[2012] 3 R.C.F. 635
A-76-11
2012 CAF 122
Mohamed Harkat (appelant)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (intimés)
Répertorié : Harkat (Re)
Cour d’appel fédérale, le juge en chef Blais et les juges Létourneau et Layden-Stevenson, J.C.A.—Ottawa, 21, 22 et 23 février et 25 avril 2012.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Certificat de sécurité — Appel de quatre décisions de la Cour fédérale portant plus particulièrement sur l’applicabilité du privilège relatif aux indicateurs de police aux sources humaines du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le caractère raisonnable du certificat de sécurité qui a été délivré contre l’appelant et la constitutionnalité de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — L’appelant, qui s’était vu accorder le statut de réfugié, a ensuite fait l’objet d’un certificat de sécurité — Le SCRS a détruit, conformément à la politique, la preuve originale utilisée pour étayer les allégations formulées à l’endroit de l’appelant — Les principales questions en litige étaient: la Loi porte‑t‑elle atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité que garantit l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés; les sources humaines du SCRS sont‑elles protégées par le privilège générique relatif aux indicateurs de police; la destruction de la preuve a‑t‑elle violé le droit de l’appelant de connaître la preuve qui pesait contre lui et d’y répondre; le certificat de sécurité délivré contre l’appelant était‑il raisonnable? — La Cour s’est également penchée sur les questions certifiées visant à déterminer si les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés relatives au régime de certificats de sécurité violaient la Charte — Le régime de certificats de sécurité en place n’est pas inconstitutionnel — Le juge est investi des pouvoirs nécessaires en vertu de la common law et de la Charte ainsi que d’un pouvoir discrétionnaire sous le régime de la Loi pour satisfaire aux exigences du droit à l’équité procédurale garanti par l’art. 7 de la Charte — La création, par voie judiciaire, du privilège générique irait à l’encontre de l’intention du législateur énoncée aux art. 77(2) et 83(1)c), d) et e) de la Loi — Ces dispositions empêchent la communication à la personne visée de renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité d’autrui, y compris les sources humaines de renseignement — Si un privilège générique applicable aux sources humaines du SCRS devait être créé par voie judiciaire, le devoir expressément attribué au juge de déterminer s’il est opportun ou non de divulguer la source de renseignement à la personne visée serait supprimé — Par conséquent, les sources humaines du SCRS ne bénéficient pas du privilège générique relatif aux indicateurs de police — La destruction par le SCRS de la preuve originale a violé le droit de l’appelant de connaître la preuve qui pesait contre lui et d’y répondre — L’exclusion des résumés du SCRS constituait la mesure convenable pour préserver le caractère équitable du processus des certificats de sécurité visés par la présente instance — Cependant, l’exclusion des résumés commandait une réévaluation par la Cour fédérale du reste des éléments de preuve ainsi que celle du caractère raisonnable du certificat — L’appel est accueilli en ce qui concerne les questions relatives au privilège, la destruction de la preuve et le caractère raisonnable et est rejeté en ce qui concerne celle relative à la constitutionnalité.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Un certificat de sécurité a été délivré contre l’appelant — Conformément à la politique en place, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a détruit la preuve originale justifiant la délivrance d’un certificat de sécurité contre l’appelant — La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés porte‑t‑elle atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité que garantit l’art. 7 de la Charte; le droit de l’appelant de connaître la preuve qui pesait contre lui et d’y répondre a‑t‑il été violé par suite de la destruction de la preuve? — La réponse à la question de savoir comment la personne visée est suffisamment informée de la thèse du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’égard de l’instance concernant le certificat de sécurité se trouve dans la version française des art. 77(2) et 83(1)e) de la Loi — La version française emploie les mots « suffisamment informé » et, par conséquent, elle est plus précise que la version anglaise, elle est plus favorable à la personne visée et elle s’accorde mieux avec l’exigence d’équité de l’art. 7 de la Charte — Bien que les textes anglais et français aient la même valeur, la version française est à préférer — Par conséquent, les art. 77(2) et 83(1)e) de la Loi respectent les principes de justice fondamentale — Le régime de certificats de sécurité en place n’est pas inconstitutionnel; la Loi révisée fournit au juge, avec l’aide des avocats spéciaux agissant pour le compte de l’appelant, les outils nécessaires pour satisfaire à l’exigence d’équité de l’art. 7 de la Charte — Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que le régime de certificats de sécurité en place est conforme aux principes de justice fondamentale parce qu’il permet à une personne visée d’effectivement connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre — La destruction par le SCRS de la preuve originale a violé le droit de l’appelant de connaître la preuve qui pesait contre lui et d’y répondre — La Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la destruction de la preuve originale n’a pas causé de préjudice à l’appelant — En conséquence, l’appelant a droit à une réparation juste et convenable.
Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre de quatre décisions de la Cour fédérale portant plus particulièrement sur la constitutionnalité du régime modifié de certificats de sécurité établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’applicabilité du privilège relatif aux indicateurs de police aux sources humaines du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le caractère raisonnable du certificat de sécurité qui a été délivré contre l’appelant. Dans un autre dossier concernant l’appelant, la Cour fédérale avait certifié deux questions de portée générale, à savoir si les dispositions 77(2), 83(1)c) à e), 83(1)h), 83(1)i), 85.4(2) et 85.5b) de la Loi violent l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés en privant la personne visée du droit à une instruction équitable et si les sources humaines bénéficient d’un privilège générique.
L’appelant a demandé l’asile après son arrivée au Canada. Le statut de réfugié lui a été accordé mais il n’a jamais obtenu le statut de résident permanent. Par la suite, un certificat de sécurité a été délivré contre l’appelant, dans lequel il était allégué qu’il était interdit de territoire pour des motifs de sécurité. Les originaux des entrevues avec l’appelant et des conversations tenues à son sujet, ou auxquelles il avait participé, ont été détruits par le SCRS conformément à la politique en place. Néanmoins, le SCRS a fait un résumé du contenu de ces entrevues et conversations.
La Cour fédérale a examiné le caractère raisonnable du certificat de sécurité de l’appelant et a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’appelant s’était livré à des actes de terrorisme. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre de cette décision. L’appelant, de concert avec d’autres personnes interdites de territoire, a contesté la constitutionnalité du régime de certificats de sécurité devant la Cour suprême. Cette dernière a déclaré que la procédure établie par la Loi contrevenait à l’article 7 de la Charte en limitant le droit de la personne visée par le certificat de sécurité de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre. En réponse à l’arrêt rendu par la Cour suprême, le projet de loi C‑3 (la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence) a été adopté, ce qui a substantiellement modifié le régime de certificats de sécurité. Un arrêt ultérieur rendu par la Cour suprême en ce qui concerne les questions procédurales et le SCRS a permis à l’appelant d’obtenir une divulgation plus complète de la part du SCRS. Par la suite, la Cour fédérale a ordonné la production des informations et renseignements concernant l’appelant et a confirmé le caractère raisonnable du certificat de sécurité. Elle a également, entre autres choses, confirmé la constitutionnalité du régime de certificats de sécurité et rejeté la demande des avocats spéciaux de l’appelant visant à obtenir l’accès aux sources humaines secrètes de renseignement au motif qu’elles étaient protégées par le privilège de common law relatif aux indicateurs de police.
Les principales questions en litige étaient : la Loi porte‑t‑elle atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité que garantit l’article 7 de la Charte; les sources humaines du SCRS sont‑elles protégées par le privilège générique relatif aux indicateurs de police; le droit de l’appelant de connaître la preuve qui pesait contre lui et d’y répondre a‑t‑il été violé par suite de la destruction de la preuve originale; la Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le certificat de sécurité était raisonnable; comment répondre aux deux questions certifiées?
Arrêt : l’appel doit être accueilli en ce qui concerne les questions relatives au privilège, la destruction de la preuve et le caractère raisonnable et doit être rejeté en ce qui concerne celle relative à la constitutionnalité.
Divers éléments de la Loi révisée ont été examinés afin de déterminer si le régime en place est constitutionnel. La réponse à la question de savoir comment la personne visée est suffisamment informée de la thèse du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’égard de l’instance concernant le certificat de sécurité se trouve dans la version française du paragraphe 77(2) et de l’alinéa 83(1)e) de la Loi. La version française de ces dispositions emploie les mots « suffisamment informé » et, par conséquent, elle est plus précise que la version anglaise, elle est plus favorable à la personne visée et elle s’accorde mieux avec l’exigence d’équité de l’article 7 de la Charte. Les textes anglais et français ayant la même valeur, il convient de préférer la version française. La Cour fédérale a appliqué le critère que commande l’article 7 de la Charte. Le paragraphe 77(2) et l’alinéa 83(1)e) de la Loi respectent les principes de justice fondamentale.
Les limites à la divulgation et au droit au contre‑interrogatoire découlant de l’application de la règle des tiers, laquelle vise des renseignements reçus de tiers sous le sceau de la confidentialité, sont conformes aux principes de justice fondamentale et ne rendent pas le régime actuel inconstitutionnel, dans la mesure où des solutions de rechange adéquates sont en place pour assurer une audience équitable.
Bien que le droit des avocats spéciaux de communiquer avec l’appelant soit assujetti à des restrictions, le paragraphe 85.4(2) et l’article 85.5 de la Loi comportent la souplesse nécessaire pour garantir l’équité procédurale ainsi que la protection de la sécurité nationale et de la sécurité d’autrui. Le juge dispose du pouvoir de lever l’interdiction de communiquer et d’imposer des conditions compatibles avec ces objectifs.
Le régime de certificats de sécurité en place n’est donc pas inconstitutionnel. La Loi révisée fournit au juge les outils nécessaires pour assurer l’équité procédurale. Avec l’aide des avocats spéciaux agissant pour le compte de l’appelant, le juge est au centre du régime et il y joue un rôle clé. Il est investi des pouvoirs nécessaires en vertu de la common law et de la Charte ainsi que d’un pouvoir discrétionnaire sous le régime de la Loi pour satisfaire aux exigences du droit à l’équité procédurale garanti par l’article 7 de la Charte. Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que le régime de certificats de sécurité en place est conforme aux principes de justice fondamentale parce qu’il permet à une personne visée d’effectivement connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre.
En droit civil et en droit administratif, le privilège générique que cherchent à faire reconnaître les intimés constituerait en fait un privilège à la fois nouveau et absolu étant donné qu’actuellement l’exception relative à la démonstration de l’innocence, selon laquelle le privilège relatif aux indicateurs de police peut être écarté s’il compromet la capacité de l’accusé de soulever un doute raisonnable quant à la preuve qui pèse contre lui, s’applique uniquement dans les instances criminelles. La création, par voie judiciaire, du privilège générique irait à l’encontre de l’intention du législateur énoncée au paragraphe 77(2) et aux alinéas 83(1)c), d) et e) de la Loi. Ces dispositions empêchent la communication à la personne visée de renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité d’autrui, y compris les sources humaines de renseignement. Si un privilège générique applicable aux sources humaines du SCRS devait être créé par voie judiciaire, le devoir expressément attribué au juge de déterminer à l’égard de chacun des renseignements fournis par une source s’il est opportun ou non de le divulguer à la personne visée serait supprimé. La Cour modifierait la Loi, usurpant ainsi la fonction du législateur. Par conséquent, les sources humaines du SCRS ne bénéficient pas du privilège générique relatif aux indicateurs de police ou d’un privilège générique analogue au privilège générique relatif aux indicateurs de police.
Le droit de l’appelant de connaître la preuve qui pesait contre lui et d’y répondre a été violé par suite de la destruction par le SCRS de la preuve originale sur lesquels se fondaient ses résumés et l’appelant avait droit à une réparation juste et convenable. Bien que le SCRS ait agi, de bonne foi, en conformité avec la politique alors en place lorsqu’il a détruit les originaux, le manquement à l’obligation à laquelle il était tenu en vertu de la Loi de conserver les informations et de les divulguer a eu des incidences sur le droit de l’appelant de connaître la preuve produite contre lui et sur sa capacité d’y répondre. Par conséquent, la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la destruction des renseignements originaux des conversations n’a pas causé de préjudice à l’appelant. La mesure convenable était l’exclusion des résumés, à l’exception des conversations auxquelles l’appelant a participé. L’exclusion était nécessaire pour préserver le caractère équitable du processus des certificats visés par la présente instance ainsi que l’intégrité du système de justice.
De plus, l’exclusion des résumés confidentiels des conversations originales commandait une réévaluation par la Cour fédérale du reste des éléments de preuve versés au dossier ainsi que celle du caractère raisonnable du certificat.
Enfin, la Cour fédérale a répondu par la négative aux deux questions certifiées.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2, 7, 18, 24(1)
Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, L.C. 2008, ch. 3.
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 37(1) (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43), 38 (mod., idem, art. 43, 141), 38.06 (édicté, idem, art. 43).
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 12, 18, 19 (mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25(1)d); 2003, ch. 22, art. 224z.12)(A)), 31, 39.
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 33, 34, 77 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), 78 (mod., idem), 82.3 (édicté, idem), 83 (mod., idem), 85.1 (édicté, idem), 85.2 (édicté, idem), 85.4 (édicté, idem), 85 (édicté, idem).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326; Canada (Procureur général) c. Almalki, 2011 CAF 199, [2012] 2 R.C.F. 594; R. c. Ahmad, 2011 CSC 6, [2011] 1 R.C.S. 110; R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562.
décisions examinées :
Harkat (Re), 2011 CF 75; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, motifs modifiés, [1998] 1 R.C.S. 1222; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299; Harkat (Re), 2005 CF 393; Harkat (Re), 2005 CAF 285; Harkat (Re), 2009 CF 659, [2010] 3 R.C.F. 169; Harkat (Re), 2009 CF 1050, [2010] 4 R.C.F. 149; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163; R. c. Bjelland, 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Solliciteur général du Canada et autre c. Commission royale d'enquête (Dossiers de santé en Ontario), [1981] 2 R.C.S. 494; R. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Hosenball, [1977] 3 All E.R. 452 (C.A.); R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477; R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80.
décisions citées :
Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada, 2008 CAF 229, [2009] 3 R.C.F. 136; Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304; Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 73; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589, inf. en partie 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3; Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487; Gebreab c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CAF 274; Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Almrei (Re), 2009 CF 314; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574; Charkaoui (Re), 2009 CF 476, [2010] 3 R.C.F. 102; R. c. Lyttle, 2004 CSC 5, [2004] 1 R.C.S. 193; Secretary of State for the Home Department v. AF & Anor, [2009] UKHL 28; R. v. Ahmad, 2009 CanLII 84784 (C.S. Ont.); Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44; Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 268; Bekker c. Canada, 2004 CAF 186; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (C.A.); Ikhlef (Re), 2002 CFPI 263; Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, [2012] 1 R.C.F. 413; Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198.
APPEL de quatre décisions de la Cour fédérale (2009 CF 204, [2009] 4 R.C.F. 370; 2010 CF 1241, [2012] 3 R.C.F. 251; 2010 CF 1242, [2012] 3 R.C.F. 432; 2010 CF 1243) portant plus particulièrement sur la constitutionnalité du régime modifié de certificats de sécurité établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’applicabilité du privilège relatif aux indicateurs de police aux sources humaines du Service canadien du renseignement de sécurité et le caractère raisonnable du certificat de sécurité qui a été délivré contre l’appelant. L’appel est rejeté en ce qui concerne la décision relative à la constitutionnalité et est accueilli en ce qui concerne les autres décisions.
ONT COMPARU
Matthew Webber, Norman Boxall, Megan Thomas et Leonardo Russomanno pour l’appelant.
David Tyndale, Bernard Assan et André Séguin pour les intimés.
Paul D. Copeland et Paul J. J. Cavalluzzo à titre d’avocats spéciaux.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Webber Schroeder Goldstein Abergel, Ottawa, pour l’appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Paul D. Copeland et Paul J. J. Cavalluzzo à titre d’avocats spéciaux.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Létourneau, J.C.A. : Afin de faciliter la consultation des présents motifs et pour la commodité du lecteur, j’inclus une table des matières.
Table des matières
Paragraphe
Questions soulevées en appel |
2 |
Faits et historique des procédures à l’origine de l’appel |
11 |
Résumé des décisions du juge |
24 |
A. La Décision relative au privilège |
25 |
B. La Décision relative au caractère raisonnable |
29 |
C. La Décision relative à la question constitutionnelle |
38 |
D. La Décision relative à l’abus de procédure |
48 |
Questions en litige |
54 |
La norme de contrôle |
55 |
Éléments clés relatifs à la constitutionnalité du système en place en vertu de la Loi |
56 |
Analyse des décisions du juge et des prétentions des parties |
69 |
A. La constitutionnalité du régime en place |
70 |
a) Le défaut de la Loi et du juge de respecter le critère d’équité de l’article 7 |
73 |
b) Les restrictions en matière de divulgation |
|
i) Les résumés des renseignements confidentiels constituent-ils une communication inadéquate? |
83 |
ii) La protection de l’identité des sources humaines contribue-t-elle à rendre l’ensemble du régime inconstitutionnel? |
86 |
iii) La règle des tiers, l’admissibilité de la preuve par ouï-dire et le droit au contre-interrogatoire |
106 |
iv) Les restrictions au droit des avocats spéciaux de communiquer avec l’appelant |
113 |
c) Conclusion |
117 |
B. Le paragraphe 77(2), les alinéas 83(1)c), d), e) et i), le paragraphe 85.4(2) et l’alinéa 85.5b) de la Loi sont-ils justifiés au regard de l’article premier de la Charte? |
121 |
C. La destruction des notes originales relatives aux conversations et la réparation convenable au regard du paragraphe 24(1) de la Charte |
122 |
a) L’effet préjudiciable de la destruction |
123 |
b) La conclusion du juge selon laquelle la destruction des enregistrements originaux des conversations n’a pas causé de préjudice à l’appelant |
126 |
i) Y a-t-il eu violation de l’article 7 de la Charte? |
129 |
ii) Examen des conclusions du juge portant sur l’absence de préjudice |
132 |
iii) La réparation convenable |
140 |
c) Conclusion |
144 |
D. L’appelant a-t-il été victime d’un abus de procédure et a-t-il droit à un arrêt des procédures? |
145 |
E. Le juge a-t-il commis une erreur en concluant au caractère raisnnable du certificat de sécurité? |
146 |
a) Définition du terrorisme |
147 |
b) Définition d’organisation |
150 |
c) Appartenance |
151 |
d) Danger pour la sécurité du Canada |
152 |
e) L’incidence de l’exclusion des résumés confidentiels des conversations originals sur le caractère raisonnable du certificat |
153 |
f) Conclusion |
154 |
Conclusion |
155 |
Questions soulevées en appel
[2] Il s’agit d’un pourvoi interjeté par Mohamed Harkat (l’appelant) à l’encontre de quatre décisions rendues par le juge Noël de la Cour fédérale siégeant à titre de juge désigné (le juge) en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Les quatre décisions (Harkat (Re), 2009 CF 204, [2009] 4 R.C.F. 370; Harkat (Re), 2010 CF 1241, [2012] 3 R.C.F. 251; Harkat (Re), 2010 CF 1242, [2012] 3 R.C.F. 432; et Harkat (Re), 2010 CF 1243) concernent la constitutionnalité du nouveau processus établi sous le régime de la Loi (Décision relative à la question constitutionnelle [2010 CF 1242]), le caractère raisonnable du certificat (Décision relative au caractère raisonnable [2010 CF 1241]), l’applicabilité du privilège relatif aux indicateurs de police aux sources humaines du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS [ou le Service]) (Décision relative au privilège [2009 CF 204]) et une requête en arrêt des procédures pour abus de procédure présentée par l’appelant (Décision relative à l’abus de procédure [2010 CF 1243]).
[3] Dans la décision Harkat (Re), 2011 CF 75, le juge a certifié les deux questions de portée générale suivantes en vertu de l’article 82.3 [édicté par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi :
a. Les dispositions 77(2), 78, 83(1)c) à e), 83(1)h), 83(1)i), 85.4(2) et 85.5b) de la LIPR violent‑elles l’article 7 de la Charte des droits et libertés en privant la personne visée du droit à une instruction équitable? Le cas échéant, les dispositions sont‑elles justifiées au regard de l’article premier?
b. Les sources humaines bénéficient‑elles d’un privilège générique? Le cas échéant, quelle est la portée de ce privilège; et l’analyse de la Cour de l’exception, soit selon le « besoin de connaître » pour les avocats spéciaux, dans Harkat (Re), 2009 CF 204, était‑elle une exception correcte à ce privilège?
[4] La certification d’une question donne lieu à un appel de portée générale. Au paragraphe 25 de l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, le juge Bastarache écrit ce qui suit :
Sans la certification d’une « question grave de portée générale », l’appel ne serait pas justifié. L’objet de l’appel est bien le jugement lui‑même, et non simplement la question certifiée.
[5] Cela a été confirmé par la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 12 :
Le libellé du par. 83(1) indique, et l’arrêt Pushpanathan le confirme, que la certification d’une « question grave de portée générale » permet un appel du jugement de première instance qui, normalement, ne serait pas autorisé, mais ne limite pas la Cour d’appel ni notre Cour à la question énoncée ou aux points qui s’y rapportent directement. Par conséquent, nous pouvons examiner tous les points soulevés dans le pourvoi.
[6] Depuis lors, notre Cour a à de nombreuses reprises examiné des questions qui ne figuraient pas parmi les questions certifiées (voir Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada, 2008 CAF 229, [2009] 3 R.C.F. 136, au paragraphe 98; Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304, au paragraphe 10; et Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 73, aux paragraphes 9 et 10).
[7] Comme il en a le droit, l’appelant s’est servi des questions certifiées pour former un appel d’une portée plus large.
[8] L’appelant a soulevé les questions suivantes, libellées presque textuellement comme suit dans son mémoire des faits et du droit :
1. Le refus de la Cour de permettre aux avocats spéciaux d’interroger et, ultimement, de contre‑interroger les sources humaines à huis clos constitue‑t‑il une erreur de droit?
2. La Cour a‑t‑elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a tiré des conclusions de fait essentielles sur des questions qui remontaient loin dans le temps, alors que l’ensemble des renseignements dont disposait la Cour était dérivé de documents contradictoires tirés de sources accessibles au public? En particulier, par exemple, l’appelant fait valoir que la conclusion de fait de la Cour au sujet d’Ibn Khattab était déraisonnable et dangereuse et, par conséquent, n’était pas une conclusion que la Cour pouvait tirer en droit vu le dossier dont elle était saisie.
3. La Cour a‑t‑elle commis une erreur dans sa définition de terrorisme? En particulier, le soutien matériel visé par la définition de terrorisme comprend‑il tout soutien ou aide, ou doit‑il avoir été apporté sciemment pour aider ou encourager une activité terroriste ou pour la réalisation d’un objectif commun?
4. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’alinéa 34(1)f) de la LIPR n’a pas d’exigence temporelle? En particulier, peut‑on conclure qu’une personne est membre d’une organisation terroriste parce qu’elle a eu des liens avec une personne, ou qu’elle a aidé une personne, qui n’était pas un terroriste à l’époque ni auparavant, si cette personne ou cette organisation s’est engagée par la suite dans des activités terroristes?
5. L’alinéa 34(1)d) de la Loi exige‑t‑il qu’il soit conclu qu’il existe un danger actuel pour la sécurité du Canada, y compris une menace actuelle identifiable, grave et importante?
6. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la politique de destruction des documents originaux ne constitue pas une violation de l’obligation de divulgation du SCRS?
7. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en se fondant sur les renseignements compris dans ce qui lui a été présenté comme étant des résumés de conversations, sans d’abord exiger la présence et le contre‑interrogatoire des parties qui ont procédé à l’enregistrement original et à la préparation du résumé de ces renseignements?
8. La Cour a‑t‑elle commis une erreur dans sa formulation du critère d’exclusion de la preuve au sens du paragraphe 24(1) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], et, le cas échéant, la Cour a‑t‑elle commis une erreur en n’excluant pas les résumés des conversations?
9. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les effets cumulatifs des violations de la Charte, du manquement à l’obligation de franchise, et du passage du temps ne justifiaient pas un arrêt des procédures en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte?
10. Les obligations de bonne foi la plus absolue et de franchise définies dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3 devraient‑elles êtres élargies ou interprétées de façon à comprendre l’obligation de la part des ministres et du Service de mettre à jour les preuves ou les renseignements à mesure que l’instance évolue?
[9] Il n’est pas nécessaire de procéder à l’examen de toutes les questions soulevées par l’appelant pour trancher l’appel. Voici celles que je propose d’examiner :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
2. La question de savoir si le régime en place est constitutionnel, ou autrement dit : la Loi porte‑t‑elle atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité que garantit l’article 7 de la Charte?
3. Dans l’affirmative, l’atteinte à l’article 7 est‑elle justifiée au sens de l’article premier de la Charte?
4. Les sources humaines du SCRS sont‑elles protégées par le privilège générique relatif aux indicateurs de police?
5. Le droit de l’appelant de connaître la preuve qui pesait contre lui et d’y répondre a‑t‑il été violé par suite de la destruction de la preuve originale?
6. Dans l’affirmative, quelle est la réparation convenable et juste en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte?
7. L’appelant a‑t‑il été victime d’un abus de procédure et est‑il en droit d’obtenir un arrêt des procédures?
8. Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant que le certificat de sécurité est raisonnable?
[10] Je reproduis ci‑dessous les dispositions pertinentes [art. 77(2) (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), 78 (mod., idem), 83(1) (mod., idem), 85.4(2) (édicté, idem), 85.5b) (édicté, idem)] :
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. |
Interprétation |
34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants : a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada; b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force; c) se livrer au terrorisme; d) constituer un danger pour la sécurité du Canada; e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada; f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c). |
Sécurité |
(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. […] 77. […] |
Exception |
(2) Le ministre dépose en même temps que le certificat les renseignements et autres éléments de preuve justifiant ce dernier, ainsi qu’un résumé de la preuve qui permet à la personne visée d’être suffisamment informée de sa thèse et qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon le ministre, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. […] |
Dépôt de la preuve et du résumé |
78. Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et l’annule s’il ne peut conclure qu’il est raisonnable. […] |
Décision |
83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 : […] c) il peut d’office tenir une audience à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil —et doit le faire à chaque demande du ministre — si la divulgation des renseignements ou autres éléments de preuve en cause pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui; d) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui; e) il veille tout au long de l’instance à ce que soit fourni à l’intéressé un résumé de la preuve qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et qui permet à l’intéressé d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause; […] h) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément — même inadmissible en justice — qu’il estime digne de foi et utile et peut fonder sa décision sur celui‑ci; i) il peut fonder sa décision sur des renseignements et autres éléments de preuve même si un résumé de ces derniers n’est pas fourni à l’intéressé; […] 85.4 […] |
Protection des renseignements |
(2) Entre le moment où il reçoit les renseignements et autres éléments de preuve et la fin de l’instance, l’avocat spécial ne peut communiquer avec qui que ce soit au sujet de l’instance si ce n’est avec l’autorisation du juge et aux conditions que celui‑ci estime indiquées. […] |
Restrictions aux communications — avocat spécial |
85.5 Sauf à l’égard des communications autorisées par tout juge, il est interdit à quiconque : […] b) de communiquer avec toute personne relativement au contenu de tout ou partie d’une audience tenue à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil dans le cadre d’une instance visée à l’un des articles 78 et 82 à 82.2. [Je souligne.] |
Divulgations et communications interdites |
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5 [art. 37(1) (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43), 38.06 (édicté, idem)]
37. (1) Sous réserve des articles 38 à 38.16, tout ministre fédéral ou tout fonctionnaire peut s’opposer à la divulgation de renseignements auprès d’un tribunal, d’un organisme ou d’une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant eux que, pour des raisons d’intérêt public déterminées, ces renseignements ne devraient pas être divulgués. […] 38.06 […] |
Opposition à divulgation |
(2) Si le juge conclut que la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, mais que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation, il peut par ordonnance, compte tenu des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation ainsi que de la forme et des conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, autoriser, sous réserve des conditions qu’il estime indiquées, la divulgation de tout ou partie des renseignements, d’un résumé de ceux‑ci ou d’un aveu écrit des faits qui y sont liés. |
Divulgation modifiée |
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C‑23
12. Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard. |
Informations et renseignements |
Charte canadienne des droits et libertés
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. […] |
Vie, liberté et sécurité |
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances. |
Recours en cas d’atteinte aux droits et libertés |
Faits et historique des procédures à l’origine de l’appel
[11] L’appelant est arrivé au Canada le 6 octobre 1995 muni d’un faux passeport saoudien et d’un passeport algérien valide, et il y a demandé l’asile.
[12] Le 24 février 1998, l’appelant s’est vu accordé le statut de réfugié par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il n’a jamais obtenu le statut de résident permanent au Canada.
[13] Le 10 décembre 2002, le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (les ministres) ont délivré un certificat de sécurité contre l’appelant. Il y était allégué que l’appelant était interdit de territoire pour des motifs de sécurité en application de l’ancien article 33 (maintenant l’article 34) de la Loi.
[14] En mars 2005, la juge Dawson, alors juge à la Cour fédérale, a examiné le caractère raisonnable du certificat de sécurité de l’appelant. S’appuyant sur la décision de notre Cour dans Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299, elle a rejeté les arguments constitutionnels de l’appelant fondés sur l’article 7 de la Charte. De plus, la juge Dawson a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’appelant s’était livré à des actes de terrorisme. Cette décision est publiée sous l’intitulé Harkat (Re), 2005 CF 393.
[15] L’appelant a ensuite interjeté appel de la décision de la juge Dawson devant notre Cour. Dans Harkat (Re), 2005 CAF 285, le juge en chef Richard a rejeté l’appel de l’appelant. L’appelant a alors présenté une demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada, qui a été accueillie. De concert avec MM. Charkaoui et Almrei, l’appelant a contesté la constitutionnalité du régime de certificats. Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui no 1), la juge en chef McLachlin, pour une Cour unanime, a déclaré que la procédure établie par la Loi contrevenait à l’article 7 de la Charte en limitant le droit de la personne visée par le certificat de sécurité (la personne visée) de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre. Elle a suspendu la prise d’effet de la déclaration pour une période d’un an et elle a invité le législateur à intervenir. Au paragraphe 80 de ses motifs, la juge en chef McLachlin a souligné l’existence du système de représentant spécial du Royaume‑Uni comme un système que le Canada pourrait adopter et qui porterait le moins possible atteinte aux droits de la personne visée.
[16] En réponse, le législateur a adopté le projet de loi C‑3, la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence [L.C. 2008, ch. 3]; cette loi est entrée en vigueur le 22 février 2008. Le projet de loi C‑3 a substantiellement modifié le régime de certificats de sécurité [l’article 4 du projet de loi C-3 a modifié les articles 76 à 87.2 de la Loi]. Il a importé dans la législation canadienne un système de représentant spécial en matière de certificats de sécurité.
[17] Le 26 juin 2008, dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326 (Charkaoui no 2), la Cour suprême du Canada s’est de nouveau prononcée, cette fois en ce qui concerne les questions procédurales. Suivant la politique OPS‑217, le SCRS avait pour pratique de détruire les originaux des renseignements recueillis tels ceux obtenus à la suite d’entrevues ou d’interceptions. Les juges LeBel et Fish, qui s’exprimaient pour la Cour, ont conclu que la destruction de ces notes contrevenait au droit de M. Charkaoui, reconnu par l’article 7 de la Charte, de connaître la preuve pesant contre lui. Néanmoins, la Cour a rejeté la demande d’arrêt des procédures de M. Charkaoui parce qu’elle était prématurée. La question de la réparation a été laissée à l’appréciation du juge désigné.
[18] L’arrêt Charkaoui no 2 a permis à l’appelant d’obtenir une divulgation plus complète de la part du SCRS. Le 24 septembre 2008, au paragraphe 23 de sa Décision relative au caractère raisonnable, le juge a ordonné aux ministres de déposer « les informations et renseignements concernant Mohamed Harkat ». Le SCRS a par la suite communiqué des milliers de documents aux ministres, qui à leur tour les ont communiqués au juge. Les avocats spéciaux ont examiné les documents et des pièces additionnelles ont été déposées. Par suite des audiences à huis clos, les ministres ont communiqué des renseignements additionnels à l’appelant et à son avocat public. Toutefois, comme dans l’arrêt Charkaoui no 2, plusieurs des originaux sur lesquels se fondaient les notes et les résumés du SCRS avaient été détruits comme le prévoyait la politique OPS‑217.
[19] À l’automne 2008, le juge a tenu des audiences à huis clos concernant la divulgation ordonnée par l’arrêt Charkaoui no 2. Pendant ces audiences les avocats spéciaux ont demandé l’accès au dossier d’employé du SCRS et des sources humaines d’un des témoins des ministres. Dans la Décision relative au privilège, le juge a rejeté cette demande et il a étendu l’application du privilège de common law relatif aux indicateurs de police aux sources humaines confidentielles de renseignement sous réserve de l’exception relative au « besoin de connaître ».
[20] Le 12 mai 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a fait effectuer une perquisition chez l’appelant à laquelle 16 agents de la paix et 3 chiens de la brigade canine ont participé. Lorsque le juge a été mis au courant de la perquisition, il a immédiatement annulé l’autorisation de l’ASFC et assujetti toute autre perquisition à son autorisation préalable. Cette décision est publiée sous l’intitulé Harkat (Re), 2009 CF 659, [2010] 3 R.C.F. 169.
[21] Le 26 mai 2009, les ministres ont informé le juge que l’une de leurs sources humaines avait échoué à un test polygraphique. Dans la décision Harkat (Re), 2009 CF 1050, [2010] 4 R.C.F. 199, le juge a conclu que les ministres avaient manqué à leur obligation de lui communiquer ainsi qu’aux avocats spéciaux ce renseignement. Il a en conséquence ordonné aux ministres de divulguer l’ensemble du dossier de la source humaine en question. Insatisfait de cette mesure, les avocats spéciaux ont demandé que tous les renseignements fournis par la source humaine en cause soient exclus. Le juge a rejeté leur demande. Il a conclu que le manquement à l’obligation de divulgation avait été commis sans intention délibérée de filtrer ou de dissimuler des renseignements. Néanmoins, il a ordonné qu’un autre dossier de source humaine soit fourni à la Cour et aux avocats spéciaux afin de rétablir la foi dans ces procédures. Les pièces déposées par les ministres ont été confirmées par les deux dossiers de sources humaines.
[22] Le 22 décembre 2008, le juge a rejeté la demande des avocats spéciaux de l’appelant d’identifier, de rencontrer et de contre‑interroger les sources humaines secrètes de renseignement au motif qu’elles étaient protégées par un privilège générique de common law (Harkat (Re), 2009 CF 204, la Décision relative au privilège). Un an plus tard, le 9 décembre 2010, le juge a confirmé le caractère raisonnable du certificat (Harkat (Re), 2010 CF 1241, la Décision relative au caractère raisonnable), confirmé la constitutionnalité du régime de certificats de sécurité (Harkat (Re), 2010 CF 1242, la Décision relative à la question constitutionnelle), et rejeté une requête demandant l’arrêt des procédures ou l’exclusion de certains éléments de preuve pour cause d’abus de procédure (Harkat (Re), 2010 CF 1243, la Décision relative à l’abus de procédure).
[23] Près de 34 mois se sont écoulés entre l’adoption du projet de loi C‑3 et le prononcé des jugements portés en appel. Le juge a expliqué que le délai était dû à la somme considérable de renseignements divulgués, aux questions de procédure et aux conflits d’horaire.
Résumé des décisions du juge
[24] Comme il a déjà été signalé, le dossier contient quatre séries de motifs : la Décision relative au privilège, la Décision relative au caractère raisonnable, la Décision relative à la question constitutionnelle, et la Décision relative à l’abus de procédure. Je résume ci‑après leur contenu.
A. La Décision relative au privilège
[25] Plusieurs sources humaines ont fourni des renseignements au SCRS concernant les activités de l’appelant. Pour vérifier leur crédibilité, les avocats spéciaux ont sollicité une ordonnance de la cour enjoignant aux ministres de faire comparaître les sources humaines du SCRS pour les contre‑interroger à huis clos. Le juge a rejeté cette demande. Pour justifier son rejet, il a étendu l’application du privilège générique relatif aux indicateurs de police aux sources humaines. À l’époque où la Décision relative au privilège a été rendue, le juge n’avait pas encore eu à juger de la fiabilité des renseignements obtenus des sources humaines ou à déterminer le poids devant leur être accordé.
[26] Le juge a conclu que le privilège relatif aux indicateurs de police joue un double rôle, à savoir protéger les indicateurs et encourager d’autres indicateurs à dévoiler des renseignements pertinents, sous réserve, toutefois, de l’exception relative à la « démonstration de l’innocence de l’accusé », selon laquelle le privilège peut être écarté s’il compromet la capacité de l’accusé de soulever un doute raisonnable quant à la preuve qui pèse contre lui.
[27] Le juge a reconnu qu’étant donné que le SCRS est un service de renseignement civil et que les instances concernant les certificats de sécurité ne sont pas des instances criminelles dans le sens traditionnel, le privilège relatif aux indicateurs de police n’était pas en soi applicable. Néanmoins, il a statué que les justifications de principe qui sous‑tendent le privilège relatif aux indicateurs de police s’appliquent autant sinon plus aux sources de renseignement du SCRS. Il a souligné qu’il serait difficile de recruter des sources si la confidentialité ne pouvait être assurée et que, contrairement à la plupart des enquêtes criminelles, les enquêtes en matière de renseignement peuvent s’étendre sur de longues périodes. Enfin, il a conclu qu’il était opportun qu’un privilège générique protège les rapports entre le SCRS et ses sources humaines, mais que ce nouveau privilège s’applique sous réserve de l’exception relative au « besoin de connaître » qui entre en jeu s’il est nécessaire de connaître l’identité de la source humaine pour éviter un grave manquement à l’équité procédurale qui déconsidérerait l’administration de la justice.
[28] Ayant conclu que le privilège générique s’appliquait, le juge a statué que ni la Loi ni l’arrêt Charkaoui no 2 ne venaient le modifier. Le privilège protégeait donc l’identité des sources humaines en cause en l’espèce. Enfin, il a statué que l’exception relative au « besoin de connaître » ne s’appliquait pas ici.
B. La Décision relative au caractère raisonnable
[29] Pour décider du caractère raisonnable du certificat de sécurité, le juge a d’abord défini les termes clés suivants, figurant dans la Loi :
• « terrorisme » (alinéa 34(1)c) de la Loi);
• « danger pour la sécurité du Canada » (alinéa 34(1)d) de la Loi);
• « membre d’une organisation » (alinéa 34(1)f) de la Loi).
[30] La Loi ne définit pas le terme « terrorisme ». Le juge s’est appuyé sur la définition retenue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 97 et 98 :
À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».
[31] Le juge a signalé que la définition susmentionnée n’est pas exhaustive et qu’elle pourrait subir des modifications au fil du temps. La définition de la Cour suprême vise également le soutien matériel, notamment le fait de fournir de l’aide en matière de financement, d’obtention de faux documents, de recrutement ou d’hébergement, bien que ces actes ne constituent pas en soi des actes de violence terroristes. Le juge précise au paragraphe 81 que le soutien matériel « est la condition sine qua non du terrorisme international et doit être vu comme étant une forme de participation au terrorisme ».
[32] Le terme « danger pour la sécurité du Canada » devait aussi être défini. Là encore, le juge s’est appuyé sur l’arrêt Suresh, et il a adopté la définition énoncée au paragraphe 90 :
Ces considérations nous amènent à conclure qu’une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada » si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d’un pays est souvent tributaire de la sécurité d’autres pays. La menace doit être « grave », en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable.
[33] Il a en outre statué que l’alinéa 34(1)d) de la Loi devait être interprété conjointement avec l’article 33. Par conséquent, la preuve du danger pour la sécurité du Canada peut concerner des actes qui sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. En concluant ainsi, le juge a rejeté la conclusion du juge Mosley dans la décision Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163, au paragraphe 504, selon laquelle l’alinéa 34(1)d) exige que le risque soit actuel. Selon lui, cette interprétation n’est pas compatible avec l’article 33. S’appuyant sur l’arrêt Suresh, le juge a rappelé que l’expression « danger pour la sécurité du Canada » doit recevoir une interprétation large. De plus, le concept repose largement sur les faits et peut se rapporter à des événements lointains qui peuvent porter préjudice à la sécurité du Canada.
[34] L’appartenance à une organisation terroriste est difficile à définir étant donné que les organisations terroristes ne fournissent pas de cartes de membre. S’appuyant sur l’arrêt Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487, au paragraphe 27, le juge a conclu que la définition de « membre » dans les affaires de sécurité nationale doit recevoir une interprétation large.
[35] Le juge s’est ensuite penché sur la définition d’« organisation ». Ce terme doit lui aussi recevoir une interprétation large étant donné que les organisations terroristes sont peu structurées et extrêmement discrètes. L’alinéa 34(1)f) de la Loi n’exige pas la contemporanéité de l’appartenance à l’organisation et de la période durant laquelle des actes terroristes peuvent être attribués à ce groupe : Gebreab c. Canada (Sécurité publique et protection civile), 2010 CAF 274.
[36] Le juge a conclu que les ministres avaient établi les faits suivants selon la prépondérance des probabilités :
‑ Oussama ben Laden et Al‑Qaïda ont fourni de l’argent et des ressources à la cause terroriste tchétchène par l’entremise d’Ibn Khattab et du groupe Bassaïev.
- Les groupes Bassaïev et Khattab ne faisaient pas partie du noyau d’Al‑Qaïda, mais faisaient effectivement partie du réseau ben Laden.
‑ Pendant au moins 15 mois, l’appelant s’est occupé d’un lieu d’hébergement pour Ibn Khattab. Il jouait donc un rôle actif au sein d’un groupe lié à des activités terroristes en Tchétchénie.
‑ L’appelant a franchi la frontière afghane pendant son séjour au Pakistan.
‑ L’appelant avait des liens avec le Al-Jama’a al-islamiya (AJAI), un groupe terroriste égyptien.
‑ L’appelant a employé des méthodes d’« agent dormant » au Canada. Il a caché les pseudonymes qu’il utilisait lorsqu’il était au Pakistan et il a utilisé de faux documents ainsi que des techniques de sécurité.
‑ L’appelant a aidé Abu Messab Al Shehre et Mohammed Aissa Triki, deux extrémistes islamistes, au Canada.
‑ L’appelant, avec l’aide d’Abu Zubaydah, a fourni une aide financière à Al Shehre en payant ses frais juridiques.
‑ L’appelant a conservé des liens avec des extrémistes islamistes au Canada, dont Ahmed Said Khadr et Abu Zubaydah.
‑ Il existe des motifs raisonnables de croire que l’appelant était membre d’une entité faisant partie du réseau de ben Laden, et qu’il l’appuyait, avant son arrivée au Canada.
‑ Bien que le danger qu’il représente ait diminué avec le temps, l’appelant constitue toujours un danger pour le Canada.
[37] Compte tenu des conclusions de fait susmentionnées, le juge a maintenu le certificat, estimant qu’il était raisonnable.
C. La Décision relative à la question constitutionnelle
[38] Le juge a examiné et résumé les principes qui sous‑tendent l’article 7 de la Charte. Au paragraphe 97, il a énoncé les questions comme suit :
‑ La LIPR a‑t‑elle porté atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité de M. Harkat?
‑ Dans l’affirmative, les protections établies par la nouvelle LIPR, telles les dispositions sur la divulgation et les avocats spéciaux, constituent‑elles des solutions de rechange véritables et substantielles qui respectent les principes de justice fondamentale tout en protégeant les renseignements touchant la sécurité nationale?
‑ Dans la négative, l’article premier de la Charte peut‑il sauvegarder les dispositions de la LIPR dans la mesure où les atteintes aux droits peuvent se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique?
[39] Le juge a conclu que, à l’instar de l’ancien régime de certificats de sécurité, le régime modifié établi par la Loi mettait en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’article 7 de la Charte. Je suis d’accord avec cette conclusion. De plus, le processus de certificat peut causer un préjudice irréparable à la personne visée du fait qu’elle a fait l’objet d’allégations de terrorisme et qu’elle a été renvoyée dans un pays où sa vie et sa liberté pourraient être menacées.
[40] Après avoir conclu que les droits de l’appelant étaient en cause, le juge a traité des principes de justice fondamentale. Il a estimé qu’il fallait recourir à une approche contextuelle pour appliquer l’article 7. S’appuyant sur les motifs de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Charkaoui no 1, aux paragraphes 1 et 58, il a rappelé que l’une des responsabilités fondamentales d’un État est d’assurer la protection de ses citoyens. Les renseignements touchant la sécurité nationale devraient être gardés secrets : Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, aux pages 744 et 745. Le défi, se dit-il, consiste à trouver une solution de rechange à la divulgation complète, qui respecte les droits constitutionnels de la personne visée.
[41] Le juge a conclu que la Loi révisée atteint cet objectif. Il a souligné que les principes de justice fondamentale comprennent 1) le droit à une audition; 2) présidée par un magistrat indépendant et impartial; 3) qui rend une décision fondée sur les faits et sur le droit. Il a ensuite conclu que la Loi révisée remplissait la première et la deuxième exigence. De fait, le paragraphe 83(1) de la Loi révisée étend les pouvoirs du juge désigné en matière d’équité procédurale.
[42] La version antérieure de la Loi ne remplissait pas la troisième exigence étant donné qu’elle n’autorisait pas la divulgation de suffisamment d’information à la personne visée pour lui permettre de connaître la preuve pesant contre elle. Selon le juge, ce problème ne se pose pas sous le régime de la Loi révisée. Cette dernière remplit la troisième exigence parce que :
‑ Des résumés des renseignements sont maintenant fournis à la personne visée tout au long de la procédure en application du paragraphe 77(2) et de l’alinéa 83(1)g) de la Loi. Ils comportent des renseignements très secrets, et ne s’en tiennent pas à de simples allégations. Ils sont rédigés de façon à suffisamment informer la personne visée de la preuve produite contre elle sans nuire à la sécurité nationale.
‑ L’alinéa 85.1(2)a) [édicté, idem] oblige l’avocat spécial à contester toute allégation du ministre voulant que le fait de divulguer des renseignements porte atteinte à la sécurité nationale ou menace la sécurité d’autrui.
- Les alinéas 83(1)e) et 85.1(2)a) permettent au ministre et aux avocats spéciaux de présenter des observations au juge désigné concernant la divulgation de la preuve.
[43] Le juge a estimé que l’appelant connaissait les allégations formulées contre lui. Il a conclu que la Loi révisée fournissait une protection adéquate à la personne visée grâce au nouveau régime de divulgation dans le cadre duquel les avocats spéciaux sont appelés à jouer un rôle actif et, par conséquent, qu’elle garantit le respect des principes de justice fondamentale.
[44] Malgré les différences entre la Loi et la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5 [LPC], le juge a estimé que la Loi révisée est constitutionnelle. L’appelant a soutenu devant le juge que les alinéas 83(1)c) à 83(1)e) de la Loi étaient inconstitutionnels parce qu’ils ne comportent pas de disposition mettant en balance l’intérêt public comme le fait le paragraphe 38.06(2) de la Loi sur la preuve au Canada. Le juge a rejeté cet argument. Il a distingué la Loi de la Loi sur la preuve au Canada soulignant qu’à la différence de cette dernière la Loi fait appel à des avocats spéciaux. Le législateur a choisi de ne pas mettre en balance l’intérêt public lorsque l’information menace la sécurité nationale. Toutefois, la Loi demeure constitutionnelle parce qu’elle veille à ce que suffisamment d’information soit fournie à la personne visée pour lui permettre de répondre à la preuve présentée contre elle.
[45] L’appelant a ensuite fait valoir que la disposition limitant la capacité des avocats spéciaux de communiquer avec lui était inconstitutionnelle. Le juge a souligné que le législateur craignait que des renseignements soient divulgués par inadvertance. Pour réduire ce risque, après qu’ils ont vu l’information confidentielle, le législateur a permis aux avocats spéciaux de communiquer avec la personne visée uniquement après avoir obtenu une autorisation judiciaire. Le juge a souligné que, dans la présente espèce, la plupart des demandes de communication avaient été accueillies et que ce n’est que dans de rares cas qu’elles avaient été rejetées. Qui plus est, ces demandes n’avaient pas compromis le secret professionnel de l’avocat étant donné qu’aucune des communications demandées n’était visée par ce privilège.
[46] L’appelant a fait valoir que l’alinéa 83(1)i) de la Loi qui confère au juge le pouvoir de fonder sa décision sur une preuve n’ayant pas été communiquée à la personne visée est inconstitutionnel. Le juge a rejeté cet argument jugeant qu’il était théorique étant donné sa conclusion que l’appelant connaissait toutes les allégations formulées contre lui.
[47] Bien que le juge ait conclu à l’absence de manquement à l’article 7 de la Charte, il a quand même examiné la question de savoir si un tel manquement serait justifié au sens de l’article premier. Il a conclu par l’affirmative.
D. La Décision relative à l’abus de procédure
[48] Dans les motifs relatifs à l’abus de procédure, le juge a examiné la position de l’appelant voulant qu’il y ait eu violation des droits que lui garantit l’article 7 de la Charte, et qu’il y avait lieu d’ordonner un arrêt des procédures ainsi que l’exclusion des résumés remis par le SCRS en application du paragraphe 24(1) de la Charte.
[49] Le juge s’est référé à l’arrêt R. c. Bjelland, 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651, dans lequel la Cour suprême a énoncé le critère relatif à l’exclusion de la preuve sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte :
• le préjudice subi rend le procès inéquitable; ou
• l’admission de la preuve compromet l’intégrité du système de justice; et
• il est impossible de concevoir une réparation moins draconienne pour sauvegarder l’équité ou l’intégrité.
Il a reconnu que même s’il est établi suivant la prépondérance des probabilités qu’il y a eu violation de l’article 7, un arrêt des procédures ne sera approprié que dans les cas les plus manifestes. Cela est tout aussi vrai dans les cas où il n’y a pas eu violation de la Charte.
[50] Le juge a donné un aperçu des résumés de conversations que l’appelant cherchait à faire exclure. Conformément à la politique OPS‑217, le SCRS avait détruit les originaux des enregistrements, des transcriptions et des notes des conversations en question après les avoir analysés et transposés dans des rapports. Un résumé des rapports du SCRS est ultimement ce qui fut divulgué à l’appelant et à son avocat public. S’appuyant sur l’arrêt R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, le juge a conclu qu’il n’existe pas de droit absolu à la production des documents originaux et que, si des documents pertinents sont détruits, une explication adéquate s’impose. Un résumé de la preuve originale figure dans des rapports confidentiels, lesquels ont à leur tour été résumés et communiqués à l’appelant. Ces résumés permettent à l’appelant de connaître la preuve qui pèse contre lui. De plus, la destruction des originaux n’a pas été effectuée de façon malhonnête.
[51] Le juge s’est demandé si l’appelant avait subi un quelconque préjudice et il a conclu que, si préjudice il y avait, la poursuite du procès n’aurait pas pour effet de le perpétuer ou de l’aggraver. De fait, a‑t‑il conclu, par suite de divulgations supplémentaires dont il a bénéficié, l’appelant a profité de mesures réparatrices additionnelles. Des mesures comme la communication de renseignements suivant l’arrêt Charkaoui no 2 avaient déjà été accordées. Enfin, il a conclu que la destruction des originaux ne constituait pas une violation de la Charte. Il a donc refusé d’exclure les résumés de la preuve.
[52] Le juge était d’avis qu’une quantité substantielle d’éléments de preuve avaient été communiqués à l’appelant et que les avocats spéciaux avaient bien protégé ses droits. La remise des résumés constituait la mesure réparatrice de la destruction des originaux. Autrement dit, le juge a statué que la communication visée par l’arrêt Charkaoui no 2 et le rôle joué par l’avocat spécial avaient suffi à protéger les droits que l’article 7 garantit à l’appelant.
[53] L’appelant a soutenu que l’effet cumulatif du comportement du SCRS et des ministres avait donné lieu à un abus de procédure. Le juge a rejeté cette prétention. Il a estimé que le SCRS s’était acquitté de son obligation de franchise en procédant à une divulgation complète. Il a jugé que le temps que l’appelant avait passé sous garde ne justifiait pas un arrêt des procédures en raison du nombre élevé d’avocats au dossier, du processus de communication de la preuve, et des nombreux témoins et décisions de la Cour suprême (qui ne pouvaient servir à étayer l’argument de l’abus de procédure). De plus, le retard n’a pas entravé la capacité de l’appelant de connaître la preuve qui pesait contre lui. Des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat ont été interceptées, mais elles n’ont pas été écoutées. Bien que l’ASFC ait effectué une perquisition abusive chez l’appelant, la restitution de tous les articles saisis a subséquemment été ordonnée. Enfin, le juge a statué que les questions relatives aux sources humaines et au test polygraphique ont été résolues en donnant aux avocats spéciaux accès aux dossiers des sources humaines. Il a rejeté la thèse de l’« effet cumulatif » estimant que la Cour avait fait preuve de diligence pour protéger les droits de l’appelant et qu’il était clairement dans l’intérêt public de permettre la poursuite de l’instance.
Questions en litige
[54] Il est utile de rappeler les questions soulevées en appel. Parmi les nombreuses questions formulées par l’appelant, je propose de répondre seulement aux suivantes :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
2. La question de savoir si le régime en place est constitutionnel, ou autrement dit : la Loi porte‑t‑elle atteinte aux droits à la vie, à la liberté, et à la sécurité que garantit l’article 7 de la Charte?
3. Dans l’affirmative, l’atteinte à l’article 7 est‑elle justifiée au sens de l’article premier de la Charte?
4. Les sources humaines du SCRS sont‑elles protégées par le privilège générique relatif aux indicateurs de police?
5. Le droit de l’appelant de connaître la preuve qui pesait contre lui et d’y répondre a‑t‑il été violé par suite de la destruction de la preuve originale?
6. Dans l’affirmative, quelle est la réparation convenable et juste en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte?
7. L’appelant a‑t‑il été victime d’un abus de procédure et est‑il en droit d’obtenir un arrêt des procédures?
8. Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant que le certificat de sécurité est raisonnable?
La norme de contrôle
[55] En ce qui concerne le bien‑fondé du certificat, l’article 78 de la Loi établit que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. Toutefois, le présent appel ne soulève que des questions de droit portant notamment sur la définition de différents concepts, la constitutionnalité de la Loi, et la question de savoir ce qui constitue une réparation appropriée. Les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 36.
Éléments clés relatifs à la constitutionnalité du système en place en vertu de la Loi
[56] Pour mieux comprendre les arguments constitutionnels soulevés par l’appelant, il est utile de souligner certains des éléments essentiels du régime législatif actuel.
[57] Les avocats spéciaux constituent l’élément central du nouveau système. Le juge quant à lui joue le rôle important et central d’assurer et de maintenir l’équité du processus qui, par nécessité, déroge en partie au processus contradictoire traditionnellement appliqué partout au Canada. Il s’agit d’un rôle difficile et exigeant.
[58] Le processus débute avec le dépôt par le ministre, à la Cour, de toute l’information et la preuve sur lesquelles repose le certificat de sécurité ainsi qu’un résumé de l’information qui permet à la personne visée dans le certificat d’être suffisamment informée de la thèse du ministre. Cependant, le résumé n’inclut rien qui, de l’avis du ministre, porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Le juge doit alors s’assurer que la personne visée, comme l’appelant, recevra suffisamment d’information pour connaître et répondre à la preuve invoquée contre elle, toujours sous réserve des préoccupations concernant la sécurité nationale. Si la revendication initiale du ministre quant à la confidentialité de l’information est trop large, elle fera l’objet d’une contestation de la part des avocats spéciaux. L’article 83 de la Loi impose au juge l’obligation de protéger la confidentialité de toute information ou preuve fournie par le ministre si, de l’avis du juge, sa divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou d’autrui. Cette obligation faite au juge s’étend à toute information ou autre preuve produite ou retirée par le ministre.
[59] En raison des restrictions susmentionnées auxquelles est assujettie la divulgation, certaines parties des audiences se tiennent en l’absence de la personne visée et de son conseil, ce qui restreint le droit et la capacité de la personne visée de répondre aux allégations formulées contre elle. Pour pallier cette limite, sur demande, le juge peut nommer une personne en particulier pour agir à titre d’avocat spécial dans l’instance à moins que la nomination de cette personne retarde indûment l’instance, ne mette cette personne en situation de conflit d’intérêts ou qu’elle ait déjà connaissance de certains des renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et que ces renseignements risquent d’être divulgués par inadvertance.
[60] Le rôle et les pouvoirs des avocats spéciaux sont prévus aux articles 85.1 et 85.2 de la Loi. De façon générale, ils sont chargés de défendre les intérêts de la personne visée dans des procédures de la nature de celles dont l’appelant fait l’objet lorsque des renseignements ou une preuve sont entendus à huis clos, c’est‑à‑dire en l’absence de la personne visée et en l’absence de son conseil.
[61] En vertu de l’alinéa 85.1(2)a), il revient aux avocats spéciaux de contester les affirmations du ministre voulant que la divulgation de renseignements ou autres éléments de preuve porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.
[62] De plus, il incombe aux avocats spéciaux d’éprouver la valeur des renseignements ou éléments de preuve fournis par le ministre à huis clos en contestant leur pertinence, leur fiabilité, leur suffisance et l’importance qui devrait leur être accordée : alinéa 85.1(2)b).
[63] Pour permettre aux avocats spéciaux de s’acquitter de leurs fonctions, l’article 85.4 oblige le ministre à leur fournir une copie de tous les renseignements et autres éléments de preuve qui ont été fournis au juge mais qui n’ont été communiqués ni à la personne visée ni à son conseil. Toutefois, cette disposition n’autorise pas les avocats spéciaux à avoir accès à tous les renseignements que possède le gouvernement, notamment les renseignements protégés par le secret professionnel : voir Almrei (Re), 2009 CF 314, au paragraphe 31.
[64] L’article 85.2 accorde aux avocats spéciaux le pouvoir de participer aux audiences tenues à huis clos et de contre‑interroger les témoins qui ont été entendus lors de celles‑ci. Ils peuvent présenter des observations orales ou écrites concernant les renseignements et autres éléments de preuve que le ministre a fournis au juge, mais qui n’ont été communiqués ni à la personne visée ni à son conseil. Enfin, le juge peut permettre aux avocats spéciaux d’exercer tout pouvoir nécessaire à la défense des intérêts de la personne visée.
[65] Bien que les avocats spéciaux puissent demander que des témoins soient interrogés et contre‑interrogés à huis clos, cette façon de procéder comporte des limites sur le plan légal et sur le plan pratique. Par exemple, il est presque impossible de forcer la comparution d’un membre d’une organisation étrangère qui a fourni les renseignements ou les éléments de preuve que les avocats spéciaux cherchent à contester. Comme nous le verrons plus loin, l’accès à l’identité d’une source humaine et la possibilité de la contre‑interroger demeure des sujets de préoccupation pour les avocats spéciaux. La personne visée et son conseil n’ont pas le droit d’obtenir des renseignements ou des éléments de preuve susceptibles de porter atteinte à la sécurité d’autrui. À cet égard, le droit de la personne visée d’obtenir la divulgation et de contre‑interroger est exercé par ses avocats spéciaux.
[66] Avant la réception d’une copie de tous les renseignements et autres éléments de preuve fournis au juge, le droit des avocats spéciaux de communiquer avec d’autres personnes, notamment avec la personne visée et son conseil, n’est pas restreint. Toutefois, une fois qu’ils ont reçu les renseignements confidentiels en question, le paragraphe 85.4(2) leur interdit de communiquer avec qui que ce soit au sujet de l’instance si ce n’est avec l’autorisation du juge. L’interdiction de communiquer s’applique pour la durée de l’instance quoique les avocats spéciaux demeurent sans l’obligation de protéger la confidentialité des renseignements. Le juge peut assujettir son autorisation de communiquer avec une personne aux conditions qu’il estime indiquées.
[67] Lorsqu’une autorisation de communiquer avec une autre personne est accordée, le paragraphe 85.4(3) permet au juge d’interdire à cette dernière de communiquer avec qui que ce soit d’autre au sujet de l’instance, et ce, jusqu’à la fin de celle‑ci, ou d’assujettir à des conditions toute communication de cette personne à ce sujet, jusqu’à la fin de l’instance.
[68] Ce bref aperçu m’amène à l’analyse des décisions du juge et des prétentions des parties.
Analyse des décisions du juge et des prétentions des parties
[69] Il convient de commencer l’analyse des décisions du juge en examinant la question de la constitutionnalité du régime en place. Elle touche au cœur même de la légalité et de la légitimité du processus de certificats se sécurité. Elle subsume et commande également une analyse des éléments les plus fondamentaux du processus. De plus, il n’est pas nécessaire de traiter des autres motifs d’appel si le processus est jugé inconstitutionnel.
A. La constitutionnalité du régime en place
[70] L’appelant conteste diverses dispositions de la Loi au motif qu’elles portent atteinte à ses droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et ne respectent pas les principes de justice fondamentale. Le critère de l’article 7 a été articulé comme suit : 1) la vie, la liberté ou la sécurité de l’intéressé sont‑ils en cause? 2) dans l’affirmative, les atteintes respectent‑elles les principes de justice fondamentale? : voir Charkaoui no 1, au paragraphe 12. Le juge a conclu que le nouveau régime de certificats de sécurité établi par la Loi mettait en cause les droits que l’article 7 de la Charte garantit à l’appelant. Une personne visée par un certificat de sécurité peut être détenue ou libérée sous des conditions strictes restreignant sa liberté. De plus, comme la Cour suprême l’a dit dans l’arrêt Charkaoui no 1, au paragraphe 14, la sécurité de la personne visée est en jeu. Le processus de certificat peut s’accompagner d’allégations que la personne visée est un terroriste, ce qui pourrait causer un préjudice irréparable à l’individu et mener à son renvoi vers un autre pays. Ces conclusions s’appliquent en l’espèce.
[71] Les principes de justice fondamentale ont été examinés par la Cour suprême. Dans l’arrêt Charkaoui no 1 [au paragraphe 58], la Cour « a reconnu à de nombreuses reprises que des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à l’intéressé » et que la protection des méthodes d’enquête et des sources utilisées par la police et la préservation de la confidentialité des documents relatifs à la sécurité publique et des renseignements confidentiels de source étrangère sont des « préoccupations d’ordre social [qui] font partie du contexte pertinent dont il faut tenir compte pour déterminer la portée des principes applicables de justice fondamentale ». Néanmoins, les principes de justice fondamentale commandent que la personne visée bénéficie d’une audience équitable. Autrement dit, la personne visée doit non seulement être informée de la preuve qui pèse contre elle, mais aussi avoir la possibilité d’y répondre.
[72] J’examine ci‑dessous la question de savoir si les divers éléments de la Loi révisée permettent à l’appelant de connaître la preuve qui pèse contre lui et d’y répondre, et donc s’ils sont conformes aux principes de justice fondamentale.
a) Le défaut de la Loi et du juge de respecter le critère d’équité de l’article 7
[73] L’appelant conteste d’abord la constitutionnalité du processus en attaquant le paragraphe 77(2) et l’alinéa 83(1)e) de la Loi que je reproduis ci‑dessous par souci de commodité :
77. […] |
|
(2) Le ministre dépose en même temps que le certificat les renseignements et autres éléments de preuve justifiant ce dernier, ainsi qu’un résumé de la preuve qui permet à la personne visée d’être suffisamment informée de sa thèse et qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon le ministre, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. […] |
Dépôt de la preuve et du résumé |
83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 : […] e) il veille tout au long de l’instance à ce que soit fourni à l’intéressé un résumé de la preuve qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et qui permet à l’intéressé d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause; [Je souligne.] |
Protection des renseignements |
[74] Voici en quoi consiste l’argument. Le législateur n’a pas satisfait au critère d’équité établi par la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui no 1 en se bornant à exiger que l’intéressé soit, suivant la version anglaise, reasonably informed of the case made by the Minister in the proceeding alors que la Cour suprême a statué qu’il devait être suffisamment informé des allégations formulées contre lui pour lui permettre d’y répondre.
[75] À première vue, l’argument semble intéressant. Toutefois, il ne résiste pas à un examen plus approfondi. L’exigence d’être « reasonably informed » soulève la question suivante : comment et à quel moment la personne visée l’est‑elle? La réponse se trouve dans la version française du paragraphe 77(2) et de l’alinéa 83(1)e).
[76] En fait, la version française de ces dispositions emploie justement les mots « suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause » (je souligne). À cet égard, la version française est plus précise que la version anglaise, elle est plus favorable à la personne visée et elle s’accorde mieux avec l’exigence d’équité de l’article 7 de la Charte. Les textes anglais et français ayant la même valeur (voir l’article 18 de la Charte), il convient, pour les motifs susmentionnés, de préférer la version française.
[77] De plus, je conviens avec l’avocat des intimés que l’exigence d’être « suffisamment informé » est nuancée par l’article 7 de la Charte : la personne visée doit être informée de façon à lui permettre de connaître la preuve qui pèse contre elle et d’y répondre.
[78] Dans ce contexte, bien que l’argument ne mette pas en cause la constitutionnalité du régime en place, l’appelant soutient que le juge a appliqué un critère plus dilué que celui qu’exige l’article 7. On dit qu’il a restreint la connaissance que la personne visée doit avoir de la preuve présentée contre elle à la connaissance nécessaire pour simplement qu’il lui soit permis d’y répondre : voir le paragraphe 31 de la Décision relative à la question constitutionnelle. Selon l’appelant, il ne suffit pas qu’il lui soit permis de répondre. Il doit être en mesure de contester la preuve présentée contre lui, de contredire les allégations et d’attaquer la crédibilité des indicateurs. Il convient de traiter de ces questions à ce moment‑ci.
[79] Cet argument n’est pas fondé et ne rend pas vraiment justice au juge qui s’est référé au critère formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui no 1 et qui l’a appliqué. Au paragraphe 53 de cet arrêt, la juge en chef McLachlin écrit ce qui suit :
Dernier élément, qui n’est toutefois pas le moindre, une audition équitable suppose que l’intéressé soit informé des allégations formulées contre lui et ait la possibilité d’y répondre. [Je souligne.]
[80] Il est juste de dire que la terminologie utilisée dans la jurisprudence pour décrire l’obligation imposée par l’article 7 a varié au fil du temps. La juge en chef McLachlin le fait implicitement remarquer au paragraphe 53 de ses motifs lorsqu’elle renvoie aux arrêts Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la page 213; et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 123. Dans l’arrêt Singh, la Cour s’est demandé si la procédure offrait à la personne visée une possibilité suffisante d’exposer sa cause et de savoir ce qu’elle doit prouver. Dans l’arrêt Suresh, la Cour a statué qu’une personne susceptible d’être expulsée doit non seulement être informée des éléments invoqués contre elle, mais aussi avoir la possibilité de contester l’information recueillie par le ministre.
[81] Quoi qu’il en soit, il ne fait pas de doute que, dans la Décision relative à la question constitutionnelle, le juge connaissait le critère devant être appliqué lorsqu’il a fait mention des « droits de la personne visée de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre » et « de connaître ce qui lui était reproché et de contester la thèse du gouvernement » : voir les paragraphes 88 et 91. Au paragraphe 95 de la Décision relative à l’abus de procédure susmentionnée, le juge a fait savoir qu’il comprenait bien le critère applicable lorsqu’il a écrit que « la Cour doit évaluer l’effet de la non‑divulgation sur la capacité de la personne visée à connaître la preuve produite contre elle et à y répondre ».
[82] Le juge a utilisé les termes employés par la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui no 1 dans le résumé qu’il fait au paragraphe 31 de ses motifs, et il est clair que tout au long de son analyse il a appliqué le critère que commande l’article 7. Aux paragraphes 85 et 127 de ses motifs, le juge adopte les grands principes de justice fondamentale énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui no 1, au paragraphe 29, à savoir, en ce qui concerne la déclaration contestée, que la tenue d’une audience équitable « emporte le droit de chacun de connaître la preuve produite contre lui et le droit d’y répondre » (je souligne). Au paragraphe 88, il reconnaît que le régime de certificat de sécurité auparavant applicable ne garantissait pas que la personne visée serait « suffisamment informée » (je souligne) en raison des limites imposées à la divulgation. Enfin, dans sa conclusion, au paragraphe 204, il statue qu’avec le « nouveau processus de divulgation, la personne visée est suffisamment informée de la preuve produite contre elle et elle est capable d’y répondre » (je souligne). Ayant examiné les motifs à l’appui de sa décision, je suis convaincu que le juge a appliqué le critère que commande l’article 7 en ce qui concerne l’équité de l’audience et que le paragraphe 77(2) et l’alinéa 83(1)e) de la Loi respectent les principes de justice fondamentale.
b) Les restrictions en matière de divulgation
i) Les résumés des renseignements confidentiels constituent‑ils une communication inadéquate?
[83] L’appelant soutient que le nouveau système en place assujettit lui aussi la divulgation à des restrictions indues le rendant inconstitutionnel. En ne recevant que des résumés des éléments de preuve confidentiels, l’appelant estime être privé de la possibilité de connaître la preuve qui pèse contre lui et d’y répondre. De plus, les restrictions auxquelles la divulgation est actuellement assujettie entravent son droit de contre‑interroger, de sorte qu’il n’est pas en mesure de répondre aux allégations formulées contre lui.
[84] Bien qu’il soit vrai que la personne visée n’ait pas accès aux documents confidentiels, les avocats spéciaux qui le représentent et le juge reçoivent ces documents. Comme il a déjà été expliqué, il revient aux avocats spéciaux de veiller à ce que les éléments de preuve confidentiels soient contestés au nom de la personne visée et de défendre ses intérêts. Le juge a quant à lui l’obligation de garantir l’équité procédurale. Par son argument, l’appelant prétend à un droit absolu d’avoir accès à tous les renseignements, confidentiels ou non, sans égard aux préoccupations en matière de sécurité nationale. Cet argument a déjà été rejeté par la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui no 1.
[85] Le nouveau régime permet une divulgation beaucoup plus étendue que le premier régime, et donne à la personne visée une meilleure et plus grande possibilité de connaître la preuve qui pèse contre elle et d’y répondre. Il ressort des paragraphes 25 à 31 des motifs du juge dans la Décision relative à la question constitutionnelle qu’il y eut une ample divulgation de l’information et qu’elle a permis à l’appelant d’être suffisamment bien informé de la preuve qui pèse contre lui, et à son conseil et aux avocats spéciaux d’y répondre. Je reproduis en annexe aux présents motifs les paragraphes 25 à 31 susmentionnés. Je souscris aux motifs du juge et à sa conclusion selon laquelle la divulgation prévue par la Loi révisée lorsque combinée à la sauvegarde procédurale que sont les avocats spéciaux respecte les principes de justice fondamentale.
[86] La position de l’appelant concernant la question susmentionnée comporte deux aspects. Une personne visée se voit nier non seulement l’accès aux renseignements confidentiels fournis par les sources humaines, mais aussi à l’identité de ces dernières. Par conséquent, le droit au contre‑interrogatoire de la personne visée est entravé et restreint au point de l’empêcher de connaître la preuve qui pèse contre elle et d’y répondre. De plus, le préjudice que subit la personne visée est maintenant aggravé par le fait que dans la Décision relative au privilège le juge a étendu l’application du privilège relatif aux indicateurs de police aux sources humaines du SCRS et ainsi créé un privilège générique pour ces sources.
[87] En réponse à la première observation, je note que les avocats spéciaux ont accès aux renseignements confidentiels des sources humaines pour le compte de la personne visée. Ils peuvent contester la fiabilité de ces renseignements en utilisant d’autres renseignements confidentiels qu’ils ont le droit de recevoir ainsi que les informations que leur fournit la personne visée ou son conseil. Je ne crois pas que le droit au contre‑interrogatoire est assujetti à des restrictions de nature à rendre le système inconstitutionnel.
[88] L’appelant fait valoir que le juge a commis une erreur en créant un privilège générique pour les sources humaines. Il s’appuie sur l’arrêt Canada (Procureur général) c. Almalki, 2011 CAF 199, [2012] 2 R.C.F. 594 rendu après la Décision relative au privilège, dans lequel notre Cour a conclu que le privilège relatif aux indicateurs de police ne s’applique pas aux sources humaines du SCRS.
[89] L’avocat des intimés appuie en partie la décision du juge parce qu’un privilège générique est nécessaire pour offrir une protection suffisante aux sources humaines du SCRS. Toutefois, il s’oppose à l’application de l’exception relative au « besoin de connaître » retenue par le juge pour remplacer l’exception relative à la démonstration de l’innocence applicable à l’égard du privilège relatif aux indicateurs de police dans les instances criminelles. Selon lui, la seule exception qui existe et qui devrait exister est celle qui entre en jeu lorsque la divulgation des renseignements est nécessaire pour empêcher la condamnation d’une personne innocente.
[90] L’avocat des intimés a insisté sur la nécessité de confidentialité dans les affaires mettant en cause la sécurité nationale et sur le fait que la protection de l’identité des indicateurs pèse encore plus dans la balance en ce qui concerne la protection de la sécurité nationale contre la violence et le terrorisme qu’en ce qui concerne une enquête policière sur des crimes. Il nous renvoie à deux arrêts antérieurs Solliciteur général du Canada et autre c. Commission royale d’enquête (Dossiers de santé en Ontario), [1981] 2 R.C.S. 494, à la page 34; et Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711 [précité], aux pages 744 et 745.
[91] Je ne conteste pas que la protection de l’identité des indicateurs est nécessaire. En disant cela, toutefois, on ne fait que soulever la question suivante en ce qui concerne les sources humaines du SCRS : comment et par quel moyen la protection devrait‑elle être accordée? Les deux arrêts invoqués devant nous ne répondent pas à cette question. Dans le premier arrêt, la nécessité d’une protection contre la divulgation de l’identité des indicateurs a été examinée dans le contexte traditionnel des enquêtes policières sur des questions de sécurité nationale. Or, les agents et les employés du SCRS ne sont pas des policiers : voir Almalki, précité, au paragraphe 20. Dans le deuxième arrêt, il est fait mention de l’arrêt, rendu par la Cour d’appel d’Angleterre en 1977, R. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Hosenball, [1977] 3 All E.R. 452, à la page 460, dans lequel lord Denning ne fait que mentionner la nécessité de protection contre la divulgation dans les affaires de sécurité nationale.
[92] Quoi qu’il en soit, aussi intéressants que ces arrêts puissent être, le fait est que la Section 9 de la Loi — Certificats et protection de renseignements — contient une série de mesures législatives visant à assurer la protection contre la divulgation de certains renseignements et le respect du droit à une audience équitable garanti par l’article 7 de la Charte. Je dois procéder à l’examen de ces mesures pour déterminer si parmi celles‑ci un privilège générique est prévu pour les sources humaines du SCRS et, dans la négative, si le régime législatif en place permet la création d’un tel privilège par les tribunaux.
[93] En droit civil et en droit administratif, le privilège générique que cherchent à faire reconnaître les intimés constituerait en fait un privilège à la fois nouveau et absolu étant donné qu’actuellement l’exception relative à la démonstration de l’innocence s’applique uniquement dans les instances criminelles. Une personne, comme l’appelant, qui n’est pas accusé d’un crime, mais qui dans un premier temps a été détenu et est maintenant en liberté sous conditions, pourrait se retrouver dans une situation pire que celle dans laquelle serait une personne accusée d’un crime sérieux. Après un examen exhaustif de l’arrêt rendu par notre Cour dans Almalki, je demeure convaincu, pour les motifs additionnels exposés ci‑dessous, que le privilège relatif aux indicateurs de police ne s’applique pas aux sources humaines du SCRS et qu’il ne convient pas d’en étendre la portée ou de créer un privilège générique pour ces sources par voie judiciaire.
[94] Premièrement, la création, par voie judiciaire, du privilège générique envisagé par les intimés irait à l’encontre de l’intention du législateur énoncée au paragraphe 77(2) et aux alinéas 83(1)c), d) et e) de la Loi. Ces dispositions empêchent la communication à la personne visée de renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité d’autrui, y compris bien sûr les sources humaines de renseignement.
[95] L’interdiction de communication toutefois est conditionnelle à ce que le juge soit d’avis que la divulgation constitue un danger pour la source. En l’absence d’un tel danger et d’un danger pour la sécurité nationale, les renseignements doivent être communiqués à la personne visée et à son conseil en vertu du paragraphe 77(2) et de l’alinéa 83(1)e) de la Loi. Un privilège générique de la nature de celui que les intimés recherchent suppose et tient pour acquis qu’il existe un danger pour la sécurité de l’indicateur. Son application est une règle juridique d’ordre public qui s’impose au juge : voir Almalki, précité, au paragraphe 15. D’où la protection absolue automatique, assujettie uniquement à l’exception relative à la démonstration de l’innocence. Si notre Cour devait créer un privilège générique applicable aux sources humaines du SCRS, elle supprimerait le devoir expressément attribué au juge de déterminer à l’égard de chacun des renseignements fournis par une source s’il est opportun ou non de le divulguer à la personne visée. Ce faisant la Cour modifierait la Loi, usurpant ainsi la fonction du législateur et substituant son point de vue sur la protection qui devrait être offerte aux sources humaines en vertu de la Loi. Comme le disait le juge Binnie dans l’arrêt R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, au paragraphe 42 :
Il est probable qu’à l’avenir, tout nouveau privilège « générique » sera créé, le cas échéant, par une intervention législative.
[96] Dans l’arrêt Almalki, précité, les intimés ont invoqué sans succès les articles 18 et 19 [mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25(1)d); 2003, ch. 22, art. 224z.12)(A)] de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C‑23, à l’appui de leur demande relative à la reconnaissance d’un privilège générique. Ils nous renvoient maintenant à l’article 39 de la Loi sur le SCRS pour appuyer la thèse voulant que les sources humaines aient de tout temps bénéficié du privilège. Je reproduis ci‑dessous cette disposition ainsi que l’article 31 :
31. (1) Par dérogation à toute autre loi fédérale mais sous réserve du paragraphe (2), l’inspecteur général est autorisé à avoir accès aux informations qui se rattachent à l’exercice de ses fonctions et qui relèvent du Service; à cette fin, il est aussi autorisé à recevoir du directeur et des employés les informations, rapports et explications dont il juge avoir besoin dans cet exercice. |
Accès aux informations |
(2) À l’exception des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, aucune des informations visées au paragraphe (1) ne peut, pour quelque motif que ce soit, être refusée à l’inspecteur général. […] |
Production obligatoire |
39. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le comité de surveillance peut déterminer la procédure à suivre dans l’exercice de ses fonctions. |
Procédure |
(2) Par dérogation à toute autre loi fédérale ou toute immunité reconnue par le droit de la preuve, mais sous réserve du paragraphe (3), le comité de surveillance : a) est autorisé à avoir accès aux informations qui se rattachent à l’exercice de ses fonctions et qui relèvent du Service ou de l’inspecteur général et à recevoir de l’inspecteur général, du directeur et des employés les informations, rapports et explications dont il juge avoir besoin dans cet exercice; b) au cours des enquêtes visées à l’alinéa 38c), est autorisé à avoir accès aux informations qui se rapportent à ces enquêtes et qui relèvent de l’administrateur général concerné. |
Accès aux informations |
(3) À l’exception des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, aucune des informations visées au paragraphe (2) ne peut, pour quelque motif que ce soit, être refusée au comité. |
Idem |
[97] Je ne crois pas que l’article 39 nous aide à trancher le débat. Au contraire, cette disposition donnerait, au comité de surveillance, accès à des renseignements protégés fournis par une source humaine — y compris le nom de la source — alors que le juge chargé en vertu de la Loi de garantir l’équité procédurale de l’instance concernant la personne visée se verrait lui‑même refuser l’accès en raison de leur caractère privilégié. De plus, en vertu du paragraphe 31(2), l’inspecteur général aurait également accès à ces renseignements. Non seulement cela aurait‑il pour effet de modifier la nature du privilège relatif aux indicateurs de police, mais cela serait en outre incompatible avec la politique de divulgation établie par le législateur aux articles 77 et 83 de la Loi.
[98] Enfin, les articles 31 et 39 de la Loi sur le SCRS ne sont pas compatibles avec la prétention des intimés que le privilège de l’indicateur de police applicable aux sources humaines du SCRS est et devrait être absolu, si ce n’est d’une seule exception, à savoir l’exception relative à la démonstration de l’innocence, qui ne s’applique pas à eux. De plus, ces deux dispositions iraient à l’encontre des promesses de confidentialité faites aux sources du SCRS.
[99] Évidemment, lors des procédures à huis clos, la question du préjudice à la sécurité nationale ne se pose pas puisque l’avocat spécial a accès à la même information que le juge. Pour refuser à l’avocat spécial l’accès à une source humaine, les ministres doivent convaincre le juge que la divulgation porterait atteinte à la sécurité d’autrui.
[100] Pour ces motifs supplémentaires, j’estime que l’arrêt Almalki était bien fondé. Si, par voie judiciaire, nous devions créer pour les sources humaines du SCRS un privilège générique absolu tel que revendiquent les intimés, ou leur octroyer le privilège de l’indicateur de police, je crains que l’ajout de cette restriction à celles qui s’appliquent déjà dans le cadre des instances concernant les certificats de sécurité, compte tenu en outre de la nature confidentielle de ces instances, contribuerait grandement à faire pencher la balance de la justice du côté de l’inconstitutionnalité.
[101] En première instance ainsi qu’en appel, l’appelant a soutenu qu’une pondération d’intérêts semblable à celle que prévoit l’article 38 [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141] de la Loi sur la preuve au Canada s’imposait. L’article 38.06 [édicté, idem, art. 43] de la LPC permet au juge d’ordonner la communication de renseignements dont la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales si des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation. Dans un tel cas, le juge peut assujettir la divulgation aux conditions qu’il estime indiquées. L’appelant soutient que ce processus lui garantirait une plus grande équité procédurale. Cela contribuerait à rendre le régime actuel constitutionnel étant donné qu’il respecterait davantage le droit que l’article 7 de la Charte garantit à la personne visée de connaître la preuve qui pèse contre elle et d’y répondre.
[102] Pour les motifs qui suivent, j’ai, je dois le dire, de la difficulté à comprendre comment la prétention de l’appelant pourrait tenir la route. Sous le régime en place, la divulgation est meilleure et plus étendue que celle que prévoit l’article 38 de la LPC. Les avocats spéciaux de la personne visée ont plein accès à tous les renseignements confidentiels que le juge reçoit. Le régime de l’article 38 ne fait pas appel à des avocats spéciaux.
[103] De plus, l’obligation du ministre de déposer des renseignements devant la Cour et l’obligation du juge de communiquer ces renseignements à la personne visée et à son conseil sont régies par le critère d’équité plus exigeant de l’article 7 de la Charte plutôt que par le concept d’intérêt public. Bien qu’il ne soit pas nécessairement dans l’intérêt public de divulguer un renseignement donné, la divulgation peut quand même être requise en vertu de l’article 7 pour garantir l’équité procédurale dans une instance concernant la personne visée. Autrement dit, le processus de divulgation prévu par la Loi est conçu pour garantir à la personne visée l’équité de l’instance concernant le certificat de sécurité. L’accent est mis non pas sur les raisons d’intérêt public qui justifient la communication, mais plutôt sur le droit et le besoin qu’a la personne visée de connaître les renseignements en cause de façon à ce qu’elle soit en mesure de donner des instructions à son conseil et à ses avocats spéciaux et de répondre à la preuve qui pèse contre elle.
[104] Enfin, l’avocat de l’appelant a fait valoir que rien ne justifie la création d’un privilège générique qui serait incontestable dans l’absolu étant donné que, comme pour les privilèges régis par le critère de Wigmore, la pondération peut s’effectuer au cas par cas. Peu importe que l’on invoque l’article 38 de la LPC ou un privilège régi par le critère de Wigmore, la divulgation doit être conforme à la Loi, sous réserve toutefois des privilèges prépondérants comme le privilège du secret professionnel de l’avocat lequel, pour reprendre les termes de la Cour suprême, « commande en soi une place exceptionnelle dans le système juridique » et « [il fait] partie intégrante des rouages du système juridique lui‑même » : voir Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 R.C.S. 574, au paragraphe 30.
[105] L’avocat des intimés soutient que sa position n’implique pas la création d’un nouveau privilège relatif aux indicateurs de police : selon lui, il ne fait qu’étendre le privilège existant déjà en droit criminel aux sources humaines du SCRS. En tant que sources humaines du SCRS, elles obtiendraient un nouveau privilège dont elles ne bénéficiaient pas auparavant. Un privilège générique absolu, qui ne s’y appliquait pas, entrerait dès lors en jeu dans tous les domaines du droit civil et du droit administratif. Je ne vois pas comment on peut prétendre que cela n’équivaut pas à créer un nouveau privilège pour ceux qui n’en bénéficiaient pas.
iii) La règle des tiers, l’admissibilité de la preuve par ouï‑dire et le droit au contre-interrogatoire
[106] La règle des tiers vise des renseignements reçus, sous le sceau de la confidentialité, de tiers — habituellement des organismes étrangers — avec l’engagement de ne pas en divulguer la teneur et la source sans avoir obtenu leur consentement.
[107] L’appelant soutient que la non‑divulgation de ces éléments de preuve par ouï‑dire, jumelée au fait qu’une preuve de cette nature puisse être admise dans une instance en matière de certificat de sécurité en application de l’alinéa 83(1)h) de la Loi, réduit de façon considérable et le prive même, dans de nombreux cas, de son droit au contre‑interrogatoire. Selon l’appelant, il s’agit d’une autre restriction en matière de divulgation qui milite en faveur de l’inconstitutionnalité du régime en place parce qu’elle le prive de son droit de connaître la preuve produite contre lui et d’y répondre.
[108] Il est vrai que l’appelant et son conseil n’ont pas plein accès aux renseignements provenant de tiers ni à la source de ces renseignements et qu’ils reçoivent plutôt un résumé de ces renseignements. Toutefois, les avocats spéciaux de l’appelant ainsi que le juge disposent de ces renseignements. Il est également vrai que l’appelant, son conseil ainsi que ses avocats spéciaux ne sont que rarement, sinon jamais, en mesure de contre‑interroger les représentants des tiers. Toutefois, la protection de la sécurité nationale est en partie assurée par l’échange de renseignements entre états. Le Canada compte largement sur des sources étrangères de renseignements et il doit pouvoir se fier aux renseignements obtenus pour être en mesure d’évaluer les menaces à sa sécurité. Il appartient au juge de trancher la question de leur admissibilité dans le cadre d’une instance en matière de certificat de sécurité et celle du poids qu’il convient de leur accorder dans la mesure où ils sont admis en preuve. En vertu de la Loi, les éléments de preuve par ouï‑dire doivent être dignes de foi et utiles. Les avocats spéciaux de l’appelant peuvent présenter des observations verbales ou écrites au juge portant sur la fiabilité et la pertinence de ces éléments de preuve. En outre, les avocats spéciaux peuvent faire valoir qu’il n’y a pas lieu d’accorder de poids, ou beaucoup de poids, à ces éléments de preuve parce qu’ils n’ont pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire. D’autres éléments de preuve provenant de différentes sources de renseignement peuvent également guider le juge dans son appréciation de la question de l’admissibilité de ces éléments de preuve et du poids qu’il convient de leur accorder.
[109] Enfin, le gouvernement est tenu de prendre les moyens raisonnables afin d’obtenir le consentement du tiers qui a fourni les renseignements ou prouver qu’une demande de consentement à la divulgation lui serait refusée : Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.F.), au paragraphe 110, porté en appel devant la Cour suprême, mais non sur cette question, 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3; Charkaoui (Re), 2009 CF 476, [2010] 3 R.C.F. 102, au paragraphe 21.
[110] L’appelant argumente avec force que le gouvernement n’a pas assumé pleinement son obligation en l’espèce. Cependant, le juge a tiré de la preuve une conclusion de fait (Décision relative à l’abus de procédure) selon laquelle les démarches des ministres et du SCRS rencontraient les exigences du devoir qui leur était imposé. Je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans cette conclusion du juge.
[111] Bien qu’en ce qui concerne les renseignements obtenus auprès de tiers le droit au contre‑interrogatoire pose certaines difficultés pour la personne visée, il se trouve que ce droit n’est pas illimité et que le droit de celle-ci de savoir ce qu’on lui reproche n’est pas absolu : voir R c. Lyttle, 2004 CSC 5, [2004] 1 R.C.S. 1, au paragraphe 45; R. c. Ahmad, 2011 CSC 6, [2011] 1 R.C.S. 110. Au paragraphe 7 de l’arrêt Ahmad, la Cour suprême a réaffirmé qu’elle « a reconnu à de nombreuses reprises que des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à l’intéressé ». Ainsi, l’imposition de restrictions en matière de divulgation dans le contexte qui nous occupe et, donc, sur le droit au contre‑interrogatoire ne se traduit pas nécessairement par une privation du droit à une défense pleine et entière à l’encontre des allégations formulées, laquelle entraînerait une instruction ou des procédures inéquitables : Ahmad, au paragraphe 30. La Cour suprême poursuit en ajoutant que « dans bien des cas la non‑divulgation de renseignements protégés n’aura aucune incidence sur l’équité du procès, ou alors des mesures autres que la divulgation totale pourront garantir que l’équité du procès n’est pas compromise par l’absence de divulgation totale ».
[112] En résumé, les limites à la divulgation et au droit au contre‑interrogatoire découlant de l’application de la règle des tiers sont conformes aux principes de justice fondamentale et ne rendent pas le régime actuel inconstitutionnel, dans la mesure où des solutions de rechange adéquates sont en place pour assurer une audience équitable. Autrement dit, la constitutionnalité ou l’inconstitutionnalité du régime en place ne tient pas au fait que, dans une instance donnée, le processus s’est avéré équitable ou pas. Il est cependant possible que dans un cas où des solutions de rechange à la divulgation ne peuvent assurer l’équité requise par l’article 7 de la Charte, le ministre doive choisir entre divulguer les renseignements, les retirer ou mettre un terme aux procédures engagées : Ahmad, au paragraphe 7.
iv) Les restrictions au droit des avocats spéciaux de communiquer avec l’appelant
[113] En critiquant les restrictions imposées au droit des avocats spéciaux de communiquer avec lui, l’appelant se plaint en fait que ces restrictions nuisent à la capacité des avocats spéciaux qui le représentent de défendre adéquatement ses intérêts.
[114] En vertu de l’article 85.4 et de l’alinéa 85.5b) de la Loi, les avocats spéciaux ne peuvent communiquer avec la personne visée ou toute autre personne après avoir reçu les renseignements confidentiels communiqués au juge. Les avocats spéciaux ne sont pas autorisés à parler à d’autres témoins parce qu’ils ne peuvent communiquer avec qui que ce soit au sujet de l’instance. Contrairement au conseil de la personne visée, ils ne peuvent recueillir des éléments de preuve, ni ne peuvent se réunir afin de discuter de sujets de préoccupation communs à leur rôle d’avocats spéciaux et à l’instance.
[115] Je peux concevoir, par exemple, que les avocats spéciaux et le conseil de la personne visée, ou cette dernière, puissent souhaiter communiquer entre eux dans les cas où une nouvelle preuve est recueillie et produite. La personne visée doit être en mesure de donner des instructions efficaces aux avocats spéciaux au regard de cette nouvelle preuve ou des allégations qu’elle contient : voir par exemple Secretary of State for the Home Department v. AF & Anor, [2009] UKHL 28, au paragraphe 59.
[116] J’estime cependant que le paragraphe 85.4(2) et l’article 85.5 de la Loi comportent la souplesse nécessaire pour garantir l’équité procédurale ainsi que la protection de la sécurité nationale et de la sécurité d’autrui. Le juge dispose du pouvoir de lever l’interdiction de communiquer et d’imposer des conditions compatibles avec les objectifs décrits ci‑dessus. En fait, 12 des 18 demandes d’autorisation de communiquer avec la personne visée ont été accueillies par le juge. Le conseil de l’appelant pouvait communiquer selon son bon vouloir avec les avocats spéciaux sans autorisation judiciaire : voir le paragraphe 139 de la Décision relative à la constitution. Une fois de plus, le fait qu’une requête donnée ait pu être rejetée à tort ne compromet pas la constitutionnalité du régime en place.
c) Conclusion
[117] Je suis convaincu que le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que le régime de certificats de sécurité en place est conforme aux principes de justice fondamentale parce qu’il permet à une personne visée d’effectivement connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre. Il n’existe pas de solution magique lorsqu’un droit aussi fondamental que le droit à la liberté et à la sécurité d’une personne se heurte au droit fondamental et à l’obligation qu’a une nation d’assurer sa sécurité et le maintien de l’ordre. Comme notre Cour l’a dit au paragraphe 100 de l’arrêt Charkaoui (Re), [2005] 2 R.C.F. 299 [cité ci-dessus], en de telles circonstances, le choix qui s’offre n’est pas un choix entre l’ordre ou la liberté. C’est un choix entre la liberté avec ordre et l’anarchie sans l’un ni l’autre. Il a été jugé que l’ancien régime de certificats de sécurité n’offrait pas une protection suffisante au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Le nouveau régime a été conçu en vue de remédier aux carences de l’ancien régime et d’assurer le respect du droit des individus à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne dans le cadre de l’ordre constitutionnel existant.
[118] Je suis d’accord avec le conseil de l’appelant que le fait que le processus de divulgation mis en place dans le cadre du nouveau régime fonctionne bien n’est pas une garantie de constitutionnalité : voir le paragraphe 140 de la Décision relative à la constitution où le juge relève que le juge Mosley siégeant dans l’affaire Almrei (2009) était lui aussi satisfait du processus de divulgation et des résultats produits. Il s’agit cependant d’un facteur important devant être pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer si un système qui semble en théorie constitutionnel l’est aussi en pratique.
[119] La Loi révisée fournit au juge les outils nécessaires pour assurer l’équité procédurale. Avec l’aide des avocats spéciaux agissant pour le compte de l’appelant, le juge est au centre du régime et il y joue un rôle clé. Il est investi des pouvoirs nécessaires en vertu de la common law et de la Charte ainsi que d’un pouvoir discrétionnaire sous le régime de la Loi pour satisfaire aux exigences du droit à l’équité procédurale garanti par l’article 7 de la Charte. Il possède le pouvoir d’ordonner la divulgation de renseignements, de remédier à un manquement à une obligation de divulgation et d’accorder une réparation juste et convenable en application du paragraphe 24(1) de la Charte dans les cas où il y a eu manquement à l’équité procédurale. Il peut prendre des mesures préventives pour empêcher la violation du droit à la liberté et à la sécurité d’une personne. L’ensemble de ces facteurs jumelée à la divulgation ordonnée par l’arrêt Charkaoui no 2 constitue un substitut valable à une divulgation complète.
[120] Bien que l’appelant par l’intermédiaire de son conseil et de ses avocats spéciaux ait signifié sa préférence pour un régime permettant une divulgation plus étendue, il ne m’a pas convaincu de l’inconstitutionnalité du régime de certificats de sécurité en place.
B. Le paragraphe 77(2), les alinéas 83(1)c), d), e) et i), le paragraphe 85.4(2) et l’alinéa 85.5b) de la Loi sont‑ils justifiés au regard de l’article premier de la Charte?
[121] Compte tenu de ma décision concernant leur constitutionnalité, il n’est pas nécessaire de passer à l’étape de l’article premier.
C. La destruction des notes originales relatives aux conversations et la réparation convenable au regard du paragraphe 24(1) de la Charte
[122] L’appelant se plaint que la destruction des notes et enregistrements originaux des conversations utilisés pour étayer les allégations formulées à son endroit a porté atteinte à son droit à la divulgation. Ses avocats spéciaux et lui affirment que les résumés de ces conversations faits par le SCRS ne lui permettent pas de connaître la preuve produite contre lui et rendent l’instance inéquitable du point de vue constitutionnel. Dans la mesure où l’ensemble ou une partie des renseignements originaux contenus dans les conversations portait ou aurait pu porter atteinte à la sécurité nationale ou mettre en péril la sécurité d’autrui, l’appelant n’aurait pas été autorisé à les consulter. Un résumé des renseignements originaux lui aurait été remis en application de l’alinéa 83(1)e) de la Loi. C’est plutôt un résumé des résumés qui lui a été fourni en l’espèce. Cependant, n’eut été de leur destruction, ses avocats spéciaux et le juge auraient eu accès aux originaux et ils auraient été davantage en mesure de vérifier l’exactitude des résumés. Le droit des avocats spéciaux au contre‑interrogatoire aurait pu être renforcé. Comme le juge, ils n’ont eu d’autre choix que de travailler avec les résumés confidentiels des conversations originales rédigés par le SCRS. Ce sont ces résumés confidentiels que l’appelant cherche à faire écarter de la preuve.
a) L’effet préjudiciable de la destruction
[123] Conformément à sa politique OPS‑217, le SCRS a détruit les originaux des entrevues avec l’appelant ainsi que des conversations tenues à son sujet, ou auxquelles il avait participé. Le SCRS a cependant fait un résumé du contenu de ces entrevues et conversations, qui a été versé dans une banque de données du SCRS par un de ses analystes. Un certain nombre de ces conversations n’étaient pas à l’origine en anglais et leur résumé a été rédigé à partir de la traduction anglaise de leur contenu. Ces trois interventions humaines ont favorisé la possibilité d’erreurs, d’inexactitudes ou de distorsions.
[124] Dans l’arrêt Charkaoui no 2, la Cour suprême a statué que le SCRS avait l’obligation de conserver les informations conformément à l’article 12 de la Loi sur le SCRS et a jugé que le défaut d’agir ainsi constituait un manquement grave à cette obligation. À la suite de la décision de la Cour suprême, l’appelant a demandé le retrait des résumés des conversations de la preuve et, subsidiairement, l’arrêt des procédures. Il n’a cependant pas demandé le retrait des résumés de six entrevues qu’il a eues avec des agents du renseignement : voir le paragraphe 60 de la Décision relative à l’abus de procédure.
[125] Bien que le SCRS ait agi, de bonne foi, en conformité avec la politique alors en place lorsqu’il a détruit les originaux, le manquement à l’obligation à laquelle il était tenu en vertu de la Loi de conserver les informations et de les divulguer a eu des incidences sur le droit de l’appelant de connaître la preuve produite contre lui et sur sa capacité d’y répondre. La destruction a également compromis la fonction même du contrôle judiciaire. Aux paragraphes 39 à 42 et 61 et 62 des motifs rendus dans l’arrêt Charkaoui no 2, la Cour suprême résume dans les termes reproduits ci‑dessous l’importance de conserver les notes originales relatives aux instances en matière de certificats de sécurité :
La conservation des notes doit avoir, à notre avis, une utilité pratique. Il s’ensuit que le terme « renseignements » à l’art. 12 de la Loi sur le SCRS ne devrait pas être limité de manière à n’inclure que les résumés rédigés par les agents. Les notes opérationnelles originales constitueront une meilleure source d’information, voire de preuve, lorsqu’elles seront remises aux ministres chargés de délivrer un certificat de sécurité, ainsi qu’au juge désigné qui en évaluera le caractère raisonnable. Leur conservation facilitera la vérification des résumés et des informations transmises à partir de ces notes. De même, il est important que les agents du SCRS aient accès à leurs notes opérationnelles (brouillons, diagrammes, enregistrements, photographies) afin de se rafraîchir la mémoire dans l’éventualité où ils devraient témoigner lors d’une procédure d’évaluation du caractère raisonnable d’un certificat de sécurité — procédure dont il n’est nullement question dans la politique OPS‑217.
Une affaire décidée par la présidente du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (« CSARS »), portant sur une plainte formulée contre le ministère des Affaires étrangères et le SCRS illustre les difficultés causées par la politique OPS‑217. Dans ce dossier, le plaignant Liddar s’était vu refuser une cote de sécurité « Très secret » par le ministère. Les notes présentées par le SCRS au CSARS n’étaient pas supportées par une preuve suffisante. Le CSARS a conclu que le rapport présenté devant lui au soutien de la position du ministère était inexact et trompeur en raison du caractère inexact et incomplet de l’information fournie par le SCRS, qui avait détruit ses notes opérationnelles. Le CSARS a alors critiqué cette politique de destruction de ces notes :
L’incapacité de l’enquêteur qui a interviewé M. Liddar à me fournir les réponses de celui‑ci à d’importantes questions met en lumière une inquiétude que le Comité de surveillance nourrit depuis longtemps au sujet de la pratique, au SCRS, de détruire les notes prises par les enquêteurs lors des enquêtes de sécurité. La question de savoir ce qui s’est dit pendant les entrevues de filtrage de sécurité est une source de débat aux enquêtes du Comité de surveillance sur les plaintes. Les plaignants allèguent souvent que le compte rendu d’entrevue de l’enquêteur n’est pas exact, que leurs réponses sont incomplètes ou déformées, ou encore prises hors contexte. En dépit de l’inquiétude que suscitait, sur le plan de la sécurité, le fait de laisser un plaignant examiner les notes des questions et des réponses de l’entrevue, il n’y a aucune raison qui empêcherait de conserver ces notes pendant une période raisonnable de façon à pouvoir les mettre à la disposition du Comité de surveillance en cas de plainte concernant l’activité de filtrage de sécurité en question. [Nous soulignons.]
(Liddar c. Administrateur général du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Dossier no 1170/LIDD/04, 7 juin 2005, par. 72)
Dans son rapport, le commissaire O’Connor a insisté sur le caractère crucial de l’exactitude de l’information rapportée, et sur l’importance critique d’un accès à une information obtenue de manière fiable et sans contrainte :
L’exigence de l’exactitude et de la précision de l’information à communiquer est évidente. Une information inexacte ou une mauvaise caractérisation, même relative, prise seule ou avec d’autres éléments d’information, peut donner une image gravement déformée. Elle peut renforcer un « manque d’objectivité » ou une « vision étroite des choses » […] On n’insistera jamais assez sur l’exigence de l’exactitude et de la précision des informations à partager, surtout des informations écrites communiquées dans le cadre d’enquêtes liées au terrorisme. [Nous soulignons.]
(Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Analyse et recommandations (2006), p. 123)
Dans le contexte de l’évaluation du caractère raisonnable d’un certificat de sécurité, la destruction des documents originaux est susceptible de compromettre la bonne exécution des fonctions déléguées aux ministres et au juge désigné à l’égard de la délivrance des certificats de sécurité, de leur révision et de celle de la détention de la personne visée. La remise des notes opérationnelles aux ministres et au juge désigné peut constituer une condition nécessaire pour assurer qu’une version complète et objective de la situation de fait soit portée devant les personnes chargées de la délivrance du certificat et de son examen. La préservation et l’accessibilité de cette information prennent une importance particulière dans une situation où la personne visée par le certificat et ses avocats n’auront souvent accès qu’à des résumés ou à des versions tronquées des renseignements, en raison des problèmes afférents au traitement de l’information provenant de services de renseignement. Il faut aussi rappeler que la destruction de l’information peut parfois remettre en cause la possibilité pour le juge désigné de remplir efficacement la fonction critique que la loi lui attribue dans l’évaluation du certificat, l’examen des demandes de mise en liberté de la personne visée et la protection de ses droits fondamentaux. Nous concluons donc qu’une obligation de conservation existe. Il faut maintenant en définir les modalités et la portée.
[…]
La destruction des documents originaux accentue ces difficultés. Si la preuve originale a été détruite, le juge désigné a seulement accès à des résumés produits par l’État dont la contre‑vérification risque de devenir problématique, sinon illusoire. En droit criminel, notre Cour a rappelé l’utilité de la disponibilité des documents originaux pour permettre un contrôle effectif de la valeur de certains éléments de preuve. Ainsi, dans R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38, par. 46, notre Cour a souligné que le visionnement d’une bande vidéo contenant un interrogatoire policier permet au juge de contrôler les méthodes d’interrogation, et que des notes qui résument un interrogatoire ne peuvent refléter le ton des propos et le langage corporel qui a pu être utilisé.
Dans l’état actuel des choses, la destruction de leurs notes opérationnelles par les agents du SCRS compromet la fonction même du contrôle judiciaire. Ainsi, afin de respecter le droit à l’équité procédurale des personnes telles que M. Charkaoui, le SCRS devrait être tenu de conserver l’ensemble des renseignements dont il dispose et de les divulguer aux ministres ainsi qu’au juge désigné. Ces derniers seront à leur tour responsables de vérifier l’information qui leur est remise. S’ils ont accès à l’ensemble de la preuve « originale », non détruite, comme nous le suggérons, les ministres seront mieux placés pour prendre les décisions appropriées au sujet de la délivrance du certificat. Puis, le juge désigné, qui aura à sa disposition l’ensemble des renseignements, écartera l’information susceptible de menacer la sécurité nationale et résumera le reste de la preuve, dont il aura pu vérifier l’exactitude et la fiabilité, à l’intention de la personne visée.
b) La conclusion du juge selon laquelle la destruction des enregistrements originaux des conversations n’a pas causé de préjudice à l’appelant
[126] Au paragraphe 76 de ses motifs à l’appui de la Décision relative à l’abus de procédure, le juge a conclu que la destruction des enregistrements originaux des conversations n’avait pas causé à l’appelant un préjudice constituant une violation des dispositions de la Charte appelant une réparation fondée sur l’article 24. Il s’exprime ainsi :
Par conséquent, dans l’exécution de son office, la Cour n’exclura pas de la preuve les résumés des conversations pour les motifs mentionnés ci‑dessus. Il est également dans l’intérêt supérieur de la justice, qui inclut un intérêt sociétal supérieur, qu’il soit statué sur la présente affaire de certificat en fonction de l’ensemble de la preuve produite. En raison de la communication des résumés des conversations, M. Harkat était en mesure de mieux comprendre la preuve produite contre lui et d’y répondre. La destruction des enregistrements originaux des conversations remplacés par les résumés des conversations n’a pas causé de préjudice constituant une violation de la Charte au regard de la doctrine de l’abus de procédure. Rien n’appelle une mesure fondée sur l’article 24 de la Charte. [Je souligne.]
[127] Le juge a conclu à l’absence de préjudice découlant d’une violation de la Charte pour les motifs suivants. Premièrement, il semble avoir considéré que les résumés faisaient office de remède ou réparation parce qu’il a estimé qu’ils étaient exacts et fiables. Il a conclu en ce sens en raison du processus suivi par le personnel du SCRS afin d’assurer la qualité des résumés des enregistrements audio et du fait de la corroboration de certains de ces résumés par d’autres éléments de preuve : Décision relative à l’abus de procédure, aux paragraphes 65 et 66.
[128] Deuxièmement, il a expliqué l’absence de préjudice par le fait que l’appelant a profité d’une divulgation plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement par suite de la destruction des enregistrements originaux et compte tenu de la portée de la divulgation exigée par l’arrêt Charkaoui no 2. Pour trancher la question, je vais d’abord déterminer si le défaut de conserver les enregistrements originaux des conversations constituait une violation de l’article 7 de la Charte.
i) Y a‑t‑il eu violation de l’article 7 de la Charte?
[129] Il ne fait aucun doute que dans l’arrêt Charkaoui no 2 la Cour suprême a reconnu l’obligation de divulgation fondée sur l’article 7 de la Charte et que la destruction des dossiers originaux constituait un manquement à cette obligation, et, par conséquent, à l’article 7. C’est l’interprétation qui a été retenue par la Cour supérieure de l’Ontario, au paragraphe 168 de la décision R. c. Ahmad, 2009 CanLII 84784 : voir aussi le mémoire des faits et du droit des intimés, aux paragraphes 108 et 109.
[130] La nature et l’étendue du préjudice découlant du manquement à cette obligation sont variables, mais la faiblesse du préjudice, ou son absence, n’efface pas pour autant la violation. Dans l’arrêt R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80, le juge Sopinka nous a rappelé que la violation d’un droit garanti par la Charte donne droit à la personne d’obtenir une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte et que la question du préjudice devait être examinée à l’étape de la réparation. Voici comment il s’est exprimé aux paragraphes 26 et 27 :
Le droit d’un accusé d’obtenir la production de documents par le ministère public ou par des tierces parties est un droit constitutionnel. Voir les arrêts R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, et R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411. En cas de violation de ce droit, l’accusé a le droit d’obtenir une réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte. Ces réparations vont de l’ajournement, unique ou multiple, à l’arrêt des procédures. Exiger de l’accusé qu’il prouve qu’il a été lésé dans sa défense vouerait à l’échec toute demande de réparation, même celles sollicitant la plus modeste des réparations, lorsque les documents n’ont pas été produits. Cela aurait pour effet d’obliger l’accusé à démontrer de quelle manière sa défense serait touchée par l’absence de documents qu’il n’a pas vus.
Notre Cour a constamment affirmé que l’ampleur du préjudice subi par un accusé n’est pas une question qui doit être prise en considération pour déterminer s’il y a eu violation d’un droit fondamental garanti par la Charte. La mesure dans laquelle la violation de la Charte a causé préjudice à l’accusé n’est examinée, dans le cadre de l’analyse fondée sur la Charte, qu’à l’étape concernant la réparation.
[131] Cela m’amène à examiner la décision du juge portant que l’appelant n’a subi aucun préjudice ouvrant droit à réparation.
ii) Examen des conclusions du juge portant sur l’absence de préjudice
[132] Avec respect, je crois que la divulgation des résumés du SCRS aux avocats spéciaux ne peut constituer une mesure réparatrice pour remédier à la destruction des originaux. Les résumés sont les vestiges des originaux détruits. Ils constituent le problème, non la solution. Au regard du droit de l’appelant garanti par l’article 7 de la Charte, les résumés constituent en quelque sorte le résultat de la violation de ce droit, non pas une réparation.
[133] Le fait que les résumés aient été communiqués aux avocats spéciaux ne les met pas à l’abri de possibles erreurs, incohérences ou distorsions pouvant résulter de la traduction de leur contenu en anglais, de leur composition même ou de leur entrée ultérieure dans la banque de données du SCRS. Ces résumés ne peuvent non plus fournir aux avocats spéciaux et à l’appelant l’occasion de découvrir, révéler et prouver ces erreurs ou incohérences ainsi que leur importance pour que l’appelant soit en mesure de répondre à la preuve produite contre lui. En fait, même le juge chargé d’assurer l’équité de l’audience n’est pas à même de vérifier l’exactitude des résumés par rapport aux originaux.
[134] En ce qui a trait à la fiabilité des résumés, le juge s’en est remis au témoignage de John, un employé du SCRS, dont la déposition décrivait les politiques et procédures suivies par le SCRS lors de la préparation des résumés des conversations originales. Le juge a cité les extraits reproduits ci‑dessous du témoignage de John, au paragraphe 116 de la Décision relative au caractère raisonnable :
[traduction]
Q. En général, ils ne transcrivent pas mot à mot ce qui s’est dit lors de ces appels, n’est‑ce pas?
R. Ça fait longtemps que je ne leur ai pas vraiment parlé. Je pense qu’il y a différentes techniques. Certains peuvent le faire. Dans certains cas, ils vont le faire s’il y a une raison particulière, mais en général ils font un rapport sommaire, un résumé de l’appel.
Q. Parce qu’il ne s’agit pas de recueillir des éléments en vue de les soumettre en preuve; ce n’est pas pour qu’un avocat puisse en contester tous les mots. C’est généralement pour des conseils ou pour prévoir des tendances ou des choses comme ça.
R. Il s’agit de présenter les éléments clés des conversations qui sont pertinents pour l’enquête de sorte que nous puissions poursuivre, mais vous avez raison, ça n’est généralement pas pour établir la preuve.
Q. Donc la personne qui écoute aura pour instruction de prêter attention à certains noms ou à certains mots. Ça serait une technique; si vous entendez ce nom ou si vous entendez cette personne, notez‑le, mais on n’a pas vraiment besoin d’entendre parler de tout ce qui peut se passer d’autre?
R. C’est exact. Ils écoutent chacune des conversations, mais seules les conversations ou les parties de conversations qu’ils estiment d’intérêt font l’objet d’un rapport.
[135] La preuve sur laquelle le juge s’est fondé pour confirmer la véracité et l’exactitude des résumés n’a été présentée qu’en des termes très généraux. Le témoin John n’avait pas parlé depuis longtemps aux analystes du SCRS de leurs méthodes opérationnelles. Il n’avait joué aucun rôle dans le dossier de l’appelant. Le témoignage à huis clos d’un autre témoin, C.M., est aussi vague. Il ne fournit aucun exemple précis de mesures appliquées pour assurer l’exactitude des résumés.
[136] En outre, il est impossible d’établir avec certitude si toutes les conversations ont été interceptées, c.‑à‑d. s’il s’agissait d’interceptions électroniques, ou plutôt à la fois d’interceptions et de comptes rendus d’une conversation. La distinction a son importance étant donné que certains des comptes rendus de conversations impliquaient une source humaine de fiabilité douteuse, connue sous le nom de XXX. Le juge a conclu que les renseignements provenant de XXX ne pouvaient être utilisés qu’après avoir été corroborés : voir la note 1 en bas de page des motifs du juge dans la Décision relative au caractère raisonnable.
[137] La corroboration par des personnes identifiées dans les résumés ne peut être très utile pour apprécier l’exactitude et la véracité de ces résumés. Elle devrait provenir d’une source indépendante, qui pourrait être une source externe ou un tiers comme un organisme étranger. Là encore, la prudence est de mise parce que ce qui peut sembler constituer un élément de corroboration provenant, par exemple, de deux ou trois tiers ou sources différentes peut en fait n’être que la même information provenant d’une source de fiabilité douteuse relayée à ces tiers ou autres sources.
[138] En l’instance, le juge n’a pas abordé la question de savoir si la valeur des résumés était moindre lorsque la source XXX était impliquée. Par exemple, en certains cas, la preuve corroborante ne couvre que partiellement l’essentiel du sujet. Conséquemment, certaines preuves corroborantes sont beaucoup plus restreintes que l’information fournie par XXX ne l’était elle‑même. De plus, tel que mentionné précédemment, on ne peut établir avec certitude si certaines conversations étaient des résumés de conversations précises relayées par une source. Si, par exemple, une conversation donnée a été transmise au SCRS par XXX, ou par une source l’ayant obtenue de XXX, on se rend immédiatement compte du problème que pose l’utilisation de cette conversation pour corroborer une information antérieurement fournie par XXX au SCRS.
[139] De toute façon, que les résumés aient été corroborés ou non, il a été porté atteinte au droit à la divulgation de l’appelant garanti par l’article 7 de la Charte et il a droit à une réparation juste et convenable : voir Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125, au paragraphe 33; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, aux paragraphes 141 et 142. Par définition, une réparation juste et convenable en est une qui s’intéresse au préjudice subi et qui y remédie de façon appropriée.
iii) La réparation convenable
[140] Le problème auquel l’appelant est confronté concerne l’exactitude des résumés et son incapacité à contester les informations qui s’y trouvent. Une façon de remédier à la situation aurait été de l’autoriser, dans la mesure du possible, ainsi que ses avocats spéciaux à contre‑interroger les diverses personnes ayant traduit les conversations, rédigé les résumés et versé les informations dans le système du SCRS. Plusieurs de ces conversations ont cependant eu lieu entre 1994 et 1997. Rien ne garantit que ces personnes puissent encore être jointes et convoquées pour témoigner. De plus, les probabilités que ces personnes se souviennent de façon utile du contenu des enregistrements originaux détruits sont presque nulles. Je ne crois pas que le contre‑interrogatoire de ces personnes, dans la mesure où il est possible de le mener dans les circonstances, constituerait une réparation convenable.
[141] Il me semble que l’exclusion des résumés serait la mesure convenable. J’exclurais l’ensemble des résumés, à l’exception des conversations auxquelles l’appelant a participé. Je vais expliquer l’exclusion et son exception.
[142] J’ai examiné la possibilité de ne pas exclure les résumés des conversations corroborées. Cependant, si je ne les excluais pas, aucune réparation ne serait accordée pour la destruction des enregistrements originaux de ces conversations alors qu’une réparation serait accordée pour les conversations n’ayant pas été corroborées. Or, dans les deux cas, une grave atteinte a été portée au droit constitutionnel de l’appelant à la divulgation garanti par l’article 7 de la Charte. Dans les deux cas, l’appelant est aussi privé de la possibilité de comparer les résumés aux originaux. De plus, il est encore plus important pour l’appelant d’avoir, à tout le moins, accès aux originaux lorsqu’il semble qu’une autre source a corroboré le résumé. La corroboration d’un résumé erroné, insuffisant, trompeur ou inadéquat ne fait qu’accentuer le préjudice découlant de la destruction des originaux.
[143] Je n’engloberais pas dans l’exclusion les conversations auxquelles l’appelant a participé. Il est à l’égard de celles-ci en mesure d’apprécier l’exactitude et la fiabilité des résumés. Bien qu’elle demeure condamnable, la destruction de ces originaux ne cause pas un préjudice aussi étendu à l’appelant que dans les cas où les originaux détruits sont des originaux de conversations le concernant, mais auxquelles il n’a pas participé. Il peut alors, en témoignant ou au moyen d’autres éléments de preuve particuliers, soulever les erreurs, incohérences ou inexactitudes que comportent ces résumés, et qui ont une incidence sur leur exactitude et leur fiabilité : voir Charkaoui no 2, au paragraphe 67. À titre de réparation convenable et juste à l’égard de ces conversations, je me limiterais à déclarer qu’il a été porté atteinte à son droit à la divulgation garanti par l’article 7 de la Charte : voir Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44; Charkaoui no 2, au paragraphe 46.
c) Conclusion
[144] En conclusion, sous réserve de l’exception susmentionnée, l’exclusion des résumés des conversations est la réparation convenable dans les circonstances. La communication des originaux est impossible à réaliser et l’exclusion est nécessaire pour préserver le caractère raisonnable du processus des certificats visés par la présente instance ainsi que l’intégrité du système de justice : R. c. Bjelland, [2009] 2 R.C.S. 651, au paragraphe 19. L’exclusion ne revêt pas un caractère injuste pour les intimés parce que la preuve au dossier, que le juge aura à apprécier, demeure considérable. Pour paraphraser et adapter l’énoncé de la juge McLachlin (maintenant juge en chef) au paragraphe 45 de l’arrêt R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, un procès équitable en matière de certificats de sécurité est celui qui répond à l’intérêt qu’a le public à connaître la vérité, tout en préservant l’équité fondamentale en matière de procédure pour la personne visée.
D. L’appelant a‑t‑il été victime d’un abus de procédure et a‑t‑il droit à un arrêt des procédures?
[145] Je conviens avec le juge que l’appelant n’a pas établi l’opportunité d’ordonner un arrêt des procédures pour abus de procédure, compte tenu en particulier du fait que la réparation qu’il avait demandée pour la destruction des enregistrements originaux des conversations c.-à-d. l’exclusion des résumés, lui est accordée et que l’arrêt des procédures qu’il sollicitait était une mesure alternative à l’exclusion des résumés.
E. Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant au caractère raisonnable du certificat de sécurité?
[146] Le juge a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant avait participé à des activités terroristes, qu’il constitue un danger pour la sécurité du Canada et qu’il est un membre du réseau ben Laden. L’appelant soutient que le juge a commis une erreur dans l’interprétation de l’application des termes « terrorisme », « danger pour la sécurité du Canada », « membre » et « organisation » en leur donnant un sens large et non restreint.
a) Définition du terrorisme
[147] Le juge a repris la définition du terme terrorisme retenue par la Cour suprême aux paragraphes 97 et 98 de l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 [cité ci-dessus]. L’appelant soutient que la définition retenue par la Cour suprême est trop vague, ne donne pas une idée raisonnable de ce qui constitue une conduite inacceptable et contrevient à l’article 7 de la Charte.
[148] Cet argument fondé sur la Charte est soulevé pour la première fois en appel. Notre Cour n’a pas l’intention de l’examiner parce qu’elle est privée de l’avantage de disposer du raisonnement et de l’analyse qu’aurait effectués le juge à l’égard de cet argument : voir Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 268; Bekker c. Canada, 2004 CAF 186. De toute façon, le juge était lié par la décision de la Cour suprême et on ne peut lui tenir rigueur d’avoir suivi la règle du stare decisis, d’autant plus que la question de l’inconstitutionnalité de la définition retenue par la Cour suprême n’a pas été débattue devant lui.
[149] J’estime non fondé l’argument de l’appelant selon lequel le juge a commis une erreur en concluant que la définition de terrorisme englobe le soutien matériel, notamment le fait de fournir de l’aide en matière de financement, d’obtention de faux documents, de recrutement ou d’hébergement, bien que ces actes ne constituent pas en soi des actes violents. Une jurisprudence abondante appuie la conclusion du juge : voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (C.A.); Ikhlef (Re), 2002 CFPI 263, au paragraphe 54; Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, [2012] 1 R.C.F. 413, aux paragraphes 127 à 130.
b) Définition d’organisation
[150] Je ne vois aucune erreur dans la conclusion du juge selon laquelle le terme « organisation » doit être interprété de façon large parce que les organisations criminelles ou terroristes sont des groupes extrêmement discrets, peu structurés et fluides : voir Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198, aux paragraphes 38 et 39; Ikhlef (Re), précité, au paragraphe 64.
c) Appartenance
[151] Là encore, il n’est pas de notre intention d’examiner un argument — qui est soulevé pour la première fois devant notre Cour — voulant que l’absence de lien temporel entre l’appartenance à une organisation et le caractère terroriste de l’organisation conduit à une interprétation qui enfreint les articles 2 et 7 de la Charte.
d) Danger pour la sécurité du Canada
[152] Je souscris à la conclusion du juge sur la question de la sécurité au sens de l’article 34 de la Loi. Le champ d’application de cet article est régi par les règles d’interprétation énoncées à l’article 33. Sauf disposition contraire, les faits — actes ou omissions — sont appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. L’application de l’article 33 s’étend aux faits passés, présents et futurs. En conséquence, sous l’effet combiné des articles 33 et 34, il n’est pas nécessaire que le danger à la sécurité du Canada soit actuel pour tomber sous le coup d’une interdiction de territoire pour raison de sécurité.
e) L’incidence de l’exclusion des résumés confidentiels des conversations originales sur le caractère raisonnable du certificat
[153] L’exclusion des résumés confidentiels des conversations originales commande une réévaluation du reste des éléments de preuve versés au dossier ainsi que celle du caractère raisonnable du certificat. Notre Cour n’est pas en mesure d’effectuer ces nouvelles évaluations. Pour être juste envers les parties, le juge pourrait mieux exécuter cette tâche.
f) Conclusion
[154] Pour ce motif, l’appel interjeté contre la Décision relative au caractère raisonnable devrait être accueilli.
Conclusion
[155] Je ne veux pas conclure les présents motifs sans d’abord souligner le travail accompli par le juge qui, dans des conditions difficiles, a habilement assumé en l’espèce une tâche énorme, ardue et très exigeante. Il n’est pas facile de travailler dans cinq environnements différents (à la maison, au bureau, dans une pièce fermée, dans une salle d’audience publique et dans une autre qui ne l’est pas) avec deux séries de documents volumineux (une accessible au public et une autre gardée confidentielle dans une pièce fermée) et deux séries de cahiers d’audience (une que le juge peut apporter à son bureau et une autre également gardée confidentielle dans une pièce fermée). Un juge doit avoir connu la logistique de ce processus pour vraiment comprendre les inconvénients et les exigences personnelles qu’il crée. Le juge a constitué un très bon dossier, ce qui a permis un examen significatif de la présente affaire en appel.
[156] Avant de disposer de l’appel, je répondrais par la négative aux deux questions certifiées ainsi formulées :
1. Les dispositions 77(2), 78, 83(1)c) à e), 83(1)h), 83(1)i), 85.4(2) et 85.5b) de la LIPR violent‑elles l’article 7 de la Charte des droits et libertés en privant la personne visée du droit à une instruction équitable? Le cas échéant, les dispositions sont‑elles justifiées au regard de l’article premier?
2. Les sources humaines bénéficient‑elles d’un privilège générique? Le cas échéant, quelle est la portée de ce privilège; et l’analyse de la Cour de l’exception, soit selon le « besoin de connaître » pour les avocats spéciaux, dans Harkat (Re), 2009 CF 204, était‑elle une exception correcte à ce privilège?
[157] Je rejetterais l’appel interjeté contre la Décision relative à la question constitutionnelle.
[158] J’accueillerais l’appel interjeté contre la Décision relative au privilège, j’annulerais cette décision et je déclarerais que les sources humaines du SCRS ne bénéficient pas du privilège générique relatif aux indicateurs de police ou d’un privilège générique analogue au privilège générique relatif aux indicateurs de police.
[159] J’accueillerais l’appel interjeté contre la Décision relative à l’abus de procédure, j’annulerais cette décision et, rendant le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais la requête de l’appelant et j’ordonnerais que les résumés confidentiels établis à partir des originaux détruits des conversations soient écartés de la preuve, à l’exception de ceux des conversations auxquelles l’appelant a participé.
[160] J’accueillerais l’appel interjeté contre la Décision relative au caractère raisonnable, j’annulerais cette décision et je renverrais l’affaire au juge pour qu’il rende une nouvelle décision relativement au caractère raisonnable du certificat de sécurité fondée sur la preuve au dossier, à l’exclusion des résumés confidentiels des originaux détruits des conversations auxquelles l’appelant n’a pas participé. Je laisserais au juge le soin de déterminer si les observations des parties concernant l’incidence qu’a le retrait de certains éléments de preuve sur le caractère raisonnable du certificat devraient être présentées par écrit, verbalement, ou les deux à la fois.
[161] Comme réparation fondée sur le paragraphe 24(1), je déclarerais qu’il a été porté atteinte au droit de l’appelant, garanti par l’article 7 de la Charte, à la divulgation des originaux des conversations auxquelles il était partie.
Le juge en chef Blais : Je suis d’accord.
La juge Layden-Stevenson, J.C.A. : Je suis d’accord.
ANNEXE
Le certificat de sécurité est appuyé par un rapport de renseignement de sécurité confidentiel à partir duquel a été produit un rapport public de renseignement de sécurité (pièce M5) qui a été déposé le 22 février 2008 et fourni à M. Harkat. Il était possible de consulter cette pièce lorsque les deux avocats spéciaux ont été nommés, et M. Harkat et ses avocats publics ont disposé d’au moins un mois pour en discuter avant qu’on leur communique les renseignements classifiés. Par la suite, les avocats spéciaux ont dû demander l’autorisation de la Cour pour communiquer parce qu’ils avaient eu accès au rapport de renseignement de sécurité confidentiel. Un rapport public révisé en matière de sécurité (le RPRS — pièce M7) a été fourni le 6 février 2009; il a été produit par suite d’un processus de longue durée d’examen des renseignements classifiés effectué lors des audiences à huis clos auquel ont participé toutes les parties et qui a permis la divulgation de renseignements supplémentaires. De façon générale, il est allégué dans le RPRS que M. Harkat, avant et après son arrivée au Canada, s’était livré au terrorisme en soutenant des activités terroristes en tant que membre d’une organisation terroriste connue sous l’appellation réseau ben Laden (le RBL). Les allégations et la preuve produites par les ministres sont les suivantes :
[traduction]
a) Avant son arrivée au Canada en octobre 1995, Harkat était un membre actif du réseau ben Laden et était lié à des individus que l’on croyait appartenir à ce réseau. Il a menti au sujet de ses activités au Pakistan : il a caché aux autorités canadiennes le soutien qu’il a apporté à des organisations extrémistes islamiques;
b) En Algérie, Harkat était membre du Front islamique du salut (le FIS), un parti politique licite à cette époque. Harkat a reconnu qu’il appuie le FIS depuis 1989. Après avoir été déclaré illégal, le FIS a mis sur pied une branche militaire, l’Armée islamique du salut, qui a adopté une doctrine prônant la violence politique, et elle était liée au Groupe islamique armé (le GIA). Le GIA appuyait une doctrine fondée sur la perpétration d’actes de violence immoraux et aveugles dont même les civils étaient la cible. Lorsque le FIS a coupé les ponts avec le GIA, Harkat a fait savoir qu’il était loyal au GIA. La décision de Harkat de se mettre du côté du GIA révèle qu’il est pour le recours à la violence terroriste;
c) Harkat était lié à Ibn Khattab;
d) L’Algérien Mohammad Adnani (alias Harkat), un ancien soldat en Afghanistan, était membre d’une organisation terroriste égyptienne, soit Al-Jama’a al-islamiya (l’AJAI);
e) Après son arrivée au Canada, Harkat s’est livré à des activités au nom du réseau ben Laden en utilisant des méthodes typiques des agents dormants;
f) À l’appui de leurs activités clandestines, les membres du réseau ben Laden ont recours à de faux documents. Lorsque Harkat est arrivé au Canada, il avait deux passeports en sa possession, un passeport saoudien et un passeport algérien. Le passeport saoudien, qui était au nom de Mohammed S. Al Qahtani, a été vérifié et déclaré faux. Il a été déterminé que les passeports saoudiens sont les passeports les plus utilisés par les extrémistes musulmans qui sont entrés au Canada avant 2002 : les détenteurs de passeport saoudien n’avaient pas besoin de visa pour entrer au Canada;
g) Harkat a employé des noms d’emprunt tels que Mohammed M. Mohammed S. Al Qahtani, Abu Muslim, Abu Muslima, Mohammad Adnani, Mohamed Adnani, Abu [sic] Muslim, Mohammed Harkat et Mohamed — le Tiarti, et les a gardés secrets afin de cacher son identité et de dissimuler ses véritables activités au nom du réseau ben Laden;
h) Harkat est resté discret parce qu’il devait obtenir un statut au Canada, après quoi il serait « prêt ». Il était un agent dormant entré au Canada pour s’établir dans la collectivité afin de mener des activités clandestines à l’appui de l’extrémisme islamique;
i) Harkat a eu recours à des techniques de sécurité et il était au fait des questions de sécurité parce qu’il a pris de très grandes précautions pour ne pas être repéré;
j) Harkat a tenu secrètes ses allées et venues précédentes, y compris le temps qu’il a passé en Afghanistan. Il a également dissimulé ses liens avec des extrémistes islamistes, notamment ses liens avec des personnes au Canada, en partie pour se dissocier des individus ou des groupes qui auraient pu appuyer le terrorisme;
k) Harkat a maintenu ses liens avec la structure financière du réseau ben Laden et a dissimulé ces liens. Il avait accès à de l’argent provenant du réseau ben Laden et en a reçu, conservé ou investi au Canada. Il a également eu des liens avec Hadje Wazir, un banquier qu’il a connu au Pakistan et que l’on croit être Pacha Wazir, une personne participant au financement du terrorisme au moyen de transactions financières pour Ibn Khattab et le réseau ben Laden;
l) Harkat a aidé des extrémistes islamistes au Canada, a facilité leur entrée au Canada et a gardé secrètes leurs activités. Harkat a donné des conseils à Wael (alias Mohammed Aissa Triki) sur son processus d’immigration au Canada et il lui a notamment conseillé de nier connaître des personnes vivant au Canada et de communiquer avec lui au terme de son processus d’immigration. Harkat a parlé à Abu Messab Al Shehre pendant qu’il était à Londres, au Royaume‑Uni. Al Shehre a été fouillé à son arrivée au Canada et il était en possession de divers documents (c.‑à‑d. une liste d’achat de munitions et d’armes) et de divers articles (c.‑à‑d. des armes ou des parties d’armes), y compris un bandeau habituellement porté au combat par des extrémistes islamistes et que l’on croyait être couvert de versets du Coran. Al Shehre a été détenu et Harkat lui a rendu visite en prison, mais Harkat a nié l’avoir rencontré auparavant;
m) Harkat a communiqué avec de nombreux extrémistes islamiques à l’étranger, notamment les membres du réseau ben Laden, et d’autres extrémistes islamistes, dont Ahmed Said Khadr et Abu Zubaydah.
Les annexes du RPRS renferment une brève description d’organisations ou de personnes comme Al‑Qaïda, le Groupe islamique armé (GIA), Ibn Khattab et Ahmed Said Khadr. Elles renferment également 6 résumés du SCRS portant sur des entrevues de M. Harkat tenues entre le 1er mai 1997 et le 14 septembre 2001 ainsi que 13 résumés de conversations (les conversations K). Ces résumés de conversations concernent M. Harkat : soit il participait à la conversation, soit il en était l’objet, et les conversations avaient eu lieu entre septembre 1996 et septembre 1998. Les ministres les invoquent comme preuve à l’appui de leurs allégations. De tels éléments d’information n’avaient jamais été divulgués auparavant. Grâce à une réécriture prudente, le contenu de ces conversations a été tiré du cahier de renseignements du SCRS et a été déposé en tant que pièce. C’est grâce aux avocats qui ont participé aux audiences à huis clos que cette divulgation a été possible. Enfin, le RPRS renferme également des renseignements publics qui ont été invoqués et des documents d’immigration portant sur M. Harkat. Ce type d’éléments de preuve révèle l’opinion que les ministres ont de la situation de M. Harkat.
Par suite des examens continus des renseignements classifiés ayant eu lieu pendant les audiences à huis clos, des allégations factuelles et des éléments de preuve plus précis ont été fournis à M. Harkat et déposés publiquement le 23 avril 2009 (voir la pièce M10) :
[traduction]
a) Harkat dirigeait un « lieu d’hébergement » en banlieue de Peshawar, au Pakistan. Des renseignements donnent à penser que le lieu d’hébergement pourrait être lié à Ibn Khattab et avoir été utilisé par des moudjahidines qui se rendaient dans des camps de formation en Afghanistan ou qui en revenaient avec l’aide de Harkat;
b) Des renseignements révèlent que Harkat avait accès à de l’argent lorsqu’il en avait besoin. Après son arrivée au Canada, Harkat a reçu de l’argent de personnes à l’étranger;
c) Des renseignements montrent que Harkat a travaillé pour la même organisation qu’Ahmed Said Khadr (Human Concern International) et qu’il connaissait Khadr avant de venir au Canada. En outre, des renseignements donnent à penser que l’on a confié à Harkat des tâches précises à accomplir pour aider Khadr.
Les avocats spéciaux ont soutenu que de tels renseignements devaient être divulgués afin que M. Harkat soit adéquatement informé. Des documents bien conçus et fondés sur des renseignements sensibles ont permis cette divulgation. Le 10 février 2009, les ministres ont déposé un rapport secret supplémentaire en matière de sécurité à partir duquel a été produit un rapport public supplémentaire en matière de sécurité (pièce M11), dans lequel ils alléguaient ce qui suit :
[traduction]
a) De 1994 à 1995, Abu Muslim (alias Harkat) était un djihadiste actif à Peshawar et travaillait pour Ibn Al Khattab, et non Al-Qaïda, pour qui il faisait des courses et était chauffeur;
b) De 1994 à 1995, Dahhak était l’un des amis de HARKAT. En février 1997, HARKAT a communiqué avec une personne au Pakistan qu’il a appelé Hadje Wazir. HARKAT a dit s’appeler « Muslim » du Canada, et a demandé à Wazir s’il connaissait Al Dahhak, ce à quoi Wazir a répondu par la négative. On croit que les noms Dahhak, Al Dahhak et Abu Dahhak (alias Ali Saleh Husain) désignent la même personne et que cette personne est liée à Al-Qaïda;
c) Pendant qu’il était au Pakistan, il était reconnu que HARKAT avait les cheveux aux épaules et boitait visiblement.
Ces renseignements ont été rendus publics par suite de nombreuses demandes présentées par les avocats spéciaux et, en définitive, avec la collaboration des avocats des ministres. À la suite de l’examen des dossiers secrets effectué selon l’arrêt Charkaoui no 2, des renseignements plus précis ont été divulgués à M. Harkat :
[traduction]
1996
Communication avec Mohammed Aissa Triki
En septembre 1996, Harkat a discuté avec des connaissances de la visite prochaine de son ami tunisien Wael au Canada, qui a utilisé le nom de Mohammed Issa pour sa visite au Canada. (On croit que Wael est Mohammed Aissa Triki). Harkat a donné des conseils à « Wael » sur son processus d’immigration au Canada. Harkat a conseillé à Triki de donner son récit sans le changer et de ne pas mentir. Puis Harkat a conseillé à Triki de nier connaître des personnes au Canada et lui a dit de communiquer avec lui au terme de son processus d’immigration. Triki, qui a affirmé avoir 45 000 $ lorsqu’il est arrivé à Montréal en septembre 1996, s’est directement rendu à Ottawa et a demeuré chez Harkat.
Triki a quitté Toronto le 23 octobre 1996 muni d’un faux passeport saoudien au nom de Mohamed Sayer Alotaibi. Plus tard, en novembre 1996, on a appris que Harkat rembourserait une personne pour toute facture de téléphone impayée visant les appels faits par Triki pendant qu’il était au Canada.
Processus d’immigration
En octobre 1996, on a appris que Harkat ne voulait être associé à personne tant qu’il n’aurait pas terminé son processus d’immigration.
Situation financière
En novembre 1996, lors d’une conversation entre Harkat et une autre personne, cette dernière a demandé combien Harkat était prêt à payer pour s’acheter une automobile. Harkat a dit que l’argent n’était pas un problème pour lui. Il a ajouté qu’il paierait jusqu’à 8 000 $ pour une automobile en bon état. En décembre 1996, Harkat a informé une personne qu’il paierait 7 650 $ pour l’automobile. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait l’argent en main, Harkat a répondu que son ami à l’école où il apprenait l’anglais l’avait assuré qu’il allait mettre cette somme à sa disposition. Harkat a ajouté que l’argent se trouvait aux États‑Unis et qu’il transférerait l’argent.
Communication avec Abu Messab Al Shehre
En novembre 1996, Abu Messab Al Shehre a parlé à Harkat depuis Londres, au Royaume-Uni. Al Shehre a appelé Harkat « Abu Muslim » et lui a demandé comment les [traduction] « frères » se portaient. Quand Al Shehre a dit que Harkat pourrait se souvenir de lui comme étant « Abu Messab Al Shehre de Babi », Harkat, qui s’était identifié en tant que Mohammed, a rapidement dit qu’Abu Muslim n’était pas là. Quand Al Shehre lui a demandé où se trouvait Abu Muslim, Harkat a répondu qu’il ne le savait pas et qu’il ne savait pas non plus quand il serait de retour. En conclusion, Al Shehre a dit qu’il était désolé de l’avoir dérangé et l’a appelé Sheikh Mohamed. Plus tard, en novembre 1996, Harkat a reçu les excuses d’Abu Messab Al Shehre pour avoir utilisé son alias, Abu Muslim; Harkat essayait d’éviter d’être appelé Abu Muslim. En décembre 1996, Harkat a révélé à une personne qu’il connaissait très bien Al Shehre et qu’Al Shehre était son ami.
À son arrivée au Canada en décembre 1996, les effets personnels d’Al Shehre ont été fouillés par des agents de Revenu Canada Douanes et Accise (RCDA), maintenant connu sous l’appellation Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Al Shehre avait en sa possession divers documents et articles, notamment une liste d’achat de munitions et d’armes (p. ex., fusil Kalashnikov, grenade propulsée par fusée) et des documents expliquant comment tuer. Parmi les armes saisies par RCDA lors de la fouille, on comptait un nunchaku (une arme interdite suivant le Code criminel du Canada), une cordelette servant à étrangler et une épée de samouraï (wazi). On a également trouvé un étui d’épaule (apparemment utilisé pour porter un pistolet fait en Russie), un passe‑montagne et un bandeau habituellement porté au combat par les extrémistes islamistes et que l’on croyait être couvert de versets du Coran. Par conséquent, Al Shehre a été détenu par RCDA.
Au cours de cette période, Harkat a régulièrement communiqué avec des connaissances pour se tenir informé de la situation d’Al Shehre. Harkat a insisté pour que l’une de ces connaissances trouve de l’argent pour payer l’avocat d’Al Shehre et il lui a proposé d’appeler le frère d’Al Shehre à l’étranger pour lui demander de l’argent. Harkat s’est tenu informé de la situation d’Al Shehre jusqu’à ce que ce dernier soit expulsé vers l’Arabie saoudite le 29 mai 1997, où il a été arrêté le 30 mai 1997.
1997
Processus d’immigration
En février 1997, Harkat a informé certaines connaissances qu’il avait été accepté en qualité de réfugié et qu’il pouvait maintenant présenter une demande afin d’obtenir le droit d’établissement.
Communication avec Hadje Wazir
En février 1997, Harkat a communiqué avec une personne au Pakistan qu’il a appelé Hadje Wazir, et il a dit s’appeler « Muslim » du Canada. Harkat a par la suite posé des questions au sujet de « Khattab » (que l’on croit être Ibn Khattab) ou de l’un ou l’autre de ses [traduction] « hommes ». Wazir a répondu que Khattab n’avait pas été vu depuis longtemps, mais que l’on avait vu ses hommes. Harkat a alors demandé si Wael (que l’on croit être Mohammed Aissa Triki) rendait régulièrement visite à Wazir, ce à quoi Wazir a répondu dans l’affirmative. Harkat lui a donné son numéro de téléphone et a demandé que Wael communique avec lui. Il a également demandé que l’on fournisse son numéro de téléphone soit à Wael, soit à tout autre frère qui se présentait au commerce de Wazir pour effectuer des transactions. Harkat a par la suite expliqué qu’il avait l’habitude de faire des transactions au commerce de Wazir.
En août 1997, Harkat a dit qu’il avait l’intention de se rendre où Hadje Wazir demeurait et de lui demander de l’argent. Il a ajouté qu’il pouvait facilement obtenir de l’argent de Hadje Wazir.
Communication avec Ahmed Said Khadr
En mars 1997, Harkat a dit qu’il avait rencontré Ahmed Said Khadr au Islamic Information and Education Centre (IIEC) à Ottawa et qu’il le verrait de nouveau sous peu.
Liens avec Abu Zubaydah
En mars 1997, Harkat a discuté d’arrangements financiers avec une connaissance à Ottawa qui a affirmé avoir communiqué avec Abu Zubaydah à [traduction] « l’endroit » où Harkat [traduction] « se trouvait avant ». Abu Zubaydah voulait que Harkat l’aide à payer les frais juridiques d’Abu Messab Al Shehre et il lui a demandé s’il pourrait fournir 1 000 $. Harkat a répondu qu’il était prêt à payer cette somme si Abu Zubaydah communiquait avec lui. Lorsqu’on lui a demandé s’il ne craignait pas qu’Abu Zubaydah l’appelle à la maison, Harkat a répondu par la négative et il a affirmé qu’il le connaissait personnellement. À un certain moment pendant la discussion, la connaissance a parlé d’Abu Zubaydah comme étant Addahak/Aldahak.
Emploi
En mars 1997, Harkat a discuté avec un partenaire d’affaires potentiel de la possibilité de fonder une entreprise commerciale ensemble. Harkat a révélé qu’il voyagerait pour aller voir un ami commun et pour obtenir des fonds de cet ami. Il a expliqué qu’il ouvrirait au Canada une franchise de l’entreprise de leur ami commun. Harkat a également ajouté qu’il se rendrait en Arabie Saoudite pour obtenir l’argent si son partenaire potentiel considérait sérieusement établir un partenariat d’affaires. Le partenaire a dit que la meilleure entreprise que lui et Harkat pourraient exploiter serait une station‑service. Cette entreprise exigerait 45 000 $ de chaque partenaire. Harkat a répondu que l’argent n’était pas un problème pour lui.
En octobre 1997, Harkat a commencé à travailler en tant que livreur dans une pizzeria à Orléans, mais il a démissionné deux jours plus tard.
Études
En septembre 1997, Harkat s’est inscrit en tant qu’étudiant à temps plein à une école secondaire pour adulte à Ottawa. Harkat voulait continuer ses études en anglais, en physique et en chimie.
Activités antérieures
En octobre 1997, Harkat a avisé une connaissance que le SCRS avait interrogé Mohammed Elbarseigy pendant six heures et que ce dernier leur avait dit tout ce qu’il savait à son sujet, y compris le fait qu’il avait travaillé à Amanat.
De 1998 à 1999
Communication avec Abu Messab Al Shehre
En février 1998, lors d’une conversation avec Abu Messab Al Shehre, qui se trouvait en Arabie saoudite à ce moment‑là, Al Shehre, qui s’est adressé à Harkat comme étant leur Sheikh, a demandé à Harkat comment il voyait son amitié avec lui. Harkat a répondu qu’il s’agissait d’un genre de confrérie. Al Shehre a répliqué qu’il s’agissait davantage que d’une confrérie. Harkat a dit que, vu qu’il devait obtenir un statut au Canada, il avait essayé de rester discret pendant la détention d’Al Shehre, mais qu’il avait été en mesure d’envoyer une connaissance à la prison et de l’aider de diverses façons. Harkat a demandé à Al Shehre d’envoyer 1 500 $ afin de payer les honoraires d’avocat de ce dernier. Il a conseillé à Al Shehre d’obtenir les fonds du « groupe » s’il ne pouvait pas trouver l’argent lui‑même. Harkat a ouvertement affirmé qu’il devait se faire [traduction] « discret » parce qu’il fallait qu’il obtienne son statut au Canada. En outre, Harkat a dit à Al Shehre que, dès que son [traduction] « statut » allait lui être accordé, il serait [traduction] « prêt ».
Projet de mariage
En juin 1998, Harkat a dit à une connaissance qu’il craignait d’être renvoyé du pays par les autorités du Canada et qu’il avait donc décidé d’épouser une musulmane canadienne afin d’éviter d’être expulsé.
En février 1999, Harkat a dit à sa petite amie à Ottawa qu’il lui rendrait visite le lendemain afin de la demander en mariage.
En juillet 1999, Harkat a révélé à une connaissance que ses parents lui avaient également trouvé une épouse en Algérie. Lorsqu’on lui a proposé de faire venir cette femme au Canada, Harkat a affirmé que sa petite amie du moment à Ottawa ne l’accepterait pas.
Emploi
En 1998 et 1999, Harkat a travaillé dans diverses stations‑services et dans une pizzeria.
En octobre 1998, Harkat a révélé à une connaissance qu’il avait l’intention d’acheter le bail d’une station‑service si on lui accordait son statut. Harkat a ajouté qu’il n’avait aucun problème à trouver de l’argent. Il n’avait besoin que d’un dépôt de 25 000 $.
En août 1999, Harkat a pris rendez‑vous avec Canada Trust pour discuter de la possibilité d’obtenir un prêt de 30 000 $ afin d’investir dans une station‑service.
Plans pour se rendre en Algérie et en Tunisie
En décembre 1998, Harkat a révélé qu’il rendrait visite à sa famille en Algérie à l’été 2001. En août 1999, Harkat a dit à une connaissance que sa famille lui avait déconseillé de retourner en Algérie et qu’il leur avait alors proposé qu’ils se rencontrent en Tunisie. Harkat a ajouté que, s’il se rendait en Algérie, il risquait d’être arrêté simplement parce qu’il était important au sein du Front.
Études
En août 1999, Harkat a laissé savoir qu’il s’inscrirait à une école secondaire pour adulte afin de suivre des cours d’anglais langue seconde.
En décembre 1999, Harkat cherchait quelqu’un qui puisse passer l’examen de chauffeur de taxi à sa place. En février 2000, une connaissance de Harkat lui a dit avoir trouvé quelqu’un qui pourrait passer l’examen de chauffeur de taxi à sa place.
Situation financière
En octobre 1999, Harkat a confié à sa petite amie qu’il avait fait une erreur en quittant son autre emploi. Il a ajouté qu’il ne pouvait pas se permettre de ne pas avoir deux emplois parce qu’il devait payer de lourdes factures. Il a ajouté qu’après s’être disputé avec le propriétaire de la pizzeria au sujet de son horaire et d’une augmentation de salaire le propriétaire l’avait congédié. Harkat a dit que, grâce à ses deux emplois, il faisait auparavant 2 500 $ par mois, mais que maintenant, avec un seul emploi à la station‑service, il travaillait sept jours par semaine et ne gagnait que 1 500 $ par mois. Harkat a aussi estimé que sa situation s’améliorerait s’il pouvait passer l’examen de chauffeur de taxi en novembre 1999. Cependant, avant la fin du mois de novembre, il travaillait de nouveau à la pizzeria et avait le même horaire. Il a expliqué qu’il était retourné travailler à la pizzeria parce qu’il devait payer ses dettes.
De 2000 à 2002
Processus d’immigration
Entre 2000 et 2002, Harkat était très inquiet quant à l’état d’avancement de sa demande de résidence permanente et a souvent fait part de sa situation difficile à ses amis. En outre, pendant cette période, Harkat communiquait régulièrement avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) afin de s’informer de l’état d’avancement de sa demande.
Mariage
En mars 2000, Harkat croyait que la seule solution à ses problèmes d’immigration était de se marier. En avril 2000, Harkat s’est trouvé une nouvelle petite amie, Sophie Lamarche. Harkat ne voulait pas lui mettre de la pression pour qu’ils se marient, mais il pensait qu’il pourrait la garder comme solution de rechange.
En avril 2000, Harkat a révélé avoir parlé à Sophie au sujet de sa situation et il a dit que Sophie, en réponse, lui avait promis qu’elle l’aiderait en temps utile. Harkat a ajouté que, si quelque chose arrivait, il la marierait.
En mai 2001, on a appris que Harkat avait épousé Sophie en janvier 2001. Plus tard en mai 2001, Harkat a affirmé que son mariage avec Sophie n’était pas sérieux et qu’il pourrait la quitter à tout moment.
Plans pour se rendre en Algérie
En mars 2000, Harkat prévoyait se rendre en Algérie en août 2000. En mai 2001, il a dit qu’une fois qu’il obtiendrait son statut de résident permanent, il irait en Algérie. En juin 2001, Harkat a mentionné qu’il aimerait obtenir bientôt son statut de résident permanent pour pouvoir se rendre en Algérie. En juillet 2001, Harkat a fait savoir qu’il prévoyait se rendre en Algérie en janvier 2002.
Cours
En juillet 2001, Harkat a commencé un cours de conduite de camion.
Jeu au casino
En décembre 2001, Harkat a révélé qu’il allait au casino depuis cinq ans et qu’il continuait d’y aller. De 1997 à 2002, Harkat est régulièrement allé au Casino du Lac-Leamy à Hull (Gatineau) ainsi qu’au Casino de Montréal, quoiqu’il y soit allé moins souvent. Pendant cette période, Harkat a gagné et a perdu de grandes sommes d’argent. Selon Harkat, en juin 2001, le casino lui a offert une passe pour un siège en première rangée au théâtre pour qu’il puisse assister à tous les spectacles présentés au casino parce que le casino savait qu’il avait perdu 100 000 $ au jeu. Par conséquent, Harkat a souvent dû emprunter de l’argent à sa petite amie et à son frère au cours des années. Pendant son témoignage présenté devant la Cour fédérale le 27 octobre 2004, Harkat a reconnu avoir un problème de jeu.
Emploi
En février 2000, Harkat avait trois emplois : pompiste, livreur de pizza et livreur de pièces d’automobile. En mars 2000, Harkat a quitté son emploi à la pizzeria et a perdu ses deux autres emplois, mais il en a trouvé deux autres, dont un dans une station‑service.
En décembre 2001, Harkat était prestataire de l’assurance‑emploi pendant qu’il travaillait dans une pizzeria. Harkat a dit que le gérant de la pizzeria avait accepté de signer une lettre affirmant qu’il avait commencé à travailler le 15 décembre, et que si on lui posait des questions il affirmerait qu’il travaillait bénévolement à la pizzeria lorsqu’il s’ennuyait à la maison ou qu’il voulait rendre service au gérant lorsqu’il avait besoin d’aide. Harkat n’a jamais été payé par chèque, par conséquent, rien n’a pu être prouvé.
Emploi précédent
En septembre 2001, Harkat a dit qu’il avait travaillé pour le Human Concern International en Arabie Saoudite et pour l’entreprise « Muslim ».
(Voir pièce M15 — Les passages soulignés indiquent ce qui avait déjà été divulgué à M. Harkat. Cette pièce faisait partie de la divulgation effectuée sur le fondement de l’arrêt Charkaoui no 2. Les deux groupes d’avocats ont convenu que ce ne sont pas tous les renseignements se trouvant dans cette pièce qui pouvaient être utilisés en preuve devant la Cour : seuls les renseignements utilisés lors de l’interrogatoire et du contre‑interrogatoire des témoins peuvent être ainsi utilisés. L’information est incluse pour démontrer l’ampleur de la divulgation faite à M. Harkat.)
D’autres résumés de conversations qu’il a eues en mai et juin 2001 avec des membres de sa famille, des amis ainsi qu’avec une fiancée et sa mère en Algérie ont été mis à la disposition de M. Harkat et ajoutés au rapport public en matière de sécurité par suite de la décision Harkat (Re), 2009 CF 167. Ces résumés ont été divulgués à M. Harkat et à ses avocats qui ont par la suite eu 10 jours pour signifier et déposer une requête afin que la Cour ordonne que ces résumés de conversations soient traités de façon confidentielle. Vu que M. Harkat n’a pas présenté une telle requête, les résumés ont dès lors fait partie du rapport public révisé en matière de sécurité (voir la pièce M7, à l’annexe K).
Dans le cadre des audiences publiques, 51 pièces ont été déposées par les ministres, 82 pièces ont été déposées par M. Harkat et 9 témoins ont déposé. La preuve publique est volumineuse et donne une bonne idée des faits de l’affaire, de l’histoire de l’Islam et de la situation politique de l’époque dans des pays tels que l’Algérie, l’Arabie saoudite, le Pakistan, l’Afghanistan et la Russie (Tchétchénie et Daguestan). La preuve permet également de comprendre le régime d’immigration canadien dans la mesure où il a trait à M. Harkat. La preuve publique a permis à M. Harkat de connaître l’ensemble des allégations formulées contre lui ainsi que certains éléments de preuve factuels pertinents à l’appui de ces allégations. M. Harkat ne pouvait pas connaître l’ensemble des faits, mais ce qu’il en savait lui a permis de répondre à la preuve présentée contre lui, comme il a été possible de le constater pendant son témoignage. Les observations écrites des avocats publics de M. Harkat révèlent clairement la connaissance qu’il avait de la preuve présentée contre lui. [Souligné dans l’original.]