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A-302-11

2012 CAF 227

Timothy Edw. Leahy (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Leahy c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Dawson, Trudel et Stratas, J.C.A.—Toronto, 26 avril; Ottawa, 4 septembre 2012.

Protection des renseignements personnels — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant en vertu de l’art. 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels à l’encontre d’une décision de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), fondée sur la Loi, refusant la demande d’accès de l’appelant à certains renseignements (la demande de communication de renseignements personnels) — La décision de CIC était fondée sur les exceptions relatives aux renseignements concernant un autre individu et au secret professionnel des avocats prévues aux art. 26 et 27 de la Loi — L’appelant était un avocat qui se spécialisait en immigration — CIC a demandé aux bureaux des visas à l’étranger de cesser leurs relations avec l’appelant après avoir décidé qu’il n’était plus un « représentant autorisé » étant donné son statut auprès du barreau de sa province — Cependant, CIC est revenu sur sa position lorsque l’appelant a rectifié sa situation auprès du barreau — L’appelant a présenté une demande de communication de renseignements personnels à CIC concernant des documents provenant de CIC ou que CIC avait reçus et qui le concernaient — L’appelant a été invité à fournir des indications précises concernant sa demande, mais ne l’a pas fait de manière satisfaisante — CIC a donc limité la portée de la demande et l’a restreinte à une période précise — Il s’agissait de déterminer si CIC a commis une erreur en l’espèce en limitant la portée de la demande de communication de renseignements personnels de l’appelant, en la limitant à une période précise et en excluant certains renseignements en vertu des art. 26 et 27 de la Loi — Comme l’appelant n’a pas fourni d’indications plus précises, la décision de CIC de limiter la portée de la demande de communication de renseignements personnels aux documents situés à son administration centrale était raisonnable — La décision de CIC appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit — Concernant la décision de CIC d’exclure de la demande les documents qui se trouvaient en la possession de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), l’art. 13(2) de la Loi exige qu’une demande d’accès soit adressée à l’institution fédérale de qui relèvent les renseignements — Étant donné que la CISR fonctionne séparément de CIC et est considérée comme une institution fédérale distincte, la Cour fédérale a bien interprété la Loi — La demande de documents qui relevait de la CISR aurait dû lui être adressée directement — Quant aux décisions de CIC relatives aux exceptions prises en vertu des art. 26 et 27 de la Loi, la preuve en l’espèce était insuffisante pour statuer sur cette question — La question a donc été renvoyée à un autre décideur pour qu’il tranche à nouveau — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels à l’encontre d’une décision de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), fondée sur la Loi, refusant la demande d’accès de l’appelant à certains renseignements (la demande de communication de renseignements personnels). La décision de CIC était fondée sur les exceptions relatives aux renseignements concernant un autre individu et au secret professionnel des avocats prévues aux articles 26 et 27 de la Loi.

L’appelant était avocat au sein d’un cabinet et représentait ou conseillait des clients dans le cadre d’instances ou de demandes en immigration. Après avoir découvert que le statut de l’appelant auprès de son barreau était celui d’une personne [traduction] « ne pratiquant pas le droit – employé », CIC a décidé qu’il n’était plus un « représentant autorisé » au sens de l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. CIC en a conclu que l’appelant n’était pas un « membre en règle » du barreau de sa province puisque le fait de ne pas offrir de services juridiques le dispensait de cotiser au régime obligatoire d’assurance responsabilité civile professionnelle. Après en avoir reçu l’instruction, tous les bureaux des visas ont informé l’appelant qu’ils ne communiqueraient plus avec lui et lui ont demandé d’aviser ses clients de la situation. Lorsque l’appelant a retrouvé son statut de « représentant autorisé » (après que le barreau de sa province eut changé son statut pour celui de « en pratique privée »), CIC est revenu sur sa position et a autorisé les bureaux des visas à reprendre leurs relations avec l’appelant.

Ces événements ont poussé l’appelant à intenter une kyrielle de procédures administratives et juridiques contre CIC, notamment sa demande de communication de renseignements personnels présentée en vertu de l’article 12 de la Loi. La demande de communication de renseignements personnels formait la base de la présente demande de contrôle judiciaire et de l’appel, et l’appelant réclamait essentiellement des documents provenant de CIC ou que CIC avait reçus et qui le concernaient. Il a d’abord été estimé que la demande de communication de renseignements personnels ne remplissait pas les exigences de l’article 12 de la Loi puisqu’elle ne fournissait pas d’« indications suffisamment précises » pour que CIC puisse trouver les documents en cause. De plus, la portée de la recherche n’était pas limitée à une période précise. L’appelant a été invité à fournir des indications précises qui aideraient à trouver les documents sans problèmes sérieux, mais sa réponse n’a pas été particulièrement éclairante. CIC a décidé que la recherche se limiterait à l’administration centrale et qu’elle s’arrêterait à une date précise. CIC a ensuite rassemblé des centaines de pages de documents qui se rapportaient à la demande de communication de renseignements personnels et a transmis ces documents à l’appelant, l’avisant que certains renseignements étaient visés par les exceptions prévues aux articles 26 et 27 de la Loi. Insatisfait de cette divulgation partielle, l’appelant s’est plaint auprès du commissaire à la protection de la vie privée, qui a conclu que la plainte n’était pas fondée. L’appelant a alors présenté sa demande de contrôle judiciaire de la décision de CIC.

La Cour fédérale a jugé que CIC avait justement conclu que la décision de limiter la portée de la demande de communication de renseignements personnels était correcte étant donné que l’appelant n’avait pas fourni d’indications plus précises lorsqu’on l’avait prié de le faire, qu’il était légitime d’exclure les documents relevant d’autres institutions fédérales puisque la demande n’avait été adressée qu’à CIC, que les renseignements soustraits à la divulgation étaient visés par les articles 26 et 27 de la Loi, et que la décision discrétionnaire de CIC de ne pas divulguer les documents confidentiels était raisonnable.

En appel, l’appelant a fait valoir en particulier que l’intimé avait délibérément refusé de se plier aux obligations que la loi lui impose, qu’il avait arbitrairement limité sa recherche à l’administration centrale et qu’il avait exclu des documents qui se trouvaient en la possession de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, une institution fédérale indépendante qui figure à l’annexe de la Loi. Par conséquent, il n’était pas d’accord avec la Cour fédérale sur la portée de la demande de communication de renseignements personnels et sur ses conclusions concernant les exceptions prévues aux articles 26 et 27.

Il s’agissait principalement de déterminer si CIC a commis une erreur en l’espèce en limitant la portée de la demande de communication de renseignements personnels présentée, en la limitant à une période précise et en excluant certains renseignements en vertu des articles 26 et 27 de la Loi.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

En ce qui concerne la décision de CIC de limiter la demande de communication de renseignements personnels aux documents situés à son administration centrale, l’alinéa 12(1)b) et le paragraphe 13(2) de la Loi imposent aux demandeurs de renseignements personnels qu’ils fournissent des indications suffisamment précises sur leur emplacement pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux. Comme l’appelant n’a pas fourni d’indications plus précises, la décision de CIC de limiter la portée de la demande de communication de renseignements personnels était raisonnable. Quant à la mesure dans laquelle CIC a limité la demande, la preuve démontrait que la décision appartenait aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Concernant la décision de CIC d’exclure de la demande de communication de renseignements personnels les documents qui se trouvaient en la possession de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le paragraphe 13(2) de la Loi exige qu’une demande d’accès soit adressée à l’institution fédérale de qui relèvent les renseignements. La Cour fédérale a conclu que CIC n’avait pas commis d’erreur en excluant les renseignements qui se trouvaient en la possession de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, principalement parce que celle-ci fonctionne séparément de CIC et est également considérée comme une institution fédérale distincte en vertu de la Loi. La Cour fédérale a bien interprété la Loi. L’expression « institution fédérale » contenue au paragraphe 13(2) de la Loi est définie à l’article 3 de celle-ci. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié est un organisme qui figure à l’annexe de la Loi et, par conséquent, toute demande de documents qui relève d’elle aurait dû lui être adressée directement.

Quant aux décisions de CIC prises en vertu des articles 26 et 27 de la Loi, la preuve en l’espèce était insuffisante pour statuer sur cette question. La lettre de décision délivrée par CIC ne faisait que mentionner les exceptions qui s’appliquaient; aucun autre motif n’a été fourni. Les pièces fournies ne permettaient pas au tribunal de révision de remplir son rôle dans le contexte du contrôle judiciaire. Plus particulièrement, il n’était pas possible de connaître l’identité du décideur et le sens qu’il a prêté aux concepts de secret professionnel de l’avocat et de privilège relatif au litige, de savoir quels documents étaient visés par le privilège relatif au litige, et de déterminer si quelque chose attestait que le décideur était conscient de son pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements protégés, et s’il a exercé ce pouvoir de quelque manière. Par conséquent, bien que la communication de tous les documents ou d’une partie de ceux-ci ait été légitimement refusée à l’appelant, le peu d’éléments de preuve en l’espèce ne permettait pas à la Cour de se prononcer sur cette question. La question de savoir si les exceptions s’appliquent à une partie ou à l’ensemble des documents en cause et, le cas échéant, si la divulgation doit être autorisée en vertu du pouvoir discrétionnaire a été renvoyée à un autre décideur pour qu’il tranche à nouveau.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Décret sur la désignation des responsables d'institutions fédérales (Loi sur la protection des renseignements personnels), TR/83-114.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2, 4 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144(F); 2001, ch. 27, art. 202; 2006, ch. 9, art. 143), 15, 19(1), 23.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 2, 3 "institution fédérale" (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 181), "renseignements personnels" (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144(F)), 3.1 (édicté par L.C. 2006, ch. 9, art. 182), 8 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 20, art. 13; (3e suppl.), ch. 1, art. 12(5), ann., no 4; L.C. 1994, ch. 35, art. 39; 2000, ch. 7, art. 26; 2004, ch. 11, art. 37; ch. 17, art. 18; 2005, ch. 1, art. 106, 109; ch. 27, art. 21, 25; 2006, ch. 10, art. 33; 2008, ch. 32, art. 30; 2009, ch. 18, art. 23), 12 (mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 269), 13(2), 14, 15, 21, 22, 25, 26, 27, 29 (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 37), 34 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187), 35, 41, 47, 51 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 159), 53 (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 118), 72, 73.

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 2 " représentant autorisé " (édicté par DORS/2004-59, art. 1; abrogé par DORS/2011-129, art. 1).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 152(3).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées :

Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2010 CAF 183

Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319; Mislan c. Canada (Ministre du revenu national), 1998 CanLII 7925 (C.F. 1re inst.); Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers' Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815.

décisions citées :

Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, [2004] 2 R.C.S. 332; Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Bureau d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2006 CAF 157, [2007] 1 R.C.F. 203; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié), [1997] A.C.F. no 1812 (1re inst.) (QL); Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773; Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry c. Canada (Sécurité publique), 2010 CF 470, [2011] 3 R.C.F. 309; Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 (C.A.); Murdoch c. Gendarmerie Royale du Canada, 2005 CF 420, [2005] 4 R.C.F. 340; Cunha c. Canada (Ministre du revenu national), 1999 CanLII 7667 (C.F. 1re inst.); Connolly c. Société canadienne des postes, 2000 CanLII 16590 (C.F. 1re inst.) (QL), conf. par 2002 CAF 50; Cemerlic c. Canada (Solliciteur général), 2003 CFPI 133; Elomari c. Canada (Agence spatiale), 2006 CF 863; Stevens c. Canada (Premier ministre), [1998] 4 C.F. 89 (C.A.); Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] 1 C.F. 268 (1re inst.); Communauté urbaine de Montréal (Société de transport) c. Canada (Ministre de l'Environnment), [1987] 1 C.F. 610 (1re inst.); Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 270, [2003] 1 C.F. 219; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182; Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, [2009] 2 R.C.F. 576; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22.

DOCTRINE CITÉE

Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Ligne directrice à l'intention des employés fédéraux : Rudiments de la gestion de l'information (GI), en ligne < http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?section=text&id=16557>.

Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Norme de sécurité relative à l'organisation et l'administration, en ligne < http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=12333&section=text>.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2011 CF 1006, 36) rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels à l’encontre d’une décision de Citoyenneté et Immigration Canada, fondée sur la Loi, refusant la demande d’accès de l’appelant à certains renseignements. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Timothy E. Leahy pour son propre compte.

A. Leena Jaakkimainen et Nicole Paduraru pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Forefront Migration Ltd., Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Table des matières

Paragraphes

Introduction

1 à 6

Contexte factuel

7 à 28

Jugement de la Cour fédérale

29 à 43

Question procédurale

44 à 57

Thèses des parties

58 à 66

Aperçu de la Loi

a) Généralitées se rapportant à l’accès

67 à 70

b) Architecture de la Loi

71 à 75

c) Article 26 : renseignements personnels concernant un autre individu

76 à 78

d) Article 27 : secret professionnel des avocats

79 à 82

e) Pouvoir décisionnel aux termes de la Loi

83 à 87

f) Classification des documents

88 à 92

g) Le rôle des tribunaux dans les demandes d’accès

93 à 95

Examen des questions de fond

a) La norme de contrôle

96 à 103

b) Erreurs susceptibles de contrôle que CIC aurait commises

i) La portée de la demande de communication de renseignements personnels

104 à 115

ii) Décisions de CIC fondées sur les articles 26 et 27 de la Loi

116 à 137

c) Post-scriptum

138 à 145

Conclusion

146 à 147

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

La Cour :

Introduction

[1]        L’appelant, Me Timothy Leahy, interjette appel d’une décision de la Cour fédérale, dont la référence est 2011 CF 1006, concernant la demande de contrôle judiciaire qu’il a présentée en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21 (la Loi) à l’encontre d’une décision de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Dans une lettre de décision du 19 février 2009, CIC a refusé la demande d’accès de Me Leahy à certains renseignements fondée sur la Loi (la demande de communication de renseignements personnels) compte tenu des exceptions relatives aux renseignements concernant un autre individu et au secret professionnel des avocats prévues aux articles 26 et 27 de la Loi. Un juge de la Cour fédérale (le juge de première instance) a rejeté la demande de Me Leahy et l’a condamné aux dépens en faveur de l’intimé.

[2]        Le présent appel soulève deux questions principales : la première est d’ordre procédural et l’autre se rapporte au fond.

[3]        La question procédurale concerne la teneur et la forme convenables des éléments de preuve confidentiels et des observations présentés à la Cour pour le compte d’une institution fédérale, lorsque les documents ou renseignements sont divulgués en toute confidentialité à la Cour, sans l’être à la personne qui demande d’y avoir accès.

[4]        La question de fond concerne la nature des renseignements qui doivent être communiqués à la cour de révision pour lui permettre de bien examiner la décision, fondée sur la Loi, de refuser à un demandeur l’accès à des renseignements personnels.

[5]        Il faut également se demander si CIC a commis une erreur en l’espèce en limitant la portée de la demande de communication de renseignements personnels présentée par Me Leahy.

[6]        Pour les motifs qui suivent, nous avons décidé de faire droit à l’appel avec dépens, et de renvoyer la demande de communication de renseignements personnels de Me Leahy à l’intimé pour qu’un autre décideur se prononce à nouveau conformément aux présents motifs. Notre décision repose sur le fait que CIC ne s’est pas appuyé sur une preuve suffisante pour permettre à la Cour, ou à la Cour fédérale, de réviser convenablement le refus de la demande d’accès à des renseignements personnels de Me Leahy.

Contexte factuel

[7]        Les faits pertinents sont exposés en détail dans la décision de la Cour fédérale. Les faits suivants suffiront pour les besoins des questions à trancher.

[8]        Maître Leahy était, à toutes les dates pertinentes, avocat au cabinet Forefront Migration Ltd. En cette qualité, il représentait ou conseillait ses clients dans le cadre d’instances ou de demandes en immigration. En 2007, CIC a décidé qu’il n’était plus un « représentant autorisé » au sens de l’article 2 [édicté par DORS/2004-59, art. 1; maintenant abrogé par DORS/2011-129, art. 1] du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

[9]        L’article 2 du Règlement disposait :

2. […]

Définitions

« représentant autorisé » Membre en règle du barreau d’une province, de la Chambre des notaires du Québec ou de la Société canadienne de consultants en immigration constituée aux termes de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes le 8 octobre 2003. [Non souligné dans l’original.]

« représentant autorisé » “authorized representative

[10]      CIC a décidé que Me Leahy n’était pas un « représentant autorisé » après avoir découvert que son statut auprès du Barreau du Haut-Canada (le BHC) était celui d’une personne [traduction] « ne pratiquant pas le droit – employé ». Pour le BHC, cette catégorie désigne [traduction] « un avocat qui est employé par une organisation […] et qui ne fournit pas de services juridiques » (non souligné dans l’original). CIC en a conclu que l’appelant n’était pas un « membre en règle » du barreau de sa province puisque le fait de ne pas offrir de services juridiques le dispensait de cotiser au régime obligatoire d’assurance responsabilité civile professionnelle. Nous ne nous prononcerons pas sur le bien-fondé de cette interprétation et il n’est pas nécessaire que nous le fassions.

[11]      La conclusion de CIC concernant le statut de Me Leahy avait pour conséquence pratique qu’il ne pouvait plus offrir de services à ses clients.

[12]      Le 25 septembre 2007, la Région internationale de CIC adressait la directive opérationnelle 07-040 (RIM) à tous les bureaux des visas pour leur demander [traduction] « [d’]envoyer à Me Leahy une lettre indiquant simplement que le bureau des visas ne communiquerait plus avec lui », d’aviser ses clients de la situation et de les informer [traduction] « sur la marche à suivre en ce qui concerne leurs demandes » (dossier du tribunal, volume 2 du dossier d’appel, onglet 7, à la page 2361).

[13]      Le 15 janvier 2008, CIC revenait sur sa position dans le bulletin opérationnel 046. Par le biais de la directive opérationnelle 08-002 (RIM), le ministère autorisait les bureaux des visas à reprendre leurs relations avec Me Leahy parce qu’il avait retrouvé son statut de « représentant autorisé » (dossier du tribunal, volume 2 du dossier d’appel, onglet 7, à la page 2368). Cette volte-face est survenue après que le BHC a informé CIC que Me Leahy était désormais inscrit comme un membre [traduction] « en pratique privée » et qu’il était donc tenu de cotiser au régime d’assurance responsabilité (dossier du tribunal, volume 2 du dossier d’appel, onglet 7, à la page 2370).

[14]      C’est dans ce contexte que Me Leahy a intenté une kyrielle de procédures administratives et juridiques contre CIC, notamment sa demande de communication de renseignements personnels présentée en vertu de l’article 12 [mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 269] de la Loi, laquelle est au cœur de sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et de l’appel interjeté devant notre Cour.

[15]      La partie pertinente de l’article 12 de la Loi dispose :

12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ont le droit de se faire communiquer sur demande : 

ales renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels

b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d’une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux. [Non souligné dans l’original.]

Droit d’accès

[16]      Maître Leahy réclamait dans sa demande de communication de renseignements personnels (dossier du tribunal, volume 2 du dossier d’appel, onglet 7, à la page 1) :

[traduction] […] des copies de tous les documents provenant de CIC ou que CIC a reçus qui me concernent, directement ou indirectement. Ma demande englobe l’ensemble de la correspondance, des courriels, des messages téléphoniques ainsi que tout autre document contenu dans vos dossiers. La période initiale visée est du 1er janvier 2007 à la date de traitement de la présente demande et ma demande vise également l’administration centrale, les missions délivrant les visas, les CTD de CIC, etc. Une divulgation partielle serait acceptable et probablement préférable; c.-à-d., divulgation des dossiers de l’administration centrale, puis de bureaux des visas spécifiques, etc.

[17]      Après une évaluation initiale, Peter Maynard, l’administrateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) qui a traité la demande de communication de renseignements personnels, a estimé qu’elle ne remplissait pas les exigences de l’article 12. D’après lui, pour que CIC donne suite à sa demande, Me Leahy devait fournir des « indications suffisamment précises » pour que le ministère puisse localiser les documents (voir l’alinéa 12(1)b) de la Loi), comme les noms, les titres de postes, les emplacements ou d’autres renseignements susceptibles d’identifier les employés visés. En outre, il s’est dit d’avis que la portée de la recherche devait être limitée aux communications échangées entre le 1er janvier 2007 et le 16 mai 2008, soit la date à laquelle la demande de communication de renseignements personnels a été reçue plutôt que celle où elle serait finalement exécutée.

[18]      Le 22 mai 2008, M. Maynard avisait Me Leahy par écrit que sa demande de communication de renseignements personnels avait été reçue et qu’elle serait considérée comme couvrant la période allant du 1er janvier 2007 au 16 mai 2008. Il précisait que le traitement de sa demande était suspendu, car Me Leahy n’avait pas fourni d’indications suffisamment précises pour permettre de retrouver les renseignements sans problèmes sérieux. Maître Leahy était invité à fournir les noms des employés, le titre précis des postes qu’ils occupaient, leur emplacement et d’autres renseignements d’identification qui aideraient à localiser les documents sans problèmes sérieux (dossier du tribunal, volume 2 du dossier d’appel, onglet 7, à la page 3).

[19]      Maître Leahy a répondu à M. Maynard en restant sur sa position initiale concernant la teneur de sa demande et la période qu’elle devait couvrir (dossier du tribunal, volume 2 du dossier d'appel, onglet 7, à la page 4) :

[traduction] […] il faut commencer avec les services juridiques, demander des instructions auprès d’une personne de ces services. Je suis convaincu que vous pouvez trouver quelqu’un pour vous diriger vers la cabale de l’administration centrale, qui a orchestré une campagne à l’échelle internationale visant à démolir mon entreprise et moi-même, notamment en envoyant une note de service à divers bureaux des visas, si ce n’est à tous ces bureaux, qui leur demandait d’intervenir directement auprès de nos clients.

[20]      Est-il besoin de préciser que cette réponse n’était pas particulièrement éclairante pour M. Maynard? Ayant estimé qu’il serait déraisonnable de s’adresser à chaque bureau de Citoyenneté et Immigration dans le monde, dont 80 missions à l’étranger, 43 bureaux canadiens de CIC, 4 centres de traitement des demandes, sans compter l’administration centrale de CIC (affidavit public de John Warner, volume 1 du dossier d’appel, onglet 6, au paragraphe 26), le ministère a décidé que la recherche se limiterait à l’administration centrale et qu’elle s’arrêterait au 16 mai 2008, sans quoi la demande exigerait des consultations interminables. Monsieur Maynard l’a donc reformulée en ces termes (dossier du tribunal, volume 2 du dossier d'appel, onglet 7, à la page 6) :

[traduction] Je (Timothy Leahy) demande des copies de tous les documents provenant de CIC ou que CIC a reçus qui me concernent, directement ou indirectement. Ma demande englobe l’ensemble de la correspondance, des courriels, des messages téléphoniques ainsi que tout autre document contenu dans vos dossiers. La période initiale visée est du 1er janvier 2007 au 16 mai 2008.

[21]      Le 11 juin 2008, Me Leahy a été avisé par écrit que sa demande de communication de renseignements personnels ne pouvait être traitée dans le délai de 30 jours prévu à l’article 14 de la Loi (dossier du tribunal, volume 2 du dossier d’appel, onglet 7, à la page 42). Compte tenu de sa clientèle internationale, il fallait mener des consultations externes pour donner suite à sa demande. Par conséquent, le délai a été prorogé d’une période maximale de 30 jours prévue au sous-alinéa 15a)(ii) de la Loi. Maître Leahy a consenti à cette prorogation.

[22]      En fin de compte, la demande de communication de renseignements personnels présentée par Me Leahy a amené CIC à rassembler près de 1 030 pages de documents. Cinq cent vingt et une pages étaient en double exemplaire. En substance, 509 pages se rapportaient donc à la demande. Le 19 février 2009, Mary-Anne McManus, gestionnaire intérimaire de la Division de l’AIPRP de CIC transmettait 87 pages à Me Leahy, en lui indiquant (dossier du tribunal, volume 2 du dossier d'appel, onglet 7, à la page 2360) :

[traduction] Le traitement de votre demande étant maintenant terminé, j’ai le plaisir de joindre les documents que vous avez demandés. Certains renseignements contenus dans les pages exclues sont visés par les exceptions prévues aux articles 26 et 27 de la [Loi].

[23]      Insatisfait de cette divulgation partielle, Me Leahy a exercé les droits que lui confère l’article 29 [mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 37] de la Loi. Il s’est plaint de ce qui suit auprès de la Commissaire à la protection de la vie privée : a) CIC avait indûment appliqué des exceptions à sa demande de communication de renseignements personnels; b) ce ministère ne lui avait pas donné accès aux renseignements détenus par l’administration centrale (affidavit public de John Warner, volume 1 du dossier d’appel, onglet 6).

[24]      À la suite de l’enquête liée à cette plainte, la Commissaire adjointe à la protection de la vie privée a conclu que celle-ci n’était pas fondée. Dans son rapport de conclusions, elle évoque tout d’abord les documents que CIC n’a pas divulgués en vertu de l’article 26 de la Loi, lequel dispose :

26. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur un autre individu que celui qui fait la demande et il est tenu de refuser cette communication dans les cas où elle est interdite en vertu de l’article 8.

Renseignements concernant un autre individu

[25]      Elle a déclaré ce qui suit: [traduction] « Notre analyse des informations en cause nous permet de confirmer que les renseignements confidentiels ne concernaient pas le plaignant » (affidavit public de John Warner, volume 1 du dossier d’appel, onglet 6).

[26]      Passant à l’article 27 de la Loi, lequel autorise le responsable d’une institution fédérale à refuser la communication de documents protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client, la Commissaire adjointe à la protection de la vie privée a indiqué qu’après avoir attentivement examiné l’affaire, elle confirmait la décision de CIC de ne pas communiquer les documents en cause sur la base du secret professionnel des avocats ou du privilège relatif au litige.

[27]      Le 6 juillet 2010, Me Leahy a présenté sa demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 41 de la Loi, lequel dispose :

41. L’individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

Révision par la Cour fédérale dans les cas de refus de communication

[28]      Par la suite, il s’est vu remettre des dossiers additionnels comme suit :

29 octobre 2010 : 22 pages;

• 23 février 2012 : 2 pages;

• 23 mars 2012 : 11 pages.

Jugement de la Cour fédérale

[29]      Après avoir rappelé les différents arguments avancés par Me Leahy dans son avis de demande ainsi que dans son mémoire des faits et du droit, le juge de première instance a examiné le contexte factuel, puis il a formulé les questions que la Cour devait trancher et résumé les observations écrites des parties.

[30]      Le juge de première instance s’est ensuite penché sur la norme de contrôle applicable aux décisions fondées sur les articles 26 et 27 de la Loi. S’appuyant sur l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2010 CAF 183 (Blank), une affaire concernant la norme applicable à l’examen de l’exception relative au secret professionnel qui lie un avocat à son client prévue à l’article 23 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1 (la LAI), il a conclu que la Cour devait employer la norme de la décision correcte pour établir si les renseignements non divulgués relèvent des exceptions prévues aux articles 26 ou 27, et la norme de la décision raisonnable pour la décision discrétionnaire de refuser la communication des renseignements visés par l’exception (voir Blank, au paragraphe 16).

[31]      Les autres questions à trancher, telles que le juge de première instance les a reformulées, étaient les suivantes [au paragraphe 24] :

[1] L’intimé a-t-il commis une erreur en limitant la portée de la demande?

[2] L’intimé a-t-il commis une erreur en limitant la demande d’accès à une période précise?

[3] L’intimé a-t-il commis une erreur en retardant la communication après l’expiration du délai prévu par la Loi?

[4] L’intimé a-t-il commis une erreur en refusant de communiquer certains renseignements en vertu de l’article 26 de la Loi?

[5] L’intimé a-t-il commis une erreur en refusant de communiquer certains renseignements en vertu de l’article 27 de la Loi?

[32]      Dans l’appel qu’il a interjeté devant la Cour, Me Leahy conteste en particulier les conclusions du juge de première instance à l’égard des questions 1, 4 et 5).

[33]      En ce qui concerne la première question, le juge de première instance a estimé que la décision de limiter la portée de la demande de communication de renseignements personnels était correcte étant donné que l’appelant n’a pas fourni d’indications plus précises lorsqu’on l’a prié de le faire (motifs de la décision, au paragraphe 46). De plus, il était légitime d’exclure les documents relevant d’autres institutions fédérales puisque la demande n’avait été adressée qu’à CIC (motifs de la décision, au paragraphe 49).

[34]      Quant à la seconde question relative à la période couverte par la demande de communication de renseignements personnels, le juge de première instance a estimé qu’« [i]l est nécessaire de fixer une date de fin pour la période de communication afin que la communication soit faite en temps opportun. Si la date de fin de la communication est la date où la communication a effectivement lieu, le processus de consultations pourrait ne jamais prendre fin » (motifs de la décision, au paragraphe 52). Maître Leahy ne conteste pas directement cette conclusion et n’a pas présenté d’observations orales ou écrites sur la question. Comme nous l’expliquons plus loin, il sollicite plutôt une ordonnance qui rendrait obligatoire la divulgation des dossiers créés entre le 1er janvier 2007 (la date de départ mentionnée dans la demande de communication de renseignements personnels) et la date de la divulgation.

[35]      Nous n’ordonnons aucune divulgation. Compte tenu de la nature de la réparation accordée, et en l’absence d’observations des parties sur la période que doit couvrir la demande de communication de renseignements personnels, il n’est ni nécessaire ni opportun que nous nous penchions sur la question.

[36]      Maître Leahy n’aborde pas la troisième question concernant la réponse tardive à la demande de communication de renseignements personnels. Quoi qu’il en soit, le paragraphe 58 des motifs, reproduit ci-après, répond entièrement à la question :

Le présent contrôle judiciaire ne porte que sur le refus de communiquer en vertu des articles 26 et 27 de la Loi certains documents visés par les exceptions. Il n’est pas nécessaire d’examiner le retard du défendeur à communiquer les renseignements et le refus présumé de communiquer les renseignements qui ont été communiqués par la suite le 19 février 2009.

[37]      Quant à la quatrième question et aux exceptions invoquées par CIC sur le fondement de l’article 26 de la Loi, le juge de première instance a déclaré ce qui suit : « J’ai examiné les documents et j’ai conclu que chaque fois où cette disposition a été invoquée, des renseignements concernant des tiers étaient en cause » (motifs de la décision, au paragraphe 60).

[38]      Enfin, le juge de première instance s’est penché sur les documents qui seraient visés par l’exception prévue à l’article 27 de la Loi. S’appuyant sur l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319 (l’arrêt Blank de la CSC), rendu par la Cour suprême du Canada, il a estimé que la protection du secret professionnel des avocats prévue à l’article 27 de la Loi couvrait à la fois le privilège de la consultation juridique (ou des communications avocat-client) et le privilège relatif au litige (motifs de la décision, au paragraphe 63). Cette conclusion n’est pas contestée.

[39]      Cela dit, après avoir indiqué qu’il avait examiné les documents en cause en tenant compte des principes se rapportant au privilège des communications avocat-client, le juge de première instance a estimé que « [l]a grande majorité des documents faisant l’objet du contrôle judiciaire portent sur la prestation de services juridiques […] Ces communications ont été faites par des avocats agissant en [leur] qualité de juristes, et non dans le cadre de la prestation de conseils en matière de politique » (motifs de la décision, au paragraphe 72). Il a conclu également qu’il n’y avait jamais eu renonciation au privilège attendu que « ces communications de renseignements devaient demeurer confidentielles et [que] les renseignements n’ont jamais été communiqués à des tiers en dehors du ministère client Citoyenneté et Immigration » (motifs de la décision, au paragraphe 72). La communication de renseignements entre des non-avocats a été considérée comme « [relevant] aisément de la “communication continue” entre le ministère de la Justice et les membres de son client » (motifs de la décision, au paragraphe 72).

[40]      Le juge de première instance a également examiné les documents soustraits à la divulgation par CIC sur la foi du privilège relatif au litige : il a estimé que non seulement un litige entre les parties était prévu, mais qu’il était bien entamé puisque de nombreuses actions intentées par Me Leahy contre l’intimé étaient en instance au moment de la divulgation et qu’elles avaient des points communs. Ces documents remplissaient le critère énoncé dans l’arrêt Blank de la CSC (motifs de la décision, au paragraphe 75).

[41]      Le juge de première instance a également conclu que CIC n’aurait dû prélever aucun extrait dans les documents en vue d’une divulgation partielle (motifs de la décision, au paragraphe 78).

[42]      Enfin, le juge de première instance a répondu à l’observation de Me Leahy selon laquelle le privilège des communications avocat-client ne s’applique pas lorsque la communication vise à faciliter un comportement illégal ou que la partie demandant la communication de renseignements peut prouver une faute commise par l’autre partie et donnant ouverture à un droit d’action. Il s’est exprimé comme suit (motifs de la décision, au paragraphe 79) :

Or, il incombe au demandeur de prouver l’acte fautif […] et il ne s’est pas acquitté de son fardeau en l’espèce. Il n’a pas démontré l’existence d’un comportement illégal ou d’une faute donnant ouverture à un droit d’action de la part du défendeur.

[43]      En définitive, le juge de première instance a estimé que CIC avait justement conclu que les renseignements soustraits à la divulgation étaient visés par les articles 26 et 27 de la Loi, et que sa décision discrétionnaire de ne pas divulguer les documents confidentiels était raisonnable. Le juge de première instance a donc rejeté la demande de contrôle judiciaire de Me Leahy et adjugé les dépens à l’intimé.

Question procédurale

[44]      Le dossier relatif au présent appel était initialement composé des documents suivants :

i. un dossier d’appel en deux volumes contenant notamment l’affidavit public du déposant de CIC (M. John Warner) et des copies des documents communiqués à Me Leahy;

ii. un dossier d’appel confidentiel en huit volumes contenant notamment l’affidavit confidentiel signé par M. Warner et des copies de documents n’ayant pas été divulgués à Me Leahy.

[45]      Une ordonnance de confidentialité rendue par la Cour fédérale autorisait l’intimé à y produire devant elle un affidavit et un dossier confidentiels contenant les documents que CIC n’avait pas communiqués à Me Leahy. Le paragraphe 152(3) des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] prévoit qu’une ordonnance de confidentialité rendue par la Cour fédérale demeure en vigueur pendant la durée de l’appel. Celle-ci continuait donc d’avoir effet et autorisait l’intimé à produire le dossier d’appel confidentiel devant la Cour.

[46]      Après le dépôt des dossiers d’appel, l’appelant a produit son mémoire des faits et du droit. Le ministre intimé a soumis à son tour deux mémoires des faits et du droit, l’un confidentiel et l’autre non. Le mémoire confidentiel a été déposé conformément aux directives de la juge Layden-Stevenson.

[47]      Le contenu du dossier confidentiel posait problème. Nous analyserons plus loin l’insuffisance de la preuve. Relativement à la question procédurale, le contenu de ce dossier était problématique, car l’affidavit confidentiel de M. Warner comportait des renseignements qui ne l’étaient manifestement pas; il en allait de même de certaines informations et observations incluses dans le mémoire des faits et du droit confidentiel.

[48]      Par conséquent, la Cour a donné une directive le 7 février 2012 qui prévoyait notamment :

[traduction] La Cour adresse les demandes suivantes aux parties en prévision de l’instruction de l’appel dont la date est à présent fixée au 27 février 2012 :

[…]

3.   Le mémoire des faits et du droit confidentiel produit par l’intimé contient des renseignements et des observations qui ne sont pas confidentiels. L’avocat de l’intimé doit remédier à cette situation sur-le-champ, ou au plus tard le 16 février 2012. L’intimé devra produire une version expurgée du mémoire des faits et du droit confidentiel ou un mémoire confidentiel modifié ne contenant ni renseignements ni observations pouvant être communiqués à l’audience publique. L’intimé devra également produire un mémoire des faits et du droit public modifié ou un mémoire supplémentaire contenant l’ensemble des renseignements et des observations qu’il souhaite faire valoir et qui peuvent être révélés dans le cadre d’une audience publique.

[49]      En guise de réponse, l’avocat de l’intimé a produit un mémoire public des faits et du droit supplémentaire ainsi qu’un mémoire des faits et du droit confidentiel modifié.

[50]      Le jour de l’instruction de l’appel, le 27 février 2012, la Cour a fait savoir qu’elle estimait que le mémoire des faits et du droit confidentiel modifié contenait encore des renseignements et des observations qui n’étaient pas confidentiels.

[51]      Comme l’a alors expliqué la Cour, une allégation de confidentialité trop générale est juridiquement infondée pour au moins deux raisons.

[52]      Premièrement, un principe fondamental veut que les instances qui se déroulent devant les tribunaux canadiens soient ouvertes et accessibles au public. Le principe de la publicité des débats en justice s’étend à la preuve par affidavit et aux observations écrites soumises dans le cadre des contrôles judiciaires. Toute restriction à ce principe n’est permise qu’aux conditions suivantes (Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, [2004] 2 R.C.S. 332, aux paragraphes 22 à 31) :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de chaque partie à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice.

Aucune raison ne justifie l’inclusion d’observations ou de renseignements non confidentiels dans un document confidentiel. Cela revient à violer le principe de la publicité des débats en justice.

[53]      Deuxièmement, l’équité exige qu’une partie connaisse les arguments invoqués contre elle. Une allégation de confidentialité trop générale qui empêche la partie adverse d’en savoir autant que possible sur la preuve et les observations présentées à la Cour, affecte indûment sa capacité à défendre sa cause. En termes simples, une telle allégation est incompatible avec le devoir d’équité procédurale.

[54]      Pour ces motifs, la Cour a ajourné la présente demande le 27 février 2012 en apportant les précisions suivantes :

[traduction] 1. L’audience relative au présent appel est ajournée. Elle reprendra le jeudi 26 avril 2012 à 9 h 30 au 180, rue Queen Ouest, 7e étage, Toronto (Ontario), sa durée n’excédera pas 2 heures 30 minutes.

2. Le 23 mars 2012 ou avant cette date, l’intimé signifiera et déposera un dossier d’appel supplémentaire contenant une version expurgée de l’affidavit confidentiel de John Warner.

3. Le 23 mars 2012 ou avant cette date, l’intimé signifiera et déposera des versions expurgées et non expurgées de son mémoire des faits et du droit modifié. La version non expurgée ne dépassera pas 45 pages. Toute référence aux dossiers d’appel confidentiels sera basée sur les numéros de l’AIPRP, tels qu’ils figurent dans les volumes 1 à 4 de ces dossiers.

4. Le 12 avril 2012 ou avant cette date, l’appelant pourra signifier et déposer un mémoire des faits et du droit supplémentaire ne dépassant pas dix pages, pour répondre aux nouvelles questions soulevées par la version expurgée du mémoire des faits et du droit modifié de l’intimé.

5. La Cour se prononcera sur la question des dépens liés à la présente comparution après l’instruction de l’appel.

[55]      L’intimé a donc signifié et déposé une version publique dûment expurgée de l’affidavit confidentiel de John Warner, ainsi que la version publique expurgée et la version confidentielle non expurgée de son mémoire des faits et du droit. L’appelant a ensuite déposé un mémoire des faits et du droit supplémentaire.

[56]      À l’avenir, nous encourageons les avocats qui représentent les institutions fédérales à envisager, dans ce genre d’affaires, de recourir à des versions expurgées et non expurgées des affidavits et des mémoires des faits et du droit. En l’espèce, cette méthode a permis de divulguer à l’appelant le maximum d’éléments de preuve et d’observations, tout en protégeant les renseignements qu’on cherchait à faire exclure de la communication.

[57]      La question procédurale ayant été réglée, nous examinerons maintenant les thèses des parties sur les questions de fond.

Thèses des parties

[58]      Dans son appel à la Cour, l’appelant a initialement formulé six motifs de plainte se dégageant des raisons exposées ci-après. En un mot, il faisait valoir que l’intimé a délibérément refusé de se plier aux obligations que la loi lui impose et qu’il a arbitrairement limité sa recherche à l’administration centrale. L’appelant n’était donc pas d’accord avec le juge de première instance sur la portée de la demande de communication de renseignements personnels et sur ses conclusions concernant les exceptions prévues aux articles 26 et 27.

[59]      Maître Leahy avance notamment les deux arguments suivants :

1) le juge de première instance [traduction] « a manqué à son devoir lorsqu’il a maintenu les exceptions sans identifier la personne qui a effectivement soustrait les documents à la divulgation ou sans citer le moindre élément de preuve indiquant qu’un ministre averti eût invoqué la confidentialité » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 21). Il [traduction] « a renoncé à sa responsabilité judiciaire en s’en remettant au bureaucrate inconnu qui a invoqué l’exception » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 22). Il n’a pas non plus examiné la manière dont ce pouvoir discrétionnaire a été exercé;

2) le juge de première instance a mal appliqué l’arrêt Blank de la CSC et a commis une erreur en estimant qu’il n’y avait aucune preuve d’activité illégale de la part de CIC.

[60]      Dans ses observations supplémentaires, Me Leahy a fait valoir ce qui suit :

[traduction] [Le juge de première instance] n’a pas : a) identifié la personne qui a décidé de refuser l’accès, b) précisé si cette dernière était autorisée à prendre cette décision, c) indiqué qui avait invoqué la confidentialité, d) précisé si cette personne (qui devrait être le ministre lui-même) était bien informée avant de le faire et e) si la divulgation des documents a été envisagée même s’ils étaient confidentiels. Il ne l’a pas fait, car aucun élément de preuve n’a jamais été produit en ce sens.

[61]      L’appelant a réclamé diverses mesures de réparation, dont la divulgation déjà demandée des documents détenus par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, une institution fédérale indépendante distincte figurant dans l’annexe de la Loi. Voici les ordonnances qu’il sollicite :

a. une ordonnance enjoignant à l’intimé de communiquer tous les documents et pièces contenus dans tous les dossiers, sous quelque nom que ce soit, et se trouvant dans toute entité de l’intimé, y compris la [Commission de l’immigration et du statut de réfugié], qui se trouve à Ottawa ou dans un organisme, bureau, commission, centre, office, etc. ailleurs au Canada ou à l’étranger, visant directement Me Leahy ou le mentionnant, et qui ont été versés dans leurs dossiers entre janvier 2007 et la date de communication;

b. une ordonnance interdisant à l’intimé d’invoquer un privilège à l’égard de ces documents concernant a) une conduite fautive, b) une tentative (i) visant à priver Me Leahy, ou son cabinet, Forefront Migration Ltd., d’un client, (ii) visant à faire perdre un client à ceux-ci; c) visant à empêcher Me Leahy de gagner sa vie; ou d) toute tentative visant à traiter défavorablement ses clients parce que Me Leahy les assistait;

c. une ordonnance imposant un délai de soixante jours pour la communication complète et une pénalité de 500 $ par jour par la suite jusqu’à ce que la communication soit terminée;

d. une ordonnance lui adjugeant les dépens, fixés à au moins 10 000 $.

[62]      Pour sa part, CIC souscrivait totalement aux conclusions juridiques et factuelles du juge de première instance. Lors de l’instruction du présent appel, les membres de la formation ont soulevé des préoccupations ayant trait au manque d’éléments de preuve concernant a) l’identité de la personne ou des personnes dûment autorisées à exclure des documents au sens de la Loi ou à les divulguer malgré leur contenu confidentiel; b) la manière dont le pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements a été exercé.

[63]      En réponse à ces préoccupations, l’avocat de l’intimé a honnêtement reconnu que la preuve se rapportant à la question de la délégation aurait pu être plus claire, mais qu’il était possible néanmoins d’en tirer des inférences. Dans un premier temps, nous avons été invités à conclure que Mme McManus était le décideur parce qu’elle avait signé la lettre qui accompagnait les documents divulgués au titre de la Loi. On nous a ensuite demandé d’inférer que c’était M. Warner qui avait pris la décision sur la foi de la déclaration suivante dans son affidavit : [traduction] « Je suis le fonctionnaire qui avait à se prononcer ultimement sur la demande du demandeur fondée sur l’article 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. »

[64]      L’avocat de l’intimé s’appuyait également sur la délégation de pouvoirs par arrêté signé par la ministre responsable à l’époque en vertu de l’article 73 de la Loi, par lequel elle autorisait les cadres et employés de CIC, dont les postes étaient précisés en annexe, à exécuter les attributions, que lui confère la Loi, mentionnées dans l’arrêté (onglet 6 du recueil conjoint des sources invoquées).

[65]      L’avocat de l’intimé a ensuite reconnu qu’aucune preuve ne montrait à la Cour que le décideur avait été dûment avisé des conditions requises pour invoquer le secret professionnel des avocats ou le privilège relatif au litige, et que la preuve était muette quant à la manière dont le pouvoir discrétionnaire de divulguer ou non des renseignements avait été exercé. Il a admis qu’il était impossible, d’après la preuve par affidavit, de savoir si la divulgation discrétionnaire des renseignements reposait sur les bons principes juridiques. Aucune preuve ne se rapportait non plus aux mesures prises pour assurer la confidentialité des renseignements. Là encore, l’avocat de l’intimé a invité la Cour à inférer de la teneur des documents en cause qu’ils relevaient du contexte d’une affaire juridique, et qu’ils sont restés confidentiels.

[66]      Après avoir examiné la thèse des parties, nous donnerons maintenant un aperçu général de la Loi et de son architecture fondamentale, en insistant sur les principes d’interprétation applicables aux articles 26 et 27. Nous verrons ensuite en quels termes la Loi octroie un pouvoir décisionnel et décrirons brièvement la manière dont les documents sont classifiés au sein des ministères du gouvernement.

Aperçu de la Loi

a) Généralités se rapportant à l’accès

[67]      Les provinces et territoires canadiens ont tous conçu des lois pour traiter de la question de l’accès à l’information et de celle tout aussi importante de la protection des renseignements confidentiels. Malgré de légères différences, ces régimes accordent tous, de manière générale, un droit d’accès à l’information gouvernementale, en énonçant une série d’exceptions et en prévoyant dans les grandes lignes la procédure à suivre pour répondre aux demandes d’accès. Plusieurs de ces provinces et territoires nomment des commissaires chargés de veiller à l’application de ces lois et de préciser clairement des mécanismes de résolution des différends.

[68]      La plupart des lois provinciales traitent de l’accès à l’information et de la protection des renseignements confidentiels dans la même loi. Par contre, au niveau fédéral, les droits d’accès et de protection de la vie privée sont couverts à la fois par la LAI et la Loi — désignées collectivement, les « lois sur l’accès » — (elles ont conjointement été examinées par le Parlement dans le cadre du projet de loi C‑43 et ont été adoptées simultanément comme annexes I et II du ch. 111 des S.C. 1980-81-82-83). Ainsi, ce sera soit la LAI soit la Loi qui entrera en jeu dépendamment des circonstances particulières de l’affaire. Quoi qu’il en soit, les lois sur l’accès sont conçues comme un « code homogène » et doivent être interprétées de façon harmonieuse suivant un « modèle d’interprétation parallèle » : Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, aux paragraphes 45 et 51; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2006 CAF 157, [2007] 1 R.C.F. 203 [Bureau d'enquête sur les accidents de transport], au paragraphe 35; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66 [Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada], au paragraphe 22. Par conséquent, les principes élaborés dans la jurisprudence relative à la LAI sont pertinents pour interpréter et appliquer la Loi.

[69]      La LAI prévoit un droit général d’accès aux documents relevant des institutions fédérales (article 4 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144(F); 2001, ch. 27, art. 202; 2006, ch. 9, art. 143]). Cette disposition reflète le principe général de libre accès à l’information gouvernementale : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, au paragraphe 16. La définition des « renseignements personnels » figurant dans la Loi permet d’établir la distinction entre les lois sur l’accès. En vertu du paragraphe 19(1) de la LAI, la communication de ces renseignements sera refusée à moins qu’elle ne soit conforme à la Loi. En termes très généraux, les renseignements personnels sont ceux qui se rapportent à un individu identifiable et qui sont enregistrés sous quelque forme que ce soit (voir l’article 3 [« renseignements personnels » (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144(F))] de la Loi). La Cour a estimé que l’expression « renseignements personnels » devait recevoir une interprétation large et libérale : Bureau d’enquête sur les accidents de transport, au paragraphe 34.

[70]      Une demande visant à obtenir des renseignements personnels doit être présentée en vertu de la Loi, puisqu’elle prévoit des droits d’accès indépendants de ceux qui sont conférés par la LAI. En l’espèce, il n’est pas contesté que Me Leahy réclame des renseignements qui le concernent et qu’il a dûment soumis sa demande en vertu de la Loi.

b) Architecture de la Loi

[71]      Les objectifs de la Loi sont de deux ordres : protéger les renseignements personnels relevant des institutions fédérales, et offrir aux individus un droit d’accès aux renseignements personnels les concernant (article 2). À ces fins, la Loi oblige les institutions fédérales qui figurent dans son annexe (ainsi que certaines sociétés d’État (article 3)) à limiter la collecte, l’emploi et la divulgation de renseignements personnels, et accorde aux citoyens et aux résidents permanents le droit d’accéder aux renseignements personnels les concernant détenus par le gouvernement.

[72]      Le droit d’accès aux renseignements personnels relevant du gouvernement est énoncé à l’article 12, partiellement reproduit plus haut. L’article 12, cependant, est soumis à l’application des articles 18 à 28, qui dispensent le gouvernement de son devoir de divulgation en diverses circonstances. Ces exceptions relèvent de deux catégories. Certaines dépendent du type de renseignements personnels en cause et ceux-ci sont alors soustraits à la divulgation s’ils appartiennent à la catégorie prescrite : voir, par exemple, l’article 21 (affaires internationales et défense nationale) et l’article 22 (enquêtes). Les exceptions dont il est question dans le présent appel, soit les renseignements concernant un autre individu (article 26) et le secret professionnel des avocats (article 27), relèvent de cette catégorie. Dans les autres cas, l’institution doit être convaincue que la divulgation aurait une conséquence particulière, par exemple, une menace pour la sécurité des individus (article 25).

[73]      Contrairement à la Loi, la disposition de la LAI qui a trait à son objet (article 2) indique expressément qu’il est nécessaire que les exceptions au droit d’accès soient « précises et limitées ». La Cour fédérale [auparavant la Section de première instance de la Cour fédérale] a estimé que les dispositions exposant les objets respectifs des deux lois avaient « le même effet » : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), [1997] A.C.F. no 1812, au paragraphe 34. Puisque l’un des objectifs de la Loi est d’assurer l’accès des individus aux renseignements personnels les concernant, les tribunaux ont généralement interprété de manière restrictive les exceptions au droit d’accès : Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773, au paragraphe 30. Celles-ci doivent être précises et limitées, et il incombe à l’institution gouvernementale de justifier la confidentialité : Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, au paragraphe 21. Il y a donc inversion du fardeau de preuve qui oblige l’institution fédérale à établir que les renseignements personnels demandés par un individu ne peuvent pas faire l’objet d’une communication : Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry c. Canada (Sécurité publique), 2010 CF 470, [2011] 3 R.C.F. 309, au paragraphe 51; voir aussi l’article 47 de la Loi. Si une ambiguïté se dégage des exceptions, il faut permettre l’accès : Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 (C.A), au paragraphe 24.

[74]      La nécessité de limiter les exceptions à l’accès a pour corollaire que seuls les délégués autorisés peuvent refuser la divulgation. Nous reviendrons plus loin sur le processus permettant de déléguer en bonne et due forme le pouvoir décisionnel conféré par la Loi.

[75]      La résolution judiciaire des différends en matière d’accès aux termes de la Loi s’inscrit dans un processus en deux étapes. Si l’accès est refusé, le demandeur peut, comme l’a fait Me Leahy, adresser une plainte au Commissaire à la protection de la vie privée nommé en vertu de la Loi (article 53 [mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 118]). Bien que ce dernier jouisse de larges pouvoirs d’enquête (article 34 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187]), en fait de mesures de réparation, il ne peut qu’adresser des conclusions et des recommandations non obligatoires aux responsables des institutions fédérales (article 35; voir également Murdoch c. Gendarmerie royale du Canada, 2005 CF 420, [2005] 4 R.C.F. 340). Si une demande d’accès a été refusée, le plaignant peut présenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale dans les 45 jours suivant la publication du rapport d’enquête du Commissaire à la protection de la vie privée (article 41). Il faut d’abord avoir déposé une plainte auprès du Commissaire pour pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire (Cunha c. Canada (Ministre du Revenu national), 1999 CanLII 7667 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 9); en matière de réparation, la Cour ne peut qu’ordonner la communication des documents indûment soustraits à la divulgation : Connolly c. Société canadienne des postes, 2000 CanLII 16590 (C.F. 1re inst.), confirmé par 2002 CAF 50. La procédure relative à une telle demande est énoncée à l’article 51 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 159].

c) Article 26 : renseignements personnels concernant un autre individu

[76]      Bien que l’objet principal de l’appel soit l’exception invoquée par CIC en vertu de l’article 27, il importe de souligner que l’article 26 consacre le principe selon lequel le droit conféré à un individu d’avoir accès aux renseignements le concernant ne s’applique pas à ceux qui se rapportent à autrui. L’article 26 comporte deux aspects : une exception obligatoire à la divulgation si celle-ci est interdite par l’article 8 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 20, art. 13; (3e suppl.), ch. 1, art. 12(5), ann., no 4; L.C. 1994, ch. 35, art. 39; 2000, ch. 7, art. 26; 2004, ch. 11, art. 37; ch. 17, art. 18; 2005, ch. 1, art. 106, 109; ch. 27, art. 21, 25; 2006, ch. 10, art. 33; 2008, ch. 32, art. 30; 2009, ch. 18, art. 23] de la Loi, et le pouvoir discrétionnaire de refuser la divulgation.

[77]      Au paragraphe 13 de la décision Mislan c. Canada (Ministre du revenu national), 1998 CanLII 7925 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein décrit en ces termes l’article 26 :

En vertu de l’article 26, le droit de la personne qui fait la demande en vertu du paragraphe 12(1) de se faire communiquer les renseignements personnels la concernant est soumis à l’obligation pour, ou à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par, le responsable de l’institution fédérale de ne pas communiquer les renseignements à une autre personne.

[78]      De plus, et il s’agit d’un point important, lorsque l’institution fédérale invoque l’article 26, elle doit convaincre la Cour qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en pondérant les intérêts opposés en l’espèce, comme l’exige l’alinéa 8(2)m) de la Loi (Cemerlic c. Canada (Solliciteur général), 2003 CFPI 133, au paragraphe 33), lequel dispose :

8. […]

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

[…]

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution :

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

(ii) l’individu concerné en tirerait un avantage certain.

Cas d’autorisation

d) Article 27 : secret professionnel des avocats

[79]      L’objet principal de l’appel est l’exception invoquée par CIC en vertu de l’article 27, lequel dispose :

27. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui sont protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

Secret professionnel des avocats

[80]      L’article 27 soustrait à la divulgation les documents visés par le secret professionnel des avocats. Dans l’arrêt Blank de la CSC, la Cour suprême a confirmé que la disposition analogue de la LAI concernait également les documents visés par le privilège relatif au litige. Ces deux lois devant être appliquées comme un code homogène, il s’ensuit que la Loi concerne également les documents visés par le privilège relatif au litige : Elomari c. Canada (Agence spatiale), 2006 CF 863, au paragraphe 34.

[81]      Comme l’exception est discrétionnaire, son application donne lieu, dans les faits, à deux types de décisions susceptibles de contrôle judiciaire : dans le premier cas, il s’agit de savoir si les documents demandés sont effectivement protégés en vertu des principes de common law (Stevens c. Canada (Premier ministre), [1998] 4 C.F. 89 (C.A.), au paragraphe 23); dans le second, il faut se demander si le pouvoir discrétionnaire de refuser la divulgation a été exercé de manière raisonnable (Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] 1 C.F. 268 (1re inst.), à la page 280).

[82]      La common law régissant le secret professionnel des avocats et le privilège relatif au litige est extrêmement complexe et évolue sans cesse. Les personnes appelées à décider si un document relève de l’exception prévue à l’article 27 de la Loi doivent la comprendre et l’appliquer.

e) Pouvoir décisionnel aux termes de la Loi

[83]      Le « ministre désigné » et le responsable de l’institution fédérale se partagent la responsabilité de l’administration de la Loi : articles 3 et 3.1 [édicté par L.C. 2006, ch. 9, art. 182] de la Loi. Il suffit de préciser, pour les besoins présents, que les responsables d’institutions fédérales sont mentionnés dans le Décret sur la désignation des responsables d’institutions fédérales (Loi sur la protection des renseignements personnels), TR/83‑114, et qu’ils s’occupent au quotidien de la gestion des renseignements personnels et des demandes d’accès. Dans le cas de CIC, le ministre est le responsable.

[84]      Il importe de signaler que les responsables décident si une exception justifie le refus de communiquer les renseignements personnels. Comme les contrôles judiciaires visés par la Loi se limitent aux cas où l’accès aux renseignements est refusé aux demandeurs (article 41), le décideur dont la décision est examinée par la Cour fédérale, ou son délégué autorisé, sera toujours considéré en pratique être le responsable. En vertu de l’article 73 de la Loi, le responsable peut par arrêté déléguer à des employés certaines des attributions que lui confère la Loi. Ces délégations doivent être faites au moyen d’un arrêté et les fonctionnaires ne peuvent tacitement s’arroger eux-mêmes le droit d’agir au nom du responsable : Communauté urbaine de Montréal (Société de transport) c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1987] 1 C.F. 610 (1re inst.), à la page 616.

[85]      Les responsables doivent présenter au Parlement un rapport annuel sur l’application de la Loi (article 72). Le Bulletin de mise en œuvre no 107 du Conseil du Trésor (le Bulletin) expose dans les grandes lignes le contenu obligatoire de ces rapports. Les institutions doivent notamment produire une copie de l’ordonnance de délégation indiquant les pouvoirs que le responsable a délégués et à qui il les a délégués.

[86]      La conséquence pratique est la suivante : pour savoir qui a pris une décision donnée en vertu de la Loi, le demandeur doit retrouver le rapport annuel sur la protection des renseignements personnels produit par l’institution, et examiner l’ordonnance de délégation. Dans le cas de CIC, des pouvoirs décisionnels sont délégués à des catégories entières d’employés selon la nature de la décision précise à prendre en vertu de la Loi. La décision de soustraire des renseignements à la divulgation en vertu de l’article 26 peut être prise par tout « agent d’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels » (classification PM‑03) au sein du ministère. Par contre, seul un « administrateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels » (classification PM‑04) peut refuser une divulgation en vertu de l’article 27 (pour l’ordonnance de délégation pertinente, voir l’onglet 6 du recueil conjoint des sources invoquées).

[87]      Cela dit, ayant constaté à l’audience que la plupart des documents portaient l’inscription « Protégé », nous avons demandé à l’avocat de l’intimé plus de détails sur la classification des renseignements protégés. À cet égard, quelques remarques s’imposent au sujet de la classification des documents.

f) Classification des documents

[88]      Il appert qu’au sein des ministères du gouvernement, les renseignements sont classifiés suivant des politiques internes de sécurité et de gestion des renseignements, notamment la Norme de sécurité relative à l’organisation et l’administration (la politique en matière de sécurité) et les Lignes directrices à l’intention des employés fédéraux : Rudiments de la gestion de l’information (les lignes directrices, et collectivement les politiques).

[89]      La première distinction entre les renseignements confidentiels et ceux qui ne le sont pas tient à la question de savoir s’ils sont « classifiés » ou « protégés ». D’après les lignes directrices, les renseignements classifiés concernent les intérêts nationaux et la défense ou de grands enjeux comme la stabilité économique et politique. Les renseignements protégés désignent des informations privées et délicates concernant des individus et des entreprises. Le tableau suivant illustre ces catégories et les diverses classifications qui s’y rapportent (collectivement désignées, classifications) :

Renseignements classifiés

Renseignements protégés

Très secret : La mise en péril d’une quantité très limitée de renseignements pourrait porter un préjudice exceptionnellement grave à l’intérêt national.

Protégé C : La mise en péril d’un nombre très limité de renseignements pourrait entraîner des préjudices exceptionnellement graves, tels que des décès.

Secret : La mise en péril pourrait porter un grave préjudice à l’intérêt national.

Protégé B : La mise en péril pourrait entraîner de graves préjudices, tels que la perte d’une réputation ou d’un avantage concurrentiel.

Confidentiel : La mise en péril pourrait porter un préjudice limité à l’intérêt national.

Protégé A : La mise en péril pourrait entraîner des préjudices limités.

[90]      Les classifications sont censées reprendre plus ou moins les exceptions prévues par les lois sur l’accès. La politique en matière de sécurité décrit ce lien comme suit à l'article 4.3 :

L’identification de renseignements de nature délicate découle directement des critères d’exemption et d’exclusion de la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ces deux lois établissent le fondement législatif du refus, par les ministères, de communiquer certains renseignements.

Les renseignements qui font exception sont ceux que le Parlement a jugés importants pour la protection soit de l’intérêt national, soit d’autres intérêts envers lesquels le gouvernement a des obligations.

[…]

Lorsqu’ils déterminent si des renseignements nécessitent une protection supplémentaire, les ministères ne sont pas tenus de décider définitivement si certains éléments en particulier peuvent faire exception à ces deux lois. […] Les ministères doivent plutôt s’assurer que certains types de renseignements pourraient vraisemblablement faire exception. […]

Le système de sécurité actuel s’appuie sur la notion que le gouvernement ne devrait pas consacrer des ressources humaines et financières à la protection accrue de certains renseignements à moins d’avoir de bonnes raisons de croire que ceux-ci font exception ou sont sujets à exemption à la Loi sur l’accès à l’information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[91]      Le lien entre les classifications et les Lois sur l’accès est manifeste. Par exemple, les renseignements classifiés sont plus susceptibles d’être soustraits à une divulgation en vertu de l’article 21 de la Loi et de l’article 15 de la LAI (affaires internationales et défense). Les renseignements protégés seront presque inévitablement des renseignements personnels au sens de la Loi : ils sont donc soumis aux restrictions prévues à l’article 8. Cependant, les classifications elles-mêmes ne sont pas mentionnées dans les Lois sur l’accès. En fait, la politique en matière de sécurité reconnaît explicitement que [article 12.4] :

Toute décision de refuser la communication totale ou partielle d’un document doit reposer uniquement sur les dispositions pertinentes des deux lois en vigueur au moment où la demande est présentée et non pas sur la classification ou désignation sécuritaire, même accordée récemment. [Non souligné dans l’original.]

[92]      De plus, la Cour a reconnu que les politiques du Conseil du Trésor ne sont pas contraignantes et qu’elles constituent au mieux un outil d’interprétation : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 270, [2003] 1 C.F. 219, au paragraphe 37. Par conséquent, les politiques et la classification d’un document ne sont qu’indirectement pertinentes dans le rôle que joue le tribunal de révision et n’ont qu’une portée juridique négligeable. La classification particulière d’un document ne peut dicter la manière dont il sera traité sous le régime des lois sur l’accès ou dans le cadre d’instances judiciaires.

g) Le rôle des tribunaux dans les demandes d’accès

[93]      Le survol de la Loi maintenant terminé, il convient de s’arrêter brièvement sur le rôle des tribunaux dans le cadre des demandes présentées aux termes de la Loi ou de la LAI. Dans l’arrêt Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815, la Cour écrivait, au paragraphe 1 :

L’accès à l’information détenue par les institutions publiques peut accroître la transparence du gouvernement, aider le public à se former une opinion éclairée et favoriser une société ouverte et démocratique. Certains renseignements détenus par ces institutions doivent toutefois être protégés pour empêcher une atteinte à ces mêmes principes et promouvoir une bonne gouvernance.

[94]      Les tribunaux de révision ont pour fonction de trancher les litiges en s’assurant de parvenir à un juste équilibre entre deux intérêts opposés. Les cours de justice doivent veiller à ce que le gouvernement rende dûment des comptes, tout en soutenant en même temps les valeurs démocratiques et la bonne gouvernance.

[95]      Nous aborderons à présent les questions de fond.

Examen des questions de fond

a) La norme de contrôle

[96]      Comme nous l’avons déjà expliqué, la Cour fédérale a estimé que les décisions fondées sur les articles 26 et 27 de la Loi, suivant lesquelles les renseignements demandés sont visés par les exceptions prévues par la loi, étaient régies par la norme de la décision correcte, et que le refus discrétionnaire de divulguer les renseignements visés par ces exceptions était soumis à la norme de la décision raisonnable.

[97]      La Cour fédérale a ensuite appliqué, sans aucune analyse, la norme de la décision correcte à la décision de limiter la portée de la demande de communication de renseignements personnels (motifs de la décision, aux paragraphes 46 et 47).

[98]      En ce qui concerne les décisions reposant sur les articles 26 et 27 de la Loi, nous convenons que la norme de la décision correcte s’applique aux décisions portant que les renseignements relevaient de ces exceptions prévues par la loi : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), précité, au paragraphe 59; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), précité, au paragraphe 19. Il est vrai que ces affaires se rapportent à des décisions prises en vertu de la LAI, mais le libellé et la structure de la Loi sont similaires.

[99]      Nous convenons également que la norme de contrôle qui s’applique au refus discrétionnaire de divulguer les renseignements couverts par ces exceptions est celle de la décision raisonnable. Ces décisions, qui dépendent grandement des faits et ont une composante politique, appellent normalement la déférence : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

[100]   Cependant, comme nous le verrons, la norme de contrôle en l’espèce n’a aucune importance quant aux décisions fondées sur les articles 26 et 27 de la Loi. Comme nous l’expliquons plus loin, la preuve dont nous disposons est si faible que nous ne pouvons valablement juger si les décisions étaient correctes ou raisonnables. Entre autres choses, nous ne pouvons pas établir sur la foi du dossier qui a appliqué les exceptions aux documents, de quelle manière elles ont été définies, et comment l’exercice du pouvoir discrétionnaire a été envisagé. Sans ces informations essentielles, nous ne pouvons évaluer le caractère correct ou raisonnable des décisions. En bref, la Cour n’est pas en mesure de remplir le rôle qui lui revient dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[101]   Quant à la dernière question, comme nous l’avons expliqué plus haut, Me Leahy affirme que la portée de la demande de communication de renseignements personnels a été indûment restreinte puisque :

i. CIC l’a limitée aux documents situés à son administration centrale;

ii. le juge de première instance a autorisé CIC à exclure des documents qui se trouvaient en la possession de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[102]   La première question obligeait le décideur de CIC à établir si Me Leahy avait fourni suffisamment d’indications précises sur la localisation des renseignements demandés pour pouvoir les retrouver sans problèmes sérieux. C’est, là encore, une question qui dépend grandement des faits et qui appelle la retenue : Dunsmuir, précité.

[103]   La seconde question obligeait le juge [de première instance] à interpréter la Loi : c’est une question de droit à l’égard de laquelle il était tenu de rendre une décision correcte, Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8.

b) Erreurs susceptibles de contrôle que CIC aurait commises

i) La portée de la demande de communication de renseignements personnels

[104]   Nous examinerons tout d’abord l’observation de Me Leahy selon laquelle CIC a commis des erreurs susceptibles de contrôle relativement à la portée de sa demande. Comme nous l’avons déjà indiqué, il prétend que deux erreurs ont été commises.

[105]   La première a trait au fait que CIC a limité la demande de communication de renseignements personnels aux documents situés à son administration centrale.

[106]   L’alinéa 12(1)b) et le paragraphe 13(2) de la Loi imposent aux demandeurs de renseignements personnels qu’ils fournissent des indications suffisamment précises sur leur localisation pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux.

[107]   Au moment où il a reçu la demande de communication de renseignements personnels, CIC a estimé que Me Leahy n’avait pas fourni de telles indications. Le ministère lui a ensuite donné la possibilité de fournir des informations plus précises. La réponse de Me Leahy est reproduite plus haut, au paragraphe 19.

[108]   Monsieur Warner a affirmé ce qui suit dans son témoignage (affidavit de John Warner, volume 1 du dossier d’appel, onglet 6) :

[traduction

8.  En évaluant la réponse du demandeur, M. Maynard a estimé qu’il n’avait pas fourni les indications requises. Voici ce qu’il a inscrit dans le système de suivi de l’AIPRP : « D’après la Loi, la demande “doit fournir suffisamment de détails pour permettre à un employé expérimenté de l’institution de localiser le dossier par des efforts raisonnables” et de trouver ce qu’il cherche. Laisser entendre que nous devrions effectuer des recherches auprès des 92 bureaux des visas est déraisonnable. » Il a donc été décidé que la recherche se limiterait à l’administration centrale.

[…]

10. La demande de communication de renseignements personnels a donc été formulée comme suit :

[traduction] Je (Timothy Leahy) demande des copies de tous les documents provenant de CIC ou que CIC a reçus me concernant directement ou indirectement. Ma demande englobe l’ensemble de la correspondance, des courriels, des messages téléphoniques ainsi que tout autre document contenu dans vos dossiers. La période initiale visée va du 1er janvier 2007 au 16 mai 2008.

11. Le 2 juin 2008, cette demande a été transmise à la Région internationale, à la Direction de l’immigration, à la Direction générale de la gestion opérationnelle et de la coordination, à la Direction générale du règlement des cas et au secrétariat ministériel. La Région internationale, qui s’occupe des opérations des bureaux des visas à l’étranger, a été chargée de répondre à cette demande. La Direction de l’immigration prend part à toute décision politique qui affecte le traitement des demandes au Canada et à l’étranger. La Direction générale de la gestion opérationnelle et de la coordination est responsable de la mise en œuvre des programmes, tandis que la Direction générale du règlement des cas est chargée d’offrir des conseils et des directives pour le traitement des affaires de grande importance ou litigieuses, et de gérer tous les litiges concernant le ministère. Le secrétariat s’occupe de toute la correspondance officielle envoyée par le ministère. Une copie de l’avis général relatif à la demande est jointe en pièce B.

[…]

26. Comme je l’ai souligné précédemment, la portée de la demande a été circonscrite après que le demandeur a été informé que l’énoncé initial était trop général. La demande originale concernait chaque bureau de Citoyenneté et Immigration dans le monde, ce qui comprend plus de 80 missions à l’étranger, 43 bureaux de CIC au Canada, 4 centres de traitement des cas, sans compter l’administration centrale de CIC. Le Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL), la base de données en immigration, contient plus de 5 000 000 de lignes de textes. De même, chaque bureau des visas dans le monde est doté d’une base de données appelée Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI). L’idée d’effectuer des recherches dans tous ces bureaux et sur ces nombreuses bases de données pour retrouver la moindre référence au demandeur a été jugée déraisonnable.

[109]   Comme Me Leahy n’a pas fourni d’indications plus précises, la décision de CIC de limiter la portée de la demande de communication de renseignements personnels nous paraît raisonnable. Quant à la mesure dans laquelle le ministère a limité la demande, l’affidavit de M. Warner démontre que la décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[110]   La seconde erreur invoquée se rapporte au fait que le juge [de première instance] a autorisé CIC à exclure de la demande de communication de renseignements personnels les documents qui se trouvaient en la possession de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[111]   Le paragraphe 13(2) de la Loi exige qu’une demande d’accès soit adressée à l’institution fédérale de qui relèvent les renseignements.

[112]   Il dispose :

13. […]

(2) La demande de communication des renseignements personnels visés à l’alinéa 12(1)b) se fait par écrit auprès de l’institution fédérale de qui relèvent les renseignements; elle doit contenir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l’institution puisse les retrouver sans problèmes sérieux. [Non souligné dans l’original.]

Demande de communication prévue à l’al. 12(1)b)

[113]   Le juge de première instance a estimé que CIC n’avait pas commis d’erreur en excluant les renseignements qui se trouvaient en la possession de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, car [au paragraphe 49] :

La CISR fonctionne séparément de CIC et est également considérée comme une institution fédérale distincte en vertu de l’annexe 3 de la Loi. Étant donné que le demandeur a présenté sa demande d’accès au titre de l’article 12 uniquement au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, le défendeur a eu raison de limiter la communication à cette institution.

[114]   À notre avis, le juge de première instance a bien interprété la Loi. L’expression « institution fédérale » contenue au paragraphe 13(2) de la Loi est définie ainsi à l’article 3 [mod. par. L.C. 2006, ch. 9. Art. 181]:

3. […]

Définitions

« institution fédérale »

a) Tout ministère ou département d’État relevant du gouvernement du Canada, ou tout organisme, figurant à l’annexe;

b) toute société d’État mère ou filiale à cent pour cent d’une telle société, au sens de l’article 83 de la Loi sur la gestion des finances publiques. [Non souligné dans l’original.]

« institution fédérale » “governement institution

[115]   La Commission de l’immigration et du statut de réfugié est un organisme qui figure à l’annexe de la Loi. C’est pourquoi toute demande de documents qui relève d’elle aurait dû lui être adressée directement.

ii) Décisions de CIC fondées sur les articles 26 et 27 de la Loi

[116]   Examinons à présent l’observation de Me Leahy selon laquelle les décisions de CIC fondées sur les articles 26 et 27 de la Loi contenaient des erreurs susceptibles de contrôle. Comme nous l’avons déjà mentionné, la preuve dont nous disposons est insuffisante pour statuer sur cette question.

[117]   Le rôle des tribunaux de révision dans le cadre d’un contrôle judiciaire est bien établi, et consiste à appliquer la règle de droit : Dunsmuir, aux paragraphes 27 à 33. Dans les grandes lignes, cela signifie que le tribunal de révision doit s’assurer que le décideur administratif a accompli la tâche qui lui était confiée et qu’il s’en est acquitté convenablement sur le plan juridique.

[118]   La norme de contrôle dicte la rigueur avec laquelle la Cour doit assumer son rôle. S’il s’agit de la norme de la décision correcte, la Cour s’assure que les règles de droit ont été exposées et appliquées comme il se doit aux faits exacts du cas d’espèce. Dans le cas de la norme de contrôle de la décision raisonnable, la Cour fait preuve de déférence envers le décideur administratif et lui permet de trouver des issues acceptables et défendables au regard des faits et du droit.

[119]   Qu’il s’agisse de la norme de contrôle de la décision raisonnable ou de celle de la décision correcte, le tribunal de révision doit disposer de renseignements essentiels pour remplir son rôle. Par exemple, qui était le décideur administratif et quels éléments ont été pris en compte pour refuser de divulguer les renseignements? Si ces renseignements ne sont pas connus, le tribunal de révision ne peut déterminer si le décideur administratif a accompli la tâche qui lui était confiée et s’il s’en est acquitté convenablement sur le plan juridique. S’il doit appliquer la norme de la décision correcte, le tribunal de révision doit pouvoir trouver des renseignements suffisants dans le dossier pour parvenir à sa propre décision.

[120]   C’est pour ces raisons, et d’autres peut-être, que la Cour suprême a souligné que les décisions des décideurs administratifs devaient, à la lumière du dossier dont ils disposent, être transparentes et intelligibles : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

[121]   Si les motifs de la décision sont inexistants, obscurs ou à d’autres égards indiscernables, et si le dossier dont disposait le décideur administratif ne permet pas de faire ressortir les raisons pour lesquelles il a tranché ou aurait pu trancher l’affaire comme il l’a fait, l’exigence de transparence et d’intelligibilité des décisions administratives n’est pas remplie : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, aux paragraphes 14 et 15 (le caractère suffisant des motifs doit être évalué dans le cadre du processus d’examen sur le fond, en tenant bien compte du dossier); Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572 et Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (à l’intérieur de certaines limites, la décision peut être maintenue sur la base des motifs qui auraient pu être rendus).

[122]   Tout tribunal de révision qui maintiendrait une décision dont les fondements sont indiscernables se trouverait à l’accepter aveuglément, abdiquant ainsi sa responsabilité de s’assurer qu’elle est conforme au principe de la primauté du droit.

[123]   En l’espèce, Mme McManus, signataire de la lettre de décision, se contente de mentionner les exceptions qui s’appliquent. Aucun autre motif n’est fourni. Le dossier est composé d’un affidavit relativement succinct, de documents ayant été communiqués à l’appelant et d’autres qui lui ont été refusés.

[124]   Ces pièces ne nous fournissent pas les renseignements essentiels dont nous avons besoin pour remplir notre rôle. En voici plusieurs exemples.

[125]   Premièrement, comme nous l’avons expliqué plus tôt, la Loi exige que ce soit le « responsable » de l’institution ou son délégué autorisé qui décide si les exceptions s’appliquent et, le cas échéant, si les renseignements doivent néanmoins être communiqués au demandeur. Le dossier montre qu’un certain nombre de personnes sont intervenues dans l’examen et l’évaluation des documents ainsi que dans la formulation de recommandations, et que la lettre de décision a été signée par Mme McManus. Le dossier n’indique pas qui a pris les décisions pertinentes et ne permet de tirer aucune inférence valable.

[126]   Rien n’empêche le décideur de demander l’assistance d’autres personnes ou d’examiner leurs recommandations. Mais en définitive, la Loi exige que ce soit le « responsable » ou son délégué autorisé qui prenne la décision.

[127]   Or, en l’espèce, nous ne connaissons pas même l’identité du décideur.

[128]   Deuxièmement, nous apprenons que les renseignements ont été soustraits à la divulgation sur la foi du secret professionnel des avocats et du privilège relatif au litige. Cependant, le dossier n’offre pas le moindre indice sur le sens que le décideur a prêté à ces concepts. Les a-t-il bien compris? Nous l’ignorons.

[129]   À ce propos, d’autres personnes ont examiné les documents et formulé des recommandations à l’intention du décideur. Ont-elles été dûment informées des conditions requises pour invoquer le secret professionnel des avocats et le privilège relatif au litige?

[130]   Troisièmement, le tribunal de révision est tout à fait en droit d’examiner les documents soustraits à la divulgation, et d’en tirer les inférences voulues pour établir si le décideur a commis une erreur susceptible de contrôle. Ces inférences à elles seules ne permettent toutefois pas au tribunal de révision d’aller au bout de sa tâche.

[131]   Par exemple, en l’espèce, certains des documents censés être visés par le secret professionnel des avocats semblent se rapporter à des conseils juridiques. De plus amples renseignements sont toutefois nécessaires. Les documents étaient-ils considérés comme confidentiels? Leurs auteurs et (ou) leurs destinataires étaient-ils avocats?

[132]   D’autres documents ne paraissent pas contenir de conseils juridiques, et le dossier ne précise pas lesquels, si tant est qu’il y en ait, sont visés par le privilège relatif au litige.

[133]   Quatrièmement, aux termes de la Loi, le décideur doit déterminer si les exceptions à la divulgation s’appliquent aux renseignements demandés. Mais l’analyse ne s’arrête pas là. Même si une exception s’applique, le décideur peut exercer son pouvoir discrétionnaire de divulguer le document : Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182.

[134]   À tout le moins, les motifs ou le dossier doivent attester que le décideur était conscient de ce pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements protégés, et qu’il l’a exercé de quelque manière.

[135]   En l’occurrence, les motifs ou le dossier sont muets sur cette question.

[136]   Les informations fournies à la Cour fédérale étaient trop lacunaires pour qu’elle puisse remplir son rôle. Il en va de même de notre Cour.

[137]   En l’espèce, la Couronne a vigoureusement fait valoir que les décisions ne contenaient aucune erreur susceptible de contrôle. C’est possible, mais la Cour n’est pas en mesure de se prononcer là-dessus. Dans les circonstances que nous venons de décrire, les motifs et le dossier offrent si peu de renseignements que cela revient à dire que la Cour devrait accepter les décisions, sans les soumettre à un contrôle. En pratique, l’argument de la Couronne signifie : [traduction] « faites-nous confiance, nous avons raison ». Souscrire à un tel argument est incompatible avec notre tâche dans le contexte du contrôle judiciaire.

c) Post-scriptum

[138]   Nous aimerions souligner que notre décision n’affectera pas la manière dont les institutions fédérales répondent aux demandes de renseignements, en présumant que celles-ci sont traitées conformément à la Loi.

[139]   Notre décision a plutôt des répercussions négligeables sur la manière dont les lettres de décision pourront être rédigées, sur l’éventuelle teneur des affidavits produits à l’appui, et sur le contenu du dossier remis au tribunal de révision.

[140]   Durant les plaidoiries, nous avons décrit à l’avocat de l’intimé le type de renseignements, évoqués dans ces motifs, dont un tribunal de révision a besoin pour remplir son rôle. Nous lui avons indiqué qu’il était courant dans les cas de ce genre que les renseignements délicats soient glissés dans un dossier confidentiel, comme il est arrivé en l’espèce. Nous lui avons demandé si la production des renseignements dont nous avons parlé dans les présents motifs impliquait des obstacles d’ordre pratique, un fardeau excessif ou d’autres conséquences négatives : l’avocat de l’intimé n’en a pas trouvé.

[141]   Comme nous le disions, un tribunal de révision n’a besoin que de renseignements suffisants pour pouvoir s’acquitter de sa tâche. Dans les cas comme celui de l’espèce, il s’agit alors de s’assurer que les renseignements suivants figurent dans la lettre de décision ou le dossier : 1) l’identité de la personne qui a rendu la décision dans le dossier; 2) le pouvoir qui lui permet de rendre sa décision; 3) s’est-elle prononcée et sur l’applicabilité des exceptions et sur la possibilité de divulguer malgré tout les renseignements en vertu de son pouvoir discrétionnaire? 4) les critères pris en compte; 5) a-t-elle précisé si ces critères ont été remplis et pourquoi?

[142]   Dans de nombreuses affaires, quelques lignes dans la lettre de décision peuvent suffire pour répondre aux premier, deuxième et troisième points.

[143]   Le quatrième point ne pose pas davantage de difficultés. Il suffirait de citer une seule décision présentant les critères, ou encore un énoncé de politique interne ou un document explicatif dont le décideur ou ceux qui lui ont adressé des recommandations se sont servis. Normalement, les tribunaux de révision n’admettent pas d’office les énoncés de politique interne ou les documents explicatifs; s’ils s’avèrent pertinents, ces documents devraient donc être identifiés et joints en annexe à l’affidavit produit à l’appui.

[144]   Quant au cinquième point, les précisions peuvent être dégagées sans peine des documents mêmes qui n’ont pas été divulgués au demandeur, mais inclus dans un dossier confidentiel, ou de toute annotation faite sur les documents dont on a supprimé des renseignements qui font partie du dossier public. Il pourra arriver à l’occasion qu’un affidavit à l’appui soit produit, ce qui permettra de fournir des renseignements additionnels qui n’apparaissent pas au dossier et qui ne sont pas connus du décideur. Par exemple, en ce qui concerne les documents dont on prétend en l’espèce qu’ils sont visés par le secret professionnel des avocats, l’affidavit aurait dû préciser quels individus étaient avocats et si les documents étaient considérés comme confidentiels.

[145]   À cet égard, l’avocat doit être conscient des limites des affidavits produits à l’appui dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Ils ne peuvent servir à étoffer les motifs du décideur ou les motiver davantage après le fait. Ils peuvent faire la lumière sur des éléments factuels et contextuels qui n’apparaissent pas ailleurs dans le dossier, mais qui étaient manifestement connus du décideur. Ils peuvent aussi fournir au tribunal de révision des indices généraux, par exemple sur la manière dont la demande de renseignements a été traitée, dont les documents ont été recueillis ou dont l’évaluation a été effectuée. Voir de manière générale Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, [2009] 2 R.C.F. 576, aux paragraphes 45 à 47; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 40 à 42; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22.

Conclusion

[146]   Comme nous l’avons déjà dit, il est possible que la communication de certains, voire de tous les documents, ait légitimement été refusée à Me Leahy. Vu le peu d’éléments de preuve dont nous disposons, nous ne pouvons nous prononcer sur cette question. Dans les circonstances, il serait inopportun d’ordonner la divulgation du moindre document. Nous renvoyons plutôt l’affaire à un autre décideur pour qu’il tranche à nouveau, conformément aux présents motifs, la question de savoir si les exceptions s’appliquent à une partie ou à l’ensemble des documents en cause et, le cas échéant, si la divulgation doit être autorisée en vertu du pouvoir discrétionnaire.

[147]   Pour ces motifs, l’appel sera accueilli et le jugement de la Cour fédérale, annulé. Conformément à la décision que la Cour fédérale aurait dû rendre, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question de savoir si des exceptions s’appliquent à une partie ou à l’ensemble des documents et, le cas échéant, si la divulgation doit être autorisée en vertu du pouvoir discrétionnaire, est renvoyée à un nouveau décideur pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs. L’appelant a droit aux dépens engagés devant notre Cour et devant la Cour fédérale, en incluant ceux qui se rapportent à la comparution du 27 février 2012 devant la Cour.

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