T-1678-00
2001 CFPI 629
Viewpoint International, Inc. (demanderesse)
c.
On Par Enterprises Inc. (défenderesse)
Répertorié: Viewpoint International, Inc.c. On Par Enterprises Inc.(1re inst.)
Section de première instance, juge Lemieux--Toronto, 22 mars; Ottawa, 8 juin 2001.
Marque de commerce -- Contrefaçon -- Demande d'injonction interlocutoire présentée en attendant l'instruction d'une action en contrefaçon et en imitation frauduleuse d'une marque de commerce en vue d'interdire à la défenderesse d'utiliser la marque de commerce «Tommy Bahamas Grill» en liaison avec son restaurant de Victoria, et de contrefaire la marque de commerce «Tommy Bahama» de la demanderesse -- La marque «Tommy Bahama» a été enregistrée aux États-Unis en liaison avec des vêtements et des restaurants et au Canada, en liaison avec des vêtements -- Une demande d'enregistrement de marque de commerce pour des restaurants au Canada a été déposée mais n'a pas encore été annoncée -- Application du critère à trois volets énoncé dans l'arrêt RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) -- Suivant la règle générale, le juge ne devrait pas procéder à un examen approfondi du fond pour décider s'il existe une question sérieuse à juger -- Il existe une exception à cette règle lorsque le résultat de la demande interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l'action -- La défenderesse n'a pas démontré que les frais que lui occasionnerait la modification de ses affiches extérieures ou de ses menus l'obligeraient à fermer ses portes -- Il suffit à la demanderesse de convaincre le tribunal que la cause est défendable (c.-à-d. que la demande n'est ni futile ni vexatoire) et non d'établir une forte apparence de droit -- La demanderesse a soulevé plusieurs questions sérieuses à juger en ce qui concerne la protection à accorder à ses droits de propriété sur sa marque de commerce «Tommy Bahama» au Canada, y compris les risques de confusion -- La preuve de préjudice irréparable doit être claire et ne pas tenir de la conjecture -- Bien que le restaurant de la défenderesse exerce ses activités depuis plusieurs mois, il n'a pas été démontré que la demanderesse a perdu une seule vente de vêtements «Tommy Bahama» ou un seul client dans ses restaurants -- La preuve ne permet pas de conclure qu'on a porté atteinte à la réputation de la marque «Tommy Bahama» -- Il n'y a aucun élément de preuve concret que le préjudice reproché ne peut être réparé au moyen de dommages-intérêts -- La défenderesse est en mesure de payer les dommages-intérêts auxquels elle pourrait être condamnée.
Injonctions -- Demande d'injonction interlocutoire en attendant l'instruction d'une action en contrefaçon et en imitation frauduleuse d'une marque de commerce -- Application du critère à trois volets énoncé dans l'arrêt RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) -- En ce qui concerne l'existence d'une question sérieuse à juger, il suffit à la demanderesse de convaincre le tribunal que la cause est défendable (c.-à-d. que la demande n'est ni futile ni vexatoire) et non d'établir une forte apparence de droit -- Comme la défenderesse n'a pas démontré que les frais que lui occasionnerait la modification de ses affiches extérieures ou de ses menus l'obligeraient à fermer ses portes (c.-à-d. que l'issue de la demande interlocutoire équivaudrait en fait au règlement final de l'action), l'exception à la règle générale suivant laquelle le juge ne devrait pas procéder à un examen approfondi du fond pour décider s'il existe une question sérieuse à juger ne s'applique pas -- La demanderesse a soulevé plusieurs questions sérieuses, y compris les risques de confusion -- Mais elle n'a pas fait la preuve de l'existence d'un préjudice irréparable, laquelle preuve doit être claire et ne pas tenir de la conjecture -- Elle n'a pas démontré qu'elle avait perdu une seule vente de vêtements «Tommy Bahama» ou un seul client dans ses restaurants -- La preuve ne permet pas de conclure que la perte de contrôle sur le concept de la marque a eu des répercussions négatives -- Il n'y a aucun élément de preuve concret que le préjudice reproché ne peut être réparé au moyen de dommages-intérêts -- La défenderesse est en mesure de payer les dommages-intérêts auxquels elle pourrait être condamnée.
Demande d'injonction interlocutoire présentée en attendant l'instruction d'une action en contrefaçon et en imitation frauduleuse d'une marque de commerce en vue d'interdire à la défenderesse d'utiliser la marque de commerce «Tommy Bahamas Grill» en liaison avec le restaurant que la demanderesse exploite à Victoria, en Colombie-Britannique, et de contrefaire la marque de commerce déposée «Tommy Bahama» de la demanderesse. La demanderesse est le propriétaire enregistré, aux États-Unis, de la marque de commerce «Tommy Bahama» en liaison avec des vêtements, des restaurants et des articles spécifiques tels que des sacs de golf, des coffres de voyage, des sacs de sport, et de la même marque au Canada, en liaison avec des vêtements et des accessoires. La demanderesse a déposé une demande d'enregistrement de marque de commerce pour des restaurants au Canada mais cette demande n'a pas encore été annoncée. La demanderesse et son distributeur exclusif au Canada prévoient ouvrir à compter de 2002 de quatre à huit restaurants-magasins «Tommy Bahama» authentiques un peu partout au Canada, notamment en Colombie-Britannique. Le personnage fictif «Tommy Bahama» symbolise un certain train de vie évoquant une personne riche qui mène une vie oisive et facile et à qui sa fortune permet d'acheter des objets de luxe et de se prélasser sur des plages où la vie ressemble à des vacances perpétuelles. Les restaurants de la demanderesse aux États-Unis servent une cuisine fine. La défenderesse a commencé à exploiter un restaurant à Victoria sous le nom «Tommy Bahamas Grill», qui illustre un thème tropical et offre des plats similaires à ceux qui sont offerts dans les restaurants de la demanderesse. La demanderesse affirme que le restaurant de la défenderesse offre une qualité de cuisine et un décor qui sont inférieurs à ceux de ses restaurants et elle a introduit la présente action en contrefaçon et en imitation frauduleuse de sa marque déposée. La question est litige est celle de savoir si le critère à trois volets auquel il faut satisfaire pour pouvoir obtenir une injonction interlocutoire et qui a été exposé dans l'arrêt RJR--MacDonald Inc. c. Procureur général, a été satisfait.
Jugement: la demande doit être rejetée.
La première question à se poser est celle de savoir s'il existe une question sérieuse à juger. Il faut d'abord répondre à la question préliminaire de savoir si la demanderesse doit établir une forte apparence de droit ou si le critère applicable est moins exigeant et s'il suffit de convaincre le tribunal que la cause est défendable, c'est-à-dire que la demande n'est ni futile ni vexatoire. Suivant la règle générale, le juge ne devrait pas procéder à un examen approfondi du fond pour décider s'il existe une question sérieuse à juger. Cette règle comporte deux exceptions. La première est le cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l'action, soit lorsque le droit que le requérant cherche à protéger est un droit qui ne peut être exercé qu'immédiatement ou pas du tout, soit, d'autre part, si le résultat de la demande aura pour effet d'imposer à une partie un tel préjudice qu'il n'existe plus d'avantage possible à tirer d'un procès. Vu l'ensemble de la preuve, c'est le critère le moins exigeant qui devrait s'appliquer en l'espèce pour ce qui est de l'existence d'une question sérieuse à juger. La défenderesse n'a pas démontré que les frais que lui occasionnerait la modification de ses affiches extérieures ou de ses menus l'obligeraient à fermer ses portes ou lui nuiraient de façon appréciable sur le plan financier et d'ailleurs, son état des résultats montre bien qu'elle serait parfaitement en mesure d'assumer ces frais si une injonction interlocutoire était prononcée. Elle récupérera ces frais de la demanderesse si elle obtient gain de cause au procès. De plus, de nombreux facteurs qui ont contribué au succès du restaurant (par ex. la qualité de la cuisine et du service, l'ambiance et l'emplacement du restaurant) continueraient à jouer si elle contrainte de changer son appellation commerciale en attendant le procès. La demanderesse a soulevé plusieurs questions sérieuses à juger en ce qui concerne la protection à accorder à ses droits de propriété sur sa marque de commerce «Tommy Bahama» au Canada, qu'elle soit déposée ou non. Dans le cas des restaurants, l'étendue de la protection dépend de l'étendue de sa réputation au Canada et des éléments de preuve qui seront présentés au sujet des risques de confusion. La demanderesse a démontré qu'il existe un risque de confusion, suivant les affidavits souscrits par des personnes qui ont acheté des vêtements «Tommy Bahama» ou ont visité des restaurants «Tommy Bahama» aux États-Unis et qui ont associé le restaurant «Tommy Bahamas Grill» de Victoria à «Tommy Bahama».
Un préjudice irréparable est un préjudice pour lequel les dommages-intérêts que l'on pourrait obtenir en justice ne constitueraient pas une réparation suffisante. Dans l'arrêt Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de Hockey, la Cour d'appel fédérale a statué que la preuve doit être claire et ne pas tenir de la conjecture. La preuve démontre que la marque «Tommy Bahama» possède une certaine image de marque (sa capacité d'identifier de façon distincte et unique les produits et les services de restauration de la demanderesse et de représenter un élément de valeur) ou un certain achalandage et une certaine réputation au sein du groupe cible des acheteurs des classes supérieures et que cette image, cet achalandage ou cette réputation pourraient subir un préjudice irréparable si la preuve versée au dossier permettait de conclure à l'existence d'un préjudice qui ne pourrait être réparé. La demanderesse affirme qu'elle a fait la preuve qu'elle subirait un préjudice irréparable en établissant: 1) que les consommateurs seront amenés à tort à associer le restaurant de la défenderesse à «Tommy Bahama» et qu'ils ne pourront plus avoir la certitude que les produits et les services associées à «Tommy Bahama» proviennent bel et bien de la demanderesse (atteinte au caractère distinctif); 2) qu'un dommage sera causé à la marque «Tommy Bahama» en raison de la qualité inférieure du restaurant de la défenderesse; 3) que la demanderesse perdra tout contrôle sur la portée, la nature et la qualité des messages communiqués au public au sujet de la marque «Tommy Bahama» qui évoque un style de vie; 4) que cette perte de contrôle aura des effets préjudiciables sur les partenaires commerciaux canadiens de la demanderesse. La défenderesse a répliqué en affirmant que la preuve de préjudice irréparable n'était pas corroborée et qu'elle ne reposait sur aucun des éléments de preuve versés au dossier. À son avis, aucun des éléments de preuve ne permettait de conclure que ses activités avaient porté atteinte à la réputation de la marque «Tommy Bahama» et il n'y avait aucun élément de preuve qui permettait de croire que quelqu'un a ou aurait cessé de faire affaire avec la demanderesse. La preuve de la demanderesse ne satisfait pas au critère posé dans l'arrêt Centre Ice. Lorsque la présente affaire a été instruite, le restaurant de la défenderesse exerçait ses activités depuis plusieurs mois, mais, il n'a pas été démontré que la demanderesse a perdu une seule vente de vêtements «Tommy Bahama» ou un seul client dans ses restaurants. Bien que la demanderesse ne possède plus l'exclusivité sur sa marque, rien ne permet de penser que cette perte de contrôle sur le concept de sa marque a eu des répercussions négatives. La demanderesse et son distributeur exclusif poursuivent l'expansion de leurs magasins de vêtements de mode «Tommy Bahama». La preuve ne permet pas de conclure qu'on a porté atteinte à la réputation de la marque «Tommy Bahama». La demanderesse n'a pas prouvé que les activités de la défenderesse lui causeraient un préjudice qui justifierait le prononcé d'une injonction interlocutoire. Qui plus est, il n'y a aucun élément de preuve concret que le préjudice reproché ne peut être réparé au moyen de dommages-intérêts parce qu'il ne peut être évalué. Compte tenu de son actif et de son passif et de son état des résultats, la défenderesse est en mesure de payer les dommages-intérêts auxquels elle pourrait être condamnée.
Compte tenu de la conclusion tirée au sujet du préjudice irréparable, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de la prépondérance des inconvénients.
lois et règlements |
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 7b), c), 19 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60), 20 (mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 196), 22. |
jurisprudence |
décisions appliquées: |
RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 54 C.P.R. (3d) 114; 164 N.R. 1; 60 Q.A.C. 241; Movel Restaurants Ltd. c. E.A.T. At Le Marché Inc. (1994), 59 C.P.R. (3d) 73; 89 F.T.R. 72 (C.F. 1re inst.); 688863 Ontario Ltd. c. Landover Enterprises Inc. (1991), 35 C.P.R. (3d) 399; 45 F.T.R. 75 (C.F. 1re inst.); Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de Hockey (1994), 53 C.P.R. (3d) 50; 166 N.R. 44 (C.A.F.); A. Lassonde Inc. c. Island Oasis Canada Inc. (2000), 5 C.P.R. (4th) 165 (C.F. 1re inst.); conf. [2001] 2 C.F. 568 (C.A.); Clairol International Corp. et al. v. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al., [1968] 2 R.C.É. 552; (1968), 55 C.P.R. 176; Trego et al. v. Hunt, [1896] A.C. 7; Effem Foods Ltd. c. H.J. Heinz Co. of Canada (1997), 75 C.P.R. (3d) 331 (C.F. 1re inst.). |
distinction faite d'avec: |
Imax Corp. c. Showmax, Inc., (2000), 5 C.P.R. (4th) 81, 182 F.T.R. 180 (C.F. 1re inst.). |
décisions examinées: |
Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129; 126 N.R. 114 (C.A.F.); Nature Co. c. Sci-Tech Educational Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 359; 141 N.R. 363 (C.A.F.). |
décision citée: |
Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer, [1996] 2 C.F. 694; (1996), 66 C.P.R. (3d) 453; 109 F.T.R. 185 (1re inst.); conf. par (1998), 79 C.P.R. (3d) 45; 223 N.R. 114 (C.A.F.). |
DEMANDE d'injonction interlocutoire présentée en attendant l'instruction d'une action en contrefaçon et en imitation frauduleuse d'une marque de commerce en vue d'interdire à la défenderesse d'utiliser la marque de commerce «Tommy Bahamas Grill» en liaison avec le restaurant que la demanderesse exploite à Victoria, en Colombie-Britannique, et de contrefaire la marque de commerce déposée «Tommy Bahama» de la demanderesse. Demande rejetée au motif que la demanderesse n'a pas démontré qu'elle subirait un préjudice irréparable.
ont comparu: |
Christopher J. Pibus, Peter W. Choe et Kevin J. Sartorio pour la demanderesse. |
Gregory N. Harney pour la défenderesse. |
avocats inscrits au dossier: |
Gowling Lafleur Henderson LLP, Toronto, pour la demanderesse. |
Shields, Harney, Vancouver, pour la défenderesse. |
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
[1]Le juge Lemieux: La demanderesse, Viewpoint International, Inc. (Viewpoint), sollicite, en attendant l'instruction de son action en contrefaçon et en imitation frauduleuse de sa marque de commerce, une injonction interlocutoire interdisant à la défenderesse, On Par Enterprises Inc. (On Par), d'utiliser la marque de commerce ou le nom commercial «Tommy Bahamas Grill» en liaison avec le restaurant qu'elle exploite à Victoria, en Colombie-Britannique, et de contrefaire sa marque de commerce déposée «Tommy Bahama».
[2]Viewpoint n'essaie pas de faire interdire provisoirement à On Par d'employer le nom «Tommy», mais plutôt la combinaison de ce mot avec «Bahama». De plus, Viewpoint ne sollicite pas une interdiction immédiate; le changement pourrait se produire dans un délai de 30 jours.
CONTEXTE
[3]Viewpoint est le propriétaire enregistré, tant au Canada qu'aux États-Unis, de la marque de commerce «Tommy Bahama». Aux États-Unis, l'enregistrement a été obtenu en 1993 (la date de première utilisation remonte à mars 1993), en liaison avec des vêtements de mode et, en 1999, en liaison avec des restaurants (avec une date de première utilisation remontant à février 1996). La marque de commerce a également été enregistrée en liaison avec des articles spécifiques tels que des sacs de golf, des coffres de voyage, des sacs de sport, etc.
[4]Au Canada, l'enregistrement de Viewpoint remonte à février 1999 et le dépôt de la demande d'enregistrement à mai 1993. Pour le moment, les marchandises en liaison avec lesquelles la marque de commerce canadienne est enregistrée se limitent à des vêtements et à des accessoires. Elles ne comprennent pas de restaurants. On m'a informé que Viewpoint a déposé une demande d'enregistrement de marque de commerce pour des restaurants mais que cette demande n'a pas encore été annoncée.
[5]Le nom de «Tommy Bahama» ne correspond pas à une personne vivante. Il s'agit d'un personnage fictif créé comme outil de commercialisation pour atteindre une clientèle raffinée qui aspire à un certain style de vie que le nom «Tommy Bahama» évoque, c'est-à-dire la richesse et la détente associées à la vie sur une île tropicale.
[6]Aux États-Unis, Viewpoint exploite des magasins de vente au détail «Tommy Bahama» et distribue sa ligne de vêtements dans des magasins de vente au détail et des grands magasins haut de gamme.
[7]Aux États-Unis, à partir de 1996, Viewpoint a élargi ses activités en ouvrant des cafés et magasins «Tommy Bahama» où le client peut, au même endroit, manger et faire ses emplettes. Il existe quatre restaurants-magasins de ce genre aux États-Unis dans les villes de villégiature de Palm Desert et de Newport Beach, en Californie, et de Sarasota et de Naples, en Floride.
[8]Au Canada, il n'y a pas de restaurant-magasin «Tommy Bahama» ou de magasin autonome de vente au détail de vêtements «Tommy Bahama». Viewpoint a plutôt un licencié/distributeur, Jaytex Canada Ltd., qui vend des vêtements pour hommes et qui a l'option de distribuer aussi des vêtements pour dames.
[9]Au Canada, les vêtements de marque «Tommy Bahama» sont vendus dans 200 boutiques de vêtements haut de gamme et dans 23 grands magasins. Certains de ces magasins se trouvent à Victoria (Colombie-Britannique). À l'automne 2000, sept boutiques concept «Tommy Bahama» ont été ouvertes dans des grands magasins Eaton dont le Centre Eaton de Victoria. Les frais de construction et d'aménagement des sept boutiques concept au Canada sont évalués à environ 230 000 $. Des travaux d'agrandissement de la boutique «Tommy Bahama» du Centre Eaton de Victoria sont prévus pour l'été 2001. On devrait y ajouter une boutique concept «Tommy Bahama» pour femmes. Les coûts prévus de ces travaux d'agrandissement pour Jaytex se chiffrent à environ 175 000 $.
[10]Dans l'affidavit qu'elle a déposé à l'appui de sa requête en injonction, Viewpoint déclare qu'elle prévoit ouvrir avec Jaytex à compter de 2002 de quatre à huit restaurants-magasins «Tommy Bahama» authentiques un peu partout au Canada, notamment en Colombie-Britannique.
[11]Aux États-Unis, depuis 1996, les restaurants «Tommy Bahama» ont généré un chiffre d'affaires de plus de 42 000 000 $US et la vente au détail des vêtements et produits «Tommy Bahama» dépasse 388 000 000 $US aux États-Unis.
[12]Au cours de la même période, au Canada, le chiffre des ventes des vêtements a dépassé 6 000 000 $ et s'élèverait présentement à 4 200 000 $ par année et le nombre de produits vendus se chiffrerait à 130 000 articles sur une période de six mois. Viewpoint affirme qu'au cours des deux dernières années, son chiffre d'affaires au Canada a connu une hausse spectaculaire.
[13]Depuis 1994, Viewpoint a consacré 270 000 $ à de la publicité directe pour sa ligne de vêtements au Canada. Jaytex a dépensé 94 000 $ en l'an 2000 pour son matériel de promotion sur les lieux de vente et plus de 15 000 $ pour de la publicité dans le magazine Harry's.
[14]Viewpoint affirme qu'elle a réussi à faire de sa marque de commerce «Tommy Bahama» une marque de grande valeur. Le personnage fictif «Tommy Bahama» symbolise un certain train de vie évoquant une personne riche qui mène une vie oisive et facile et à qui sa fortune permet d'acheter des objets de luxe et de se prélasser sur des plages où la vie ressemble à des vacances perpétuelles. Les vêtements et les restaurants «Tommy Bahama» illustrent des thèmes tropicaux avec le logo d'un palmier. Viewpoint affirme que ses restaurants aux États-Unis servent une cuisine fine.
[15]La défenderesse On Par a commencé à exploiter un restaurant à Victoria le 7 juillet 2000 sous le nom «Tommy Bahamas Grill» et a appris à peu près au même moment l'enregistrement par Viewpoint de sa marque de commerce «Tommy Bahama» au Canada. Cette marque illustre également un thème tropical et comporte ce que certains clients qualifient de logo de palmier. Certains plats figurant sur le menu seraient identiques ou similaires à ceux qui sont offerts dans les restaurants «Tommy Bahama».
[16]M. Gray Knight, un des dirigeants d'On Par, a reconnu en contre-interrogatoire qu'à la fin de juillet 2000, il a téléphoné au président de Viewpoint, M. Anthony Margolis, [traduction] «pour en savoir un peu plus. Je me disais qu'on pouvait peut-être faire des affaires». Dans son affidavit, M. Margolis affirme qu'au cours de cet appel téléphonique, M. Knight s'est informé au sujet d'une licence portant sur de l'équipement pour le golf.
[17]Le 12 septembre 2000, Viewpoint a introduit devant notre Cour une action dans laquelle elle accusait la défenderesse de contrefaçon de sa marque de commerce déposée (articles 19 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60], 20 [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 196] et 22 de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13]) et d'imitation frauduleuse (alinéas 7b) et c) de la Loi sur les marques de commerce). On Par a présenté une défense mais n'a pas déposé de demande reconventionnelle pour contester la validité de la marque déposée «Tommy Bahama».
[18]On Par déclare ce qui suit dans sa défense:
1) La marque de commerce «Tommy Bahama» enregistrée au Canada se limite à l'utilisation des mots «Tommy Bahama» en liaison avec des vêtements et des accessoires et Viewpoint ne possède pas au Canada de magasins de vente au détail combinés à un concept de restauration;
2) Viewpoint ne possède aucune protection de propriété intellectuelle ou de protection exclusive du nom «Tommy Bahama» au Canada en ce qui concerne l'exploitation d'un restaurant;
3) La marque de commerce «Tommy Bahama» n'est pas bien connue au Canada, notamment dans l'Ouest canadien;
4) On Par exploite un restaurant sous le nom distinct de «Tommy Bahamas Grill» et ses services sont distincts de ceux qu'offre Viewpoint;
5) Le nom du restaurant d'On Par ne crée pas de confusion avec l'utilisation antérieure que Viewpoint a faite de la marque de commerce «Tommy Bahama» au Canada, étant donné que le nom «Tommy Bahama» n'est nullement associé au Canada à l'exploitation de services de restauration. Le nom «Tommy Bahama» n'est aucunement distinctif ou bien connu au Canada et On Par n'utilise pas ce nom en liaison avec des marchandises identiques ou similaires, étant donné qu'elle n'est nullement présente dans l'industrie de la vente de vêtements au détail et qu'elle n'y participe pas.
[19]Aucune des personnes--et compris les experts--qui ont souscrit les volumineux affidavits qui ont été versés au dossier n'a été contre-interrogée au sujet de son affidavit, à l'exception de Gray Knight, un des dirigeants de la défenderesse On Par.
ANALYSE
[20]Le critère à trois volets auquel il faut satisfaire pour pouvoir obtenir une injonction interlocutoire est bien connu. Il a été exposé dans l'arrêt RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Je vais examiner chaque volet à tour de rôle.
1) Question sérieuse à juger |
[21]Une question préliminaire a été soulevée, en l'occurrence celle de savoir quel critère devrait s'appliquer pour déterminer si Viewpoint a établi l'existence d'une question sérieuse à juger en l'espèce. Ainsi, la demanderesse doit-elle établir une forte apparence de droit ou bien le critère applicable est-il moins exigeant et suffit-il pour la demanderesse de convaincre le tribunal que sa cause est défendable, c'est-à-dire que sa demande n'est ni futile ni vexatoire?
[22]Cette question a été soulevée parce qu'il existe deux exceptions à la règle générale selon laquelle le juge ne devrait pas procéder à un examen approfondi du fond pour décider s'il existe une question sérieuse à juger. Les juges Sopinka et Cory déclarent à la page 338 de l'arrêt RJR--MacDonald Inc., précité:
La première est le cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l'action. Ce sera le cas, d'une part, si le droit que le requérant cherche à protéger est un droit qui ne peut être exercé qu'immédiatement ou pas du tout, ou, d'autre part, si le résultat de la demande aura pour effet d'imposer à une partie un tel préjudice qu'il n'existe plus d'avantage possible à tirer d'un procès.
[23]L'avocat de Viewpoint m'a cité la décision du juge Reed dans l'affaire Movel Restaurants Ltd. c. E.A.T. At Le Marché Inc. (1994), 59 C.P.R. (3d) 73 (C.F. 1re inst.), à l'appui de son argument que c'est le critère le moins exigeant qui devrait s'appliquer.
[24]Pour accorder l'injonction interlocutoire sollicitée, voici ce que le juge Reed a déclaré à ce sujet, à la page 76:
Bien que l'avocat de la défenderesse ait soutenu le contraire, il ne s'agit pas en l'espèce d'une affaire dans laquelle l'octroi d'une injonction interlocutoire réglerait le litige entre les parties. Dans l'affaire Duomo Inc. c. Giftcraft Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d) 165 [. . .], on a statué que, dans un cas pareil, le demandeur doit établir une forte apparence de droit pour obtenir une injonction. Dans la présente espèce, si une injonction est accordée et que la défenderesse obtient gain de cause au procès, elle pourrait recommencer à employer les mots Le Marché, au détriment des demanderesses. Il ne s'agit pas d'une situation dans laquelle il est nécessaire d'établir une forte apparence de droit pour justifier l'octroi d'une injonction.
[25]L'avocat de Viewpoint m'a également cité la décision du juge Walsh dans l'affaire Lone Star Café, répertoriée sous l'intitulé 688863 Ontario Ltd. c. Landover Enterprises Inc. (1991), 35 C.P.R. (3d) 399 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge a accordé une injonction interlocutoire et a retenu le critère le moins exigeant en ce qui concerne l'existence d'une question sérieuse à juger.
[26]Je suis convaincu, vu l'ensemble de la preuve qui m'a été soumise, que c'est le critère le moins exigeant qui devrait s'appliquer en l'espèce pour ce qui est de l'existence d'une question sérieuse à juger.
[27]La défenderesse n'a pas démontré que les frais que lui occasionnerait la modification de ses affiches extérieures ou de ses menus l'obligeraient à fermer ses portes ou lui nuiraient de façon appréciable sur le plan financier. D'ailleurs, son état des résultats montre bien qu'elle serait parfaitement en mesure d'assumer ces frais si une injonction interlocutoire était prononcée. Elle récupérera ces frais de la demanderesse si elle obtient gain de cause au procès. De plus, lors de son contre-interrogatoire, M. Knight a reconnu que de nombreux facteurs qui expliquaient le succès de son restaurant continueraient à jouer s'il était contraint de changer son appellation commerciale en attendant le procès. Les facteurs qui continueraient à exister sont les suivants: la qualité de la cuisine et du service, l'apparence et l'ambiance du restaurant, l'emplacement du restaurant et les spectacles et activités de promotion qui attirent sa clientèle comme «Comedy Night», «Mystery Night» et «Thirsty Thursday».
[28]Je suis convaincu que Viewpoint a soulevé plusieurs questions sérieuses à juger en ce qui concerne la protection à accorder à ses droits de propriété sur sa marque de commerce «Tommy Bahama» au Canada, qu'elle soit déposée (dans le cas des vêtements) ou non (dans le cas des restaurants).
[29]Dans le cas des restaurants, l'étendue de la protection dépend de l'étendue de sa réputation au Canada (voir, par exemple, le jugement Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer, [1996] 2 C.F. 694 (1re inst.), confirmé en appel (1998), 79 C.P.R. (3d) 45 (C.A.F.)) et des éléments de preuve qui seront présentés au sujet des risques de confusion.
[30]Il n'est pas nécessaire que je m'attarde longuement sur les affidavits qui ont été produits pour démonter qu'il existe effectivement une confusion du fait de l'association que font certaines personnes entre les services de la défenderesse et les marchandises ou les services de la demanderesse lorsqu'elles voient le nom «Tommy Bahamas Grill» . Je suis convaincu que Viewpoint a démontré qu'il existe un risque de confusion. Les personnes qui ont souscrit des affidavits pour le compte de Viewpoint ont acheté des vêtements «Tommy Bahama» ou ont visité des restaurants-magasins «Tommy Bahama» aux États-Unis. Ils ont déclaré avoir vu le restaurant «Tommy Bahamas Grill» à Victoria ou avoir examiné des photographies. Ils ont associé le restaurant d'On Par à «Tommy Bahama».
[31]L'avocat de la défenderesse a reconnu qu'il y avait effectivement certains éléments de preuve tendant à démontrer l'existence d'un risque de confusion, mais il a fait valoir que ces éléments de preuve étaient très faibles et qu'ils ne permettaient pas de conclure à l'existence d'un préjudice irréparable.
2) Préjudice irréparable |
(i) La jurisprudence |
[32]Dans l'arrêt Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de Hockey (1994), 53 C.P.R. (3d) 50 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale s'est longuement attardée sur la question des éléments exigés pour trancher la question du préjudice irréparable, que l'on définit comme le préjudice pour lequel les dommages-intérêts que l'on pourrait obtenir en justice ne constitueraient pas une réparation suffisante. Ces éléments de preuve doivent être clairs et ne pas tenir de la conjecture. La Cour d'appel fédérale a récemment repris le même critère dans l'arrêt A. Lassonde Inc. c. Island Oasis Canada Inc., [2001] 2 C.F. 568 (C.A.).
[33]Dans l'arrêt Centre Ice, précité, le juge Heald a cité l'arrêt Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), à la page 135, comme exemple d'une affaire dans laquelle la Cour d'appel fédérale avait statué que la conclusion du juge de première instance suivant laquelle la demanderesse subirait probablement un préjudice irréparable n'était pas suffisante pour justifier l'octroi d'une injonction interlocutoire, étant donné que l'emploi d'un terme aussi approximatif que «probablement» comme élément de preuve tendant à démontrer l'existence d'un préjudice irréparable était insuffisant, compte tenu de la jurisprudence antérieure de la Cour. Le juge Heald a conclu qu'il était nécessaire que «la preuve permette de conclure que le requérant subirait un préjudice irréparable».
[34]Dans l'arrêt Centre Ice, précité, le juge Heald a également cité l'arrêt Nature Co. c. Sci-Tech Educational Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 359 (C.A.F.), à la page 367, comme exemple d'une affaire dans laquelle la Cour avait rejeté une requête en injonction interlocutoire parce que «la preuve n'établissait pas catégoriquement qu'un tel préjudice [irréparable] serait infligé à l'intimée».
[35]Dans l'arrêt Centre Ice, précité, le juge Heald a statué qu'au vu de la preuve, il était raisonnablement loisible au juge de première instance de conclure que l'emploi du nom commercial «Centre Ice» par l'appelante créerait de la confusion au sein du public.
[36]À la page 53, le juge Heald s'est toutefois dissocié de la conclusion suivante du juge de première instance:
Une partie de la preuve démontre également que cette confusion a provoqué du mécontentement chez certains membres du public déçus d'apprendre que la demanderesse ne gardait pas en stock les produits annoncés par les défenderesses. Il est donc possible de conclure, de façon raisonnable, que le fait de permettre aux défenderesses de continuer à utiliser le nom commercial «Centre Ice» causera de la confusion entre les produits des parties en litige et une perte d'achalandage pour laquelle la demanderesse ne pourrait être indemnisée par des dommages-intérêts. |
[37]Pour écarter les conclusions du juge de première instance sur ce point, le juge Heald écrit ce qui suit, à la page 53:
Je suis incapable de conclure qu'une conclusion de confusion entre des produits concurrents entraîne nécessairement une perte d'achalandage pour laquelle la demanderesse ne pourrait être indemnisée par des dommages-intérêts. Une question analogue a été examinée par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'affaire Petro-Canada Inc. c. Good Neighbour Fast Food Stores Ltd. (1987), 18 C.P.R. (3d) 63 [. . .] le juge d'appel Kerans a déclaré, au nom de la Cour:
Le présent procès semble être une poursuite en passing off, et la première catégorie de préjudice reproché est la diminution d'achalandage qui découlerait de la confusion créée entre les noms dans l'esprit de personnes raisonnables. Il y a, dans les pièces produites par le requérant, des éléments de preuve qui indiquent qu'il était raisonnable qu'il allègue l'existence d'une confusion. Ce genre de confusion mène, ainsi que nous l'avons dit dans d'autres litiges, à une perte d'achalandage liée au «nom». Normalement, cette perte constitue un type de préjudice qui, lorsqu'il a été subi par une entreprise commerciale dans le cours normal de ses affaires, est assez facilement calculable et pour lequel on peut être équitablement indemnisé par des dommages-intérêts. |
[38]Il a tiré la conclusion suivante à la page 53:
Sur le fondement de cette décision, que je trouve persuasive même si l'on démontrait qu'il y a eu perte d'achalandage en raison de l'emploi d'une marque créant de la confusion, on n'aurait pas établi l'existence d'un préjudice irréparable parce que celui qui subirait une telle perte pourrait en être équitablement indemnisé par des dommages-intérêts. Toutefois, compte tenu du présent dossier, je ne puis conclure qu'on a établi l'existence d'une perte d'achalandage. L'intimée n'a pas présenté d'éléments de preuve pour démontrer qu'elle avait perdu une seule vente par suite des activités des appelantes. L'intimée a produit de nombreux affidavits pour démontrer qu'elle avait acquis une réputation d'honnêteté, d'intégrité et de justice. Cependant, aucun des éléments de preuve n'établit que cette réputation a été compromise ou diminuée de quelque façon que ce soit en raison des agissements des appelantes. Bien que le dossier contienne certains éléments de preuve tendant à établir qu'il y a eu confusion, il n'y a pas d'élément de preuve spécifique qui démontre que cette confusion a amené un seul consommateur à arrêter de faire affaire avec l'intimée ou même à envisager de ne pas faire affaire avec l'intimée à l'avenir. [Non souligné dans l'original.]
[39]Il a ensuite cité l'affidavit d'un des dirigeants et administrateurs de l'intimée qui avait déclaré: [traduction] «J'estime que Centre Ice subira un préjudice irréparable si la L.N.H. n'est pas empêchée d'utiliser le nom "Centre Ice" là où Centre Ice exerce ses activités en Alberta».
[40]Voici ce que le juge Heald a dit au sujet de cette déclaration, aux pages 53 et 54:
Cette affirmation soulève un problème. Elle semble en effet ne s'appuyer sur aucun élément de preuve qui permette de conclure que cette confusion entraînera une perte d'achalandage et une perte de caractère distinctif. Dans son affidavit, M. Jones fait allusion à une confusion créée au sein du marché. Cependant, il ne mentionne nulle part--et encore moins ne démontre--que les activités des appelantes ont entraîné une perte d'achalandage. Il semble que l'allégation de préjudice irréparable au paragraphe 49 ne soit appuyée que par la confusion dont l'existence a été établie par la preuve. On ne peut inférer ou supposer qu'il y a nécessairement préjudice irréparable dès que l'on démontre l'existence d'une confusion. En conséquence, le juge des requêtes a commis une erreur en fondant sa conclusion de préjudice irréparable sur cet extrait de l'affidavit de M. Jones. Dans le même ordre d'idées, j'estime que le juge des requêtes a commis une erreur dans le passage précité lorsqu'il s'est en fait fondé sur le fait que l'existence d'une confusion avait été établie pour inférer que l'intimée avait subi une perte d'achalandage pour laquelle elle ne pouvait être indemnisée par des dommages-intérêts. Cette façon d'envisager la question va à l'encontre de la jurisprudence de notre Cour suivant laquelle la confusion ne donne pas, en soi, lieu à une perte d'achalandage et qu'une perte d'achalandage n'établit pas, en soi, que quelqu'un a subi un préjudice irréparable pour lequel il ne peut être indemnisé par des dommages-intérêts. La perte d'achalandage et le préjudice irréparable qui en découle ne peuvent être inférés; ils doivent être établis par des «éléments de preuve clairs». Or, il manque de toute évidence de tels «éléments de preuve clairs» dans le présent dossier.
Dans l'affaire Nature, précitée, il y avait, comme dans le cas qui nous occupe, certains éléments de preuve tendant à démontrer l'existence d'une véritable confusion. Cependant, ces éléments de preuve ne permettaient pas de conclure que la confusion causerait un préjudice irréparable à l'intimée [. . .] La Cour s'est dite d'avis que la précarité de cet élément de preuve portait un coup fatal à la prétention relative au préjudice irréparable. À mon avis, la présente situation est identique. [Non souligné dans l'original.]
(ii) La preuve |
[41]Pour établir le préjudice irréparable, l'avocat de Viewpoint a surtout tablé sur les affidavits du président de Viewpoint, M. S. Anthony Margolis, et sur les affidavits souscrits par M. Kenneth R. Deal, directeur du marketing, des politiques de l'entreprise et du commerce international à la Michael G. DeGrootte School of Business de l'université McMaster et président de Marketing Decision Research Inc., une société d'étude de marché. Aucun des deux déclarants n'a été contre-interrogé au sujet de son affidavit. Chacun a déposé deux affidavits: le premier pour appuyer la thèse de la demanderesse et le second pour répondre aux affidavits de la défenderesse.
[42]Dans son affidavit, M. Margolis affirme que Viewpoint est en ce moment particulièrement vulnérable face à l'utilisation par On Par du nom «Tommy Bahamas Grill» en liaison avec un restaurant et qu'elle subira un préjudice irréparable si l'on permet à On Par de continuer à utiliser ainsi la marque de conmmerce «Tommy Bahama».
[43]M. Margolis déclare que Viewpoint s'inquiète en particulier du fait que le restaurant de la défenderesse sera le premier à exercer ses activités sous le nom de «Tommy Bahama» au Canada et affirme que [traduction] «notre réputation est entièrement entre les mains de la défenderesse, et la qualité des prestations de celle-ci échappe entièrement à notre volonté». Il souligne qu'On Par a choisi d'ouvrir son restaurant dans un endroit touristique et soutient que la ville de Victoria est extrêmement populaire auprès des touristes, de sorte qu'un grand nombre de personnes seront exposées aux activités d'On Par, ce qui augmente considérablement les risques d'atteinte à sa réputation dont Viewpoint est susceptible d'être victime.
[44]M. Margolis poursuit en affirmant que le «Tommy Bahamas Grill» [traduction] «offre une qualité de cuisine et un décor qui sont inférieurs à ceux d'un authentique restaurant "Tommy Bahama"» et souligne que Viewpoint s'est évertuée à s'assurer que la qualité de ses services réponde à ses critères rigoureux. Il déclare que le fait que la défenderesse ne respecte pas la plupart de ces normes cause à la marque «Tommy Bahama» un préjudice qui ne pourrait être réparé par de l'argent. Il ajoute: [traduction] «À cause des différences qui existent entre un authentique restaurant "Tommy Bahama" et le "Tommy Bahamas Grill" en ce qui concerne la cuisine et le décor, les clients éventuels d'un authentique restaurant "Tommy Bahama" qui dînent en premier lieu au "Tommy Bahamas Grill" seront déçus et risquent de ne jamais revenir dans nos restaurants». Il déclare également: [traduction] «Un nombre incalculable de clients de l'authentique restaurant "Tommy Bahama" sont susceptibles de choisir de dîner au "Tommy Bahamas Grill" au lieu de se rendre dans un authentique restaurant "Tommy Bahama" en raison de la confusion créée par la similitude qui existe entre les appellations commerciales». M. Margolis déclare que la restauration se caractérise par un degré de risque élevé et par la fréquence des faillites. Il est d'avis que la nouvelle entreprise de restauration d'On Par s'expose à un «risque d'échec élevé» et que la défenderesse ne sera pas en mesure de payer les dommages-intérêts auxquels elle pourrait être condamnée au procès. Il ajoute que [traduction] «la menace d'échec et la baisse des normes de service et de cuisine représentent un scénario apocalyptique pour notre marque».
[45]Dans l'affidavit qu'il a souscrit en réponse, M. Margolis parle des activités promotionnelles d'On Par et se dit [traduction] «encore plus convaincu que le fait pour On Par de continuer à utiliser la marque "Tommy Bahama" nous cause un préjudice irréparable». Il soutient que ces activités promotionnelles envoient aux consommateurs un message qui est [traduction] «tout à fait incompatible avec notre stratégie commerciale, mais que nous sommes impuissants à empêcher à moins que l'injonction ne soit prononcée».
[46]Il affirme que les activités promotionnelles d'On Par sont du type de celles qu'on pourrait trouver dans un bar de quartier sans prétention mais [traduction] «certainement pas dans un de nos quatre restaurants "Tommy Bahama"».
[47]Je passe maintenant au témoignage de M. Deal. Pour formuler son avis, M. Deal a tenu pour avérés les faits suivants:
1) Viewpoint exploite une chaîne de restaurants aux États-Unis sous le nom de «Tommy Bahama» et est titulaire d'un enregistrement de marque de commerce correspondant aux États-Unis;
2) Viewpoint vend des vêtements sous le nom de «Tommy Bahama» au Canada et aux États-Unis;
3) Viewpoint est titulaire d'un enregistrement de marque de commerce pour la marque «Tommy Bahama» au Canada relativement à des vêtements;
4) Viewpoint a déposé au Canada une demande d'enregistrement de la marque «Tommy Bahama» pour des services de restauration;
5) «Tommy Bahama» est une marque distinctive de vêtements qui appartient à Viewpoint au Canada;
6) Plusieurs témoins ont confondu le «Tommy Bahamas Grill» qu'ils associent aux fabricants des vêtements «Tommy Bahama».
[48]Je reproduis le résumé des conclusions de M. Deal, dans lequel se trouve l'essentiel de son opinion:
[traduction] 16. En ce qui concerne la nature du préjudice qu'aurait subi Viewpoint, je suis d'avis que l'emploi de la marque TOMMY BAHAMAS GRILL porte de toute évidence atteinte à l'image de marque ou au profil de la marque TOMMY BAHAMA de Viewpoint (c'est-à-dire à la capacité de la marque TOMMY BAHAMA d'identifier de façon distincte et unique les produits et les services de restauration de Viewpoint et de représenter un élément de valeur pour Viewpoint). En raison de l'utilisation concurrente de la défenderesse, la marque TOMMY BAHAMA ne peut plus servir à identifier ou à distinguer de façon exclusive les marchandises et les services offerts par Viewpoint aussi fortement et clairement qu'avant que la défenderesse ne commence à utiliser la marque TOMMY BAHAMAS GRILL, qui crée de la confusion. Viewpoint a perdu le contrôle de sa marque de trois façons importantes: 1) elle n'a plus de contrôle sur les personnes qui communiquent avec le public sous le nom de TOMMY BAHAMA; 2) elle a perdu tout contrôle sur la qualité des messages transmis sous le nom de TOMMY BAHAMA; 3) elle a perdu tout contrôle sur la nature et la qualité des produits et des services offerts sous le nom de TOMMY BAHAMA. À mon avis, cette perte de contrôle sur la marque causera un préjudice irréparable à l'achalandage associé à la marque TOMMY BAHAMA et à la valeur de cet achalandage. Il sera impossible de calculer avec précision la valeur monétaire de ce type de dommage.
17. La nature du préjudice se manifeste également par l'interruption, le blocage ou le blocage partiel de ce qui serait autrement le rayonnement normal et démontré du concept de la marque TOMMY BAHAMA. La stratégie de marketing de Viewpoint consiste à créer une marque qui évoque un certain style de vie et qui ne se limite pas à des vêtements, mais qui vise aussi des restaurants et des meubles. Viewpoint a élargi la gamme de produits et de services qu'elle offre aux États-Unis sous la marque TOMMY BAHAMA en l'étendant à des services de restauration et à des meubles, en plus des vêtements, et elle prévoit ouvrir des restaurants au Canada. Il est impossible de calculer la valeur monétaire du préjudice causé par l'interruption qu'a subi le rayonnement de la marque.
[49]Si j'ai bien compris l'essentiel des affidavits de M. Deal, le préjudice irréparable qu'il perçoit est celui qui serait causé à l'image de marque ou au profil de la marque «Tommy Bahama», une marque qui évoque un mode de vie tropical et qui est utilisée pour vendre des vêtements, des meubles et d'autres produits haut de gamme. Il affirme que Viewpoint a lancé la marque «Tommy Bahama» avec l'intention de créer une marque évoquant un certain mode de vie et des vêtements de grande qualité comme produit de base naturel sur lequel elle pouvait asseoir sa stratégie de positionnement axée sur un mode de vie tropical.
[50]À son avis, le succès des marques qui évoquent un style de vie dépend littéralement de l'équation que la clientèle visée (les consommateurs raffinés de classe moyenne ascendante) fait entre le concept à la base de la marque «Tommy Bahama» et le style de vie qui est mis en valeur. Il ajoute que les consommateurs doivent se sentir à l'aise avec la concordance entre le mode de vie et les produits en question offerts par le commerçant, en l'occurrence des vêtements de détente de qualité et un restaurant décontracté de haute qualité.
[51]Suivant M. Deal, ces clients cibles du segment de marché haut de gamme achètent et utilisent les produits et les services «Tommy Bahama» pour se dire à eux-mêmes et à autrui [traduction] «qu'ils appartiennent à ce club exclusif qui propose un style de vie tropical. La marque de commerce "Tommy Bahama" devient la preuve qu'ils appartiennent à ce club».
[52]Selon M. Deal, lorsqu'il y a un conflit entre l'image ou le profil de la marque, le style de vie oisif et huppé des îles tropicales et la nature et la qualité des produits et des services associés à la marque de commerce, un dommage irréparable est causé, parce que les clients ou les membres du club se sentent trahis par la baisse de qualité ou l'absence de protection de leur image de marque exclusive.
[53]M. Deal examine ensuite les activités d'On Par, activités qui ont créé une confusion qui, à son avis, causera une perte d'achalandage et qui portera atteinte à l'image de marque de Viewpoint et nuira considérablement à la position commerciale de Viewpoint. Il évoque ensuite les répercussions de ces activités sur les associés des chaînes d'approvisionnement, sur les plans d'expansion de Jaytex, qui prévoyait ouvrir des restaurants, et sur les ventes et les bénéfices.
[54]M. Deal signale ensuite une autre forme de préjudice irréparable, en l'occurrence l'abus de confiance causé par l'ouverture du Tommy Bahamas Grill à Victoria--confiance que le public peut avoir que les communications portant les mots «Tommy Bahama» proviennent bel et bien de Viewpoint et désignent les produits et services haut de gamme authentiques «Tommy Bahama» qui évoquent un style de vie tropical. M. Deal affirme que cet abus de confiance d'On Par cause à la marque de commerce «Tommy Bahama» de Viewpoint un préjudice irréparable qui ne peut être calculé avec précision.
[55]Enfin, la marque subit une autre forme de préjudice par suite de l'absence de contrôle de Viewpoint sur la qualité et les services visés par la marque «Tommy Bahama». La réputation de la marque «Tommy Bahama» est maintenant entre les mains d'On Par. Cette qualité inférieure équivaut à une trahison de la marque.
[56]Dans son second affidavit, M. Deal conclut que la direction d'On Par [traduction] «semble suivre une stratégie de vente au détail qui est très fréquente dans le cas des bars de quartier et des brasseries», un type d'activité que les promoteurs de la marque «Tommy Bahama» authentique n'offriraient pas à sa clientèle cible. M. Deal affirme que l'absence de concordance et les doutes qui planeront au sujet de l'identité et du concept de la marque «Tommy Bahama» authentique causeront un préjudice irréparable à Viewpoint et à ses partenaires commerciaux.
(iii) Conclusions |
[57]Je conclus que la marque «Tommy Bahama» possède une certaine image de marque (sa capacité d'identifier de façon distincte et unique les produits et les services de restauration de Viewpoint et de représenter un élément de valeur) ou un certain achalandage et une certaine réputation au sein du groupe cible des acheteurs des classes supérieures et que cette image, cet achalandage ou cette réputation pourraient subir un préjudice irréparable si la preuve versée au dossier permettait de conclure à l'existence d'un préjudice qui ne pourrait être réparé.
[58]En droit, le concept d'achalandage est large, ainsi que le juge Thurlow l'a reconnu dans le jugement Clairol International Corp. et al. v. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al., [1968] 2 R.C.É. 552, dans lequel le juge a fait siens les propos tenus par lord MacNaghton dans l'arrêt Trego et al. v. Hunt, [1896] A.C. 7. Le juge Thurlow écrit, à la page 573:
[traduction] [. . .] l'achalandage afférent à une marque de commerce est, à mon sens, la partie de l'achalandage de l'entreprise de son propriétaire qui correspond à l'avantage que représentent la réputation et les relations que le propriétaire a pu créer au cours des années grâce à ses efforts soutenus ou aux dépenses importantes qu'il a faites et qui peut être attribué aux marchandises distribuées par le propriétaire en liaison avec la marque de commerce.
[59]Inversement, la diminution de la valeur de l'achalandage [à la page 573] [traduction] «signifie tout simplement la réduction d'une façon ou d'une autre de la valeur de l'avantage conféré par la réputation et par les relations».
[60]L'avocat de Viewpoint m'a invité à alléger le fardeau de la preuve qui a été établi dans l'arrêt Centre Ice, précité, que le juge Rothstein a, dans le jugement Effem Foods Ltd. c. H.J. Heinz Co. of Canada (1997), 75 C.P.R. (3d) 331 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 2, qualifié de «norme élevée [de preuve de préjudice irréparable] que l'on exige à cet égard». Il fait remarquer qu'On Par ne conteste pas la validité de la marque «Tommy Bahama», ce qui a pour effet de rendre la norme de la preuve moins exigeante.
[61]Dans l'arrêt A. Lassonde, précité, la même invitation a été adressée à la Cour d'appel fédérale, qui l'a déclinée. Le juge Létourneau a déclaré que la nature de la réparation demandée dans le cas d'une requête en injonction interlocutoire--la cessation de toute activité commerciale jusqu'au procès--exigeait la preuve d'un préjudice irréparable. Le juge Létourneau a réaffirmé les exigences posées dans l'arrêt Centre Ice, précité, au sujet du préjudice irréparable et a confirmé la décision du juge Reed de refuser d'accorder l'injonction demandée.
[62]Viewpoint affirme qu'elle a fait la preuve qu'elle subirait un préjudice irréparable en établissant: 1) que les consommateurs seront amenés à tort à associer le restaurant d'On Par à «Tommy Bahama» et qu'ils ne pourront plus avoir la certitude que les produits et les services associées à «Tommy Bahama» proviennent bel et bien de Viewpoint (atteinte au caractère distinctif); 2) qu'un dommage sera causé à la marque «Tommy Bahama» en raison de la qualité inférieure du restaurant d'On Par; 3) que Viewpoint perdra tout contrôle sur la portée, la nature et la qualité des messages communiqués au public au sujet de la marque «Tommy Bahama» qui évoque un style de vie; 4) que cette perte de contrôle aura des effets préjudiciables sur les partenaires commerciaux canadiens de Viewpoint.
[63]L'avocat d'On Par a répliqué en affirmant que la preuve de préjudice irréparable avancée par MM. Margolis et Deal n'est pas corroborée et qu'elle ne repose sur aucun des éléments de preuve versés au dossier. Il affirme qu'aucun des éléments de preuve ne permet de conclure que les activités d'On Par ont porté atteinte à la réputation que s'est acquise la marque «Tommy Bahama» et il ajoute qu'il n'y a aucun élément de preuve qui permette de croire que quelqu'un a ou aurait cessé de faire affaire avec Viewpoint.
[64]L'avocat d'On Par affirme que M. Margolis n'a avancé aucune preuve qui justifie son affirmation que les clients d'un restaurant «Tommy Bahama» authentique qui dînent pour la première fois au restaurant d'On Par seront déçus et qu'ils ne reviendront probablement pas chez «Tommy Bahama». Il affirme que la preuve indique le contraire et cite à l'appui les affidavits de M. et de Mme Layton. Il soutient que la preuve ne justifie pas la proposition suivant laquelle [traduction] «un nombre incalculable de clients des restaurants "Tommy Bahama" authentiques peuvent choisir de manger à Victoria au lieu de se rendre dans un restaurant "Tommy Bahama" authentique».
[65]Je souscris à l'évaluation que l'avocat d'On Par fait de la preuve de Viewpoint. Elle ne satisfait pas à la norme de la preuve établie dans l'arrêt Centre Ice, précité.
[66]Lorsque la présente affaire a été instruite, le restaurant d'On Par exerçait ses activités depuis plusieurs mois, c'est-à-dire depuis juillet 2000, bien qu'il convienne de signaler que quelques-uns de ces mois étaient des mois d'hiver. Pourtant, il n'a pas été démontré que la demanderesse a perdu des ventes de vêtements «Tommy Bahama» ou qu'il y a eu moins de clients dans ses restaurants.
[67]Il est vrai que Viewpoint ne possède plus l'exclusivité sur sa marque, mais rien ne permet de penser que cette perte de contrôle sur le concept de sa marque a eu des répercussions négatives.
[68]Viewpoint et Jaytex poursuivent l'expansion de leurs magasins de vêtements «Tommy Bahama». La boutique concept Eaton de Victoria fait l'objet de travaux d'agrandissement cet été malgré les activités d'On Par. M. Philip Nyren, un des propriétaires du magasin British Importers Men's Wear situé à Victoria à quelques rues du restaurant d'On Par, vend des vêtements «Tommy Bahama». Dans son affidavit, il n'a formulé aucune réserve au sujet des activités d'On Par.
[69]Jaytex a pour sa part exprimé ses inquiétudes au sujet de la perte de contrôle par Viewpoint de sa marque «Tommy Bahama». Toutefois, comme je l'ai déjà signalé, Viewpoint a poursuivi son expansion à Victoria après qu'On Par eut commencé ses activités.
[70]Jaytex affirme que les activités d'On Par compromettent tout le projet d'ouverture de restaurants «Tommy Bahama» au Canada. M. Margolis a déposé des plans qui prévoient l'ouverture de restaurants «Tommy Bahama» au Canada en 2002, dont un restaurant en Colombie-Britannique, bien qu'il n'ait pas précisé si ce restaurant serait situé à Victoria. L'avocat d'On Par n'a pas contre-interrogé M. Margolis au sujet de ces déclarations, mais il les a contestées en affirmant qu'il s'agissait de simples allégations non corroborées par des éléments de preuve précis portant sur des plans de développement, des négociations en vue d'obtenir des permis, etc. Je suis de son avis. Les éléments de preuve soumis par Viewpoint ne m'ont pas convaincu.
[71]Ainsi que je l'ai déjà signalé, Viewpoint a déposé plusieurs affidavits souscrits par des personnes qui affirment connaître la marque «Tommy Bahama» et qui ont établi des liens entre la marque et les activités d'On Par. C'est ce que ces déclarants n'ont pas dit qui m'intéresse le plus. Ainsi, ils n'ont pas dit qu'ils cesseraient d'acheter des vêtements «Tommy Bahama» ou de fréquenter ses restaurants. Ils n'ont pas dit qu'ils s'étaient sentis trahis à cause des activités d'On Par ou qu'ils n'avaient plus confiance en Viewpoint. Ils n'ont pas dit que le fait de voir les affiches du «Tommy Bahamas Grill» à Victoria avait porté atteinte à la marque «Tommy Bahama». Il est vrai que certains déclarants ont affirmé que le restaurant d'On Par n'était pas à la hauteur des restaurants «Tommy Bahama», mais ce fait n'a pas influencé leur appréciation de la qualité des produits et des services associés à la marque «Tommy Bahama».
[72]C'est pour ces motifs que l'avocat d'On Par a affirmé que l'avis d'expert de M. Deal ne reposait pas sur la preuve. Je crois qu'il a raison sur ce point. La preuve ne permet pas à mon sens de conclure qu'on a porté atteinte à la réputation de la marque «Tommy Bahama».
[73]L'avocat de Viewpoint m'a cité la décision rendue par le juge Teitelbaum dans l'affaire Imax Corp. c. Showmax, Inc. (2000), 5 C.P.R. (4th) 81 (C.F. 1re inst.), dans laquelle une injonction provisoire a été prononcée. L'avocat a souligné que, dans cette affaire, le témoignage de l'expert avait été accepté, notamment en ce qui concerne l'image de marque d'Imax. L'avocat de Viewpoint affirme que la preuve soumise dans cette affaire est identique à celle qui a été produite en l'espèce.
[74]Il ressort d'un examen de la décision du juge Teitelbaum que les éléments de preuve qui avaient été portés à la connaissance de ce dernier étaient très différents de ceux qu'on m'a soumis. Dans cette affaire, les parties se partageaient un marché identique et Showmax employait la marque Imax pour promouvoir ses services. J'aurais été disposé à accepter le témoignage de M. Deal s'il avait été corroboré. Or, il ne l'est pas.
[75]Qui plus est, dans l'arrêt A. Lassonde, le juge Létourneau a placé l'affaire Imax dans la catégorie spéciale des injonctions quia timet. Or, ce n'est pas le cas en l'espèce.
[76]À mon avis, Viewpoint n'a pas prouvé que les activités d'On Par lui causeraient un préjudice qui justifierait le prononcé d'une injonction interlocutoire. Qui plus est, il n'y a aucun élément de preuve concret que le préjudice reproché ne peut être réparé au moyen de dommages-intérêts parce qu'il ne peut être évalué. Je cite de nouveau les propos que le juge Rothstein a tenus à cet égard dans le jugement Effem Foods, précité, lorsqu'il a écrit [au paragraphe 7]:
Des intervenants aussi avertis du marché que les présentes parties au litige devraient, en matière de préjudice, être en mesure de fournir à la Cour des éléments de preuve fondés sur l'expérience tirée du passé ainsi qu'une analyse mathématique ou statistique des circonstances attestant que le préjudice ne peut être raisonnablement calculé, de façon que la Cour puisse déterminer avec un certain degré de certitude que le genre de préjudice allégué se produirait en effet et qu'il ne peut être évalué.
[77]La capacité d'On Par de payer les dommages-intérêts auxquels elle pourrait être condamnée si Viewpoint obtient gain de cause au procès a également été soulevée. Compte tenu du dossier, de l'actif et du passif d'On Par et de son état des résultats, On Par semble être en mesure de payer cette somme.
[78]Pour résumer, je suis d'avis que la preuve soumise par Viewpoint souffre des mêmes lacunes que celles que le juge McGillis a relevées dans l'arrêt A. Lassonde Inc. c. Island Oasis Canada Inc. (2000), 5 C.P.R. (4th) 165 (C.F. 1re inst.), et que la Cour d'appel fédérale a également signalées dans cette affaire.
[79]Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de la prépondérance des inconvénients.
DISPOSITIF
[80]Pour ces motifs, la présente demande d'injonction interlocutoire est rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse quelle que soit l'issue de la cause.