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[2001] 3 C.F. 514

T-1125-99

2001 CFPI 277

Le Commissaire à l’information (demandeur)

c.

Le Ministre de l’Environnement du Canada (défendeur)

et

Ethyl Canada Inc. (défenderesse mise en cause)

Répertorié : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1re inst.)

Section de première instance, juge Blanchard--Ottawa, 15 janvier et 2 avril 2001.

Accès à l’information — Contrôle judiciaire du refus du ministre de l’Environnement de communiquer des documents en vertu de l’art. 69(1)a) (mémoires au Cabinet) et e) (documents d’information à l’usage des ministres de la Couronne) de la Loi sur l’accès à l’information (LAI) — L’art. 69(3)b) soustrait les documents de travail à l’application du par. (1) dans les cas où les décisions auxquelles ils se rapportent ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant — Lorsque la LAI a été adoptée, l’expression « document de travail » était censée décrire un problème en vue d’un examen complet des diverses solutions possibles — Peu après, le système de dossiers du Cabinet a été modifié de telle sorte que les renseignements qui se trouvaient auparavant dans les documents de travail figureraient désormais dans les mémoires au Cabinet — Quelle que soit son appellation, si le document contient des renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques, le législateur voulait que ces renseignements soient communiqués — Transformer un « document de travail » pour en faire la section « analyse » d’un mémoire au Cabinet a pour effet de limiter l’accès aux problèmes, aux analyses ou aux options politiques, un accès conféré par la LAI — Tentative possible de faire fi de la volonté du législateur fédéral — En considérant l’objet premier du document tout entier pour savoir s’il s’agissait d’un document de travail, la greffière adjointe a appliqué le mauvais critère — Si l’objet des renseignements contenus dans le mémoire au Cabinet est de présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques, ces renseignements devraient être prélevés puis communiqués au public.

Preuve — Le greffier du Conseil privé a délivré une attestation en vertu de l’art. 39 de la Loi sur la preuve au Canada (LPC), dans laquelle il déclarait que les documents dont la communication était demandée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information (LAI) étaient des documents confidentiels du Cabinet — Motif possible de contrôle quant à savoir si une attestation selon l’art. 39 paraît reprendre le libellé de l’art. 39 — La Cour a compétence pour contrôler la délivrance de l’attestation au motif que les renseignements dont la communication a été refusée peuvent relever de l’art. 39(4)b) de la LPC, qui soustrait à l’application de l’art. 39(1) les documents de travail visés à l’art. 39(2)b) dans les cas où les décisions auxquelles ils se rapportent ont été rendues publiques — La Cour peut tenir compte de la preuve extrinsèque indiquant l’existence de renseignements à l’intérieur des exceptions — La preuve extrinsèque indiquait l’existence, dans les documents, de renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques — Une attestation délivrée en vertu de l’art. 39(1) ne peut être invoquée pour refuser de communiquer des renseignements visés par l’exception de l’art. 39(4)b) — Le greffier est tenu de prélever ces renseignements des renseignements confidentiels du Cabinet contenus dans le mémoire au Cabinet — Les renseignements qui figurent dans un document et qui entrent dans l’art. 39(2)a) à f) entrent-ils aussi dans l’art. 39(4)b) et, dans l’affirmative, les renseignements peuvent-ils être extraits du document sans que cela pose de problèmes sérieux? — Le greffier aurait dû se demander si les renseignements entraient dans l’exception de l’art. 39(4)b) — Il doit donc réexaminer les documents.

Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Contrôle judiciaire du refus du ministre de l’Environnement de communiquer des documents en vertu de l’art. 69(1)a) (mémoires au Cabinet) et e) (documents d’information à l’usage des ministres de la Couronne) de la Loi sur l’accès à l’information (LAI) — Le Commissaire à l’information a recommandé que les renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques soient prélevés des documents confidentiels du Cabinet, puis communiqués en conformité avec l’art. 69(3)b) de la LAI, (qui soustrait à l’application de l’art. 69(1) les « documents de travail » dont l’objet est de présenter des problèmes) — Le Commissaire à l’information a demandé, en vertu de l’art. 42 de la LAI, le contrôle du refus de communiquer — Le greffier du Conseil privé a délivré une attestation en vertu de l’art. 39(2)a) et e) de la Loi sur la preuve au Canada (LPC), attestation qui qualifiait les documents de renseignements confidentiels du Cabinet — Les « documents de travail » au sens de l’art. 69(3)b) de la LAI, ne sont pas soustraits à l’application de la LAI, selon ce que prévoit l’art. 69(1) — L’interprétation de l’art. 69 requiert d’examiner l’objet et l’économie de la Loi, ainsi que l’intention du législateur — L’objet est d’étendre le droit d’accès aux renseignements administratifs — Ainsi les exclusions énoncées à l’art. 69(1)a) à g) sont limitées autant qu’il est possible, et les exceptions à telles exclusions qui sont prévues à l’art. 69(3)a) et b) reçoivent leur plein effet — En édictant l’art. 69(3)b) de la LAI, et l’art. 39(4)b) de la LPC, le législateur voulait que les renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques puissent être communiqués au public — Par suite des changements apportés au Système de dossiers du Cabinet, les renseignements qui figuraient dans les « documents de travail » lorsque la LAI a été édictée se trouvent maintenant dans la section « analyse » du mémoire au Cabinet — Le BCP ne communique pas les renseignements dont le législateur voulait la communication, tout simplement parce qu’ils figurent dans un mémoire au Cabinet ou parce que le document n’est plus appelé « document de travail » — La Cour a compétence selon l’art. 42 pour contrôler la décision selon laquelle les documents relèvent de l’art. 69(1)a) et e) de la LAI, ainsi que pour contrôler la délivrance d’une attestation selon l’art. 39 de la LPC, au motif que les renseignements dont la communication est refusée peuvent relever de l’exception énoncée dans l’art. 69(3)b) de la LAI et l’art. 39(4)b) de la LPC.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Le ministre de l’Environnement, sur avis du BCP, a refusé la communication de documents en vertu de l’art. 69(1) de la Loi sur l’accès à l’information, au motif qu’il s’agissait de renseignements confidentiels du Cabinet — La Cour n’est pas tenue de déférer outre mesure à la décision parce qu’il s’agit là d’une question de droit (le sens de l’expression « document de travail » à l’art. 69(1)b)) — L’objet de la Loi est d’offrir au public un meilleur accès aux documents de l’administration, nonobstant ce que souhaiteraient les responsables des institutions fédérales — La norme de contrôle est celle de la décision correcte.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par le ministre de l’Environnement de refuser l’accès à des documents qui, selon le ministre et le BCP, constituaient des documents confidentiels du Cabinet. En 1997, une demande a été présentée au ministre au nom d’Ethyl Canada Inc., en vertu de la Loi sur l’accès à l’information (LAI), en vue d’obtenir communication de documents du Cabinet portant sur un additif pour carburant appelé MMT. Le ministre a trouvé quatre documents, dont l’un n’a pas été communiqué, en application de l’alinéa 69(1)a) de la LAI, et dont les trois autres ne l’ont pas été, en application de l’alinéa 69(1)e) de la LAI. Le paragraphe 69(1) soustrait à l’application de la Loi les documents confidentiels du Conseil privé de la Reine (le Cabinet), notamment les « notes destinées à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil » (alinéa 69(1)a)) et les « documents d’information à l’usage des ministres de la Couronne sur des questions portées devant le Conseil » (alinéa 69(1)e)). Lorsque la LAI a été adoptée en 1982, le Système de dossiers du Cabinet produisait deux documents : le mémoire au Cabinet et le « document de travail », qui présentait des problèmes, des analyses et des options politiques. À la suite de réformes entreprises en 1984 et 1986, les renseignements contenus dans les « documents de travail » tels qu’on les entendait en 1982 se trouvent aujourd’hui dans la section « analyse » d’un mémoire au Cabinet, et un « document de travail » s’entend d’un document que prépare un ministère fédéral dans l’intention de le publier en marge d’une stratégie prévue de communication. Des « documents de travail » comme on les entendait en 1982 n’ont pas été produits depuis 1984. Le fait que les renseignements figurant dans les anciens « documents de travail » aient été transférés à la section « analyse » des mémoires au Cabinet a conduit le Commissaire à l’information à conclure que la plainte d’Ethyl était fondée. Le Commissaire à l’information a recommandé que les renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques soient prélevés des documents qui sont des documents confidentiels du Cabinet, puis communiqués en conformité avec l’alinéa 69(3)b). L’alinéa 69(1)b) comprend, parmi les documents confidentiels du Cabinet, les documents de travail destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l’examen du Conseil. L’alinéa 69(3)b) soustrait à l’application du paragraphe (1) les documents de travail visés à l’alinéa 69(1)b), dans les cas où les décisions auxquelles ils se rapportent ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant. Le ministre de l’Environnement ayant décidé de ne pas suivre la recommandation du Commissaire à l’information, le Commissaire a déposé une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 42 de la LAI, qui donne au Commissaire à l’information qualité pour exercer lui-même le recours en révision pour refus de communication d’un document. Le greffier du Conseil privé a alors délivré une attestation en vertu des alinéas 39(2)a) et e) de la Loi sur la preuve au Canada (LPC), attestation selon laquelle les quatre documents étaient considérés comme documents confidentiels du Cabinet et par laquelle le greffier s’opposait à leur communication. Le paragraphe 39(1) soustrait à l’application de la LPC les renseignements considérés comme renseignements confidentiels du Cabinet. L’alinéa 39(2)a) englobe dans la définition d’un renseignement confidentiel du Cabinet une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil; l’alinéa b) englobe dans cette définition un document de travail destiné à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l’examen du Conseil; et l’alinéa e) englobe un document d’information à l’usage des ministres sur des questions portées ou qu’il est prévu de porter devant le Conseil. L’alinéa 39(4)a) soustrait à l’application du paragraphe 39(1) les documents de travail visés à l’alinéa 39(2)b) dans les cas où les décisions auxquelles ils se rapportent ont été rendues publiques.

Les questions étaient les suivantes : 1) la Cour avait-elle compétence selon l’article 42 pour contrôler les décisions du Conseil privé de ne pas communiquer des documents aux motifs qu’il s’agissait de documents confidentiels du Cabinet selon l’article 69? 2) que signifie l’expression « documents de travail », aux alinéas 69(1)b) et 69(3)b)? et 3) le greffier du BCP a-t-elle commis une erreur en délivrant une attestation conformément aux alinéas 39(2)a) et e) de la LPC?

Jugement : la demande est accueillie.

1) Selon le défendeur, le paragraphe 69(1) de la LAI soustrayait les documents confidentiels du Cabinet à l’application de la Loi, de même qu’à tout contrôle judiciaire. L’interprétation de l’article 69 requérait d’examiner les termes, l’objet et l’économie de la Loi, ainsi que l’intention du législateur. Les termes de la Loi semblaient indiquer que la Loi ne s’applique pas aux documents confidentiels du Cabinet énumérés au paragraphe 69(1), mais il était possible que la Loi s’applique aux « documents de travail » définis à l’alinéa 69(1)b). L’objet de la Loi est d’élargir le droit d’accès à l’information gouvernementale. Par conséquent, les exclusions énumérées dans les alinéas 69(1)a) à g) devraient être interprétées d’une manière qui porte le moins possible atteinte au droit d’accès du public ou, en d’autres termes, devraient être limitées dans toute la mesure du possible, et les exceptions aux exclusions, énoncées aux alinéas 69(3)a) et b), devraient recevoir leur plein effet. Les exceptions de l’alinéa 69(3)b) de la LAI et de l’alinéa 39(4)b) de la LPC aux exclusions énumérées constituaient une entorse au principe du caractère confidentiel absolu dont bénéficiaient auparavant les documents confidentiels du Cabinet. En établissant des exceptions, le législateur voulait que certains genres de renseignements puissent être communiqués au public, à savoir les renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques. Reste à savoir qui a le dernier mot lorsque vient le temps de décider si des renseignements ou documents entrent ou non dans l’une des exceptions. Le processus par lequel un document devant normalement être communiqué conformément à l’alinéa 69(3)b) vient à être qualifié de document confidentiel devrait résister à l’examen effectué dans un contrôle judiciaire. La preuve extrinsèque, à savoir l’évolution du Système de dossiers du Cabinet, signalait l’existence de documents destinés à présenter des problèmes, des analyses et des options politiques. À la suite des réformes du Système de dossiers du Cabinet, et bien que toutes les conditions de l’alinéa 69(3)b) puissent être réunies, le contenu d’un « document de travail » n’est pas communiqué parce qu’il n’est plus appelé « document de travail ». Les « documents de travail » tels que les entend l’alinéa 69(3)b) ne sont pas soustraits à l’application de la Loi sur l’accès à l’information selon ce que prévoit le paragraphe 69(1). La LAI s’appliquait, et la Cour a le pouvoir en vertu de l’article 42 d’exercer un contrôle judiciaire sur les décisions du BCP de refuser la communication intégrale des documents en question.

La Cour peut procéder au contrôle judiciaire d’une attestation délivrée en vertu de l’article 39 et dire si l’attestation paraît reprendre le libellé de l’article 39. La Cour peut tenir compte de la preuve extrinsèque pour procéder au contrôle judiciaire de la délivrance d’une attestation. En l’espèce, la preuve extrinsèque était claire. Les renseignements auparavant contenus dans les « documents de travail » figurent aujourd’hui dans la section « analyse » du mémoire au Cabinet. Pour les fonctionnaires du BCP, les « documents de travail » doivent aujourd’hui s’entendre de documents qui sont préparés dans le cadre d’une stratégie prévue de communication. Ils ne figurent plus dans un mémoire au Cabinet. La Cour avait compétence pour contrôler la décision du BCP selon laquelle les documents en cause entraient dans les alinéas 69(1)a) et e) de la LAI et pour contrôler la délivrance de l’attestation par le greffier du BCP selon les alinéas 39(2)a) et e) de la LPC, étant donné que les renseignements dont la communication était refusée pouvaient entrer dans l’exception prévue à l’alinéa 69(3)b) de la LAI et à l’alinéa 39(4)b) de la LPC.

Pour ce qui est de la norme de contrôle, la Cour n’était pas tenue de déférer outre mesure à la décision du BCP, parce que la question à trancher, celle de la signification véritable de l’expression « document de travail », à l’alinéa 69(1)b), était une question de droit, lesquelles appellent en général un moindre devoir d’acquiescement de la part des tribunaux, et parce que l’objet de la LAI est d’offrir au public un meilleur accès aux documents de l’administration, alors que les responsables des institutions fédérales ont tendance à interpréter la Loi d’une manière qui leur confère une protection maximale contre la divulgation. Par conséquent, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte.

2) Quel que soit son titre, si un document contient des renseignements dont l’objet est de présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques, le législateur voulait que ces renseignements puissent être divulgués. C’est la seule interprétation des alinéas 69(1)b) et 69(3)b) de la LAI et des alinéa 39(2)b) et 39(4)b) de la LPC qui puisse donner à ces articles une signification. La transformation du « document de travail » en la section « analyse » de l’actuel mémoire au Cabinet a pour effet de restreindre la divulgation des problèmes, des analyses ou des options politiques dont parle la LAI. Un tel changement apporté au Système de dossiers du Cabinet pourrait être considéré comme une tentative de faire fi de la volonté du législateur.

La greffière adjointe du BCP a appliqué le mauvais critère dans l’évaluation des quatre documents. Elle a déclaré qu’un document sera ou non considéré comme un « document de travail » selon qu’il a ou non été préparé dans le cadre d’une stratégie prévue de communication. Elle a aussi déclaré que, lorsqu’elle se demande si un document est un document confidentiel du Cabinet, elle considère l’objet principal du document tout entier. Les « documents de travail » dont parlent les alinéas 69(1)b) et 69(3)b) doivent s’entendre des renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l’examen du Conseil. Si ces renseignements existent, mais se trouvent dans un mémoire au Cabinet, il faut alors se demander s’ils peuvent, sans que cela pose de problèmes sérieux, être prélevés du mémoire au Cabinet conformément à l’article 25. Si tel est le cas, ils doivent être communiqués au public. Le législateur ne voulait pas que l’on puisse tourner l’alinéa 69(3)b) en rebaptisant simplement les documents. Puisque la greffière adjointe du BCP a commis une erreur dans son interprétation de l’expression « documents de travail », les documents doivent être réexaminés en conformité avec l’analyse qui précède. Puisque la décision du Cabinet concernant le MMT a été rendue publique lorsque le Cabinet a déposé le projet de loi C-94, alors par l’effet de la loi les renseignements en question entreront dans l’exception de l’alinéa 69(3)b). Par conséquent, la LAI est applicable et, si tels renseignements peuvent, sans que cela pose de problèmes sérieux, être prélevés conformément à l’article 25, alors ils devraient être prélevés puis communiqués au demandeur.

3) Le même raisonnement s’appliquait à l’alinéa 39(4)b). La preuve extrinsèque montrait que les documents en cause contenaient des renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques. De tels renseignements ne pouvaient donc être soustraits à la communication aux termes du paragraphe 39(1) et auraient dû être divulgués puisqu’ils étaient visés par l’exception de l’alinéa 39(4)b). Une attestation délivrée en vertu du paragraphe 39(1) ne peut être invoquée pour refuser la divulgation de renseignements qui sont visés par l’exception de l’alinéa 39(4)b). Aucune disposition prévoyant le prélèvement de tels renseignements n’est requise. Le paragraphe 39(1) parle clairement de « renseignement ». En utilisant le mot « renseignement » plutôt que « document », le législateur voulait que soient divulgués les renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques, quand bien même les renseignements figureraient-ils dans un mémoire au Cabinet ou y seraient annexés, puisqu’ils ne sont plus considérés comme « renseignements confidentiels du Cabinet » par l’effet de l’alinéa 39(4)b).

Le greffier a examiné les « documents » pour savoir s’ils entraient dans les alinéas 39(2)a) à f) ou dans l’alinéa 39(4)b). Il faudrait se demander si les renseignements qui figurent dans un document et qui entrent dans les alinéas 39(2)a) à f) entrent également dans l’alinéa 39(4)b). Dans l’affirmative, il faut ensuite se demander si ces renseignements peuvent être extraits du document sans que cela pose de problèmes sérieux. S’il est répondu par l’affirmative à ces deux questions, alors ces renseignements doivent être prélevés du document confidentiel du Cabinet et communiqués au public. Le greffier a commis une erreur susceptible de contrôle en ne se demandant pas si les renseignements se trouvant dans les documents entraient dans l’exception énoncée à l’alinéa 39(4)b). L’attestation devrait être renvoyée au greffier pour réexamen.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2, 13 (mod. par L.C. 2000, ch. 7, art. 21), 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 41, 42, 69.

Loi édictant la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, modifiant la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la Cour fédérale et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, S.C. 1980-81-82-83, ch. 111.

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10, art. 41(2).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 39 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144).

Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, ch. E-10, art. 36.3 (éd. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, art. 4).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Singh c. Canada (Procureur général), [2000] 3 C.F. 185 (2000), 183 D.L.R. (4th) 458; 20 Admin. L.R. (3d) 168; 251 N.R. 318 (C.A.); autorisation d’appel à la C.S.C. refusée [2000] C.S.C.R. no 92; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; (1996), 139 D.L.R. (4th) 415; 28 B.L.R. (2d) 121; 12 C.C.L.S. 139; 203 N.R. 60; Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 (1997), 154 D.L.R. (4th) 414; 221 N.R. 145 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2 C.F. 641 (1990), 71 D.L.R. (4th) 253; 45 Admin. L.R. 1; 32 C.P.R. (3d) 308; 109 N.R. 357 (C.A.); autorisation d’appel à la C.S.C. refusée [1991] 1 R.C.S. vii; (1991), 74 D.L.R. (4th) viii; 128 N.R. 319; Canadian Assn. of Regulated Importers c. Canada (Procureur général), [1992] 2 C.F. 130 (1991), 87 D.L.R. (4th) 730; 6 Admin. L.R. (2d) 191; 135 N.R 217; 5 T.C.T. 4025 (C.A.); Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes c. Canada (Ministre des Finances), [1999] 4 C.F. 245 (1999), 99 DTC 5337; 168 F.T.R. 49 (1re inst.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Gogolek c. Canada (Procureur général) (1996), 107 F.T.R. 123 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Duncan and Another v. Cammell, Laird and Company, Limited, [1942] A.C. 624 (H.C.L.); Conway v. Rimmer and Another, [1968] A.C. 910 (H.L.).

DÉCISIONS CITÉES :

Landreville c. La Reine, [1977] 1 C.F. 419 (1976), 70 D.L.R. (3d) 122 (1re inst.); Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1983] 1 C.F. 917 (1983), 1 C.I.P.R. 32; 38 C.P.C. 182; 76 C.P.R. (2d) 192 (1re inst.).

DOCTRINE

Canada. Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des questions juridiques, Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 50 (9 juillet 1981).

Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des questions juridiques, Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 94 (8 juin 1982).

Canada. Bureau du Conseil privé. Mémoires au Cabinet : Guide du rédacteur, édition en feuillets mobiles, Ottawa : Bureau du Conseil privé.

DEMANDE de contrôle judiciaire du refus du ministre de l’Environnement de communiquer des documents en vertu du paragraphe 69(1) de la Loi sur l’accès à l’information, au motif qu’il s’agissait de documents confidentiels du Cabinet. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Daniel Brunet et Nathalie Daigle, pour le demandeur.

David T. Sgayias, c.r., Brian J. Saunders et Christopher M. Rupar, pour le défendeur, le ministre de l’Environnement du Canada.

Timothy H. Gilbert, pour la défenderesse mise en cause, Ethyl Canada Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Brunet, Commissariat à l’information du Canada, Ottawa, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur, le ministre de l’Environnement du Canada.

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin, Toronto, pour la défenderesse mise en cause, Ethyl Canada Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Blanchard : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée par le Commissaire à l’information du Canada (le Commissaire à l’information) conformément à l’article 42 de la Loi sur l’accès à l’information[1] (la Loi sur l’accès), et concernant la décision prise par le ministre de l’Environnement, sur l’avis du Bureau du Conseil privé (le BCP), de refuser au demandeur l’accès à quatre documents qui, selon le ministre et le BCP, constituaient des documents confidentiels du Cabinet. Pour la commodité des propos qui suivent, la décision visée par le présent contrôle sera appelée la décision du BCP.

LES FAITS

[2]        Le 22 septembre 1997, Josephina D. Erzetic, agissant pour Ethyl Canada Inc. (Ethyl), présentait au défendeur, en vertu de la Loi sur l’accès, une demande de communication de documents du Cabinet portant sur un additif pour carburant appelé « MMT ». La demande était formulée ainsi :

[traduction] Documents de travail destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l’examen du Conseil privé de la Reine pour le Canada pour lui permettre de prendre des décisions concernant le méthylcyclopentadiényl manganèse tricarbonyle (MMT).

[3]        À la suite de la demande, le défendeur a trouvé quatre documents se rapportant au MMT. Le Secrétariat d’Environnement Canada chargé de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels a examiné les quatre documents et conclu qu’il s’agissait de documents confidentiels du Cabinet. L’un des documents n’a pas été communiqué conformément à l’alinéa 69(1)a) de la Loi sur l’accès, et les trois autres ne l’ont pas été conformément à l’alinéa 69(1)e) de la Loi sur l’accès.

[4]        Le Secrétariat de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels a alors consulté le BCP pour confirmer que les documents échappaient à l’application de la Loi sur l’accès. Le BCP a confirmé que les documents sont des documents confidentiels du Cabinet au sens des alinéas 69(1)a) et e) de la Loi sur l’accès. Le Secrétariat d’Environnement Canada chargé de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels a informé le demandeur de l’existence de quatre documents qui ne pouvaient être communiqués conformément aux alinéas 69(1)a) et e) de la Loi sur l’accès.

[5]        Le 17 mars 1998, Ethyl déposait une plainte auprès du Commissaire à l’information. Le 30 mars 1999, le Commissaire à l’information présentait au ministre de l’Environnement les conclusions de son enquête, conclusions selon lesquelles la plainte d’Ethyl était fondée.

[6]        Avant d’examiner le fondement de la conclusion du Commissaire à l’information, il est utile à ce stade de faire brièvement l’historique des documents confidentiels du Cabinet, depuis la common law jusqu’à l’adoption de la Loi sur l’accès. La genèse des documents confidentiels du Cabinet a été examinée en détail dans plusieurs décisions judiciaires[2] dont le point de départ général est l’arrêt de la Chambre des lords dans l’affaire Duncan and Another v. Cammell, Laird and Company, Limited[3]. La Chambre des lords a jugé dans cette affaire qu’un affidavit d’un ministre affirmant que la divulgation de documents nuirait à l’intérêt public était irréfragable et faisait obstacle à toute intervention des tribunaux. L’affaire Duncan décrivait l’état de la common law jusqu’en 1968, année où la Chambre des lords modifia la common law en rendant l’arrêt Conway v. Rimmer and Another[4]. Elle a jugé dans cette affaire qu’elle pouvait examiner les documents dont le ministre affirmait que la divulgation nuirait à l’intérêt public. Selon elle, même s’il convenait de déférer à la position du ministre, la décision finale devrait appartenir aux tribunaux.

[7]        Après l’arrêt Conway v. Rimmer, le législateur fédéral a édicté le paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale[5]. Le paragraphe 41(2) suivait la position adoptée par la Chambre des lords dans l’affaire Duncan. Le juge Strayer en fait la description suivante dans le jugement Smith, Kline[6] :

Le paragraphe 41(2) suivait toutefois l’approche de l’arrêt Cammell, Laird et s’appliquait à une catégorie de documents large et imprécise. Ce paragraphe prévoyait que lorsqu’un ministre affirmait dans un affidavit que la production ou la communication d’un document serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationales ou aux relations fédérales-provinciales, ou dévoilerait une communication confidentielle du Conseil privé de la Reine pour le Canada, « le tribunal doit, sans examiner le document, refuser sa production et sa communication ». En d’autres termes, il suffisait simplement d’un affidavit indiquant que le document entrait dans l’une de ces catégories pour que le tribunal ne puisse plus examiner le document. [Je souligne.]

Le paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale ratifiait donc un processus par lequel le gouvernement pouvait préserver la confidentialité d’un document en tant que document confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada, tout simplement en le déclarant tel.

[8]        La Loi sur l’accès a été édictée en 1982, et elle abrogeait le paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale. L’article 69 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144] de la Loi sur l’accès et l’article 39 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144] de la Loi sur la preuve au Canada[7] faisaient partie du même projet de loi et ont été édictés ensemble [Loi édictant la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, modifiant la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur le Cour fédérale et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, S.C. 1980-81-82-83, ch. 111]. Ces deux dispositions ont des effets similaires, l’article 69 soustrayant à l’application de la Loi sur l’accès les documents considérés comme documents confidentiels du Cabinet, et l’article 39 soustrayant à l’application de la Loi sur la preuve au Canada les renseignements considérés comme renseignements confidentiels du Cabinet.

[9]        Le Commissaire à l’information a conclu que la plainte d’Ethyl était fondée, eu égard à l’évolution du système de dossiers du Cabinet depuis l’adoption de la Loi sur l’accès. Lorsque la Loi sur l’accès a été adoptée en 1982, le système de dossiers du Cabinet produisait deux documents : le mémoire au Cabinet et le « document de travail », qui renfermait des considérations générales, des analyses et des options politiques. En 1983, un haut fonctionnaire du BCP[8] fut prié de proposer une réforme du système de dossiers du Cabinet. Il recommanda que l’information générale et l’analyse soient insérées dans des appendices du mémoire au Cabinet et que les « documents de travail » s’entendent des documents préparés par les ministères fédéraux dans le cadre d’une stratégie prévue de communication. Le système de dossiers du Cabinet que recommandait le haut fonctionnaire du BCP a été adopté par le BCP au début de 1984.

[10]      La structure du mémoire au Cabinet a été modifiée légèrement en 1986 et elle se présente encore ainsi aujourd’hui. Le mémoire au Cabinet comprend maintenant deux sections : la section des recommandations ministérielles et la section de l’analyse. La section de l’analyse contient aujourd’hui l’information générale et l’analyse que l’on trouvait auparavant dans les « documents de travail » selon le sens qu’avait cette expression lorsque la Loi sur l’accès a été adoptée en 1982.

[11]      Arguant de l’évolution du système de dossiers du Cabinet, le Commissaire à l’information a recommandé que l’information destinée à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques soit, en conformité avec l’article 25 de la Loi sur l’accès, prélevée des documents qui sont des documents confidentiels du Cabinet, puis communiquée en conformité avec l’alinéa 69(3)b) de la Loi. Le 20 avril 1999, le ministre de l’Environnement informait le Commissaire à l’information de sa décision de ne pas suivre la recommandation du Commissaire à l’information. Celui-ci a alors déposé une demande de contrôle judiciaire conformément à l’alinéa 42(1)a) de la Loi sur l’accès.

[12]      Durant les procédures préparatoires à l’audition de cette demande, et en réponse à des questions portant sur le contre-interrogatoire de M. Michael Bogues, chef du Secrétariat d’Environnement Canada chargé de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels, le greffier du Conseil privé a délivré, en vertu des alinéas 39(2)a) et e) de la Loi sur la preuve au Canada, une attestation selon laquelle les quatre documents étaient des documents confidentiels du Cabinet et par laquelle il s’opposait à leur communication.

POINTS EN LITIGE

1) La Loi sur l’accès s’applique-t-elle aux quatre documents que le ministre de l’Environnement et le BCP ont qualifiés de documents confidentiels du Cabinet au titre de l’article 69 de la Loi?

2) L’attestation du greffier du BCP délivrée en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada peut-elle faire l’objet d’un contrôle judiciaire?

CADRE LÉGISLATIF

[13]      Il est utile à ce stade de reproduire les dispositions applicables de la Loi sur l’accès qui seront invoquées tout au long des présents motifs. L’article 42 de la Loi sur l’accès est rédigé ainsi :

42.(1) Le Commissaire à l’information a qualité pour :

a) exercer lui-même, à l’issue de son enquête et dans les délais prévus à l’article 41, le recours en révision pour refus de communication totale ou partielle d’un document, avec le consentement de la personne qui avait demandé le document; [Je souligne.]

L’article 69 de la Loi sur l’accès est rédigé ainsi :

69. (1) La présente loi ne s’applique pas aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada, notamment aux :

a) notes destinées à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil;

b) documents de travail destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l’examen du Conseil;

c) ordres du jour du Conseil ou procès-verbaux de ses délibérations ou décisions;

d) documents employés en vue ou faisant état de communications ou de discussions entre ministres sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;

e) documents d’information à l’usage des ministres sur des questions portées ou qu’il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l’objet des communications ou discussions visées à l’alinéa d);

f) avant-projets de loi ou projets de règlement;

g) documents contenant des renseignements relatifs à la teneur des documents visés aux alinéas a) à f). [Je souligne.]

L’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès prévoit ce qui suit :

69. […]

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas :

[…]

b) aux documents de travail visés à l’alinéa (1)b), dans les cas où les décisions auxquelles ils se rapportent ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant. [Je souligne.]

L’article 25 de la Loi sur l’accès prévoit ce qui suit :

25. Le responsable d’une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s’autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d’en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux. [Je souligne.]

L’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada est rédigé ainsi :

39. (1) Le tribunal, l’organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas où un ministre ou le greffier du Conseil privé s’opposent à la divulgation d’un renseignement, tenus d’en refuser la divulgation, sans l’examiner ni tenir d’audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), un « renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada » s’entend notamment d’un renseignement contenu dans :

a) une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil;

b) un document de travail destiné à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l’examen du Conseil;

c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses délibérations ou décisions;

d) un document employé en vue ou faisant état de communications ou de discussions entre ministres sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;

e) un document d’information à l’usage des ministres sur des questions portées ou qu’il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l’objet des communications ou discussions visées à l’alinéa d);

f) un avant-projet de loi ou projet de règlement.

[…]

(4) Le paragraphe (1) ne s’applique pas :

a) à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada dont l’existence remonte à plus de vingt ans;

b) à un document de travail visé à l’alinéa (2)b), dans les cas où les décisions auxquelles il se rapporte ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant. [Je souligne.]

[14]      Vu le libellé de l’article 69 de la Loi sur l’accès, selon lequel « la présente loi ne s’applique pas aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada », il faut d’abord se demander si la Cour a compétence selon l’article 42 pour dire si un document est un document confidentiel du Cabinet relevant de l’article 69. Il faut ensuite se demander si l’attestation délivrée par le greffier conformément à l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

ANALYSE

[15]      Selon le défendeur, le paragraphe 69(1) de la Loi sur l’accès exclut les documents confidentiels du Cabinet de l’application de la Loi, de même qu’à tout contrôle judiciaire. Le défendeur avance que le Commissaire à l’information cherche à transformer l’exclusion énoncée au paragraphe 69(1) en une exception sujette à contrôle judiciaire comme le sont les exceptions énoncées aux articles 13 [art. 13 (mod. par L.C. 2000, ch. 7, art. 21)] à 24 de la Loi sur l’accès. Les dispositions de la Loi qui prévoient des exceptions autorisent la non-communication de renseignements dans certains cas, notamment les renseignements concernant les affaires fédéro-provinciales (article 14), les renseignements concernant les affaires internationales et la défense (article 15) et les renseignements se rapportant à l’application de la loi ou à des enquêtes (article 16).

[16]      Le défendeur fait observer que le législateur fédéral avait effectivement songé à inclure l’article 69 sous la rubrique « exceptions », dans la proposition initiale du projet de loi C-43, Loi édictant la Loi sur l’accès à l’information. À l’étape des comités, toutefois, le projet de loi avait été amendé de manière à soustraire les documents confidentiels du Cabinet à l’application de la Loi sur l’accès. Le défendeur soutient que cet amendement avait été inséré pour faire en sorte que toute décision du BCP faisant d’un document un document confidentiel soit soustraite au contrôle judiciaire. Lorsque l’honorable Francis Fox, ministre responsable du projet de loi, avait été interrogé sur cet amendement apporté au projet de loi, il s’était exprimé ainsi[9] :

De toute évidence, certaines choses ont changé par rapport à ce qui se passait avant. Nous avons consacré trois ou quatre mois à étudier les différentes modifications et le Cabinet en est arrivé à la décision d’exempter de l’application du projet de loi les documents confidentiels du Cabinet. Ils l’étaient d’ailleurs au demeurant déjà en ce sens qu’ils n’étaient jamais rendus publics, mais comme vous le dites, un magistrat aurait eu le pouvoir d’étudier ces documents afin de décider si oui ou non il s’agissait de documents de discussion de délibérations du Cabinet et les choses en seraient restées là. Maintenant, en vertu du projet de loi, il n’est plus possible de demander que l’on rende publics les ordres du jour, les documents de travail et les délibérations du Cabinet.

Si vous demandiez, en vertu du projet de loi actuel, de prendre connaissance d’un ordre du jour du Cabinet, le ministre ou le greffier du Conseil privé pourrait tout simplement répondre que les ordres du jour du Cabinet sont exemptés de l’application du projet de loi de sorte qu’ils ne pourraient être étudiés par les tribunaux. [Je souligne.]

Selon le défendeur, la Cour n’a donc pas compétence pour procéder au contrôle judiciaire de la décision du BCP de déclarer que les quatre documents en cause sont exclus de la Loi sur l’accès conformément au paragraphe 69(1) de la Loi.

[17]      Pour savoir si l’interprétation que donne le défendeur de l’article 69 est l’approche qu’il convient d’adopter, la Cour doit interpréter la Loi sur l’accès. L’approche générale en matière d’interprétation des lois a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Verdun c. Banque Toronto-Dominion[10], où le juge Iacobucci s’exprime ainsi :

[…] pour répondre à une question d’interprétation de la loi, il faut toujours commencer par examiner le texte même de la loi en cause. Comme l’a écrit E. A. Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87 :

[traduction] De nos jours, il n’y a qu’un seul principe ou méthode, il faut interpréter les termes d’une loi dans leur contexte global selon le sens grammatical et ordinaire qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Pour bien interpréter un texte législatif, il faut donc examiner les termes, l’objet et l’économie de ce texte, ainsi que l’intention du législateur.

[18]      Si l’on considère d’abord les termes de la Loi, il y a dans l’article 69 une antinomie manifeste entre les exclusions générales énumérées dans les alinéas 69(1)a) à g) et les exceptions à ces exclusions qui sont énoncées dans les alinéas 69(3)a) et b). Le paragraphe 69(1) de la Loi sur l’accès dit que « la présente loi ne s’applique pas aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine » énumérés aux alinéas a) à g). Le texte du paragraphe 69(1) donne à entendre que les documents confidentiels du Cabinet sont exclus de l’application de la Loi sur l’accès, mais l’on ne sait pas très bien si les documents confidentiels qui présentent des problèmes, des analyses ou des options politiques deviennent sujets à la Loi sur l’accès par l’effet de l’alinéa 69(3)b). En d’autres termes, bien qu’il semble évident que la Loi sur l’accès ne s’applique pas aux documents confidentiels du Cabinet énumérés dans le paragraphe 69(1), il est possible que la Loi s’applique aux « documents de travail » définis dans l’alinéa 69(1)b). Afin de préciser le sens des termes de l’article 69, j’examinerai l’objet et l’économie de la Loi, ainsi que l’intention du législateur.

[19]      L’objet de la Loi sur l’accès ressort clairement de l’article 2, rédigé ainsi :

2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

Toutes les parties s’accordent pour dire que l’objet de la Loi sur l’accès est d’élargir le droit d’accès à l’information gouvernementale. L’objet de la Loi sur l’accès est clair, mais cet objet a-t-il un rapport avec l’article 69, selon lequel la Loi sur l’accès ne s’applique pas aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine? Les exclusions énumérées dans les alinéas 69(1)a) à g) de la Loi sur l’accès devraient être interprétées d’une manière qui porte le moins atteinte à l’objet déclaré de la Loi, savoir le droit d’accès du public. Voici les propos de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Rubin c. Canada (Ministre des Transports)[11] :

[…] lorsque deux interprétations sont possibles, la Cour doit, vu l’intention déclarée du législateur, choisir celle qui porte le moins atteinte au droit d’accès du public. C’est seulement de cette façon que la réalisation de l’objet de la Loi est possible. Il s’ensuit qu’une interprétation (d’une exception) qui permet au gouvernement de cacher des renseignements au public affaiblit l’objet déclaré de la Loi.

[20]      L’interprétation qui porte le moins atteinte au droit d’accès du public est celle qui limite autant qu’il est possible les exclusions mentionnées aux alinéas 69(1)a) à g) et qui donne plein effet aux exceptions à telles exclusions qui sont mentionnées aux alinéas 69(3)a) et b). Pour donner plein effet aux alinéas 69(3)a) et b), il faudrait que la Cour arrive à la conclusion que, même si la Loi sur l’accès ne s’applique pas aux documents confidentiels du Cabinet, elle s’applique aux « documents de travail » destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l’examen du Conseil si les dispositions de l’alinéa 69(3)b) s’appliquent. Voyons maintenant si c’est la bonne manière d’interpréter l’article 69, eu égard à l’historique de la Loi sur l’accès et à l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a édicté l’article 69 de cette Loi.

[21]      L’historique des documents confidentiels du Cabinet, depuis la common law jusqu’à l’adoption de la Loi sur l’accès, a déjà été tracé. En résumé toutefois, cet historique révèle que le législateur a abrogé le paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale, qui conférait un caractère confidentiel absolu à tous les documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Par la suite, le législateur a édicté l’article 69 de la Loi sur l’accès et l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, dispositions qui ne conféraient plus un caractère confidentiel absolu aux documents réputés constituer des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine. En édictant les alinéas 69(3)a) et b) de la Loi sur l’accès et les alinéas 39(4)a) et b) de la Loi sur la preuve au Canada, le législateur a choisi d’établir des exceptions aux exclusions énumérées dans les alinéas 69(1)a) à g) de la Loi sur l’accès et dans les alinéas 39(2)a) à f) de la Loi sur la preuve au Canada.

[22]      Ayant examiné les termes de la Loi, l’objet de la Loi et l’historique des documents confidentiels du Cabinet, il faut maintenant se demander quelle était l’intention du législateur lorsqu’il a édicté les exceptions qui figurent dans l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès et l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada?

[23]      Ces exceptions constituent une dérogation à l’exclusion absolue énoncée auparavant dans le paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale. L’exception de l’alinéa 69(3)a) de la Loi sur l’accès et celle de l’alinéa 39(4)a) de la Loi sur la preuve au Canada prévoient la divulgation des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine dont l’existence remonte à plus de vingt ans. L’exception de l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès et celle de l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada autorisent la divulgation des « documents de travail » décrits dans l’alinéa 69(1)b) de la Loi sur l’accès et l’alinéa 39(2)b) de la Loi sur la preuve au Canada, si les décisions auxquelles se rapportent les « documents de travail » ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant.

[24]      En établissant des exceptions, le législateur voulait que certains genres de renseignements puissent être communiqués. L’honorable Francis Fox, le ministre qui avait parrainé le projet de loi C-43, s’était exprimé ainsi à propos de l’intention du législateur[12] :

Pour ce qui est des documents de faits, il me semble que la plupart, sinon tous, seront inclus dans les documents de travail qui doivent être divulgués et je ne vois pas pourquoi on devrait appliquer une règle différente pour les documents de fait qui serviraient à la préparation d’un projet de loi. Cela sortirait en même temps que le document de travail.

[…]

Il me semble que le principe général qui consiste à dire que les documents de travail seront rendus publics après la décision indique clairement qu’il est souhaitable que ces renseignements soient communiqués… Il est donc certain que nous souhaitons que les documents de travail soient communiqués; que les données de base en fonction desquelles sont prises les décisions soient rendues publiques. [Je souligne.]

En édictant les exceptions qui figurent à l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès et à l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada, le législateur voulait que les renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques puissent être communiqués au public, afin d’accroître l’obligation de l’État de rendre des comptes au public. Reste à savoir qui a le dernier mot lorsque vient le temps de décider si des renseignements ou documents entrent ou non dans l’une des exceptions.

[25]      Un seul précédent à ce jour, le jugement Gogolek c. Canada (Procureur général)[13], intéresse la question de savoir si la Cour a compétence pour revoir une décision du BCP selon laquelle des documents relèvent du paragraphe 69(1) de la Loi sur l’accès. Dans cette affaire, le BCP n’avait pas communiqué au demandeur des documents qui selon lui étaient des documents confidentiels du Cabinet selon l’article 69 de la Loi sur l’accès. Le demandeur avait fait valoir que, pour empêcher une distorsion de l’économie de la Loi sur l’accès, les tribunaux devaient pouvoir contrôler d’une manière indépendante les décisions du greffier du BCP de ne pas divulguer tel ou tel document confidentiel du Cabinet. Il soutenait en particulier que l’objet de la Loi sur l’accès, énoncé à l’article 2, est de favoriser un contrôle autonome des décisions gouvernementales de non-communication. Il importe de noter que, dans l’affaire Gogolek, le Commissaire à l’information avait estimé qu’il n’y avait aucune raison de douter que la non-communication des documents en cause était justifiée. Le juge Heald, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a jugé qu’il ne pouvait y avoir de contrôle autonome des décisions du BCP selon l’article 69[14] :

Le paragraphe 69(1) est formulé dans des termes clairs et sans ambiguïté et dispose que « la présente loi ne s’applique pas aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada », ce qui comprend les documents énumérés aux sous-alinéas 69(1)a) à g). Je conviens avec l’avocat de l’intimé qu’aucun pouvoir discrétionnaire accordé à un ministère fédéral ne peut l’autoriser à rendre ces documents confidentiels accessibles au public. [Je souligne.]

Le juge Heald a estimé que, puisque les documents confidentiels du Cabinet étaient soustraits à l’application de la Loi sur l’accès, la décision du BCP ne pouvait faire l’objet du recours en révision prévu par l’article 41 de la Loi, et l’objet de la Loi indiqué à l’article 2 ne pouvait s’appliquer aux documents exclus par l’effet de l’article 69 de la Loi.

[26]      À mon avis, le jugement Gogolek ne permet pas d’affirmer que le BCP a toute latitude de refuser la communication d’un document en invoquant l’article 69 de la Loi sur l’accès quand l’intention du législateur était que les renseignements contenus dans le document soient communicables lorsque, comme le prévoit l’alinéa 69(3)b) de la Loi, la décision à laquelle se rapporte le document de travail a été rendue publique ou a été rendue quatre ans auparavant. Le processus par lequel un document devant normalement être communiqué conformément à l’alinéa 69(3)b) vient à être qualifié de document confidentiel devrait résister à l’examen effectué dans un contrôle judiciaire.

[27]      Rien ne laisse croire dans l’affaire Gogolek que la preuve extrinsèque signalait l’existence de documents destinés à présenter des problèmes, des analyses et des options politiques. D’ailleurs, dans cette affaire, le Commissaire à l’information avait reconnu que la non-communication des documents était justifiée.

[28]      Dans la présente affaire cependant, la preuve extrinsèque signale l’existence de documents destinés à présenter des problèmes, des analyses et des options politiques. L’évolution du système de dossiers du Cabinet indique que l’information contenue dans les « documents de travail » tels qu’on les entendait en 1982 continue d’exister dans la section « analyse » d’un mémoire au Cabinet aujourd’hui. La preuve révèle aussi que le BCP entend aujourd’hui par « document de travail » un document que prépare un ministère fédéral dans l’intention de le publier en marge d’une stratégie prévue de communication. Des « documents de travail » comme on les entendait en 1982 n’ont pas été produits depuis 1984. Le résultat est que, lorsque la décision a été rendue publique ou a été rendue quatre ans auparavant, l’information destinée à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques n’est pas communiquée par le BCP tout simplement parce qu’elle figure maintenant dans un mémoire au Cabinet. En d’autres termes, bien que toutes les conditions de l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès puissent être réunies, le contenu d’un « document de travail » n’est pas communiqué parce qu’il n’est plus appelé « document de travail ». À mon avis, l’affaire Gogolek n’a jamais atteint ce stade de l’analyse parce que la preuve n’a pas conduit la Cour dans cette direction.

[29]      Contrairement aux circonstances de l’affaire Gogolek, le Commissaire à l’information a conclu en l’espèce que la plainte d’Ethyl était fondée et que les renseignements pertinents intéressant des problèmes, des analyses ou des options politiques devraient, conformément à l’article 25 de la Loi sur l’accès, être prélevés de documents qui sont par ailleurs des documents confidentiels du Cabinet, puis communiqués conformément à l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès.

[30]      À mon avis, la Cour ne peut ignorer la preuve extrinsèque. Je trouve cette preuve dans l’historique du système de dossiers du Cabinet, déjà évoqué dans les présents motifs. Un examen attentif du système de dossiers du Cabinet depuis 1982 fait ressortir l’existence possible de renseignements se rapportant à des problèmes, des analyses ou des options politiques au sens de l’alinéa 69(1)b), renseignements que l’on trouve encore dans les documents actuels du Cabinet. L’alinéa 69(3)b) prévoit que le paragraphe 69(1) ne s’applique pas aux documents de travail visés à l’alinéa 69(1)b), c’est-à-dire aux documents destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques au Conseil. Par conséquent, les documents de travail tels que les entend l’alinéa 69(3)b) ne sont pas soustraits à l’application de la Loi sur l’accès selon ce que prévoit le paragraphe 69(1). D’après ce raisonnement, on doit nécessairement conclure que la Loi sur l’accès est applicable. Puisque la Loi sur l’accès est applicable, la Cour se déclare compétente, aux termes de l’article 42, pour procéder au contrôle judiciaire des décisions du BCP de refuser la communication intégrale des documents en question.

[31]      À la différence de l’article 69 de la Loi sur l’accès, plusieurs décisions judiciaires examinent la question de savoir si la délivrance d’une attestation conformément à l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Il convient d’examiner les principaux précédents pour savoir dans quelles circonstances la Cour peut effectuer le contrôle judiciaire de la délivrance d’une attestation aux termes de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada.

[32]      Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co.[15], le greffier du BCP s’était opposé à la communication de certains documents dans l’instance principale et avait délivré une attestation en conformité avec l’article 36.3 [S.R.C. 1970, ch. E-10 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, art. 4)] (l’actuel article 39) de la Loi sur la preuve au Canada. Dans cette affaire, le demandeur contestait non seulement l’attestation en tant que telle du greffier, mais également la constitutionnalité de l’article 36.3. Le juge en chef Iacobucci (à l’époque), confirmant la constitutionnalité de l’article 36.3, s’est exprimé ainsi, aux pages 652 et 653, sur le pouvoir de la Cour fédérale d’exercer le contrôle judiciaire d’une attestation délivrée selon l’article 36.3 :

Il semble évident que, lorsqu’il a adopté l’article 36.3, le Parlement désirait confier à un ministre de la Couronne ou au greffier du Conseil privé le soin de déterminer si un renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé pour la Reine. La décision du ministre ou du greffier, que celui-ci atteste par écrit, ne peut faire l’objet d’un examen par un tribunal, pourvu, et c’est là la seule restriction, que les exigences explicites de cette disposition soient respectées. La cour ne peut aller au-delà du libellé du certificat et examiner les documents comme elle peut le faire sous le régime des articles 36.1 et 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada. Toutefois, il est loisible à un tribunal de déterminer si, à première vue, le certificat renferme une allégation de privilège selon les limites législatives concernant les revendications de privilège par l’exécutif.

[33]      Pour savoir si une attestation paraît revendiquer un privilège selon les limites législatives, la Cour d’appel fédérale a fait sien, dans l’affaire Central Cartage, le jugement rendu par le juge Strayer dans l’affaire Smith, Kline[16]. Dans cette affaire, la Cour avait qualifié une attestation de défectueuse parce qu’elle ne reprenait pas le texte du paragraphe 36.3(2). La Cour d’appel fédérale s’est exprimée ainsi dans l’arrêt Central Cartage, à la page 654 :

Le juge Strayer a décidé que le certificat dans l’arrêt Smith, Kline n’était pas approprié, parce que, en réalité, il ne reprenait pas le libellé du paragraphe 36.3(2). C’est peut-être là une exigence formaliste, mais, comme il le souligne, les parties et les tribunaux ont droit « au moins à l’assurance que le greffier du Conseil privé a dûment pris en considération ces critères et ces restrictions ». En conséquence, le fait de reprendre le libellé du paragraphe ne constitue pas un exercice dénué de tout sens. C’est ce qui est requis et je ne vois pas pourquoi les mots ne devraient pas être interprétés de cette façon.

Elle a donc jugé que, si une attestation présente une forme adéquate, c’est-à-dire si elle reprend le texte de l’article 39, la Cour n’est pas habilitée à instruire une demande de contrôle judiciaire.

[34]      Tout récemment, dans l’arrêt Singh c. Canada (Procureur général)[17], la Cour d’appel fédérale a examiné une contestation portant sur une attestation selon l’article 39 et fondée principalement sur des arguments constitutionnels. Il n’est pas question en l’espèce d’une contestation de nature constitutionnelle, mais l’arrêt Singh donne des indications sur la manière dont la Cour peut procéder au contrôle judiciaire d’une attestation délivrée en vertu de l’article 39. Dans l’arrêt Singh, la Cour prend d’abord note, au paragraphe 11, de la politique du législateur lorsqu’il avait édicté l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada :

Je dois aussi noter que les appelants ont proposé un argument convaincant contre la politique incarnée dans le paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, qui interdit au juge de remettre en question l’attestation faite par l’exécutif que tel ou tel document renferme des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Cette politique fait des documents confidentiels du Cabinet une catégorie de documents qui ne peuvent être divulgués que dans les circonstances prévues par cette Loi. Au surplus, elle interdit au juge de décider pour lui-même si des documents de ce genre sont en fait des renseignements confidentiels du Cabinet. Les appelants préconisent une politique telle qu’il n’y aurait pas une exemption systématique des documents de ce genre, et que le juge serait en mesure d’examiner s’ils relèvent d’une telle catégorie et, dans l’affirmative, si, tout bien pesé, il faut quand même les divulguer. Il n’appartient cependant pas à la Cour de se prononcer sur la sagesse de la politique incarnée dans la Loi sur la preuve au Canada du moment que celle-ci ne porte atteinte à aucun impératif constitutionnel. [Je souligne.]

Dans l’arrêt Singh, la Cour a pris acte des arguments des appelants à l’encontre de la politique incarnée dans l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, une disposition qui soustrait les documents confidentiels du Cabinet à l’application de la Loi en conférant aux tribunaux un pouvoir très restreint de contrôle. Elle a cependant affirmé qu’il n’appartient pas aux tribunaux de se prononcer sur la sagesse du législateur, pour confirmer ensuite, au paragraphe 43, le rôle restreint que les tribunaux peuvent jouer dans le contrôle d’une attestation délivrée selon l’article 39 :

Il a été jugé que la Cour peut se saisir d’un recours en contrôle judiciaire contre la délivrance d’une attestation, bien qu’elle ne soit pas habilitée à contrôler la véracité de cette attestation si celle-ci est délivrée en bonne et due forme.

La Cour énonce ensuite les circonstances dans lesquelles un tribunal peut se saisir d’un recours en contrôle judiciaire. Comme dans les affaires Central Cartage et Smith, Kline, la Cour a jugé, dans l’affaire Singh, qu’un grief possible de contrôle consiste à se demander si l’attestation paraît ou non reprendre le libellé de l’article 39. La Cour a aussi noté que le fait pour le greffier d’avoir invoqué des motifs irréguliers au moment de délivrer une attestation pourrait constituer un grief de contrôle judiciaire[18]. En l’espèce, il n’a pas été prouvé que le greffier du BCP s’est fondé sur des motifs irréguliers.

[35]      Dans l’arrêt Singh, la Cour a cité avec approbation le jugement Canadian Assn. of Regulated Importers c. Canada (Procureur général)[19], dans lequel la Cour fédérale se demandait si une preuve extrinsèque manifeste pouvait fonder le contrôle judiciaire de la délivrance d’une attestation. La Cour s’exprime ainsi à la page 149 :

Je suis disposé à admettre à titre d’exemple, sans me prononcer de quelque manière sur la question, qu’un tribunal pourrait prendre en considération une preuve de ce genre, si elle est suffisamment claire, par rapport à ce qui est déclaré dans le certificat; à mon avis, toutefois, les éléments de preuve dont on dispose en l’espèce n’aident pas les appelants.

[36]      Dans l’affaire Regulated Importers, la preuve extrinsèque n’était pas suffisamment claire, mais elle l’est dans la présente affaire. Il n’est pas contesté que les renseignements contenus dans les « documents de travail » figurent aujourd’hui dans la section « analyse » du mémoire au Cabinet. Il n’est pas contesté non plus que, pour les fonctionnaires du BCP, les « documents de travail » doivent aujourd’hui s’entendre de documents qui sont préparés dans le cadre d’une stratégie prévue de communication et qui ne figurent plus dans un mémoire au Cabinet.

[37]      Je me déclare compétent pour contrôler la décision du BCP selon laquelle les documents en cause entrent dans les alinéas 69(1)a) et e) de la Loi sur l’accès et pour contrôler la délivrance de l’attestation par le greffier du BCP selon les alinéas 39(2)a) et e) de la Loi sur la preuve au Canada, étant donné que les renseignements dont la communication a été refusée peuvent entrer dans l’exception prévue à l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès et à l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada.

[38]      J’arrive à cette conclusion sans avoir vu les documents. Les parties à la présente instance se sont accordées pour dire que la Cour n’est pas habilitée à examiner les quatre documents en cause. Elle doit cependant avoir compétence pour contrôler une décision de ne pas communiquer des renseignements pouvant tomber dans l’exception prévue à l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès et à l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada. À mon avis, la Cour ne peut ignorer la preuve qui laisse à penser que les quatre documents déclarés documents confidentiels du Cabinet contiennent des renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques.

[39]      Il faut ensuite se demander quelle est la norme de contrôle à appliquer. Il s’agit là d’une affaire où, en raison de plusieurs facteurs, la Cour n’est pas tenue de déférer outre mesure à la décision du BCP. D’abord, la question à trancher ici est une question de droit, savoir la suivante : que signifie véritablement l’expression « documents de travail », à l’alinéa 69(1)b) de la Loi sur l’accès? En règle générale, les questions de droit appellent un moindre devoir d’acquiescement de la part des tribunaux. Deuxièmement, l’objet de la Loi sur l’accès, qui est d’offrir au public un meilleur accès aux documents de l’administration, est un autre facteur qui a conduit la Cour à préconiser dans ces cas un moindre devoir d’acquiescement de la part des tribunaux. Le juge Evans s’exprime ainsi dans le jugement Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes c. Canada (Ministre des Finances)[20] :

Les responsables des institutions fédérales ont tendance à justifier les raisons qu’ils invoquent pour ne pas communiquer les renseignements en faisant valoir l’intérêt public et ainsi à interpréter et appliquer la Loi d’une façon qui assure une protection maximale aux renseignements qui sont en leur possession. Par conséquent, il n’y a pas lieu en l’espèce de faire preuve à l’égard de l’interprétation du ministre ou de l’application des exceptions prévues par la Loi du genre de retenue judiciaire que les tribunaux ont quelquefois témoigné à l’égard des décisions prises par les commissaires à l’information et à la protection de la vie privée nommés en vertu de lois provinciales qui confèrent à ces derniers, et non au ministre, le pouvoir de déterminer si les renseignements devraient être communiqués ou non […]

Eu égard à ce raisonnement, je suis donc d’avis que la norme de contrôle à appliquer en l’espèce est celle de la décision correcte. Ayant déterminé la norme de contrôle à appliquer, je vais maintenant examiner les deux questions que j’ai déjà mentionnées.

Le BCP et le ministre de l’Environnement ont-ils commis une erreur en décidant que les documents en question relèvent des alinéas 69(1)a) et e) de la Loi sur l’accès?

[40]      Pour savoir ce que signifie l’expression « documents de travail », aux alinéas 69(1)b) et 69(3)b) de la Loi sur l’accès, il convient d’examiner en détail l’historique de la signification de cette expression. Lorsque la Loi sur l’accès a été adoptée en 1982, un manuel du rédacteur a été préparé à l’intention des fonctionnaires. Ce manuel devait servir de guide dans la préparation des documents du Cabinet. Il décrivait ainsi les « documents de travail » :

[traduction]

En règle générale, le ministère ou organisme qui veut prendre l’initiative d’une position de principe commencera par préparer un document de travail. Ce document décrira le problème ou enjeu et, le cas échéant, il contiendra un examen complet des solutions susceptibles d’en disposer. Il ne contiendra pas de recommandations ni les points et arguments politiques ou de nature sensible se rapportant à telles recommandations ou y conduisant. (Pages 3 et 4.)

L’objet du document de travail est de présenter un examen approfondi de la question et des solutions susceptibles de la résoudre. La conclusion du ministre parrain à propos de ce qu’il convient de faire, les motifs qui le conduisent à cette conclusion et les recommandations particulières qui pourraient en découler doivent être présentées dans le document distinct constitué par le mémoire au Cabinet. Toutefois, il est conseillé de conclure le document de travail par une récapitulation des points principaux et, selon le cas, par un énoncé de la décision requise. (Pages 37 et 38.)

[41]      Presque immédiatement après l’adoption de la Loi sur l’accès, le système de dossiers du Cabinet a été modifié d’une manière qui rendait à toutes fins utiles désuète l’exception applicable aux « documents de travail ». Le système de dossiers du Cabinet a été étudié par le haut fonctionnaire du BCP en 1983, lequel recommanda que l’information générale et l’analyse apparaissent dans des appendices du mémoire au Cabinet et que des « documents de travail » ne soient produits que lorsque les ministères ont l’intention de les rendre publics dans le cadre d’une stratégie prévue de communication.

[42]      Le système de dossiers du Cabinet recommandé par le haut fonctionnaire du BCP a été adopté en 1984. Les renseignements qui se trouvaient auparavant dans des « documents de travail » ont donc été transférés au mémoire au Cabinet, et un « document de travail » est devenu un document préparé par un ministère dans l’intention de le publier en marge d’une stratégie prévue de communication. Cette signification vaut encore aujourd’hui. Il importe de noter qu’il n’est pas fait état d’une « stratégie prévue de communication » dans la Loi sur l’accès elle-même, et manifestement cette signification ne s’accorde pas avec l’objet de la Loi, qui est d’accroître l’accès du public aux renseignements administratifs.

[43]      Le système de dossiers du Cabinet a été légèrement modifié en 1986 pour permettre au vérificateur général d’avoir accès à certaines parties du mémoire au Cabinet et ainsi de remplir ses propres exigences. Les rédacteurs de mémoires au Cabinet furent priés par le BCP de diviser désormais le mémoire au Cabinet en deux sections, la section « recommandations » et la section « analyse ». Le Guide de rédaction des mémoires au Cabinet, qui vaut encore aujourd’hui, décrit ainsi le mémoire au Cabinet :

Le MC comporte deux sections : la section Recommandations ministérielles (RM); et la section Analyse.

La section Recommandations ministérielles reflète le point de vue du ministre. C’est un document de quatre pages dans lequel il présente au Cabinet un aperçu de la question à examiner, ses recommandations, le coût de leur mise en œuvre, les principaux arguments venant appuyer sa démonstration ainsi qu’une vue d’ensemble sur la question des communications. La RM doit rester concise et être rédigée dans un langage courant…

Plus détaillée que la RM, l’Analyse fait toutefois ressortir davantage les aspects plus strictement officiels et administratifs de la question. Cette section se veut une analyse approfondie, équilibrée et objective de la situation des facteurs qui ont déterminé le choix des différentes possibilités qui ont été exposées ainsi que des dépenses que supposerait la mise en œuvre de chacune.

La section « analyse » contient les renseignements que l’on trouvait auparavant dans les « documents de travail ». La distinction entre la section « analyse » et la section « recommandations », dans le mémoire au Cabinet, apparaît clairement dans le Guide de rédaction des mémoires au Cabinet, qui précise même la couleur du papier à utiliser pour chaque section.

[44]      Le fait que les renseignements figurant dans les anciens « documents de travail » aient été transférés à la section « analyse » des mémoires au Cabinet a conduit le Commissaire à l’information à conclure que la plainte d’Ethyl était fondée. Comme l’a fait observer le Commissaire à l’information :

[traduction] Cette enquête m’a d’ailleurs révélé, d’une manière absolue et troublante, à quel point l’approche préconisée par Environnement Canada et par le BCP s’accorde peu avec les objets déclarés de la Loi. Des documents ont été portés à mon attention, qui montrent que les fonctionnaires ont entrepris de modifier le Système de dossiers du Cabinet presque immédiatement après l’adoption de la Loi sur l’accès à l’information. L’une des raisons explicite pour lesquelles les « documents de travail » sont tombés en disgrâce comme moyen de communiquer au Cabinet les renseignements concernant le contexte, l’analyse et les options était l’adoption de la Loi sur l’accès. Avec l’adoption de ce texte, l’accessibilité à ce genre de renseignements n’était plus une question de privilège et de faveur — c’était un droit. Une perte de contrôle de cette ampleur était semble-t-il un anathème pour les agents de l’État qui contrôlaient le Système de dossiers du Cabinet. Ils ont tout simplement abandonné les « documents de travail » et ont transféré le contenu antérieur des documents de travail dans d’autres documents.

[…]

À mon avis, l’article 69 de la Loi sur l’accès à l’information était fondé sur un Système de dossiers du Cabinet où deux documents [les MC et les DT] servaient à accomplir ce qui est maintenant accompli dans un MC unique en deux parties. Les documents de travail n’ont pas disparu; ils sont plutôt devenus la section « analyse » de l’actuel MC. Il n’y a pas de fondement justifiable dans l’argument du BCP selon lequel, en conséquence de cette transformation, un droit fondamental d’accès s’est éteint.

[45]      Je me range aux conclusions du Commissaire à l’information. Le législateur fédéral voulait qu’un certain genre de renseignements soit divulgué et, à mon avis, quel que soit le titre donné aux renseignements. Si un document contient des renseignements dont l’objet est de présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques, le législateur voulait que ces renseignements puissent être divulgués. C’est la seule interprétation des alinéas 69(1)b) et 69(3)b) de la Loi sur l’accès, et des alinéas 39(2)b) et 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada, qui puisse donner à ces articles une signification. La Loi sur l’accès ne dit pas qu’un « document de travail » doit s’entendre d’un document produit par un ministère dans le cadre d’une stratégie prévue de communication. La transformation du « document de travail » en la section « analyse » de l’actuel mémoire au Cabinet a pour effet de restreindre la divulgation des problèmes, des analyses ou des options politiques dont parle la Loi sur l’accès. Un tel changement apporté au système de dossiers du Cabinet pourrait être considéré comme une tentative de faire fi de la volonté du législateur.

[46]      Il y a lieu de croire en l’espèce que la greffière adjointe du BCP[21] a appliqué le mauvais critère dans l’évaluation des quatre documents en question. La greffière adjointe a déclaré durant son contre-interrogatoire qu’un document sera ou non considéré comme un « document de travail » selon qu’il a ou non été préparé dans le cadre d’une stratégie prévue de communication :

Ce qu’on regarde c’est le fait que le document a été--avait été préparé justement pour publication, le document qui avait été préparé pour publication. Donc, le but dans lequel le document avait été préparé est très pertinent. C’est ça qu’on regarde. On ne regarde pas si ça correspond à d’autres choses[22].

La greffière adjointe a aussi déclaré que, lorsqu’elle se demande si un document est un document confidentiel du Cabinet, elle considère l’objet principal du document tout entier :

Est-ce qu’il s’agit d’un document dont l’essence même, dont le but principal était d’aider à la formulation d’une décision, d’aider à la délibération des ministres[23]?

Le sens donné par le BCP aux « documents de travail » fait qu’il est impossible pour des renseignements d’être considérés comme matière d’un « document de travail ». L’application du critère de l’objet principal à un mémoire au Cabinet soustrairait par nécessité le document au qualificatif de « document de travail », puisqu’il renfermerait toujours des renseignements confidentiels, outre qu’il présenterait des problèmes, des analyses et des options politiques.

[47]      À mon avis, les « documents de travail » dont parlent les alinéas 69(1)b) et 69(3)b) de la Loi sur l’accès doivent s’entendre des renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l’examen du Conseil. Si ces renseignements existent, mais se trouvent dans un mémoire au Cabinet, il faut alors se demander s’ils peuvent, sans que cela pose de problèmes sérieux, être prélevés du mémoire au Cabinet conformément à l’article 25 de la Loi sur l’accès. Si tel est le cas, ils doivent être communiqués au public. À mon avis, c’est le sens qu’il faut donner à l’expression « documents de travail », telle qu’elle apparaît dans l’alinéa 69(1)b) de la Loi sur l’accès, par opposition aux « documents de travail » entendus comme partie d’une stratégie prévue de communication. Considérer de la sorte les quatre documents est le seul moyen qui puisse donner effet à la volonté du législateur, énoncée à l’article 2 et aux paragraphes 69(1) et (3) de la Loi, d’élargir le droit d’accès du public aux renseignements administratifs.

[48]      Je suis également d’avis que le législateur ne voulait pas que le mot « documents », à l’alinéa 69(1)b) de la Loi sur l’accès, soit vu selon un point de vue mécaniste. En d’autres termes, le législateur ne voulait pas que l’on puisse tourner l’alinéa 69(3)b) en rebaptisant simplement les documents. Si l’objet des renseignements figurant dans un mémoire au Cabinet est de présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques et que les renseignements peuvent se suffire à eux-mêmes, ils devraient être prélevés et considérés comme un document, puis communiqués au public conformément à l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès.

[49]      Puisque la greffière adjointe du BCP a commis une erreur dans son interprétation de l’expression « documents de travail », et puisque la norme de contrôle est celle de la décision correcte, il s’ensuit que la greffière adjointe du BCP devrait réexaminer les documents en cause. Elle doit réexaminer les documents pour savoir s’ils contiennent des renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques au sens de l’alinéa 69(1)b) et, dans l’affirmative, pour déterminer si ces renseignements peuvent, sans que cela pose de problèmes sérieux, faire l’objet d’un prélèvement conformément à l’article 25 de la Loi. Puisque la décision du Cabinet concernant le MMT a été rendue publique lorsque le Cabinet a déposé le projet de loi C-94 en 1996, alors par l’effet de la loi les renseignements en question entreront dans l’exception de l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès. Par conséquent, la Loi sur l’accès est applicable et, si tels renseignements peuvent, sans que cela pose de problèmes sérieux, être prélevés conformément à l’article 25 de la Loi sur l’accès, alors ils devraient être prélevés puis communiqués au demandeur.

Le greffier du BCP a-t-il commis une erreur en délivrant une attestation conformément aux alinéas 39(2)a) et e) de la Loi sur la preuve au Canada?

[50]      Puisque l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès et l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada sont presque identiques, le même raisonnement vaut pour les deux alinéas. La preuve extrinsèque montre que les documents en cause contiennent des renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques. De tels renseignements ne peuvent en conséquence être soustraits à la communication aux termes du paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada et devraient être divulgués puisqu’ils sont visés par l’exception de l’alinéa 39(4)b) de la Loi. Il s’ensuit qu’une attestation délivrée en vertu du paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada ne peut être invoquée pour refuser la divulgation de renseignements qui sont visés par l’exception de l’alinéa 39(4)b).

[51]      Le défendeur a fait observer que la Loi sur la preuve au Canada ne renferme aucune disposition prévoyant le prélèvement de tels renseignements. À mon avis, une telle disposition n’est pas requise. Le paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, contrairement au paragraphe 69(1) de la Loi sur l’accès, parle clairement de « renseignement » :

39. (1) Le tribunal, l’organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas où un ministre ou le greffier du Conseil privé s’opposent à la divulgation d’un renseignement, tenus d’en refuser la divulgation, sans l’examiner ni tenir d’audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada. [Je souligne.]

En utilisant le mot « renseignement » plutôt que « document », le législateur voulait, à mon avis, que soient divulgués les renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques. Leur divulgation est requise, quand bien même les renseignements figureraient-ils dans un mémoire au Cabinet ou y seraient annexés, puisqu’ils ne sont plus considérés comme « renseignements confidentiels du Cabinet » par l’effet de l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada. Par conséquent, en accord avec l’intention du législateur, le greffier est tenu d’extraire, des renseignements confidentiels du Cabinet se trouvant dans un mémoire au Cabinet, les renseignements destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques, lorsque tels renseignements peuvent être extraits sans que cela pose de problèmes sérieux.

[52]      Les paragraphes pertinents de l’attestation du greffier sont rédigés ainsi :

2.   J’ai examiné et passé en revue attentivement quatre (4) documents énumérés dans l’annexe ci-jointe afin de déterminer s’il s’agit de renseignements ou s’ils contiennent des renseignements constituant des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada selon l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5.

4.   J’atteste devant la Cour, conformément au paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, que les documents et les réponses aux questions indiqués par numéro dans ladite annexe sont et contiendraient des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada, pour les motifs indiqués dans l’annexe ci-jointe, et je m’oppose à la divulgation des documents et des renseignements.

5.   J’atteste aussi devant la Cour que l’alinéa 39(4)a) de la Loi sur la preuve au Canada ne s’applique pas aux documents et aux renseignements qui seraient contenus dans les réponses aux questions énumérées dans l’annexe ci-jointe, étant donné que les documents et les renseignements n’existaient pas et n’auraient pas existé depuis plus de vingt ans, et j’atteste devant la Cour que l’alinéa 39(4)b) de ladite Loi ne s’applique pas aux documents et aux renseignements qui seraient contenus dans les réponses.

Au paragraphe 5 de l’attestation, le greffier atteste que « l’alinéa 39(4)a) de la Loi sur la preuve au Canada ne s’applique pas aux documents […] et que l’alinéa 39(4)b) de ladite Loi ne s’applique pas aux documents ».

[53]      L’attestation du greffier montre qu’il a examiné les « documents » pour savoir s’ils entraient dans les alinéas 39(2)a) à f) ou dans l’alinéa 39(4)b). Comme on l’a vu, il faudrait se demander si les renseignements qui figurent dans un document et qui entrent dans les alinéas 39(2)a) à f) entrent également dans l’alinéa 39(4)b). Dans l’affirmative, il faut ensuite se demander si ces renseignements peuvent être extraits du document sans que cela pose de problèmes sérieux. S’il est répondu par l’affirmative à ces deux questions, alors ces renseignements doivent être prélevés du document confidentiel du Cabinet et communiqués au public. À mon avis, le greffier a commis une erreur susceptible de contrôle en n’appliquant pas le critère ci-dessus, c’est-à-dire en ne se demandant pas si les renseignements se trouvant dans les documents entraient dans l’exception énoncée à l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada. Pour ces motifs, j’ordonnerai que l’attestation soit renvoyée au greffier pour réexamen.

[54]      Le législateur voulait que les problèmes, les analyses ou les options politiques soient rendues publiques lorsque les décisions auxquelles ces renseignements se rapportent ont été rendues publiques ou ont été rendues quatre ans auparavant. Ce serait priver totalement de sens ces dispositions que d’interpréter étroitement l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès ou l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada et d’affirmer que, puisqu’aucun document n’est appelé « document de travail », alors les problèmes, analyses ou options politiques ne peuvent être divulgués.

[55]      Étant le maître de sa propre économie, le Cabinet est libre d’utiliser le système de dossiers de son choix et il a toute latitude également de modifier ce système comme il l’entend pour qu’il s’accorde avec la réalité pratique du jour. Mais cette liberté ne peut s’étendre à un système de dossiers qui, à mon avis, conduit à ignorer l’intention du législateur, savoir un système qui élimine les « documents de travail » pour ensuite faire figurer les renseignements généraux qu’ils contiennent dans une autre partie du mémoire au Cabinet et donc empêcher leur communication selon ce que requiert la loi et en conformité avec l’alinéa 69(3)b) de la Loi sur l’accès ou l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada. Si c’est là le résultat souhaité, alors les textes législatifs doivent être modifiés.

[56]      Interprétant l’alinéa 69(3)b) selon son sens ordinaire, dans le contexte de la Loi toute entière, en harmonie avec l’objet de la Loi et en accord avec l’intention du législateur, la Cour juge que les renseignements qui figurent dans un mémoire au Cabinet, qui sont destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques selon ce que prévoit l’alinéa 69(1)b), qui peuvent être prélevés conformément à l’article 25 de la Loi sans que cela pose de problèmes sérieux, et qui répondent aux autres conditions de l’alinéa 69(3)b), doivent être communiqués à la personne qui les demande. Cette interprétation vaut également pour l’alinéa 39(4)b) de la Loi sur la preuve au Canada.

[57]      Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, avec dépens.

ORDONNANCE

1. Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens.

2. Les quatre documents que le ministre et le Bureau du Conseil privé ont qualifiés de documents confidentiels du Cabinet doivent être retournés au greffier du Conseil privé pour qu’il les examine afin de dire :

a) si les documents font état de problèmes, d’analyses ou d’options politiques qui peuvent, conformément à l’article 25 de la Loi sur l’accès, être extraits des documents sans que cela pose de problèmes sérieux.

b) Si le greffier du Bureau du Conseil privé juge que ces renseignements peuvent faire l’objet d’un prélèvement, alors il est ordonné que ces renseignements soient communiqués au demandeur.



[1]  L.R.C. (1985), ch. A-1.

[2]  Landreville c. La Reine, [1977] 1 C.F. 419 (1re inst.), aux p. 421 et 422; Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1983] 1 C.F. 917 (1re inst.), à la p. 923; Singh c. Canada (Procureur général), [2000] 3 C.F. 185 (C.A.), au par. 21; autorisation d'appel à la C.S.C. refusée, doc. 27778, 10 août 2000 [[2000] S.C.C.A. no 92].

[3]  [1942] A.C. 624 (H.L.).

[4]  [1968] A.C. 910 (H.L.).

[5]  S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10.

[6]  Précité, note 2, à la p. 925.

[7]  Maintenant L.R.C. (1985), ch. C-5.

[8]  M. Roberto Gualtieri (le haut fonctionnaire du BCP), dossier du demandeur, vol. 6, à la p. 1729.

[9]  Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, fascicule no 94 (8 juin 1982), à la p. 137.

[10]  [1996] 3 R.C.S. 550, au par. 22.

[11]  [1998] 2 C.F. 430 (C.A.), au par. 23.

[12]  Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques (9 juillet 1981), aux p. 18 et 19.

[13]  (1996), 107 F.T.R. 123 (C.F. 1re inst.).

[14]  Ibid., au par. 9.

[15]  [1990] 2 C.F. 641 (C.A.); autorisation d'appel à la C.S.C. refusée [1991] 1 R.C.S. vii.

[16]  Supra, note 2, à la p. 931.

[17]  Supra, note 2.

[18]  Supra, note 2, au par. 50.

[19]  [1992] 2 C.F. 130 (C.A.).

[20]  [1999] 4 C.F. 245 (1re inst.), au par. 13.

[21]  Mme Nicole Jauvin (la greffière adjointe du BCP), dossier du demandeur, volume 21, à la p. 3832.

[22]  Ibid., à la p. 3832.

[23] Ibid., aux p. 3846 et 3847.

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