de plus conclu que le lien existant entre la retraite obligatoire et les avantages qui lui étaient traditionnellement associés n’était pas aussi solide qu’on l’avait naguère cru : au paragraphe 47. Il a ajouté que, comme ces avantages pouvaient être obtenus sans la retraite obligatoire, il était « difficile de saisir comment le fait de permettre de la négocier en milieu de travail est si important qu’il justifie la violation des droits à l’égalité que la Cour fédérale a précisés dans la présente affaire » : au paragraphe 49.
[199] Le Tribunal a conclu que, comme que la main-d’œuvre vieillit, et que nombreux sont ceux qui éprouvent le besoin ou le désir de continuer à travailler, le fait de prévenir, plutôt que de permettre, la discrimination fondée sur l’âge après l’âge normal de la retraite est devenu un besoin urgent et réel dans la société : au paragraphe 48.
[200] À mon avis, le Tribunal a commis une erreur en confondant les éléments de l’analyse de la proportionnalité avec l’évaluation de la question de savoir si les objectifs que poursuivaient le législateur en adoptant l’alinéa 15(1)c) de la LCDP étaient urgents et réels.
[201] J’ai conclu plus tôt que l’alinéa 15(1)c) avait pour objectif de permettre de négocier des modalités de retraite obligatoire entre les employeurs et les employés, notamment dans le cadre du processus de négociation collective, de façon à permettre la préservation de régimes d’emploi socialement souhaitables, qui comportent des questions telles que les pensions, la sécurité d’emploi, la rémunération et les avantages. Un tel objectif continue d’être urgent et réel au sein de notre société. En fait, je signale que le syndicat, dans l’arrêt CKY-TV, avait admis ce point.
[202] Le moyen que le législateur a choisi pour atteindre cet objectif a été d’adopter la disposition permissive de la LCDP qui permet la retraite obligatoire dans les cas où l’âge de la retraite correspond à l’« âge de la retraite en vigueur » pour des emplois semblables. La question de savoir s’il est encore possible de montrer que le moyen choisi pour atteindre les objectifs de l’alinéa 15(1)c) a un lien logique avec la préservation de régimes d’emploi socialement souhaitables à la lumière d’éléments de preuve récents relevant des sciences sociales est une tout autre question, qui fait à juste titre partie de l’analyse de la proportionnalité.
[203] Dans le même ordre d’idées, le vieillissement de la main-d’œuvre et le fait que de nombreuses personnes veuillent continuer à travailler, ou aient besoin de le faire, devraient faire à juste titre partie de l’analyse de l’atteinte minimale. Ces questions entrent également en ligne de compte dans l’évaluation de la question de savoir s’il y a proportionnalité entre les effets préjudiciables de la loi et ses objectifs bénéfiques.
[204] Après avoir conclu que les objectifs pour lesquels le législateur a adopté l’alinéa 15(1)c) de la LCDP sont encore urgents et réels, il reste à décider si les moyens qu’il a employés pour atteindre cet objectif sont proportionnels, compte tenu des éléments restants du critère énoncé dans l’arrêt Oakes.
iv) L’élément de la proportionnalité du critère énoncé dans l’arrêt Oakes
[205] Une fois que l’on a relevé les objectifs de la disposition légale en litige et décidé qu’ils sont urgents et réels, on soumet ensuite la loi contestée au critère de la proportionnalité. Cette mesure évalue si les moyens que le législateur a choisis pour atteindre ses objectifs sont proportionnels ou appropriés aux fins visées. Le contexte joue un rôle à chaque étape de ce volet du critère : Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, au paragraphe 195.
[206] À ce stade-ci de l’analyse, il est nécessaire de mettre en équilibre les objectifs de la loi avec « la nature du droit, […] l’étendue de sa violation et […] la mesure dans laquelle la limite apportée favorise d’autres droits ou politiques importants dans une société libre et démocratique » : Stoffman, à la page 520, la juge Wilson, s’exprimant en dissidence mais non sur ce point.
[207] En d’autres termes, à ce stade-ci de l’examen, il incombe à la Cour de décider si les dispositions légales contestées sont « soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question, ou avoir un lien rationnel avec cet objectif ». Les dispositions « doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question » et leurs effets « ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l’objectif législatif, si important soit‑il, soit néanmoins supplanté par l’atteinte aux droits » : voir R. c. Edwards Books, précité, à la page 768.
[208] La première question consiste donc à savoir s’il existe un lien logique entre l’objectif législatif visé et la disposition de la LCDP qui permet la retraite obligatoire à « l’âge de la retraite en vigueur » pour des emplois semblables.
[209] Comme l’a fait remarquer le juge en chef Dickson dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892 : « pourvu que la disposition contestée puisse être considérée comme favorisant d’une manière générale la réalisation d’un objectif gouvernemental important, on ne peut la qualifier d’irrationnelle » (non souligné dans l’original) : aux pages 925 et 926.
[210] Dans l’opinion dissidente qu’elle a formulée dans l’arrêt Stoffman, la juge Wilson a fait remarquer que l’élément du lien logique du critère de la proportionnalité « consiste à inviter la Cour à déterminer si le gouvernement procède de façon logique dans la poursuite du but qu’il vise ». Elle a fait remarquer que « tout ce qu’exige la partie de l’article premier quant au lien rationnel, c’est la démonstration d’un lien logique quelconque, si petit soit-il, entre l’objectif poursuivi et les moyens employés pour le réaliser » (non souligné dans l’original). Elle a cependant signalé ensuite que « la vigueur et l’étendue du lien deviennent déterminant[e]s » en rapport avec les deux derniers éléments du critère énoncé dans l’arrêt Oakes : tous les extraits sont tirés de la page 552.
[211] La Cour suprême a récemment déclaré que la partie qui invoque l’article premier de la Charte doit montrer qu’il « est raisonnable de supposer que la restriction peut contribuer à la réalisation de l’objectif, et non qu’elle y contribuera effectivement » (non souligné dans l’original) : Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, au paragraphe 48.
[212] En l’espèce, le Tribunal a fait état de l’observation que j’ai faite dans la décision Vilven no 1, à savoir que la règle de « l’âge de la retraite en vigueur », à l’alinéa 15(1)c), permet à un acteur dominant au sein d’une industrie de fixer l’âge de la retraite obligatoire pour l’industrie tout entière. Selon le Tribunal, il en résulte que, dans des entreprises de petite taille, les employés n’ayant pas négocié la retraite obligatoire en échange d’avantages sur le plan de la rémunération et de la retraite pourraient quand même être soumis à l’âge de la retraite obligatoire que fixe l’acteur dominant dans l’industrie : aux paragraphes 54 à 56.
[213] Le Tribunal a conclu que le critère de « l’âge normal de la retraite » n’avait pas de lien logique avec le but qui consiste à autoriser la retraite obligatoire négociée, car il permet d’imposer cette retraite aux travailleurs sans négociation, tant que l’âge de la retraite correspond à la norme de l’industrie.
[214] En gardant à l’esprit la mise en garde que le juge en chef Dickson a faite dans l’arrêt Taylor, à savoir qu’on ne peut considérer qu’une disposition légale est illogique tant que l’on peut dire qu’elle favorise un but important de l’État de façon générale, je suis convaincue qu’il y a bel et bien un lien logique entre l’alinéa 15(1)c) de la LCDP et les objectifs que cette disposition vise à atteindre. Je signale que ma conclusion à cet égard concorde avec celle qu’a tirée la Cour du Banc de la Reine du Manitoba dans l’arrêt CKY-TV : au paragraphe 27.
[215] De plus, il est évident que, dans certains lieux de travail au moins, la retraite obligatoire est négociée dans le cadre du processus de négociation collective en échange d’éléments liés à la rémunération, à la retraite et à d’autres avantages. Dans la mesure où l’alinéa 15(1)c) élimine un obstacle juridique à la retraite obligatoire, il est logiquement lié à l’objectif législatif que constitue le fait de préserver les régimes d’emploi socialement souhaitables qui sont avantageux à la fois pour les employeurs et les employés.
[216] Ainsi que l’a fait remarquer le Tribunal, la question de savoir dans quelle mesure la retraite obligatoire est un élément nécessaire et intégrant de ces structures du marché du travail suscite une question réelle. Cependant, le fait que la retraite obligatoire ne soit peut-être pas essentielle à la préservation de régimes d’emploi socialement souhaitables ne veut pas dire que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP échoue au critère du lien logique, car la retraite obligatoire a un lien logique avec le maintien de ces régimes : voir l’arrêt McKinney, aux pages 283 et 284.
[217] Comme il a été signalé plus tôt, il suffit que le lien entre la disposition législative contestée et les objectifs qu’elle vise soit ténu. La qualité et l’étendue du lien sont des éléments pertinents, et bel et bien cruciaux, mais l’endroit où il faut tenir compte de ces considérations est lié aux deuxième et troisième éléments du critère de la proportionnalité énoncé dans l’arrêt Oakes, et dont je vais maintenant parler.
[218] L’étape suivante de l’analyse de l’arrêt Oakes exige que la Cour examine si l’alinéa 15(1)c) de la LCDP porte atteinte « le moins possible » aux droits que la Charte garantit aux travailleurs dont l’âge est supérieur à l’âge normal de la retraite pour le type d’emploi qu’ils occupent : R. c. Edwards Books, précité, à la page 768.
a) Les principes juridiques applicables
[219] Comme l’a fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt Health Services and Support, les facteurs contextuels qui se rapportent à une affaire particulière ont une incidence sur le degré général de retenue qu’il convient d’accorder à l’État au moment de décider si la justification des mesures législatives en litige peut se démontrer : au paragraphe 195. Il convient de faire preuve d’un degré de retenue supérieur envers le législateur lorsque la Cour examine une disposition législative qui s’efforce de trouver un juste équilibre entre les revendications de groupes concurrents qui se fondent sur des éléments de preuve relevant des sciences sociales qui s’avèrent contradictoires, par opposition aux affaires qui opposent un individu et l’État : voir l’arrêt Irwin Toy Ltd., précité, au paragraphe 79, et l’arrêt RJR-MacDonald, précité, au paragraphe 135.
[220] Lorsqu’on a affaire à de telles questions polycentriques, « il faut reconnaître au gouvernement une très grande souplesse dans les choix qu’il exerce » : Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, à la page 43. Cela est particulièrement le cas lorsqu’on a affaire à des questions de principe qui relèvent du domaine des relations du travail, qu’il est généralement préférable de laisser au soin du processus politique : R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., 2001 CSC 70, [2001] 3 R.C.S. 209, au paragraphe 257.
[221] Comme l’a fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt McKinney, la question qui se pose en vertu du critère assoupli de l’atteinte minimale qui est exposé dans l’arrêt Irwin Toy est « de savoir si le gouvernement était raisonnablement fondé à conclure qu’il portait le moins possible atteinte au droit pertinent, compte tenu des objectifs urgents et réels du gouvernement » (non souligné dans l’original) : à la page 286.
[222] Cela ne dégage pas « le pouvoir judiciaire de son obligation constitutionnelle d’examiner minutieusement les mesures législatives pour veiller à ce qu’elles se conforment raisonnablement aux normes constitutionnelles ». Cela exige cependant que la cour de révision fasse preuve de plus de circonspection dans de tels cas : McKinney, à la page 305.
[223] La question de l’atteinte minimale, une fois qu’elle a été tranchée, n’est pas forcément coulée dans le béton à tout jamais. Elle doit plutôt être évaluée dans le contexte social et historique du moment : voir l’arrêt McKinney, à la page 314.
[224] Ainsi que l’a fait remarquer la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Greater Vancouver, l’Assemblée législative disposait peut-être de faits restreints, de sorte qu’aucune retenue législative ne s’imposait. Subsidiairement, il est possible que l’on présente à la Cour des arguments dont l’Assemblée législative n’a pas tenu compte au moment de faire ses choix de principe : au paragraphe 84.
[225] La question à laquelle doit répondre la présente Cour consiste donc à savoir si, au vu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, le Tribunal a eu raison de conclure qu’Air Canada et l’APAC n’étaient pas parvenus à démontrer que l’État continuait d’avoir un motif raisonnable pour conclure que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP porte atteinte le moins possible aux droits à l’égalité des travailleurs par rapport à l’âge de la retraite en vigueur, compte tenu des objectifs urgents et réels de l’État : voir la décision de l’arbitre dans CKY-TV, au paragraphe 216, ainsi que la décision de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, au paragraphe 31.
b) Les conclusions du Tribunal au sujet de la question de l’atteinte minimale
[226] Le Tribunal a conclu que l’alinéa 15(1)c) ne portait pas atteinte le moins possible aux droits à l’égalité des travailleurs âgés car, plutôt que de simplement permettre la retraite obligatoire, il y avait des options moins intrusives que l’on pouvait utiliser, et elles le sont. Ces autres options légales incluent des exigences professionnelles justifiées ou des régimes de retraite ou de pension existants. Selon le Tribunal, l’utilisation de ces types de mesures moins intrusives n’a pas provoqué l’effondrement des régimes de pension et de prestations des employés dans les provinces où ils étaient en vigueur. Il a toutefois conclu qu’une disposition élaborée avec plus de prudence pourrait satisfaire à l’élément de l’atteinte minimale du critère énoncé dans l’arrêt Oakes : décision no 2 du Tribunal, aux paragraphes 57 à 64.
c) Les arguments d’Air Canada et de l’APAC au sujet de l’atteinte minimale
[227] Air Canada et l’APAC soutiennent que le Tribunal a commis une erreur en exigeant que l’État choisisse l’option la moins intrusive possible, plutôt que celle qui se situait dans un éventail d’options raisonnables. La Cour suprême, disent-elles, a déjà tranché dans les arrêts McKinney et Harrison que le fait de limiter la disponibilité de la retraite obligatoire aux cas où on pouvait montrer que l’âge était une exigence professionnelle justifiée ne pourrait satisfaire aux objectifs de dispositions semblables dans les lois sur les droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie-Britannique.
[228] Les demanderesses soutiennent de plus que le fait que d’autres administrations ont peut‑être adopté des approches différentes à l’égard de la retraite obligatoire illustre simplement que certaines assemblées législatives provinciales ont trouvé un équilibre différent en rapport avec une série complexe de valeurs concurrentes : citant l’arrêt McKinney, à la page 314.
[229] Au dire des demanderesses, la tâche du Tribunal n’était pas de se substituer au législateur et de réévaluer les avantages et les désavantages de la retraite obligatoire à la lumière des preuves disponibles dans le domaine des sciences sociales. La question qu’il devait trancher consistait plutôt à savoir si l’État avait un motif raisonnable de conclure que la disposition législative contestée portait atteinte le moins possible au droit pertinent, compte tenu des objectifs urgents et réels de l’État : citant l’arrêt McKinney, à la page 309, et Irwin Toy, à la page 994.
[230] Les demanderesses soutiennent que le Tribunal a également commis une erreur en omettant de tenir dûment compte de l’existence de la convention collective librement négociée entre Air Canada et l’APAC. Elles soulignent que la Cour suprême a reconnu dans l’arrêt Dickason que les conventions collectives autorisant la retraite obligatoire peuvent représenter une monnaie d’échange élaborée avec soin et équitablement négocié entre l’employeur et les employés, ce qui peut être un signe du caractère raisonnable de la pratique.
[231] Air Canada et l’APAC font remarquer que, dans l’arrêt Health Services and Support, la Cour suprême a confirmé que des valeurs telles que la dignité humaine, l’égalité, la liberté, le respect de l’autonomie de la personne et la mise en valeur de la démocratie sont toutes complétées et promues par la négociation collective : au paragraphe 81.
[232] Les demanderesses soutiennent que le Tribunal a fait abstraction des avantages que confère la convention collective ainsi que du fait que cette dernière reflétait les valeurs de la Charte, dont la dignité de l’individu. Le Tribunal a également omis d’examiner convenablement le fait que la convention collective fournissait une preuve du caractère raisonnable de la politique de retraite obligatoire.
[233] Les demanderesses disent que le Tribunal a plutôt abordé son analyse de l’atteinte minimale comme s’il lui était loisible de prescrire quels auraient dû être les choix du législateur. Ce faisant, le Tribunal a fait abstraction de la mise en garde que la Cour suprême a formulée dans l’arrêt McKinney, à savoir que les décideurs ne devraient pas se servir à la légère de la Charte pour se prononcer après coup sur le jugement du législateur afin de déterminer le rythme qu’il devrait emprunter pour parvenir à l’idéal de l’égalité : citant l’arrêt McKinney, à la page 318.
d) Les preuves d’expert
[234] Comme l’a fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., 2004 CSC 66, [2004] 3 R.C.S. 381, la preuve déposée à l’appui d’une justification fondée sur l’article premier sera fort importante pour l’issue, dans les cas où la Cour traite de questions qui obligent à porter une attention étroite au contexte : au paragraphe 55.
[235] Je vais donc débuter mon analyse par un examen de la preuve qui a été soumise au Tribunal en rapport avec la question de l’atteinte minimale. Il s’agissait principalement d’une preuve d’expert de la part d’économistes du travail, produite par Air Canada et la Commission au sujet de la justification de la retraite obligatoire. Aucune des deux parties n’a contesté l’expertise du témoin de la partie adverse en matière d’économie du travail, et plus précisément de la théorie économique sous-tendant la retraite obligatoire. L’APAC et MM. Vilven et Kelly ont décidé de ne présenter aucune preuve d’expert sur la question.
[236] L’expert d’Air Canada était M. H. Lorne Carmichael, professeur d’économie à l’Université Queen’s. Ce dernier détient un doctorat en économie de l’Université Stanford et, à l’Université Queen’s, il préside le programme d’études de premier cycle. M. Carmichael a abondamment écrit sur les institutions du marché du travail, et il a aussi dirigé plusieurs revues économiques importantes.
[237] L’expert de la Commission était M. Jonathan Kesselman. Celui-ci est professeur au sein du programme de politiques publiques de l’Université Simon Fraser, et il est titulaire d’une chaire de recherche du Canada en finances publiques. Il a travaillé et publié dans le domaine durant de nombreuses années, et lui aussi a dirigé plusieurs revues importantes dans le domaine des politiques publiques et de la fiscalité.
[238] Pour situer la preuve des experts dans son contexte, il est utile de commencer par rappeler certaines des conclusions clés de la décision majoritaire rendue dans l’arrêt McKinney au sujet de la question de l’atteinte minimale.
[239] Le juge La Forest a fait remarquer qu’en 1990, environ 50 p. 100 de la main-d’œuvre canadienne occupait des emplois qui étaient soumis à la retraite obligatoire, et qu’environ les deux tiers des conventions collectives prévoyaient la retraite obligatoire à l’âge de 65 ans : à la page 294. Soixante-cinq ans était devenu l’âge « normal » de la retraite au Canada et une « partie de l’organisation même du marché du travail dans notre pays » : aux pages 294 et 295. La retraite obligatoire avait de profondes répercussions pour la structuration des régimes de pension, pour l’équité et la sécurité d’emploi au sein du lieu de travail, ainsi que pour les occasions d’emploi offertes à d’autres.
[240] Le juge La Forest a reconnu que l’âge n’avait pas été historiquement reconnu comme un motif inacceptable de discrimination, mais il a toutefois admis que « l’opinion de la société quant à la discrimination fondée sur l’âge et, partant, quant à la retraite obligatoire, a profondément changé au cours des dernières années » : à la page 295.
[241] En concluant que le législateur avait un motif raisonnable de conclure que l’alinéa 9a) du Code portait atteinte le moins possible au droit à l’égalité des travailleurs âgés, le juge La Forest a qualifié la question de la retraite obligatoire de « problème socio-économique complexe qui fait intervenir les règles fondamentales et intimement liées du milieu du travail à l’intérieur de toute notre société » : à la page 302. La retraite obligatoire fait partie « d’ententes contractuelles complexes intimement liés et applicables pendant la vie active et comporte quelque chose comme des prestations de rémunération différée », particulièrement dans les lieux de travail syndiqués où « l’ancienneté joue en quelque sorte le rôle équivalent de la permanence » : à la page 307.
[242] Le juge La Forest a fait remarquer que les incidences qu’auraient l’abolition de la retraite obligatoire pour l’organisation du lieu de travail, ainsi que pour la société en général, étaient des éléments que l’on ne pouvait pas mesurer facilement : à la page 304. Il prévoyait toutefois que l’on disposerait de preuves sur les faits réels de l’abolition de la retraite obligatoire dans une période de 15 à 20 ans, compte tenu du fait qu’en 1990 la retraite obligatoire avait été abolie dans plusieurs provinces : aux pages 309 et 310.
[243] En l’espèce, la preuve des économistes du travail a été fournie avec l’avantage de deux décennies d’expérience au sujet de l’effet que l’abolition de la retraite obligatoire au Canada avait réellement eu pour l’organisation du lieu de travail, y compris pour des questions telles que la rémunération différée et l’ancienneté, ainsi que les régimes de pension et de prestations. Cette preuve remet sérieusement en question l’hypothèse qui sous-tend la décision de la majorité dans l’arrêt McKinney, à savoir que la retraite obligatoire est inextricablement liée à la préservation de ces régimes d’emploi avantageux.
[244] Selon M. Kesselman, l’expérience réellement vécue dans les provinces où la retraite obligatoire a été abolie depuis un certain temps montre que, en fait, cette abolition n’a pas sonné le glas de ces modalités de travail avantageuses. Aucune des conséquences négatives que l’on s’attendait habituellement à voir découler de l’abolition de la retraite obligatoire ne s’est concrétisée dans des provinces telles que le Manitoba et le Québec, où la retraite obligatoire a été abolie il y a de nombreuses années de cela.
[245] M. Kesselman a expliqué que l’une des principales justifications de la retraite obligatoire a traditionnellement été que celle-ci permet aux employés âgés de bénéficier d’une rémunération différée. Cette dernière est la pratique qui consiste à payer aux travailleurs moins que ce que leur productivité justifierait lors des premières années de leur emploi, et plus que ce que leur productivité justifierait dans les années ultérieures. Dans le cadre de ces modalités, la plupart des systèmes de rémunération différée — et celui d’Air Canada en fait partie — procurent des pensions et d’autres avantages postérieurs à la retraite, dont la valeur augmente en fonction des années de service.
[246] Les systèmes de rémunération différée avantagent à la fois les employeurs et les employés. Les gains des employés augmentent au fil du temps, ce qui encourage la fidélité, car les travailleurs voudront rester auprès de leur employeur pendant longtemps dans l’espoir de toucher en bout de ligne un salaire et des prestations de retraite avantageux. Cela, par ricochet, encourage les employeurs à investir dans la formation des employés, sachant que ces derniers seront présents suffisamment longtemps pour que les employeurs puissent récolter les fruits de leur investissement.
[247] Une autre justification classique de la retraite obligatoire est que l’existence d’un âge fixe pour la retraite obligatoire permet aux employeurs de planifier le roulement des employés et libère des emplois pour les travailleurs plus jeunes. Cela évite d’avoir à surveiller de près et de manière peut-être avilissante le rendement des employés dont la productivité a peut-être diminué avec l’âge. Cela impose aussi un plafond au nombre d’années durant lesquelles la rémunération d’un employé âgé peut excéder sa productivité, ce qui favorise donc la conclusion d’ententes plus efficientes.
[248] Selon M. Kesselman, il existe trois lacunes dans la justification traditionnelle de la retraite obligatoire.
[249] La première de ces lacunes est que la justification tient pour acquis que les ententes permettant la retraite obligatoire sont des ententes consensuelles entre parties contractantes. M. Kesselman explique qu’en fait, la plupart des dispositions en matière de retraite obligatoire ont leur origine dans des conventions collectives plutôt que dans des contrats de travail individuels. Cela permet à la volonté de la majorité d’écarter les droits à l’égalité des employés qui peuvent avoir besoin de continuer de travailler après l’âge obligatoire de la retraite ou qui veulent le faire.
[250] Les faits de l’espèce corroborent la thèse de M. Kesselman. C’est-à-dire que 25 p. 100 des pilotes d’Air Canada ont soutenu l’abolition de la retraite obligatoire dans le référendum que l’APAC a tenu peu de temps avant l’audience du Tribunal. Néanmoins, la disposition relative à la retraite obligatoire a été conservée dans la convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC, conformément aux souhaits de la majorité.
[251] M. Kesselman a confirmé l’observation faite par la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt McKinney, à savoir que le groupe d’employés qui voudra continuer de travailler et aura besoin de le faire se composera de façon disproportionnée de femmes peut-être entrées tard sur le marché du travail, ou ayant peut-être quitté un certain temps le secteur de la main-d’œuvre rémunérée en raison de leurs responsabilités familiales. Les nouveaux immigrants seront eux aussi touchés de façon disproportionnée par les politiques de retraite obligatoire à cause de leur entrée tardive au sein de la population active canadienne. Il est peut-être impossible à ces deux groupes d’accumuler les gains ouvrants droits à pension qui sont nécessaires pour leur permettre de prendre leur retraite en bénéficiant de la sécurité financière dont disposent les autres.
[252] M. Kesselman fait remarquer que les personnes qui veulent continuer de travailler ou qui ont besoin de le faire auront également de la difficulté à obtenir un autre emploi après leur retraite forcée à cause des attitudes sociales vis-à-vis des travailleurs âgés, et aussi parce qu’il est peut-être peu économique pour les nouveaux employeurs de leur dispenser la formation requise. Ces conséquences financières négatives sont peut-être pires pour les femmes, à cause de leur espérance de vie supérieure.
[253] Selon M. Kesselman, la deuxième lacune que l’on relève dans la justification traditionnelle de la retraite obligatoire est liée aux avantages que celle-ci confère censément aux employeurs et aux employés.
[254] La retraite obligatoire, dit-on, profite aux travailleurs plus jeunes, car elle permet de libérer des emplois. Cependant, M. Kesselman fait remarquer que le Canada fait actuellement face à une pénurie de travailleurs qualifiés. C’est donc dire que l’économie profiterait en réalité du fait que l’on encourage les travailleurs âgés d’expérience à continuer de travailler.
[255] De plus, M. Kesselman dit qu’il ressort de l’expérience acquise que le nombre de travailleurs qui continueraient en fait de travailler est relativement faible. En l’absence de la contrainte des politiques de retraite obligatoire, les deux tiers des employés optent quand même de prendre leur retraite avant l’âge de 65 ans, et l’âge moyen est de 61 ans. Selon des recherches empiriques, si l’on abolissait la retraite obligatoire, cela aurait peu d’effet sur la création d’emploi pour les travailleurs plus jeunes.
[256] Quant à l’avantage d’éviter la surveillance potentiellement avilissante du rendement de ces employés, dont la productivité peut avoir diminué avec l’âge, M. Kesselman fait remarquer qu’il n’y a aucune preuve que l’aptitude ou la productivité chute subitement à un âge particulier. Il fait remarquer, de façon quelque peu ironique, que l’âge moyen des juges qui ont rendu la décision dans l’arrêt McKinney était de 65 ans, et que plusieurs d’entre eux étaient plus âgés que cela.
[257] L’expérience et la fiabilité peuvent compenser la diminution des aptitudes, dit M. Kesselman. En outre, les employés dont les aptitudes diminuent seront ceux qui opteront tout probablement pour une retraite volontaire.
[258] M. Kesselman fait remarquer aussi que les employeurs ont déjà besoin d’avoir en place des systèmes de surveillance du rendement fiables, et que ces systèmes sont d’autant plus nécessaires pour les travailleurs qui ont devant eux de nombreuses années de présence au sein de la population active. Plus important encore, il signale qu’il n’existe aucune preuve que l’on ait mis en œuvre des systèmes de surveillance du rendement nouveaux et coûteux dans les provinces qui ont aboli la retraite obligatoire.
[259] M. Kesselman déclare que la retraite obligatoire n’est pas essentielle au maintien des régimes de rémunération différée, vu la preuve que peu de travailleurs opteraient en fait pour continuer de travailler. Si de 3 à 10 p. 100 des employés âgés de plus de 65 ans devaient continuer de travailler pendant une période additionnelle de trois ans, la longueur moyenne d’une carrière n’augmenterait que de un à quatre mois — ce qui n’est guère suffisant pour bouleverser des régimes de rémunération différée.
[260] M. Kesselman met également en doute la prémisse voulant que la rémunération différée constitue pour les employeurs une incitation utile à investir dans la formation de leurs employés au début de leur carrière, ce qui permettrait aux employeurs de profiter de cet investissement pendant toute la carrière des employés. Il signale qu’à cause de l’obsolescence plus rapide des compétences au sein du lieu de travail actuel, la formation des employés est devenue un processus constant.
[261] La troisième lacune que M. Kesselman relève dans l’analyse économique traditionnelle de la retraite obligatoire est qu’elle omet de prendre en considération le coût qu’impose la retraite obligatoire au reste de la société.
[262] Les employés âgés contraints à quitter leur emploi paient moins en impôts et en autres taxes. Certains commencent à toucher des prestations de pension de l’État plus tôt qu’ils ne l’auraient peut-être fait en d’autres circonstances, et l’on récupère moins de prestations par l’intermédiaire du système fiscal. La diminution des recettes fiscales et l’augmentation des demandes de pensions de l’État imposeraient une saignée plus importante à des systèmes déjà soumis à des contraintes à mesure que la population vieillit. À cet égard, M. Kesselman signale qu’au milieu des années 1960, seuls 7,6 p. 100 de la population canadienne étaient âgés de plus de 65 ans, mais ce groupe représentait 12 p. 100 de la population en 2004 et il constituera, selon les projections, 23 p. 100 de la population d’ici 2030.
[263] D’autres coûts pour le trésor public comprennent l’intensification des demandes exercées sur le système des soins de santé par les employés ayant perdu leur couverture d’assurance supplémentaire privée liée à leur travail, ainsi que par les personnes qui, à cause de la perte de leur emploi, sont admissibles à des prestations fondées sur les ressources. M. Kesselman fait également état de recherches indiquant que l’inactivité physique et mentale peut contribuer à l’apparition de divers problèmes de santé, ce qui impose des tensions additionnelles au trésor public.
[264] Selon M. Kesselman, dans la mesure où la retraite obligatoire diminue les recettes fiscales et augmente les dépenses publiques, cela exercera des pressions à la hausse sur les taux d’imposition du revenu des Canadiens. Ces pressions se feront de plus en plus sentir à mesure que les baby-boomers quitteront le marché du travail. Le vieillissement de la population active, conjugué à l’augmentation de l’espérance de vie, signifie que la retraite obligatoire aura sur l’économie un impact négatif nettement supérieur dans l’avenir que dans le passé.
[265] M. Kesselman mentionne plusieurs façons possibles de modifier les régimes de rémunération, de retraite et de prestations aux employés de façon à permettre aux travailleurs âgés de continuer à travailler. Cela inclut l’élimination de l’assurance-invalidité de longue durée pour les travailleurs âgés de plus de 65 ans et la réduction de la couverture liée à l’assurance-vie payée par l’employeur.
[266] Selon M. Kesselman, [traduction] « les arguments en faveur de permettre [que la retraite obligatoire] se poursuive reposent sur une analyse économique qui présume que les marchés produisent toujours des résultats souhaitables » : Jonathan R. Kesselman, « Mandatory Retirement And Older Workers: Encouraging Longer Working Lives » (2004), 200 C.D. Howe Institute Commentary 1, à la page 18. Cette présomption, dit-il, a été retenue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt McKinney, qui a conclu que la discrimination fondée sur l’âge, sous la forme de la retraite obligatoire, pouvait se justifier du fait de ses avantages économiques proclamés.
[267] Cependant, M. Kesselman fait remarquer que les forces du marché perpétuaient naguère la discrimination fondée sur le sexe et la race dans les pratiques d’embauche et de rémunération. En fait, il n’y a pas si longtemps que cela, les femmes mariées au Canada étaient contraintes par les pressions du marché à quitter le marché du travail en vue de libérer des emplois pour les hommes. Comme le fait remarquer M. Kesselman, il n’est pas différent de dire que les travailleurs âgés devraient être forcés à quitter le marché du travail en vue de créer des emplois pour les travailleurs plus jeunes.
[268] Il incombe, bien sûr, à Air Canada et l’APAC de faire la preuve que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP constitue une limite raisonnable dans une société libre et démocratique, et que l’État continue d’avoir un motif raisonnable de croire que cette disposition porte atteinte « de façon minime » ou « le moins possible » aux droits des travailleurs au sujet de l’âge de la retraite en vigueur pour le type d’emploi qu’ils occupent. Cela étant, il est nécessaire d’examiner ce que M. Carmichael avait à dire au sujet de la théorie économique justifiant la perpétuation de la retraite obligatoire pour les employés soumis à la règlementation fédérale.
[269] M. Carmichael décrit la retraite obligatoire comme une institution qui a évolué dans des marchés du travail où les employés — souvent représentés par des syndicats forts — ont eu le loisir de négocier leurs propres conditions d’emploi avec les employeurs. Ces négociations donnent lieu à des modalités qui sont avantageuses pour les deux parties, surtout lorsqu’on les considère pendant toute la durée de carrières individuelles.
[270] Les avantages qui découlent, selon M. Carmichael, des structures du marché du travail qui comprennent la retraite obligatoire sont un grand nombre des mêmes que la Cour suprême du Canada a relevés dans l’arrêt McKinney. Comme il en a déjà été question plus tôt dans les présents motifs de manière assez détaillée, je passerai en revue de manière assez brève la preuve de M. Carmichael sur ce point.
[271] Selon M. Carmichael, la retraite obligatoire fait partie intégrante de l’ensemble général des prestations et des obligations qui forment la relation d’emploi. Cet ensemble inclut des systèmes d’ancienneté et de rémunération différée dans le cadre desquels les employés sont en mesure de gagner une rémunération supérieure et de bénéficier d’une meilleure sécurité d’emploi et de meilleures occasions, ainsi que de meilleures pensions au fil du temps. La retraite obligatoire libère des occasions d’emploi pour les travailleurs plus jeunes, facilite les plans des employeurs et des employés, permet de surveiller de façon moins étroite les travailleurs âgés et permet aux employés de quitter la population active avec dignité. Selon M. Carmichael, la retraite obligatoire est la contrepartie de ces avantages et l’interdépendance des régimes de retraite obligatoire et de rémunération différée [traduction] « ressort clairement des données ».
[272] En ce qui concerne le vieillissement de la population, M. Carmichael dit que les travailleurs âgés ne sont pas nécessairement obligés de quitter le marché du travail après avoir été forcés de prendre leur retraite. Ils peuvent trouver un autre emploi, et sont peut-être même capables de continuer à travailler pour leur ancien employeur dans le cadre de conditions renégociées qui reflètent mieux la productivité des travailleurs à ce moment-là.
[273] Tout en reconnaissant que la retraite obligatoire peut avoir un effet particulier négatif sur les femmes et les immigrants, M. Carmichael dit qu’une bonne politique d’intérêt public exige que l’on évalue les effets d’une institution pour tous les groupes touchés, et que l’on préserve un certain équilibre.
[274] Les groupes qui profiteraient le plus de l’abolition de la retraite obligatoire sont les travailleurs âgés qui ont déjà bénéficié du système d’ancienneté. Selon M. Carmichael, ce groupe se compose principalement d’hommes issus de la génération du baby-boom, dont un grand nombre n’a pas besoin du revenu supplémentaire. Les perdants seraient les hommes plus jeunes et les femmes, ainsi que les personnes entrées sur le marché du travail plus tard dans la vie. Selon M. Carmichael, il y a de meilleures façons d’atténuer les difficultés de ce dernier groupe, comme des mesures de soutien financier et, pour les immigrants, la reconnaissance de titres de compétence étrangers.
[275] M. Carmichael convient avec M. Kesselman que l’abolition de la retraite obligatoire n’aura pas d’effet marqué sur l’âge moyen de la retraite dans l’économie dans son ensemble, car plusieurs personnes décideront de prendre leur retraite au même âge que celui qu’on leur aurait par ailleurs imposé. Cela pourrait avoir, cependant, un effet plus marqué en rapport avec les pilotes de ligne, compte tenu de leur taux de rémunération supérieur et de leur degré élevé de satisfaction au travail.
[276] M. Carmichael convient aussi avec M. Kesselman que les coûts associés à l’élimination de la retraite obligatoire seraient [traduction] « relativement faibles » : notes sténographiques, à la page 1524.
[277] Il ressort clairement du contre-interrogatoire de M. Carmichael que le fondement philosophique de son opinion est sa croyance que la retraite obligatoire est [traduction] « librement négociée » par des personnes bien informées. En fait, il a déclaré qu’il [traduction] « soutiendrait toujours une chose qui a été librement négociée » : notes sténographiques, à la page 1537.
[278] M. Carmichael a admis qu’une entente conclue entre deux groupes pouvait causer des difficultés à des tierces parties, et que la société peut légitimement refuser d’appliquer de telles ententes. Cependant, dit-il, aucune tierce partie n’est lésée lorsqu’un employeur et un syndicat négocient une convention collective qui comporte la retraite obligatoire. Les travailleurs concluent des ententes qui ont une incidence positive sur leurs propres rémunération et sécurité d’emploi futures, et leur bien-être doit être évalué par rapport à la durée entière de leur carrière : rapport Carmichael, aux pages 8 à 10.
[279] Cependant, comme il a été mentionné plus tôt, M. Carmichael a reconnu que la retraite obligatoire peut effectivement avoir un effet négatif particulier sur les femmes et les immigrants, dont les intérêts peuvent [traduction] « disparaître dans le tout » : notes sténographiques, à la page 1573. Il croit qu’il peut s’agir là de l’argument le plus sérieux que l’on puisse invoquer contre la retraite obligatoire. Parallèlement, il ajoute qu’[traduction] « il n’est pas clair qu’elle exerce de la discrimination contre les femmes en tant que groupe » : rapport Carmichael, aux pages 1 et 13.
[280] Ayant ainsi examiné les preuves d’expert, je passe maintenant à l’application du critère de l’atteinte minimale.
e) L’application du critère de l’atteinte minimale
[281] Je suis consciente au départ qu’il convient de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’endroit du législateur quand la Cour examine une disposition légale qui tente de trouver un juste équilibre entre les revendications de groupes concurrents en se fondant sur des preuves potentiellement contradictoires dans le domaine des sciences sociales. Cela dit, comme il a été mentionné plus tôt, cette retenue ne soustrait pas la Cour à son obligation constitutionnelle d’examiner en détail des mesures législatives afin de garantir que l’on se conforme de manière raisonnable aux normes de la Charte.
[282] Comme la Cour suprême l’a fait remarquer dans l’arrêt RJR-MacDonald, « [l]e respect porté ne doit pas aller jusqu’au point de libérer le gouvernement de l’obligation que la Charte lui impose de démontrer que les restrictions qu’il apporte aux droits garantis sont raisonnables et justifiables » : au paragraphe 136.
[283] Même si la juge en chef McLachlin a reconnu le rôle qu’a le législateur de choisir la réponse qui convient à des problèmes sociaux, elle a néanmoins ajouté, dans l’arrêt RJR‑MacDonald, qu’il incombe aux tribunaux de décider si le choix du législateur s’inscrit dans les limites prévues par la Constitution. À cet égard, elle a formulé la mise en garde suivante : « Les tribunaux se trouveraient à diminuer leur rôle à l’intérieur du processus constitutionnel et à affaiblir la structure des droits sur lesquels notre constitution et notre nation sont fondées, s’ils portaient le respect jusqu’au point d’accepter le point de vue du Parlement simplement pour le motif que le problème est sérieux et la solution difficile » : au paragraphe 136.
[284] La question qui se pose, alors, est celle de savoir si l’État continue d’avoir un motif raisonnable de conclure que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP porte atteinte de façon minimale aux droits des travailleurs à l’égard de l’âge de la retraite en vigueur pour les emplois qu’ils occupent.
[285] L’APAC et Air Canada soutiennent que c’est effectivement le cas, compte tenu surtout du fait que, depuis que l’arrêt McKinney a été rendu, la Cour suprême a elle-même reconnu l’importance de la négociation collective et de son rôle en tant que valeur consacrée par la Charte.
[286] Tout en reconnaissant l’importance que revêt la négociation collective en tant que valeur consacrée par la Charte, il faut aussi être conscient que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP ne permet pas que la retraite obligatoire à un âge particulier soit imposée uniquement dans les cas où elle a été librement négociée, à titre de clause dans le contrat d’emploi d’une personne, ou par l’entremise du processus de négociation collective. En fait, tant que l’âge choisi par un employeur est conforme à « l’âge de la retraite en vigueur » pour une catégorie particulière d’emplois, l’alinéa 15(1)c) permet aux employeurs d’imposer unilatéralement la retraite obligatoire aux employés qui s’y opposent.
[287] Il est vrai que la retraite obligatoire est souvent une caractéristique des lieux de travail syndiqués, et qu’elle peut être négociée dans le cadre du processus de négociation collective en échange de divers avantages, comme de bonnes pensions et la sécurité d’emploi. Cependant, il faut aussi reconnaître qu’un nombre élevé d’employeurs soumis à la règlementation fédérale (comme le secteur bancaire tout entier) ne sont pas syndiqués.
[288] En outre, même dans des affaires comme la présente, où la disposition en matière de retraite obligatoire présente dans la convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC a été librement négociée entre l’employeur et un syndicat solide, elle peut néanmoins être imposée au quart des membres de l’APAC qui ont voté contre la préservation de la retraite obligatoire. C’est, comme l’a dit M. Carmichael, l’argument de la [traduction] « tyrannie de la majorité ».
[289] Selon M. Carmichael, il s’agit là d’un [traduction] « argument curieux, car la totalité des institutions démocratiques que nous chérissons repose sur l’idée que les décisions collectives devraient être guidées par les souhaits de la majorité » : rapport Carmichael, à la page 12.
[290] Bien que ce soit indubitablement vrai dans de nombreux contextes, il est néanmoins un principe essentiel du droit canadien que les droits de la personne fondamentaux des individus ne peuvent pas être compromis juste parce qu’une majorité ne croit peut-être pas qu’ils sont dignes d’être reconnus.
[291] S’il en était autrement, un employeur ne serait pas obligé de prendre des mesures d’accommodement à l’égard d’un employé dont les convictions religieuses l’empêchent de travailler le samedi si la majorité de ses collègues de travail n’étaient pas disposés à accepter que l’on modifie leurs propres horaires de travail pour pouvoir répondre au besoin de cet employé : voir l’arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489.
[292] L’État ne serait pas non plus tenu de fournir des services d’interprétation gestuelle aux malades sourds faisant affaire avec des fournisseurs de soins de santé si la majorité des contribuables ne croyait pas que de tels services devaient être payés à partir du trésor public : voir l’arrêt Eldridge, précité.
[293] Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Greater Vancouver, le problème que pose le fait de faire preuve d’une retenue excessive à l’égard des demandes du milieu syndical lors de l’examen d’une justification, fondée sur l’article premier, d’une atteinte aux droits à l’égalité que confère l’article 15 est que la négociation collective peut [traduction] « mettre l’accent sur la règle de la majorité, plutôt que sur la protection des droits de la minorité » : au paragraphe 83.
[294] Dans l’arrêt Greater Vancouver, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a signalé ensuite que ce ne sont pas toutes les clauses d’une convention collective qui protégeront forcément les droits de la minorité. Elle a fait remarquer que l’on accorderait [traduction] « peu de foi » à des préférences législatives ou syndicales [traduction] « si les groupes soumis à un traitement discriminatoire étaient les femmes ou les minorités ethniques ». Pourquoi donc, a demandé la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, [traduction] « les tribunaux devraient-ils donner foi à ces points de vue lorsque le groupe victime de discrimination est les personnes âgées et que le seul motif de discrimination est le fait que ces personnes sont âgées? » : au paragraphe 83.
[295] Comme l’a déclaré le juge Cory dans l’arrêt Dickason, une convention collective peut fournir une preuve du caractère raisonnable d’une pratique qui, à première vue, paraît discriminatoire. Il a ensuite nuancé cette déclaration, toutefois, en signalant que non seulement faudrait-il montrer que la convention a bel et bien été librement négociée, mais aussi qu’elle n’est pas injustement discriminatoire à l’encontre de personnes pour un motif prohibé : à la page 1131.
[296] Par ailleurs, comme l’ont fait remarquer les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin dans l’arrêt Bell et Cooper, le fait que les syndicats prennent part à la détermination de ce que sera « l’âge de la retraite en vigueur » ne garantit pas automatiquement que ce dernier est justifiable. Elles ont fait remarquer que « de nombreuses raisons peuvent expliquer pourquoi un syndicat ne défend pas une cause particulière. Il se peut qu’elle n’intéresse qu’un nombre minime de membres ou que le syndicat ait d’autres points plus importants à discuter à la table de négociation » : au paragraphe 107.
[297] En l’espèce, MM. Carmichael et Kesselman conviennent que les dispositions en matière de retraite obligatoire qui figurent dans des conventions collectives comme celle qu’Air Canada et l’APAC ont conclue ont un effet de différenciation négatif sur les femmes et sur les immigrants. Selon M. Carmichael, au lieu de restreindre la liberté qu’ont les employeurs et les employés de négocier la retraite obligatoire, il serait possible de concevoir des programmes qui compenseraient auprès de ces groupes les désavantages financiers découlant de la retraite forcée. Cependant, comme l’a fait remarquer le Tribunal, non seulement est-il douteux qu’une aide financière puisse assurer un degré suffisant de sécurité de revenu mais, par-dessus tout, comme le laisse entendre M. Carmichael, « un tel soutien ne remédie pas à la perte de dignité et de fierté découlant du fait d’être sans emploi, mais pourrait même exacerber le problème » : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 69.
[298] À l’époque où le Tribunal a entendu les plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Vilven et Kelly, la retraite obligatoire avait été abolie en Ontario, et plusieurs autres provinces ne permettaient la retraite obligatoire qu’à un âge précis dans les cas où les employeurs pouvaient établir que cette mesure était fondée sur des régimes de pension ou de retraite existants ou sur une exigence professionnelle justifiée. De ce fait, la retraite obligatoire ne fait plus partie intégrante de l’organisation du marché du travail canadien comme c’était le cas en 1990, année où l’arrêt McKinney a été rendu.
[299] Air Canada et l’APAC soutiennent que le Tribunal n’aurait pas dû tenir compte de l’abolition de la retraite obligatoire en Ontario car celle-ci a eu lieu en 2006 — après la cessation de l’emploi de MM. Vilven et Kelly auprès d’Air Canada. Selon les demanderesses, il aurait fallu évaluer la question de savoir si l’alinéa 15(1)c) de la LCDP est une limite raisonnable dans le cadre d’une société libre et démocratique par rapport à 2003 et à 2005.
[300] La validité constitutionnelle constante d’une loi est assurément une question qu’il est préférable de juger en se fondant sur des preuves récentes. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt Irwin Toy Ltd., précité, une fois que l’on a caractérisé l’objectif législatif, « le gouvernement peut certainement et doit même faire appel aux meilleurs éléments de preuve qui existent au moment de l’analyse » [non souligné dans l’original] pour prouver que cet objectif initial demeure réel et important : à la page 984. On peut en déduire que cette norme des « meilleurs éléments de preuve » peut être aussi appliquée dans le cadre des volets de l’atteinte minimale et de la proportionnalité que comporte le critère énoncé dans l’arrêt Oakes : voir Matthew Taylor et Mahmud Jamal, The Charter of Rights in Litigation : Direction from the Supreme Court of Canada, feuilles mobiles (Aurora, Ont. : Canada Law Book, 2001), paragraphe 6:12, page 6‑78.
[301] Cette opinion se confirme quand on considère la façon dont la Cour suprême a traité les preuves relatives aux sciences sociales dans les affaires liées à l’article premier. Par exemple, dans l’arrêt Dickason, la professeure a été contrainte de prendre sa retraite le 30 juin 1985. Cependant, la Cour suprême a tenu compte dans sa décision de divers articles parus en 1986 et en 1988. Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt McKinney, les professeurs avaient été forcés de prendre leur retraite en 1985 et en 1986, mais la Cour suprême a pris en considération plusieurs articles datant de 1987 à 1989 pour évaluer la constitutionnalité de la loi.
[302] Par ailleurs, la Cour suprême a décrété dans l’arrêt McKinney qu’il fallait évaluer la question de l’atteinte minimale dans le contexte social et historique actuel : à la page 314.
[303] Même si j’ai tort à cet égard, et si le Tribunal n’aurait pas dû prendre en considération l’abolition après coup de la retraite obligatoire en Ontario, les preuves qu’Air Canada et l’APAC ont produites n’établissent tout simplement pas que les conséquences qu’appréhendait la Cour suprême pour les régimes d’emploi dans sa jurisprudence en matière de retraite obligatoire se sont matérialisées dans les autres provinces canadiennes où la retraite obligatoire a depuis longtemps été abolie.
[304] M. Kesselman dit qu’il ressort de l’expérience acquise au cours des années qui ont suivi l’arrêt McKinney que l’abolition de la retraite obligatoire n’a pas eu d’incidence négative démontrable sur les modalités de travail avantageuses telles que les régimes de rémunération différée et de retraite, les systèmes d’ancienneté et d’autres éléments du genre. Cela l’amène à conclure qu’en réalité, de nos jours, la retraite obligatoire ne fait pas partie intégrante de la préservation de ces structures du marché du travail, comme on l’entendait à l’époque où l’arrêt McKinney a été tranché.
[305] M. Carmichael s’inscrit en faux contre cette conclusion, et il fait valoir qu’[traduction] « il ressort clairement des données » que la retraite obligatoire est bel et bien liée intégralement à des régimes d’emploi avantageux. Les données qu’il cite à l’appui de son opinion sont fondées sur une étude menée aux États-Unis en 1981 et intitulée Mandatory Retirement Study: The Effects of Raising the Age Limit for Mandatory Retirement in the Age Discrimination in Employment Act. Part 1: Final Report (Washington : Urban Institute, 1981), ainsi que sur une étude canadienne menée par Gunderson et Pesando et intitulée « The Case for Allowing Mandatory Retirement » (1988), 14 Anan. de pol. 32, aux pages 32 à 39.
[306] On ne m’a pas fourni les études proprement dites sur lesquelles M. Carmichael s’est fondé, mais elles ne semblent pas reposer sur une expérience réelle et de longue durée. Si je dis cela c’est que, selon le propre rapport de M. Carmichael, l’étude américaine a été menée avant l’abolition de la retraite obligatoire aux États-Unis. L’étude canadienne a pour sa part été publiée en 1988 — avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans l’arrêt McKinney, et avant que l’on dispose de preuves fiables quant aux conséquences réelles, non conjecturales et non théoriques de l’abolition de la retraite obligatoire au Canada.
[307] En fait, dans l’arrêt McKinney, la Cour suprême s’est fondée dans une large mesure sur des travaux de Gunderson et Pesando pour conclure que la disposition législative permissive qui était en litige dans cette affaire était sauvegardée par l’article premier de la Charte. Cependant, comme il a été analysé plus tôt dans les présents motifs, la Cour suprême était manifestement troublée par le fait que l’on ne disposait pas encore de preuves fiables à propos de l’incidence réelle de l’abolition de la retraite obligatoire sur les régimes de rémunération différée et d’autres régimes d’emploi avantageux.
[308] La preuve de M. Kesselman remet donc en question une prémisse sous-jacente importante de la preuve de M. Carmichael, à savoir que la retraite obligatoire fait partie intégrante de structures traditionnelles du marché du travail qui incluent les systèmes d’ancienneté, les régimes de rémunération différée et de retraite, etc., et qu’elle est essentielle à la préservation de ces modalités, à l’avantage des employés et des employeurs.
[309] Nous disposons aujourd’hui d’une expérience réelle et de longue durée au sein des provinces canadiennes où la retraite obligatoire a été abolie, une expérience qui remonte à plus de 25 ans dans le cas du Manitoba et du Québec. C’est donc dire qu’il serait possible d’évaluer l’incidence réelle de l’abolition de la retraite obligatoire dans ces provinces, ainsi que de produire des preuves au sujet des conséquences que cette abolition a eues concrètement pour des aspects tels que les systèmes d’ancienneté, la rémunération différée et les régimes de retraite.
[310] M. Carmichael n’a pas relevé de conséquences négatives marquées qui soient réellement survenues dans les provinces où la retraite obligatoire est interdite depuis un certain temps. En fait, il a semblé admettre en contre-interrogatoire que la retraite obligatoire n’est pas essentielle au maintien de structures du marché du travail mutuellement avantageuses : voir les notes sténographiques, à la page 1556.
[311] Il incombe à l’APAC et à Air Canada de faire la preuve que le législateur continue d’avoir un motif raisonnable de croire que l’alinéa 15(1)c) porte atteinte le moins possible aux droits des personnes qu’il touche. On pourrait penser que si l’on disposait effectivement de preuves empiriques récentes pour démontrer les effets négatifs de l’abolition de la retraite obligatoire pour les modalités de travail avantageuses, les demanderesses les auraient soumises au Tribunal afin de montrer que la retraite obligatoire fait bel et bien partie intégrante de la préservation de ces structures du marché du travail. Cela n’a pas été le cas.
[312] Il est clairement ressorti aussi du témoignage de M. Carmichael qu’il fondait son opinion sur sa croyance que les travailleurs âgés ont déjà profité de leur part des avantages associés aux modalités d’emploi comprenant des systèmes d’ancienneté et de rémunération différée. À son avis, on devrait se soucier des travailleurs plus jeunes. Comme il l’a déclaré : [traduction] « je ne pense pas que les baby-boomers ont besoin de plus d’avantages, ils se sont fort bien débrouillés. Je crois que nous devrions nous soucier davantage des travailleurs qui les suivent et du sort qu’ils connaîtront » : notes sténographiques, à la page 1542.
[313] Je signale tout d’abord que nul n’a laissé entendre que les « travailleurs plus jeunes » sont un groupe historiquement défavorisé que cible la loi. En outre, dans l’arrêt McKinney, la Cour suprême a statué que le sort des travailleurs plus jeunes était une question qu’il ne fallait pas considérer comme jouant un rôle capital dans le débat sur la retraite obligatoire : à la page 304.
[314] Le juge La Forest a fait remarquer que si les valeurs d’une société libre et démocratique comprennent le respect de la dignité inhérente de l’être humain et la promotion de la justice et de l’égalité sociales, le fait de contraindre les travailleurs âgés à prendre leur retraite en vue de libérer des emplois pour les travailleurs plus jeunes serait en soi discriminatoire. En effet, cela « suppose que la prolongation de l’emploi de certains individus est moins importante pour ceux‑ci et de moins grande valeur pour la société en général que l’emploi d’autres individus pour la seule raison de l’âge » : McKinney, à la page 303.
[315] Par ailleurs, M. Carmichael a lui-même admis que l’abolition de la retraite obligatoire ne changerait pas beaucoup l’âge auquel la plupart des personnes décideraient de prendre leur retraite, et que cela aurait peu d’effet sur l’âge moyen de la retraite au sein de l’économie dans son ensemble. De ce fait, l’abolition de la retraite obligatoire n’aurait pas une grande incidence sur le nombre des occasions d’emploi dont bénéficieraient les travailleurs plus jeunes.
[316] Je souscris toutefois à l’argument de M. Carmichael selon lequel un pourcentage supérieur à la moyenne de pilotes d’Air Canada pourraient vouloir continuer de travailler, compte tenu de leur taux de rémunération supérieur et du degré élevé de satisfaction au travail. Je reconnais également qu’à Air Canada, les emplois de pilote comportent un certain nombre de caractéristiques uniques — notamment au chapitre de la variation abrupte de la courbe des salaires et de la mesure dans laquelle les emplois sont en demande.
[317] Cependant, la question qui est en litige en l’espèce n’est pas une contestation fondée sur la Charte à l’égard des dispositions en matière de retraite obligatoire du régime de retraite d’Air Canada et de la convention collective conclue entre ce transporteur et l’APAC, mais plutôt une contestation concernant la disposition de la LCDP qui permet de promulguer de telles modalités. En fait, Air Canada et l’APAC conviennent que l’analyse fondée sur l’article premier que fait la Cour ne devrait pas se limiter au contexte particulier des pilotes d’Air Canada.
[318] Air Canada et l’APAC soutiennent que le fait que la plupart des travailleurs ne changeraient pas de comportement et choisiraient de prendre leur retraite à un âge plus avancé si la retraite obligatoire n’était plus permise signifie qu’en fait, peu de personnes sont négativement touchées par l’alinéa 15(1)c) de la LCDP. Ceci dit étant dit avec égards, quand on examine la question de l’atteinte minimale, c’est la qualité de l’effet des droits conférés par la Charte aux travailleurs âgés qui est en litige, et non le nombre des travailleurs âgés qui auraient par ailleurs souhaité continuer de travailler.
[319] M. Carmichael a témoigné également devant l’arbitre dans l’arrêt CKY‑TV. L’arbitre a déclaré que son témoignage dans cette affaire était [traduction] « une défense cohérente pour la retraite obligatoire ». Il a ajouté que [traduction] « le cycle de vie de l’emploi et le régime de pension, de sécurité et de rémunération favorable ont été considérés comme un tout intégré » et que la retraite obligatoire aidait les employeurs à gérer leurs dépenses salariales et à planifier leurs obligations financières : au paragraphe 217. Telle était l’opinion que la Cour suprême avait adoptée à l’époque où l’arrêt McKinney a été rendu.
[320] Cependant, comme l’arbitre l’a déclaré, la position de M. Carmichael est valable, [traduction] « mais uniquement selon la prémisse que la retraite obligatoire est nécessaire à la concrétisation de tout ce qui précède » : au paragraphe 217. Comme il a été expliqué plus tôt dans les présents motifs, les preuves produites en l’espèce n’établissent pas que la retraite obligatoire constitue en fait un élément intégrant et nécessaire des structures traditionnelles du marché du travail, comme on le croyait plus tôt. Elles ne démontrent pas non plus que les régimes d’emploi qui comprennent l’ancienneté, la retraite, la rémunération différée, etc. ont été négativement touchés dans les provinces canadiennes où la retraite obligatoire est interdite depuis de nombreuses années.
[321] Dans l’arrêt Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877 [cité ci-dessus], la Cour suprême a statué que le critère de l’atteinte minimale vise à statuer sur l’efficacité de la mesure attentatoire et de l’objectif justifié. La question, à ce stade de l’analyse, consiste à savoir si la disposition contestée porte le moins possible atteinte aux droits pertinents garantis par la Charte, tout en permettant de réaliser l’objectif justifié : au paragraphe 124.
[322] S’il n’est pas nécessaire de permettre la négociation de la retraite obligatoire pour préserver les régimes d’emploi de longue durée et avantageux qu’a décrits M. Carmichael et que la Cour suprême a analysés dans l’arrêt McKinney, l’efficacité de la mesure attentatoire et de l’objectif justifié est minime, et la loi ne permet pas de réaliser cet objectif. On ne peut donc pas dire que la loi porte le moins possible atteinte aux droits que la Charte garantit aux travailleurs âgés.
f) La conclusion relative à la question de l’atteinte minimale
[323] Tout en admettant que l’État a droit à un degré considérable de déférence pour ce qui est de légiférer dans ce domaine, les preuves soumises au Tribunal ne montrent pas que l’État continue d’avoir un motif raisonnable de conclure qu’il est nécessaire de permettre aux parties de négocier des modalités de retraite obligatoire pour réaliser les objectifs de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP, dans la mesure où ces objectifs sont liés à la préservation de structures du marché du travail mutuellement avantageuses.
[324] Par conséquent, je suis d’avis que le Tribunal a eu raison de conclure que l’APAC et Air Canada n’ont pas établi que l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne porte atteinte le moins possible aux droits que garantit la Charte aux travailleurs âgés. Il est possible de réaliser les objectifs du législateur sans porter atteinte aux droits que garantit la Charte aux travailleurs au-delà de l’âge de la retraite en vigueur, dans la mesure où l’autorise l’alinéa 15(1)c) de la LCDP.
[325] Avant de clore cette question, je signale que je reconnais bel et bien qu’il pourrait y avoir des situations d’emploi précises dans lesquelles il serait possible de démontrer que la retraite obligatoire est nécessaire au maintien d’un ensemble négocié et particulier de droits et d’avantages. Comme l’arbitre l’a fait remarquer dans l’arrêt CKY-TV : [traduction] « Une version élaborée avec plus de soin de l’alinéa 15(1)c), qui limiterait l’exception à ce genre de situations, pourrait satisfaire au critère de l’article premier » : au paragraphe 218. Mais il s’agit peut-être là d’une question que l’on étudiera un autre jour.
[326] Compte tenu de ma conclusion au sujet de la question de l’atteinte minimale, il n’est pas nécessaire d’examiner la conclusion du Tribunal à propos de la proportionnalité entre les effets de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP et les objectifs de la loi. Je vais tout de même le faire, cependant, au cas où un tribunal de contrôle adopterait un avis différent sur la question de l’atteinte minimale.
vii) La proportionnalité entre les effets de la loi et ses objectifs
[327] Dans l’arrêt R. c. Edwards Books & Art Ltd., la Cour suprême a décrit ce dernier élément du volet de la proportionnalité du critère énoncé dans l’arrêt Oakes : il oblige la Cour à décider si les effets de la loi « empi[ètent] sur les droits individuels ou collectifs au point que l’objectif législatif, si important soit-il, [est] néanmoins supplanté par l’atteinte aux droits » : à la page 768.
[328] Cette formule, considérée par certains comme reproduisant simplement ce que l’on avait déjà accompli dans le cadre des deux premiers éléments de l’analyse de la proportionnalité, a été critiquée. La jurisprudence plus récente de la Cour suprême a reformulé cet élément du critère énoncé dans l’arrêt Oakes « pour lui conférer un champ d’application et un rôle distincts » : voir Thomson Newspapers Co., aux paragraphes 123 et 124.
[329] La Cour suprême a fait remarquer dans l’arrêt Thomson Newspapers Co. que les deux premières étapes de l’analyse de la proportionnalité faite dans l’arrêt Oakes « ne portent pas sur le rapport entre les mesures et le droit en question garanti par la Charte, mais plutôt sur le rapport entre les objectifs de la loi et les moyens employés ». Par contraste, cette dernière étape de l’analyse de la proportionnalité donne à la Cour « l’occasion d’apprécier, à la lumière des détails d’ordre pratique et contextuel qui ont été dégagés aux première et deuxième étapes, si les avantages découlant de la limitation sont proportionnels aux effets préjudiciables, mesurés au regard des valeurs consacrées par la Charte » : au paragraphe 125.
[330] La présente analyse comporte un grand nombre des mêmes aspects que ceux dont il a été question en rapport avec l’atteinte minimale, mais sous l’angle décrit dans l’arrêt Thomson Newspapers Co. : voir McKinney, à la page 316.
[331] Le Tribunal a conclu que le fait de permettre de négocier la retraite obligatoire dans le milieu de travail présente « une importante monnaie d’échange » pour les syndicats et les employés. Cela leur permet de négocier « un certain nombre d’avantages importants, y compris la rémunération différée, la répartition équitable des bénéfices et les occasions d’avancement professionnel ». Selon le Tribunal, la retraite obligatoire, également, « permet aux employeurs de prévoir l’ampleur du roulement du personnel dans le milieu de travail, de gérer la masse salariale et de planifier leurs obligations financières » : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 66.
[332] En même temps, le Tribunal a conclu que le fait de priver de la protection de la LCDP des travailleurs au-delà de l’âge de la retraite en vigueur avait d’importants effets négatifs qui l’emportaient sur les avantages générés par l’alinéa 15(1)c) de la LCDP : décision no 2 du Tribunal, aux paragraphes 65 à 70.
[333] Le Tribunal a fait remarquer que MM. Kesselman et Carmichael convenaient que la retraite obligatoire avait un effet particulièrement négatif sur les personnes qui avaient besoin de travailler au-delà de l’âge de la retraite en vigueur — un groupe composé principalement de femmes et d’immigrants. Ces personnes sont confrontées à des difficultés considérables lorsqu’elles sont obligées de prendre leur retraite, car elles n’ont pas eu le temps d’accumuler des prestations de retraite importantes. Il est possible aussi qu’elles aient des difficultés considérables à trouver un autre emploi qui permette d’utiliser pleinement leurs compétences et leur expérience. Résultat, « [l]es gens touchés s’en ressentent fortement, tant sur le plan personnel que financier » : voir la décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 68.
[334] Le Tribunal a rejeté la prétention de M. Carmichael selon laquelle il serait préférable de créer des programmes en vue d’indemniser ces personnes des désavantages financiers découlant de la retraite obligatoire, plutôt que de supprimer la liberté de négocier la retraite obligatoire. Comme il a été mentionné plus tôt, le Tribunal a exprimé l’avis qu’il était douteux qu’une aide financière puisse assurer un niveau suffisant de sécurité du revenu. De plus, la proposition de M. Carmichael ne remédiait pas à la perte de dignité et de fierté qui découle du fait d’être sans emploi, et pouvait même exacerber le problème : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 69.
[335] L’alinéa 15(1)c) de la LCDP a pour effet de priver des individus d’un recours juridique pour le préjudice subi lorsqu’ils sont forcés de prendre leur retraite à « l’âge de la retraite en vigueur ». De l’avis du Tribunal, les effets négatifs du fait de priver des individus de la protection d’une loi de nature quasi constitutionnelle étaient plus grands que les effets positifs associés à l’alinéa 15(1)c) de la Loi : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 70.
[336] Le Tribunal a conclu son analyse fondée sur la Charte en faisant remarquer ce qui suit : « un des aspects sans doute les plus dérangeants de la disposition est celui que la Cour fédérale a été la première à souligner, dans la décision Vilven [no 1] : elle permet aux employeurs d’agir de manière discriminatoire à l’égard de leurs employés sur le fondement de l’âge, tant et aussi longtemps que cette discrimination est généralisée dans l’industrie » : au paragraphe 70.
[337] Le Tribunal a évalué de façon correcte la question de la proportionnalité.
[338] À ce stade-ci de l’examen, l’analyse porte principalement sur la question de savoir si les avantages bénéfiques de la disposition législative contestée l’emportent sur ses effets préjudiciables. Le Tribunal a décrit quels étaient les avantages de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP, tant pour les employeurs que pour les employés. Ces derniers bénéficient de certains de ces avantages pendant toute la durée de leur emploi.
[339] Il n’a cependant pas été établi que ces régimes d’emploi avantageux exigent qu’il soit loisible aux parties de négocier des clauses relatives à l’emploi qui incluent la retraite obligatoire afin que ces régimes puissent se poursuivre. En fait, les preuves soumises au Tribunal ont clairement montré que les avantages de ces régimes se sont poursuivis dans les provinces où la retraite obligatoire a été éliminée.
[340] En l’absence de preuve que l’un des avantages associés aux structures traditionnelles du marché du travail a disparu dans les provinces qui ont aboli la retraite obligatoire, comment peut‑on dire que les avantages associés au fait de permettre la retraite obligatoire l’emportent sur ses effets préjudiciables?
[341] Il est important aussi de tenir compte de la nature de l’intérêt touché au moment d’évaluer si les avantages de l’alinéa 15(1)c) l’emportent sur ses effets préjudiciables. Pour les personnes dont l’âge est supérieur à l’âge de la retraite en vigueur, l’intérêt en jeu est la capacité de ces personnes de continuer à travailler dans la carrière de leur choix. Comme je l’ai déclaré dans la décision Vilven no 1, « [o]n ne saurait trop insister sur l’importance de ce droit », car « la jurisprudence canadienne regorge de références faites au rôle crucial que joue l’emploi dans la dignité et l’estime de soi de la personne » : au paragraphe 293.
[342] Par exemple, dans Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, la Cour suprême du Canada a déclaré que « [l]e travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société » : à la page 368.
[343] En fait, dans l’arrêt McKinney, la majorité a fait remarquer que « [d]ans une société axée sur le travail, ce dernier est inextricablement lié à l’identité et à la valorisation personnelles » : à la page 300. Gardant cela à l’esprit, le juge La Forest a ensuite fait un lien entre la retraite obligatoire et la perte de la valorisation, de l’identité et du bien-être sur le plan émotionnel de la personne, disant que « [l]a retraite obligatoire supprime tous ces avantages, et ce, en raison d’une caractéristique personnelle attribuée à un seul individu en raison de son association avec un groupe » : McKinney, à la page 278.
[344] Il y a d’autres effets préjudiciables qui sont associés à l’alinéa 15(1)c) de la LCDP. Contrairement à la situation dont la Cour suprême a été saisie dans les arrêts McKinney et Harrison, le législateur n’a pas choisi lui-même quel devait être l’âge approprié de la retraite pour les employés soumis à la réglementation fédérale. Il a plutôt laissé aux parties privées le soin de décider quel devrait être « l’âge de la retraite en vigueur » pour des types d’emploi particuliers. Comme il a été expliqué plus tôt, cela crée une certaine incertitude quant à la portée des droits dont jouissent les travailleurs en vertu de la LCDP, car il peut être fort difficile pour une personne de déterminer avec exactitude quel est l’âge de la retraite en vigueur pour le type particulier d’emploi qu’elle occupe.
[345] Il ne fait aucun doute que la négociation collective est en soi une valeur de la Charte et qu’il s’agit là d’un aspect qu’il faut mettre dans la balance. Cependant, même si, dans certains cas, l’âge de la retraite obligatoire peut être librement négocié dans le cadre du processus de négociation collective en échange d’autres avantages liés à l’emploi, l’alinéa 15(1)c) de la LCDP n’exige pas qu’il en soit ainsi.
[346] Par ailleurs, l’alinéa 15(1)c) ne permet pas simplement que des employeurs imposent unilatéralement la retraite obligatoire à des employés réticents; il permet aussi à l’acteur dominant au sein d’une industrie de fixer la norme dans cette dernière. Autrement dit, l’alinéa 15(1)c) permet à un employeur unique du secteur privé de fixer l’étendue des droits quasi constitutionnels d’une catégorie entière d’employés assujettis à la réglementation fédérale.
[347] Air Canada et l’APAC soutiennent que le rôle que joue une entreprise en tant qu’acteur dominant dans une industrie n’est pas coulé dans le béton à tout jamais, et que « l’âge de la retraite en vigueur » peut changer à mesure que vont et viennent les entreprises. Peut-être bien, mais cela mine aussi l’un des effets bénéfiques allégués de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP — c’est‑à‑dire la certitude qu’un âge de la retraite fixe procure aux employeurs, car cela leur permet de planifier les mouvements de leur effectif, ainsi que de gérer les salaires et d’autres obligations financières.
[348] Est également troublant le fait que, même dans les industries non dominées par un acteur unique, l’alinéa 15(1)c) de la LCDP permet d’exercer une discrimination fondée sur l’âge, tant que cette discrimination est généralisée au sein d’une industrie en particulier.
[349] Le Tribunal a donc eu raison de conclure que les avantages qui découlent de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP ont moins de poids que ses effets préjudiciables, quand on les évalue par rapport aux valeurs qui sous-tendent la Charte.
viii) La conclusion au sujet de la question relative à la Charte
[350] J’ai conclu dans la décision Vilven no 1 que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP viole le paragraphe 15(1) de la Charte, car il prive les travailleurs dont l’âge est supérieur à l’âge de la retraite en vigueur pour des emplois semblables aux leurs de la même protection et du même bénéfice de la loi.
[351] Pour les motifs énoncés en l’espèce, je conclus que le Tribunal a conclu avec raison qu’Air Canada et l’APAC ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombe de montrer que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP est sauvegardé par l’article premier de la Charte. Air Canada et l’APAC n’ont pas montré que l’exception libellée en termes généraux à la pratique par ailleurs discriminatoire qu’est la retraite obligatoire, à l’alinéa 15(1)c) de la LCDP, constitue une limite raisonnable, justifiable dans une société libre et démocratique.
IX. L’âge est-il une exigence professionnelle justifiée pour les pilotes d’Air Canada?
[352] Ayant conclu que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP ne procure pas à Air Canada et à l’APAC un moyen de défense contre les plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Vilven et Kelly, la question suivante consiste à savoir si la conclusion du Tribunal selon laquelle Air Canada n’avait pas établi que le fait d’être âgé de moins de 60 ans était une exigence professionnelle justifiée est raisonnable.
A. Les principes juridiques régissant les exigences professionnelles justifiées
[353] L’alinéa 15(1)a) de la LCDP prescrit que ne constituent pas des actes discriminatoires « les refus, exclusion, expulsion, suspension, restriction, conditions ou préférences de l’employeur qui démontrent qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées ».
[354] Le critère à appliquer pour décider si un employeur a établi l’existence d’une exigence professionnelle justifiée est celui qu’a formulé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Meiorin, précité, au paragraphe 54.
[355] C’est-à-dire qu’un employeur doit établir selon la prépondérance des probabilités :
1) qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
2) qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail; pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.
[356] Les premier et deuxième volets du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin exigent que l’on évalue la légitimité de l’objet général de la norme, ainsi que l’intention qu’avait l’employeur au moment de l’adopter. Cela a pour but de garantir que la norme, considérée sur le plan aussi bien objectif que subjectif, ne comporte pas de fondement discriminatoire. Le troisième élément du critère consiste à déterminer si la norme est exigée pour réaliser un but légitime, et si l’employeur peut composer avec la plainte sans subir une contrainte excessive : Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, [2007] 1 R.C.S. 161, au paragraphe 14.
[357] Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 R.C.S. 561, l’emploi du mot « impossible » en rapport avec le troisième élément du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin suscite une certaine confusion. La Cour suprême a précisé que ce qui est exigé « n’est pas la démonstration de l’impossibilité d’intégrer un employé qui ne respecte pas une norme, mais bien la preuve d’une contrainte excessive qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances » : au paragraphe 12.
[358] Quant à la portée de l’obligation d’accommodement, la Cour suprême a déclaré que « [l]’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail » : Hydro-Québec, au paragraphe 16.
[359] Comme le Canada est signataire de la Convention de Chicago, Air Canada est régie par les normes et les pratiques recommandées que l’OACI a établies.
[360] La position d’Air Canada devant le Tribunal était qu’elle ne pouvait pas « accommoder » les pilotes âgés de plus de 60 ans sans subir une contrainte excessive, compte tenu des contraintes que lui impose les normes de l’OACI régissant les vols internationaux. Selon Air Canada, le fait d’être capable de survoler légitimement des pays étrangers fait partie intégrante de l’emploi de pilotes à Air Canada.
[361] L’APAC a soutenu que l’abolition de la disposition en matière de retraite obligatoire qui figure dans le régime de retraite d’Air Canada et la convention collective conclue entre ce transporteur et l’APAC causerait une contrainte excessive à ses membres, car elle restreindrait le nombre d’emplois disponibles pour les pilotes âgés de moins de 60 ans et amoindrirait leur ancienneté. Par ailleurs, cela interférerait avec la capacité de jeunes pilotes de planifier le moment de leur retraite ce qui, par contrecoup, aurait un effet négatif sur le moral des pilotes.
[362] Avant le mois de novembre 2006, les normes de l’OACI mentionnaient que les pilotes‑commandants de bord âgés de plus de 60 ans ne pouvaient pas effectuer de vols internationaux. Cependant, il n’existait pas de limite d’âge obligatoire pour les premiers officiers, même si l’OACI recommandait que les personnes âgées de plus de 60 ans ne soient pas autorisées à copiloter des aéronefs menant des opérations de transport aérien à l’échelon international.
[363] Les normes de l’OACI ont été modifiées le 23 novembre 2006. À cette date, les règles de l’OACI prévoyaient que les pilotes-commandants de bord âgés de moins de 65 ans pouvaient effectuer des vols internationaux, dans la mesure où l’un des pilotes, dans les équipages qui en comptaient plus d’un, était âgé de moins de 60 ans (c’est ce que l’on appelle la [traduction] « règle des 60 ans »). L’OACI a également recommandé, mais non exigé, que les premiers officiers cessent d’effectuer des vols commerciaux après l’âge de 65 ans.
[364] Le Tribunal a conclu que rien n’interdisait à M. Vilven d’effectuer des vols internationaux à titre de premier officier âgé de plus de 60 ans en vertu des normes datant d’avant novembre 2006 de l’OACI, et qu’Air Canada n’avait produit aucune preuve montrant que le fait de lui permettre de le faire causerait une contrainte excessive.
[365] Tout en admettant que M. Kelly n’aurait pas pu piloter un aéronef à titre de capitaine ou de pilote-commandant de bord entre le moment où il avait eu 60 ans en 2005 et le mois de novembre 2006, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de raison pour laquelle il n’aurait pas pu continuer de travailler comme pilote pour Air Canada à titre de premier officier.
[366] Le Tribunal a donc conclu qu’Air Canada et l’APAC n’avaient pas établi l’existence d’une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée pour la conduite discriminatoire dont elles avaient fait preuve envers M. Vilven ou M. Kelly lors de la période précédant le mois de novembre 2006.
[367] Les preuves d’Air Canada sur la question de la contrainte excessive étaient concentrées sur la période postérieure au mois de novembre 2006 et émanaient principalement du capitaine Steven Duke. Ce dernier a le titre de « Six Sigma Black Belt for Flight Operations » à Air Canada, un poste de gestion qu’il occupe depuis 2006. « Six Sigma » est un processus d’amélioration des opérations qu’Air Canada a adopté. Le titre de « Black Belt » (ceinture noire) du capitaine Duke reconnaît l’expertise de ce dernier à l’égard de ce processus [décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 96].
[368] La preuve du capitaine Duke a principalement porté sur l’incidence qu’aurait le fait d’employer des pilotes âgés de plus de 60 ans pour les opérations d’Air Canada — notamment en rapport avec la question de la production des horaires de vol — compte tenu des obligations internationales d’Air Canada.
[369] Selon le capitaine Duke, les exigences de la règle des 60 ans signifiaient qu’Air Canada ne pouvait composer qu’avec un nombre très faible de pilotes potentiellement restreint avant que la production des horaires de vol des pilotes devienne ingérable. Selon le Tribunal [au paragraphe 102], les « pilotes potentiellement restreints » étaient les capitaines âgés entre 60 et 65 ans, ainsi que les premiers officiers âgés de plus de 60 ans.
[370] Le Tribunal a admis qu’Air Canada ne pouvait pas utiliser de pilotes-commandants de bord de plus de 65 ans pour ses vols internationaux, car cela l’empêcherait d’exploiter un grand nombre de ses itinéraires internationaux : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 100.
[371] Cependant, le Tribunal a conclu qu’il y avait de nombreuses lacunes dans le témoignage du capitaine Duke au sujet des difficultés que poserait la production d’horaires de vol si Air Canada était tenue de composer avec des pilotes âgés de plus de 60 ans qui ne feraient pas de vols à titre de pilotes-commandants de bord. Cela a amené le Tribunal à conclure que le témoignage du capitaine Duke n’était pas suffisant pour établir l’existence d’une contrainte excessive pour Air Canada : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 122.
[372] En ce qui concerne l’APAC, le Tribunal a examiné la question de la contrainte imposée au syndicat en tenant compte des principes que la Cour suprême a exposés dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970. Le Tribunal a tenu particulièrement compte de l’effet que les mesures d’accommodement auraient eu sur d’autres membres de l’APAC.
[373] Le Tribunal a conclu qu’aucune preuve ne montrait qu’un retard dans le cheminement de carrière et les augmentations de salaire des jeunes pilotes porterait gravement atteinte aux droits de ces employés : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 140. Selon le Tribunal, le fait de contraindre les travailleurs âgés à prendre leur retraite afin de laisser la place à des travailleurs plus jeunes serait en soi discriminatoire, car l’on présume que l’emploi continu de personnes âgées est moins important pour ces personnes et à moins de valeur pour la société en général que l’emploi continu de personnes plus jeunes.
[374] Chez Air Canada, l’ancienneté détermine, notamment, le type d’appareil qu’un pilote commandera ainsi que l’horaire de travail qu’il recevra. Le Tribunal n’a pas souscrit à l’argument de l’APAC selon lequel le fait de prendre des mesures d’accommodement pour les pilotes âgés de plus de 60 ans « diluerait » les droits à l’ancienneté des pilotes âgés de moins de 60 ans, notamment en rapport avec les horaires de vol, tout en accordant aux pilotes de plus de 60 ans la pleine mesure de leur droit à l’ancienneté, le tout au détriment du moral des pilotes.
[375] Le Tribunal a conclu qu’il existe peut-être des moyens de régler les problèmes d’horaire de vol auxquels donnerait peut-être lieu la mise en œuvre de la règle des 60 ans. Par exemple, le Tribunal a déclaré qu’au lieu d’exiger que les premiers officiers âgés de moins de 60 ans composent avec les capitaines âgés de plus de 60 ans, l’APAC et Air Canada pouvaient convenir que s’il survenait un problème d’horaire de vol, les capitaines âgés de plus de 60 ans seraient tenus de poser leur candidature à d’autres postes où l’on pourrait les accueillir : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 149.
[376] Le Tribunal a également conclu que l’APAC n’a pas établi que le degré de perturbation et la perspective inévitable d’une ingérence dans les droits d’autres employés qui résulteraient de l’élimination de la disposition en matière de retraite obligatoire qui figure dans la convention collective constituaient une contrainte excessive. L’APAC n’a pas contesté, dans sa demande de contrôle judiciaire, la conclusion que le Tribunal a tirée au sujet de l’exigence professionnelle justifiée.
C. L’importance des normes de l’OACI
[377] Pour bien saisir la position d’Air Canada au sujet de la question de l’exigence professionnelle justifiée, ainsi que pour situer le témoignage du capitaine Duke dans son juste contexte, il importe tout d’abord d’examiner l’importance des changements qui ont été apportés aux normes de l’OACI après la mise à la retraite de MM. Vilven et Kelly.
[378] On se rappellera qu’au mois de novembre 2006 la [traduction] « règle des 60 ans » de l’OACI permettait aux pilotes-commandants de bord âgés de 60 à 65 ans de continuer d’effectuer des vols internationaux, mais uniquement si l’un des autres pilotes, dans un équipage en comptant plus d’un, était âgé de moins de 60 ans.
[379] Les normes de l’OACI ne s’appliquent qu’aux vols internationaux. Cependant, la grande majorité des vols d’Air Canada comportent un aspect international. En fait, 86 p. 100 des vols d’Air Canada visent une destination internationale ou alors survolent un espace aérien étranger (les États-Unis surtout), en route vers une destination canadienne. Entre 20 et 25 p. 100 des 14 p. 100 des vols d’Air Canada qui restent comportent un aéroport des États-Unis comme aéroport de substitution, où les aéronefs doivent atterrir si, par exemple, les conditions atmosphériques empêchent de se poser à l’aéroport canadien normalement prévu.
[380] Les conséquences qu’il y a à ne pas respecter la règle des 60 ans pourraient être sévères pour Air Canada, car les États contractants peuvent clouer au sol tout aéronef commandé par un pilote qui ne satisfait pas aux normes de l’OACI, ou refuser à cet aéronef l’entrée dans leur espace aérien.
D. Le moment choisi et l’obligation d’accommodement
[381] La première question que la Cour doit prendre en considération est le moment où les questions d’accommodement et de contrainte excessive devaient être évaluées en rapport avec les plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Vilven et Kelly.
[382] Dans certains cas, il ne convient pas d’examiner simplement la situation qui prévalait à la date à laquelle a pris fin l’emploi d’une personne. Par exemple, lorsqu’un employé est congédié parce qu’une maladie a causé des absences dans le passé, la prétention d’une contrainte excessive de la part de l’employeur doit être évaluée de façon globale, en tenant compte de la situation tout entière qui a donné lieu au congédiement : voir Hydro-Québec, au paragraphe 21.
[383] En l’espèce, MM. Vilven et Kelly n’ont eu aucun besoin de mesures d’accommodement avant d’atteindre l’âge de 60 ans, moment où leur emploi a pris fin conformément aux dispositions en matière de retraite obligatoire du régime de retraite d’Air Canada et de la convention collective conclue entre ce transporteur et l’APAC. Je conviens avec Air Canada que, dans ces circonstances, la question des mesures d’accommodement doit d’abord être évaluée à la date à laquelle l’emploi a pris fin. Dans le cas de M. Vilven, il s’agit de 2003 et, dans celui de M. Kelly, de 2005.
[384] Je conviens aussi avec Air Canada que, compte tenu de la nature systémique des plaintes relatives aux droits de la personne de MM. Vilven et Kelly, ainsi que du fait que l’invalidation possible des dispositions en matière de retraite obligatoire du régime de retraite d’Air Canada et de la convention collective conclue entre ce transporteur et l’APAC aurait une incidence sur d’autres pilotes d’Air Canada, il était valable aussi pour le Tribunal d’examiner de façon prospective la question de la contrainte excessive, en tenant compte des changements apportés par la suite aux normes de l’OACI.
[385] Cet examen prospectif était également nécessaire parce que MM. Vilven et Kelly cherchaient à être réintégrés dans les emplois qu’ils auraient occupés s’ils n’avaient pas été forcés de prendre leur retraite à 60 ans.
E. Les facteurs à prendre en considération en rapport avec la question de l’accommodement
[386] Aux termes du paragraphe 15(2) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 10] de la LCDP, pour établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée ou d’un motif justifiable, il est nécessaire de démontrer « que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité » (non souligné dans l’original).
[387] Pour évaluer si Air Canada pouvait prendre des mesures d’accommodement à l’endroit des pilotes âgés de plus de 60 ans, le Tribunal a décidé qu’il pouvait faire plus qu’étudier les contraintes en matière de coûts, de santé et de sécurité. Il a fait remarquer que dans l’arrêt Meiorin, la Cour suprême du Canada a indiqué que les facteurs dont il faut tenir compte au moment de décider si des mesures d’accommodement imposent une contrainte excessive ne sont pas consacrés, à moins d’être expressément inclus ou exclus par la loi : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 78, citant l’arrêt Meiorin, au paragraphe 63.
[388] Le Tribunal a déclaré de plus que la Cour suprême, dans l’arrêt Centre universitaire de santé McGill, précité, a souligné que les facteurs qui étayeront une conclusion de contrainte excessive doivent être appliqués en faisant preuve de souplesse et de bon sens. La Cour suprême a évoqué les coûts des mesures d’accommodement possibles, la moralité et le roulement du personnel, les ingérences dans les droits des autres employés et la rupture de la convention collective comme exemples des autres facteurs qui peuvent être pris en considération : décision no 2 du Tribunal, aux paragraphes 79 et 80, citant l’arrêt Centre universitaire de santé McGill, au paragraphe 15.
[389] Cette remarque revêtait une importance particulière, car elle était liée à l’analyse que faisait le Tribunal au sujet des arguments relatifs à la contrainte excessive qu’invoquait l’APAC, lesquels reposaient en grande partie sur l’effet qu’aurait, sur les droits d’autres employés, le fait de prendre des mesures d’accommodement pour les pilotes âgés de plus de 60 ans. Comme il a été mentionné plus tôt, l’APAC n’a pas contesté la conclusion du Tribunal au sujet de l’exigence professionnelle justifiée.
[390] Les preuves qu’Air Canada a produites au sujet de la contrainte excessive étaient principalement liées à des aspects opérationnels qui auraient une incidence sur les coûts de cette société. Cependant, cette dernière a également relevé d’autres formes de contrainte, principalement l’incidence qu’aurait le fait de prendre des mesures d’accommodement pour les pilotes âgés de plus de 60 ans sur les droits d’ancienneté d’autres employés d’Air Canada. Cela amène donc à se demander si le Tribunal était limité par la loi à prendre en considération les facteurs des coûts, de la santé et de la sécurité au moment d’évaluer si un moyen de défense fondé sur l’exigence professionnelle justifiée avait été établi.
[391] Je suis consciente qu’en décidant qu’il pouvait examiner des questions autres que les coûts, la santé et la sécurité, le Tribunal interprétait sa loi habilitante et examinait la portée de l’obligation d’accommodement — un aspect qui relève directement de son expertise. De ce fait, l’interprétation qu’il fait du paragraphe 15(2) de la LCDP commande une certaine déférence : voir l’arrêt Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 34. Je suis néanmoins convaincue que l’interprétation que le Tribunal a faite de cette disposition est déraisonnable.
[392] Il est vrai que la Cour suprême a indiqué que des questions telles que le moral et la mobilité des employés, l’ingérence dans les droits d’autres employés et la rupture de la convention collective sont des facteurs qui peuvent être pris en compte en rapport avec la question de l’accommodement. L’arrêt Centre universitaire de santé McGill sur lequel le Tribunal s’est fondé en est un exemple. Il ne s’agissait toutefois pas d’une décision rendue en vertu de la LCDP, et elle ne mettait pas en cause une disposition législative telle que le paragraphe 15(2).
[393] Comme le Tribunal l’a lui-même signalé, la Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Meiorin que les facteurs dont il faut tenir compte au moment de déterminer si les mesures d’accommodement imposent une contrainte excessive « ne sont pas consacrés, sauf dans la mesure où ils sont inclus ou écartés expressément par la loi » (non souligné dans l’original) : au paragraphe 63. En l’espèce, le législateur a décidé d’indiquer précisément les aspects dont le Tribunal peut tenir compte dans le cadre d’une analyse de la question de l’accommodement : voir Russel Zinn, The Law of Human Rights in Canada : Practice and Procedure, feuilles mobiles (Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1996), à la section 14:60:2.
[394] Par ailleurs, il existe deux principes d’interprétation différents dont le Tribunal n’a pas traité, lesquels donnent tous deux à penser que les facteurs mentionnés au paragraphe 15(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne doivent être considérés comme une liste exhaustive. Il s’agit, d’une part, de la maxime latine « expressio unius est exclusio alterius » et, d’autre part, de l’approche qu’il convient de suivre lors de l’interprétation des lois relatives aux droits de la personne.
[395] La maxime « expressio unius est exclusio alterius » renvoie à un principe général d’interprétation législative qui signifie que le fait d’exprimer une chose en exclut une autre : voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008), à la page 244.
[396] Plus précisément, le fait que le législateur ne mentionne pas un point dans une liste amène à inférer qu’il a été délibérément exclu. Comme le dit la professeure Sullivan : [traduction] « La force de l’implication dépend de la vigueur et de la légitimité de l’expectative d’une mention expresse. Meilleure est la raison pour anticiper la mention expresse d’un point, plus le silence du législateur est révélateur » : à la page 244.
[397] En l’espèce, une abondante jurisprudence de la Cour suprême a pris naissance bien avant l’ajout du paragraphe 15(2) de la LCDP en 1998, relativement à la nature et à la portée de l’obligation d’accommodement ainsi qu’aux facteurs à prendre en considération au moment d’évaluer si l’on s’est acquitté de cette obligation : voir, par exemple, les arrêts Central Alberta Dairy Pool et Renaud, tous deux précités. Le législateur aurait donc été bien au courant du fait que des facteurs tels que l’effet sur le moral des employés et l’ingérence dans les droits d’autres employés avaient été soulignés comme des facteurs pertinents dans une analyse portant sur l’accommodement.
[398] Néanmoins, en adoptant le paragraphe 15(2) de la LCDP le législateur n’a pas dit que le Tribunal devait prendre en considération des questions [traduction] « telles que » ou « incluant » les coûts, la santé et la sécurité; il a plutôt décidé d’indiquer expressément les facteurs qu’il fallait prendre en considération en rapport avec la question de l’accommodement, c’est-à-dire ces trois questions précises. Ces circonstances dénotent nettement que le législateur envisageait que la liste énumérée au paragraphe 15(2) de la LCDP soit exhaustive.
[399] Ma conclusion selon laquelle il faudrait considérer que le paragraphe 15(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne limite aux coûts, à la santé et à la sécurité les facteurs dont il faut tenir compte dans le cadre d’une analyse de l’accommodement est confortée lorsqu’on examine la question dans le contexte des principes à appliquer au moment d’interpréter une loi relative aux droits de la personne.
[400] Plus précisément, s’il est nécessaire d’interpréter de manière large les droits quasi constitutionnels que confère une loi relative aux droits de la personne, ce n’est pas le cas lorsqu’il est question des moyens de défense que procure la loi relative aux droits de la personne en question. Les moyens de défense concernant l’exercice de ces droits doivent être interprétés de manière stricte : voir Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279, à la page 307, et Dickason, à la page 1121.
[401] Comme l’a fait remarquer le juge Sopinka dans l’arrêt Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, les lois sur les droits de la personne sont souvent « le dernier recours de la personne désavantagée et de la personne privée de ses droits de représentation ». Il a ensuite fait remarquer que « [c]omme les lois sur les droits de la personne sont le dernier recours des membres les plus vulnérables de la société, les exceptions doivent s’interpréter restrictivement » : à la page 339.
[402] Cela ne veut pas dire que des questions telles que le moral et la mobilité des employés, l’ingérence dans les droits d’autres employés et la rupture d’une convention collective ne seront jamais pertinentes dans le cadre d’une demande présentée sous le régime de la LCDP. La manière dont j’interprète la loi signifie simplement que ces questions, pour être prises en compte dans le cadre d’une analyse de l’accommodement, doivent être suffisamment graves pour avoir un effet démontrable sur les activités d’un employeur, et ce, d’une manière qui est liée aux coûts, à la santé ou à la sécurité.
[403] Avant de clore cette question, il me faut reconnaître que la Cour supérieure du Québec est arrivée à une conclusion différente à cet égard dans l’arrêt Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 434 (FTQ) c. Gagnon, 2005 CanLII 25032, au paragraphe 39. Dans cette décision, la Cour a déclaré que la liste contenue au paragraphe 15(2) de la LCDP est de nature descriptive, plutôt que limitative. Cependant, cette conclusion n’a pas été motivée, et je me dois, avec égards, d’exprimer mon désaccord.
[404] Même si j’ai conclu que le Tribunal a commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 15(2) de la LCDP, ainsi que je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs, la question déterminante, relativement à l’exigence professionnelle justifiée, est la façon dont le Tribunal a traité les preuves concernant les questions opérationnelles relatives aux coûts qui avaient une incidence sur la capacité d’Air Canada de prendre des mesures d’accommodement à l’endroit des pilotes âgés de plus de 60 ans après le mois de novembre 2006. Cependant, avant de le faire, la Cour se doit d’examiner en premier le caractère raisonnable de la conclusion que le Tribunal a tirée au sujet de l’exigence professionnelle justifiée, relativement à la période antérieure au mois de novembre 2006.
F. Les mesures d’accommodement au cours de la période préalable au mois de novembre 2006
[405] La question suivante est donc celle de savoir si la conclusion du Tribunal selon laquelle Air Canada n’avait pas établi l’existence d’un moyen de défense fondé sur une exigence professionnelle justifiée pour sa conduite discriminatoire à l’égard de MM. Vilven et Kelly au cours de la période antérieure aux changements apportés en novembre 2006 aux normes de l’OACI était raisonnable.
[406] Le point essentiel de l’argument d’Air Canada au sujet de la question de l’exigence professionnelle justifiée était que le Tribunal avait mal saisi et mal décrit le témoignage que le capitaine Duke avait fait, et qu’il avait fait abstraction d’éléments importants de ce témoignage.
[407] Le témoignage du capitaine Duke a principalement porté sur les difficultés en matière d’opérations et de production d’horaires de vol que rencontrerait Air Canada si l’on abolissait la retraite obligatoire, compte tenu des normes de l’OACI postérieures à 2006. Air Canada n’a fait que de brèves observations à la Cour à propos de la conclusion du Tribunal concernant une exigence professionnelle justifiée, relativement à la période antérieure à novembre 2006.
i) Les mesures d’accommodement concernant M. Vilven au cours de la période préalable au mois de novembre 2006
[408] Il incombe à l’employeur de produire une preuve concrète pour établir l’existence d’une contrainte excessive : voir l’arrêt Hutchinson v. B.C. (Min. of Health), 2004 BCHRT 58, aux paragraphes 69 et 230, et l’arrêt Grismer, précité, au paragraphe 41.
[409] Le Tribunal a conclu qu’Air Canada n’avait produit aucune preuve montrant que le fait de permettre à M. Vilven de continuer d’exercer ses fonctions à titre de premier officier après l’âge de 60 ans aurait causé une contrainte excessive avant le mois de novembre 2006. Selon Air Canada, le Tribunal a commis une erreur à cet égard en ne considérant que la situation de M. Vilven dans son analyse de la contrainte excessive.
[410] D’après Air Canada, en examinant uniquement s’il aurait été possible de prendre des mesures d’accommodement à l’endroit de M. Vilven, le Tribunal s’est posé la mauvaise question, car ce que les plaignants cherchaient, c’était l’invalidation de l’exigence de la retraite obligatoire pour tous les pilotes d’Air Canada. Cette dernière soutient que le critère énoncé dans l’arrêt Meiorin exigeait que le Tribunal décide s’il aurait été possible qu’Air Canada prenne des mesures d’accommodement non seulement à l’endroit du plaignant en particulier, mais aussi de tous les employés ayant les mêmes caractéristiques que le plaignant, sans imposer de contrainte excessive à l’employeur.
[411] Air Canada a cependant admis devant le Tribunal que rien dans les normes de l’OACI qui étaient en vigueur à l’époque où M. Vilven a dû prendre sa retraite d’Air Canada en 2003 empêchait les premiers officiers âgés de plus de 60 ans d’effectuer des vols internationaux : notes sténographiques, à la page 2170.
[412] En fait, Air Canada n’a pu relever aucune preuve dans le dossier qui donnait à penser que la réponse aurait été différente, selon que le Tribunal prenait en considération la capacité d’Air Canada de prendre des mesures d’accommodement à l’endroit de M. Vilven seulement, ou alors à l’endroit de tous les premiers officiers âgés de plus de 60 ans au cours de la période préalable au mois de novembre 2006. Par conséquent, toute erreur que le Tribunal peut avoir commise à cet égard n’est pas importante pour le résultat.
[413] Comme les normes de l’OACI n’imposaient aucune restriction obligatoire à la capacité des premiers officiers âgés de plus de 60 ans de continuer de faire des vols, il s’ensuit que M. Vilven et les autres premiers officiers âgés de 60 ans ou plus continuaient d’être en mesure de répondre aux exigences de leurs emplois, dans la mesure où ils étaient capables de satisfaire aux exigences de Transports Canada en matière d’octroi de licence.
[414] De ce fait, la conclusion du Tribunal à propos de la responsabilité d’Air Canada à l’égard de la cessation de l’emploi de M. Vilven était raisonnable. Il sera question, plus loin dans les présents motifs, du caractère raisonnable des conclusions que le Tribunal a tirées au sujet de la capacité d’Air Canada de continuer à prendre des mesures d’accommodement à l’endroit de M. Vilven et des autres premiers officiers âgés de plus de 60 ans après l’entrée en vigueur des nouvelles normes de l’OACI en novembre 2006.
[415] Le Tribunal a conclu que même si M. Kelly n’aurait pas pu continuer d’effectuer des vols à titre de capitaine ou de pilote-commandant de bord après avoir eu 60 ans en 2005, il n’y avait aucune raison pour laquelle il n’aurait pas pu continuer de faire des vols internationaux pour le compte d’Air Canada à titre de premier officier. Le Tribunal a signalé qu’Air Canada n’a pas envisagé une telle mesure ou ne l’a pas offerte à M. Kelly, pas plus que l’APAC ne s’est efforcée d’obtenir une telle mesure pour M. Kelly, comme elle était tenue de le faire.
[416] Comme dans le cas de M. Vilven, Air Canada fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en examinant seulement s’il aurait été possible de prendre des mesures d’accommodement à l’endroit de M. Kelly, plutôt que d’examiner si Air Canada aurait pu le faire pour la totalité des capitaines âgés de plus de 60 ans.
[417] Lorsqu’il est obligatoire de prendre des mesures d’accommodement, ce n’est pas l’employé qui est tenu de trouver une solution. C’est l’employeur qui est le mieux placé pour déterminer de quelle façon prendre une mesure d’accommodement en faveur du plaignant sans s’ingérer indûment dans le fonctionnement de l’entreprise : voir Renaud, précité, à la page 994.
[418] Comme l’a fait remarquer la Cour suprême dans l’affaire Hydro-Québec, un employeur a le devoir d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail : au paragraphe 16.
[419] Lorsqu’un employeur a présenté une proposition d’accommodement qui est raisonnable et qui, si elle était mise en œuvre, satisferait à l’obligation d’accommodement, le plaignant a le devoir d’en faciliter la mise en œuvre. Si l’employé ne prend pas des mesures raisonnables et que cela est à l’origine de l’échec de la proposition, la plainte relative aux droits de la personne de l’employé sera rejetée : Renaud, aux pages 994 et 995.
[420] Même si les normes datant d’avant 2006 de l’OACI limitaient la mesure dans laquelle M. Kelly aurait pu continuer de piloter pour Air Canada après avoir eu 60 ans, il n’y avait aucune restriction sur le plan opérationnel ou sur celui de l’octroi d’une licence qui l’aurait empêché de se prévaloir de son ancienneté pour briguer un poste de pilote autre que celui de capitaine ou de pilote-commandant de bord, comme un poste de premier officier.
[421] C’est donc dire que, à la date à laquelle l’emploi de M. Kelly a pris fin en 2005, il n’y avait aucun obstacle juridique, hormis les dispositions en matière de retraite obligatoire du régime de retraite d’Air Canada et de la convention collective conclue entre ce transporteur et l’APAC, qui l’aurait empêché de demeurer au service d’Air Canada à titre de pilote.
[422] L’arrêt Meiorin impose des obligations à la fois procédurales et substantielles aux employeurs quand il est question de normes d’emploi discriminatoires. Une question importante qu’il faut considérer au moment de déterminer si l’on s’est acquitté de ces obligations est celle de savoir si l’employeur a cherché des options de rechange qui n’ont pas d’effet discriminatoire. Une autre question importante est celle de savoir s’il y a des moyens différents de faire le travail, tout en répondant aux objectifs de travail légitimes de l’employeur : voir Meiorin, aux paragraphes 65 et 66.
[423] C’est-à-dire qu’il incombe à un employeur de montrer qu’il a pris en considération et rejeté de manière raisonnable toutes les formes viables d’accommodement : voir Grismer, au paragraphe 42.
[424] Selon la preuve soumise au Tribunal, Air Canada n’a jamais examiné s’il était possible de prendre des mesures d’accommodement à l’endroit de ses capitaines âgés de plus de 60 ans, dont M. Kelly.
[425] Nous ignorons si le fait de piloter un avion à titre de premier officier aurait été pour M. Kelly une solution de rechange acceptable. Il aurait peut-être bien été disposé à commencer à piloter à titre de premier officier après avoir eu 60 ans, si l’autre option avait été de perdre son emploi. Nous ne le savons pas avec certitude, cependant, car cette option n’a jamais été soumise à M. Kelly. En fait, Air Canada n’a jamais formulé une proposition d’accommodement.
[426] Air Canada se trouvait dans l’obligation de structurer les fonctions de ses employés de façon à leur permettre d’effectuer leur travail, s’il était possible de le faire sans contrainte excessive. Air Canada n’a pas établi que le fait de permettre à M. Kelly de poursuivre sa carrière de pilote auprès de la société, quoique à un titre différent, aurait causé à cette dernière une contrainte excessive au cours de la période préalable à novembre 2006.
[427] De plus, comme cela a été le cas pour M. Vilven, Air Canada n’a pas fait état de preuves concrètes montrant que la réponse aurait été différente si le Tribunal avait examiné la capacité d’Air Canada de prendre des mesures d’accommodement à l’endroit de tous les capitaines âgés de plus de 60 ans au cours de la période préalable à novembre 2006. De ce fait, la conclusion du Tribunal au sujet de la responsabilité de la cessation d’emploi de M. Kelly en 2005 était raisonnable.
[428] La question suivante est donc le caractère raisonnable des conclusions du Tribunal au sujet de la capacité d’Air Canada de continuer de prendre des mesures d’accommodement à l’endroit des pilotes âgés de plus de 60 ans après l’entrée en vigueur des nouvelles normes de l’OACI, en novembre 2006.
G. Les mesures d’accommodement prises au cours de la période postérieure au mois de novembre 2006
[429] Comme il a été signalé plus tôt, Air Canada fait valoir que le Tribunal a mal compris et mal décrit le témoignage du capitaine Duke à l’appui de son argument relatif à la contrainte excessive. Air Canada soutient également que le Tribunal a fait abstraction d’éléments importants du témoignage du capitaine Duke au sujet des difficultés de nature opérationnelle et de production d’horaires de vol qui surviendraient si Air Canada était tenue de prendre des mesures d’accommodement à l’endroit des pilotes âgés de plus de 60 ans. Selon l’avocat d’Air Canada, il est [traduction] « tout à fait insatisfaisant qu’une question aussi importante soit réglée à cause de motifs qui sont viciés, déraisonnables et inadéquats ».
[430] Comme je l’expliquerai plus loin, MM. Vilven et Kelly sont également d’avis que le Tribunal a commis une erreur dans son évaluation de la question de l’exigence professionnelle justifiée, même s’ils disent que le Tribunal est finalement arrivé au bon résultat, mais pour les mauvaises raisons.
i) La façon dont le Tribunal a traité le témoignage du capitaine Duke
[431] Le Tribunal a reconnu que la capacité d’Air Canada de prendre des mesures d’accommodement à l’endroit des pilotes âgés de plus de 60 ans était « plus problématique » dans le cadre des normes de l’OACI datant d’après le mois de novembre 2006 : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 95.
[432] Le témoignage du capitaine Duke a porté principalement sur l’effet qu’aurait l’élimination de la retraite obligatoire en rapport avec plusieurs aspects différents des opérations d’Air Canada. L’un des problèmes qu’il a évoqué était l’incertitude que pouvait faire naître l’éventuelle abolition de la retraite obligatoire à Air Canada sur le plan de l’embauche et de la formation des pilotes. Le capitaine Duke a expliqué qu’il faut à la société environ trois mois pour organiser l’horaire d’un pilote et le former. Comme la plupart des pilotes d’Air Canada attendent maintenant l’âge de 60 ans avant de prendre leur retraite, cela permet à cette société de prévoir avec une certitude relative ses besoins en matière de dotation et de formation.
[433] Le capitaine Duke a déclaré que si l’on abolissait la retraite obligatoire à Air Canada, la société aérienne pourrait être prise de court si un pilote âgé de plus de 60 ans prenait subitement la décision de prendre sa retraite, car rien dans la convention collective n’oblige les pilotes à indiquer à l’avance à quel moment ils ont l’intention de prendre leur retraite. Selon le capitaine Duke, une retraite anticipée pourrait avoir un effet sérieux sur les opérations de la société.
[434] Le capitaine Duke a admis que cela ne serait pas un problème si Air Canada et l’APAC convenaient d’exiger que les pilotes signifient un an à l’avance leur intention de prendre leur retraite, ou si le Tribunal rendait une telle ordonnance. Tout en faisant remarquer que cette exigence serait peut-être ardue à appliquer car il est difficile de forcer une personne à travailler si elle ne le veut pas, le capitaine Duke a reconnu que l’on pouvait créer des incitatifs économiques pour encourager les pilotes à faire connaître leur intention en temps opportun.
[435] Air Canada ne conteste pas cette affirmation, mais dit que le Tribunal a commis une erreur en omettant d’ordonner qu’une telle disposition soit incluse dans la convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC. Je ne suis pas convaincue que le Tribunal a commis l’erreur alléguée.
[436] Comme il a été mentionné plus tôt, le capitaine Duke a déclaré que l’obligation de donner un préavis pouvait être soit imposée par le Tribunal, soit négociée par Air Canada et l’APAC. Le Tribunal a fait remarquer qu’il incombait à Air Canada et à l’APAC de faire la preuve que la renégociation de la convention collective serait une contrainte excessive et qu’il ne suffisait pas d’affirmer simplement que c’était le cas sans preuves à l’appui. Le Tribunal a noté ensuite que le capitaine Duke avait déclaré qu’avec un peu de collaboration de la part du syndicat, il était effectivement possible d’apporter les changements voulus aux règles régissant le lieu de travail.
[437] Le Tribunal s’est dit clairement convaincu qu’il s’agissait là d’une question qu’il était possible de régler entre Air Canada et l’APAC. Comme il l’a fait remarquer, le capitaine Duke a déclaré : [traduction] « Nous nous trouvons dans l’antichambre d’un nouveau monde et c’est tous ensemble que nous devons y entrer, alors nous devons faire en sorte que tout le monde y trouve son compte » : notes sténographiques, à la page 1438.
[438] Le Tribunal a ensuite signalé ceci : « On peut présumer qu’à titre de cointimée, et si elle y est invitée par la décision du Tribunal, Air Canada serait motivée à coopérer dans le cadre de ce processus » : voir la décision no 2 du Tribunal, aux paragraphes 153 et 154. En droit, l’APAC serait également tenue de « faire en sorte que tout le monde y trouve son compte » : voir Renaud, précité.
[439] Le Tribunal a admis le témoignage du capitaine Duke sur un second point, c’est-à-dire que les normes de l’OACI postérieures à novembre 2006 empêchaient Air Canada de faire appel à des capitaines âgés de plus de 65 ans pour ses vols internationaux. Selon moi, MM. Vilven et Kelly ne contestent pas cette conclusion.
[440] Le Tribunal n’a pas traité du témoignage du capitaine Duke en rapport avec la capacité d’Air Canada de faire en sorte que les capitaines-commandants de bord âgés de plus de 65 ans effectuent des itinéraires purement intérieurs, car MM. Vilven et Kelly avaient tous deux indiqué qu’ils voulaient continuer de faire des vols internationaux. Air Canada n’a pas contesté ce point.
[441] Le témoignage du capitaine Duke, ainsi que l’analyse du Tribunal, ont principalement porté sur la capacité d’Air Canada de prendre des mesures d’accommodement en faveur des capitaines-commandants de bord et des premiers officiers âgés de plus de 60 ans, compte tenu de l’effet de la règle des 60 ans sur l’ancienneté et l’organisation des horaires de vol.
[442] Le capitaine Duke a présenté des preuves démographiques montrant que dans les cinq années suivant l’abolition de la retraite obligatoire à Air Canada, un pourcentage fort important de pilotes de cette société seraient âgés de plus de 60 ans, en présumant que tous continueraient de travailler : voir les diapositives 60 à 68 de la présentation PowerPoint du capitaine Duke.
[443] Selon le capitaine Duke, Air Canada ne pourrait prendre des mesures d’accommodement qu’envers un nombre très faible de pilotes potentiellement restreints (les capitaines-commandants de bord âgés de plus de 60 ans mais de moins de 65 ans, et les premiers officiers âgés de plus de 60 ans) avant que l’organisation des horaires des pilotes devienne ingérable à cause de la règle des 60 ans.
[444] Pour montrer les difficultés auxquelles Air Canada se heurterait si elle était tenue de prendre des mesures d’accommodement envers les pilotes âgés de plus de 60 ans, le capitaine Duke a passé en revue une série d’expériences examinant les conséquences, sur le plan de l’organisation des horaires de vol, d’avoir des pourcentages différents de capitaines-commandants de bord et de premiers officiers d’A340 âgés de plus de 60 ans à Vancouver et à Toronto.
[445] Il a conclu qu’il était possible d’organiser un horaire de vol si 10 p. 100 des capitaines-commandants de bord et des premiers officiers d’A340 en poste à Vancouver étaient âgés de plus de 60 ans. Cependant, cela aurait pour résultat que l’ancienneté d’un certain nombre de premiers officiers ne serait pas respectée, et certains pilotes obtiendraient des horaires mensuels d’une qualité nettement moindre, dont le fait d’être affectés à des horaires de relève plutôt qu’à des horaires de vol fixe. De plus, l’utilité de ces pilotes, en assurant la relève, serait amoindrie par le fait que les pilotes potentiellement restreints ne pourraient pas remplacer un premier officier si un capitaines-commandants de bord, dans le cadre d’un vol international, était âgé de plus de 60 ans.
[446] Il était impossible de produire un horaire de vol si le pourcentage des capitaines-commandants de bord potentiellement restreints à Vancouver augmentait à 20 p. 100, et le pourcentage des premiers officiers potentiellement restreints à 11 p. 100. Cela était dû au fait qu’il n’y aurait pas assez de pilotes non restreints disponibles pour accompagner les pilotes restreints.
[447] Les expériences du capitaine Duke concernant Toronto ont montré qu’aucune solution n’était possible si plus de 30 p. 100 des capitaines-commandants de bord et des premiers officiers d’A340 étaient potentiellement restreints. Dans le même ordre d’idées, aucun horaire de vol ne pouvait être produit si plus de 20 p. 100 des capitaines-commandants de bord et 40 p. 100 des premiers officiers étaient potentiellement restreints.
[448] Selon le capitaine Duke, il faudrait qu’Air Canada embauche d’autres pilotes pour s’assurer de combler convenablement tous les vols. Parallèlement, la société aérienne aurait à continuer de payer les pilotes âgés de plus de 60 ans dont on ne pourrait pas utiliser les services. La qualité des horaires produits pour certains pilotes serait elle aussi touchée de façon négative.
[449] Le Tribunal a relevé plusieurs lacunes dans le témoignage du capitaine Duke, ce qui l’a amené à conclure que la preuve n’était pas suffisante pour établir que l’on imposerait une contrainte excessive à Air Canada : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 122. Il y a cependant un certain nombre de problèmes dans la façon dont le Tribunal traite le témoignage du capitaine Duke.
[450] Par exemple, le capitaine Duke a déclaré que même si l’on pouvait trouver une solution au problème des horaires de vol si seulement 10 p. 100 des pilotes de Vancouver étaient « potentiellement restreints », cela aurait pour résultat que quelques premiers officiers obtiendraient des horaires mensuels de qualité nettement moindre.
[451] Le Tribunal a fait remarquer ce qui suit : « Il n’y a aucune preuve pour étayer le nombre exact de pilotes restreints formant le groupe de 10 % » : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 122. Cependant, l’expérience du capitaine Duke n’obligeait pas à prendre en considération le nombre réel de capitaines-commandants de bord et de premiers officiers âgés de plus de 60 ans qui se trouvaient à Vancouver à ce moment. L’expérience avait pour objet de déterminer s’il était possible de produire un horaire de vol en tenant compte du fait que 10 p. 100 de chaque groupe était potentiellement restreint.
[452] Le Tribunal a fait abstraction du témoignage du capitaine Duke sur ce point au motif que ce dernier n’avait pas expliqué comment il était arrivé à ces conclusions : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 124. En fait, le capitaine Duke a expliqué qu’il avait utilisé le logiciel ordinaire d’établissement d’horaires d’Air Canada, désigné certains pilotes comme restreints selon les normes de l’OACI et essayé ensuite de produire des horaires hypothétiques en procédant de la même façon qu’Air Canada génère actuellement ses horaires mensuels réels : notes sténographiques, aux pages 1409 à 1411.
[453] Le Tribunal a également conclu qu’il n’y avait « aucun élément de preuve relatif à la définition d’un horaire de vol nettement moins intéressant ou à la raison pour laquelle il en serait ainsi » : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 125. Cependant, le capitaine Duke avait expliqué dans son témoignage qu’« un horaire de vol nettement moins intéressant » était celui dans le cadre duquel on attribuait à un pilote en chef le service de relève (ou « sur appel ») que l’on attribuerait habituellement à des pilotes de moins d’expérience, par opposition à un bloc prévu et fixe de vols : notes sténographiques, aux pages 1397 et 1398 et 1410 et 1411, et diapositives 16 à 19 de la présentation PowerPoint du capitaine Duke.
[454] Le capitaine Duke a expliqué que c’est l’ancienneté qui détermine la qualité de l’horaire qu’un pilote peut obtenir. Les pilotes de plus d’expérience peuvent effectuer moins de jours de travail par mois (parfois aussi peu que huit) et éviter de travailler les fins de semaine. Des exemples d’horaire de pilote réels et de diverses qualités (reflétant des niveaux divers d’ancienneté) ont été fournis au Tribunal.
[455] Il est vrai qu’un tribunal administratif n’est pas tenu de faire référence à tous les éléments de preuve qui figurent dans le dossier, et l’on présumera qu’il a pris en considération la totalité des preuves qu’il avait en main : voir, par exemple, Hassan v. Minister of Employment and Immigration (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.). Cela dit, plus les éléments de preuve qui ne sont pas expressément mentionnés et analysés dans les motifs du tribunal administratif sont importants, plus une cour de justice sera disposée à inférer que ce tribunal a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait : voir Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 14 à 17.
[456] Le témoignage du capitaine Duke était essentiel à la défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée d’Air Canada. Par ailleurs, dans le cas présent, nous n’avons pas affaire simplement à une situation dans laquelle le Tribunal a omis de faire expressément référence à des éléments de preuve qui sont contraires à ses conclusions. Le Tribunal a plutôt déclaré de façon très catégorique qu’il n’y avait « aucune preuve » sur ces points, ce qui donne lieu à l’inférence inévitable que des éléments importants du témoignage du capitaine Duke ont été laissés de côté.
[457] Le Tribunal a indiqué qu’« aucune explication » n’avait été donnée pour justifier pourquoi il était impossible de produire un horaire de vol quand l’expérience, à Vancouver, passait à 20 p. 100 de capitaines-commandants de bord et à 11 p. 100 de premiers officiers potentiellement restreints : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 127. Cependant, le capitaine Duke a expliqué pourquoi il était impossible de produire un horaire de vol dans ces circonstances : voir les notes sténographiques, aux pages 1411 à 1417. Il était loisible au Tribunal de rejeter cette explication, mais le fait de dire qu’« aucune explication » n’avait été fournie donne une fois de plus à penser que la preuve relative à ce point a été laissée de côté.
[458] Le Tribunal a également conclu que « rien n’établi[ssait] » le coût potentiel que représenterait pour Air Canada le fait d’engager au moins un autre pilote tout en continuant de rémunérer les pilotes de relève aux services desquels elle ne pouvait pas recourir : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 126.
[459] Cependant, Air Canada avait bel et bien fourni des preuves détaillées sur ce qu’il en coûterait pour engager d’autres pilotes afin de s’assurer que l’on répondrait à ses besoins de relève. Le capitaine Duke a déclaré que le salaire et les avantages dont bénéficie en moyenne un pilote d’Air Canada sont de 177 000 $ par année. M. Harlan Clarke, gestionnaire des relations de travail à Air Canada, a expliqué le système de rémunération et les taux correspondants qui s’appliquent aux pilotes d’Air Canada en vertu des clauses de la convention collective conclue entre ce transporteur et l’APAC. M. Clarke a également déclaré que l’on garantit aux pilotes de relève un paiement minimal de 71 heures de rémunération par mois.
[460] Le Tribunal n’a pas expliqué pourquoi « rien n’établissait [ce] coût ». Cet élément de la décision du Tribunal est donc dénué de la transparence et de la responsabilité que requiert une décision raisonnable.
[461] Tout en convenant que l’analyse du Tribunal présentait des problèmes, MM. Vilven et Kelly m’exhortent à conclure que sa conclusion générale — à savoir qu’Air Canada n’avait pas établi le bien-fondé d’une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée — était raisonnable. Ils disent qu’il serait possible d’éliminer tous les problèmes de logistique et de production d’horaires de vol que le capitaine Duke a mentionnés si Air Canada exigeait simplement que tous les pilotes de plus de 60 ans travaillent comme premiers officiers. S’il n’y avait aucun capitaine ou pilote-commandant de bord âgé de plus de 60 ans, disent MM. Vilven et Kelly, la règle des 60 ans ne s’appliquerait jamais.
[462] La difficulté que présente cet argument est que le Tribunal ne l’a pas évoqué comme raison pour rejeter la défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée d’Air Canada. Il a bien parlé de changements qu’il serait possible d’apporter aux fonctions des capitaines et des pilotes-commandants de bord pour régler les problèmes de production d’horaires de vol que pouvait causer le fait de prendre des mesures d’accommodement à l’égard des pilotes âgés de plus de 60 ans, mais dans le contexte de son analyse de la contrainte excessive en rapport avec l’APAC : décision no 2 du Tribunal, aux paragraphes 148 à 151.
[463] Lorsqu’on contrôle une décision par rapport à la norme de la raisonnabilité, il n’appartient pas au tribunal de contrôle de constater les faits, de les apprécier à nouveau ou de substituer sa propre décision à celle du Tribunal : voir l’arrêt Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c. Canada, 2010 CAF 307, [2012] 2 R.C.F. 312, au paragraphe 85. Voir également l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 [cité ci-dessus], au paragraphe 59.
[464] Pour ces motifs, je conclus que l’analyse que le Tribunal a faite de l’exigence professionnelle justifiée était déraisonnable à propos de la capacité d’Air Canada de prendre des mesures d’accommodement à l’égard des pilotes âgés de plus de 60 ans après le mois de novembre 2006. De ce fait, cet aspect de la décision du Tribunal sera infirmé.
[465] Avant de quitter la question de l’exigence professionnelle justifiée, il y a un autre point qu’il faut régler, et il s’agit d’une erreur additionnelle dans l’analyse du Tribunal que MM. Vilven et Kelly ont relevée.
ii) La conclusion du Tribunal au sujet des deux premières conditions du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin
[466] MM. Vilven et Kelly contestent la déclaration du Tribunal selon laquelle ils avaient admis que les deux premières conditions du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin avaient été remplies : décision no 2 du Tribunal, au paragraphe 82. Ils soutiennent n’avoir jamais admis que la disposition en matière de retraite obligatoire qui avait été adoptée dans la convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC avait un lien rationnel avec les fonctions du poste occupé, et que cela a été fait de bonne foi, en croyant cela nécessaire pour atteindre cet objectif relié aux fonctions du poste. En fait, MM. Vilven et Kelly ont avancé un certain nombre d’arguments auprès de la Cour quant à la raison pour laquelle Air Canada n’avait pas satisfait aux deux premiers éléments du critère.
[467] Un examen du dossier révèle que l’avocat de la Commission canadienne des droits de la personne a fait une concession au sujet des deux premières conditions du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin devant le Tribunal : notes sténographiques, à la page 1984. Aucune concession du genre ne semble avoir été faite par M. Vilven ou M. Kelly, ni par la partie intéressée, la Fly Past 60 Coalition.
[468] Les plaignants et la Commission ont le statut de partie distincte devant le Tribunal : voir le paragraphe 50(1) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 27] de la LCDP. Le statut de partie intéressée peut aussi être accordé par le Tribunal à des tierces parties : paragraphe 48.3(10) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27]. La Commission ne représente pas les intérêts des plaignants devant le Tribunal; elle est plutôt mandatée par la loi pour adopter l’attitude « la plus proche, à son avis, de l’intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte » : article 51 [mod., idem]. De ce fait, les concessions que fait la Commission ne lient ni les plaignants ni les parties intéressées.
[469] J’ai déjà tranché que la conclusion du Tribunal au sujet de la question de l’exigence professionnelle justifiée, en rapport avec la période antérieure au mois de novembre 2006, était raisonnable. Par conséquent, toute erreur de la part du Tribunal au sujet des deux premières conditions du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin n’est pas pertinente si elle se rapporte à cette époque.
[470] Cependant, j’ai conclu que l’analyse du Tribunal au sujet de l’exigence professionnelle justifiée, relativement à la période postérieure au mois de novembre 2006, comporte un certain nombre d’erreurs qui font que cet aspect de la décision du Tribunal est déraisonnable.
[471] De ce fait, je renverrai la question de savoir si le fait d’être âgé de moins de 60 ans était une exigence professionnelle justifiée pour les pilotes d’Air Canada après le mois de novembre 2006 aux mêmes membres instructeurs du Tribunal, en prescrivant que la question soit examinée à la lumière des trois conditions du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin.
X. La mesure de réparation
[472] Il y a un différend entre les parties quant à la mesure de réparation que la Cour devrait accorder, au cas où je confirmerais la décision du Tribunal en rapport avec la question relative à la Charte, ce que j’ai fait en définitive.
[473] Peu avant l’audition des présentes demandes de contrôle judiciaire, MM. Vilven et Kelly ont présenté une requête en vue d’obtenir l’autorisation de modifier leur mémoire des faits et du droit. Ils cherchaient à inclure une demande de déclaration portant que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP est incompatible avec la Charte et qu’il est inopérant par application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].
[474] MM. Vilven et Kelly disent que depuis le début des procédures relatives aux droits de la personne, ils ont demandé une ordonnance prescrivant à Air Canada de cesser d’appliquer à tous les pilotes d’Air Canada les dispositions en matière de retraite obligatoire du régime de retraite et de la convention collective.
[475] Il ressort clairement de l’affidavit souscrit à l’appui de la requête que la présentation de la requête de dernière minute des défendeurs était motivée par une autre décision du Tribunal sur la question des mesures de réparation qu’il convenait d’accorder à MM. Vilven et Kelly. Cette décision a été rendue quelques semaines avant le début de l’audition des présentes demandes.
[476] Dans sa décision la plus récente, le Tribunal a refusé d’ordonner à Air Canada et à l’APAC de cesser d’appliquer à tous les pilotes du transporteur les dispositions en matière de retraite obligatoire figurant dans la convention collective et dans le régime de retraite d’Air Canada. De l’avis du Tribunal, MM. Vilven et Kelly cherchaient à obtenir que les mesures de réparation accordées par le Tribunal s’étendent au-delà de leurs propres plaintes particulières.
[477] Citant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, précité, le Tribunal a fait remarquer qu’il n’était pas habilité à formuler une déclaration générale d’invalidité législative. De l’avis du Tribunal, la mesure de réparation qui convenait consistait à annuler la cessation de l’emploi de MM. Vilven et Kelly en ordonnant à Air Canada de cesser d’appliquer à ces deux hommes les dispositions en matière de retraite obligatoire du régime de retraite. Le Tribunal a de plus ordonné que l’on corrige la pratique discriminatoire en ordonnant à Air Canada de réintégrer MM. Vilven et Kelly.
[478] Air Canada et l’APAC s’opposent à la requête au motif que MM. Vilven et Kelly, à titre de défendeurs dans des demandes de contrôle judiciaire, n’ont pas droit au jugement déclaratoire qu’ils souhaitent. Selon les demanderesses, si MM. Vilven et Kelly ont gain de cause dans les demandes, la seule réparation que peut accorder la Cour en vertu de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales est le rejet des demandes.
[479] Les mesures de réparation constitutionnelles que peuvent prendre les tribunaux administratifs (et cela inclut le Tribunal canadien des droits de la personne) sont restreintes. Ces tribunaux ne sont pas habilités à accorder des déclarations générales d’invalidité. La décision d’un tribunal administratif selon laquelle une disposition de sa loi habilitante est invalide au regard de la Charte ne lie pas les décideurs ultérieurs : voir Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, au paragraphe 31.
[480] La Cour a manifestement compétence pour entendre une contestation de nature constitutionnelle dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, ainsi que de rendre un jugement déclaratoire à cet égard. Voir les arrêts Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 341 (C.A.), et Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 3 C.F. 404 (C.A.). Il convient toutefois de signaler que, dans ces deux arrêts, c’était la partie demanderesse qui sollicitait le jugement déclaratoire.
[481] Le pouvoir qu’a la Cour d’accorder un jugement déclaratoire est subordonné au fait qu’il soit tout d’abord conclu que le tribunal administratif en question a commis une erreur de l’une des quatre façons mentionnées au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales. Selon cette disposition, la Cour fédérale peut accorder les mesures prévues (y compris un jugement déclaratoire) si elle est persuadée que l’office fédéral a commis une erreur.
[482] J’ai conclu que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en concluant que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP n’est pas sauvegardé par l’article premier de la Charte. Les pouvoirs de réparation que le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour n’entrent donc pas en jeu. La mesure de réparation appropriée consiste, pour la Cour, à rejeter les demandes de contrôle judiciaire d’Air Canada et de l’APAC dans la mesure où elles se rapportent à la question relative à la Charte.
[483] MM. Vilven et Kelly soutiennent qu’en dépit du libellé de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour a néanmoins le pouvoir d’accorder une déclaration générale d’invalidité en rapport avec l’alinéa 15(1)c) de la LCDP en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon ce paragraphe : « La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. » MM. Vilven et Kelly n’ont cependant pas mentionné une affaire unique dans laquelle un jugement déclaratoire, d’ordre constitutionnel ou d’une autre nature, a été accordé à une partie défenderesse dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.
[484] En présumant, sans toutefois trancher la question, qu’une telle mesure de réparation constitutionnelle peut être accordée à une partie défenderesse dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire comme les présentes, il y a deux raisons pour lesquelles je ne crois pas qu’il est approprié de le faire en l’espèce.
[485] La première est que ce que MM. Vilven et Kelly tentent en réalité de faire est d’attaquer indirectement la décision réparatrice du Tribunal. Je ne suis pas saisie de cette décision. Si les défendeurs sont insatisfaits des mesures de réparation que le Tribunal a accordées, il leur est loisible de demander le contrôle judiciaire de la décision réparatrice du Tribunal.
[486] La seconde raison pour laquelle je refuserais d’accorder une telle mesure de réparation est que, même si le procureur général fédéral et ceux des provinces avaient été au courant que l’on contestait la validité constitutionnelle de l’alinéa 15(1)c) de la LCDP à cause de l’avis de question constitutionnelle signifié par l’APAC, cet avis a été signifié dans le contexte de demandes de contrôle judiciaire déposées par l’APAC et Air Canada, et non pas par MM. Vilven et Kelly.
[487] Dans ces circonstances, je ne crois pas que les procureurs généraux auraient pu raisonnablement anticiper que MM. Vilven et Kelly chercheraient à obtenir une déclaration générale d’invalidité en rapport avec l’alinéa 15(1)c) de la LCDP. Cela est particulièrement vrai au vu du fait que, dans le mémoire des faits et du droit de MM. Vilven et Kelly, rien n’est dit au sujet de l’obtention d’une telle mesure de réparation.
[488] Une déclaration générale d’invalidité est susceptible d’avoir de vastes répercussions pour de nombreux lieux de travail assujettis à la réglementation fédérale. Si les procureurs généraux avaient su que les défendeurs sollicitaient une telle mesure, cela aurait pu fort bien influencer leur décision quant au fait de participer ou non à l’instance. Il est tout à fait possible qu’un ou plusieurs procureurs généraux auraient voulu présenter des observations, soit au sujet de la validité constitutionnelle de la loi en général, soit au sujet du fait de savoir si un jugement déclaratoire devrait prévoir une période de suspension et, si oui, de quelle durée.
[489] En l’absence de toute prétention de préjudice de la part d’Air Canada et de l’APAC par suite de la tardiveté de la requête, j’autoriserais MM. Vilven et Kelly à modifier leur mémoire des faits et du droit en vue de solliciter un jugement déclaratoire. Cependant, pour les motifs indiqués, je refuse d’accorder la mesure de réparation que l’on tente d’obtenir par la modification.
[490] Pour ces motifs, j’ai décidé que la conclusion du Tribunal canadien des droits de la personne selon laquelle l’alinéa 15(1)c) de la LCDP n’est pas une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, comme l’envisage l’article premier de la Charte, est correcte. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de l’APAC est rejetée dans son intégralité. La demande de contrôle judiciaire d’Air Canada est rejetée elle aussi, dans la mesure où elle se rapporte à la question relative à la Charte.
[491] La conclusion du Tribunal selon laquelle Air Canada n’a pas établi que le fait d’être âgé de moins de 60 ans était une exigence professionnelle justifiée pour ses pilotes de ligne à l’époque où il a été mis fin à l’emploi de MM. Vilven et Kelly en 2003 et en 2005, respectivement, est raisonnable. Cependant, la conclusion du Tribunal selon laquelle Air Canada n’a pas établi que l’âge était une exigence professionnelle justifiée pour ses pilotes au vu des normes postérieures au mois de novembre 2006 de l’OACI ne l’est pas.
[492] De ce fait, la demande de contrôle judiciaire d’Air Canada, relativement à la question de l’exigence professionnelle justifiée, sera accueillie en partie. La question de savoir si Air Canada a établi que l’âge était une exigence professionnelle justifiée pour ses pilotes de ligne après le mois de novembre 2006 est renvoyée aux mêmes membres instructeurs du Tribunal, s’ils sont disponibles, afin de rendre une nouvelle décision sur le fondement du dossier existant, et ce, en tenant compte des trois conditions du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin.
XII. Les dépens
[493] Les deux parties ayant eu partiellement gain de cause, chacune devrait assumer les dépens qui lui sont propres.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire de l’APAC est rejetée.
2. La demande de contrôle judiciaire d’Air Canada est rejetée, en rapport avec la question relative à l’article premier de la Charte.
3. La demande de contrôle judiciaire d’Air Canada est accordée en partie, en rapport avec la conclusion du Tribunal selon laquelle Air Canada n’a pas établi que l’âge était une exigence professionnelle justifiée pour ses pilotes.
4. La question de savoir si l’âge était une exigence professionnelle justifiée pour les pilotes d’Air Canada après le mois de novembre 2006 est renvoyée aux mêmes membres instructeurs du Tribunal, s’ils sont disponibles, pour rendre une nouvelle décision conforme aux présents motifs, sur le fondement du dossier existant.
5. Chaque partie assumera les dépens qui lui sont propres.
ANNEXE
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6
3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience. […] |
Motifs de distinction illicite |
7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu; b) de le défavoriser en cours d’emploi. […] |
Emploi |
9. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour une organisation syndicale : a) d’empêcher l’adhésion pleine et entière d’un individu; b) d’expulser ou de suspendre un adhérent; c) d’établir, à l’endroit d’un adhérent ou d’un individu à l’égard de qui elle a des obligations aux termes d’une convention collective, que celui-ci fasse ou non partie de l’organisation, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles soit de le priver de ses chances d’emploi ou d’avancement, soit de limiter ses chances d’emploi ou d’avancement, ou, d’une façon générale, de nuire à sa situation. |
Organisations syndicales |
(2) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) le fait pour une organisation syndicale d’empêcher une adhésion ou d’expulser ou de suspendre un adhérent en appliquant la règle de l’âge normal de la retraite en vigueur pour le genre de poste occupé par l’individu concerné. |
Exception |
10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale : a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite; b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel. […] |
Lignes de conduite discriminatoires |
15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires : a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées; […] c) le fait de mettre fin à l’emploi d’une personne en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur pour ce genre d’emploi; […] |
Exceptions |
(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité. |
Besoin des individus |
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. […] |
Droits et libertés au Canada |
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. |
Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi |