[2001] 3 C.F. 552
A-775-98
2001 CAF 145
Société canadienne des pneus Michelin Ltée (appelante)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
Répertorié : Société canadienne des pneus Michelin Ltée c. Canada (C.A.)
Cour d’appel, juges Rothstein, Evans et Malone, J.C.A.—Toronto, 29 mars; Ottawa, 7 mai 2001.
Pratique — Prescription — La contribuable cherchait à recouvrer le montant de taxe de vente fédérale payé en trop au cours de la période 1983-1984 — Revenu Canada a refusé cette demande au motif que l’art. 44(7.1) de la Loi sur la taxe d’accise interdit le remboursement de paiements en trop remontant à plus de quatre ans — Les paiements en trop ont été faits plus de six ans avant que la contribuable n’intente son action en restitution — Ils sont assujettis au délai de prescription de six ans applicable aux actions intentées contre l’État fédéral en vertu de l’art. 39 de la Loi sur la Cour fédérale et de l’art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif — La contribuable doit prouver les faits requis pour repousser le point de départ du délai de prescription.
Douanes et accise — Loi sur la taxe d’accise — La contribuable réclamait le remboursement de montants de taxe de vente fédérale payés en trop sur le fondement de l’enrichissement sans cause — La C.F. 1re inst. a rejeté la demande au motif que les paiements en trop sont assujettis au délai de prescription de quatre ans prescrit par l’art. 44(7.1) de la Loi sur la taxe d’accise — L’appel a été tranché sur le fondement du délai de prescription de six ans prévu à l’art. 39 de la Loi sur la Cour fédérale et à l’art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif — Le délai commençait à courir à la date du paiement en trop — Aucun élément de preuve n’a démontré que la contribuable n’est pas à blâmer pour ne pas avoir découvert le paiement en trop.
Fiducies — Revenu Canada avait rejeté la demande de remboursement de certains montants de taxe de vente payés en trop — La contribuable a intenté une action en enrichissement sans cause sur le fondement de l’existence d’une fiducie par interprétation — Seule la demande présentée par la contribuable sur le fondement de la fiducie par interprétation en tant que réparation permettant le recouvrement des paiements faits par erreur constitue une demande de réparation en equity — La fiducie par interprétation est liée aux éléments d’actif particuliers du défendeur qui constituent l’enrichissement — Il ne s’agit pas d’une charge grevant l’actif général du défendeur pour le montant de la réclamation du demandeur — La fiducie par interprétation ne s’est pas départie de toutes les restrictions découlant de son caractère lié à la propriété — Il est encore nécessaire de retracer l’origine de la somme d’argent en question pour déterminer s’il peut y avoir fiducie par interprétation — Comme la contribuable n’a fourni aucun élément de preuve indiquant que ses paiements en trop pouvaient être retracés, elle ne pouvait pas solliciter la réparation de la fiducie par interprétation.
Restitution — La contribuable réclamait la restitution de paiements de taxe de vente fédérale faits en trop — Demande irrecevable en raison de l’expiration du délai de prescription de six ans — Les demandes de restitution ne relèvent pas toutes de l’equity — Les paiements faits par erreur peuvent être recouvrés au moyen de l’action de common law en recouvrement de deniers reçus au profit du demandeur — La règle de la possibilité de découvrir le dommage s’applique aux demandes de restitution de deniers versés par erreur de fait — Absence d’élément de preuve démontrant que la contribuable n’a pas découvert les faits sur lesquels sa cause d’action est fondée en dépit de la diligence raisonnable qu’elle a exercée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 266, art. 3(4), 14(2).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 39(2).
Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), art. 32 (mod. idem, art. 31).
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15.
Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1970, ch. E-13, art. 44(1)a),c), (7.1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 15).
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE :
Forest Oil Corp. c. Canada, [1997] 1 C.F. 624 (1996), 126 F.T.R. 119 (1re inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Canadian Marconi Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 655 (1991), 85 D.L.R. (4th) 670; [1991] 2 C.T.C. 352; 91 DTC 5626; 137 N.R. 15 (C.A.); Chase Manhattan Bank N.A. v. Israel-British Bank (London) Ltd., [1981] Ch. 105; Federated Co-Operatives Ltd. c. Canada, [2001] F.C.F. no 315 (C.A.) (QL); Westdeutsche Landesbank Girozentrale v. Islington London Borough Council, [1996] A.C. 669 (C.L.); Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161; (1989), 59 D.L.R. (4th) 161; [1989] 4 W.W.R. 97; 36 B.C.L.R. (2d) 145; 41 C.R.R. 308; 95 N.R. 1; 2 T.C.T. 4178; Air Canada c. Ontario (Régie des alcools), [1997] 2 R.C.S. 581; (1997), 33 O.R. (3d) 479; 214 N.R. 1; 102 O.A.C. 1; Consumers Glass Co. Ltd. v. Foundation Co. of Canada Ltd. (1985), 51 O.R. (2d) 385; 20 D.L.R. (4th) 126; 30 B.L.R. 87; 33 C.C.L.T. 104; 13 C.L.R. 149; 1 C.P.C. (2d) 208; 9 O.A.C. 193 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES :
Milliken & Co. c. Interface Flooring Systems (Canada) Inc. (1996), 75 C.P.R. (3d) 481; 123 F.T.R. 269 (C.F. 1re inst.); Peel (Municipalité régionale) c. Canada; Peel (Municipalité régionale) c. Ontario, [1992] 3 R.C.S. 762; (1992), 98 D.L.R. (4th) 140; 12 M.P.L.R. (2d) 229; 144 N.R. 1; 59 O.A.C. 81; Harper v. Royal Bank of Canada (1994), 18 O.R. (3d) 317; 114 D.L.R. (4th) 749; 71 O.A.C. 237 (C. div.); Soulos v. Korkontzilas, [1997] 2 R.C.S. 217; (1997), 32 O.R. (3d) 716; 146 D.L.R. (4th) 214; 46 C.B.R. (3d) 1; 17 E.T.R. (2d) 89; 212 N.R. 1; 100 O.A.C. 241; 9 R.P.R. (3d) 1; Air Canada v. Ontario (Liquor Control Board) (1994), 2 G.T.C. 7186 (Div. gén. Ont.).
DOCTRINE
Goff of Chieveley, Robert Goff and Gareth Jones. The Law of Restitution, 5th ed. London : Sweet & Maxwell, 1998.
Maddaugh, Peter D. and John D. McCamus. The Law of Restitution. Aurora : Canada Law Book, 1990.
APPEL d’une décision par laquelle la Section de première instance ((1998), 158 F.T.R. 101) a rejeté l’action en enrichissement sans cause intentée par la contribuable au motif que le délai de prescription de quatre ans prescrit par la Loi sur la taxe d’accise s’appliquait tant au droit au remboursement reconnu par la loi qu’aux demandes de restitution de paiements en trop de taxes de vente fédérales non reconnues par la loi. Appel rejeté.
ONT COMPARU :
Dalton J. Albrecht pour l’appelante.
Christopher M. Rupar pour l’intimée.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Fraser Milner Casgrain LLP, Toronto, pour l’appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Evans, J.C.A. :
A. INTRODUCTION
[1] En août 1988, Revenu Canada a informé Michelin que celle-ci avait commis des erreurs dans le calcul de la taxe de vente fédérale due pour la période comprise entre 1984 et 1987, de sorte qu’elle avait fait des paiements en trop. Revenu Canada a remboursé ces paiements, mais a refusé de rembourser le montant payé en trop par Michelin au cours de la période 1983-1984 au motif que la Loi sur la taxe d’accise [L.R.C. (1985), ch. E-15] interdisait le remboursement des paiements en trop remontant à plus de quatre ans.
[2] En avril 1993, Michelin a déposé auprès de la Cour fédérale une déclaration invoquant l’enrichissement sans cause pour recouvrer le montant versé en trop dans la période 1983-1984. La demande a été rejetée en première instance [(1998), 158 F.T.R. 101] par Mme le juge Reed, qui a conclu que la prescription de quatre ans relative aux remboursements prévue par la Loi sur la taxe d’accise s’appliquait non seulement au droit de remboursement visé, mais également aux demandes de restitution de deniers versés par erreur de fait qui ne sont pas visées par la loi. Par conséquent, elle n’avait pas à décider si, dans l’hypothèse où la demande de restitution de Michelin n’était pas irrecevable en raison du délai de prescription de quatre ans, cette demande était de toute façon irrecevable en raison du délai de prescription de six ans applicable aux actions intentées en Cour fédérale et aux instances introduites contre l’État fédéral.
[3] J’estime que le présent appel peut être tranché sur le fondement du délai de prescription de six ans. Deux questions sont soulevées. Premièrement, ce délai est-il applicable parce que Michelin sollicite une réparation en equity? Deuxièmement, si ce délai est applicable, a-t-il commencé à courir en 1988, lorsque Michelin a découvert ses erreurs, plutôt qu’en 1984, lorsqu’elle a fait les paiements en trop? Si le délai a commencé à courir en 1988, l’instance introduite par Michelin auprès de la Cour en 1993 l’a été dans le délai de six ans et n’était pas irrecevable en vertu de la loi. Toutefois, si le délai a commencé à courir en 1984, Michelin a agi trop tard.
[4] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que, même si la demande de restitution non visée par la loi déposée relativement aux paiements effectués en trop en 1983-1984 n’était pas assujettie au délai de prescription de quatre ans prévu par la Loi sur la taxe d’accise, elle faisait l’objet du délai de prescription de six ans applicable aux actions intentées en Cour fédérale et contre l’État fédéral. En outre, puisque le délai a commencé à courir contre Michelin à partir de la date du paiement en trop, la déclaration de cette dernière était prescrite.
[5] Il n’y a donc pas lieu de décider si le juge Reed avait raison de conclure que le délai de prescription de quatre ans prévu par la Loi sur la taxe d’accise, dans son libellé de l’époque, s’appliquait tant au droit de remboursement prévu par la loi qu’aux demandes de restitution des paiements de taxe faits en trop, non visées par la loi, mais fondées sur l’enrichissement sans cause.
B. LES FAITS
[6] Le présent litige a fait l’objet d’un exposé conjoint des faits. Les faits pertinents quant au présent appel sont les suivants.
[7] Revenu Canada a entrepris une vérification visant Michelin relativement à la taxe de vente fédérale vers la fin de 1987. Cette vérification a révélé que, pour la période comprise entre le 30 juin 1984 et la fin d’août 1987, Michelin avait payé en trop 1 104 092 80 $ et payé en moins 781 808 71 $. Par conséquent, Revenu Canada a délivré en août 1988 un avis de cotisation faisant état des résultats de la vérification et établissant une cotisation à l’égard de Michelin pour un paiement en trop net de 322 284 09 $.
[8] Les erreurs commises par Michelin dans le calcul des taxes de vente dues étaient attribuables à un certain nombre de facteurs, dont de mauvais calculs des ventes taxables, des erreurs d’arithmétique, des surestimations de valeur, des sous-évaluations de déductions et des erreurs de calcul quant aux crédits.
[9] Grâce à la vérification, Michelin a constaté qu’elle avait aussi commis des erreurs dans le calcul des taxes de vente fédérales qu’elle devait pour la période du 1er juin 1983 au mois d’août 1984. Le montant payé en trop dans cette période s’élevait à 63 324 $. Toutefois, par avis de décision daté du 7 mars 1989, le ministre a refusé d’accueillir l’opposition de Michelin relative au fait que l’avis de cotisation ne lui créditait pas cette somme. Le ministre était d’avis que ces paiements en trop avaient été effectués plus de quatre ans avant la date de la cotisation, de sorte qu’ils ne pouvaient plus être réclamés, en raison de la prescription prévue par le paragraphe 44(7.1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 15] de la Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1970, ch. E-13.
[10] En juin 1989, Michelin a interjeté appel de la décision du ministre auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, alléguant que la Loi sur la taxe d’accise n’éteignait pas entièrement son droit au remboursement prévu par la loi et, subsidiairement, que, si elle le faisait, elle n’entravait pas son droit de recouvrer les paiements en trop pour des motifs fondés sur l’equity. En novembre 1991, l’appel a été ajourné sine die à la demande de Michelin, dans l’attente d’une décision de la Cour sur la question de savoir si le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de prescription de quatre ans relatif aux remboursements visés par la loi.
[11] Dans l’arrêt Canadian Marconi Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 655 (C.A.), la Cour a conclu que le délai de prescription prévu par la loi était absolu et n’autorisait l’exercice d’aucun pouvoir discrétionnaire. À la lumière de cette décision et de l’argument du ministre que le Tribunal n’avait pas compétence pour statuer sur la demande fondée sur l’equity présentée par Michelin pour recouvrer le paiement de taxe en trop, aucune autre démarche n’a été entreprise en vue de la poursuite de l’appel.
[12] En avril 1993, Michelin a plutôt intenté une action pour enrichissement sans cause en Cour fédérale, action qui a été rejetée par le juge Reed, comme je l’ai déjà mentionné. Michelin interjette appel de cette décision auprès de notre Cour.
C. LE CADRE LÉGISLATIF
Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1970, ch. E-13.
44. (1) Il peut être accordé une déduction ou remise de toute taxe imposée par la présente loi
a) lorsque le contribuable a effectué un paiement en trop;
[…]
c) lorsque la taxe a été payée par erreur;
[…]
(7.1) Sous réserve du paragraphe (7), il ne sera accordé en vertu du présent article, aucune remise des deniers payés ou payés en trop par erreur, que ce soit en raison d’une erreur de fait ou de droit ou autrement, et dont il a été tenu compte à titre de taxes imposées par la présente loi, à moins que la personne y ayant droit n’en fasse la demande par écrit au Ministre dans les quatre ans qui suivent la date à laquelle les deniers ont été payés ou payés en trop.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7
39. […]
(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province.
Loi sur la responsabilité civile de
l’État et le contentieux administratif,
L.R.C. (1985), ch. C-50 [mod. par L.C. 1990,
ch. 8, art. 21, 31]
32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.
D. ANALYSE
[13] Comme je l’ai indiqué, la seule question sur laquelle je dois me prononcer afin de régler l’issue du présent appel consiste à savoir si la demande de restitution non visée par la loi présentée par Michelin est irrecevable en raison du délai de prescription prévu par l’article 39 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et par l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50.
[14] Il est admis que les paiements en trop de la période de juin 1983 au mois d’août 1984 ont été effectués plus de six ans avant que Michelin introduise son action en restitution devant la Section de première instance. Néanmoins, Michelin avance deux arguments à l’appui de sa position que sa demande n’est pas prescrite.
(i) Réparation fondée sur l’equity
[15] Michelin prétend qu’étant donné qu’elle sollicite une réparation fondée sur l’equity, les délais de prescription prévus par la loi ne s’appliquent pas à sa demande de restitution. L’avocat invoque la décision Milliken & Co. c. Interface Flooring Systems (Canada) Inc. (1996), 75 C.P.R. (3d) 481 (C.F. 1re inst.) à l’appui de cette proposition. Même s’il s’agissait d’un énoncé juste du droit, ce sur quoi je n’ai pas à me prononcer, l’argument de Michelin ne pourrait pas être accepté en l’espèce.
[16] Premièrement, il n’est pas exact de dire que toutes les demandes de restitution relèvent de l’equity parce qu’elles peuvent être considérées comme fondées sur le principe général voulant que la loi ne permet pas que le défendeur s’enrichisse sans cause aux dépens du demandeur. Ainsi, les paiements faits par erreur ont pu généralement être recouvrés au moyen de l’action de common law en recouvrement des deniers reçus au profit du demandeur. La reconnaissance du droit des restitutions comme source distincte de droits et d’obligations ainsi que la généralisation de demandes séparées, originant tant de la loi que de l’equity, fondées sur le principe de l’enrichissement sans cause, constituent des phénomènes relativement récents dans notre régime juridique. Voir de façon générale Peel (Municipalité régionale) c. Canada; Peel (Municipalité régionale) c. Ontario, [1992] 3 R.C.S. 762, aux pages 787 et 788; Peter D. Maddaugh et John D. McCamus, The Law of Restitution (Aurora : Canada Law Book Inc., 1990), aux pages 4 à 10 et 13 à 21.
[17] Par conséquent, le fait que Michelin ait présenté sa demande sous forme de demande de restitution ou de demande fondée sur l’enrichissement sans cause ne signifie pas nécessairement qu’elle cherche à obtenir une réparation en equity. Seule sa demande relative à la fiducie par interprétation en tant que réparation permettant le recouvrement des paiements faits par erreur constitue une demande de réparation en equity.
[18] Deuxièmement, des décisions étayent la proposition qu’une cour peut imposer la réparation en equity fondée sur la propriété et découlant de la fiducie par interprétation afin de garantir que le défendeur ne s’enrichisse pas sans cause en recevant et en retenant un paiement fait par erreur : Chase Manhattan Bank N.A. v. Israel-British Bank (London) Ltd., [1981] Ch. 105; Harper v. Royal Bank of Canada (1994), 18 O.R. (3d) 317 (C. div.). Toutefois, Michelin n’a pas établi les faits nécessaires à l’obtention de cette forme de réparation.
[19] En particulier, une fiducie par interprétation n’est pas imposée à moins que le demandeur puisse indiquer que des biens en la possession du défendeur constituent les biens, ou le produit de ces biens, qui ont été cédés par le demandeur ou obtenus de lui sans cause légitime ou que le défendeur ne saurait retenir en toute bonne foi. C’est dire que la fiducie par interprétation est liée aux éléments d’actif particuliers du défendeur qui constituent l’enrichissement; il ne s’agit pas d’une charge grevant l’actif général du défendeur pour le montant de la réclamation du demandeur.
[20] Par conséquent, après avoir conclu dans la décision Chase Manhattan, précitée, que le demandeur pouvait en principe invoquer la fiducie par interprétation pour recouvrer les deniers qu’il avait versés par erreur de fait, le juge Goulding (à la page 128) a ordonné une enquête sur ce qui était advenu des deniers [traduction] « et quels éléments d’actif (s’il y a lieu) en la possession du défendeur constituent maintenant cette somme ou une partie de celle-ci ».
[21] C’est en se fondant sur l’exigence qu’une fiducie par interprétation soit imposée seulement à l’égard de biens se trouvant en la possession du défendeur et pouvant être identifiés comme des biens que le défendeur ne peut pas retenir en toute bonne foi que la Cour a rejeté l’appel dans l’arrêt Federated Co-Operatives Ltd. c. Canada, [2001] A.C.F. no 315 (C.A.) (QL). À mon avis, dans Forest Oil Corp. c. Canada, [1997] 1 C.F. 624(1re inst.), la Cour a commis une erreur en imposant une fiducie par interprétation pour permettre à l’appelante de recouvrer le paiement fait par erreur sans qu’il y ait examen visant à déterminer si les deniers qu’elle avait versés par erreur, ou leur produit, pouvaient être identifiés comme biens en la possession de la Couronne.
[22] Je reconnais que la fiducie par interprétation s’impose rapidement au Canada comme une réparation en equity très souple qui peut être appliquée dans une multitude de contextes pour empêcher l’enrichissement sans cause et, de façon plus générale, pour empêcher les individus de conserver des biens qu’en toute bonne foi, ils ne devraient pas retenir, notamment lorsque les biens ont été obtenus de façon illicite, comme dans le cas du manquement à une obligation de fiduciaire : voir notamment les motifs prononcés par le juge McLachlin (maintenant juge en chef) dans l’arrêt Soulos c. Korkontzilas, [1997] 2 R.C.S. 217.
[23] On a donc fait valoir que lorsqu’elle servait simplement de recours empêchant que l’on s’enrichisse sans cause et que l’on tire profit d’actes peu scrupuleux, la fiducie par interprétation pouvait ne plus être fondée sur la propriété : Lord Goff of Chieveley et Gareth Jones, The Law of Restitution, 5e d. (London : Sweet & Maxwell, 1998), aux pages 84 à 89.
[24] Par conséquent, dans une reformulation en profondeur de certains principes fondamentaux applicables aux réparations fondées sur la propriété en droit des restitutions, lord Browne-Wilkinson, dans l’arrêt Westdeutsche Landesbank Girozentrale c. Islington London Borough Council, [1996] A.C. 669 (H.L.), aux pages 714 et 715, a désapprouvé le raisonnement, mais non la conclusion, de la décision Chase Manhattan, précitée, parce que celui-ci tenait pour acquis que le payeur mal avisé avait conservé un intérêt en equity dans les deniers lorsque ceux-ci avaient été versés. Il a dit que ce raisonnement était incompatible avec la nature plus souple de la fiducie par interprétation lorsque celle-ci était imposée comme réparation empêchant l’enrichissement sans cause. Il a donc conclu (à la page 715) :
[traduction] Même si la simple réception des deniers sans connaissance de l’erreur ne donne naissance à aucune fiducie, la rétention des deniers après que la banque bénéficiaire a appris l’erreur peut fort bien avoir donné lieu à une fiducie par interprétation.
[25] Toutefois, malgré sa souplesse nouvellement reconnue en tant que réparation en equity, la fiducie par interprétation ne s’est pas départie de toutes les restrictions découlant de son caractère lié à la propriété. C’est pourquoi lord Browne-Wilkinson n’a pas affirmé dans l’arrêt Westdeutsche Landesbank, précité, que le juge Goulding avait commis une erreur dans la décision Chase Manhattan, précitée, lorsqu’il avait ordonné une enquête quant à savoir si le paiement fait par erreur pouvait être identifié dans l’actif de la défenderesse. Le juge Goulding n’a ordonné une telle enquête que parce qu’il estimait que retracer l’origine de la somme d’argent en question était toujours requis pour déterminer s’il pouvait y avoir fiducie par interprétation.
[26] Par conséquent, étant donné que Michelin n’a fourni aucun élément de preuve indiquant que ses paiements en trop pouvaient être retracés, elle ne peut pas solliciter la réparation de la fiducie par interprétation, à la lumière de l’exposé conjoint des faits. Il n’y a donc pas lieu que j’examine le bien-fondé de la prémisse de l’argument de l’appelante, à savoir que la fiducie par interprétation invoquée en l’espèce n’est pas assujettie au délai de prescription de six ans parce qu’elle constitue une réparation en equity.
[27] L’avocat de l’appelante nous a également renvoyés à l’arrêt Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161, où, bien que la réparation ait été refusée en bout de ligne, la Cour suprême du Canada paraissait prête en principe à permettre le recouvrement de taxes payées en application d’une loi inconstitutionnelle, même si la demande portait notamment sur des deniers pour lesquels le remboursement était prescrit.
[28] Toutefois, les montants réclamés par Air Canada dans cette affaire remontaient au 1er août 1974 et l’instance avait été introduite à la Cour suprême de la Colombie-Britannique le 30 juillet 1980, tout juste dans le délai de prescription applicable : Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 266, paragraphes 3(4) et 14(2). Pacific Western Airlines, l’une des deux demanderesses ayant intenté des actions connexes mais distinctes qui ont été entendues en même temps que l’action d’Air Canada, a intenté sa procédure après l’expiration du délai de prescription. Néanmoins, étant donné que toutes les demandes ont été rejetées pour d’autres motifs et que la question de la prescription n’a pas été abordée dans les motifs de l’arrêt de la Cour suprême du Canada, rien dans cet arrêt n’aide l’appelante.
[29] Enfin, l’avocat a invoqué l’arrêt Air Canada c. Ontario (Régie des alcools), [1997] 2 R.C.S. 581, dans lequel la Cour suprême a permis à Air Canada de recouvrer les droits qui avaient été exigés par l’intimée en vertu d’une disposition légale jugée inopérante. Dans cette affaire, la Cour suprême a accordé le recouvrement de l’ensemble des droits payés, dont apparemment, les paiements effectués hors du délai de prescription.
[30] La question de la prescription n’a toutefois pas été plaidée au procès ((1994), 2 G.TC. 7186, au paragraphe 80, le juge Saunders), et elle n’a pas été abordée non plus par la Cour suprême du Canada. Les motifs de la Cour suprême ne précisent pas non plus que la fiducie par interprétation constituait la réparation accordée. Je ne considère pas les références à des considérations d’equity se rapportant à la possibilité d’invoquer un moyen de défense (Air Canada c. Colombie-Britannique), précité, aux pages 1197 et suivantes, et 1207) comme indiquant que la Cour estimait que la réparation sollicitée par Air Canada relevait de l’equity. Par conséquent, cet arrêt ne sert pas Michelin.
(ii) La règle de la possibilité de découvrir le dommage
[31] L’avocat de Michelin a soutenu subsidiairement que si, contrairement à son premier argument, l’article 39 de la Loi sur la Cour fédérale s’appliquait à la demande de restitution de l’appelante, cette demande avait été présentée dans le délai de prescription. Il a prétendu que le délai de prescription a commencé à courir seulement en 1988 lorsque Michelin a découvert qu’elle avait effectué des paiements en trop relativement à la taxe de vente fédérale pendant la période 1983-1984. Par conséquent, étant donné que Michelin a déposé sa déclaration auprès de la Cour fédérale en avril 1993, elle a agi dans le délai de prescription de six ans.
[32] L’avocat a soutenu qu’il existe un principe d’application générale ne se limitant plus aux réclamations en matière délictuelle et voulant que le délai commence à courir contre le demandeur seulement lorsque celui-ci découvre, ou aurait dû découvrir en faisant preuve de diligence raisonnable, qu’il avait une cause d’action. En effet, dans l’arrêt Consumers Glass Co. Ltd. v. Foundation Co. of Canada Ltd. (1985), 51 O.R. (2d) 385 (C.A.), à la page 398, on a dit que la règle de la possibilité de découvrir le dommage s’appliquait aux réclamations faites tant en matière contractuelle qu’en matière délictuelle. Pour les fins du présent appel, je veux bien supposer que le principe peut également s’appliquer aux demandes de restitution de deniers versés par erreur de fait.
[33] On n’a toutefois produit aucun élément de preuve pour démontrer que Michelin n’était pas à blâmer pour ne pas avoir découvert, avant la vérification de Revenu Canada, qu’elle avait versé un montant excédant la taxe de vente fédérale due pour la période 1983-1984. Étant donné qu’un délai de prescription commence à courir, en principe, à partir de la naissance de la cause d’action, soit en l’espèce lorsque Michelin a effectué ses paiements en trop, il incombe à la demanderesse de prouver les faits requis pour repousser le point de départ de ce délai.
[34] Dans ce contexte, je souligne que les erreurs initiales ont apparemment été commises par les propres employés de Michelin, qui se seraient fondés sur les renseignements internes de la société quant au volume et à la valeur des ventes de ses produits ainsi que sur les dépenses connexes. Il ne fait aucun doute qu’il n’était pas toujours facile de calculer la taxe due à partir de ces renseignements, quoique je ferais remarquer que les erreurs de calcul consistaient notamment en des erreurs d’arithmétique et qu’elles ont été découvertes par Revenu Canada au cours d’une vérification de routine. De toute manière, on n’a pas prétendu que les erreurs de Michelin avaient été causées par le fait que celle-ci se serait raisonnablement fiée à des renseignements ou des avis erronés provenant de l’extérieur de la société.
[35] En l’absence de plus amples renseignements, dans l’exposé conjoint des faits, sur les circonstances dans lesquelles les erreurs ont été commises au départ et sur le caractère raisonnable des mesures prises ou non ensuite par Michelin pour repérer les erreurs de ce genre, Michelin n’a pas prouvé que son incapacité à découvrir, avant août 1988, les faits sur lesquels sa cause d’action est fondée a existé en dépit de la diligence raisonnable qu’elle exerçait.
E. CONCLUSIONS
[36] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.
Le juge Rothstein, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.