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[2012] 1 R.C.F. 197

A-490-09

2010 CAF 174

La Banque Toronto-Dominion (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Banque Toronto-Dominion c. Canada

Cour d’appel fédérale, juge en chef Blais, juges Noël et Trudel, J.C.A.—Montréal, 9 juin; Ottawa, 30 juin 2010.

Douanes et Accise — Loi sur la taxe d’accise –– Appel contre une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (la C.C.I.) a rejeté l’appel de l’appelante visant une cotisation émise en vertu de l’art. 317 de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi) pour défaut d’obtempérer à une demande formelle de paiement — Une société du Québec devait 12 014,93 $ au ministre du Revenu du Québec — Le ministre a transmis à l’appelante une demande formelle de paiement en vertu des art. 317(1) et (3) de la Loi, mais l’appelante ne s’y est pas conformée — Après que la société a déposé un avis d’intention de faire une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la LFI), l’appelante a reçu un avis de surseoir à la demande formelle de paiement — Le ministre a établi un avis de cotisation à l’égard de l’appelante, mais celle-ci s’y est opposée — Il s’agissait de savoir s’il y avait un conflit entre la demande formelle de paiement en vertu de l’art. 317 de la Loi et la LFI — Les mots « à l’exception de la [LFI] » paraissant à l’art. 317(3) de la Loi ont été interprétés pour résoudre la question en l’espèce — Les pouvoirs prévus aux art. 317(3) de la Loi et 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu lorsqu’exercés validement ont l’effet de transmettre à la Couronne la propriété des sommes visées par la demande formelle de paiement dès sa réception par le tiers saisi — Autant le législateur souhaitait-il que les retenues à la source impayées visées par l’art. 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu soient assujetties à ce pouvoir en tout temps — soit avant ou après la faillite — autant voulait-il que le pouvoir équivalent prévu à l’art. 317(3) de la Loi ne puisse être exercé qu’avant la faillite — Il n’y avait pas de conflit entre l’art. 317(3) de la Loi et la LFI — En l’espèce, la demande formelle de paiement ayant été reçue par l’appelante avant le dépôt de l’avis de surseoir, c’est à bon droit que la C.C.I. a conclu que l’intimée est devenue propriétaire de la somme demandée avant que n’intervienne la faillite, et que donc cette somme ne faisait pas partie du patrimoine du débiteur fiscal lors de la faillite — Appel rejeté.

Interprétation des lois — Une demande formelle de paiement en vertu de l’art. 317(3) de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi) avait été transmise à l’appelante — L’appelante a par la suite reçu du syndic un avis de surseoir à la demande formelle de paiement — Il s’agissait de savoir si l’art. 70(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la LFI) fait en sorte que la cession de biens du débiteur fiscal a préséance sur la demande formelle — Sens à donner aux mots « à l’exception de la [LIF] » paraissant à l’art. 317(3) de la Loi sur la taxe d’accise établi — Contexte législatif et jurisprudentiel entourant l’adoption de l’art. 317(3) de la Loi examiné — Les mots « à l’exception de la [LFI] » n’ont pas été insérés dans l’art. 317(3) dans le but de donner préséance à la LFI en cas de conflit puisqu’aucun conflit ne pouvait être envisagé — La strophe avait pour but d’empêcher l’utilisation du pouvoir de la Couronne prévu à l’art. 317(3) après la faillite.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (la C.C.I.) a rejeté l’appel de l’appelante visant une cotisation émise en vertu de l’article 317 de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi) pour défaut d’obtempérer à une demande formelle de paiement. Une société du Québec devait 12 014,93 $ au ministre du Revenu du Québec (le ministre), qui, en décembre 2007, a transmis à l’appelante une demande formelle de paiement en vertu des paragraphes 317(1) et (3) de la Loi. La société détenait moins de 9 000 $ dans son compte bancaire auprès de l’appelante. Par la suite, la société a déposé un avis d’intention de faire une proposition à ses créanciers en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la LFI). Le syndic à la proposition de la société a transmis à l’appelante un avis de surseoir à la demande formelle de paiement. L’appelante ne s’est pas conformée à la demande formelle de paiement. En avril 2008, le ministre a établi un avis de cotisation à l’égard de l’appelante et celle-ci s’y est opposée. Bien que l’opposition ait été rejetée, la cotisation a été réduite. Une nouvelle cotisation fut établie en septembre 2008.

Devant la C.C.I., l’appelante a fait valoir que puisqu’elle n’avait toujours pas payé le montant réclamé par le ministre lorsqu’elle a reçu l’avis de surseoir, le paragraphe 70(1) de la LFI avait priorité selon les termes mêmes du paragraphe 317(3) de la Loi, rendant caduque toute procédure antérieure de saisie. La C.C.I. a conclu que, suivant le libellé du paragraphe 317(3) de la Loi, il y eût dessaisissement immédiat des sommes visées par la demande formelle de paiement en faveur de la Couronne dès sa réception par l’appelante. Ces sommes ne faisant plus partie du patrimoine de la société au moment du dépôt de l’avis de surseoir émis en vertu de l’article 69 de la LFI, il n’y avait par conséquent pas de conflit avec la LFI et la demande formelle de paiement, qui conserve tous ses effets.

La question litigieuse était celle de savoir si le paragraphe 70(1) de la LFI fait en sorte que la cession de biens du débiteur fiscal a préséance sur la demande formelle du ministre lorsque ce dernier transmet une demande formelle de paiement en vertu du paragraphe 317(3) de la Loi avant le dépôt d’un avis de surseoir émis en vertu de l’article 69 de la LFI et qu’à la date de cet avis le paiement à faire suite à la demande n’a toujours pas été effectué.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le dénouement de l’affaire dépendait du sens à donner aux mots « à l’exception de la [LIF] », tels qu’ils paraissent au paragraphe 317(3) de la Loi. Le contexte législatif et jurisprudentiel entourant l’adoption du paragraphe 317(3) en 1990 et la modification apportée au paragraphe 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu au cours de la même année ont été examinés. Les pouvoirs prévus aux paragraphes 317(3) de la Loi et 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu lorsqu’exercés validement ont tous deux le même effet, soit de transmettre à la Couronne la propriété des sommes visées par la demande formelle de paiement dès sa réception par le tiers saisi. Le législateur fédéral avait à l’esprit le moment où le pouvoir transmissif de propriété de la Couronne peut être exercé lorsqu’il a prévu, dans le cas du paragraphe 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qu’il a ses effets « [m]algré […] la [LFI] », et dans le cas du paragraphe 317(3) de la Loi, « à l’exception de la [LFI] ». Autant le législateur souhaitait-il que les retenues à la source impayées visées par le paragraphe 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu soient assujetties à ce pouvoir en tout temps — soit avant ou après la faillite — autant voulait-il que le pouvoir équivalent prévu au paragraphe 317(3) ne puisse être exercé qu’avant la faillite. Les mots « à l’exception de la [LFI] » n’ont pas été insérés dans le paragraphe 317(3) dans le but de donner préséance à la LFI en cas de conflit puisqu’aucun conflit ne pouvait être envisagé. La strophe avait pour but d’empêcher l’utilisation du pouvoir prévu au paragraphe 317(3) après la faillite. Le pouvoir qui y est prévu est, du fait qu’il ne peut être exercé après la faillite, conforme à l’esprit des modifications apportées à la LFI en 1992 selon lesquelles seules les retenues à la source revêtaient un caractère spécial et conservaient leur nature prioritaire malgré la faillite.

En l’espèce, la demande formelle de paiement ayant été reçue par l’appelante avant le dépôt de l’avis de surseoir, c’est à bon droit que la C.C.I. a conclu que la Couronne est devenue propriétaire de la somme demandée avant que n’intervienne la faillite, et que donc cette somme ne faisait pas partie du patrimoine du débiteur fiscal lors de la faillite.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 224(1.2) (mod. par L.C. 2007, ch. 36, art. 108).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 224(1.2) (édicté par L.C. 1987, ch. 46, art. 66; 1990, ch. 34, art. 1).

Loi modifiant la Loi sur la faillite et la Loi de l’impôt sur le revenu en conséquence, L.C. 1992, ch. 27.

Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 1.

Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 1 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2), art. 67(1)a), (2) (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 33), (3) (mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 250), 69 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 36; 1997, ch. 12, art. 62; 2000, ch. 30, art. 145; 2005, ch. 3, art. 12; ch. 47, art. 60; 2007, ch. 36, art. 34; 2009, ch. 33, art. 23), 70 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 37; 2004, ch. 25, art. 44; 2005, ch. 47, art. 63(A)), 86(1) (mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 73), (3) (mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 148; 2009, ch. 33, art. 25).

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 222, (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 87; 2000, ch. 30, art. 50), 317 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1992, ch. 27, art. 90; 1993, ch. 27, art. 133; 2000, ch. 30, art. 95).

Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q., ch. M-31, art. 15.3.1, 20.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto-Dominion c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963.

décisions examinées :

Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Service de garantie Québec inc. (Syndic de), 2009 QCCA 409, [2009] R.J.Q. 597; Wa-Bowden Real Estate Reports Ltd. c. Canada, [1997] A.C.I. no 582 (QL); Absolute Bailiffs Inc. c. La Reine, 2002 CanLII 46972 (C.C.I.); Bank of Montreal v. Canada (Attorney General) (2003), 66 O.R. (3d) 161, 229 D.L.R. (4th) 402, 48 C.B.R. (4th) 173 (C.A.); Giguère (Syndic de), [2001] R.J.Q. 2584 (C.A.); Forget (Syndic de) c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2003 CanLII 18072 (C.S. Qué.); Québec (Revenu) c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, 2009 CSC 49, [2009] 3 R.C.S. 286.

décisions citées :

Encor Energy Corp. v. Slaferek’s Oilfield Services (1983) Ltd. (Receiver of) (1994), 34 C.B.R. (3d) 284, [1995] G.S.T.C. 54 (C.A. Sask.); Canoe Cove Manufacturing Ltd. (Re), [1994] 6 W.W.R. 598, (1994), 90 B.C.L.R. (2d) 370, 25 C.B.R. (3d) 260 (C. supr. C.-B.).

DOCTRINE CITÉE

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.

  APPEL à l’encontre d’une décision (2009 CCI 522) par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel de l’appelante visant une cotisation émise en vertu de l’article 317 de la Loi sur la taxe d’accise pour défaut d’obtempérer à une demande formelle de paiement. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Éric Potvin et André Rousseau pour l’appelante.

Christian Boutin pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, S.E.N.C.R.L., Montréal, pour l’appelante.

Le ministère du Revenu du Québec pour l’intimée.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]        Le juge Noël, J.C.A. : Il s’agit d’un appel dirigé à l’encontre d’une décision rendue par le juge Angers de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la C.C.I.), 2009 CCI 522, rejetant l’appel de la Banque Toronto-Dominion (l’appelante) à l’encontre d’une cotisation émise en vertu de l’article 317 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1992, ch. 27, art. 90; 1993, ch. 27, art. 133; 2000, ch. 30, art. 95] de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la LTA) pour défaut d’obtempérer à une demande formelle de paiement.

[2]        Le litige se situe au cœur d’un conflit jurisprudentiel impliquant la Cour d’appel du Québec et certains tribunaux des provinces de common law, notamment la Cour d’appel de l’Ontario, quant à l’opposabilité face aux syndics et aux créanciers garantis de demandes formelles de paiement (aussi appelées avis de saisie-arrêt en main tierce) signifiées avant la faillite du débiteur fiscal mais non réglées lors de son déclenchement.

[3]        En l'occurrence, le juge de la C.C.I. s’en est remis aux décisions rendues par les Cours de l’Ontario, de la Saskatchewan, de la Colombie-Britannique et de sa propre Cour pour conclure que, suivant le libellé du paragraphe 317(3) de la LTA, il y eût dessaisissement immédiat des sommes visées par la demande formelle de paiement en faveur de la Couronne dès sa réception par l’appelante. Ces sommes ne faisant plus partie du patrimoine du débiteur fiscal au moment du dépôt de l’avis de surseoir émis en vertu de l’article 69 [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 36; 1997, ch. 12, art. 62; 2000, ch. 30, art. 145; 2005, ch. 3, art. 12; ch. 47, art. 60; 2007, ch. 36, art. 34; 2009, ch. 33, art. 23] de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 [art. 1 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2)] (la LFI), il n’y a par conséquent pas de conflit avec la LFI et la demande formelle de paiement, laquelle conserve tous ses effets.

[4]        L’appelante se fonde principalement sur la décision de la Cour d’appel du Québec dans Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Service de garantie Québec inc. (Syndic de), 2009 QCCA 409, [2009] R.J.Q. 597 (De Courval), interprétant des dispositions analogues de la Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q., ch. M-31 (la LMR), et prétend que le dessaisissement en faveur de la Couronne était sujet à l’article 70 [mod. par S.C. 1992, ch. 27, art. 37; 2004, ch. 25, art. 44; 2005, ch. 47, art. 63(A)] de la LFI, qu’il y a donc conflit et que, selon les termes mêmes du paragraphe 317(3), la LFI a préséance.

[5]        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel doit être rejeté.

FAITS PERTINENTS

[6]        Les faits sont forts simples. Chacune des parties adopte aux fins du présent appel le sommaire qu’en a fait le juge de la C.C.I. (motifs, paragraphe 1) :

a)  la Société 9161-3505 Québec inc. (ci-après 9161) ayant une dette de 12 014,93 $ envers l’intimée, le ministre du Revenu du Québec (le [m]inistre), par l’entremise d'un de ses fonctionnaires autorisés, a transmis à l'appelante le 11 décembre 2007 une demande formelle de paiement en vertu des paragraphes 317(1) et (3) de la [LTA];

b) au moment où le Ministre a transmis la demande formelle de paiement à l’appelante, elle détenait une somme de 8 868,19 $ appartenant à 9161;

c)    le 24 décembre 2007, 9161 a déposé un avis d’intention de faire une proposition à ses créanciers en vertu de la [LFI];

d) le 24 décembre 2007, le syndic à la proposition de 9161 a transmis à l’appelante, en vertu de la LFI, un avis de surseoir à la demande formelle de paiement;

e) l’appelante ne s’est pas conformée à la demande formelle de paiement du 11 décembre 2007 au 24 décembre 2007 alors que le compte bancaire de 9161 affichait un solde positif de 8 868,19 $;

f)   le 9 avril 2008, le Ministre a établi un avis de cotisation à l’égard de l’appelante pour 6 000,22 $ en vertu de l’article 317 de la [LTA] et, le 22 avril 2008, l’appelante s’y est opposée;

g) le ou vers le 21 octobre 2008, l’agent d’opposition a rejeté l’opposition mais a recommandé que la somme visée par la cotisation soit réduite à 2 867,97 $ en raison du fait que le montant de 6 000,22 $ exigé avait déjà été cotisé en vertu des articles 15.5 et 15.6 de la [LTA] sur le ministère du Revenu du Québec alors que le solde positif au compte bancaire n’était que de 8 868,19 $, ne laissant ainsi que 2 867,97 $ dans le compte;

h) une nouvelle cotisation fut donc établie le 26 septembre 2008 et elle fait l’objet du présent appel.

[7]        Tant au stade de l’opposition que devant la C.C.I., l’appelante a fait valoir que puisqu’elle n’avait toujours pas payé le montant réclamé par le ministre lorsqu’elle a reçu l’avis de surseoir, le paragraphe 70(1) de la LFI a priorité selon les termes mêmes du paragraphe 317(3) de la LTA et rend caduque toute procédure antérieure de saisie (dossier d’appel, pages 18 et 66).

CADRE LÉGISLATIF

[8]        Le paragraphe 317(3) de la LTA tel qu’applicable lors de la période en cause se lit comme suit :

317. […]

(3) Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout texte législatif fédéral à l’exception de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, tout texte législatif provincial et toute règle de droit, si le ministre sait ou soupçonne qu’une personne est ou deviendra, dans les douze mois, débitrice d’une somme à un débiteur fiscal, ou à un créancier garanti qui, grâce à un droit en garantie en sa faveur, a le droit de recevoir la somme autrement payable au débiteur fiscal, il peut, par avis écrit, obliger la personne à verser au receveur général tout ou partie de cette somme, immédiatement si la somme est alors payable, sinon dès qu’elle le devient, au titre du montant dont le débiteur fiscal est redevable selon la présente partie. Sur réception par la personne de l’avis, la somme qui y est indiquée comme devant être versée devient, malgré tout autre droit en garantie au titre de cette somme, la propriété de Sa Majesté du chef du Canada, jusqu’à concurrence du montant dont le débiteur fiscal est ainsi redevable selon la cotisation du ministre, et doit être versée au receveur général par priorité sur tout autre droit en garantie au titre de cette somme. [Je souligne.]

Saisie-arrêt

[9]        La personne qui fait défaut de remettre le montant exigé devient elle-même redevable de ce montant (paragraphe 317(7) de la LTA).

[10]      Le paragraphe 317(3) de la LTA, tel que cité, demeure essentiellement inchangé depuis son introduction en 1990 (L.C. 1990, ch. 45). Les seuls changements qui ont eu lieu depuis sont : le remplacement des mots « nonobstant » et « nothwithstanding » tels qu’ils apparaissaient dans la version originale par les mots « malgré » et « despite »; la modification dans le même texte du mode de communication de la demande (c.-à-d. avis écrit plutôt que lettre recommandée); et la référence à la LFI plutôt que la Loi sur la faillite [L.R.C. (1985), ch. B-3], selon la nouvelle nomenclature adoptée en 1992.

[11]      Les dispositions équivalentes de la LMR sont les suivantes :

15. Le ministre peut, par avis signifié ou transmis par courrier recommandé, exiger d'une personne qui, en vertu d'une obligation existante, est ou sera tenue de faire un paiement à une personne qui est redevable d'un montant exigible en vertu d'une loi fiscale, qu'elle lui verse, à l'acquit de son créancier, la totalité ou une partie du montant qu'elle a ou aura à payer à ce dernier et ce, au moment où ce montant devient payable au créancier.

[…]

15.3.1. Sur réception d'un avis du ministre signifié ou transmis par courrier recommandé, le montant qui y est indiqué comme devant lui être versé devient la propriété de l'État et doit lui être remis par priorité sur toute autre sûreté donnée à l'égard de ce montant. [Je souligne.]

[12]      Il est aussi utile de reproduire le paragraphe 224(1.2) [édicté par L.C. 1987, ch. 46, art. 66; 1990, ch. 34, art. 1] de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63 (LIR) tel qu’amendé en 1990 (L.C. 1990, ch. 34, paragraphes 1(2) et (3)), année qui coïncide avec celle de l’introduction du paragraphe 317(3) de la LTA (précité) :

224. […]

(1.2) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi et nonobstant la Loi sur la faillite, tout autre texte législatif fédéral, tout texte législatif provincial et toute règle de droit, s'il sait ou soupçonne qu'une personne donnée est ou deviendra, dans les 90 jours, débiteur d'une somme

a) soit à un débiteur fiscal, à savoir une personne redevable d'un montant cotisé en application du paragraphe 227(10.1) ou d'une disposition semblable,

b) soit à un créancier garanti, à savoir une personne qui, grâce à une garantie en sa faveur, a le droit de recevoir la somme autrement payable au débiteur fiscal,

le ministre peut, par lettre recommandée ou signifiée à personne, obliger la personne donnée à payer au receveur général tout ou partie de cette somme, sans délai si la somme est payable immédiatement, sinon dès qu'elle devient payable, au titre du montant cotisé en application du paragraphe 227(10.1) ou d'une disposition semblable dont le débiteur fiscal est redevable. Sur réception de la lettre par la personne donnée, la somme qui y est indiquée comme devant être payée devient, nonobstant toute autre garantie au titre de cette somme, la propriété de Sa Majesté et doit être payée au receveur général par priorité sur toute autre garantie au titre de cette somme. [Je souligne.]

[Saisie-arrêt]

[13]      Avant cet amendement [L.C. 1987, ch. 46, art. 66], le texte qui suivait l’alinéa 224(1.2)b) se lisait comme suit :

224. […]

(1.2) […]

le ministre peut, par lettre recommandée ou signifiée à personne, obliger la personne donnée à payer au receveur général tout ou partie de cette somme, sans délai si la somme est payable immédiatement, sinon dès qu’elle devient payable, au titre du montant cotisé en application du paragraphe 227(10.1) ou d’une disposition semblable dont le débiteur fiscal est redevable.

[Saisie-arrêt]

[14]      Le paragraphe 224(1.2) [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (mod. par L.C. 2007, ch. 36, art. 108)], dans son libellé actuel, demeure essentiellement le même qu’en 1990. Je souligne, par souci de ne rien oublier, la substitution du mot « nonobstant » au tout début du texte français ainsi que dans le paragraphe final, par le mot « malgré » en 1994. Par ailleurs, le mot « notwithstanding » dans le texte anglais est demeuré inchangé. Je ne crois pas que l’on puisse voir dans ce changement une intention de modifier le sens de cette disposition.

[15]      Le paragraphe 70(1) de la LFI qui est au centre de la controverse se lit comme suit :

70. (1) Toute ordonnance de faillite rendue et toute cession faite en conformité avec la présente loi ont priorité sur toutes saisies, saisies-arrêts, certificats ayant l’effet de jugements, jugements, certificats de jugements, hypothèques légales résultant d’un jugement, procédures d'exécution ou autres procédures contre les biens d’un failli, sauf ceux qui ont été complètement réglés par paiement au créancier ou à son représentant, et sauf les droits d’un créancier garanti. [Je souligne.]

Priorité des ordonnances de faillite et cessions

[16]      Cette disposition demeure inchangée depuis son adoption en 1985 (L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 1).

[17]      Les paragraphes 67(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 33] et (3) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 250] ainsi que 86(1) [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 73] et (3) [mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 148; 2009, ch. 33, art. 25] de la LFI sont aussi pertinents à l’analyse:

67. […]

(2) Sous réserve du paragraphe (3) et par dérogation à toute disposition législative fédérale ou provinciale ayant pour effet d’assimiler certains biens à des biens détenus en fiducie pour Sa Majesté, aucun des biens du failli ne peut, pour l’application de l’alinéa (1)a), être considéré comme détenu en fiducie pour Sa Majesté si, en l’absence de la disposition législative en question, il ne le serait pas.

Fiducies présumées

(3) Le paragraphe (2) ne s’applique pas à l’égard des montants réputés détenus en fiducie aux termes des paragraphes 227(4) ou (4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, des paragraphes 23(3) ou (4) du Régime de pensions du Canada ou des paragraphes 86(2) ou (2.1) de la Loi sur l’assurance-emploi (chacun étant appelé « disposition fédérale » au présent paragraphe) ou à l’égard des montants réputés détenus en fiducie aux termes de toute loi d’une province créant une fiducie présumée dans le seul but d’assurer à Sa Majesté du chef de cette province la remise de sommes déduites ou retenues aux termes d’une loi de cette province, dans la mesure où, dans ce dernier cas, se réalise l’une des conditions suivantes :

[…]

Exceptions

86. (1) Dans le cadre d’une faillite ou d’une proposition, les réclamations prouvables — y compris les réclamations garanties — de Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province ou d’un organisme compétent au titre d’une loi sur les accidents du travail prennent rang comme réclamations non garanties.

[…]

Réclamations de la Couronne

(3) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet de porter atteinte à l’application des dispositions suivantes :

a) les paragraphes 224(1.2) et (1.3) de la Loi de l’impôt sur le revenu;

b) toute disposition du Régime de pensions du Canada ou de la Loi sur l’assurance-emploi qui renvoie au paragraphe 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu et qui prévoit la perception d’une cotisation, au sens du Régime de pensions du Canada, d’une cotisation ouvrière ou d’une cotisation patronale, au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, ou d’une cotisation prévue par la partie VII.1 de cette loi et des intérêts, pénalités ou autres montants y afférents; [Je souligne.]

Effet

LA DÉCISION DU JUGE DE LA C.C.I.

[18]      Après avoir résumé les faits, le juge de la C.C.I. identifie de nombreuses questions qu’il considère pertinentes à son analyse, dont la suivante (motifs, paragraphe 2) :

Y-a-t-il eu un transfert de propriété de cet argent […] suite […] [à la demande formelle de paiement] et, si oui, est-ce que l'avis de surseoir annule le droit de propriété?

[19]      Le juge de la C.C.I. revoit dans un premier temps les décisions rendues par sa propre Cour dans Wa-Bowden Real Estate Reports Ltd. c. Canada, [1997] A.C.I. no 582 (QL) (Wa-Bowden); et Absolute Bailiffs Inc. c. La Reine, 2002 CanLII 46972, lesquelles soutiennent le point de vue selon lequel le paragraphe 317(3) de la LTA a pour effet de conférer la propriété entière des sommes visées par une demande formelle de paiement à la Couronne dès sa réception par le tiers saisi (motifs, paragraphes 4 à 6).

[20]      Le juge de la C.C.I. aborde aussi les décisions de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Saskatchewan dans Bank of Montreal v. Canada (Attorney General) (2003), 66 O.R. (3d) 161 (Bank of Montreal); et Encor Energy Corp. v. Slaferek’s Oilfield Services (1983) Ltd. (Receiver of) (1994), 34 C.B.R. (3d) 284, ainsi que celle de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Canoe Cove Manufacturing Ltd. (Re), [1994] 6 W.W.R. 598, lesquelles vont toutes dans le même sens (motifs, paragraphes 7 à 12).

[21]      Dans un troisième temps, le juge de la C.C.I. aborde les décisions issues du Québec, notamment Giguère (Syndic de), [2001] R.J.Q. 2584 (C.A.); Forget (Syndic de) c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2003 CanLII 18072 (C.S.); et De Courval (motifs, paragraphes 16 à 19). Selon celles-ci, le paragraphe 317(3) de la LTA — de même que les dispositions correspondantes de la LMR — donnent préséance à la LFI en cas de conflit. En l’occurrence, puisque les montants assujettis à la demande formelle de paiement n’étaient pas entièrement réglés au moment de la faillite, il y aurait conflit avec le paragraphe 70(1) de la LFI.

[22]      Le juge de la C.C.I. refuse de suivre la tendance jurisprudentielle québécoise. Selon lui, l’on doit tenir compte de la décision de la Cour suprême dans Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto Dominion c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963 (Alberta), selon laquelle l’intention du législateur, en promulguant le paragraphe 317(3), était de créer un droit de saisie-arrêt supérieur opposable à tous (motifs, paragraphes 20 à 25).

[23]      Le juge de la C.C.I. conclut son analyse comme suit (motifs, paragraphe 27) :

Nonobstant le fait que le paragraphe 317(3) de la LTA exclut l'application de tout texte législatif fédéral, provincial ou autre, à l'exception de la LFI, qui pourrait avoir une incidence sur l'application du paragraphe 317(3), il n'en demeure pas moins que son application en l'espèce ne contrevient pas aux dispositions de la LFI, particulièrement au paragraphe 70(1) de la LFI, qui ne s'applique qu'aux biens d'un failli. Or, les biens du débiteur fiscal en l'espèce sont devenus la propriété de Sa Majesté la Reine au moment de l'envoi de l'avis prévu au paragraphe 317(3) de la LTA, soit avant la présentation de la proposition concordataire aux créanciers.

POSITION DES PARTIES

[24]      L’appelante s’en remet à l’interprétation retenue par les tribunaux québécois, en particulier aux motifs de la Cour d’appel dans l’arrêt De Courval lesquels comportent l’analyse la plus complète et exhaustive sur le sujet. Elle soutient que le paragraphe 70(1) de la LFI fait échec aux effets du paragraphe 317(3) de la LTA car, selon ses termes, seules les procédures d’exécution qui ne sont pas entièrement réglées par paiement échappent à la faillite. Puisqu’en l’occurrence cette condition n’était pas remplie au moment du dépôt de l’avis de surseoir et puisque le paragraphe 317(3) de la LTA donne priorité à la LFI en cas de conflit, le paragraphe 70(1) de la LFI s’applique.

[25]      Selon l’appelante, la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Québec (Revenu) c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, [2009] CSC 49, [2009] 3 R.C.S. 286 (Caisse de Montmagny), confirme le bien-fondé de ce résultat. L’appelante souligne en particulier la conclusion maîtresse selon laquelle les fiducies réputées portant sur la TPS et la TVQ impayées prennent fin au moment de la faillite. La Cour écarte ainsi l’argument du fisc selon lequel ces sommes ne pouvaient en aucun moment avoir fait partie du patrimoine du failli, et donc de l'ensemble des biens destinés à être liquidés conformément au régime de collocation établi par la LFI (Caisse de Montmagny, paragraphes 18 et 28).

[26]      L’intimée pour sa part reconnaît d’emblée que toute fiducie réputée portant sur la TPS impayée par 9161 (la débitrice fiscale) a nécessairement pris fin lors de la faillite. Elle prétend cependant que ceci n’affecte en rien l’opération de la mesure de recouvrement prévue au paragraphe 317(3) de la LTA, laquelle n’était pas en jeu dans l’arrêt Caisse de Montmagny.

[27]      Selon l’intimée, il est bien établi depuis la décision de la Cour suprême dans Alberta que le paragraphe 317(3) de la LTA, tout comme le paragraphe 224(1.2) de la LIR, a un effet translatif de propriété, lequel s’opère dès réception de la demande formelle de paiement par le tiers saisi. Dans le cas sous étude, la demande formelle de paiement a été reçue par l’appelante avant le dépôt de l’avis de surseoir.

[28]      Toujours selon l’intimée, le raisonnement de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt De Courval est fondé sur une mauvaise interprétation de la strophe « à l’exception de la [LFI] » qui apparaît au paragraphe 317(3) de la LTA. Ces mots n’ont pas pour effet de donner préséance à la LFI en cas de conflit, mais bien de circonscrire dans le temps l’exercice du pouvoir conféré au ministre (Bank of Montreal, paragraphe 14). Ainsi, le ministre ne peut recourir à ce pouvoir après le déclenchement de la faillite. Puisqu’en l’occurrence le pouvoir fut exercé avant la faillite, il conserve tous ses effets.

ANALYSE

[29]      La question en litige est la suivante : Lorsque le ministre transmet une demande formelle de paiement en vertu du paragraphe 317(3) de la LTA avant le dépôt d’un avis de surseoir émis en vertu de l’article 69 de la LFI, et qu’à la date dudit avis, le paiement à faire suite à la demande n’a toujours pas été effectué (en totalité ou en partie), le paragraphe 70(1) de la LFI fait-il en sorte que la cession de biens du débiteur fiscal a préséance sur la demande formelle du ministre?

[30]      La réponse à cette question dépend du sens à donner aux mots « à l’exception de la [LFI] » (dans le texte anglais « other than the [BIA] ») tels qu’ils apparaissent au paragraphe 317(3) de la LTA.

[31]      L’appelante prétend, disant s’en remettre au sens normal des mots, que cette strophe fait en sorte que le paragraphe 317(3) a ses effets malgré tout autre texte législatif, sauf la LFI. C’est donc que si une disposition quelconque de la LFI a pour effet de contrer l’opération du paragraphe 317(3), elle a préséance.

[32]      L’intimée par contre est d’avis que la strophe a pour effet de circonscrire l’exercice du pouvoir du ministre dans le temps en empêchant son exercice après la mise en œuvre de la LFI. Puisqu’en l’occurrence la demande fut signifiée avant le dépôt de l’avis de surseoir, le pouvoir a été validement exercé.

[33]      La question ainsi posée en est une de pure interprétation statutaire. Ainsi est-il nécessaire de rappeler que les dispositions de tout texte législatif, incluant les lois de nature fiscale, doivent être interprétées selon leur contexte et leur cadre juridique d’ensemble (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008, page 276)).

[34]      Avant d’aborder cette question, il y a lieu de se pencher sur la décision de la Cour d’appel du Québec dans De Courval sur laquelle l’appelante a consacré toute sa plaidoirie. Les faits qui sous-tendent cette décision sont semblables à ceux ici en cause sauf quant à la nature des taxes impayées (taxe de vente du Québec ou TVQ) et la loi selon laquelle la demande formelle de paiement fut transmise (la LMR).

[35]      Dans cette affaire le sous-ministre du Revenu (le sous-ministre) a fait valoir que les taxes impayées faisaient partie de la fiducie réputée créée en faveur de l’État; que cette fiducie n’était pas affectée par la faillite; et que la demande formelle de paiement émise en vertu de la disposition équivalente au paragraphe 317(3) de la LTA avait pour effet de cristalliser un droit de propriété déjà existant. En effet, selon le sous-ministre, la fiducie réputée faisait en sorte que les taxes impayées (ou les sommes y tenant lieu) ne pouvaient en aucun moment avoir fait partie du patrimoine du failli (De Courval, paragraphes 13 et 14).

[36]      Anticipant avec justesse la décision de la Cour suprême dans Caisse de Montmagny, la Cour d’appel a rejeté l’argument selon lequel la fiducie réputée avait ses effets malgré la faillite (De Courval, paragraphes 28 à 32). En effet, comme l’a confirmé la Cour suprême (Caisse de Montmagny, paragraphes 12 à 29) depuis la réforme de 1992 (la Loi modifiant la Loi sur la faillite et la Loi de l’impôt sur le revenu en conséquence, L.C. 1992, ch. 27), les fiducies réputées établies à l’égard de la TPS et TVQ perçues, mais non remises ou percevables, en vertu de l’article 222 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 87; 2000, ch. 30, art. 50] de la LTA et l’article 20 de la LMR, prennent fin au moment de la faillite (paragraphe 67(2) de la LFI)). Ce traitement se distingue de celui réservé aux fiducies réputées relatives aux retenues à la source en vertu de la LIR, d’un régime de pension général ou du régime fédéral d’assurance-emploi lesquelles survivent à la faillite (paragraphe 67(3) de la LFI).

[37]      La Cour d’appel s’est ensuite penchée sur l’argument selon lequel l’article 15.3.1. de la LMR (la disposition équivalente à cette partie du paragraphe 317(3) de la LTA qui prévoit que la somme réclamée « devient » la propriété de la Couronne) avait de toute façon opéré un transfert complet de propriété en faveur de l’État avant la faillite (De Courval, paragraphes 35 à 37). Selon la Cour d’appel, la décision de la Cour suprême dans Alberta, qui donne au paragraphe 317(3) de la LTA cet effet, se distingue parce que d’une part, l’article 70 de la LFI n’était pas en cause, et d’autre part les faits de l’arrêt Alberta sont survenus avant l’entrée en vigueur de la réforme de 1992 (De Courval, paragraphe 36). La Cour d’appel écarte aussi la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Bank of Montreal (De Courval, paragraphes 38 et 39) invoquant, entre autres, le fait que cette décision s’appuie sur la décision de la Cour suprême dans Alberta, laquelle ne fait plus jurisprudence.

[38]      Consciente du traitement différent que la réforme de 1992 réserve aux retenues à la source, la Cour d’appel met l’accent sur le paragraphe 224(1.2) de la LIR qui vise à faciliter le recouvrement de ces retenues en cas de défaut. Contrairement au paragraphe 317(3) de la LTA, cette disposition s’applique malgré la LFI et donc, malgré le paragraphe 70(1) de cette loi (De Courval, paragraphe 37).

[39]      Selon le raisonnement de la Cour d’appel, le droit de propriété que confère le paragraphe 317(3) de la LTA (ainsi que l’article 15.3.1 de la LMR) a tous ses effets, sujet à ce que le débiteur fiscal ne fasse pas faillite et le cas échéant, que le montant assujetti à la demande formelle de paiement soit réglé en entier avant la faillite. Autrement, le paragraphe 70(1) de la LFI a préséance.

[40]      La Cour d’appel tire cette conclusion à la toute fin de ses motifs (De Courval, paragraphe 45) :

[…] puisque l'avis de l'article 15 LMR est une « autre procédure» au sens de l'article 70 LFI, il est nécessaire, pour que la LFI n'ait pas priorité, que le paiement ait été complété avant la date de la faillite. En l'espèce, un tel paiement n'avait pas eu lieu et les montants dus au ministre se trouvaient dans une fiducie présumée à la date de la faillite. En outre, ils étaient détenus avec d'autres sommes de diverses provenances; il n'y avait donc pas de fiducie réelle. En conséquence, le paragraphe 67(2) LFI trouve application et les sommes détenues par la Banque sont des biens de la débitrice faillie. [Note en bas de page omise.]

[41]      L’opinion ainsi exprimée qui découle de l’analyse que fait la Cour d’appel du paragraphe 317(3) de la LTA repose entièrement sur la prémisse selon laquelle la strophe qui y apparaît (« à l’exception de la [LFI] ») a pour effet de donner priorité à cette loi, en cas de conflit. Cette prémisse est tenue pour acquise sans discussion. Même si la Cour d’appel dans ses motifs analyse et distingue sous plusieurs aspects la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Bank of Montreal, elle ne traite pas de la conclusion suivante (Bank of Montreal, paragraphe 14) :

[traduction] L’appelante soutient que, suivant le [paragraphe] 70(1) de la LFI, une ordonnance de séquestre a priorité sur la saisie-arrêt qui n’a pas été complètement réglée par paiement parce que le [paragraphe] 317(3) de la LTA s’applique sous réserve de la LFI. Autrement, dit l’appelante, la cour ne donnerait pas effet aux mots « à l’exception de la LFI ». Or les mots « à l’exception de la LFI » ont un autre sens que celui que propose l’interprétation de l’appelante. Ils signifient que tout paiement de [taxes sur les biens et services (TPS)] qui devient exigible après qu’une ordonnance de séquestre a été rendue ne peut plus être perçu à titre prioritaire sur les autres créanciers. [Je souligne.]

[42]      Cette interprétation des mots « à l’exception de la [LFI] » n’est pas nouvelle. Elle avait été énoncée notamment par le juge Sarchuk de la Cour canadienne de l’impôt dans la décision Wa-Bowden (paragraphe 5) :

Le paragraphe 317(3) précise en outre que l'application de cette disposition est assujettie à la [LFI]. Cette disposition a été interprétée dans un certain nombre de cas comme signifiant que, lorsqu'une somme est, avant la date de la faillite, due immédiatement, cette somme est assujettie à l'application de la Loi, mais, lorsque l'ordre de payer est signifié après la date de la faillite ou lorsque la somme en cause n'était pas, avant la date de la faillite, due immédiatement, tout argent autrement payable dans ces deux derniers cas n'est pas disponible pour l'intimée. [Note en bas de page omise; je souligne.]

Retenant cette interprétation, le juge Sarchuk conclut que les sommes assujetties à la demande formelle de paiement sont devenues la propriété de la Couronne dès sa réception par le tiers saisi, et donc n’étaient plus la propriété du débiteur fiscal lors de la faillite qui est intervenue par la suite (Wa-Bowden, paragraphe 6).

[43]      La question entourant l’interprétation des mots « à l’exception de la [LFI] » est donc entière.

[44]      L’interprétation proposée par l’appelante selon laquelle ces mots donnent priorité à la LFI en cas de conflit semble, de prime abord, découler du sens naturel des mots.

[45]      L’intimée nous invite cependant à considérer le contexte législatif et jurisprudentiel entourant l’adoption du paragraphe 317(3) en 1990 et la modification qui fut apportée au paragraphe 224(1.2) de la LIR au cours de la même année, dont le but était de confirmer, une fois pour toutes, l’existence du droit de propriété de la Couronne sur les montants assujettis à une demande formelle de paiement. Sous cet aspect, la décision de la Cour suprême dans l’affaire Alberta revêt un intérêt particulier en ce qu’elle permet de cerner avec précision l’état du droit en 1990, lorsque ces dispositions furent adoptées.

[46]      Dans cette affaire, la Cour suprême s’est penchée sur l’historique législatif entourant les paragraphes 224(1.2) de la LIR et 317(3) de la LTA, et en particulier sur les tentatives du législateur fédéral, jusqu’alors infructueuses, de conférer à l’État un droit de propriété opposable à tous (Alberta, paragraphes 11 à 14). Tant le juge Cory, pour la majorité, que le juge Major, dissident (mais non sur ce point), se sont dits d’opinion que le libellé du paragraphe 224(1.2) de la LIR, tel que modifié en 1990, était suffisamment clair pour donner à l’État le droit de propriété qui était recherché (le texte modifié et celui qu’il remplaçait sont reproduits aux paragraphes 12 et 13, ci-haut). Les deux juges se sont aussi dits d’avis que les paragraphes 224(1.2) de la LIR et 317(3) de la LTA étaient sous cet aspect, identiques (Alberta, paragraphe 1, le juge Cory; et paragraphe 58, le juge Major). Notamment, chacun prévoyait que la somme réclamée « devient » la propriété de Sa Majesté sur réception de la demande.

[47]      Le juge Major, après avoir précisé qu’il concentrait son analyse sur le paragraphe 224(1.2) de la LIR plutôt que sur le paragraphe 317(3) de la LTA « [p]our plus de facilité » (idem), s’exprime comme suit (Alberta, paragraphes 65, 66 et 69) :

Afin de remédier, semble-t-il, aux courants de jurisprudence contradictoires quant à savoir si le par. 224(1.2) était suffisant pour accorder la priorité au MRN, le Parlement a modifié ce paragraphe en 1990 en ajoutant le passage suivant à la fin:

 Sur réception de la lettre [le bref de saisie-arrêt] par la personne donnée, la somme qui y est indiquée comme devant être payée devient, nonobstant toute autre garantie au titre de cette somme, la propriété de Sa Majesté et doit être payée au receveur général par priorité sur toute autre garantie au titre de cette somme.

Cette modification de 1990 a été apportée à la Loi de l’impôt sur le revenu et aux dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d’accise. Dans les trois affaires dont nous sommes saisis en l'espèce, les juges de première instance avaient principalement examiné si cette modification constituait le [traduction] «quelque chose de plus» qui, selon l'arrêt Lloyds Bank, était nécessaire pour transférer au MRN le droit de propriété sur les fonds ou pour lui accorder la priorité de rang.

[…]

Je suis d'accord avec le juge Forsyth pour dire que les modifications apportées en 1990 à la Loi de l’impôt sur le revenu et à la Loi sur la taxe d’accise étaient suffisantes pour fournir le «quelque chose de plus» que la Cour d'appel de l'Alberta a jugé nécessaire dans l'arrêt Lloyds Bank. [Je souligne.]

Personne ne remet en question le fait que ce « quelque chose de plus » faisait en sorte que la Couronne devenait, dès la réception de la demande formelle de paiement par le tiers saisi, propriétaire des sommes visées par la demande (Alberta, paragraphes 5 et 6).

[48]      Selon l’intimée, c’est le moment auquel peut être exercé ce pouvoir dorénavant transmissif de propriété que le législateur fédéral avait à l’esprit lorsqu’il a prévu, dans le cas du paragraphe 224(1.2) de la LIR, qu’il a ses effets « [m]algré […] la [LFI] », et dans le cas du paragraphe 317(3) de la LTA, « à l’exception de la [LFI] ». Autant le législateur souhaitait-il que les retenues à la source impayées visées par le paragraphe 224(1.2) de la LIR soient assujetties à ce pouvoir en tout temps — soit avant ou après la faillite — autant voulait-il que le pouvoir équivalent prévu au paragraphe 317(3) ne puisse être exercé qu’avant la faillite. L’intimée soumet que c’est ainsi que les mots « [m]algré […] la [LFI] », d’une part, et « à l’exception de la [LFI] », d’autre part, doivent être compris.

[49]      Cette interprétation est à mon avis la bonne. Si l’on se reporte en 1990, les fiducies réputées entourant les retenues à la source ainsi que celles entourant la TPS avaient le même effet sans égard à leur objet. Toutes deux prenaient effet à compter de l’omission et survivaient à la faillite (voir l’alinéa 67(1)a) de la LFI, tel qu’il se lisait avant la réforme de 1992), de sorte que les sommes assujetties à ces fiducies ne pouvaient, en aucun moment, faire partie du patrimoine du débiteur fiscal. C’est donc que même si une demande formelle de paiement était transmise à un moment qui coïncidait avec la faillite du débiteur fiscal, il n’y avait pas de conflit possible entre le droit de propriété conféré à la Couronne en vertu du paragraphe 317(3) de la LTA et la LFI, pas plus qu’entre le droit de propriété conféré en vertu du paragraphe 224(1.2) de la LIR et la LFI. Ce n’est que suite à la réforme de 1992 que cet état de fait a changé et que la fiducie réputée portant sur la TPS impayée a cessé d’avoir ses effets à compter de la faillite (Caisse de Montmagny, paragraphes 12 à 16).

[50]      Dans ce contexte, l’on ne peut conclure que les mots « à l’exception de la [LFI] » ont été insérés dans le paragraphe 317(3) dans le but de donner préséance à la LFI en cas de conflit puisqu’aucun conflit ne pouvait être envisagé. Il semble plutôt, gardant à l’esprit le principe selon lequel le législateur ne parle pas pour rien dire, que la strophe avait pour but d’empêcher l’utilisation du pouvoir prévu au paragraphe 317(3) après la faillite.

[51]      Le paragraphe 317(3) ne pouvait se lire autrement en 1990 et a, à dessein, été laissé intact lors de la réforme de la LFI en 1992, tout comme le paragraphe 224(1.2) de la LIR. Le pouvoir qui y est prévu est, du fait qu’il ne peut être exercé après la faillite, conforme à l’esprit de cette réforme selon laquelle seules les retenues à la source revêtaient un caractère spécial et conservaient leur nature prioritaire malgré la faillite. Ceci explique pourquoi l’exercice du pouvoir en vertu du paragraphe 224(1.2) n’est pas assujetti à cette réserve et que la LFI stipule depuis la réforme que la faillite ne porte pas atteinte à l’exercice de ce pouvoir (paragraphe 86(3) de la LFI).

[52]      Mis à part cette importante différence, les pouvoirs prévus aux paragraphes 317(3) de la LTA et 224(1.2) de la LIR lorsqu’exercés validement ont tous deux le même effet, soit de transmettre à la Couronne la propriété des sommes visées par la demande formelle de paiement dès sa réception par le tiers saisi (Alberta, précité).

[53]      La demande formelle de paiement ayant été reçue par l’appelante avant le dépôt de l’avis de surseoir, c’est à bon droit que le juge de la C.C.I. conclut que la Couronne est devenue propriétaire de la somme demandée avant que n’intervienne la faillite, et que donc cette somme ne faisait pas partie du patrimoine du débiteur fiscal lors de la faillite. Il s’ensuit que l’appelante avait l’obligation de payer le montant demandé, et qu’ayant omis de ce faire, elle est personnellement responsable de son paiement.

[54]      Je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge en chef Blais : Je suis d’accord.

La juge Trudel, J.C.A. : Je suis d’accord.

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