A-725-98
2001 CAF 186
Walter Paris (appelant)
c.
Le procureur général du Canada (intimé)
Répertorié : Paris c. Canada (Procureur général) (C.A.)
Cour d’appel, juges Décary, Létourneau et Noël, J.C.A.—Montréal, 17 mai; Ottawa, 5 juin 2001.
Libération conditionnelle — Calcul de la peine — Déchéance de libération conditionnelle et peines consécutives — Interprétation des art. 17(1) (qui prévoit la déchéance d’une libération conditionnelle lorsque le détenu à liberté conditionnelle commet un acte criminel pendant sa période de libération conditionnelle) et 21(1) (qui prévoit qu’une nouvelle peine imposée pour une infraction commise en période de libération conditionnelle est ajoutée à la période non expirée de l’emprisonnement en cours, plus toute réduction de peine inscrite au crédit du détenu) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus — Aucune erreur dans la conclusion que la nouvelle peine doit être servie consécutivement à la peine en cours — La peine de 1975 a été purgée, elle a cessé de produire ses effets et la détention actuelle de l’appelant résulte de ses condamnations subséquentes — L’art. 7 de la Charte ne s’applique pas en l’espèce et, de toute façon, même si l’art. 21(1) violait le droit à la liberté de l’appelant, les principes de la justice fondamentale ne seraient pas violés par le fait d’être informé à l’avance des conséquences de la perpétration d’un crime durant la période de libération conditionnelle ou par le fait de l’imposition de peines plus sévères pour récidive et pour avoir trahi la confiance de la société.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Déchéance de libération conditionnelle et peines consécutives — Calcul de la peine — Aucune violation des principes de la justice fondamentale résultant de l’application de l’art. 21(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus (abrogé en 1977, avant l’entrée en vigueur de la Charte) puisque cet article a cessé de produire ses effets — Appliquer la Charte alors que l’art. 21(1) n’a pas d’application contemporaine constituerait une application rétroactive inacceptable de la Charte — Même si le droit à la liberté de l’appelant était engagé par l’art. 21(1) de la Charte, l’atteinte qui en résulterait ne violerait pas les principes de la justice fondamentale.
L’appelant, détenu au Centre fédéral de formation situé à St-Vincent-de-Paul, à Laval, Québec, a passé plus de trente ans en prison. Il a plusieurs fois bénéficié d’une libération conditionnelle, qui a plusieurs fois été révoquée. En janvier 1975, l’appelant a été condamné pour des crimes sérieux commis alors qu’il était en libération conditionnelle, amenant la déchéance de cette libération conditionnelle conformément à l’article 17 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus alors en vigueur. En vertu du paragraphe 21(1) de la Loi, les 1393 jours passés en libération ainsi que les trois années d’emprisonnement reçues en janvier 1975 ont été ajoutés à la partie de sa peine d’emprisonnement qui n’était pas encore expirée. L’appelant a par la suite été condamné à plusieurs peines d’emprisonnement.
L’appelant a soutenu en vain devant le juge de première instance que la peine de trois années d’emprisonnement qui lui a été imposée en 1975 pour des infractions commises alors qu’il était en libération conditionnelle devait être purgée concurremment et non consécutivement à la peine antérieure qu’il purgeait. Ainsi il prétend qu’il aurait dû être libéré en mai 2001 plutôt que, selon le calcul effectué par le Service correctionnel, en mai 2004. L’appelant a soumis que le juge s’était mépris quant à l’application des paragraphes 17(1) et 21(1) de la Loi et a soutenu que le paragraphe 21(1) autorisait une détention illégale parce que contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
Le juge de première instance a correctement interprété les paragraphes 17(1) et 21(1) et leur relation avec le paragraphe 649(1) du Code criminel. Ce dernier prévoit qu’une peine commence au moment où elle est imposée, sauf lorsqu’un texte législatif pertinent y pourvoit de façon différente. Or, le paragraphe 21(1) de la Loi en vigueur en 1975 dérogeait clairement et faisait exception au paragraphe 649(1) du Code criminel, prévoyant que la nouvelle peine imposée pour une infraction commise en période de libération conditionnelle s’ajoutait à la période non expirée de l’emprisonnement en cours au moment de l’octroi de la libération, y compris toute réduction de peine inscrite au crédit du détenu. Le paragraphe 21(1) était clair et limpide. Le juge de première instance n’a pas eu tort de conclure que les mandats de dépôt n’exigeaient pas que la peine de trois ans soit concurrente à celle en cours et que le sort de cette peine était régi par les dispositions du paragraphe 21(1).
L’appelant invoque l’article 14 de la Loi en vigueur à l’époque à l’appui de son argument fondé sur la Charte. Cet article crée, par voie de présomption, une fiction légale portant que l’ensemble des peines imposées à un individu constitue une seule période d’emprisonnement ou une seule peine dont le début et la fin sont précisés. C’est sur cette base que l’appelant prétend, à toues fins utiles, que les trois prochaines et dernières années qu’il lui reste à servir de sa période d’emprisonnement sont celles qui lui ont été imposées consécutivement en 1975 par l’effet du paragraphe 21(1) de la Loi. Or il n’y a rien dans cet article qui indique ou puisse indiquer que la peine imposée à l’appelant en janvier 1975 n’a pas encore été purgée. L’article 14 n’affecte pas l’ordre dans lequel les peines doivent être purgées, et maintient le principe que toutes ces peines doivent être purgées l’une après l’autre. La peine de trois années d’emprisonnement imposée à l’appelant en 1975 a été purgée, elle a cessé de produire ses effets et la détention actuelle de l’appelant est la résultante de ses condamnations subséquentes.
Quant aux injustices, à la sévérité excessive et à la violation des principes de justice fondamentale résultant de l’application du paragraphe 21(1), ce paragraphe a cessé à ce jour de produire ses conséquences et la détention actuelle de l’appelant résulte de ses multiples condamnations postérieures à l’abrogation du paragraphe (en 1977, avant l’entrée en vigueur de la Charte) et pour lesquelles les tribunaux ont imposé des peines consécutives. Appliquer la Charte alors que le paragraphe 21(1) n’a pas d’application contemporaine constituerait une application rétroactive qui n’est pas permise légalement.
Même en admettant que le droit à la liberté de l’appelant soit encore engagé par le défunt paragraphe 21(1), l’atteinte qui en résulte ne viole pas les principes de justice fondamentale. Premièrement, ce n’est pas violer les règles de la justice fondamentale que d’informer à l’avance un détenu qui désire être mis en liberté conditionnelle des conséquences qu’il encourra si sa libération est frappée de déchéance par suite de la commission d’un crime durant la période de libération. Deuxièmement, les principes de justice fondamentale ne s’opposent pas nécessairement à ce qu’une peine plus sévère soit imposée pour récidive et pour avoir trahi la confiance des institutions carcérales et de la société.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 9, 12, 24(1).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 721(1).
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 649(1).
Code de la sécurité routière, L.R.Q., ch. C-24.2.
Loi de 1977 modifiant le droit pénal, S.C. 1976-77, ch. 53, art. 32.
Loi modifiant la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970 (1er Supp.), ch. 31, art. 1.
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.C. 1958, ch. 38, art. 20(1).
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, ch. P-2, art. 14, 17(1), 21(1).
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 139.
JURISPRUDENCE
décisions appliquées :
Kula c. Picard , [1983] 1 C.F. 951re inst.); Re Kerswill (1975), 28 C.C.C. (2d) 362 (H.C. Ont.); Re Guenette (1975), 27 C.C.C. (2d) 279 (C.S.C.-B.); Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358; (1997), 143 D.L.R. (4th) 577; 42 C.R.R. (2d) 1; 37 Imm. L.R. (2d) 195; 208 N.R. 81.
distinction faite d’avec :
Marcotte c. Sous-procureur général du Canada et autre, [1976] 1 R.C.S. 108; (1974), 51 D.L.R. (3d) 259; 19 C.C.C. (2d) 257; 3 N.R. 613.
DOCTRINE
Cole, David P. and Allan Manson. Release from Imprisonment : The Law of Sentencing, Parole and Judicial Review, Toronto : Carswell, 1990.
APPEL de la décision de la Section de première instance (Paris c. Canada (Procureur général) (1998), 165 F.T.R. 237 (C.F. 1re inst.)) rejetant les prétentions de l’appelant quant au calcul de sa sentence effectué par le Service correctionnel du Canada. Appel rejeté.
ONT COMPARU :
Pascal Lescarbeau pour l’appelant.
Éric Lafrenière pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pascal Lescarbeau, Montréal, pour l’appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
[1] Le juge Létourneau, J.C.A. : Il s’agit d’un appel à l’encontre d’une décision de la Section de première instance par laquelle le juge Nadon a rejeté les prétentions de l’appelant, détenu au Centre fédéral de formation situé à St-Vincent-de-Paul, Laval, Québec, quant au calcul de sa sentence effectué par le Service correctionnel du Canada (Service correctionnel). La décision du juge Nadon est rapportée à Paris c. Canada (Procureur général) (1998), 165 F.T.R. 237 (C.F. 1re inst.). L’appelant a soutenu en vain devant le juge de première instance que la sentence de trois années d’emprisonnement qui lui fut imposée en janvier 1975, pour des infractions commises alors qu’il était en libération conditionnelle, devait être purgée concurremment et non consécutivement à la peine antérieure qu’il purgeait. Selon la prétention de l’appelant en première instance, il devrait être libéré d’office le 19 juillet 2001. Selon le calcul effectué par le Service correctionnel, la sentence de l’appelant expirerait le 6 mai 2004. Dans son mémoire en appel, l’appelant a révisé ses calculs pour conclure qu’il aurait dû être libéré le 6 mai dernier.
[2] Comme motifs d’appel, l’appelant soumet, dans un premier temps, que le juge de première instance s’est mépris quant à l’application des paragraphes 17(1) et, plus particulièrement, 21(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, ch. P-2 (Loi) et quant à l’interprétation à donner aux mandats de dépôt émis le 9 janvier 1975. Ces paragraphes en vigueur en janvier 1975 stipulaient ce qui suit :
17. (1) Lorsqu’un individu qui est ou qui a été à un moment un détenu à liberté conditionnelle est déclaré coupable d’un acte criminel punissable d’un emprisonnement d’au moins deux ans, commis après que la libération conditionnelle lui a été accordée et avant qu’il ait été relevé des obligations de cette libération conditionnelle ou avant l’expiration de sa sentence, sa libération conditionnelle est, de ce fait, frappée de déchéance et cette déchéance est censée dater du jour où l’infraction a été commise.
[…]
21. (1) Lorsqu’une libération conditionnelle est frappée de déchéance par une déclaration de culpabilité d’un acte criminel, le détenu à liberté conditionnelle doit purger un emprisonnement, commençant lorsque la sentence pour l’acte criminel lui est imposée, d’une durée égale au total
a) de la partie de l’emprisonnement auquel il a été condamné qui n’était pas encore expirée au moment de l’octroi de cette libération, y compris toute période de réduction de peine inscrite à son crédit, notamment la réduction de peine méritée, et
b) de l’emprisonnement, le cas échéant auquel il est condamné sur déclaration de culpabilité de l’acte criminel,
moins
c) le temps qu’il a passé sous garde après déclaration de culpabilité de l’acte criminel avant que la sentence ne lui ait été imposée.
[3] Dans un deuxième temps, il soutient que le paragraphe 21(1) de cette Loi autorise une détention illégale parce que contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte). Il a, toutefois, renoncé à l’audition à invoquer les articles 9 et 12 comme il l’avait fait dans son mémoire des faits et du droit. Je m’empresse de préciser qu’il ne cherche pas à obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité de cet article 21 puisque celui-ci a depuis été abrogé. Mais comme il en subit encore les effets, dit-il, il plaide que ses droits constitutionnels garantis par la Charte, particulièrement son droit à la liberté, sont engagés et compromis par la décision du Service correctionnel de prolonger sa détention au-delà du 19 juillet 2001. D’où sa demande d’un remède fondé sur le paragraphe 24(1) de la Charte consistant en une ordonnance enjoignant au Service correctionnel de modifier la date de la fin de son mandat d’emprisonnement pour qu’il soit déclaré que cet emprisonnement a cessé d’être autorisé à compter du 6 mai 2001.
Les faits
[4] L’appelant s’est vu imposer, pour un homicide involontaire coupable, une peine d’emprisonnement de 25 ans le 6 mars 1959, celle-ci devant alors expirer le 5 mars 1984. Il a, par la suite, bénéficié d’une amnistie de 750 jours ramenant la date d’expiration de sa sentence au 14 février 1982. En juin 1965, il fut mis en libération conditionnelle. Celle-ci fut révoquée le 21 décembre 1966. Cette révocation a eu pour effet de reporter la fin de sa sentence au 15 avril 1983 puisque, à l’époque [S.C. 1958, ch. 38], selon le paragraphe 20(1) de la Loi, le temps passé en liberté n’était pas déduit de la durée de la peine d’emprisonnement si la libération conditionnelle était révoquée. Autrement dit, un détenu dans de telles circonstances était réputé ne pas avoir purgé sa peine de détention pendant sa période de libération conditionnelle subséquemment révoquée.
[5] L’appelant fut à nouveau libéré par la Commission des libérations conditionnelles le 22 février 1971. Une nouvelle révocation survint le 17 décembre 1974 et l’appelant fut trouvé coupable le 9 janvier 1975, d’actes criminels commis alors qu’il était en période de libération. Les actes criminels reprochés et pour lesquels il fut condamné étaient sérieux : conspiration pour commettre un vol à main armée et vol à main armée sur la personne d’un citoyen, conspiration pour faire le commerce de stupéfiants et vente de stupéfiants. Ce sont ces condamnations et l’application des peines qui en ont résulté qui sont à la base du présent litige puisque le juge de juridiction pénale a imposé, sous chacun des chefs d’accusation, une peine de trois années d’emprisonnement concurrentes entre elles, mais, selon l’avis de l’intimé que ne partage pas l’appelant, sans préciser leur statut par rapport à la peine d’emprisonnement déjà en cours.
[6] La condamnation de l’appelant en 1975 pour des crimes sérieux commis alors qu’il était en libération conditionnelle a amené la déchéance de cette libération conditionnelle conformément à l’article 17 de la Loi alors en vigueur avec la conséquence suivante : en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi, l’appelant voyait ajouter à la partie de sa peine d’emprisonnement qui n’était pas encore expirée les 1393 jours passés en libération ainsi que les trois années d’emprisonnement reçues le 9 janvier 1975. Sa date de libération était alors reportée au 6 février 1990.
[7] En avril 1983, l’appelant a reçu une peine d’emprisonnement de huit ans à être purgée consécutivement à la peine qu’il purgeait déjà. Sa nouvelle date de libération devenait alors le 6 février 1998. Le mois suivant, la cour le condamnait à nouveau à une peine d’un an consécutive à celle en cours : d’où le report de la libération au 6 février 1999.
[8] Entre le 27 juin et le 3 juillet 1990, l’appelant fut libéré pendant 5 jours. Durant la période du 31 octobre 1990 au 29 avril 1991, il fut condamné à sept peines de prison pour des infractions au Code de la sécurité routière [L.R.Q., ch. C-24.2]. Ces peines résultèrent en un emprisonnement d’une durée de 56 jours à être servis consécutivement à la peine en cours. Ceci eut pour effet de différer sa libération au 8 avril 1999. Trois nouvelles séries de peines ont repoussé l’échéance de la libération au 6 mai 2004 :
a) une peine de cinq ans consécutive à celle en cours reçue le 11 mars 1992;
b) une peine de 19 jours consécutive imposée le 23 juillet 1992; et
c) une peine de 10 jours consécutive prononcée le 12 janvier 1993.
[9] Comme je l’ai déjà mentionné, l’appelant s’attaque à l’interprétation des mandats de dépôt émis en janvier 1975 et à la décision du Service correctionnel de considérer la peine de trois ans, alors imposée, comme une peine à être purgée consécutivement.
[10] Je me suis livré à cet historique peu élogieux et préoccupant de l’appelant, qui a passé plus de trente ans en prison et qui est, de l’avis de la Commission nationale des libérations conditionnelles, « excessivement institutionnalisé », pour expliquer le fondement de la décision du Service correctionnel quant à la date où l’appelant devrait être libéré et pour permettre un suivi et une compréhension des prétentions de l’appelant. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’appelant n’a pas rencontré les espoirs que le système de libérations conditionnelles avait fondés sur lui. Une déception n’a pas attendu l’autre au détriment de la protection de la société. Comme l’a fait remarquer le procureur de l’intimé à l’audience, l’appelant, par son propre comportement délinquant, a régulièrement bafoué son droit à la liberté qu’il réclame maintenant avidement en criant à l’injustice. C’est à l’analyse des revendications de l’appelant que j’entends maintenant me consacrer en commençant par l’erreur que le juge de première instance aurait commise en interprétant les paragraphes 17(1) et 21(1) de la Loi et les mandats de dépôt de janvier 1975.
Le juge de première instance a-t-il commis une erreur dans l’interprétation des paragraphes 17(1) et 21(1) de la Loi et des mandats de dépôt?
[11] Je n’entends pas dépenser beaucoup d’énergie à cette question puisque, à mon humble avis et compte tenu de la jurisprudence en la matière, le juge de première instance a interprété correctement les paragraphes 17(1) et 21(1) et leur relation avec le paragraphe 649(1) du Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34].
[12] En effet, en vertu du paragraphe 649(1) (maintenant devenu le paragraphe 721(1) [L.R.C. (1985), ch. C-46]), « une sentence commence au moment où elle est imposée, sauf lorsqu’un texte législatif pertinent y pourvoit de façon différente » (le souligné est de moi). Or, le paragraphe 21(1) de la Loi en vigueur en 1975 était un texte législatif qui, clairement, dérogeait et faisait exception au paragraphe 649(1) du Code criminel. C’est, comme le mentionne la juge de première instance, la conclusion à laquelle le juge Marceau (alors en première instance) en était venu dans l’affaire Kula c. Picard, [1983] 1 C.F. 951re inst.), à la page 98. Son interprétation rejoignait celle de la Haute Cour de Justice de l’Ontario ainsi que celle de la Cour suprême de la Colombie-Britannique : Re Kerswill (1975), 28 C.C.C. (2d) 362 (H.C. Ont.); Re Guenette (1975), 27 C.C.C. (2d) 279 (C.S. C.-B.). De toute évidence, le paragraphe 21(1) de l’époque prévoyait que la nouvelle peine reçue pour une infraction commise en période de libération conditionnelle s’ajoutait au remanet composé de la période non expirée de l’emprisonnement en cours au moment de l’octroi de la libération, à laquelle il fallait ajouter toute réduction de peine inscrite au crédit du détenu. En d’autres termes, les alinéas a) et b) du paragraphe 21(1) de la Loi s’additionnaient et, de cet agrégat, il y avait lieu de soustraire, comme le prévoyait l’alinéa c), le temps passé sous garde après condamnation, mais en attente de la sentence à être imposée.
[13] L’appelant soumet que le paragraphe 21(1) était ambigu et, se fondant sur l’arrêt Marcotte c. Sous-procureur général du Canada et autre, [1976] 1 R.C.S. 108, que cette ambiguïté devait jouer en sa faveur. Je ne suis pas d’accord avec cette prétention. Le paragraphe 21(1) était clair et limpide. Peut-être débouchait-il sur une grande sévérité comme le soumet l’appelant dans un de ses arguments, mais la sévérité, s’il en était, du résultat clair et net du paragraphe 21(1) ne faisait pas naître une ambiguïté dans ce paragraphe. Sinon, on aboutit à une véritable antinomie : celle d’un paragraphe ambigu produisant un résultat clair, net et incontestable qui est la source de l’ambiguïté!
[14] À mon avis, il n’y a également aucun mérite dans cette prétention de l’appelant que le Service correctionnel et le juge de première instance ont mal interprété les mandats de dépôt émis contre lui le 9 janvier 1975.
[15] Le premier mandat de dépôt énonce que les peines sont concurrentes entre elles sur chacun des deux chefs alors que le deuxième mandat de dépôt stipule que les peines qui y sont mentionnées sont concurrentes sur chacun des deux chefs, mais également concurrentes à celles contenues dans le premier mandat de dépôt. En aucun temps, ces mandats n’indiquent que le total de trois ans d’emprisonnement découlant de ces mandats doit être purgé d’une manière concurrente à la peine déjà en cours, ce qui, d’ailleurs, serait entré en conflit avec le paragraphe 21(1) de la Loi. Le juge de première instance n’a pas eu tort, à mon avis, de conclure que les mandats de dépôt n’exigeaient pas que la sentence de trois ans soit concurrente à celle en cours et que le sort de cette sentence était régi par les termes du paragraphe 21(1).
[16] Ceci m’amène finalement aux prétentions problématiques de l’appelant fondées sur la Charte ainsi qu’à celle de l’intimé qui affirme que la Charte ne s’applique pas en l’espèce aux sentences concurrentes que l’appelant a reçues en janvier 1975.
La Charte s’applique-t-elle en l’espèce?
[17] Il faut se rappeler que la sentence de trois ans de prison imposée à l’appelant et servie d’une manière consécutive à celle en cours devait par suite du paragraphe 21(1), comme je l’ai fait ressortir dans l’historique des déboires judiciaires de l’appelant, expirer le 6 février 1990. Le paragraphe 21(1) cessait donc d’avoir effet à cette date et l’appelant eut alors été libéré n’eut été de ses multiples condamnations subséquentes à celles de janvier 1975, dont celle d’avril 1983 qui lui a valu un emprisonnement d’une durée de huit ans.
[18] Il est important de noter que cette sentence de huit ans, de même que toutes les autres qui ont suivi, ont été servies d’une manière consécutive à toutes celles en cours par ordonnance spécifique du tribunal et non par le jeu du paragraphe 21(1) qui avait été abrogé. L’appelant détenant un casier judiciaire imposant et les infractions ayant été commises en période de libération conditionnelle, chaque tribunal pénal, à tour de rôle, y a vu là, à juste titre, comme le législateur l’avait fait dans le paragraphe 21(1), une circonstance aggravante justifiant la consécutivité des peines. En somme, toutes les sentences consécutives imposées après janvier 1975 l’ont été par ordonnances judiciaires et ces ordonnances n’ont jamais fait l’objet d’un appel et ne sont pas remises en question dans le présent recours. Comment l’appelant peut-il alors, dans de telles circonstances, alléguer que sa détention est illégale en vertu de l’article 7 de la Charte?
[19] La prétention de l’appelant repose sur l’article 14 de la Loi, applicable à l’époque et maintenant devenu l’article 139 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. Initialement, l’article 14 se lisait ainsi :
14. Lorsque, le 26 août 1969 ou avant ou après cette date,
a) un individu est condamné à deux périodes d’emprisonnement ou plus ou que
b) un détenu qui est en détention est condamné à une ou des périodes supplémentaires d’emprisonnement,
il est, à toutes les fins de la présente loi, de la Loi sur les pénitenciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, censé avoir été condamné le jour où il a été ainsi condamné dans les circonstances visées à l’alinéa a) ou le jour où il a été condamné à la période d’emprisonnement qu’il est alors en train de purger dans les circonstances visées à l’alinéa b), à une seule période d’emprisonnement commençant ce jour et se terminant le dernier jour où il aurait été assujetti à la détention en vertu de la plus longue de ces condamnations ou en vertu de toutes ces condamnations qui doivent être purgées l’une après l’autre, en prenant de ces deux dates celle qui intervient la dernière. [Le souligné est de moi.]
En 1970, par la Loi modifiant la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, (1er Supp.) ch. 31, article 1, il fut abrogé et remplacé par une disposition qui introduisait le concept d’une seule sentence consistant en une période d’emprisonnement dont le début et la fin étaient établis :
14. (1) Lorsque, le 25 mars 1970 ou avant ou après cette date,
a) un individu est condamné à deux périodes d’emprisonnement ou plus, ou que
b) un détenu qui est en détention est condamné à une ou des périodes supplémentaires d’emprisonnement,
les périodes d’emprisonnement auxquelles il a été condamné, y compris dans un cas visé à l’alinéa b) la ou les périodes d’emprisonnement qu’il est en train de purger, sont, à toutes fins de la présente loi, de la Loi sur les pénitenciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, censées constituer une seule sentence consistant en une période d’emprisonnement commençant le jour où la première de ces sentences d’emprisonnement commence et se terminant à l’expiration de celle de ces périodes d’emprisonnement qui se termine la dernière.
(2) Le présent article n’affecte pas le moment où des sentences, qui sont censées, aux termes du paragraphe (1), constituer une seule sentence, commencent en conformité du paragraphe 649(1) du Code criminel. [Le souligné est de moi.]
[20] On peut voir à la lecture de cet article tortueux qu’il créé, par voie de présomption, une fiction légale portant que l’ensemble des sentences reçues par un individu constitue, selon une version ou l’autre, une seule période d’emprisonnement ou une seule sentence dont le début et la fin sont précisés. C’est sur cette base que l’appelant prétend, à toutes fins utiles, que les trois prochaines et dernières années qu’il lui reste à servir de sa période d’emprisonnement sont celles qui lui furent imposées consécutivement en 1975 par l’effet du paragraphe 21(1) de la Loi. À remarquer que l’appelant ne conteste en aucun temps la validité et la légalité des condamnations et des sentences prononcées en 1975. Il ne pourrait d’ailleurs le faire en invoquant la Charte puisqu’il s’agit d’actes précis et isolés survenus avant l’entrée en vigueur de celle-ci : Benner c. Canada (Secretaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358, à la page 383.
[21] Couchée en des termes plus juridiques, la prétention de l’appelant postule deux choses. Premièrement, par le biais de l’article 14, la décision rendue par le tribunal pénal en 1975 produit encore ses conséquences. Deuxièmement, grâce à l’article 14, l’effet du paragraphe 21(1) de la Loi est continu jusqu’à ce jour et le sera jusqu’à sa libération définitive. Avec respect, je crois que la prétention de l’appelant repose sur une mauvaise compréhension de l’article 14, de son but et de ses effets.
[22] La présomption de l’article 14, sous sa forme originale ou modifiée, visait, aux fins des trois lois existantes qui y sont mentionnées, à harmoniser et à simplifier le calcul complexe des sentences en créant une fusion des périodes d’emprisonnement ou des sentences et en en précisant le début et la fin. Les auteurs Cole et Manson décrivent ainsi le but recherché par le législateur aux pages 367 et 368 de leur volume Release from Imprisonment : The Law of Sentencing, Parole and Judicial Review (Toronto : Carswell, 1990) :
[traduction]
(b) Les dispositions de la Loi sur les libérations conditionnelles quant à la « fusion»
Avant l’adoption de la Loi de 1968-1969 modifiant le droit pénal, aucun concept de fusion ne s’appliquait aux périodes d’emprisonnement devant être purgées. Les sentences étaient traitées en unités de temps distinctes. Cet état de fait entraînait une grande confusion à l’égard des libérations conditionnelles et des réductions de peine. Comme il ressort de l’affaire Re McCaud, les admissibilités à une réduction de peine légale s’accumulaient séparément pour chaque sentence, chacune ayant une date distincte d’admissibilité à une libération conditionnelle, et les conséquences de la révocation d’une libération conditionnelle d’un détenu, libéré conditionnellement à l’égard de plus d’une sentence, étaient différentes selon les diverses dates de fin de sentence. Dans un effort visant à régler ces problèmes, et pour mettre fin aux conséquences de la décision rendue dans l’affaire McCaud, le législateur a adopté la Loi de 1968-1969 qui établissait le concept de fusion. Fondamentalement, cette loi avait pour but de combiner toutes les peines d’emprisonnement qu’un détenu purgeait, concurremment ou consécutivement, de façon à créer une seule période d’emprisonnement à laquelle les conditions quant à la libération conditionnelle, à la liberté surveillée et aux régimes de remise de peine pourraient s’appliquer […]
[…]
La version originale des dispositions relatives à la fusion se trouvait à l’article 4 de la Loi sur les libérations conditionnelles […].
[…]
Bien que cet article ait été modifié à plusieurs reprises depuis son adoption, les principes demeurent les mêmes.
De fait, l’article 14, dans sa version première, indiquait que la période d’emprisonnement se termine à la dernière date des deux hypothèses suivantes :
a) lorsque la sentence la plus longue expire, ou
b) s’il s’agit de sentences consécutives, lorsque la dernière de ces sentences prend fin.
Ce même principe fut repris dans la version modifiée.
[23] Je ne vois rien dans cette disposition, dont la finalité est demeurée inchangée, qui indique ou puisse indiquer que la peine reçue par l’appelant en janvier 1975 n’a pas encore été purgée. Au contraire, l’article 14 n’affecte pas l’ordre de collocation des sentences, et les dernières lignes de cet article dans sa forme première, qui traitent de l’hypothèse des sentences consécutives, reconnaissent et maintiennent le principe que toutes ces condamnations (en anglais « sentences ») doivent être purgées l’une après l’autre. La deuxième version de l’article 14 est encore plus explicite. Elle énonce spécifiquement au deuxième paragraphe que la fusion des sentences en une seule n’affecte pas le moment où une sentence débute en vertu du paragraphe 649(1) du Code criminel. Or, selon ce paragraphe, une sentence commence au moment où elle est imposée, sauf lorsqu’un texte législatif pertinent y pourvoit de façon différente :
649. (1) Une sentence commence au moment où elle est imposée, sauf lorsqu’un texte législatif pertinent y pourvoit de façon différente.
Or, le paragraphe 21(1) stipulait que la sentence de l’appelant reçue en 1975 était consécutive à celle en cours. Cette sentence a donc débuté le 15 avril 1983, date à laquelle la sentence de l’appelant devait prendre fin suite à la première révocation de sa libération conditionnelle le 21 décembre 1966. Je suis d’avis que la sentence de trois années d’emprisonnement reçue par l’appelant en 1975 a été purgée, qu’elle a cessé de produire ses effets et que la détention actuelle de l’appelant est la résultante de ses condamnations subséquentes.
[24] Quant au deuxième élément du postulat de l’appelant, il porte, rappelons-le, sur l’effet continu du paragraphe 21(1) qu’il allègue être un paragraphe injuste, indûment sévère et contraire aux principes de justice fondamentale, en plus de conduire à des résultats absurdes. À titre d’exemple d’absurdité, l’appelant nous renvoie à l’hypothèse d’un détenu que aurait commis à l’intérieur des murs la même infraction que l’individu mis en libération conditionnelle. Seul ce dernier aurait reçu automatiquement, par l’effet de la loi, une peine consécutive à celle en cours alors que le sort du premier aurait reposé entre les mains du tribunal qui jouissait d’un pouvoir discrétionnaire d’imposer consécutivement ou non la peine.
[25] Quant aux injustices, à la sévérité excessive et à la violation des principes de justice fondamentale, elles résulteraient du fait que, par suite du paragraphe 21(1), l’appelant a purgé trois années de prison consécutivement plutôt que concurremment, qu’il a dû purger en prison tous les jours passés en libération et qu’il a perdu toute la réduction de peine méritée à son crédit.
[26] Comme pour la sentence de janvier 1975, je suis convaincu que le paragraphe 21(1) a cessé à ce jour de produire ses conséquences et que la détention actuelle de l’appelant résulte de ses multiples condamnations postérieures à l’abrogation du paragraphe et pour lesquelles les tribunaux ont imposé des peines consécutives. En d’autres termes, je ne crois pas que l’exécution de la sentence de l’appelant soit encore aujourd’hui affectée par le paragraphe 21(1) abrogé en 1977 avant l’entrée en vigueur de la Charte (Loi de 1977 modifiant le droit pénal, S.C. 1976-77, ch. 53, article 32). Appliquer la Charte en de telles circonstances où le paragraphe 21(1) n’a pas d’application contemporaine, pour utiliser les termes du juge Iacobucci dans l’arrêt Benner, précité, constituerait, à mon avis, une application rétroactive qui n’est pas permise légalement.
[27] Mais même en admettant que le droit à la liberté de l’appelant soit encore engagé par le défunt paragraphe 21(1), je ne crois pas que l’atteinte qui en résulte soit faite en violation des principes de justice fondamentale.
[28] Tout d’abord, ce n’est pas violer les règles de justice fondamentale que d’informer à l’avance un détenu qui désire être mis en liberté conditionnelle des conséquences qu’il encourra si sa libération est frappée de déchéance par suite de la commission d’un crime durant la période de libération.
[29] Deuxièmement, dans une optique de responsabilisation d’un détenu libéré conditionnellement ainsi que de protection de la société au sein de laquelle il se retrouve, les principes de justice fondamentale ne s’opposent pas nécessairement à ce qu’une peine plus sévère vienne sanctionner la récidive et le bris de la confiance que les institutions carcérales et la société ont mis en le délinquant. Tout est question de mesure et je ne peux dire que celle qui prévalait à l’époque violait les principes de justice fondamentale du temps et même actuels. À cet égard, il faut se garder d’évaluer et de juger avec les mœurs et les connaissances d’aujourd’hui une norme législative, telle le paragraphe 21(1), adoptée il y a plus de trente ans en fonction des besoins, des mœurs et des connaissances de l’époque.
[30] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.
Le juge Décary, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Noël, J.C.A. : Je suis d’accord.