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[2014] 1 R.C.F. 279

A-141-11

2012 CAF 215

Feuiltault Solution Systems Inc. (appelante)

c.

Zurich Canada (intimée)

Répertorié : Feuiltault Solution Systems Inc. c. Zurich Canada

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Pelletier et Mainville—Montréal, 17 janvier; Ottawa, 30 juillet 2012.

Droit maritime — Assurance — Appel d’une décision par laquelle la Cour fédérale a refusé de faire droit à la demande d’indemnité que l’appelante avait présentée à son assureur aux termes d’une police d’assurance maritime tous risques — L’appelante a vendu des machines à un client en Allemagne — Les machines étaient en bon état lorsqu’elles ont quitté l’atelier, mais sont arrivées endommagées en Allemagne — La Cour fédérale a conclu que la cause de la perte était l’insuffisance de l’emballage et que la police d’assurance ne couvrait pas la perte parce que l’assuré n’avait pas réussi à établir qu’elle avait été causée par des circonstances fortuites — La Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a imposé à l’assuré le fardeau d’établir que la perte était fortuite — Lorsque la question de la couverture dépend à la fois de l’entente d’assurance et des exclusions, si l’assureur a expressément exclu des pertes non attribuables à des circonstances fortuites, il a le fardeau de prouver l’absence de circonstances fortuites — En l’espèce, l’exclusion exonérait l’intimée d’une responsabilité à l’égard de l’insuffisance de l’emballage parce que les dommages ont été causés par un emballage insuffisant et inapproprié et que l’emballage a été effectué avant la prise d’effet de la police d’assurance — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel d’une décision par laquelle la Cour fédérale a refusé de faire droit à la demande d’indemnité que l’appelante avait présentée à son assureur aux termes d’une police d’assurance maritime tous risques.

L’appelante, un fabricant de machines à relier des livres spécialisées, a vendu des machines à un client en Allemagne. Les machines étaient en bon état lorsqu’elles ont quitté l’atelier, mais sont arrivées endommagées en Allemagne.

La Cour fédérale a conclu que la cause de la perte était l’insuffisance de l’emballage et que, pour obtenir gain de cause, l’assuré devait établir que la perte résultait de circonstances fortuites, c’est-à-dire d’une cause extérieure et accidentelle. La Cour fédérale a conclu que la police d’assurance ne couvrait pas la perte parce que l’assuré n’avait pas réussi à établir qu’elle avait été causée par des circonstances fortuites.

La Cour fédérale s’est ensuite penchée sur l’exclusion invoquée par l’assureur, à savoir l’« emballage insuffisant ou inapproprié », et a conclu que l’emballage et la préparation de la cargaison étaient insuffisants.

Il s’agissait de déterminer qui de l’assuré ou de l’assureur a le fardeau de prouver l’existence ou l’absence de circonstances fortuites, et si l’exclusion relative à l’emballage prévue dans la police d’assurance s’applique.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Les polices d’assurance doivent être interprétées en tenant compte de l’ensemble de la police, de manière à donner effet à chacune des clauses du contrat. Lorsque la question de la couverture doit être tranchée uniquement en fonction de l’entente d’assurance, l’assuré doit démontrer que sa perte est fortuite. Toutefois, lorsque la question de la couverture dépend à la fois de l’entente d’assurance et des exclusions, si l’assureur a expressément exclu des pertes non attribuables à des circonstances fortuites, il a le fardeau de prouver l’absence de circonstances fortuites. Pour donner la portée qui convient à la fois aux dispositions sur la couverture et aux exclusions, il faut conclure que l’assuré visé par une police d’assurance tous risques n’a qu’à démontrer que la cargaison était en bon état lorsqu’elle a été assurée et qu’elle a été endommagée pendant que l’assurance était en vigueur. Il incombe à l’assureur qui veut refuser la réclamation de prouver que l’exclusion s’applique. Par conséquent, pour donner plein effet aux clauses de la police d’assurance en l’espèce, il était nécessaire de traiter les exclusions relatives aux pertes non fortuites comme s’il s’agissait d’un engagement de l’assureur à assumer le fardeau de prouver que la perte n’était pas fortuite, ce qui dispense l’assuré de l’obligation de le faire. En conséquence, la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a imposé à l’assuré le fardeau d’établir que la perte était fortuite.

Quant à la question de savoir si l’exclusion pour cause d’insuffisance de l’emballage exonérait l’intimée d’une responsabilité, pour que l’exclusion s’applique, l’emballage devait avoir été effectué avant la prise d’effet de la police d’assurance, ce qui était le cas. L’exclusion exige également que la perte ou les détériorations soient causées par un emballage insuffisant ou inapproprié. La corrosion de la cargaison était attribuable à un emballage inapproprié. L’emballage était aussi insuffisant. Bien qu’elle n’ait pas, à elle seule, causé la perte, l’absence d’un tel emballage protecteur a contribué à la perte d’une façon qui satisfait aux exigences prévues par la clause d’exclusion. Cette conclusion est compatible avec l’objet de l’assurance maritime, à savoir indemniser l’assuré des pertes découlant des risques propres à un voyage en mer, et non pas garantir les habiletés de l’assuré à préparer la cargaison en vue d’un tel voyage.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164.

décisions examinées :

British and Foreign Marine Co. v. Gaunt, [1921] 2 A.C. 41 (H.L.); Nelson Marketing International Inc. v. Royal & Sun Alliance Insurance Co. of Canada, 2006 BCCA 327, 57 B.C.L.R. (4th) 27; Soya G.m.b.H. Mainz Kommanditgesellschaft v. White, [1983] 1 Lloyd’s Rep. 122 (H.L.); Helicopter Resources Pty Ltd. v. Sun Alliance Australia Ltd. (The Icebird), [1991] VICSC 129.

décisions citées :

Global Process Systems Inc. & Anor v. Berhad, [2011] UKSC 5, [2011] 1 All E.R. 869; T.M. Noten B.V. v. Harding, [1990] 2 Lloyd’s Rep. 238 (C.A.); Compagnie des chemins de fer nationaux c. Royal et Sun Alliance du Canada, Sociétés d’assurances, 2008 CSC 66, [2008] 3 R.C.S. 453; BG Checo International Ltd. c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1993] 1 R.C.S. 12.

DOCTRINE CITÉE

Arnould’s Law of Marine Insurance and Average, 17e éd. Londres : Sweet & Maxwell, 2008.

International Underwriting Association of London. Institute Cargo Clauses (A), 1/1/2009.

APPEL d’une décision par laquelle la Cour fédérale (2011 CF 260) a refusé de faire droit à la demande d’indemnité que l’appelante avait présentée à l’intimée aux termes d’une police d’assurance maritime tous risques. Appel rejeté.

ONT COMPARU

David F. H. Marler pour l’appelante.

Marc D. Isaacs et Bonnie Huen pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

David F. H. Marler, Knolton, Québec, pour l’appelante.

Isaacs & Co., Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Pelletier, J.C.A. :

INTRODUCTION

[1]        Notre Cour est saisie de l’appel d’une décision de la Cour fédérale, Feuiltault Solution Systems Inc. c. Zurich Canada, 2011 CF 260 (les motifs), par laquelle la Cour fédérale a refusé de faire droit à la demande d’indemnité que Feuiltault Solution Systems Inc. (Feuiltault) avait présentée à son assureur aux termes d’une police d’assurance maritime tous risques. Les questions soulevées dans le présent appel sont celles de savoir qui a le fardeau de prouver l’existence ou l’absence de circonstances fortuites et si l’exclusion relative à l’emballage prévue dans la police d’assurance s’applique à la perte en cause.

LES FAITS

[2]        Feuiltault, fabricant de machines à relier des livres spécialisés appelées margeurs automatiques, a vendu 40 de ces machines à un client en Allemagne. Les marchandises ont été chargées dans trois conteneurs distincts. Les employés de Feuiltault ont utilisé des morceaux de bois traité sous pression pour caler les machines dans les conteneurs. La Cour fédérale a reconnu que les machines étaient en bon état lorsqu’elles ont quitté l’atelier de Feuiltault. Les conteneurs ont été transportés par camion de l’atelier de Feuiltault au port de Montréal, où ils ont été chargés sur un navire en vue du voyage transatlantique.

[3]        Les conteneurs ont été déchargés au terminal de la mer du Nord à Bremerhaven, en Allemagne, après une traversée sans incident, puis ils ont été transportés par camion à l’établissement du client. À l’ouverture des conteneurs, toutes les machines étaient à ce point rouillées qu’elles ont au bout du compte été déclarées perte totale.

[4]        Le destinataire, le client de Feuiltault, a refusé d’accepter les marchandises. Diverses enquêtes ont été entreprises afin de déterminer la cause de la rouille. Feuiltault a présenté une demande d’indemnité en vertu de sa police d’assurance maritime. Lorsque l’assureur de Feuiltault, Zurich Canada (Zurich), a refusé de payer, Feuiltault a intenté une action fondée sur le certificat d’assurance maritime délivré par Zurich, lequel incorporait les clauses A [Institute Cargo Clauses (A)] de l’International Underwriting Association of London (Institut international d’assurance de Londres) sur l’assurance‑cargaison. Ces clauses constituent une police d’assurance type de l’industrie, et leur incorporation par renvoi dans un certificat d’assurance, comme en l’espèce, leur confère un caractère contractuel.

[5]        La clause 1 stipule que l’assurance [Traduction] « couvre tous les risques de perte ou de détérioration du bien assuré », à l’exception de ce qui est prévu dans les exclusions. Zurich a refusé d’honorer la police d’assurance sur le fondement de l’exclusion prévue à la clause 4.3, dont les parties pertinentes sont ainsi rédigées :

[Traduction]

4.    Le présent contrat ne couvre en aucun cas :

[…]

4.3 Les pertes, détériorations ou frais en raison de l’emballage ou de la préparation insuffisants ou inappropriés du bien assuré […]

[6] L’assureur n’a invoqué ni l’absence de circonstances fortuites, ni l’exclusion de la perte en raison d’un vice inhérent : dossier d’appel, vol. 1, aux pages 55 à 57.

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[7]        Après avoir examiné la preuve présentée par les divers témoins experts, la Cour fédérale s’est prononcée sur la cause immédiate de la perte. Elle a accepté les conclusions de l’expert de Zurich, le capitaine Fernandes, et les a résumées de la façon suivante (motifs, au paragraphe 50):

Il est raisonnable, conclut [le capitaine Fernandes], d’imputer les dommages dus à la corrosion à la forte condensation présente dans les conteneurs lors du transport, et la source la plus probable de cette condensation est la haute teneur en humidité du bois traité sous pression et à la chaleur. Le capitaine Fernandes conclut que les machines n’étaient pas assez bien conditionnées (des machines en acier non conditionnées, dans un conteneur empli de bois non séché au séchoir et sans utilisation d’agents dessicants) et que le bois utilisé comme calage était manifestement impropre à cause de sa forte teneur en humidité. [Note en bas de page omise.]

[8]        La Cour fédérale a ensuite commencé son analyse des règles de droit applicables par un renvoi au célèbre passage de l’arrêt British and Foreign Marine Co. v. Gaunt, [1921] 2 A.C. 41 (H.L.) (l’arrêt Gaunt), portant sur les polices d’assurance tous risques [à la page 57]:

[Traduction] L’expression « tous risques » comporte évidemment des limites. Il y a les risques et il y a les risques assurés. Par conséquent, l’expression ne vise pas le vice inhérent, l’usure normale ou la capture par les forces britanniques. Elle vise un risque, non une certitude; il s’agit de quelque chose qui provient de l’extérieur à l’objet assuré, non du comportement naturel de l’objet assuré, compte tenu de sa nature, dans les circonstances entourant son transport.

[9]        La Cour fédérale en a conclu que, pour obtenir gain de cause, l’assuré doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la perte résulte de circonstances fortuites, c’est‑à‑dire d’une cause extérieure et accidentelle : voir les motifs, au paragraphe 60.

[10]      La Cour fédérale a ensuite examiné certaines décisions relatives à la question de l’absence de circonstances fortuites. Elle a renvoyé aux arrêts Global Process Systems Inc. & Anor v. Berhad, [2011] UKSC 5, [2011] 1 All E.R. 869 (l’arrêt Global Process Systems); T.M. Noten B.V. v. Harding, [1990] 2 Lloyd’s Rep. 283 (C.A.) (l’arrêt Noten); et Nelson Marketing International Inc. v. Royal & Sun Alliance Insurance Co. of Canada, 2006 BCCA 327, 57 B.C.L.R. (4th) 27 (l’arrêt Nelson Marketing).

[11]      La Cour fédérale s’est en outre demandé si elle pouvait, à la lumière des faits de l’espèce, inférer que la perte avait été causée par des circonstances fortuites ou un accident survenu au cours du voyage. Elle a conclu qu’il aurait été possible d’inférer l’existence de circonstances fortuites si des marchandises avaient déjà été transportées dans des conditions étroitement comparables sans être endommagées, mais que ce n’était pas le cas en l’espèce. La présence de bois traité sous pression dans les conteneurs dérogeait aux façons de faire antérieures et la Cour ne pouvait donc inférer que la perte était attribuable à des circonstances fortuites.

[12]      Selon la Cour fédérale, la présente espèce était analogue aux affaires Noten et Nelson Marketing, précitées. Elle a signalé que, comme dans ces affaires, il n’y avait en l’espèce aucune preuve de conditions météorologiques inhabituelles ou malencontreuses ni de caractéristiques inhabituelles des conteneurs eux‑mêmes. La preuve n’a révélé aucune infiltration d’eau ou d’air humide pendant le voyage. Il ressort implicitement du raisonnement suivi par la Cour que l’absence de ces facteurs donnait à penser, comme dans les affaires Noten et Nelson Marketing, que la perte n’était pas attribuable à des circonstances fortuites.

[13]      La Cour fédérale a en outre rejeté la théorie de Feuiltault selon laquelle la perte avait été causée par la présence d’un agent chimique agressif accidentellement introduit dans le conteneur au cours du voyage. La présence d’un agent de ce genre aurait permis de satisfaire à l’exigence voulant que la perte soit attribuable à des circonstances fortuites.

[14]      En fin de compte, la Cour a conclu que la police d’assurance ne couvrait pas la perte parce que Feuiltault, l’assuré, n’avait pas réussi à établir qu’elle avait été causée par des circonstances fortuites.

[15]      La Cour fédérale s’est ensuite penchée sur l’exclusion invoquée par Zurich, à savoir l’emballage insuffisant ou inapproprié. Elle a renvoyé à l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux c. Royal et Sun Alliance du Canada, Sociétés d’assurances, 2008 CSC 66, [2008] 3 R.C.S. 453 (l’arrêt CN), de la Cour suprême du Canada, dans lequel il était question d’une exclusion pour cause de « conception défectueuse ou inadéquate » prévue dans une police d’assurance des constructeurs. Selon la Cour fédérale, la norme appliquée par la Cour suprême pour décider si la conception dans l’arrêt CN était « défectueuse ou inadéquate » devait également servir pour statuer sur le caractère suffisant de l’emballage ou de la préparation de la cargaison. La Cour suprême a appliqué la norme de la « personne ordinaire, raisonnable et prudente » : voir les motifs, au paragraphe 67.

[16]      Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la Cour fédérale a conclu que l’emballage et la préparation de la cargaison étaient insuffisants. Elle a également estimé que le bois traité sous pression utilisé pour caler les machines dans les conteneurs n’était pas approprié étant donné l’absence d’un emballage pour protéger ces machines de la rouille. La Cour a conclu que, si les machines avaient été emballées à l’aide d’une enveloppe protectrice, comme ce fut le cas pour un envoi ultérieur, il n’y aurait pas eu de perte.

[17]      En conséquence, la Cour fédérale a rejeté l’action intentée par Feuiltault contre Zurich.

LA NORME DE CONTRÔLE

[18]      Il s’agit d’un appel d’un jugement rendu à la suite d’un procès. À ce titre, la norme de contrôle applicable est celle énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 8, 10 et 37, soit l’erreur manifeste et dominante en ce qui concerne les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit (sauf dans le cas d’une erreur de droit isolable), et la décision correcte à l’égard des questions de droit.

ANALYSE

[19]      Il importe en premier lieu de se demander si la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que Feuiltault avait l’obligation de démontrer que la perte était attribuable à des circonstances fortuites. À mon avis, la règle selon laquelle l’assuré visé par une police d’assurance tous risques doit établir que la perte a été fortuite n’est fondée que dans des situations restreintes et elle fait l’objet de la réserve suivante : lorsque l’assureur a exclu, par contrat, les pertes non attribuables à des circonstances fortuites, il lui incombe de prouver l’absence de circonstances fortuites au regard de la perte.

[20]      Depuis le prononcé de l’arrêt Gaunt, il est établi en droit que les polices d’assurance « tous risques » couvrent uniquement les pertes attribuables à des circonstances fortuites ou à un sinistre, c’est‑à‑dire [Traduction] « quelque chose qui provient de l’extérieur à l’objet assuré, non du comportement naturel de l’objet assuré, compte tenu de sa nature, dans les circonstances entourant son transport » : voir l’arrêt Gaunt, précité, à la page 57. Dans les propos qu’il tient sur ce point, lord Sumner a précisé cette notion de la façon suivante (arrêt Gaunt, précité, à la page 57) :

[Traduction] Il y a les risques et il y a les risques assurés. Par conséquent, l’expression ne vise pas le vice inhérent, l’usure normale ou la capture par les forces britanniques. Elle vise un risque, non une certitude; il s’agit de quelque chose qui provient de l’extérieur à l’objet assuré, non du comportement naturel de l’objet assuré, compte tenu de sa nature, dans les circonstances entourant son transport. Il ne s’agit pas non plus d’une perte que l’assuré cause par ses propres faits et gestes, puisque non seulement expose‑t‑il alors les biens au risque d’un dommage, mais encore il les endommage lui‑même.

[21]      L’origine de la question relative aux circonstances fortuites soulevée dans le présent appel repose sur le passage qui suit immédiatement celui reproduit ci‑dessus (arrêt Gaunt, précité, aux pages 57 et 58) :

[Traduction] Enfin, l’expression « tous risques » ne modifie pas le droit commun; les seuls risques couverts sont ceux qu’il est licite de couvrir, et le fardeau de la preuve est le même que dans le cas d’une police d’assurance contre les périls maritimes ordinaires.

Je pense, toutefois, que la quasi‑universalité de l’expression influe, à un égard, sur le fardeau de la preuve. Le demandeur assuré contre les pertes attribuables à un incendie qui déclare une perte de cette nature doit établir l’existence d’une perte attribuable à un incendie, ce qui implique qu’il doit prouver qu’il ne s’agit pas de quelque chose d’autre. Lorsqu’il déclare une perte attribuable à un risque visé par une police d’assurance « tous risques », au sens où cette expression est employée dans la police d’assurance en cause, il n’a qu’à présenter une preuve suffisante du fait que la perte était attribuable à un sinistre, et non à une certitude, à un vice inhérent ou à l’usure normale.

[22]      On peut dégager deux règles de ces extraits. Premièrement, il incombe à l’assuré de démontrer que la perte était attribuable à des circonstances fortuites ou à un sinistre. Deuxièmement, un vice inhérent n’est pas une circonstance fortuite. Ces deux règles doivent être examinées à la lumière d’une autre règle juridique, à savoir que l’assureur a le fardeau d’établir l’application des exclusions qu’il invoque pour refuser d’indemniser l’assuré (Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164 (l’arrêt Dalton Cartage Co.), aux pages 167 et 168) :

Selon une jurisprudence constante de longue date, un assureur qui invoque la protection d’une clause d’exclusion contre une obligation d’indemniser par ailleurs sans limite, doit prouver que la clause s’applique.

[23]      Bien que l’arrêt Dalton Cartage Co. ne concerne pas l’assurance maritime, la même règle s’applique dans les affaires où il est question de ce genre d’assurance : voir l’arrêt Global Process Systems, précité, au paragraphe 20.

[24]      La question du fardeau de la preuve devient importante lorsque l’assureur exclut les pertes non fortuites, comme celles découlant d’un vice inhérent. La définition de l’expression « vice inhérent » a été établie dans l’arrêt Soya G.m.b.H. Mainz Kommanditgesellschaft v. White, [1983] 1 Lloyd’s Rep. 122 (H.L.) (l’arrêt Soya), où lord Diplock s’est exprimé en ces termes à la page 126 :

[Traduction] Cette expression (habituellement abrégée par le terme « vice inhérent ») employée au paragraphe 55(2)c) renvoie à un risque qui est la cause immédiate d’une perte; il ne s’agit pas d’une description de la perte elle‑même. Elle désigne le risque de détérioration des biens expédiés découlant de leur comportement naturel dans le cours normal du déplacement prévu et sans qu’une circonstance extérieure ou un sinistre extérieur ne soit en cause.

La Cour suprême du Royaume‑Uni a confirmé cette définition dans l’arrêt Global Process Systems, précité, aux paragraphes 45, 81 et 129 à 133.

[25]      Compte tenu de cette définition, il est évident que les règles suivantes se contredisent :

a) un assuré visé par une police d’assurance tous risques doit établir, ne serait‑ce qu’au moyen d’une inférence, que la perte est attribuable à une circonstance fortuite;

b) l’assureur doit établir l’application de l’exclusion, notamment les pertes non fortuites, sur laquelle il se fonde pour refuser d’indemniser l’assuré.

L’assuré qui ne peut démontrer que la perte a été causée par une circonstance fortuite aura, en fait, établi que la perte a été causée par un vice inhérent puisque, par définition, un tel vice tient à la détérioration de la cargaison sans qu’aucun accident ou sinistre externe fortuit ne se soit produit. Il s’ensuit donc une inversion de la charge de la preuve quant à l’établissement de la cause de la perte, puisque le fait d’obliger l’assuré à prouver que la perte était attribuable à une circonstance fortuite impose à celui‑ci le fardeau de réfuter l’existence d’un vice inhérent.

[26]      À mon avis, la jurisprudence relative à l’obligation qui incombe à l’assuré de prouver l’existence d’une circonstance fortuite pour avoir droit à une indemnité aux termes d’une police d’assurance tous risques doit donc faire l’objet d’un examen attentif. Il est bien établi en droit que les polices d’assurance doivent être interprétées en tenant compte de l’ensemble de la police, de manière à donner effet à chacune des clauses du contrat : voir l’arrêt BG Checo International Ltd. c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1993] 1 R.C.S. 12 (l’arrêt BG Checo), aux pages 23 et 24. En pratique, cela signifie que la portée de la couverture dépend tant des dispositions sur la couverture que de celles sur les exclusions. Lorsque la question de la couverture doit être tranchée uniquement en fonction de l’entente d’assurance, en l’absence d’exclusions, l’arrêt Gaunt permet d’affirmer que l’assuré doit démontrer que sa perte est fortuite. Toutefois, lorsque la question de la couverture dépend à la fois de l’entente d’assurance et des exclusions, l’arrêt Gaunt et les décisions qui ont suivi doivent être interprétés en tenant compte de la mise en garde suivante : si l’assureur a expressément exclu des pertes non attribuables à des circonstances fortuites, en particulier le vice inhérent, il faut alors supposer qu’il a accepté d’assumer le fardeau de prouver l’absence de circonstances fortuites.

[27]      Cette affirmation est également compatible avec la règle selon laquelle il faut donner un sens à chacune des modalités d’une police d’assurance : voir l’arrêt BG Checo, précité, aux pages 23 et 24. Obliger l’assuré à prouver que la perte est attribuable à une circonstance fortuite a en fait pour effet de rendre inutile l’exclusion relative aux pertes non fortuites. Si l’assuré peut établir que la perte a été causée par des circonstances fortuites, les exclusions ne peuvent s’appliquer. En revanche, s’il ne peut établir que la perte a été causée par des circonstances fortuites, sa demande d’indemnité échoue et la question des exclusions relatives aux pertes non fortuites ne sera jamais soulevée. La seule façon de donner la portée qui convient à la fois aux dispositions sur la couverture et aux exclusions consiste à conclure que l’assuré visé par une police d’assurance tous risques n’a qu’à démontrer que la cargaison était en bon état lorsqu’elle a été assurée et qu’elle a été endommagée pendant que l’assurance était en vigueur. Il incombe à l’assureur qui veut refuser la réclamation de prouver que l’exclusion relative au vice inhérent ou à une autre perte non fortuite s’applique.

[28]      L’arrêt Nelson Marketing, précité, sur lequel s’est appuyée la Cour fédérale pour tirer sa conclusion, illustre comment l’application sans réserve du principe énoncé dans l’arrêt Gaunt peut mener à une situation anormale. Dans cette affaire, la cargaison assurée se composait de parquet contrecollé fabriqué en Malaisie, qui avait quitté ce pays à destination de l’Amérique du Nord. À son arrivée, le parquet était fendillé, décollé et marqué de taches d’eau.

[29]      La police d’assurance en cause était identique à celle dans la présente affaire, soit une police d’assurance tous risques qui excluait notamment les pertes causées par un vice inhérent ou la nature même de l’objet assuré. L’assureur a refusé la réclamation de l’assuré. Ce dernier a intenté une action et il a été débouté au procès. Il a ensuite interjeté appel.

[30]      Lors de l’examen de l’affaire, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a formulé les observations suivantes (arrêt Nelson Marketing, précité, au paragraphe 13) :

[Traduction] Par conséquent, pour obtenir gain de cause en vertu d’une police d’assurance‑cargaison « tous risques », l’assuré doit établir, au moyen d’une preuve directe ou d’une inférence à partir de la preuve disponible, qu’un événement fortuit externe est à l’origine de la détérioration de la cargaison, et non les incidents habituels du voyage à cause de la nature ou de la fragilité inhérente de la cargaison.

La Cour a alors décrit de la façon suivante la question dont elle était saisie (arrêt Nelson Marketing, précité, au paragraphe 23) :

[Traduction] Il s’agit uniquement de décider si la perte était fortuite plutôt que de découler de la nature inhérente du parquet. Il était de la nature du parquet d’absorber et de dégager de l’humidité. La quantité d’humidité absorbée et dégagée (et les dommages susceptibles d’en découler) variait selon les conditions ambiantes de la température et de l’humidité auxquelles le parquet était exposé. Pour que la perte soit fortuite, le parquet, qui avait absorbé une certaine quantité d’humidité avant d’être expédié, devait avoir été exposé à des conditions autres que celles qui sont habituellement considérées comme normales dans les cales des navires collecteurs lors de chacun des trois déplacements effectués entre les ports de la Malaisie et Singapour. Il incombait à l’assuré d’établir que les conditions présentes dans les cales des trois navires étaient sensiblement différentes de celles auxquelles on s’attendrait dans le cours habituel du transport. La Cour doit donc maintenant se demander si elle dispose d’éléments de preuve lui permettant de conclure que les conditions ambiantes étaient fort inhabituelles. [Non souligné dans l’original.]

[31]      En définitive, la Cour a conclu que l’assuré n’avait pas réussi à prouver que les conditions ambiantes étaient inhabituelles. Comme il n’avait pu établir que la perte était fortuite, l’assuré n’a pas été indemnisé en vertu de la police d’assurance.

[32]      L’importance des conditions ambiantes tenait au fait que si l’assuré réussissait à établir leur caractère inhabituel, elles auraient constitué une circonstance fortuite, ce qui aurait fait en sorte que la perte soit visée par la couverture. Cependant, comme je l’ai signalé précédemment, la preuve de l’existence d’une circonstance fortuite rend nécessairement inutile l’exclusion relative au vice inhérent et l’assureur est ainsi libéré de son obligation de prouver que l’exclusion s’applique. La Cour serait arrivée au même résultat si elle avait estimé que la perte était, à première vue, visée par la couverture et avait ensuite appliqué la clause d’exclusion relative au vice inhérent.

[33]      J’estime par conséquent que, pour donner plein effet aux clauses de la police d’assurance en l’espèce, il est nécessaire de traiter les exclusions relatives aux pertes non fortuites (vice inhérent, usure normale, faute intentionnelle de l’assuré) comme s’il s’agissait d’un engagement de l’assureur à assumer le fardeau de prouver que la perte n’était pas fortuite, ce qui dispense l’assuré de l’obligation de le faire. À mon avis, cette position, fondée sur les clauses de la police d’assurance, va dans le même sens que les principes suivants énoncés dans l’ouvrage Arnould’s Law of Marine Insurance and Average, 17e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 2008), à la page 1058 : [Traduction] « Si les marchandises sont expédiées en bon état et arrivent endommagées, et si les dommages sont d’une nature telle qu’ils font présumer qu’il existe une quelconque cause extérieure à ces dommages, il s’agit [suivant la police d’assurance « tous risques »] d’une preuve prima facie d’une perte résultant d’un risque assuré, et il incombe à l’assureur maritime de prouver que la perte s’est en réalité produite d’une façon qui fait qu’il n’est pas responsable ». Voir aussi l’arrêt CN, précité, aux paragraphes 5, 31 et 34.

[34]      En conséquence, j’arrive à la conclusion que la Cour fédérale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a imposé à l’assuré le fardeau d’établir que la perte était fortuite. Elle a ainsi omis de donner effet au contrat conclu entre Feuiltault et Zurich.

[35]      Comme l’assureur n’a pas fait valoir que la perte n’était pas fortuite, la seule question qui demeure est celle de savoir si l’exclusion pour cause d’insuffisance de l’emballage exonère Zurich de la responsabilité qui lui incombe aux termes de la police d’assurance. Par souci de commodité, je reproduis de nouveau la clause d’exclusion (dossier d’appel, vol.1, à la page 31) :

[Traduction]

4.3 Les pertes, détériorations ou frais en raison de l’emballage ou de la préparation insuffisants ou inappropriés du bien assuré. (Pour l’application de la présente clause 4.3, le terme « emballage » s’entend notamment de l’arrimage dans un conteneur ou une caisse, uniquement dans le cas où cet arrimage a été effectué avant la prise d’effet du présent contrat d’assurance, par l’assuré ou ses employés.)

[36]      La jurisprudence relative à cette exclusion est très rare, mais il a été statué que l’exclusion s’appliquait [Traduction] « aux mesures qui sont nécessaires pour préparer la cargaison en vue du chargement et non aux actes mêmes qui font en sorte que la cargaison soit arrimée à bord du navire » : voir la décision Helicopter Resources Pty Ltd. v. Sun Alliance Australia Ltd. (The Icebird), [1991] VICSC 129 (Cour suprême de Victoria, en Australie), à la page 29. Si je comprends bien, cela signifie que l’exclusion s’applique aux mesures prises par l’assuré pour protéger la cargaison des incidents habituels du transport, y compris l’arrimage de la cargaison dans un conteneur et les mesures prises pour l’immobiliser dans celui‑ci. Il s’ensuit donc, si j’ai toujours bien compris, que cette exclusion renvoie au caractère approprié des matériaux que l’assuré a utilisés à ces fins. Il est inutile de trancher la question de l’application de cette clause à des situations où les conditions rencontrées pendant le voyage diffèrent des « incidents habituels du transport », puisqu’elle ne se pose pas en l’espèce.

[37]      Pour que l’exclusion s’applique, l’emballage doit avoir été effectué avant la prise d’effet de la police d’assurance. La clause 8.1 porte sur cette prise d’effet (dossier d’appel, vol. 1, à la page 35) :

[Traduction]

8.1 Le présent contrat prend effet à compter du moment où les marchandises quittent le magasin ou l’entrepôt au lieu désigné aux présentes comme endroit du début du voyage, demeure en vigueur pendant le transport habituel […]

[38]      Il n’est pas contesté que les conteneurs ont été préparés à l’établissement de l’assuré avant d’être transportés au port de Montréal et à leur destination subséquente.

[39]      L’exclusion exige que la perte ou les détériorations soient causées par un emballage insuffisant ou inapproprié. En l’espèce, la Cour fédérale a accepté que la corrosion de la cargaison était attribuable à la condensation présente dans le conteneur en raison de la haute teneur en humidité du bois traité sous pression utilisé pour caler les machines dans le conteneur. Comme le bois était une matière d’emballage, je suis d’accord avec la conclusion tirée par la Cour fédérale voulant que l’emballage ait été inapproprié. Il s’ensuit que le caractère inapproprié de l’emballage était la cause de la perte. La Cour fédérale a en outre conclu que l’emballage était insuffisant. Il semble que cette insuffisance tenait à l’absence d’un emballage protecteur susceptible de prévenir la perte. Bien qu’elle n’ait pas, à elle seule, causé la perte, l’absence d’un tel emballage protecteur a, dans la présente affaire, contribué à la perte d’une façon qui satisfait aux exigences prévues par la clause d’exclusion.

[40]      Cette conclusion est compatible avec l’objet général de l’assurance maritime, à savoir indemniser l’assuré des pertes découlant des risques propres à un voyage en mer, et non pas garantir les habiletés de l’assuré à préparer la cargaison en vue d’un tel voyage.

CONCLUSION

[41]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

            Le juge Létourneau, J.C.A. : Je suis d’accord.

            Le juge Mainville, J.C.A. : Je suis d’accord.

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