[2001] 3 C.F. 85
IMM-6132-99
2001 CFPI 65
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (demandeur)
c.
Anita Bonsu Ekuban (également appelée Anita Nana Yaa Acheampong) (défenderesse)
Répertorié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Ekuban (1re inst.)
Section de première instance, juge O’Keefe—Toronto, 28 novembre 2000; Ottawa, 13 février 2001.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande du ministre pour que soit réexaminée et annulée sa décision selon laquelle la défenderesse était une réfugiée au sens de la Convention — Le ministre a soutenu que la défenderesse avait eu recours à des moyens frauduleux et à de fausses indications relativement à son identité — Il a soutenu qu’Acheampong et Ekuban étaient la même personne et qu’Ekuban était entrée au Canada en tant qu’étudiante étrangère en 1990 — Par conséquent, le FRP mentionnant des persécutions survenues au Ghana en 1991 ne pouvait pas indiquer la vérité — La section du statut a autorisé la présentation de preuves écrites et de dépositions au soutien de l’affirmation de la défenderesse selon laquelle elle-même et Ekuban étaient deux personnes différentes — L’art. 69.3 prévoit que, lors de la présentation d’une demande conformément à l’art. 69.2, la section du statut de réfugié donne au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations — Si le ministre essaie de prouver qu’Acheampong et Ekuban sont la même personne, la défenderesse a le droit de produire des preuves pour réfuter cette allégation — Des preuves peuvent être produites lorsqu’une décision est rendue selon l’art. 69.2(2), car autrement le défendeur ne pourrait pas réfuter les nouvelles allégations — Ce serait un déni de justice naturelle que de ne pas autoriser la défenderesse à produire des preuves, et ce serait contrevenir à l’art. 69.2(2).
Il s’agissait d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande du ministre pour que soit réexaminée et annulée sa décision selon laquelle la défenderesse était une réfugiée au sens de la Convention. Dans sa demande présentée conformément à l’article 69.2 de la Loi sur l’immigration, le ministre a soutenu que la défenderesse avait trompé la Commission par des moyens frauduleux, par de fausses indications, ainsi que par la suppression et la dissimulation de faits importants, puisque, dans son Formulaire de renseignements personnels, elle mentionnait qu’elle avait été arrêtée, puis maltraitée durant sa détention en juillet 1991 au Ghana. Le ministre a affirmé qu’Anita Nana Yaa Acheampong et Anita Bonsu Ekuban sont, de fait, une seule et même personne et que par conséquent Acheampong n’a pu être arrêtée, détenue et maltraitée au Ghana en juillet 1991, puisqu’Ekuban était entrée au Canada en tant qu’étudiante étrangère en mai 1990. Lors de l’audience devant la section du statut de réfugié, la défenderesse a présenté des preuves écrites et fait comparaître des témoins au soutien de son affirmation selon laquelle elle-même et Ekuban étaient deux personnes différentes. La section du statut de réfugié a conclu que la défenderesse avait le droit de présenter une preuve afin de réfuter l’allégation du ministre concernant la fraude ou la déclaration erronée sur son identité. Le demandeur a soutenu que la nouvelle formation de la section du statut a autorisé la production de preuves concernant l’identité de la défenderesse, des preuves qui allaient au cœur même de sa revendication du statut de réfugié, alors qu’elle n’avait jamais fait état de sa double identité lors de l’audience initiale.
Bien que plusieurs questions aient été soulevées, il s’agissait principalement de savoir si la section du statut avait commis une erreur de droit, contrevenu aux principes de justice fondamentale et outrepassé sa compétence en autorisant la production de nouvelles preuves non prises en compte par la formation initiale de la section du statut.
Jugement : la demande doit être rejetée.
Le paragraphe 69.3(1) prévoit entre autres que, lors de la présentation d’une demande conformément à l’article 69.2, la section du statut de réfugié tient une audience et, au cours de cette audience, « donne au ministre et [à l’intéressé] la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations ». La défenderesse a le droit d’appeler des témoins et de produire des preuves pour réfuter l’allégation du ministre selon laquelle elle et Ekuban sont la même personne. C’est ce que l’article 69.3 autorise à faire. Il est logique que des preuves puissent être produites lorsqu’une décision est rendue selon le paragraphe 69.2(2), car autrement l’intéressé ne pourrait pas réfuter les nouvelles allégations du ministre. Ce serait un déni de justice naturelle que de ne pas l’autoriser à produire des preuves, et ce serait contrevenir au paragraphe 69.2(2) de la Loi. La section du statut n’a pas commis d’erreur en autorisant l’appel des témoins et la présentation des preuves.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 69 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 59), 69.2 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 61), 69.3 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, s. 62), 82.1 (édicté, idem, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73).
Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration, DORS/93-22, art. 5 (mod. par DORS/98-235, art. 7), 10 (mod., idem).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE D’AVEC :
Bayat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 96 F.T.R. 76 (C.F. 1re inst.); inf. par [1999] 4 C.F. 343 (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 1; 246 N.R. 185 (C.A.); Guruge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 160 F.T.R. 297; 47 Imm. L.R. (2d) 213 (C.F. 1re inst.).
DEMANDE d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande du ministre pour que soit réexaminée et annulée sa décision selon laquelle la défenderesse était une réfugiée au sens de la Convention (H. X. V. (Re), [1999] D.S.S.R. no 301 (QL)). Demande rejetée.
ONT COMPARU :
Marshall E. Drukarsh pour la défenderesse.
Marcel R. Larouche pour le demandeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Green & Spiegel, Toronto, pour la défenderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par
[1] Le juge O’Keefe : Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 82.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), concernant la décision de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) en date du 10 novembre 1999 [[1999] D.S.S.R. no 301 (QL)]. Dans sa décision, la section du statut de réfugié rejetait la demande du ministre pour que soit réexaminée et annulée sa décision du 17 décembre 1992 selon laquelle la défenderesse est une réfugiée au sens de la Convention.
[2] Le demandeur sollicite une ordonnance de la nature d’un certiorari cassant la décision du tribunal, conformément à l’article 82.1 de la Loi et à l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, une ordonnance enjoignant à la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’instruire et de décider l’affaire de nouveau en respectant les directives que la Cour jugera à propos, enfin toute autre réparation que les avocats recommanderont et que la Cour jugera adéquate.
Contexte
[3] La défenderesse, Anita Nana Yaa Acheampong (elle dit qu’elle est erronément appelée Anita Bonsu Ekuban dans la demande) a été déclarée réfugiée au sens de la Convention le 17 décembre 1992. Le 3 février 1998, avec l’assentiment du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le ministre a demandé à la section du statut de réfugié de réexaminer et d’annuler sa conclusion selon laquelle la défenderesse est une réfugiée au sens de la Convention.
[4] Selon le ministre, la défenderesse a trompé la Commission par des moyens frauduleux, par de fausses indications, ainsi que par la suppression et la dissimulation de faits importants, comme il suit :
[traduction] […] que, dans son FRP en date du 10 septembre 1991, elle mentionnait qu’elle avait été arrêtée, puis maltraitée durant sa détention. Comme il est indiqué dans les motifs de la SSR, l’arrestation et la détention ont eu lieu en juillet 1991. Ce fait, ainsi que d’autres détails concernant ces mauvais traitements, figurent dans la pièce A. Eu égard à la preuve figurant dans la pièce C, les détails de sa prétendue persécution au Ghana en juillet 1991 sont considérés comme faux. [Pièce B]
Le ministre a affirmé qu’Anita Nana Yaa Acheampong et Anita Bonsu Ekuban sont une seule et même personne et que par conséquent Acheampong n’a pu être arrêtée, détenue et maltraitée au Ghana en juillet 1991, puisqu’Ekuban est entrée au Canada en tant qu’étudiante étrangère en mai 1990.
[5] La demande d’annulation a été entendue par une formation de trois membres de la section du statut de réfugié le 8 novembre 1999. Lors de l’audience, la défenderesse a présenté des preuves écrites et fait comparaître des témoins au soutien de son affirmation selon laquelle elle-même et Ekuban étaient deux personnes différentes. La section du statut de réfugié a rejeté la demande du ministre le 16 novembre 1999. Les motifs écrits de la décision ont été donnés le 17 février 2000 (selon la page couverture des motifs cependant, la décision aurait été rendue le 10 novembre 1999). Les parties pertinentes des motifs aux fins de la présente demande sont les suivantes [aux paragraphes 9, 16 et 22] :
Le tribunal n’est pas d’accord. Le conseil du ministre a raison quand il dit que généralement de nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles lorsqu’il s’agit d’une demande d’annulation. Le but de cette audience n’est certainement pas de procéder à une nouvelle audience relativement à la revendication initiale du statut de réfugié présentée par l’intimée. Cependant, c’est l’identité de l’intimée qui est remise en question à cette audience et l’intimée a le droit de présenter une preuve écrite ou orale afin de réfuter l’allégation du requérant concernant la fraude ou la déclaration erronée sur son identité. De plus, le tribunal remarque qu’il est indiqué sur le FRP de l’intimée qu’elle a fréquenté l’université au Ghana. Comme l’a fait remarquer le conseil du ministre, pour le tribunal, il n’est pas évident que l’intimée ait essayé de « dissimuler » de l’information au tribunal lors de la première audience. Enfin, le FRP aurait apparemment été rempli en septembre 1991 sans que l’intimée n’ait pu bénéficier des services d’un conseil.
[…]
Le conseil de l’intimée a allégué que, si le tribunal n’a pas la compétence pour entendre la preuve relativement à l’identité, l’audience constitue une « démarche inutile » et n’a pas de raison d’être. Le tribunal est d’accord sur ce point. Comme il a été mentionné plus haut, le tribunal est d’opinion que l’intimée a le droit de présenter une preuve pour réfuter l’allégation du requérant qui prétend que l’intimée a eu recours à la fraude ou qu’elle a fait une déclaration erronée en ce qui concerne son identité.
[…]
Le tribunal est du même avis que le conseil de l’intimée, c’est-à-dire que la présente affaire est fondée principalement sur des hypothèses. Après avoir analysé la preuve soumise au tribunal, y compris les différentes déclarations sous serment ainsi que le témoignage sous serment des deux témoins et de l’intimée, le tribunal en vient à la conclusion que le requérant n’a pas démontré que l’intimée est la même personne que Anita Ekuban. Le requérant n’a pas réussi à prouver, comme il devait de le faire, que la reconnaissance du statut de réfugiée accordée à l’intimée a été obtenue à la suite du recours à des moyens frauduleux, de la présentation d’une déclaration erronée ou de la suppression ou de la dissimulation d’un fait, par cette personne ou toute autre personne.
Conclusions du demandeur
[6] Le demandeur décrit ainsi les points en litige :
1. La formation de la section du statut de réfugié qui a entendu la demande d’annulation (la nouvelle formation de la SSR) a commis une erreur de droit, contrevenu aux principes de la justice fondamentale et outrepassé sa compétence en autorisant la production de nouveaux éléments de preuve non pris en compte par la formation initiale de la SSR.
2. La nouvelle formation de la SSR a commis une erreur de droit en autorisant la production de témoins sans que l’agent d’audience du ministre en soit informé au préalable.
[7] Le demandeur avance que la Cour d’appel fédérale a reconnu, dans l’arrêt Bayat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 343 (dissidence du juge Robertson), que le pouvoir de la Commission de revoir une décision attribuant à une personne le statut de réfugié au sens de la Convention englobe le pouvoir d’infirmer une telle décision.
[8] Le demandeur soutient aussi que la Cour a toujours jugé qu’une audience portant sur le réexamen et l’annulation d’une décision qui confère à une personne le statut de réfugié au sens de la Convention n’est pas une nouvelle audience portant sur la revendication du statut de réfugié faite par cette personne et qu’elle se limite à l’examen des preuves dont disposait déjà la formation initiale. La décision du juge Richard (maintenant juge en chef) dans l’affaire Bayat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 96 F.T.R. 76 (C.F. 1re inst.); infirmée par [1999] 4 C.F. 343 (C.A.) (avec dissidence du juge Robertson), est invoquée au soutien de la position du demandeur selon laquelle les éléments suffisants restants dont parle le paragraphe 69.3(5) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi sont des éléments dont disposait la formation initiale. Selon le demandeur, ce n’est pas là l’aspect sur lequel le jugement du juge Richard a été infirmé.
[9] Par ailleurs, le demandeur invoque le jugement du juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d’appel) dans l’affaire Guruge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 160 F.T.R. 297 (C.F. 1re inst.) au soutien de la conclusion tirée dans l’arrêt Bayat, précité, selon laquelle le paragraphe 69.3(5) de la Loi n’autorise pas la production de nouvelles preuves à l’appui d’une revendication du statut de réfugié.
[10] Le demandeur affirme que les documents produits lors de l’audience initiale renfermaient peu d’éléments de preuve concernant l’identité de la défenderesse et que la formation initiale de la SSR avait été satisfaite de l’identité de la défenderesse. Il n’y avait à l’époque aucune raison particulière de douter que la défenderesse fût celle qu’elle disait être.
[11] La nouvelle formation de la SSR a autorisé la production d’éléments de preuve dont ne disposait pas la formation initiale, et elle a jugé que la défenderesse aurait pu être déclarée réfugiée au sens de la Convention. Elle a autorisé des témoins à déposer, sans qu’un avis suffisant ne soit signifié au représentant du ministre. Et ce qui préoccupe encore davantage le demandeur, c’est que la nouvelle formation de la SSR a autorisé la production de preuves concernant l’identité de la défenderesse, des preuves qui allaient au cœur même de sa revendication du statut de réfugié, alors qu’elle n’avait jamais fait état de sa double identité lors de l’audience initiale. Le résultat, de l’avis du demandeur, c’est que le ministre a été empêché, à l’audience initiale, de vérifier le lien possible entre l’identité Ekuban et l’identité Acheampong, puisque les agents de l’immigration n’avaient alors aucune raison d’enquêter.
[12] Le demandeur affirme que, si Mme Ekuban était au Canada depuis mai 1990, et si Ekuban et Acheampong sont la même personne, alors les difficultés qu’Acheampong affirme avoir connues au Ghana après mai 1990 ne sauraient être vraies. En reconnaissant s’être servie de l’identité Ekuban, la défenderesse a prouvé qu’elle n’était pas au Ghana durant les périodes se rapportant à sa revendication du statut de réfugié. Par conséquent, selon le demandeur, on peut alors douter qu’elle soit véritablement une réfugiée au sens de la Convention. Il était complètement impossible à la formation initiale de la SSR de le savoir étant donné que la défenderesse a délibérément caché des renseignements. Selon le demandeur, la décision de la nouvelle formation de la SSR encourage tout simplement les revendicateurs du statut à dissimuler des renseignements, dans le dessein de masquer des identités multiples, voire des activités criminelles ou terroristes, par l’utilisation d’un pseudonyme.
Conclusions de la défenderesse
[13] La défenderesse fait valoir les points suivants :
A. La demande est-elle nulle faute de préciser la décision à contrôler?
La défenderesse fait valoir que le ministre [traduction] « voudrait que la Cour l’autorise à introduire une demande de contrôle judiciaire de la décision de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ». Comme l’audience de la défenderesse s’est déroulée devant la SSR, le demandeur sollicite donc le contrôle judiciaire d’une décision qui n’a pas été rendue.
B. La demande est-elle nulle parce que la réparation demandée n’existe pas en droit?
La défenderesse affirme que le demandeur voudrait [traduction] « une ordonnance enjoignant à la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’instruire et de décider l’affaire de nouveau en respectant les directives que la Cour jugera à propos ». Le seul tribunal investi du pouvoir d’entendre une demande d’annulation est la section du statut de réfugié, et la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’a pas compétence pour entendre une demande d’annulation. Le demandeur sollicite donc une réparation qui n’existe pas en droit.
C. La demande devrait-elle être rejetée pour inobservation des exigences prévues par les alinéas 5(1)c) et e) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration [DORS/93-22] (les Règles)?
La défenderesse affirme que le demandeur ne s’est pas conformé à l’alinéa 5(1)c) parce qu’il n’a pas indiqué le nom du tribunal et le nom de chaque membre qui siégeait au tribunal étant donné que la nouvelle formation de la SSR chargée d’entendre la demande d’annulation comprenait plus d’une personne. La défenderesse affirme aussi qu’en n’indiquant pas la réparation précise recherchée (en demandant une réparation qui n’existe pas), le demandeur ne s’est pas conformé à l’alinéa 5(1)e).
D. La demande devrait-elle être rejetée pour inobservation des exigences prévues par l’article 10 [mod. par DORS/98-235, art. 7] des Règles?
La défenderesse avance que le demandeur ne s’est pas conformé à l’ordonnance du juge Campbell qui lui enjoignait de déposer un avis de demande et un dossier de demande dans un délai de 14 jours. La défenderesse affirme aussi que le demandeur a contrevenu à l’article 10 des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration, puisqu’aucun dossier n’a été produit.
[14] La défenderesse soutient que l’audition de la demande d’annulation avait pour fondement une allégation de fausse indication. Le demandeur a produit ses preuves nouvelles, au soutien de sa demande d’annulation, sous la forme de son dossier de demande, dossier dont ne disposait pas la formation initiale. Selon la défenderesse, c’est aux fins de cette décision que le paragraphe 69.3(1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi prévoit que la section du statut de réfugié donne au ministre « et à l’intéressé » la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations.
[15] Selon la défenderesse, le représentant du ministre a reconnu, durant l’audition de la demande d’annulation, que la formation, que cette formation pouvait se servir de la pièce C-1 pour dire s’il y avait eu fausse indication, mais non pour décider au fond selon l’article 69.3 [édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 62] de la Loi.
[16] La défenderesse affirme qu’elle n’a pas cherché à produire des preuves nouvelles de manière à pouvoir être déclarée réfugiée au sens de la Convention. Elle soutient que les preuves produites durant l’audition de la demande d’annulation constituaient une réponse directe aux preuves produites par le ministre. Ces preuves n’ont pas servi à donner de nouvelles bases à sa revendication du statut de réfugié, mais plutôt à réfuter les preuves se rapportant à son identité.
[17] La défenderesse soutient que les précédents Bayat et Guruge, précités, autorisent la proposition selon laquelle, lorsqu’il a été établi qu’il y a eu fausse indication, la production de nouvelles preuves en vue de donner de nouvelles bases à la revendication du statut de réfugié ne devrait pas être autorisée.
[18] Selon la défenderesse, l’article 69 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 59] de la Loi et les précédents Bayat et Guruge, précités, ne prononcent pas ni ne sauraient prononcer le moindre interdit contre la production de preuves par la défenderesse durant l’audition de la demande d’annulation. Une bonne interprétation de la Loi et de ces précédents permet de considérer comme recevables les preuves nouvelles servant à réfuter l’affirmation selon laquelle un revendicateur a donné de fausses indications sur son identité à l’audience initiale. Selon la défenderesse, ce n’est qu’à cette fin que la SSR a autorisé la production de preuves nouvelles non prises en compte par la formation initiale de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.
Points en litige
[19] Les points en litige sont les suivants :
1. Quelle norme de contrôle devrait être appliquée?
2. La demande est-elle nulle faute de préciser la décision à contrôler?
3. La demande est-elle nulle parce que la réparation demandée n’existe pas en droit?
4. La demande devrait-elle être rejetée pour inobservation des exigences prévues par les alinéas 5(1)c) et e) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration?
5. La demande devrait-elle être rejetée pour inobservation des exigences prévues par l’article 10 des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration?
6. La nouvelle formation de la SSR a commis une erreur de droit en autorisant la production de témoins sans que l’agent d’audience du ministre en soit informé au préalable.
7. La nouvelle formation de la SSR a commis une erreur de droit, contrevenu aux principes de justice fondamentale et outrepassé sa compétence en autorisant la production de nouvelles preuves non prises en compte par la formation initiale de la SSR.
Dispositions légales applicables
[20] Les articles pertinents de la Loi sur l’immigration sont les suivants [article 69.2 édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18)] :
69.2 (1) Le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de déterminer s’il y a ou non perte du statut de réfugié au sens de la Convention par une personne qui s’est vu reconnaître ce statut aux termes de la présente loi ou de ses règlements.
(2) Avec l’autorisation du président, le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de réexaminer la question de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention accordée en application de la présente loi ou de ses règlements et d’annuler cette reconnaissance, au motif qu’elle a été obtenue par des moyens frauduleux, par une fausse indication sur un fait important ou par la suppression ou la dissimulation d’un fait important, même si ces agissements sont le fait d’un tiers.
(3) L’autorisation requise dans le cadre du paragraphe (2) se demande par écrit et ex parte; le président peut l’accorder s’il est convaincu qu’il existe des éléments de preuve qui, portés à la connaissance de la section du statut, auraient pu modifier la décision.
(4) Les avis mentionnés dans le présent article sont déposés auprès de la section du statut selon les modalités fixées par les règles de la Commission.
(5) Le ministre envoie sans délai un double de l’avis déposé aux termes du paragraphe (4) à l’intéressé.
69.3 (1) Dans les cas visés à l’article 69.2, la section du statut procède à l’examen de la demande par une audience dont elle communique au ministre et à l’intéressé les date, heure et lieu et au cours de laquelle elle leur donne la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre- interroger des témoins et de présenter des observations.
(2) Faute pour l’avocat ou le mandataire du ministre de comparaître aux date, heure et lieu fixés pour l’audience, ou si elle estime qu’il y a défaut par ailleurs de sa part dans la poursuite de l’affaire, la section du statut peut, après avoir donné au ministre la possibilité de se faire entendre, conclure au désistement.
(3) Le quorum de la section du statut lors d’une audience tenue dans le cadre du présent article est constitué de trois membres.
(4) La section du statut accepte ou rejette la demande le plus tôt possible après l’audience et notifie sa décision, par écrit, au ministre et à l’intéressé.
(5) La section du statut peut rejeter toute demande bien fondée au regard de l’un des motifs visés au paragraphe 69.2(2) si elle estime par ailleurs qu’il reste suffisamment d’éléments justifiant la reconnaissance du statut.
(6) En cas de partage, la décision de la majorité des membres qui entendent la demande vaut décision de la section du statut.
(7) La section du statut n’est tenue de motiver par écrit sa décision que dans les cas suivants :
a) la décision est défavorable à l’intéressé, auquel cas la transmission des motifs se fait avec sa notification;
b) le ministre ou l’intéressé le demande dans les dix jours suivant la notification, auquel cas la transmission des motifs se fait sans délai.
[21] Les articles pertinents des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration sont les suivants :
5. (1) La demande se fait selon la formule IR-1 figurant à l’annexe et indique ce qui suit :
a) les nom et prénoms des parties;
b) la date et les détails de la décision, de l’ordonnance, de la mesure ou de la question à laquelle se rapporte le redressement recherché;
c) l’appellation du tribunal administratif et, si celui-ci était composé de plusieurs personnes, le nom de chacune d’elles;
d) le numéro du dossier du tribunal administratif, le cas échéant;
e) le redressement expressément recherché par la demande de contrôle judiciaire;
f) les motifs qui justifient le redressement recherché, y compris la mention de tout texte de loi ou règle invoqué à l’appui;
g) le lieu et la langue proposés pour l’audition de la demande de contrôle judiciaire;
h) le fait que le demandeur a reçu ou non les motifs écrits du tribunal administratif;
i) la signature, le nom, l’adresse et le numéro de téléphone de l’avocat qui dépose la demande ou, dans le cas où le demandeur agit pour son propre compte, sa signature, son nom, son adresse aux fins de signification au Canada et son numéro de téléphone.
(2) Sauf dans le cas où il est lui-même le demandeur, le ministre est le défendeur dans toute demande.
[…]
10. (1) Le demandeur met sa demande d’autorisation en état en se conformant au paragraphe (2) :
a) s’il indique dans sa demande qu’il a reçu les motifs écrits du tribunal administratif, dans les 30 jours suivant le dépôt de sa demande;
b) s’il indique dans sa demande qu’il n’a pas reçu les motifs écrits du tribunal administratif, dans les 30 jours suivant la réception soit de ces motifs, soit de l’avis envoyé par le tribunal administratif en application de l’alinéa 9(2)b).
(2) Le demandeur signifie à chacun des défendeurs qui a déposé et signifié un avis de comparution un dossier composé des pièces suivantes, disposées dans l’ordre suivant sur des pages numérotées consécutivement :
a) la demande d’autorisation,
b) la décision, l’ordonnance ou la mesure, s’il y a lieu, visée par la demande,
c) les motifs écrits donnés par le tribunal administratif ou l’avis prévu à l’alinéa 9(2)(b), selon le cas,
d) un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués à l’appui de sa demande,
e) un mémoire énonçant succinctement les faits et les règles de droit invoqués par le demandeur à l’appui du redressement envisagé au cas où l’autorisation serait accordée,
et le dépose avec la preuve de la signification.
[22] Point no 1
Quelle norme de contrôle devrait être appliquée?
Je suis d’avis que les décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (section du statut de réfugié) devraient être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable simpliciter déraisonnable, sauf lorsqu’il s’agit de résoudre des questions de droit, auquel cas la norme est celle de la décision correcte.
[23] Point no 2
La demande est-elle nulle faute de préciser la décision à contrôler?
La demande indique que la décision à contrôler est la décision rendue le 16 novembre 1999 par la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, alors qu’en réalité il aurait dû s’agir de la décision rendue le 16 novembre 1999 par la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Puisque la décision est désignée par la date à laquelle elle a été rendue, je ne suis pas disposé à dire que la demande est nulle.
[24] Point no 3
La demande est-elle nulle parce que la réparation demandée n’existe pas en droit?
La demande n’est pas nulle parce que l’un des chefs de la réparation demandée ne peut être accordé. La Cour pourrait simplement refuser d’accorder cette réparation ou pourrait autoriser le demandeur à rectifier l’appellation du tribunal.
[25] Point no 4
La demande devrait-elle être rejetée pour inobservation des exigences prévues par les alinéas 5(1)c) et e) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration?
Le demandeur ne s’est pas conformé aux alinéas 5(1)c) et e), mais cela ne porte pas atteinte à la demande. L’appellation du tribunal et les noms de ses membres apparaîtraient sur la décision une fois celle-ci contrôlée.
[26] Point no 5
La demande devrait-elle être rejetée pour inobservation des exigences prévues par la règle 10 des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration?
Une lecture attentive du dossier indique la présence d’affidavits de signification qui montrent que la règle 10 a été observée.
[27] Point no 6
La nouvelle formation de la SSR a commis une erreur de droit en autorisant la production de témoins sans que l’agent d’audience du ministre en soit informé au préalable.
Je suis d’avis que la nouvelle formation de la SSR n’a pas commis d’erreur de droit en autorisant la production de témoins sans que l’agent d’audience du ministre en soit informé au préalable. Si le demandeur a été pris au dépourvu, alors il pouvait demander un ajournement.
[28] Point no 7
La nouvelle formation de la SSR a commis une erreur de droit, contrevenu aux principes de justice fondamentale et outrepassé sa compétence en autorisant la production de nouvelles preuves non prises en compte par la formation initiale de la SSR.
Le ministre a présenté sa demande de réexamen et d’annulation du statut de réfugié de la défenderesse conformément à l’article 69.2 de la Loi. La demande entraîne l’application du paragraphe 69.3(1) de la Loi, disposition qui prévoit entre autres que la section du statut de réfugié tient une audience et, au cours de cette audience, « donne [au ministre et à l’intéressé] la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations ».
[29] En l’espèce, le ministre a affirmé devant la nouvelle formation de la SSR qu’Anita Nana Yaa Acheampong et Anita Bonsu Ekuban étaient une seule et même personne. Si cette affirmation était reconnue comme véridique par la Commission, la défenderesse Acheampong perdrait probablement son statut de réfugié puisque la partie narrative de son FRP cesserait alors d’être vraie.
[30] À l’évidence, si le ministre tente de prouver qu’Acheampong et Ekuban sont la même personne, alors la défenderesse Acheampong a le droit d’appeler des témoins et de produire des preuves pour réfuter cette allégation. C’est exactement ce que l’article 69.3 l’autorise à faire. Je serais donc d’avis que la nouvelle formation de la SSR a eu raison de permettre que les témoins soient appelés et que les preuves soient produites.
[31] Le demandeur m’a pressé de considérer le précédent Bayat, précité, infirmé par la Cour d’appel fédérale [1999] 4 C.F. 343, et le précédent Guruge, précité. Dans l’affaire Bayat (1re inst.), au paragraphe 2], les intéressés ont admis les déclarations du ministre selon lesquelles ils étaient « entrés au Canada sous de fausses identités » et ont reconnu « que leur véritable identité et leurs dates de naissance sont différentes de celles qu’ils ont fournies à l’agent des visas » et, dans l’affaire Guruge [au paragraphe 1], la défenderesse a admis qu’elle « avait mal représenté son identité et le lieu où elle vivait ». Dans ces deux affaires, le ministre n’était pas tenu de prouver les fausses indications et la question qui se posait à la Cour fédérale était de savoir si des preuves nouvelles pouvaient être produites dans une décision selon le paragraphe 69.3(5) de la Loi. La Cour a jugé que des preuves nouvelles ne pouvaient être produites dans une décision selon le paragraphe 69.3(5) de la Loi. Elle n’avait pas affaire à une décision selon le paragraphe 69.2(2) de la Loi, où, à mon avis, des preuves peuvent être produites. Il n’est que logique que des preuves puissent être produites lorsqu’une décision est rendue selon le paragraphe 69.2(2) car comment l’intéressé pourrait-il autrement réfuter ces nouvelles allégations? Ce serait un déni de justice naturelle que de ne pas l’autoriser à produire des preuves, et ce serait contrevenir au paragraphe 69.2(2) de la Loi.
[32] Je suis d’avis que la décision de la nouvelle formation de la SSR était une décision correcte et raisonnée.
[33] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. À mon avis, les circonstances de l’affaire ne justifient pas l’adjudication de dépens à la défenderesse.
ORDONNANCE
[34] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[35] Il ne sera pas adjugé de dépens à la défenderesse.