[2014] 4 R.C.F. 436
T-253-12
2013 CF 576
Hong Ying Huang (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge en chef Crampton—Vancouver, 18 février; Ottawa, 29 mai 2013.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Appel d’une décision par une juge de la citoyenneté qui a refusé une demande de citoyenneté — La demanderesse a fait une demande de citoyenneté après avoir fait la navette plusieurs fois entre le Canada et la Chine — La juge de la citoyenneté a appliqué le critère énoncé dans le jugement Koo (Re) et en est arrivée à la conclusion, entre autres, que le pays de la demanderesse est la Chine et qu’il lui manquait des jours pour satisfaire à l’exigence prévue à l’art. 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté — Il s’agissait de savoir si la juge de la citoyenneté avait le droit d’appliquer le critère énoncé dans le jugement Koo — La juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur de droit en appliquant le critère énoncé dans le jugement Koo — Les juges de la citoyenneté peuvent appliquer l’un des trois critères de la citoyenneté — La démarche qui exige un mélange d’au moins deux des trois critères susmentionnés est incompatible avec la jurisprudence — Il est loisible au juge de la citoyenneté de mettre fin à l’analyse prévue à l’art. 5(1)c) dès lors qu’il estime que le demandeur ne satisfait pas au critère de la « présence effective » — En l’espèce, la juge de la citoyenneté a décidé d’appliquer le critère du jugement Koo — Il lui était loisible de le faire — La conclusion de la juge de la citoyenneté selon laquelle la demanderesse ne satisfait pas au critère énoncé dans le jugement était raisonnable — Il n’était pas déraisonnable de ne pas en inférer que la demanderesse se trouvait au Canada au cours de la période contestée tout simplement parce qu’elle n’était pas en Chine — Le timbre de sortie de la Chine qui se trouve dans son passeport ne constitue pas une preuve fiable des voyages à destination ou en partance du Canada — De plus, la juge de la citoyenneté a raisonnablement conclu que les documents sur lesquels la demanderesse se fondait ne démontrent pas sa présence au Canada — Appel rejeté.
Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision d’une juge de la citoyenneté qui a refusé la demande de citoyenneté de la demanderesse.
La demanderesse, une citoyenne de la Chine, est arrivée au Canada munie d’un visa délivré dans la catégorie des investisseurs. Après avoir fait la navette plusieurs fois entre le Canada et la Chine, la demanderesse a demandé la citoyenneté canadienne. En décidant d’appliquer le critère du jugement Koo (Re), la juge de la citoyenneté a conclu, entre autres, que l’historique des voyages effectués par la demanderesse démontre que son pays est la Chine et qu’elle était en visite au Canada pour donner naissance à deux de ses enfants; en outre, il lui manquait 54 jours pour satisfaire à l’exigence des 1 095 jours prévus à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.
La demanderesse a fait valoir, entre autres, que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en appliquant le critère énoncé dans le jugement Koo, plutôt que celui de la « présence effective »; qu'elle s’est méprise sur plusieurs aspects du dossier de la preuve, et qu'elle a par conséquent conclu que la demanderesse n’avait pas satisfait aux critères de la citoyenneté.
Il s’agissait principalement de savoir si la juge de la citoyenneté avait le droit d’appliquer le critère énoncé dans le jugement Koo (Re).
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
La juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur dans la façon dont elle a appliqué le critère énoncé dans le jugement Koo. Les trois critères établis en matière de citoyenneté sont le critère du « mode d’existence centralisé », le critère du jugement Koo (qui est axé sur la question de savoir où l’intéressé « vit régulièrement, normalement ou habituellement ») et le critère de la « présence effective ». On peut raisonnablement interpréter la jurisprudence de la Cour en tenant pour acquis que l’état du droit tel qu’exposé dans le jugement Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) n’a pas changé en ce qui concerne la capacité des juges de la citoyenneté d’appliquer l’un des trois critères de la citoyenneté susmentionnés. La jurisprudence n’appuie pas une démarche qui exigerait effectivement un mélange d’au moins deux des trois critères susmentionnés. Si un juge de la citoyenneté décide d’appliquer le critère de la « présence effective » et conclut que le demandeur en question ne satisfait pas à ce critère, il serait contraire à l’interprétation logique des principaux courants jurisprudentiels de la Cour qu’un juge de la citoyenneté soit obligé d’appliquer ensuite le critère du jugement Koo ou encore le « critère du mode de vie centralisé ». Agir ainsi obligerait en fait un juge de la citoyenneté de permettre au demandeur de tenter sa chance deux fois. Suivant l’état actuel de la jurisprudence de la Cour, il serait raisonnablement loisible au juge de la citoyenneté de mettre fin à l’analyse prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté dès lors qu’il estime que le demandeur ne satisfait pas au critère de la « présence effective ». En l’espèce, la juge de la citoyenneté a décidé de ne pas appliquer le critère de la présence effective après avoir estimé qu’elle n’était pas convaincue que les renseignements fournis par la demanderesse correspondaient avec exactitude au nombre de jours où elle avait effectivement été présente au Canada. Elle a par conséquent décidé d’appliquer le critère du jugement Koo. Suivant la jurisprudence constante de la Cour, il lui était parfaitement loisible de le faire.
La conclusion de la juge de la citoyenneté selon laquelle la demanderesse ne satisfaisait pas au critère de citoyenneté du jugement Koo appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’était pas déraisonnable de la part de la juge de la citoyenneté de ne pas en inférer que la demanderesse se trouvait au Canada au cours de la période contestée tout simplement parce qu’elle n’était pas en Chine. Il incombait à la demanderesse de démontrer, suivant la prépondérance de la preuve, le nombre de jours qu’elle se trouvait au Canada. Le timbre de sortie de la Chine ne constituait pas une preuve fiable de ses voyages en partance et à destination du Canada. La juge de la citoyenneté a raisonnablement conclu que les principaux documents sur lesquels la demanderesse se fondait pour démontrer sa présence au Canada n’établissaient pas cette présence.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 5, 14(6), 20.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.3(1), 27(1)d).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.); Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 7776 (C.F. 1re inst.).
décisions examinées :
Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Martinez-Caro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Takla, 2009 CF 1120; Papadogiorgakis (In re) et in re la Loi sur la citoyenneté, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.); Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (1re inst.) (QL).
décisions citées :
Harry (Re), 1998 CanLII 7442 (C.F. 1re inst.); Imran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 756; Hao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 46; Ghaedi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 85; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; El-Khader c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 328; Dachan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 538; Sarvarian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1117; Shubeilat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1260; Cardin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 29; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Saad, 2011 CF 1508; Murphy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 482; Alinaghizadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 332; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdallah, 2012 CF 985; Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 19; Al Khoury c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 536; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Dabbous, 2012 CF 1359; Ghosh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 282; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Elzubair, 2010 CF 298; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Salim, 2010 CF 975; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650; Mizani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 698; Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2005 CF 1555; Hernando Paez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 204; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Carmolinga-Posch, 2009 CF 613; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Zhang, 2011 CF 844; McIlroy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 685.
appel interjeté à l’encontre d’une décision d’une juge de la citoyenneté qui a refusé la demande de citoyenneté de la demanderesse. Appel rejeté.
ONT COMPARU
Lawrence Wong pour la demanderesse.
Hilla Aharon pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Lawrence Wong & Associates, Vancouver, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge en chef Crampton : La présente affaire n’est qu’un autre exemple qui illustre l’urgence de faire quelque chose pour régler la situation inacceptable actuelle concernant le critère qui est présentement appliqué au Canada en matière d’attribution de la citoyenneté.
[2] La solution idéale consisterait pour le législateur fédéral à intervenir en définissant un critère de citoyenneté plus clair dans la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C‑29. C’est la solution que notre Cour a préconisée à plusieurs reprises (voir, par exemple, l’affaire Harry (Re), 1998 CanLII 7442 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 15 à 26; Imran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 756 (Imran), au paragraphe 32; Hao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 46 (Hao), au paragraphe 50; et Ghaedi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 85, au paragraphe 16). Une autre approche pourrait consister pour un juge de la citoyenneté à renvoyer la question à la Cour conformément au paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 (la Loi sur les CF). Cette façon de procéder permettrait notamment de renvoyer ensuite la question à la Cour d’appel fédérale en vertu de l’alinéa 27(1)d) de la Loi sur les CF pour régler une fois pour toutes la divergence qui existe dans la jurisprudence de notre Cour depuis plusieurs décennies à ce sujet.
1. Vue d’ensemble
[3] La demanderesse, Mme Huang, interjette appel de la décision défavorable qu’une juge de la citoyenneté a rendue en réponse à sa demande de citoyenneté.
[4] Mme Huang affirme que la juge de la citoyenneté a commis les erreurs suivantes :
i. elle a manqué aux principes d’équité procédurale dans la façon dont elle a traité son dossier;
ii. elle n’a pas apprécié correctement la preuve sur l’obligation de résidence au Canada;
iii. elle n’a pas apprécié correctement ses compétences linguistiques en anglais.
[5] Je ne suis pas du même avis que la demanderesse. Pour les motifs qui suivent, le présent appel est rejeté.
2. Faits à l’origine du litige
[6] Mme Huang est une citoyenne de la Chine. Elle est arrivée au Canada le 26 février 2005 munie d’un visa délivré dans la catégorie des investisseurs.
[7] Après avoir fait la navette plusieurs fois entre le Canada et la Chine, et notamment après être venue deux fois au Canada pour accoucher, la demanderesse a demandé la citoyenneté canadienne le 6 août 2009.
[8] Par conséquent, la période applicable pour calculer sa résidence est celle comprise entre le 6 août 2005 et le 6 août 2009.
3. Dispositions législatives applicables
[9] Le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté énonce un critère cumulatif en matière de citoyenneté. Il dispose :
5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois : a) en fait la demande; b) est âgée d’au moins dix‑huit ans; c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante : (i) un demi‑jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent, (ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent; d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada; e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté; f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20. |
Attribution de la citoyenneté |
[10] Aux termes du paragraphe 14(6) et sous réserve de l’article 20 — lequel ne s’applique pas dans le cas qui nous occupe — la décision de la Cour rendue sur l’appel d’une décision d’un juge de la citoyenneté est définitive et non susceptible d’appel.
4. Norme de contrôle applicable
[11] La question soulevée en l’espèce au sujet de l’équité procédurale est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), aux paragraphes 55 et 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).
[12] La question soulevée relativement à l’appréciation que la juge de la citoyenneté a faite de la période de résidence de Mme Huang au Canada comporte deux volets. En règle générale, le premier volet porte sur le critère légal de la citoyenneté, en l’occurrence la question de savoir s’il était loisible au juge de la citoyenneté d’appliquer un critère déterminé. Il s’agit d’une question de droit qui porte sur l’interprétation de l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté et sur la jurisprudence de notre Cour.
[13] Lorsqu’il interprète la Loi sur la citoyenneté, le juge de la citoyenneté interprète « sa propre loi constitutive » ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il est présumé avoir une connaissance approfondie. La jurisprudence de la Cour suprême du Canada nous enseigne que, sauf situation exceptionnelle, il convient de présumer que les conclusions tirées en pareil cas par un tribunal administratif commandent la déférence et sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (Alberta Teachers), au paragraphe 34).
[14] Une des circonstances exceptionnelles en question se présente lorsque la question de droit « [revête] une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble […] et qui [est étrangère] au domaine d’expertise du décideur » (Alberta Teachers, précité, aux paragraphes 30, 34 et 43). Dans le jugement Martinez‑Caro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640 (Martinez), au paragraphe 38, le juge Rennie a fait observer à titre incident, que l’interprétation de l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté correspondait à ce type de question. Bien que ce raisonnement paraisse séduisant à première vue, j’hésite à m’y rallier parce que la Cour suprême a par la suite fait observer qu’elle n’avait pas encore rencontré le type de situation exceptionnelle faisant appel à une interprétation législative qui justifierait un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte (Alberta Teachers, précité, au paragraphe 34; voir également le jugement Hao, précité, au paragraphe 39).
[15] Comme nous l’avons déjà fait observer, la question du critère légal de la citoyenneté concerne non seulement l’interprétation de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, mais aussi celle de l’abondante jurisprudence de notre Cour sur la question.
[16] La question de droit précise soulevée par Mme Huang est celle de savoir si la juge de la citoyenneté avait le droit d’appliquer le critère énoncé par notre Cour dans le jugement Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (Koo), aux pages 293 et 294.
[17] Comme nous le verrons plus loin à la partie 5.B des présents motifs, le critère énoncé dans le jugement Koo, précité, est l’un des trois critères de la citoyenneté établis depuis longtemps dans la jurisprudence de notre Cour. Il s’agit d’un critère qualitatif, qui ressemble à l’un des autres critères et qui est très différent du troisième critère, celui de la « présence effective », lequel est de nature quantitative.
[18] Notre Cour adhère toujours à ces trois critères. La divergence de vues qui continue à exister au sein de notre Cour s’explique par une situation très particulière qui s’est développée et qui persiste dans notre droit en partie en raison du fait qu’aux termes du paragraphe 14(6) de la Loi sur la citoyenneté, la décision que notre Cour rend sur l’appel d’une décision d’un juge de la citoyenneté est définitive et non susceptible d’appel.
[19] Dans le jugement Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 7776 (C.F. 1re inst.) (Lam), aux paragraphes 11 et 32, le juge Lutfy, devenu par la suite juge en chef adjoint de la Cour fédérale, a pris acte de cette « jurisprudence contradictoire » qui portait essentiellement sur l’interprétation juste de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Il a fait observer, au paragraphe 14, « [c]ette divergence de vues, tant au sein de la Cour que parmi les juges de la citoyenneté, est cause d’incertitude dans l’administration de la justice dans ce domaine ». Toutefois, compte tenu du fait que des mesures législatives qui auraient clarifié le critère de la citoyenneté étaient alors à l’étude, il a conclu que, pendant la période de transition, il convenait de faire preuve de déférence et de respecter le choix que les juges de la citoyenneté feraient du critère parmi les trois critères à appliquer, à condition que la décision du juge dénote une compréhension de la jurisprudence et qu’il ait décidé à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère retenu (Lam, précité, au paragraphe 33).
[20] Une décennie plus tard, dans le jugement Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Takla, 2009 CF 1120 (Takla), au paragraphe 44, le juge Mainville a fait observer que, dans l’intervalle, la démarche proposée par le juge Lutfy avait été largement suivie. Toutefois, après avoir observé [au paragraphe 45] que cette décision avait été « rendue dans le cadre d’une situation qui était perçue comme transitoire vu les modifications législatives qui étaient alors à l’étude », il a conclu que le temps était venu de fixer une interprétation unique de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. À cette fin, et après avoir fait observer que le critère énoncé dans le jugement Koo était devenu le critère le plus souvent appliqué dans la jurisprudence de notre Cour, il a conclu que c’était dorénavant le seul critère qui devait être appliqué pour l’interprétation de l’alinéa 5(1)c). Il en est arrivé à cette conclusion malgré le fait qu’il estimait que le « critère de la présence effective », sur lequel nous reviendrons plus loin, semblait avoir été celui qu’envisageait le libellé clair de cette disposition.
[21] L’« effort d’uniformisation du droit applicable » entreprise par le juge Mainville, bien que louable, n’a pas produit les résultats escomptés (Takla, au paragraphe 47). En résumé, bien que dans plusieurs décisions subséquentes, notre Cour ait adopté l’opinion du juge Mainville suivant laquelle le critère du jugement Koo devait être la seule norme applicable (voir, par exemple, les décisions énumérées dans le jugement Hao, précité, au paragraphe 42; et dans le jugement El-Khader c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 328 (El-Khader), au paragraphe 17; voir également Imran, précitée, au paragraphe 32), le pouvoir discrétionnaire qui permet au juge de la citoyenneté d’appliquer l’un des autres critères reconnus a été confirmé dans plusieurs autres décisions (voir, par exemple, Dachan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 538, au paragraphe 19; Sarvarian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1117, aux paragraphes 8 et 9; Shubeilat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1260 (Shubeilat), aux paragraphes 30 à 37; Cardin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 29, au paragraphe 18; Hao, précité, aux paragraphes 48 à 50; El-Khader, précité, au paragraphe 23; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Saad, 2011 CF 1508 (Saad), au paragraphe 14; Murphy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 482, aux paragraphes 6 à 8; Alinaghizadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 332, au paragraphe 28; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdallah, 2012 CF 985 (Abdallah), au paragraphe 14; Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 19 (Zhou), au paragraphe 30).
[22] D’ailleurs, notre Cour a jugé dans plusieurs autres décisions que le critère de la « présence effective [ou physique] » que nous analyserons plus loin, est le bon critère à appliquer (Martinez, précité, au paragraphe 52; Al Khoury c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 536, au paragraphe 27; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Dabbous, 2012 CF 1359, au paragraphe 12; Ghosh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 282, au paragraphe 25).
[23] Dans d’autres décisions, il semble que la Cour ait retenu une approche hybride qui obligerait le juge de la citoyenneté à se livrer à une appréciation qualitative comme le prévoit le critère du jugement Koo, et ce, même si le critère de la « présence effective » a été retenu par le juge de la citoyenneté et a entraîné le rejet de la demande de citoyenneté (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Elzubair, 2010 CF 298 (Elzubair), au paragraphe 14; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Salim, 2010 CF 975, au paragraphe 10; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, au paragraphe 21).
[24] Il ressort de ce qui précède que la jurisprudence relative au(x) critère(s) de la citoyenneté demeure partagée et plutôt flottante.
[25] Dans ces conditions, il convient tout particulièrement de faire preuve de déférence envers la décision du juge de la citoyenneté d’appliquer l’un ou l’autre des trois critères qui sont reconnus depuis si longtemps dans la jurisprudence de notre Cour.
[26] Cette conclusion s’accorde avec l’opinion dominante au sein de notre Cour suivant laquelle la norme à appliquer lorsqu’il s’agit de contrôler la décision d’un juge de la citoyenneté est celle de la décision raisonnable (Saad, précitée, au paragraphe 9; Hao, précité, au paragraphe 13; Abdallah, précitée, au paragraphe 8; Zhou, précitée, au paragraphe 13).
[27] Le second volet de la question qui a été soulevée au sujet de l’appréciation que la juge de la citoyenneté a faite de la demande de citoyenneté de Mme Huang concerne l’application du critère légal de la citoyenneté aux faits de la présente affaire. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui est également assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.
[28] La question en litige soulevée, soit celle de savoir si la juge de la citoyenneté a commis une erreur en n’évaluant pas correctement les compétences linguistiques de la demanderesse en anglais, est également une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.
5. Analyse
A. La juge de la citoyenneté a‑t‑elle manqué aux principes d’équité procédurale dans la façon dont elle a traité le dossier de Mme Huang?
[29] Mme Huang affirme que ses droits à l’équité procédurale ont été violés parce qu’elle n’a pas reçu un avis suffisant avant son entrevue avec la juge de la citoyenneté et parce que l’avis d’entrevue ne l’informait pas de l’objet de celle‑ci. Je ne suis pas de cet avis.
[30] Dans une lettre datée du 25 octobre 2010, Mme Huang était avisée que la juge de la citoyenneté avait besoin de renseignements complémentaires et que l’examen de sa demande ne pouvait être poursuivi tant qu’elle ne fournirait pas les renseignements en question.
[31] Puis, le 21 février 2011, Mme Huang a été informée par voie de lettre type, que les renseignements qu’elle avait fournis avaient été examinés et que la juge de la citoyenneté réclamait la tenue d’une audience pour poursuivre l’examen de sa demande. La lettre informait également que la rencontre avec la juge de la citoyenneté avait pour objet [traduction] « d’évaluer la résidence ».
[32] Le 4 avril 2011, Mme Huang a reçu un avis lui enjoignant de se présenter au Bureau de la citoyenneté de Vancouver pour une entrevue devant avoir lieu le lendemain. Cet avis l’informait qu’on lui poserait [traduction] « notamment des questions pour savoir si [elle possédait] des connaissances suffisantes du français ou de l’anglais et du Canada ». L’avis précisait également [traduction] « si vous ne vous présentez pas à cette rencontre aux temps, lieu et date précisés, vous recevrez un second avis final ».
[33] À mon avis, l’avis de convocation du 4 avril 2011 doit être examiné avec la lettre type envoyée le 21 février 2011. Il résulte du rapprochement de ces deux communications écrites que Mme Huang a reçu un avis plus que suffisant l’informant qu’elle devait se présenter à son entrevue. Elle a également été clairement informée des questions de résidence et des questions linguistiques qui seraient abordées au cours de son entrevue. Compte tenu de ces éléments et du fait qu’elle a été informée qu’elle se verrait accorder une autre possibilité de se présenter si elle ne se présentait pas à l’entrevue prévue pour le 5 avril 2011, ces droits à l’équité procédurale n’ont pas été violés compte tenu des avis qu’elle a reçus et des sujets qui ont été abordés lors de son entrevue.
[34] Ma conclusion à cet égard est renforcée par le fait qu’à la suite de son entrevue, Mme Huang a eu l’occasion de fournir d’autres renseignements. De plus, il semble qu’elle ne se soit pas opposée, au moment de son entrevue, au bref délai dans lequel elle avait reçu son avis de convocation. En outre, elle était accompagnée d’un interprète.
[35] Mme Huang affirme également que la juge de la citoyenneté ne s’est pas comportée de façon objective et impartiale. Cette allégation semble reposer sur le fait que la juge de la citoyenneté a vérifié de nouveau les connaissances de l’anglais et du Canada de Mme Huang lors de l’entrevue malgré le fait que ces connaissances avaient déjà été vérifiées par écrit. Compte tenu de la nature des avis écrits que nous avons déjà résumés, avis qu’elle avait reçus, je suis convaincu que la décision de la juge de la citoyenneté de vérifier de nouveau les connaissances de Mme Huang sur ces sujets lors de l’entrevue ne constitue pas une violation des droits à l’équité procédurale de Mme Huang.
B. La juge de la citoyenneté a‑t‑elle mal apprécié la période de résidence de Mme Huang au Canada?
i. Le critère de la citoyenneté appliqué
[36] Mme Huang affirme que la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans la façon dont elle a appliqué le critère énoncé dans le jugement Koo, précité, celui de la « présence effective ». Je ne partage pas son avis.
[37] Comme nous l’avons déjà signalé, la jurisprudence de notre Cour a énoncé trois critères en matière de citoyenneté. C’est ce qu’on appelle, en règle générale, le critère du « mode d’existence centralisé », le critère du jugement Koo (qui est axé sur la question de savoir où l’intéressé « vit régulièrement, normalement ou habituellement ») et le critère de la « présence effective ».
[38] Il est de jurisprudence constante qu’avant que l’un ou l’autre de ces critères puisse être appliqué, la personne qui demande la citoyenneté doit démontrer qu’elle est effectivement présente au Canada (Takla, précitée, au paragraphe 50; Martinez, précité, au paragraphe 9; Hao, précité, au paragraphe 24; Elzubair, précité, au paragraphe 13).
[39] Le « critère du mode d’existence centralisé » a été énoncé par le juge en chef adjoint Thurlow, devenu par la suite juge en chef, dans le jugement Papadogiorgakis (In re) et in re la Loi sur la citoyenneté, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.) (Papadogiorgakis), à la page 214. Ce critère est un critère qualitatif qui « dépend [traduction] “essentiellement du point jusqu’auquel une personne s’établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances, au lieu en question” », même si cette personne a pu s’absenter du Canada pendant de longues périodes.
[40] Le critère consistant à se demander où l’intéressé « vit régulièrement, normalement et habituellement » a été établi par le juge Reed, dans le jugement Koo, précité, à la page 293. Le juge Reed a énuméré six facteurs pour aider à déterminer si ce critère est respecté dans un cas déterminé. Ces facteurs seront analysés dans la prochaine section des présents motifs.
[41] Le critère de la « présence effective » est souvent attribué au juge Muldoon, qui a expliqué, dans le jugement Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (1re inst.) (QL) (Pourghasemi), aux paragraphes 3 à 9, que l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté exige notamment que la personne qui demande la citoyenneté soit effectivement présente pendant au moins trois ans (1 095 jours) pendant la période de quatre ans précédant sa demande.
[42] Dans le jugement Lam, précité, le juge Lutfy, devenu par la suite juge en chef adjoint de la Cour d’appel fédérale, a expliqué que « le juge de la citoyenneté peut adhérer à l’une ou l’autre des écoles contradictoires de la Cour, et, s’il appliquait correctement aux faits de la cause les principes de l’approche qu’il privilégie, sa décision ne serait pas erronée » (Lam, précité, au paragraphe 14).
[43] La mesure législative proposée dont il a été question dans l’affaire Lam n’a finalement pas été adoptée. Quoi qu’il en soit, à mon avis, on peut raisonnablement interpréter la jurisprudence de notre Cour en tenant pour acquis que l’état du droit tel qu’exposé par le juge Lutfy n’a pas changé en ce qui concerne la capacité des juges de la citoyenneté d’appliquer l’un des trois critères de la citoyenneté susmentionnés (voir la seconde série de décisions mentionnées au paragraphe 21). J’en suis arrivé à cette conclusion bien que je trouve personnellement convaincant le raisonnement suivi dans le jugement Martinez, précité, et dans sa foulée. Comme je l’ai souligné ci-dessus au paragraphe 22, ce courant jurisprudentiel estime que le critère de la présence effective est le bon critère à appliquer et qu’il est en fait le seul critère prévu à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.
[44] Toutefois, pour ceux qui sont d’avis contraire, je ne crois pas, selon la prépondérance de la preuve, que la jurisprudence de notre Cour appuie une démarche qui exigerait effectivement un mélange d’au moins deux des trois critères susmentionnés (Mizani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 698, au paragraphe 13; Shubeilat, précitée, au paragraphe 31). Par exemple, si un juge de la citoyenneté décide d’appliquer le critère de la présence effective et conclut que le demandeur en question ne satisfait pas à ce critère, il serait contraire à l’interprétation logique des principaux courants jurisprudentiels de notre Cour (en l’occurrence, les approches énoncées dans les jugements Papadogiorgakis, Pourghasemi, Koo et Lam, respectivement, et les décisions rendues dans leur foulée) qu’un juge de la citoyenneté soit obligé d’appliquer ensuite le critère du jugement Koo ou encore le « critère du mode de vie centralisé ». Agir ainsi obligerait en fait le juge de la citoyenneté de permettre au demandeur de tenter sa chance deux fois. Suivant l’état actuel de la jurisprudence de la Cour, il serait raisonnablement loisible au juge de la citoyenneté de mettre fin à l’analyse prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté dès lors qu’il estime que le demandeur ne satisfait pas au critère de la présence effective.
[45] Dans le cas qui nous occupe, ce n’est pas ce qui s’est produit. La juge de la citoyenneté semble avoir décidé de ne pas appliquer le critère de la présence effective après avoir estimé qu’elle n’était pas convaincue que les renseignements fournis par Mme Huang correspondaient avec exactitude au nombre de jours où elle avait effectivement été présente au Canada. Elle a par conséquent décidé d’appliquer le critère du jugement Koo. Suivant la jurisprudence constante de notre Cour, il lui était parfaitement loisible de le faire. Autrement dit, il était raisonnablement loisible à la juge de la citoyenneté d’agir de la sorte. Cette décision appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Cet aspect de la décision faisant l’objet du présent contrôle était également raisonnablement justifié, transparent et intelligible.
[46] Mme Huang s’oppose également à l’emploi que la juge de la citoyenneté a fait des mots [traduction] « en fait » et affirme qu’elle l’a ainsi obligée à satisfaire à un critère préliminaire plus exigeant que celui de la « prépondérance de la preuve ». Je ne suis pas de cet avis.
[47] La juge de la citoyenneté a expressément déclaré qu’elle n’était pas [traduction] « convaincue, suivant la prépondérance de la preuve » que les renseignements fournis par Mme Huang correspondaient avec exactitude au nombre de jours pendant lesquels elle avait été effectivement présente au Canada. Compte tenu de ma lecture de l’ensemble de la décision, je suis convaincu que la juge n’a pas appliqué une norme différente de celle de la prépondérance de la preuve qu’elle affirme avoir appliquée.
ii. Application du critère du jugement Koo aux faits du dossier par la juge de la citoyenneté
[48] Mme Huang affirme que la juge de la citoyenneté s’est méprise sur plusieurs aspects du dossier de la preuve et que, par suite de ces erreurs, la conclusion suivant laquelle elle n’avait pas satisfait aux critères de la citoyenneté était déraisonnable. Je ne suis pas de cet avis.
[49] Dans le jugement Koo, le juge Reed a énuméré six questions [aux pages 293 et 294] auxquelles on pouvait répondre pour déterminer si le candidat à la citoyenneté vivait « régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada :
1) la personne était‑elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?
2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?
3) la forme de présence physique de la personne dénote‑t‑elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?
4) quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences sont considérables?
5) l’absence physique est‑elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?
6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont‑elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays? [Souligné dans l’original.]
[50] En ce qui concerne le premier facteur, la juge de la citoyenneté a conclu que Mme Huang n’avait passé au Canada que 99 jours avant la période applicable, ce qui ne constituait pas une « période prolongée » au sens du jugement Koo, précité. Mme Huang n’a pas contesté cette conclusion.
[51] En ce qui concerne le second facteur, la juge de la citoyenneté a conclu que la demanderesse habitait avec son mari, sa fille, et deux fils en Chine, où ses parents, ses deux sœurs et les membres de sa famille élargie vivaient également. La juge de la citoyenneté a également fait observer que Mme Huang n’a pas de famille au Canada. Mme Huang ne conteste pas cette conclusion.
[52] En ce qui concerne le troisième facteur, la juge de la citoyenneté a conclu que l’historique des voyages effectués par Mme Huang entre le Canada et la Chine démontre que son pays est la Chine et qu’elle était simplement en visite au Canada ou qu’elle est venue au Canada pour donner naissance à deux de ses enfants et pour permettre à ses enfants les plus âgés et aux enfants moins âgés de fréquenter l’école et l’école maternelle au Canada. À mon avis, cette conclusion s’accorde parfaitement avec les faits au dossier.
[53] Pour en arriver à cette conclusion, la juge de la citoyenneté a relevé plusieurs contradictions dans les pièces que Mme Huang lui avait soumises à l’appui de sa demande. Par exemple, dans son questionnaire de résidence, Mme Huang avait expliqué qu’elle avait résidé au Canada avec son mari entre février 2005 et le 21 novembre 2010 et que, à compter de mai 2006, jusqu’à la fin de la période en question, elle avait habité à une adresse déterminée à Richmond, en Colombie‑Britannique. Toutefois, à l’audience, elle a admis que son mari était retourné vivre en Chine en 2005, qu’il ne revenait au Canada pour vivre avec elle que quelques mois par année et qu’elle était retournée vivre avec lui le 21 août 2009.
[54] Pour en arriver à sa conclusion en ce qui concerne ce troisième facteur du jugement Koo, la juge de la citoyenneté a également remis en question la valeur de certains des documents que Mme Huang lui avait soumis pour appuyer son argument qu’elle avait été présente au Canada entre le 8 avril 2006 et le 6 juin 2006. Mme Huang affirme que cet aspect de l’analyse de la juge de la citoyenneté était déraisonnable. Je reviendrai plus loin sur cet aspect des arguments formulés par Mme Huang, étant donné que ce volet de l’analyse de la juge de la citoyenneté recoupe son évaluation du quatrième facteur du jugement Koo.
[55] Pour apprécier le quatrième facteur du jugement Koo, la juge de la citoyenneté a conclu qu’il manquait à Mme Huang 54 jours pour satisfaire à l’exigence des 1 095 jours prévus à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Elle en est arrivée à cette conclusion après avoir déclaré qu’elle n’était pas convaincue que Mme Huang avait été présente au Canada pendant la période de 59 jours comprise entre le 8 avril 2006 et le 7 juin 2006 (la période contestée).
[56] Comme nous l’avons déjà fait observer, Mme Huang affirme que cette conclusion n’est pas raisonnable. En particulier, Mme Huang affirme que compte tenu du fait que son passeport comportait un timbre de sortie de la Chine daté du 8 avril 2006 et qu’il ne contenait aucun timbre ou visa d’autres pays au cours de la période suivant immédiatement cette date, la seule conclusion raisonnable à laquelle la juge de la citoyenneté pouvait en arriver était qu’elle était arrivée au Canada à cette date et qu’elle y était demeurée jusqu’à son prochain voyage déclaré. Je ne suis pas de cet avis.
[57] Le passeport de Mme Huang témoigne de ses nombreux voyages, y compris en Australie, en Malaisie et aux États‑Unis. Parmi ses absences déclarées du Canada au cours de la période pertinente, quatre l’ont été pour se rendre aux États‑Unis (dossier certifié du tribunal, à la page 128). En particulier dans le présent contexte, il n’était pas déraisonnable de la part de la juge de la citoyenneté de ne pas en inférer que Mme Huang se trouvait au Canada au cours de la période contestée tout simplement parce qu’elle n’était pas en Chine. Il incombait à Mme Huang de démontrer, suivant la prépondérance de la preuve, le nombre de jours qu’elle se trouvait au Canada. Contrairement à ce que Mme Huang prétend, le timbre de sortie de la Chine qui se trouve dans son passeport ne constitue pas [traduction] « une preuve fiable de ses entrées au Canada et de ses sorties du Canada ».
[58] Mme Huang conteste également l’affirmation de la juge de la citoyenneté suivant laquelle [traduction] « il n’y a aucun élément de preuve ou document à l’appui démontrant que la demanderesse était une résidente du Canada entre le 6 août 2005 et le 7 juin 2006 ».
[59] Après avoir fait cette déclaration, la juge de la citoyenneté a reconnu que Mme Huang était arrivée au Canada pour une période de 49 jours entre le 22 octobre 2005 et le 10 décembre 2005. Mme Huang ne conteste donc que la période du 8 avril 2006 au 7 juin 2006.
[60] Compte tenu de la lecture que je fais de cette partie de la décision de la juge de la citoyenneté dans son ensemble, je suis convaincu que la juge de la citoyenneté voulait dire qu’il n’y avait pas d’élément de preuve ou de document à l’appui pour démontrer de façon convaincante que Mme Huang se trouvait au Canada au cours de la période contestée. La juge de la citoyenneté a analysé de façon appropriée les principaux documents sur lesquels Mme Huang se fondait pour démontrer sa présence au Canada au cours de la période en question. Toutefois, la juge de la citoyenneté a raisonnablement conclu que ces documents n’établissaient pas la présence de Mme Huang au Canada.
[61] Les documents en question comprenaient certains renseignements témoignant d’activités sur des cartes de crédit et faisant état d’opérations en vue d’acheter une voiture et de souscrire à une assurance pour une voiture le 16 avril 2006 et le 30 avril 2006. Ces renseignements ne font état d’aucune autre opération au Canada avant le 7 juin 2006, tandis que d’autres renseignements fournis indiquaient que de nombreuses opérations avaient eu lieu sur le compte MasterCard de Mme Huang au cours de la période de 49 jours susmentionnée pendant laquelle elle se trouvait au Canada à la fin de 2005.
[62] Parmi les autres documents, mentionnons un contrat d’achat d’une voiture qui, suivant la juge de la citoyenneté, était très jauni, difficile à lire dont certaines parties n’avaient pas été remplies. La juge de la citoyenneté a notamment fait observer que le document n’était pas signé et que la partie consacrée à la vérification de l’identité n’était pas remplie. Elle a également fait observer que quelqu’un d’autre avait fort bien pu acheter le véhicule au Canada au nom de Mme Huang.
[63] À mon avis, il n’était pas raisonnable de la part de la juge de la citoyenneté de conclure que les documents susmentionnés ne démontraient pas que Mme Huang se trouvait au Canada au cours de la période contestée, compte tenu notamment des incohérences susmentionnées relevées dans sa preuve et des observations de la juge de la citoyenneté suivant lesquelles : i) Mme Huang n’avait pas produit de baux ou de contrats de location concernant des logements ou des résidences qu’elle aurait occupés au cours de la période contestée; ii) la lettre de son médecin suivant laquelle elle ne l’avait pas consulté entre le 26 mars 2005 et le 20 juin 2006, date à laquelle elle l’avait rencontré à son retour alors qu’elle était enceinte de trois mois de son troisième enfant.
[64] Mme Huang affirme qu’elle a fourni d’autres documents attestant sa présence au Canada au cours de la période contestée, y compris : i) une facture de BC Hydro constatant un « virement » de 3,41 $; ii) une facture de Shaw Cable; et iii) des relevés de la Banque de Montréal. Toutefois, comme les autres pièces susmentionnées, ces documents ne démontrent pas à première vue que Mme Huang se trouvait au Canada pendant la période contestée et il n’était pas déraisonnable de la part de la juge de ne pas mentionner explicitement ces pièces. D’ailleurs, le relevé de BC Hydro fait état d’une consommation d’électricité très faible de seulement 3,75 $ pour la période du 16 mai 2006 au 13 juin 2006; la facture de Shaw Cable ne fait état d’aucuns frais antérieurs ou de solde impayé; quant aux opérations mentionnées dans le relevé de la Banque de Montréal, il s’agit de virements, de virements en ligne, de paiements préautorisés, de chèques, de virements électroniques reçus, de notes de débit et de rectification d’erreurs. Aucun de ces éléments ne démontre de façon convaincante que Mme Huang était effectivement présente au Canada. Ces opérations ont fort bien pu avoir été faites depuis l’étranger (Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1555, au paragraphe 25; Hernando Paez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 204, au paragraphe 18; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Carmolinga‑Posch, 2009 CF 613, aux paragraphes 23 à 26 et 80; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Zhang, 2011 CF 844, au paragraphe 18).
[65] Je reconnais que la juge de la citoyenneté a pu commettre une erreur lorsqu’elle a fait observer que certaines des opérations de carte de crédit faisant état d’activités au Canada en juillet 2007 contredisaient une déclaration qu’aurait faite Mme Huang suivant laquelle elle se trouvait en Chine à l’époque. Toutefois, cette erreur ne porte pas à conséquence étant donné qu’elle ne se rapporte pas à la période contestée et qu’il semble qu’il soit admis aux débats que Mme Huang se trouvait au Canada à cette époque. Dans le même ordre d’idées, j’estime que l’erreur qu’aurait vraisemblablement commise la juge de la citoyenneté au sujet de l’opération de la carte de crédit qui correspondait à son avis à une opération faite en Chine le 28 mai 2006 ne tire pas à conséquence parce qu’elle ne semble pas avoir joué un rôle important dans sa conclusion suivant laquelle Mme Huang n’avait pas démontré selon la prépondérance de la preuve qu’elle se trouvait effectivement au Canada au cours de la période contestée.
[66] Pour ce qui est du cinquième facteur énoncé dans le jugement Koo, la juge de la citoyenneté a conclu que les absences de Mme Huang du Canada n’étaient pas attribuables à une situation temporaire, mais qu’elle s’expliquait par le fait qu’elle retournait en Chine auprès de son mari pour passer du temps avec sa famille immédiate et sa famille élargie. Mme Huang n’a pas contesté cette conclusion.
[67] Enfin, en ce qui concerne le sixième facteur énoncé dans le jugement Koo, la juge de la citoyenneté a conclu qu’il était [traduction] « évident que les liens de [Mme Huang] avec la Chine, l’endroit où elle est née, où elle a grandi, où elle a fait ses études, s’est mariée, où toute sa famille habite et où elle est retournée vivre sont des liens beaucoup plus solides que ceux qu’elle a avec le Canada ». Là encore, Mme Huang n’a pas contesté cette conclusion.
[68] Vu tout ce qui précède, la juge de la citoyenneté a conclu que Mme Huang ne satisfaisait pas au critère de citoyenneté du jugement Koo.
[69] À mon avis, cette conclusion appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Elle était également raisonnablement justifiée, transparente et intelligible.
C. La juge de la citoyenneté a‑t‑elle mal évalué les compétences de Mme Huang en anglais?
[70] Compte tenu des réponses que j’ai données aux deux des trois principales questions soulevées dans la présente demande, et compte tenu du fait que le critère de la citoyenneté énoncé au paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté est cumulatif, il n’est pas nécessaire que j’aborde cette troisième question.
Décision
[71] Pour les motifs qui ont été exposés, le présent appel est rejeté.
[72] Le défendeur a réclamé les dépens dans la présente instance. Je ne suis cependant pas convaincu que les faits de la présente espèce sont suffisamment exceptionnels pour justifier l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire de manière à accéder à cette demande (McIlroy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 685, au paragraphe 34).
JUGEMENT
LA COUR REJETTE l’appel.