[2001] 3 C.F. 277
IMM-4742-99
2001 CFPI 315
Alexander Henri Legault (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)
Section de première instance, juge Nadon--Montréal, 28 septembre 2000; Ottawa, 11 avril 2001.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Raisons d’ordre humanitaire — Prise en considération de l’intérêt supérieur des enfants dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, à la lumière de la décision de la C.S.C. dans l’affaire Baker c. Canada (MCI) — L’arrêt Baker prescrit d’accorder un poids considérable à l’intérêt supérieur des enfants, ce qui oblige les juges de la C.F.C. à s’interposer dans le fond de l’affaire et réduit considérablement le pouvoir discrétionnaire du ministre — Objectifs de la politique canadienne d’immigration — Les étrangers ne doivent pas être encouragés à entrer et à demeurer au Canada illégalement pour accroître leurs chances d’obtenir le statut de résidents permanents — Désapprobation de l’arrêt Baker, qui est néanmoins suivi en tant que précédent contraignant — Questions certifiées en vue d’un examen par la C.A.F.
Le demandeur, un ressortissant des États-Unis d’Amérique, est arrivé au Canada en tant que visiteur en 1982. L’année suivante, le demandeur obtenait un permis ministériel, qui a par la suite été reconduit à plusieurs reprises. En 1986, le demandeur a été accusé aux États-Unis de plusieurs infractions de fraude, et un mandat d’arrêt a été décerné contre lui. En juin 1988, le demandeur a été informé que son permis ministériel ne serait pas reconduit et qu’il lui faudrait quitter le Canada. Sa demande de résidence permanente et sa demande de statut de réfugié ont été refusées. En 1998, le demandeur a déposé, alors qu’il se trouvait au Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration.
Au soutien de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, le demandeur a fait valoir qu’il vivait au Canada depuis 1982 et qu’il avait deux familles au Canada (sept enfants, dont six sont nés au Canada, qu’il avait eus de ses deux épouses canadiennes), dont il était l’unique pourvoyeur (il est divorcé de sa première épouse et il est séparé de la deuxième). Il semblerait que l’un des enfants souffre de troubles comportementaux et une autre d’une affection médicale chronique. Le demandeur a aussi fait valoir qu’il avait établi au Canada une entreprise prospère qui donnait du travail à plusieurs Canadiens. Il a affirmé qu’il ne pouvait retourner aux États-Unis pour y demander le droit d’établissement au Canada car il serait alors emprisonné et poursuivi, et qu’il ne pouvait se rendre dans aucun autre pays pour y présenter sa demande puisqu’il n’avait aucun passeport ni document de voyage.
L’agente d’immigration a examiné tous les éléments ci-dessus, mais, comme elle doutait que le dernier mariage ait été contracté de bonne foi (il n’avait duré qu’un mois), elle est arrivée à la conclusion qu’il n’existait pas de motifs suffisants d’ordre humanitaire pouvant justifier une dispense des obligations énoncées au paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration.
Jugement : la demande est accueillie.
Il s’agissait principalement de savoir si l’agente d’immigration avait accordé une importance suffisante à l’intérêt supérieur des enfants, comme le prescrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Dans cette affaire, la Cour suprême a jugé que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi était celle de la décision raisonnable simpliciter, et elle a conclu que, « pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt ».
Les décisions rendues par la Section de première instance de la Cour fédérale depuis l’arrêt Baker révèlent l’existence d’approches contradictoires en ce qui a trait au sens et à la portée de cet arrêt. Selon l’« approche procédurale », la Cour n’interviendra pas dans la mesure où l’agent d’immigration a pris en compte les effets sur les enfants. Dans l’« approche fondamentale », la Cour se demandera si la décision ultime est la décision correcte.
L’arrêt Baker oblige les juges à s’interposer dans le fond de l’affaire et il a pour effet de réduire considérablement le pouvoir discrétionnaire du ministre. L’une des difficultés qui découle de cet arrêt est qu’il ne définit pas ce en quoi consiste un examen approprié de l’intérêt des enfants et qu’il ne répond pas à la question de savoir quels facteurs pourraient l’emporter sur l’intérêt supérieur des enfants. La Cour suprême n’a d’ailleurs pas abordé la question véritable dans l’affaire Baker : le fait que Mme Baker constituerait un fardeau pour les contribuables était-il un facteur qui pouvait l’emporter sur l’intérêt supérieur des enfants? Et l’agent, dans l’affaire Baker, pouvait-il par exemple accorder de l’importance au fait que Mme Baker était demeurée illégalement au Canada pendant plus de dix ans?
Le paragraphe 114(2) de la Loi ne permet pas de douter que les raisons d’ordre humanitaire qui doivent être considérées par un agent d’immigration sont celles qui se rapportent à la personne qui tente de se prévaloir de ce paragraphe. L’intérêt supérieur des enfants, qu’il s’agisse d’enfants canadiens ou étrangers, n’est que l’un des aspects dont devrait tenir compte un agent d’immigration. Parmi les aspects en question, il y a les objectifs de la politique canadienne d’immigration énoncés à l’article 3 de la Loi. La manière dont un demandeur est entré et demeuré au Canada est également un facteur pertinent. Les étrangers ne doivent pas être encouragés à entrer dans ce pays et à y demeurer illégalement pour ainsi augmenter leurs chances d’obtenir la résidence permanente. Or, dans l’arrêt Baker, la Cour suprême oblige l’agent d’immigration non seulement à tenir compte de l’intérêt des enfants, mais encore à donner à cet intérêt un poids considérable, et les dix années de présence illégale de Mme Baker dans ce pays ne semblent pas avoir été un facteur pertinent.
Dans l’arrêt Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), le juge Décary, J.C.A. faisait observer qu’il n’y avait rien dans la Convention relative aux droits de l’enfant qui pût le conduire à conclure que, en signant la Convention, le Canada s’était engagé à limiter ou à restreindre son droit de renvoyer de son territoire des parents qui étaient des immigrants illégaux. Il n’est fait aucune mention de cette décision dans l’arrêt Baker, mais l’on peut sans risque affirmer que la Cour suprême a désavoué l’arrêt Langner.
Selon l’arrêt Baker, si le décideur est d’avis que l’intérêt supérieur des enfants commande qu’ils demeurent au Canada avec leurs parents, alors ce décideur doit exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur des parents qui sollicitent la dispense. Rares seront les cas où l’agent d’immigration sera fondé à conclure que l’intérêt supérieur des enfants n’exige pas que la demande de dispense présentée par leurs parents soit accordée.
L’avis exprimé par la Cour suprême dans l’arrêt Baker a été désapprouvé, mais il était néanmoins contraignant. Par conséquent, la décision de l’agente d’immigration a été annulée parce qu’elle n’accordait pas un « poids considérable » à l’intérêt supérieur des enfants. Sept questions ont été certifiées pour examen par la Cour d’appel fédérale.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3.
Loi sur l’immigration, L.R.C., (1985), ch. I-2, art. 3 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 2), 5(1), 9(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4), 19(1)c.1)(ii) (édicté, idem, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2), 27(2)a) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16), b),e), 114(2) (mod. idem, art. 102).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES :
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; infirmant [1997] 2 C.F. 127 (1996), 209 N.R. 348 (C.A.); conf. (1995), 101 F.T.R. 110; 31 Imm. L.R. (2d) 150 (C.F. 1re inst.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Sovalbarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 174 F.T.R. 156; 3 Imm. L.R. (3d) 146 (C.F. 1re inst.); I.G. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 177 F.T.R. 76 (C.F. 1re inst.); Navaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 179 F.T.R. 294 (C.F. 1re inst.); Wynter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 99; 185 F.T.R. 211 (C.F. 1re inst.); Jack c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 7 Imm. L.R. (3d) 35 (C.F. 1re inst.); Naredo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 192 D.L.R. (4th) 373; 187 F.T.R. 47; 7 Imm. L.R. (3d) 291 (C.F. 1re inst.); Holder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 119; [2001] A.C.F. no 267 (1re inst.) (QL).
DÉCISIONS NON SUIVIES :
Ramessar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2052 (1re inst.) (QL); Young c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 657 (1re inst.) (QL); Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 183 F.T.R. 280; 6 Imm. L.R. (3d) 246 (C.F. 1re inst.); Russell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 187 F.T.R. 97; 7 Imm. L.R. (3d) 173 (C.F. 1re inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (2000), 18 Admin. L.R. (3d) 159; 5 Imm. L.R. (3d) 1; 252 N.R. 1 (C.A.); Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219; 7 Imm. L.R. (3d) 141 (C.F. 1re inst.); Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 29 C.R.R. (2d) 184; 184 N.R. 230 (C.A.F.).
DÉCISIONS CITÉES :
Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.); Legault c. Canada (Secrétaire d’État) (1995), 90 F.T.R. 145; 26 Imm. L.R. (2d) 255 (C.F. 1re inst.); inf. par (1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192; 219 N.R. 376 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1997] C.S.C.R. no 619 (QL); Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1707 (1re inst.) (QL).
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’immigration de rejeter une demande de dispense de l’obligation légale de présenter depuis l’extérieur du Canada les demandes de résidence permanente. Demande accueillie.
ONT COMPARU :
Julius H. Grey, pour le demandeur.
Normand Lemyre, pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Grey, Casgrain, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
[1] Le juge Nadon : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agente d’immigration Nicole Nappi (l’agente Nappi) de refuser la demande présentée par le demandeur, en application du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102] (la Loi), en vue d’être dispensé, pour des raisons d’ordre humanitaire, de la règle énoncée au paragraphe 9(1) [mod., idem, art. 4] de la Loi l’obligeant à présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger. Les paragraphes 9(1) et 114(2) de la Loi sont rédigés ainsi :
9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d’entrée.
…
114. […]
(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d’ordre humanitaire, une dispense d’application d’un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l’admission de toute autre manière.
[2] Le demandeur, un ressortissant des États-Unis d’Amérique, est arrivé au Canada en tant que visiteur en janvier 1982. À cette époque, il était marié avec Frances Langleben, une citoyenne canadienne. Peu après son arrivée, il a été arrêté à la suite d’une demande d’extradition présentée par le gouvernement des États-Unis, dans laquelle celui-ci affirmait qu’il avait commis une fraude dans ce pays. Les procédures d’extradition se sont déroulées à Montréal devant un juge de la Cour supérieure de la province de Québec, qui le 10 mars 1983 a rejeté la demande d’extradition en raison des faiblesses de la preuve par affidavit produite par le gouvernement des États-Unis.
[3] Le 18 mars 1983, l’épouse du demandeur, Mme Langleben, déposait une demande de parrainage au soutien de la demande de résidence permanente présentée par son mari. Le 31 mars 1983, le demandeur obtenait un permis ministériel qui l’autorisait à rester au Canada pendant une période d’un an. Le permis ministériel fut par la suite reconduit à plusieurs reprises.
[4] Le 14 mars 1986, un grand jury fédéral des États-Unis déclarait fondées les accusations portées contre le demandeur au titre de plusieurs infractions, notamment complot en vue de commettre des fraudes télégraphiques et postales, escroquerie, délivrance d’un faux connaissement et utilisation de noms fictifs. Un mandat fut donc décerné le 14 mars 1986 par une Cour de district des États-Unis en vue de l’arrestation du demandeur.
[5] Le 22 juin 1988, le demandeur a été informé que son permis ministériel ne serait pas reconduit au-delà du 24 juin 1988 et qu’il lui faudrait quitter le Canada au plus tard à cette date. Par lettre en date du 5 octobre 1988, il a été informé que sa demande de résidence permanente au Canada avait été refusée parce qu’il ne détenait pas un passeport américain valide. Il lui a donc été signifié qu’il devait quitter le Canada au plus tard le 26 octobre 1988. Il a présenté au gouverneur en conseil une demande en vue d’être dispensé de l’obligation de détenir un passeport, mais sa demande a été refusée pour le motif qu’il n’avait aucun argument valable pouvant justifier une telle dispense. Le consulat général des États-Unis à Montréal a refusé de délivrer un passeport au demandeur en raison du mandat d’arrêt décerné contre lui par les autorités fédérales des États-Unis.
[6] En février 1993, parce qu’il n’avait pas quitté le Canada à la date fixée, les agents d’immigration ont préparé trois rapports selon lesquels le demandeur était une personne décrite au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii) [édicté, idem, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2], aux alinéas 27(2)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16], 27(2)b) et 27(2)e) de la Loi. À la suite de ces rapports, le sous-ministre de l’Emploi et de l’Immigration a ordonné la tenue d’une enquête. Toutefois, le 8 décembre 1993, avant la conclusion de l’enquête, le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au Canada.
[7] Le 10 décembre 1993, l’arbitre chargé de l’enquête concluait que, outre qu’il était une personne décrite aux alinéas 27(2)b) et 27(2)e) de la Loi, le demandeur était, pour des raisons pénales, non admissible au Canada en vertu de l’alinéa 27(2)a) et du sous-alinéa 19(1)c.1)(ii) de la Loi. L’arbitre a donc prononcé contre le demandeur une mesure d’expulsion conditionnelle.
[8] Le demandeur a contesté la décision de l’arbitre en présentant une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Le 17 janvier 1995, Mme le juge McGillis faisait droit à sa demande de contrôle judiciaire et annulait la décision de l’arbitre [Legault c. Canada (Secrétaire d’État) (1995), 90 F.T.R. 145 (C.F. 1re inst.)]. Toutefois, le 1er octobre 1997, la Cour d’appel fédérale infirmait le jugement du juge McGillis et rejetait la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur [(1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192]. Le 12 mars 1998, la Cour suprême du Canada rejetait la demande d’autorisation de pourvoi que lui avait présentée le demandeur [[1997] C.S.C.R. no 619 (QL)].
[9] Le 17 septembre 1998, la demande de statut de réfugié du demandeur était rejetée par la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) et, le 5 novembre 1999, j’ai rejeté la demande présentée par le demandeur en vue du contrôle judiciaire de la décision de la Commission [Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1707 (1re inst.) (QL)].
[10] Le 1er avril 1998, le demandeur présentait, alors qu’il se trouvait au Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Le 26 août 1999, la nouvelle épouse du demandeur, Kim-Du Trinh, une citoyenne canadienne, parrainait sa demande. Le 16 septembre 1999, l’agente Nappi rejetait la demande du demandeur et, le 24 septembre 1999, le demandeur déposait la demande de contrôle judiciaire sur laquelle je dois maintenant statuer.
[11] Il convient de noter que le demandeur est divorcé d’avec Mme Langleben depuis 1997, qu’il s’est marié avec Mme Trinh le 23 mars 1999 et que lui et Mme Trinh sont séparés depuis le 29 avril 1999. Il convient aussi de noter que le demandeur a sept enfants, dont six sont nés au Canada : deux, Mathieu et Emma, qu’il a eus avec Mme Langleben, et qui sont maintenant âgés de 17 ans et 15 ans respectivement, et quatre, Kayla, Alexander, Teron et Jacqueline, qu’il a eus avec Mme Trinh et qui sont maintenant âgés de 7, 6, 4 et 2 ans respectivement.
Décision de l’agente Nappi
[12] Au soutien de sa demande en vue d’être dispensé des exigences prévues par le paragraphe 9(1) de la Loi, le demandeur a fait valoir qu’il vivait au Canada depuis 1982 et qu’il avait deux familles au Canada, dont il était l’unique pourvoyeur. Il a aussi avancé que son fils Alexander souffrait de troubles comportementaux qui nécessitaient une thérapie et que sa fille Jacqueline était traitée pour une affection médicale non diagnostiquée et qu’elle allait probablement devoir suivre un traitement pour le reste de sa vie.
[13] Le demandeur a aussi fait valoir qu’il avait établi au Canada une entreprise prospère qui donnait du travail à plusieurs Canadiens. Il a également affirmé qu’il ne pouvait retourner aux États-Unis pour y faire sa demande de droit d’établissement au Canada car il y serait alors emprisonné et poursuivi et qu’il ne pouvait se rendre dans aucun autre pays pour y présenter sa demande puisqu’il n’avait aucun passeport ni document de voyage. Le demandeur a déclaré que, s’il était contraint de quitter le Canada, il serait incarcéré et par conséquent incapable de subvenir aux besoins de ses personnes à charge.
[14] Dans sa décision, l’agente Nappi a indiqué que Mme Langleben, la première épouse du demandeur, avait la garde de leurs deux enfants, mais que les enfants visitaient régulièrement le demandeur. L’agente Nappi a mentionné aussi que le demandeur assumait les frais d’éducation des enfants et qu’il remettait une somme à son ex-épouse à titre de pension alimentaire pour les enfants, ainsi qu’une allocation mensuelle, étant donné qu’elle ne travaillait pas.
[15] L’agente Nappi a aussi indiqué dans sa décision que Mme Trinh, l’épouse actuelle du demandeur, n’avait pas travaillé depuis la naissance de leur premier enfant. Le demandeur subvenait donc à ses besoins et à ceux des enfants et payait le loyer ainsi que toutes les dépenses. Depuis leur séparation, les enfants passaient une semaine avec le demandeur et une semaine avec leur mère, à l’exception de la plus jeune, Jacqueline, qui demeurait avec Mme Trinh, en raison des soins constants qu’elle nécessitait.
[16] Après examen des faits ci-dessus mentionnés, l’agente Nappi est arrivée à la conclusion suivante relativement aux conséquences qu’aurait le départ du Canada du demandeur sur ses deux familles :
Il est certain que les enfants, la conjointe et l’ex-conjointe vont subir des désagréments si le requérant doit quitter le Canada mais ils subissent déjà tous les contrecoups du divorce et de la séparation. C’est déjà une forme d’absence. Les deux enfants qui ont des problèmes reçoivent déjà des soins et ils vont continuer à en recevoir même si le requérant n’est pas là. Rien ne nous permet de penser que les difficultés déjà présentes chez ces enfants seront aggravées à cause de son départ du pays. Du point de vue financier ce sera aussi plus difficile. Il se peut que les mères aient besoin d’aide tout comme n’importe quelle personne qui se trouve dans la situation où son conjoint doit faire face à la justice. Le requérant qui a des problèmes avec la justice américaine depuis 1982 a fait le choix personnel de mettre au monde 5 autres enfants. À la question : vous avez eu 5 enfants malgré le fait que vous ayez des problèmes avec la justice américaine depuis 1982 le requérant a répondu qu’il pensait qu’il serait accepté au Canada. Son épouse actuelle était aussi au courant que son mari avait des problèmes même si elle déclare ne pas connaître tous les détails de l’affaire parce que son mari a toujours répondu de façon évasive à ses questions.
[17] S’agissant de l’entreprise du demandeur, l’agente Nappi a reconnu que le demandeur avait établi une entreprise qui lui permettait de subvenir aux besoins de ses deux familles et qui donnait du travail à des citoyens canadiens. L’agente Nappi a indiqué que le demandeur avait un associé, ainsi que cinq employés à Montréal, deux à Londres et un à Riga. Elle a conclu que la présence de l’associé était une bonne chose, car alors le soutien des familles du demandeur pourrait être assuré par cet associé si le demandeur devait quitter temporairement le Canada.
[18] L’agente Nappi a également exprimé l’avis que le demandeur ne voulait pas retourner aux États-Unis parce qu’il avait peur d’y être emprisonné. Elle a déclaré que les autorités canadiennes ne pouvaient permettre à une personne de rester au Canada pour se soustraire à la justice de son pays et que les États-Unis étaient reconnus comme une démocratie dotée d’un système judiciaire qui permettait à toute personne d’être entendue et de se défendre. L’agente Nappi a donc conclu que le demandeur ne s’exposait à aucun risque personnel et objectivement définissable s’il devait retourner aux États-Unis et qu’il y serait traité comme tout autre citoyen américain dans la même situation.
[19] Finalement, l’agente Nappi a indiqué que, après avoir analysé les faits et les documents et s’être entretenue avec le demandeur et son épouse, elle doutait que leur mariage ait été contracté de bonne foi. Pour toutes ces raisons, elle n’était pas convaincue qu’il existait des motifs suffisants d’ordre humanitaire pouvant justifier une dispense des obligations énoncées au paragraphe 9(1) de la Loi.
Arguments
[20] D’abord, le demandeur affirme que l’agente Nappi n’a pas tenu compte des bons critères, notamment l’intérêt supérieur des enfants, le fait que le demandeur était au Canada depuis 1982, enfin l’injustice à laquelle il pourrait être exposé aux États-Unis. Selon le demandeur, l’agente Nappi ne s’est pas arrêtée à l’intérêt des enfants, comme l’y obligeait l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Le demandeur soutient qu’il est absurde de qualifier de « désagrément » la perte de la présence physique et du soutien financier d’un père.
[21] Le demandeur affirme aussi que la durée du séjour ainsi que l’engagement économique et l’avantage économique pour le Canada n’ont pas été pris en compte par l’agente Nappi. Durant l’audience, le demandeur a soutenu aussi que l’agente Nappi n’était aucunement autorisée à conclure que l’associé du demandeur subviendrait aux besoins de sa famille s’il devait quitter le Canada.
[22] Sur l’aspect des conséquences que pourrait entraîner son retour aux États-Unis, le demandeur avance que l’agente Nappi n’a pas tenu compte de l’avis de M. William Schaab, son avocat new-yorkais, qui lui conseillait vivement de ne pas retourner aux États-Unis, et qu’elle n’a pas tenu compte du fait que les tribunaux canadiens n’avaient trouvé, durant l’audience d’extradition du demandeur, aucune preuve de conduite criminelle.
[23] Le demandeur soutient aussi que la décision de l’agente Nappi est manifestement déraisonnable et qu’elle devrait être annulée. Il avance que le simple fait que l’agente Nappi a mentionné les enfants dans sa décision ne prouve pas qu’ils ont été raisonnablement pris en compte, comme le requiert l’arrêt Baker, précité. Le demandeur affirme que ses arguments en faveur d’une dispense présentent un caractère impérieux, puisqu’il vit au Canada depuis 17 ans, qu’il n’a pas cherché à se dissimuler, qu’il a créé une entreprise, qu’il a payé des impôts, qu’il donne du travail à des Canadiens, qu’il a six enfants canadiens mineurs qu’il fait vivre et pour lesquels il est un bon père, enfin qu’il est probable qu’il sera poursuivi aux États-Unis pour des faits survenus il y a 20 ans.
[24] Pour sa part, le défendeur affirme que la décision défavorable rendue par l’agente Nappi est raisonnable et qu’elle est le résultat logique de tous les faits et événements présentés par le demandeur. Le défendeur avance que l’agente Nappi a été réceptive et attentive à l’intérêt des enfants et qu’elle a donné à cet intérêt le poids et l’importance qu’il méritait.
[25] Le défendeur affirme aussi que l’agente Nappi a dûment pris en compte la durée du séjour du demandeur au Canada, ainsi que les aspects économiques de sa présence au pays. Il affirme que, dans l’accomplissement de son obligation de considérer les raisons d’ordre humanitaire, l’agente Nappi devait prêter attention à tous les principes que la Loi vise à défendre : non seulement réunir les familles, mais également préserver et protéger l’ordre public dans la société canadienne et faire prévaloir l’ordre et la justice sur le plan international en ne permettant pas à une personne d’échapper à la justice de son pays.
[26] Le défendeur affirme aussi que l’agente Nappi a bien tenu compte de l’avis de M. Schaab et qu’elle avait le droit d’estimer que cet avis ne l’emportait pas sur le risque que comportait le fait d’autoriser quelqu’un à rester au Canada et de lui permettre ainsi d’échapper à la justice de son pays. Le défendeur affirme que, même si la demande présentée par les États-Unis pour l’extradition du demandeur a été rejetée en 1983, l’agente Nappi avait aussi à l’esprit l’acte d’accusation émanant du grand jury, ainsi que le mandat d’arrêt décerné aux États-Unis en 1986 contre le demandeur. Le défendeur soutient aussi que l’agente Nappi était convaincue que, à son retour aux États-Unis, le demandeur aurait la possibilité pleine et entière de faire valoir ses arguments.
[27] Finalement, le défendeur affirme que l’agente Nappi était autorisée à conclure que le mariage du demandeur avec Mme Trinh était un mariage de convenance contracté en vue de soutenir la demande de dispense ministérielle présentée par le demandeur.
Analyse
a) Norme de contrôle
[28] Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a jugé que la norme de contrôle à appliquer aux décisions rendues en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi était la norme de la décision raisonnable simpliciter. Le juge L’Heureux-Dubé s’exprime ainsi, aux pages 857 et 858 :
Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d’en arriver à la norme d’examen appropriée. Je conclus qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l’absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d’appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d’aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable ». Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.
[29] La question que je dois trancher est donc de savoir si la décision de l’agente Nappi était déraisonnable.
b) L’intérêt supérieur des enfants
[30] S’agissant de la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, cet aspect a également été analysé dans l’arrêt Baker, précité. Dans cette affaire, les faits étaient les suivants : l’appelante, Mme Baker, est entrée au Canada en 1981 et elle y est demeurée illégalement après cette date. Durant son séjour au Canada, elle a eu quatre enfants. Une mesure d’expulsion a été prononcée contre elle en 1992, et en 1993 elle a demandé d’être dispensée de l’obligation de demander la résidence permanente depuis l’étranger, et cela pour des raisons d’ordre humanitaire, en application du paragraphe 114(2) de la Loi. Sa demande a été refusée. Dans les notes prises par l’agent d’immigration, notes qui ont conduit au refus, le passage suivant concernait ses enfants : [traduction] « Il n’existe pas d’autres facteurs d’ordre humanitaire que ses QUATRE ENFANTS NÉS AU CANADA. Devons-nous lui permettre de rester pour ça? Je suis d’avis que le Canada ne peut plus se permettre cette sorte de générosité ».
[31] La demande présentée par Mme Baker en vue du contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’immigration a été rejetée par le juge Simpson [(1995), 101 F.T.R. 110], et son appel à la Cour d’appel fédérale a lui aussi été rejeté [[1997] 2 C.F. 127. Toutefois, la Cour suprême du Canada a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire au ministre pour nouvelle décision. La Cour suprême a exprimé l’avis que, entre autres facteurs, l’intérêt des enfants de Mme Baker n’avait pas été considéré à sa juste valeur, ce qui rendait déraisonnable la décision de l’agent d’immigration.
[32] L’un des principaux points examinés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker, précité, avait trait au poids qui devait être accordé à l’intérêt des enfants concernés par une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. S’exprimant au nom d’une Cour suprême unanime, Mme le juge L’Heureux- Dubé a établi les principes qui devraient être suivis lorsque des enfants sont concernés. Aux pages 863 et 864, elle tient les propos suivants :
Les facteurs susmentionnés montrent que les droits, les intérêts, et les besoins des enfants, et l’attention particulière à prêter à l’enfance sont des valeurs importantes à considérer pour interpréter de façon raisonnable les raisons d’ordre humanitaire qui guident l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Je conclus qu’étant donné que les motifs de la décision n’indiquent pas qu’elle a été rendue d’une manière réceptive, attentive ou sensible à l’intérêt des enfants de Mme Baker, ni que leur intérêt ait été considéré comme un facteur décisionnel important, elle constituait un exercice déraisonnable du pouvoir conféré par la loi et doit donc être infirmée. En outre, les motifs de la décision n’accordent pas suffisamment d’importance ou de poids aux difficultés qu’un retour en Jamaïque pouvait susciter pour Mme Baker, alors qu’elle avait passé 12 ans au Canada, qu’elle était malade et n’était pas assurée de pouvoir suivre un traitement en Jamaïque, et qu’elle serait forcément séparée d’au moins certains de ses enfants.
Il en résulte que je ne suis pas d’accord avec la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Shah, précité, à la p. 239, qu’une décision en vertu du par. 114(2) « relève entièrement [du] jugement et [du] pouvoir discrétionnaire » (je souligne). Le libellé du para. 114(2) et du règlement montre que le pouvoir discrétionnaire conféré est assorti de limites. Bien que je sois d’accord avec la Cour d’appel que la Loi ne donne au demandeur aucun droit à un résultat précis ou à l’application d’un critère juridique particulier, et que la doctrine de l’attente légitime ne commande pas un résultat conforme au libellé d’instruments internationaux, la décision doit être prise suivant une démarche qui respecte les valeurs humanitaires. Par conséquent, l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur, et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable. Même s’il faut faire preuve de retenu dans le contrôle judiciaire de décisions rendues par les agents d’immigration en vertu du par. 114(2), ces décisions ne doivent pas être maintenues quand elles résultent d’une démarche ou sont elles-mêmes en conflit avec des valeurs humanitaires. Les directives du ministre elles-mêmes soutiennent cette approche. Toutefois, la décision en l’espèce était incompatible avec cette approche.
La question certifiée demande s’il faut considérer l’intérêt supérieur des enfants comme une considération primordiale dans l’examen du cas d’un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.
[33] Entre la publication de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Baker, précitée, et l’audition de la présente affaire, la Cour fédérale a eu l’occasion d’examiner dans plusieurs espèces la question de l’intérêt des enfants dans le contexte d’une demande fondée sur des considérations humanitaires. Dans six de ces espèces, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie parce que l’agent d’immigration n’avait pas tenu compte de l’intérêt des enfants concernés, contrevenant ainsi aux principes établis dans l’arrêt Baker, précité. Dans trois espèces seulement la Cour a jugé que les raisons invoquées par l’agent d’immigration avaient suffisamment pris en compte l’intérêt supérieur des enfants[1].
[34] J’examinerai brièvement les faits et motifs de ces espèces, qui toutes concernent des demandes de contrôle judiciaire de décisions défavorables rendues par des agents d’immigration en application du paragraphe 114(2) de la Loi pour des raisons d’ordre humanitaire. Je pourrai de la sorte évaluer comment l’arrêt Baker, précité, a été interprété et appliqué par la Cour fédérale. Je m’en tiendrai presque exclusivement aux faits et motifs intéressant les enfants.
[35] La première des six espèces dans lesquelles la demande de contrôle judiciaire a été accueillie est le jugement Sovalbarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 174 F.T.R. 156 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, les demandeurs, citoyens du Guatemala, étaient au Canada depuis quatre ans et leurs enfants comptaient un fils né au Canada. Les notes de l’agent d’immigration, qui ont été considérées comme constituant les motifs de la décision, faisaient très peu état des enfants : elles révélaient que les demandeurs affirmaient que [traduction] « un enfant est né au Canada et que la situation est meilleure ici pour les enfants », et, dans la section « Recommandation de l’agent », on faisait référence entre parenthèses au fils des demandeurs né au Canada. Après examen de l’arrêt Baker, précité, rendu par la Cour suprême, M. le juge McDonald a estimé que la décision était déraisonnable parce que l’agent d’immigration n’avait pas suffisamment tenu compte de l’intérêt du fils des demandeurs né au Canada et de celui de leurs autres enfants.
[36] Dans l’espèce suivante, I.G. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 177 F.T.R. 76 (C.F. 1re inst.), la demanderesse est arrivée au Canada en 1993 en provenance de la République tchèque. En 1996, elle a amené son fils au Canada depuis la République tchèque et a donné naissance à une fille au Canada. Dans ses motifs à l’appui d’une décision défavorable fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, motifs qui sont reproduits au paragraphe 22 des motifs de la Cour, l’agente d’immigration n’avait fait état de la fille qu’une seule fois :
[traduction] L’intéressée a également dit qu’elle ne pouvait retourner dans son pays d’origine vu qu’elle ne peut quitter l’Ontario avec sa fille. Cependant, j’estime que, compte tenu des antécédents de violence du père de l’enfant, elle n’aurait pas de difficulté à obtenir la garde exclusive de l’enfant.
[37] Après examen des motifs du juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Baker, précité, M. le juge Lemieux s’exprime ainsi, au paragraphe 37 :
À mon avis, il est clair que l’arrêt Baker de la Cour suprême du Canada appelle une nouvelle perspective et un nouvel examen de la part des agents d’immigration lorsqu’ils rendent des décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu de la Loi sur l’immigration. Lorsque l’affaire porte sur des enfants, l’agent d’immigration doit tenir compte des intérêts de ces derniers, qui constituent un facteur important, accorder beaucoup d’importance à ces intérêts, et en être conscient.
[38] Le juge Lemieux a accueilli la demande de contrôle judiciaire et fait l’observation suivante, aux paragraphes 40 et 41 :
En examinant la décision de l’agente d’immigration dans la présente affaire, je remarque que l’analyse fondée sur des motifs d’ordre humanitaire porte exclusivement sur la demanderesse elle-même, I.G. Dans ces motifs, il n’a été tenu compte ni des intérêts de l’enfant né au Canada, ni de ceux de l’enfant né en République tchèque.
Or, une telle démarche de l’agente d’immigration ne saurait constituer un exercice raisonnable du pouvoir qui exige que les intérêts et les besoins des enfants soient examinés de près, étant donné que les droits des enfants et le respect de leurs intérêts constituent des valeurs humanitaires fondamentales de la société canadienne.
[39] Dans la troisième espèce, Navaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 179 F.T.R. 294 (C.F. 1re inst.), la demanderesse, citoyenne du Sri Lanka, est arrivée au Canada en 1995 et a donné naissance à une fille au Canada en 1996. Vu l’absence de motifs officiels justifiant le refus de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, les notes de l’agent qui avait procédé à l’entrevue avaient été remises à la demanderesse. Les notes ne faisaient nulle part état des conséquences du refus de la demande sur la fille.
[40] Accueillant la demande de contrôle judiciaire, M. le juge Gibson a estimé que dans cette affaire, comme dans l’affaire Baker, précitée, l’agent d’immigration n’avait tenu aucun compte de l’intérêt de la fille. Il s’exprime ainsi au paragraphe 14 :
Cela ne veut pas dire qu’il n’était pas loisible à l’agent d’immigration de rendre la décision qui fait l’objet du contrôle mais plutôt, qu’en rendant cette décision, son défaut de souligner les droits, intérêts et besoins de [l’enfant né au Canada] et de porter une attention particulière à la question de l’enfance dans les motifs finalement donnés de la décision, a résulté en une décision qui, quel que soit son ultime fondement, n’a simplement pas été rendue d’une manière « […] réceptive, attentive ou sensible » aux intérêts de [l’enfant né au Canada] ou qui indique que « [son intérêt] ait été considéré comme un facteur décisionnel important », avec pour résultat que, compte tenu de l’analyse qu’il a faite, il n’était pas loisible au décideur de rendre cette décision.
[41] Dans l’affaire Wynter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 99 (C.F. 1re inst.), la demanderesse, une citoyenne jamaïcaine, avait deux enfants nés au Canada. Dans ses motifs, l’agent d’immigration avait exprimé les considérations suivantes, reproduites au paragraphe 37 :
Il est tenu compte des deux enfants cc [citoyens canadiens] de l’intéressée. Il leur faudra peut-être un certain temps pour s’adapter à un autre pays, mais il revient à l’intéressée de décider si elle souhaite laisser ses enfants au Canada et de prendre les dispositions nécessaires; elle est libre de déterminer l’intérêt des enfants.
[42] Après examen de l’arrêt Baker, M. le juge Teitelbaum s’est exprimé ainsi, aux paragraphes 39 et 40 :
En outre, les notes, ou les motifs, sont surtout incomplets pour ce qui est de la considération de l’intérêt des enfants de la demanderesse. Même s’il ressort très clairement de l’arrêt Baker que de telles considérations sont loin d’être déterminantes en ce qui concerne l’issue de l’affaire, cet arrêt dit clairement que cet intérêt constitue un facteur important […]
Dans ses motifs, l’agent d’immigration ne consacre que deux phrases aux enfants de la demanderesse; dans l’une, il dit qu’il tient compte de ceux-ci, alors que dans l’autre, il mentionne qu’il revient à la mère de déterminer leur intérêt. Il est impossible de savoir comment il a tenu compte de leur intérêt, voire s’il en a effectivement tenu compte. On ne saurait dire que l’agent d’immigration a pris sa décision conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Baker.
[43] Dans l’affaire Jack c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 7 Imm. L.R. (3d) 35 (C.F. 1re inst.), la demanderesse est arrivée au Canada en 1988 en provenance de Trinité-et-Tobago. Son troisième enfant est né au Canada. Les notes de l’agent d’immigration au soutien du refus renfermaient l’observation suivante concernant son enfant, reproduite au paragraphe 3 : « Son enfant né au Canada est suffisamment jeune pour s’adapter aux changements advenant qu’elle choisisse de l’amener avec elle et elle a bel et bien une famille à laquelle retourner ».
[44] Examinant les notes de l’agent d’immigration, le juge Gibson a exprimé l’avis suivant, au paragraphe 4 :
La brève référence à l’enfant né au Canada est particulièrement digne de mention. Cette référence se limite à une conclusion, sans aucune analyse à l’appui, selon laquelle l’enfant [traduction] « […] est suffisamment jeune pour s’adapter aux changements advenant qu’elle [la demanderesse] choisisse de l’amener avec elle […] ». Il n’y a absolument aucune référence relative à l’implication scolaire et communautaire de l’enfant né au Canada. De même, il n’y a absolument aucune analyse sur ce que serait l’incidence sur l’enfant né au Canada de la décision de forcer sa mère à quitter le pays et du choix de celle-ci de partir sans lui; et ce, malgré le fait que ni la demanderesse ni l’enfant né au Canada ne reçoivent d’aide du père de l’enfant et qu’il n’existe pas de lien étroit entre l’enfant et le père.
[45] Faisant droit à la demande de contrôle judiciaire, le juge Gibson a répété la même conclusion que celle qu’il avait tirée au paragraphe 14 de la décision rendue dans l’affaire Navaratnam, précitée, paragraphe que j’ai déjà reproduit.
[46] Finalement, dans l’affaire Naredo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 192 D.L.R. (4th) 373 (C.F. 1re inst.), les demandeurs, citoyens chiliens, avaient deux enfants nés au Canada. Dans les motifs de sa décision, l’agent d’immigration avait fait les observations suivantes à propos des enfants, observations reproduites au paragraphe 10 :
[traduction] Monsieur Arduengo a deux enfants, qui sont nés au Canada, âgés de 22 et 18 ans. Je reconnais que ses fils sont disposés à soumettre une demande dans la catégorie de la famille. Monsieur Arduengo a pris la décision d’avoir des enfants au Canada alors que leur statut d’immigrants était incertain et qu’ils risquaient de devoir quitter le Canada. Il reviendrait également à eux de décider s’ils souhaitent, le cas échéant, laisser leurs enfants, âgés de 22 et 18 ans, au Canada. Les parents sont libres de décider ce qui est dans l’intérêt de leurs enfants. Les enfants auront toujours la citoyenneté canadienne, peu importe où ils habitent.
[47] Le juge Gibson a exprimé l’avis que, vu les principes énoncés dans l’arrêt Baker, l’analyse apparaissant dans les motifs de l’agent d’immigration et se rapportant à l’intérêt des enfants des demandeurs était très insuffisante. Faisant droit à la demande de contrôle judiciaire, il s’est exprimé ainsi au paragraphe 22 :
L’agente d’immigration n’avait pas le loisir, compte tenu des directives que donne l’arrêt Baker, de se contenter de laisser aux parents la responsabilité de déterminer en quoi consiste l’intérêt des enfants, dans des circonstances où les demandeurs étaient sur le point de devoir quitter le Canada afin de faire face à un avenir incertain au Chili. En agissant ainsi, l’agente « ne prêtait aucune attention » à l’intérêt des enfants. L’agente d’immigration n’a pas elle-même « accord[é] de l’importance et de la considération à l’intérêt des enfants… ». Elle a plutôt conclu que les demandeurs n’obtiendraient pas le droit de présenter une demande de droit d’établissement sans quitter le Canada et, partant, elle a laissé exclusivement aux parents la responsabilité de prendre la décision déchirante de savoir en quoi consistait l’intérêt de leurs enfants.
[48] Dans les trois espèces suivantes, la demande de contrôle judiciaire a été rejetée. D’abord, dans son bref jugement dans l’affaire Young c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 657 (1re inst.) (QL), le juge Pinard tient les propos suivants, aux paragraphes 6 à 10 :
En ce qui concerne les enfants du demandeur principal, l’arrêt Baker, supra, a établi que dans le contexte des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, l’examen de la question de savoir si une décision est raisonnable devrait être axé sur « l’intérêt des enfants » […]
Voici ce que l’agent a dit au sujet des enfants du demandeur principal et de la question des conséquences néfastes, à la page 44 du dossier de la demande :
[…]
[traduction]
- il est noté que la fille a passé un examen médical M3 en 1996. Selon les renseignements médicaux versés au dossier de l’hôpital pour enfant (en date du 8 juillet 1998), l’enfant est en bonne santé--elle a besoin d’être suivie par un dentiste et par un orthodontiste, elle devra peut-être subir une opération à la mâchoire dans l’avenir, et elle doit être suivie par un orthophoniste--l’équipe d’évaluation du programme relatif aux divisions palatines veut revoir l’enfant lorsqu’elle aura douze ans (à l’heure actuelle, elle a huit ans).
- l’affaire Francis (se rapportant aux droits des enfants qui sont citoyens canadiens) a également été mentionnée.
[…]
Le client et sa famille n’ont pas fourni de motifs suffisants pour confirmer qu’il y aurait des conséquences néfastes excessives ou indues. La fille a passé un examen médical de l’immigration et selon les renseignements fournis par l’équipe d’évaluation de l’hôpital pour enfants, il n’est pas nécessaire de la revoir d’ici quatre ans (quoique son médecin désire surveiller la situation sur une base plus régulière); je ne suis pas convaincu qu’il existe ici des circonstances exceptionnelles.
Et à la page 45 :
[traduction]
L’avocat a déclaré que l’on avait un parti-pris contre les enfants en Guyane et que s’ils devaient y retourner, ils auraient encore des problèmes similaires.
L’agent a également noté ce qui suit au sujet de la mesure dans laquelle les enfants du demandeur principal sont établis au Canada, à la page 46 :
[…]
[traduction]
- il importe également de noter que la demanderesse et ses enfants ne sont au Canada que depuis peu de temps, c’est-à-dire depuis 1996.
Et à la page 47 :
[traduction]
La demanderesse et ses enfants ne sont pas bien établis et ils continuent à compter sur l’aide financière des services sociaux. Ils ne sont au Canada que depuis 1996.
De plus, les notes inscrites dans le CAIPS indiquent que l’agent a tenu compte du fait que l’un des enfants du demandeur principal est né au Canada.
À mon avis, les notes de l’agent démontrent qu’en décidant de refuser la demande, l’agent s’est montré sensible aux intérêts des enfants du demandeur principal et qu’il estimait qu’il s’agissait d’un facteur important aux fins de la décision.
Dans ce contexte, je crois qu’en prenant sa décision, l’agent a exercé le pouvoir qui lui est conféré par la loi d’une façon raisonnable.
[49] Dans l’affaire Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 183 F.T.R. 280 (C.F. 1re inst.), le fils cadet des demandeurs est né au Canada. L’agent d’immigration, qui avait refusé la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, avait mentionné à propos de l’enfant les points suivants, reproduits au paragraphe 17 :
[traduction] J’ai tenu compte du fait que l’intéressé a un enfant qui est né au Canada. Ils ont sciemment décidé de faire un enfant au Canada même si leur statut d’immigrant n’était pas déterminé et s’ils étaient susceptibles d’être renvoyés du pays. Par ailleurs, s’ils étaient tenus de quitter le Canada, c’est de leur gré qu’ils décideraient de confier leur enfant à leurs parents qui se trouvent au pays. Les parents sont libres de déterminer l’intérêt de leur enfant canadien. Après avoir examiné tous les renseignements que les demandeurs et leur avocat m’ont fournis, je n’estime pas qu’il existe des motifs humanitaires suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense à l’égard de l’exigence d’obtenir un visa. Je recommande qu’ils soient tenus de se rendre à l’étranger pour présenter leur demande.
[50] S’agissant de la question de l’intérêt de l’enfant né au Canada, le juge Lemieux a passé en revue les principes établis dans l’arrêt Baker et estimé que, en l’espèce, l’agent d’immigration avait tenu compte de l’intérêt de l’enfant et qu’une juridiction de contrôle ne devrait pas substituer son opinion à celle de l’agent d’immigration. Il a rejeté la demande de contrôle judiciaire et conclu au paragraphe 39 « que la présente affaire est très différente de l’affaire Baker, précitée, et que, compte tenu de la preuve, on ne saurait prétendre que la décision de l’agent d’immigration était déraisonnable au point de justifier une intervention ».
[51] Finalement, dans l’affaire Russell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 187 F.T.R. 97 (C.F. 1re inst.), le demandeur avait un fils né au Canada. Dans les motifs à l’appui de son refus, l’agente d’immigration avait fait les observations suivantes, reproduites aux paragraphes 23 et 24 :
[traduction] L’intéressé a également un lien étroit avec son enfant, qui est né au Canada, à qui il rend visite régulièrement et accorde une aide financière. Le renvoi de l’intéressé du Canada les priverait, lui et son enfant, d’une relation père-fils continue […]
[traduction] J’ai également noté le lien de l’intéressé avec son fils, qui est né au Canada, et le soutien qu’il lui fournit, tant sur les plans affectif que financier. Néanmoins, je suis d’avis que les antécédents criminels de l’intéressé l’emportent sur tous les facteurs de nature humanitaire. L’épouse du demandeur pourra continuer de fournir une aide financière à son enfant, jusqu’à ce qu’il soit en mesure de lui fournir son aide depuis l’étranger. En conséquence j’estime que l’enfant né au Canada ne subirait pas de difficultés excessives si la demande de droit d’établissement de l’intéressé était rejetée.
[52] Mme le juge Tremblay-Lamer a exprimé l’avis que l’agente d’immigration avait apprécié les facteurs pertinents et avait estimé qu’un ensemble de facteurs l’emportait sur l’autre. Elle a rejeté la demande de contrôle judiciaire et tiré la conclusion suivante, aux paragraphes 25 et 26 :
La situation en l’espèce n’est pas semblable à celle de l’affaire Baker. L’enfant ne vit pas avec le demandeur. Le demandeur fournit une aide financière limitée à l’enfant, mais son épouse contribue. L’agente a conclu que même si le demandeur s’établissait à l’extérieur du Canada, rien ne l’empêcherait de continuer de fournir une telle aide à son fils. L’agente a aussi clairement tenu compte de la perte affective que vivrait l’enfant en perdant le lien qui existe entre lui et son père, mais elle a expressément conclu que l’enfant, qui est né au Canada, ne subirait pas de « difficultés excessives ».
En conséquence, je n’estime pas que la décision puisse être considérée comme déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.
[53] Il est clair que, dans certaines des affaires susmentionnées, l’agent d’immigration n’a tout simplement pas, dans sa décision, tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants. Toutefois, s’agissant des affaires où l’agent d’immigration a effectivement examiné et pris en compte l’intérêt des enfants, les résultats du contrôle judiciaire n’ont pas été uniformes. Les décisions rendues dans les affaires Naredo et Mayburov, précitées, l’attestent. Comme on l’a déjà dit, les agents d’immigration saisis de ces deux affaires ont rédigé des motifs qui étaient très semblables. Leurs décisions étaient en partie rédigées de la façon suivante :
<I>NAREDO</I>, au paragraphe 10
[traduction] Monsieur Arduengo a deux enfants, qui sont nés au Canada, âgés de 22 et 18 ans. Je reconnais que ses fils sont disposés à soumettre une demande dans la catégorie de la famille. Monsieur Arduengo a pris la décision d’avoir des enfants au Canada alors que leur statut d’immigrants était incertain et qu’ils risquaient de devoir quitter le Canada. Il reviendrait également à eux de décider s’ils souhaitent, le cas échéant, laisser leurs enfants, âgés de 22 et 18 ans, au Canada. Les parents sont libres de décider ce qui est dans l’intérêt de leurs enfants. Les enfants auront toujours la citoyenneté canadienne, peu importe où ils habitent.
<I>MAYBUROV</I>, au paragraphe 17
[traduction] J’ai tenu compte du fait que l’intéressé a un enfant qui est né au Canada. Ils ont sciemment décidé de faire un enfant au Canada même si leur statut d’immigrant n’était pas déterminé et s’ils étaient susceptibles d’être renvoyés du pays. Par ailleurs, s’ils étaient tenus de quitter le Canada, c’est de leur gré qu’ils décideraient de confier leur enfant à leurs parents qui se trouvent au pays. Les parents sont libres de déterminer l’intérêt de leur enfant canadien. Après avoir examiné tous les renseignements que les demandeurs et leur avocat m’ont fournis, je n’estime pas qu’il existe des motifs humanitaires suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense à l’égard de l’exigence d’obtenir un visa. Je recommande qu’ils soient tenus de se rendre à l’étranger pour présenter leur demande.
[54] Dans l’affaire Naredo, le juge Gibson a exprimé l’avis que l’agent d’immigration n’avait pas suffisamment tenu compte de l’intérêt des enfants et qu’il n’avait pas eu à l’esprit cet intérêt en laissant aux parents le choix d’emmener les enfants ou non. Dans l’affaire Mayburov, le juge Lemieux a exprimé l’avis que, puisque l’agent d’immigration avait pris en compte l’intérêt des enfants, la Cour devait s’abstenir de substituer son opinion à celle de l’agent d’immigration. Le juge Lemieux a donc rejeté la demande.
[55] Ce que révèlent ces décisions, ce sont des approches contradictoires en ce qui a trait au sens et à la portée de l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Baker. Les juges de la Cour fédérale semblent adopter deux positions. La première, que je qualifierais d’approche procédurale, est celle qui est adoptée dans les espèces Young, Mayburov et Russell. L’autre approche, que je qualifierais d’approche fondamentale, est l’approche adoptée dans les autres espèces. Selon l’approche procédurale, la Cour se demandera si l’agent d’immigration a pris en compte les effets que le départ des parents du Canada pourrait avoir sur les enfants. Si l’agent d’immigration a pris en compte ces effets, la Cour n’interviendra pas, même si la décision rendue est défavorable au demandeur. En revanche, dans l’approche fondamentale, non seulement la Cour vérifiera si l’agent a considéré les effets d’un refus de la demande des parents selon le paragraphe 114(2), mais elle ira plus loin et se demandera si la décision ultime est la décision correcte.
[56] Un exemple manifeste de l’approche fondamentale est la décision du juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Holder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 119; [2001] A.C.F. no 267 (1re inst.) (QL). Faisant droit à la demande de contrôle judiciaire, le juge Tremblay-Lamer a déclaré qu’elle n’avait jamais vu autant de preuves de raisons d’ordre humanitaire justifiant une dispense en application du paragraphe 114(2) de la Loi. Manifestement, elle s’interposait dans le fond de l’affaire. Je me garderai de lui en faire grief car, à mon avis, c’est précisément ce que l’arrêt Baker oblige les juges de la Cour fédérale à faire. Le juge Tremblay-Lamer est donc arrivée à la conclusion que l’agent d’immigration n’avait pas « ten[u] dûment compte des intérêts de l’enfant ».
[57] Dans l’arrêt Baker, à la page 864, le juge L’Heureux-Dubé écrit qu’une décision rendue en application du paragraphe 114(2) de la Loi sera jugée déraisonnable si l’agent qui l’a rendue n’a pas considéré l’intérêt de l’enfant comme un facteur important et accordé à ce facteur un poids considérable. Selon elle, l’agent se devait d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt des enfants concernés par la décision. Le juge L’Heureux-Dubé ajoute que l’intérêt des enfants ne l’emportera pas toujours sur d’autres considérations et qu’il y aura parfois d’autres raisons de rejeter une demande présentée en application du paragraphe 114(2), et cela malgré l’intérêt supérieur des enfants, mais il me semble que, ce faisant, elle a considérablement réduit le pouvoir discrétionnaire du ministre.
[58] L’une des difficultés qui découlent de la décision du juge L’Heureux-Dubé est de savoir ce en quoi consiste un examen approprié de l’intérêt des enfants. Que signifie en réalité être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt? Il n’y a pas de réponse facile à ces questions, que ce soit sur le plan factuel ou sur le plan des principes, et c’est pourquoi les agents d’immigration et les juges de la Cour fédérale ont rarement la tâche aisée lorsque vient le temps pour eux d’y répondre[2].
[59] Lorsque l’agent d’immigration se demande ce qu’est l’intérêt supérieur des enfants, qu’il se doit de considérer, il lui faut garder à l’esprit qu’il y a deux scénarios possibles : le premier est celui où les parents concernés, s’ils ne sont pas autorisés à rester au Canada, emmèneront leurs enfants avec eux dans un autre pays; l’autre est celui où les parents concernés n’emmèneront pas leurs enfants. Il ne faut pas oublier que, dans la plupart des affaires considérées, les enfants étaient, en raison de leur naissance au Canada, des citoyens canadiens et ne faisaient pas l’objet d’une mesure d’expulsion. Pour revenir à ma question, l’agent devrait-il tenir compte du fait que les enfants seront séparés de leur père ou de leur mère ou des deux? Dans l’affirmative, la réponse à la question est évidente, puisque, sauf exception, les enfants sont mieux auprès de leurs parents. En revanche, il ne faut pas non plus oublier que les parents qui ont la garde légale de leurs enfants ont le droit, sauf ordonnance judiciaire, de prendre leurs enfants avec eux, même lorsqu’il s’agit d’une expulsion.
[60] Lorsque les parents qui présentent la demande ont l’intention d’emmener leurs enfants avec eux pour le cas où ils seraient déboutés de leur demande, l’agent devrait-il se demander si le Canada est un « meilleur endroit » que le pays vers lequel les enfants seront emmenés par leurs parents? Par exemple, s’agissant de Mme Baker, elle serait tout probablement retournée ou aurait tout probablement été renvoyée en Jamaïque si elle avait été déboutée de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. L’agent d’immigration aurait-il dû alors considérer à la fois la Jamaïque et le Canada et comparer ces deux pays au regard de facteurs tels que les soins de santé, l’éducation, la qualité de vie, etc.? Je crois que la réponse à cette question est affirmative, puisque, à la page 863 de ses motifs dans l’arrêt Baker, précité, le juge L’Heureux-Dubé fait les observations suivantes à propos de Mme Baker :
En outre, les motifs de la décision n’accordent pas suffisamment d’importance ou de poids aux difficultés qu’un retour en Jamaïque pouvait susciter pour Mme Baker, alors qu’elle avait passé 12 ans au Canada, qu’elle était malade et n’était pas assurée de pouvoir suivre un traitement en Jamaïque, et qu’elle serait forcément séparée d’au moins certains de ses enfants.
[61] Une autre question est celle de savoir ce que sont les autres considérations qui pourraient l’emporter sur l’intérêt supérieur des enfants, vu que le juge L’Heureux-Dubé a affirmé en termes non équivoques qu’il fallait accorder un poids considérable à l’intérêt supérieur des enfants. Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (C.A.), le juge Robertson, J.C.A., se référant à l’arrêt Baker de la Cour suprême, donne à entendre que le pouvoir discrétionnaire du ministre selon le paragraphe 114(2) avait peut-être été entravé. Il tient les propos suivants, aux pages 676 et 677 :
Ce qui est important en ce qui concerne l’arrêt Baker, précité, c’est que la Cour suprême n’a pas conclu que la décision du ministre devait être annulée parce qu’elle ne tenait pas compte d’un facteur pertinent, soit l’intérêt des enfants de Mme Baker qui étaient nés au Canada. Ce qu’établit l’arrêt Baker, précité, c’est que la décision doit être infirmée si un poids « insuffisant » a été attribué à un facteur pertinent. Comme l’intérêt des enfants avait été « minimisé », l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire a été jugé « déraisonnable ». On peut se demander comment un tribunal ou un agent administratif obéit à une directive d’attribuer plus de poids à un facteur. Comment une personne peut-elle déterminer si un poids suffisant a été attribué à un facteur sans préjuger ni dicter l’issue d’une décision? La perception élargie de la norme de contrôle de la « décision raisonnable » entre-t-elle en conflit avec le paragraphe 18.1(4) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] qui énumère les motifs légaux d’annulation d’une décision administrative? La norme de la décision raisonnable appliquée dans l’arrêt Baker entre-t-elle en conflit avec celle énoncée dans l’arrêt Southam, précité?
[62] À mon humble avis, la difficulté à laquelle sont confrontés maintenant les agents d’immigration s’explique en partie par le fait que la Cour suprême n’a pas--conséquence de sa conclusion selon laquelle il y avait une crainte raisonnable de partialité et de sa conclusion selon laquelle l’agent n’avait pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants--abordé la véritable question dans l’affaire Baker. Cette question était la suivante : le fait que Mme Baker constituerait un fardeau pour les contribuables était-il un facteur qui pouvait l’emporter sur l’intérêt supérieur des enfants[3]? Dans l’affaire Baker, l’agent pouvait-il par exemple accorder de l’importance au fait que Mme Baker était demeurée illégalement au Canada pendant plus de dix ans?
[63] Le paragraphe 114(2) de la Loi ne permet pas de douter que les raisons d’ordre humanitaire qui doivent être considérées par un agent d’immigration sont celles qui se rapportent à la personne qui tente de se prévaloir de ce paragraphe. À mon avis, l’intérêt des enfants, qu’il s’agisse d’enfants canadiens ou étrangers, n’est que l’un des aspects dont devrait tenir compte un agent d’immigration. Il y a évidemment maints autres facteurs qui peuvent être pris en compte, notamment les objectifs de la politique canadienne d’immigration énoncés à l’article 3 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 2] de la Loi. Je suis également d’avis que la manière dont un demandeur est entré et est demeuré au Canada est un facteur pertinent. Les objectifs de la politique canadienne d’immigration ne sauraient constituer une invitation faite aux étrangers d’entrer illégalement au Canada et d’y demeurer illégalement pour ainsi augmenter leurs chances d’obtenir la résidence permanente.
[64] Toutefois, l’arrêt Baker, précité, oblige l’agent d’immigration non seulement à tenir compte de l’intérêt des enfants, mais encore à donner à cet intérêt un poids considérable. Le fait que Mme Baker est demeurée illégalement au pays pendant plus de 10 ans ne semble pas avoir été un facteur pertinent aux yeux de la Cour suprême. On cherchera en vain dans l’arrêt une quelconque remontrance ou condamnation à l’égard de Mme Baker pour son mépris de la loi.
[65] Au reste, je ne trouve rien dans la Convention relative aux droits de l’enfant [20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3] qui puisse me conduire à conclure que, en signant la Convention, le Canada s’est engagé à limiter ou à restreindre son droit de renvoyer de son territoire les immigrants illégaux. J’en veux pour preuve une simple lecture de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 29 C.R.R. (2d) 184, où le juge Décary, s’exprimant pour la Cour, fait les observations suivantes à la page 235 :
Le procureur des appelants a aussi soutenu que le renvoi des parents irait à l’encontre des obligations internationales qu’aurait contractées le Canada en ratifiant la Convention relative aux droits de l’enfant. Quand bien même ces obligations internationales auraient été intégrées par législation au droit domestique canadien, ce qui n’est pas le cas, il suffit de prendre connaissance des articles 9 et 10 de cette Convention pour constater qu’ici encore, les prétentions de Me Grey seraient dénuées de tout fondement. Me Grey a par ailleurs longuement fait état d’une certaine jurisprudence relative à la Convention européenne des droits de l’homme. S’il est vrai que cette jurisprudence peut à certains égards avoir quelque valeur de persuasion, elle ne saurait en savoir en l’espèce vu que les dispositions qui y sont interprétées ne correspondent à aucune qui se trouve dans la Charte canadienne.
Il n’est fait aucune mention de l’arrêt Langner dans l’arrêt Baker, mais l’on peut sans risque affirmer que la Cour suprême a désavoué l’arrêt Langner de la Cour d’appel.
[66] Dans l’affaire Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219 (C.F. 1re inst.), j’écrivais qu’il était manifeste que l’objet de la Convention était de protéger le bien-être des enfants, non d’empêcher les États d’expulser ou d’emprisonner leurs parents. Je disais aussi que la présence d’enfants ne saurait empêcher les États d’appliquer leurs lois d’une façon aussi absolue que l’affirmait la demanderesse dans cette affaire. Le paragraphe 5(1) de la Loi prévoit que seuls les citoyens canadiens et les résidents permanents du Canada sont de droit autorisés à entrer au Canada et à y demeurer. Les visiteurs n’ont le droit d’entrer au Canada et d’y demeurer que durant la période pour laquelle ils ont obtenu une autorisation de séjour. Ainsi, après les six mois habituels, les visiteurs doivent quitter le pays ou obtenir une prorogation de la période pour laquelle ils ont été autorisés à séjourner. Par conséquent, ceux qui ne partent pas ou qui n’obtiennent pas une prorogation demeurent au pays illégalement. C’est sûrement là un facteur important en ce qui a trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 114(2) de la Loi. Ordonner au ministre d’accorder plus de poids à un facteur, à savoir l’intérêt supérieur des enfants, équivaut à mon humble avis à entraver le pouvoir discrétionnaire du ministre.
[67] En conclusion, je suis d’avis que l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Baker appelle un certain résultat, et ce résultat est que, sauf les cas exceptionnels, l’intérêt supérieur des enfants doit prévaloir. Selon mon interprétation de l’arrêt Baker, si le décideur est d’avis que l’intérêt supérieur des enfants commande qu’ils demeurent au Canada avec leur père ou leur mère ou les deux, alors ce décideur doit exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur des parents qui sollicitent la dispense. À mon avis, rares seront les cas où l’agent d’immigration sera fondé à conclure que l’intérêt supérieur des enfants n’exige pas que la demande de dispense présentée par leurs parents soit accordée.
[68] Comme je l’ai indiqué clairement, je ne partage pas l’avis exprimé par la Cour suprême dans l’arrêt Baker. Toutefois, je suis lié par cet arrêt et, par conséquent, je suis arrivé à la conclusion que la décision rendue par l’agente Nappi le 16 septembre 1999 doit être annulée. Vu cet arrêt Baker de la Cour suprême, force m’est de conclure que la décision de l’agente Nappi est déraisonnable. Elle a pris en compte l’intérêt supérieur des enfants pour arriver à une décision, mais l’on ne peut dire qu’elle a accordé à cet intérêt le « poids considérable » commandé par l’arrêt Baker.
Conclusion
[69] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent d’immigration pour réexamen.
[70] L’avocat du demandeur affirme que les questions suivantes devraient être certifiées :
[traduction]
1. Les conclusions de l’agente Nappi étaient-elles manifestement déraisonnables et incompatibles avec l’arrêt Baker c. Canada, et en particulier :
i. Mme Nappi a-t-elle minimisé l’intérêt des enfants et a-t-elle omis d’appliquer la norme libérale prescrite par la Cour suprême?
ii. Lui était-il loisible de douter que le mariage dont les enfants étaient issus ait été contracté de bonne foi?
iii. Lui était-il loisible de conclure qu’un associé commercial pouvait garantir la continuation de l’entreprise et celle du revenu familial du demandeur sans aucune preuve en ce sens ni aucun examen de cet aspect?
iv. Lui était-il loisible de s’en remettre au fait que, lorsqu’il a engendré les enfants, le demandeur était au courant des accusations qui pesaient contre lui?
2. La simple mention des enfants suffit-elle pour respecter les exigences de l’arrêt Baker c. Canada?
3. L’arrêt Baker c. Canada entraîne-t-il une présomption prima facie selon laquelle l’intérêt supérieur des enfants devrait prévaloir, sous la seule réserve des raisons contraires les plus graves?
4. L’unique facteur négatif, savoir l’accusation pendante en Louisiane, était-il un facteur pertinent et pouvait-il même être pris en compte par le décideur administratif?
5. Est-il possible de concilier l’arrêt Baker c. Canada avec une décision négative dans la présente affaire considérée globalement;
6. L’omission de considérer les troubles émotifs de deux des enfants s’accorde-t-elle avec le traitement sérieux et respectueux de l’intérêt des enfants selon ce que requiert l’arrêt Baker c. Canada?
[71] L’avocat du défendeur pour sa part affirme que les questions suivantes devraient être certifiées :
[traduction]
1. Lorsque la Cour procède au contrôle judiciaire d’une décision rendue en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration, devrait-elle non seulement vérifier si le décideur a considéré les effets d’un refus sur les enfants du demandeur, mais encore se demander si la décision contestée est correcte?
2. À la lumière de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, que faut-il entendre par une prise en considération adéquate de l’intérêt des enfants? Que signifie, dans les faits, être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt des enfants?
3. Le fait pour un demandeur invoquant le paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration de devoir répondre à un acte d’accusation portant sur des infractions graves commises dans un pays étranger est-il l’une des « autres considérations » ou « autres raisons » mentionnées au paragraphe 75 de l’arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817 et pouvant l’emporter sur l’intérêt supérieur des enfants?
4. Les agents d’immigration sont-ils fondés à refuser des demandes sous le régime du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration parce que le demandeur n’a pas les « mains propres »?
[72] Je suis disposé à certifier les questions suivantes :
1. Les conclusions de l’agente Nappi étaient-elles manifestement déraisonnables et incompatibles avec l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et en particulier :
i. Mme Nappi a-t-elle minimisé l’intérêt des enfants et a-t-elle omis d’appliquer la norme libérale prescrite par la Cour suprême?
ii. Lui était-il loisible de douter que le mariage dont les enfants étaient issus ait été contracté de bonne foi?
iii. Lui était-il loisible de conclure qu’un associé commercial pouvait garantir la continuation de l’entreprise et celle du revenu familial du demandeur sans aucune preuve en ce sens ni aucun examen de cet aspect?
iv. Lui était-il loisible de s’en remettre au fait que, lorsqu’il a engendré les enfants, le demandeur était au courant des accusations qui pesaient contre lui?
2. La simple mention des enfants suffit-elle pour respecter les exigences de l’arrêt Baker, supra?
3. L’arrêt Baker, supra entraîne-t-il une présomption prima facie selon laquelle l’intérêt supérieur des enfants devrait prévaloir, sous réserve seulement des raisons contraires les plus graves?
4. L’omission de considérer les troubles émotifs de deux des enfants s’accorde-t-elle avec le traitement sérieux et respectueux de l’intérêt des enfants selon ce que le requiert l’arrêt Baker, supra?
5. Lorsque la Cour procède au contrôle judiciaire d’une décision rendue en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration, devrait-elle non seulement vérifier si le décideur a considéré les effets d’un refus sur les enfants du demandeur, mais encore se demander si la décision contestée est correcte?
6. À la lumière de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Baker, supra, que faut-il entendre par une prise en considération adéquate de l’intérêt des enfants? Que signifie, dans les faits, être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt des enfants?
7. Le fait pour un demandeur invoquant le paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration de devoir répondre à un acte d’accusation portant sur des infractions graves commises dans un pays étranger est-il l’une des « autres considérations » ou « autres raisons » mentionnées au paragraphe 75 de l’arrêt Baker, supra et pouvant l’emporter sur l’intérêt supérieur des enfants?
[73] Certaines de ces questions ne satisfont peut-être pas au critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 N.R. 4, mais je suis néanmoins disposé à les certifier puisque, tout probablement, les questions 2 et 3 proposées par le demandeur satisfont au critère. Comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Baker, lorsqu’une question de portée générale a été certifiée, la Cour d’appel n’a pas l’obligation de s’en tenir à la question énoncée et elle peut examiner tous les points soulevés par l’appel.
[1] À cette liste, je dois ajouter une quatrième décision, Ramessar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] F.C.J. no 2052 (1re inst.) (QL).
[2] Comme exemple de la difficulté et de la complexité que comporte l’examen de l’intérêt supérieur des enfants, voir la décision du juge Blais dans l’affaire Ramessar, précitée.
[3] Dans l’arrêt Baker, le juge L’Heureux-Dubé réprimande l’agent d’immigration pour avoir conclu que Mme Baker constituerait une charge pour le système canadien de protection sociale pendant le reste de sa vie. Elle déclare que cette conclusion était contraire « à la lettre du psychiatre, qui disait qu’avec un traitement, l’état de Mme Baker pouvait continuer de s’améliorer et qu’elle pouvait redevenir un membre productif de la société ». Voilà qui est surprenant, quand on sait que le juge qui avait entendu l’affaire en première instance avait, après examen de la lettre du psychiatre et d’autres éléments de preuve portant sur la question, fait les observations suivantes aux paragraphes 21 et 22 de ses motifs. Voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 101 F.T.R. 110 (C.F. 1re inst.), à la p. 115 :
Compte tenu de cette preuve, j’estime qu’il est juste de conclure que, avec des médicaments, des rendez-vous médicaux réguliers et un certain traitement, la requérante sera probablement en mesure de vivre à l’extérieur du Centre et de s’occuper au moins de certains de ses enfants si elle demeure au Canada.
Ni la lettre du Dr Collins, ni celle de la S.A.E. n’aborde directement la question d’emploi. Lorsque le Dr Collins dit qu’elle sera peut-être un membre productif de la société, à mon avis, il ne veut pas dire par là qu’elle sera autonome ou indépendante du système d’aide sociale. Il n’a pas été discuté de ce que l’impact éventuel du stress lié à un milieu de travail pourrait être pour la requérante. Il n’y a pas eu non plus discussion de ce que pourraient être ses perspectives d’emploi.