T-677-99
2001 CFPI 770
SmithKline Beecham Pharma Inc. et SmithKline Beecham p.l.c. (demanderesses)
c.
Apotex Inc. et le ministre de la Santé (défendeurs)
Répertorié : SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (1re inst.)
Section de première instance, juge Gibson—Ottawa, 22 mai et 6 juillet 2001.
Brevets — Contrefaçon — Demande en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex avant l’expiration du brevet 637 des demanderesses pour la formulation sans eau de comprimés de paroxétine — Beecham est également propriétaire du brevet 060 concernant le chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté cristallin formulé suivant les méthodes courantes de mélange, c.-à-d. la granulation par voie humide, la granulation par voie sèche et la compression directe — Le brevet 637 est le résultat de recherches effectuées pour résoudre le problème de coloration rose causée par la formulation par voie humide — Apotex a déposé une présentation de drogue nouvelle alléguant l’absence de contrefaçon et l’invalidité du brevet 637 — 1) L’art. 28.2 de la Loi sur les brevets prévoit que l’objet que définit la revendication ne doit pas avoir été communiqué plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci — Le critère de l’antériorité est rempli — Une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine pourrait prendre connaissance d’une seule publication antérieure (brevet 060) et y trouver tous les renseignements nécessaires à la production de l’invention du brevet 637 sans l’exercice du moindre génie inventif — Logiquement, l’étape suivante consisterait à déterminer si les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pourraient résoudre le « problème de la coloration rose » — La conclusion visant l’antériorité du brevet 060 sur le brevet 637 est soutenue par le point de vue unanime des experts que l’une des sources possibles du « problème de coloration rose » pouvait être la formulation par voie humide — SmithKline n’est pas parvenue à s’acquitter de son fardeau de persuasion qui consistait à démontrer que l’allégation d’invalidité n’était pas fondée — Le critère de l’évidence figure à l’art. 28.3 — La jurisprudence indique que la solution au problème doit être « simple comme bonjour » ou « claire comme de l’eau de roche », ne pas nécessiter d’expérimentation, de réflexion profonde ou de recherche et que le critère de « valoir la peine d’être tenté » ne s’applique pas — SmithKline s’est acquittée de sa charge d’établir, compte tenu de la prépondérance de la preuve, que l’allégation d’évidence n’était pas justifiée — Pour constituer une invention, la réalisation ou la composition doit présenter le caractère de la nouveauté et celui de l’utilité — L’atténuation du problème de coloration rose est utile — SmithKline s’est acquittée de la charge qui lui incombait d’établir que l’allégation d’absence d’utilité n’est pas justifiée — 2) Apotex ajoutait un pelliculage utilisant l’eau une fois seulement les comprimés de paroxétine préparés à l’aide d’un procédé de préparation sans eau — Il y a emprunt de la substantifique moelle de l’invention alléguée — L’allégation de non-contrefaçon n’est pas justifiée — L’art. 32 permet à l’inventeur d’obtenir un brevet pour un perfectionnement, mais il n’obtient pas de ce fait le droit d’exploiter l’invention originale — Si on pose comme hypothèse que le pelliculage d’Apotex fait avec de l’eau comme solvant est un perfectionnement, celui-ci ne lui confère pas le droit d’exploiter l’invention originale — 3) Le juge McGillis a auparavant conclu que le ministre n’avait pas commis d’erreur en inscrivant le brevet 637 au registre — Cela tranche la question de l’admissibilité au registre du brevet 637.
Brevets — Pratique — La défenderesse allègue l’invalidité du brevet dans l’avis d’allégation — (i) Le fardeau de présentation de la preuve incombe à la défenderesse qui doit établir que chacune des questions que soulève son avis d’allégation est mise en jeu — Le fardeau de persuasion incombe à la demanderesse (propriétaire du brevet) qui doit réfuter les allégations dans l’avis d’allégation et non les prétentions formulées à l’égard des allégations d’invalidité et d’absence de contrefaçon — La demanderesse a droit de s’appuyer sur la présomption de validité prévue à l’art. 43(2) de la Loi sur les brevets — (ii) Pour ce qui est de l’interprétation du brevet, il ne faut s’appuyer que de façon très limitée sur la teneur du mémoire descriptif en dehors des revendications — Il ne faut le faire que dans les cas où les termes des revendications sont ambigus — (iii) L’intérêt personnel de l’expert à la découverte de la solution au problème créé par le procédé de formulation empêchait la Cour de le considérer comme un témoin expert — La Cour ne pouvait pas prendre en considération le dossier d’antériorités introduit par les experts dans leurs témoignages — La défenderesse devait se limiter aux documents d’antériorités énumérés dans son énoncé détaillé fourni au titre de l’art. 5(3)a) du Règlement pour étayer ses allégations que certains brevets canadiens n’étaient pas valides pour cause d’antériorité ou d’évidence.
Il s’agissait d’une demande en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à la défenderesse, Apotex Inc., pour des comprimés de chlorhydrate de paroxétine avant l’expiration des lettres patentes canadiennes no 2,178,637 (le brevet 637). La demanderesse, SmithKline Beecham p.l.c., est propriétaire du brevet 637 pour l’invention de la formulation de la paroxétine sous forme de comprimés à l’aide d’un procédé de préparation sans eau. Beecham Group est également propriétaire du brevet 060 qui concerne l’invention du chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté cristallin, dont la divulgation indiquait les méthodes courantes de mélange qui seraient comprises par les personnes expertes dans l’art, savoir la granulation par voie humide, la granulation par voie sèche et la compression directe. Par suite de la granulation par voie humide, on a constaté l’apparition d’une teinte rose dans certains comprimés, ce qui était un sujet de préoccupation majeur parce qu’en raison de cette coloration, le produit ne serait pas conforme aux spécifications relatives à la couleur du comprimé non enrobé, ce qui pourrait entraîner des problèmes sur le plan de l’approvisionnement et de la réglementation. Dans le cadre des recherches effectuées pour résoudre le problème de coloration rose, on a découvert que l’emploi d’un procédé de formulation sans eau pour la fabrication des comprimés de paroxétine permettait de solutionner le problème. C’est ce qui a donné lieu au dépôt d’une demande pour le brevet 637 intitulé « Paroxetine Tablets and Process to Prepare Them ». La défenderesse Apotex a déposé une présentation de drogue nouvelle et un avis d’allégation dans lequel elle a allégué qu’aucune revendication pour la paroxétine ni aucune revendication pour l’utilisation de ce médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de comprimés 10 mg, 20 mg ou 30 mg contenant du chlorhydrate de paroxétine. Ses comprimés de paroxétine étaient préparés par un procédé sans eau, le procédé de fabrication faisant intervenir l’ajout d’un pelliculage à l’aide de l’eau. Apotex a allégué que les revendications du brevet se limitaient à une formulation à l’aide d’un procédé de préparation sans eau et a confirmé qu’elle ne vendrait que des comprimés réalisés exclusivement à l’aide d’un procédé de formulation avec eau. Elle a en outre allégué que le brevet 637 était invalide.
Les questions en litige étaient les suivantes : 1) la validité du brevet 637 eu égard aux allégations touchant l’antériorité ou l’absence de nouveauté, le caractère évident et l’absence d’utilité de l’invention, 2) la question de la contrefaçon du brevet 637 si la formulation de médicament divulgué dans la présentation de drogue nouvelle d’Apotex était réalisée, et 3) l’admissibilité de l’inscription sur la liste du brevet 637.
Jugement : la demande est rejetée.
Certaines questions préliminaires ont été examinées : (i) le fardeau de la preuve, (ii) l’interprétation du brevet 637 et (iii) l’appréciation du témoignage de l’expert.
(i) Apotex était chargée du « fardeau de présentation de la preuve » en vertu duquel elle devait établir que chacune des questions que soulève son avis d’allégation est mise en jeu, après quoi SmithKline était chargée du « fardeau de persuasion » consistant à réfuter les allégations contenues dans l’avis d’allégation. Elle n’était pas tenue de justifier des déclarations de validité et de contrefaçon ou, réciproquement, de réfuter les prétentions formulées à l’égard des allégations d’invalidité et d’absence de contrefaçon. Dans l’hypothèse où l’on parvient à établir que la validité du brevet 637 était mise en jeu, SmithKline aurait le droit de s’appuyer sur la présomption de validité du brevet prévue au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets.
(ii) Quant à l’interprétation du brevet 637, il ne faut s’appuyer que de façon très limitée sur la teneur du mémoire descriptif en dehors des revendications et dans les seuls cas où les termes des revendications sont eux-mêmes ambigus.
(iii) L’un des experts de SmithKline, M. Robin Roman, travaillait pour une société affiliée de SmithKline depuis 1983. Il était directeur d’un groupe ayant la responsabilité de résoudre le « problème de coloration rose ». L’intérêt personnel qu’il attachait à la découverte de cette solution et, par conséquent, aux questions soulevées devant la Cour au sujet du brevet 637, ont empêché la Cour de le considérer comme un expert à l’égard de ces questions, au moins dans la mesure où ses opinions font plus que simplement confirmer les avis présentés à la Cour par les autres experts.
Apotex a produit, par l’intermédiaire des témoignages de ses experts, un dossier d’antériorités constitué de brevets et de publications allégués à l’appui de ses allégations que l’invention revendiquée dans le brevet 637 portait sur un objet antérieurement divulgué et était évidente. On ne pouvait prendre en considération ces antériorités. Une partie intimée doit se limiter, dans ses références, aux documents d’antériorités énumérés dans son énoncé détaillé fourni au titre de l’alinéa 5(3)a) du Règlement pour étayer ses allégations que certains brevets canadiens n’étaient pas valides pour cause d’antériorité et/ou d’évidence.
1) L’article 28.2 prévoit que l’objet que définit la revendication ne doit pas être communiqué plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci. L’antériorité alléguée dans l’avis d’allégation est le brevet 060, délivré le 30 juillet 1991. La demande relative au brevet 637 a été déposée le 14 décembre 1994 et le brevet délivré le 22 juin 1995. Le seul objet divulgué dans le brevet 637 qui ne l’était pas dans le brevet 060 était qu’une ou plusieurs des « méthodes courantes de mélange », soit « un procédé de formulation » sans eau, sont moins susceptibles de donner naissance au problème de coloration rose que la granulation par voie humide. Ayant conclu que la formulation par voie humide des comprimés de paroxétine suscite un « problème de coloration rose », dont l’importance est telle qu’elle pousse une personne au fait de l’art à chercher à le résoudre, à tout le moins en partie, la première étape de toute personne au fait de l’art serait logiquement de se tourner vers les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pour voir si l’un ou l’autre ne résoudrait pas le problème. Cette recherche n’impliquerait aucune étape inventive ni aucun génie inventif; elle mettrait seulement en jeu l’application de l’enseignement du brevet 060. Le brevet 060 comportait des instructions d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Aussi, l’antériorité présentée au Commissaire aux brevets à toutes les époques pertinentes, le brevet 060, enseignait que les autres méthodes courantes de formulation étaient réalisables en pratique. La conclusion concernant l’antériorité du brevet 060 sur le brevet 637 était soutenue par le point de vue unanime des experts qui ont témoigné que l’une des sources possibles du « problème de coloration rose » pouvait être la formulation par voie humide. SmithKline n’est tout simplement pas parvenue à s’acquitter de son fardeau de persuasion qui consistait à démontrer que l’allégation d’invalidité n’était pas fondée.
Le critère de l’évidence figure à l’article 28.3. Au regard de la jurisprudence indiquant qu’il est difficile de satisfaire au critère de l’évidence, que pour être évidente la solution au problème doit être « simple comme bonjour » ou « claire comme de l’eau de roche », ne pas nécessiter d’expérimentation, de réflexion profonde ou de recherche, et que le critère de « valoir la peine d’être tenté » ne s’applique pas, Apotex s’est acquittée de son fardeau initial de présentation de la preuve en ce qui concerne le « caractère évident » et a donc mis en jeu la question de l’évidence, mais SmithKline, pour sa part, s’est aussi acquittée de sa charge d’établir, compte tenu de la prépondérance de la preuve, que l’allégation d’évidence n’était pas justifiée.
Pour constituer une invention, la réalisation, le procédé, la machine, la fabrication ou la composition de matières doit présenter le caractère de la nouveauté, mais aussi celui de l’utilité. L’utilité revendiquée par le brevet 637 était un procédé de formulation qui était moins susceptible de développer une teinte rose que le procédé de formulation avec eau. Tous les experts d’Apotex ont convenu que le problème de coloration rose était un problème grave. Tous les experts de SmithKline ont attesté que l’atténuation du problème de coloration rose divulgué dans le brevet 637 était utile. SmithKline s’est acquittée de la charge qui lui incombait d’établir que l’allégation d’absence d’utilité n’était pas justifiée.
2) L’allégation de non-contrefaçon était fallacieuse, dans l’hypothèse où le brevet 637 était valide. L’ajout d’une pellicule ne faisait pas partie du procédé de formulation revendiqué dans le brevet 637 et lui était superflu. Apotex se proposait d’emprunter la substantifique moelle de l’invention alléguée. Ajouter l’ingéniosité d’un pelliculage ne saurait justifier un tel emprunt. L’article 32 permet à l’inventeur d’obtenir un brevet pour un perfectionnement; il n’obtient pas de ce fait le droit d’exploiter l’invention originale. Si l’on pose comme hypothèse que le pelliculage d’Apotex fait avec de l’eau comme solvant était un perfectionnement, celui-ci ne conférait pas à Apotex le droit d’exploiter l’invention originale.
3) Dans l’affaire Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), le juge McGillis a conclu que le ministre n’avait pas commis d’erreur en inscrivant le brevet 637 au registre, et cette décision a été confirmée en appel. Cette décision tranchait dans sa totalité la question de l’admissibilité au registre du brevet 637. Si pareille question n’a pas été soulevée, il est maintenant trop tard pour le faire. Si elle l’a été et que le juge McGillis ne l’a pas traitée dans ses motifs, la juridiction appropriée à qui on aurait dû soumettre la question était la Cour d’appel.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 2 « claim date » (édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 26), « invention », 28.1 (édicté, idem, art. 33), 28.2(1) (édicté, idem), 28.3 (édicté, idem), 32, 43(2) (mod., idem, art. 42), 55.2(4) (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4).
Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.004 (mod. par DORS/95-411, art. 6).
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 4(1) (mod. par DORS/98-166, art. 3), 5(3)a), 6 (mod., idem, art. 5), 7(1)e) (mod., idem, art. 6).
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, tarif B.
JURISPRUDENCE
décisions appliquées :
Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302; 169 N.R. 342 (C.A.F.); Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504; (1981), 122 D.L.R. (3d) 203; 56 C.P.R. (2d) 145; 35 N.R. 390; Nekoosa Packaging Corp. c. AMCA International Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 470; 172 N.R. 387 (C.A.F.); Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; (2000), 194 D.L.R. (4th) 232; 9 C.P.R. (4th) 165; 263 N.R. 150; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; (2000), 194 D.L.R. (4th) 193; 263 N.R. 88; AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 78 C.P.R. (3d) 489 (C.F. 1re inst.); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272; 256 N.R. 172 (C.A.F.); inf. [1999] A.C.F. no 1653 (1re inst.); Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289; 64 N.R. 287 (C.A.F.); Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 193; 145 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); mod. par Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2001] 1 C.F. 495 (2000), 10 C.P.R. (4th) 65; 262 N.R. 137 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. accordée, [2000] S.C.C.A. no 610 (QL); Bayer Aktiengesellschaft v. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58 (Div. gén. Ont.); Cabot Corp. c. 318602 Ontario Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 132; 17 F.T.R. 54 (C.F. 1re inst.); Wenham Gas Co., Ltd. v. Champion Gas Lamp (1891), 9 R.P.C. 49; Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1999), 87 C.P.R. (3d) 271; 165 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.); conf. par (2001), 11 C.P.R. (4th) 538 (C.A.F.).
distinction faite avec :
Warner-Lambert Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2001] A.C.J. no 801 (QL); 2001 CFPI 514 (1re inst.).
décisions examinées :
McPhar Engineering Co. of Canada Ltd. v. Sharpe Instruments Ltd. et al., [1956-60] R.C.É. 467; (1960), 35 C.P.R. 105; Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329; 163 N.R. 183 (C.A.F.); Bayer AG c. Apotex Inc. (1998), 84 C.P.R. (3d) 23; 156 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.); Beecham Canada Ltd. et al. c. Proctor & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. 1; 40 N.R. 313 (C.A.F.).
décisions mentionnées :
Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, [1982] 2 R.C.S. 536; (1982), 142 D.L.R. (3d) 117; 67 C.P.R. (2d) 1; 44 N.R. 541; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F. 1re inst.); Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350; 125 N.R. 218 (C.A.F.); Bayer Aktiengesellschaft v. Apotex Inc. (1998), 82 C.P.R. (3d) 526; 113 O.A.C. 1 (C.A. Ont.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] S.C.C.A. no 563 (QL).
DEMANDE en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. pour des comprimés de chlorhydrate de paroxétine avant l’expiration des lettres patentes canadiennes no 2,178,637. Demande rejetée.
ONT COMPARU :
Anthony George Creber et James E. Mills pour les demanderesses.
Harry B. Radomski, Andrew R. Brodkin et Ivor M. Hughes pour la défenderesse Apotex Inc.
Personne n’a comparu au nom du défendeur le ministre de la Santé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling Lafleur Henderson LLP, Ottawa, pour les demanderesses.
Goodmans LLP, Toronto, pour la défenderesse Apotex Inc.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur le ministre de la Santé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Gibson :
INTRODUCTION
[1] Il s’agit d’une demande présentée par les demanderesses en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets[1] (la Loi) et de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)[2] (le Règlement) en vue d’obtenir une ordonnance au titre du paragraphe 6(1) du Règlement interdisant au défendeur, le ministre de la Santé, de délivrer un ou plusieurs avis en vertu de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues[3] à la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) pour des comprimés de chlorhydrate de paroxétine avant l’expiration des lettres patentes canadiennes no 2,178,637 (le brevet 637). Outre l’ordonnance d’interdiction, les demanderesses réclament les dépens de la demande et tout autre redressement que la Cour peut estimer juste.
[2] La demanderesse, SmithKline Beecham p.l.c., propriétaire du brevet 637, est devenue partie à la demande conformément au paragraphe 6(4) du Règlement. SmithKline Beecham Pharma Inc. a inclus le brevet 637 dans des listes de brevets soumises conformément au paragraphe 4(1) [mod. par DORS/98-166, art. 3] du Règlement à l’égard des avis de conformité qui lui ont été délivrés pour ses comprimés de chlorhydrate de paroxétine, médicament vendu sous la marque PAXIL. Dans les motifs qui suivent, les demanderesses sont désignées ensemble « SmithKline ».
[3] La demande de SmithKline suit un avis d’allégation donné en application du Règlement, dans lequel la défenderesse Apotex a allégué qu’aucune revendication pour la paroxétine ni aucune revendication pour l’utilisation de ce médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de comprimés 10 mg, 20 mg ou 30 mg contenant du chlorhydrate de paroxétine administrés par voie orale. L’avis d’allégation expose en ces termes le droit et les faits sur lesquels est fondée l’allégation :
1. [traduction] Les revendications du brevet visé se limitent à une formulation de paroxétine préparée à l’échelle commerciale sous forme de comprimés à l’aide d’un procédé de préparation sans eau. Nous [Apotex] confirmons par la présente que la formulation produite et vendue par nous sera réalisée exclusivement à l’aide d’un procédé de formulation avec eau. Plus spécifiquement, la seule formulation que nous fabriquerons et vendrons sera des comprimés pelliculés, fabriqués en utilisant l’eau comme solvant dans le procédé de pelliculage, et nous inclurons des pigments dans le pelliculage pour masquer toute coloration rose produite par l’effet de l’eau sur la paroxétine. Par conséquent, aucune revendication ne sera contrefaite.
2. En outre ou à titre subsidiaire, s’agissant des comprimés que nous entendons fabriquer et vendre, les revendications du brevet visé ne sont pas des revendications pour le médicament en soi ni pour l’utilisation du médicament. En effet, les comprimés que nous fabriquerons et vendrons feront appel à une formulation avec eau, comme nous l’avons dit, alors que les revendications du brevet visé portent exclusivement sur des comprimés fabriqués à l’aide d’une formulation sans eau.
Apotex déclare également dans son avis d’allégation que le brevet 637 n’est pas valide, car ses revendications portent sur un objet antérieurement divulgué ou manquant de nouveauté du fait de la divulgation du brevet canadien no 1 287 060 (le brevet 060), que le brevet est dépourvu d’activité inventive ou est évident, qu’il ne vise aucune composition de matières nouvelle et utile, et qu’il est dépourvu d’utilité. Enfin, Apotex allègue que le brevet 637 n’était pas admissible à l’inscription au registre des brevets tenu en vertu du Règlement.
[4] La demande de SmithKline a été instruite par la Cour les 22, 23 et 24 mai 2001. Le délai de 24 mois pendant lequel il était interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex en raison du dépôt de la demande de SmithKline en vertu de l’alinéa 7(1)e) [mod., idem, art. 6] du Règlement a été prorogé de quatre mois par une autorisation obtenue par voie d’ordonnance sur consentement, ce qui porte maintenant sa date d’expiration au 16 août 2001.
[5] Le ministre de la Santé n’a déposé aucun document relatif à la demande et n’a pas comparu à l’audience.
LE CONTEXTE
[6] Le brevet 060 intitulé « Crystalline Paroxetine HCL » a été délivré à Beecham Group p.l.c. le 30 juillet 1991. Le résumé du brevet 060 se lit comme suit :
[traduction] L’invention concerne le chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté cristallin, ses procédés de préparation, les compositions qui en contiennent et son usage thérapeutique.
[7] La divulgation du brevet 060 indique que la paroxétine était, à la date de la demande de brevet, une substance connue. Le brevet renferme les énoncés suivants :
[traduction] En général, à des fins thérapeutiques, on préfère utiliser un composé basique sous forme de chlorhydrate (tel que la paroxétine), le sel étant mieux toléré physiologiquement.
[…]
On découvre maintenant qu’on peut fabriquer le chlorhydrate de paroxétine sous forme cristalline reproductible à l’échelle commerciale.
[…]
Le chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté est stable et non hygroscopique.
[…]
Sous son aspect privilégié, la présente invention permet d’obtenir du chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté sous forme acceptable sur le plan pharmaceutique.
La présente invention permet aussi d’obtenir une composition pharmaceutique comprenant du chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté cristallin et un adjuvant acceptable sur le plan pharmaceutique.
Les compositions de cette invention sont habituellement adaptées pour une administration par voie orale, mais les formulations destinées à une dissolution en vue d’une administration parentérale font également partie de cette invention.
[…]
Les formes posologiques unitaires privilégiées comprennent les comprimés ou les capsules.
La composition de cette invention peut être formulée suivant les méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer.
On n’a pas fait valoir devant moi le fait que les méthodes courantes de mélange et de formulation seraient comprises par les personnes expertes dans l’art d’inclure la granulation par voie humide, la granulation par voie sèche et la compression directe.
[8] M. Robin Roman qui, lorsqu’il a déposé son premier affidavit d’expert en la matière le 27 mai 1999, était employé depuis environ 16 ans à la SmithKline Beecham Corporation, filiale appartenant en propriété exclusive à SmithKline Beecham p.l.c., atteste que, dans le cadre des responsabilités qu’il a assumées entre 1991 et 1993, il était chargé de la mise au point des formulations de chlorhydrate de paroxétine (paroxétine). Dans le premier affidavit d’expert qu’il a déposé à cet effet, M. Roman atteste ce qui suit :
[traduction] Pendant que je travaillais chez SmithKline Beecham p.l.c. à la formulation de comprimés de chlorhydrate de paroxétine au cours de la période s’étendant de 1991 à 1993, des comprimés de chlorhydrate de paroxétine étaient fabriqués à des fins commerciales à l’aide d’un procédé de granulation par voie humide. Les comprimés commerciaux de chlorhydrate de paroxétine fabriqués sans eau n’ont pas été vendus avant le dépôt du brevet 637 ou de la demande de brevet prioritaire sur laquelle est basé le brevet 637 […]
[…]
Entre 1991 et 1992, l’apparition d’une teinte ou d’une coloration rose sur certains comprimés commerciaux de paroxétine a constitué un sujet de préoccupation majeur pour SmithKline. Tous les comprimés n’ont pas pris une teinte rose, mais parmi les comprimés touchés, les nuances de rose pouvaient varier.
L’apparition d’une teinte rose était un sujet de préoccupation majeur car, à cause de cette coloration, le produit ne serait pas conforme aux spécifications relatives à la couleur du comprimé non enrobé et les lots présentant cette coloration rose seraient rejetés ou éliminés. Cette situation entraînerait des conséquences sur le plan commercial, notamment l’incapacité pour l’entreprise d’alimenter le marché ainsi que les répercussions financières qui en découleraient. La variation des nuances de rose d’un lot à l’autre pouvait aussi indiquer une variabilité potentielle au niveau du procédé de fabrication des comprimés, qui aurait pu entraîner un problème sérieux sur le plan de la réglementation. En effet, on aurait pu juger que le procédé de fabrication n’était pas contrôlé et décider d’interdire la vente du produit jusqu’à ce que le problème soit expliqué à la satisfaction de l’organisme de réglementation.
On s’est donc appliqué à résoudre ce problème. De nombreux groupes de scientifiques ont travaillé parallèlement en vue de trouver une solution. La teinte rose pouvait être causée par l’une des étapes du procédé de fabrication du produit formulé ou par une impureté dans l’un des excipients ou dans l’ingrédient actif, le chlorhydrate de paroxétine. C’est par hasard que deux des membres de mon groupe de formulation ont découvert que l’emploi d’un procédé de formulation sans eau pour la fabrication des comprimés de paroxétine permettait de résoudre le problème de coloration rose[4].
Cette découverte « inattendue » a donné lieu au dépôt d’une demande pour le brevet 637; une date prioritaire a été fixée au 15 décembre 1993 en fonction du brevet britannique équivalent.
[9] Le brevet 637 s’intitule « Paroxetine Tablets and Process to Prepare Them ». Les extraits suivants sont tirés de la divulgation du brevet 637 :
[traduction] La présente invention concerne des formulations nouvelles et l’utilisation de la formulation pour le traitement et/ou la prévention de certains troubles.
[…]
Ce composé [paroxétine] a été approuvé en tant que médicament pour usage humain et est vendu dans de nombreux pays comme antidépresseur.
On a constaté que les comprimés de paroxétine prenaient souvent une teinte rose, ce qui n’est absolument pas souhaitable.
Jusqu’à maintenant, tous les comprimés qui ont été vendus avaient été formulés au moyen d’un procédé de granulation aqueuse. Nous avons à notre grande surprise découvert que nous pouvions formuler de la paroxétine en comprimés de façon fiable et sur une base commerciale en utilisant un procédé de formulation sans eau, notamment la compression directe ou la granulation par voie sèche.
Nous avons également découvert à notre grande surprise que la paroxétine formulée en comprimés au moyen d’un procédé sans eau risque beaucoup moins de prendre cette teinte rose.
Par conséquent, la présente invention concerne de la paroxétine formulée en comprimés à l’aide d’un procédé sans eau.
Un tel procédé de formulation peut consister, par exemple, en une méthode de compression directe par voie sèche de la paroxétine ou de granulation par voie sèche de la paroxétine suivie d’une compression du produit sous forme de comprimés. La présente invention permet donc d’obtenir de la paroxétine préparée par compression directe et mélangée à des excipients secs sous la forme d’un comprimé et une formulation comprenant de la paroxétine granulée et comprimée par voie sèche et mélangée à des excipients secs sous la forme d’un comprimé.
Il importe de bien comprendre que l’expression « par voie sèche » signifie « par voie réellement sèche » par opposition à l’ajout en bloc d’eau, méthode utilisée auparavant dans le cadre du procédé de granulation par voie humide.
Les techniques de compression directe sont habituellement connues en sciences pharmaceutiques. Par exemple, la paroxétine est couramment mélangée avec des excipients secs et compressée en comprimés.
Les techniques de granulation par voie sèche sont habituellement connues en sciences pharmaceutiques. Par exemple, la paroxétine est couramment mélangée avec des excipients secs et comprimée en grosses briquettes ou compactée en gros rubans à l’aide d’une presse à cylindres. Le produit compacté est ensuite convenablement broyé de manière à obtenir une poudre qui est ensuite compressée en comprimés.
[…]
Lorsque la paroxétine est incorporée aux comprimés susmentionnés, elle est présente sous forme de chlorhydrate semi-hydraté qui peut être préparé selon les procédés indiqués dans le brevet 4 721 723 des États-Unis[5].
Les quatre revendications du brevet 637, modifié par un certificat de correction délivré à l’égard du brevet 637 le 13 mai 1999, se lisent comme suit :
[traduction]
1. Une formulation de paroxétine qui est préparée en comprimés sur une base commerciale en utilisant un procédé de fabrication sans eau.
2. Une formulation selon la revendication 1 dans laquelle le procédé consiste en une compression directe par voie sèche de la paroxétine suivie d’une compression de celle-ci en comprimés ou en une granulation par voie sèche de la paroxétine suivie d’une compression de celle-ci en comprimés.
3. Une formulation selon la revendication 1 ou 2 dans laquelle le procédé de fabrication comprend l’étape consistant à mélanger la paroxétine avec des excipients secs.
4. Une formulation selon l’une ou l’autre des revendications 1 à 3 dans laquelle la paroxétine utilisée dans le procédé est sous forme de chlorhydrate semi-hydraté[6].
[10] C’est dans ce contexte que s’inscrivent la présentation de drogue nouvelle déposée par Apotex et l’avis d’allégation afférent précédemment mentionnés dans les présents motifs.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[11] Ainsi qu’il a déjà été indiqué dans les présents motifs, l’avis d’allégation d’Apotex soulève les questions suivantes dans la présente demande : en premier lieu, la validité du brevet 637 eu égard aux allégations touchant l’antériorité ou l’absence de nouveauté, le caractère évident et l’absence d’utilité de l’invention; en deuxième lieu, la question de la contrefaçon du brevet 637 si la formulation de médicament divulguée dans la présentation de drogue nouvelle d’Apotex était réalisée; enfin, l’admissibilité de l’inscription sur la liste du brevet 637 selon le Règlement.
ANALYSE
a) Questions préliminaires
(i) Le fardeau de la preuve
[12] Le paragraphe 43(2) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42] de la Loi crée une présomption de validité à l’égard du brevet 637. Il prévoit :
43. […]
(2) Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.
Dans la décision McPhar Engineering Co. of Canada Ltd. v. Sharpe Instruments Ltd. et al.[7], le président Thorson a écrit à la page 492 :
[traduction] Il faut déduire de la disposition de la Loi [une disposition sur le prédécesseur ayant le même effet que le paragraphe 43(2)] qu’un brevet accordé en vertu de cette Loi « est par la suite prima facie valide » et accorde au breveté et à ses représentants légaux, pendant la durée du brevet, un avantage, à savoir que la charge de prouver que le brevet est invalide incombe à la personne qui conteste le brevet, quel que soit le motif de contestation, et que la présomption légale de validité subsiste tant qu’il n’a pas été clairement prouvé que le brevet est invalide.
Cela ne signifie pas que le brevet ne peut être attaqué, ni que le titulaire du brevet s’est libéré des obligations qui lui incombent du fait que son produit a été examiné aux fins de l’octroi du brevet qui lui assure le monopole, mais il semble clair que le Parlement, ayant délibérément conféré une présomption de validité pour les brevets accordés aux termes de la Loi, n’a pas eu l’intention de faciliter la tâche à ceux qui tentent de prouver l’invalidité de ce brevet.
[13] L’avocat d’Apotex a insisté sur le fait que cette disposition doit s’interpréter à la lumière du cadre législatif et réglementaire sous-tendant la présente demande qui, a-t-il noté, prévoit un recours extraordinaire de la nature d’une injonction interlocutoire par présomption de 24 mois, susceptible de modification, prenant effet dès l’introduction de l’instance. Dans l’arrêt Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[8], le juge Mahoney, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit à la page 337 :
En se contentant d’introduire l’instance, le requérant obtient ce qui équivaut à une injonction interlocutoire d’une durée maximale de 30 mois sans avoir satisfait à aucun des critères qu’un tribunal exigerait qu’il respecte avant d’ordonner la délivrance d’un avis de conformité. En particulier, la demande ne donne pas lieu à l’imputation d’une responsabilité d’un préjudice qui serait imposée par l’engagement que tout tribunal exigerait avant de prononcer une injonction interlocutoire. La responsabilité du préjudice que crée l’article 8 du Règlement ne concerne que le préjudice subi par suite du report de la délivrance de l’avis de conformité au-delà de la date d’expiration du brevet. Cette responsabilité n’a absolument pas la même étendue que celle de la responsabilité qui découle de l’engagement exigé lorsqu’une injonction est prononcée.
Dans la décision Bayer AG c. Apotex Inc.[9], j’ai écrit aux paragraphes 16 à 18 :
Dans Hoffmann-Laroche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), le juge Stone a écrit :
2. C’est la partie qui se pourvoit en justice en application de l’article 6 [une instance semblable à la présente] qui, assumant la conduite de l’instance, a « la charge initiale de la preuve ». C’est une charge difficile, « puisqu’il s’agit de réfuter certaines ou l’ensemble des allégations de l’avis d’allégation, allégations qui, si elles n’étaient pas contestées, permettraient au ministre de délivrer l’avis de conformité» […]
3. Cette charge, appelée dans les poursuites civiles le « fardeau de persuasion », oblige le poursuivant à prouver sa cause selon la norme de preuve en matière civile. En revanche, le « fardeau de présentation de la preuve » désigne l’obligation de soulever une question et signifie que la partie doit s’assurer qu’il y a au dossier suffisamment d’éléments de preuve de l’existence ou de l’inexistence d’un fait ou d’une question pour satisfaire au critère préliminaire au sujet de ce fait ou de cette question […] [Renvois omis.]
En l’espèce, vu les principes qui précèdent, le « fardeau de persuasion » initial incombe à Bayer, qui doit prouver que Bayer Allemagne avait le droit de se faire octroyer les brevets canadiens et que, contrairement aux allégations d’Apotex, les brevets ne sont pas invalides. Bayer a le droit de se fonder sur la présomption de validité susmentionnée. Pour ce qui est du droit au brevet et de la validité du brevet, la question que soulèvent en l’espèce les avis d’allégation d’Apotex est la nouveauté des inventions révélées par les brevets canadiens. En présentant en preuve le brevet chilien et le brevet espagnol, étayés par un témoignage d’expert sur lequel je reviendrai et selon lequel ces brevets revendiquent les inventions des brevets canadiens, Apotex a, selon moi, présenté « suffisamment d’éléments de preuve de l’existence […] d’un fait ou d’une question pour satisfaire aux critères préliminaires au sujet de […] cette question ».
La « charge initiale de la preuve » est donc rétablie et incombe à Bayer. [Renvoi omis.]
[14] Dans cette perspective, je conclus ceci : le « fardeau de présentation de la preuve » qui incombe à Apotex étant d’établir que chacune des questions que soulève son avis d’allégation est mise en jeu, si elle s’acquitte de cette charge, le « fardeau de persuasion » repose ensuite sur SmithKline. Dans l’hypothèse où Apotex parvient à établir que la validité du brevet 637 est mise en jeu, SmithKline a droit de s’appuyer sur la présomption de validité du brevet prévue au paragraphe 43(2) de la Loi.
[15] Toutefois, le caractère de la procédure intentée devant la Cour a des répercussions sur le « fardeau de persuasion » incombant à SmithKline dans les circonstances évoquées au paragraphe précédent. Dans l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[10], le juge Hugessen, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit aux pages 319 et 320 :
Si je saisis bien l’économie du règlement, c’est la partie qui se pourvoit en justice en application de l’article 6, en l’espèce Merck, qui doit poursuivre la procédure et assumer la charge de la preuve initiale. Cette charge me paraît difficile puisqu’il s’agit de réfuter certaines ou l’ensemble des allégations de l’avis d’allégation, allégations qui, si elles n’étaient pas contestées, permettraient au ministre de délivrer l’avis de conformité […]
[…]
À ce sujet, il y a lieu de noter que si l’alinéa 7(2)b) [du Règlement] semble prévoir que la Cour rend un jugement déclarant que le brevet n’est pas valide ou qu’il n’est pas contrefait, il ne fait aucun doute que ce jugement déclaratoire ne peut être rendu dans le cadre de la procédure fondée sur l’article 6 elle-même. Cette procédure est après tout engagée par le breveté pour demander une interdiction contre le ministre; puisqu’elle revêt la forme d’un recours sommaire en contrôle judiciaire, il est impossible de concevoir qu’elle puisse donner lieu à une demande reconventionnelle de la part de l’intimé en vue de pareil jugement déclaratoire. L’invalidité de brevet, tout comme la contrefaçon de brevet, n’est pas une question relevant d’une procédure de ce genre.
Par conséquent, la charge qui incombe à SmithKline consiste seulement à réfuter les allégations contenues dans l’avis d’allégation, et non pas à justifier des déclarations de validité et de contrefaçon, ou réciproquement à réfuter les prétentions formulées à l’égard des allégations d’invalidité et d’absence de contrefaçon.
(ii) L’interprétation du brevet 637
[16] Dans un exposé classique des principes en matière d’interprétation de brevet, le juge Dickson, tel était alors son titre, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd.[11], a écrit aux pages 520 et 521 :
Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement […], sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, […] [traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ». Sir George Jessel a dit à peu près la même chose il y a beaucoup plus longtemps dans l’arrêt Hinks & Son v. Safety Lighting Company. Il a dit que l’on devait aborder le brevet « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile ». [Renvois omis.]
[17] L’avocat d’Apotex a fait valoir que des réserves avaient été formulées à l’égard de cet exposé en ce qui concerne les références à l’ensemble du mémoire descriptif dans l’arrêt Beecham Canada Ltd. et al. c. Proctor & Gamble Co.[12] où le juge Urie, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit à la page 11 :
[…] dans l’interprétation des revendications d’un brevet, on peut se reporter au reste du mémoire descriptif a) seulement pour mieux comprendre les termes employés dans les revendications; b) qu’il n’est pas nécessaire de se référer au reste du mémoire descriptif lorsque l’énoncé de la revendication est clair et non équivoque; et c) que l’on ne peut à bon droit y avoir recours pour modifier la portée des revendications.
[18] Par la suite, dans l’arrêt Nekoosa Packaging Corp. c. AMCA International Ltd.[13], le juge Robertson, après avoir cité l’extrait déjà mentionné de l’arrêt Consolboard, a écrit à la page 482 :
[…] la mise en garde formulée par Hayhurst […] [traduction] « Les termes doivent être pris dans leur contexte, de sorte qu’il est bien souvent risqué de conclure qu’un terme est simple et non ambigu sans examiner soigneusement le mémoire descriptif ». [Renvois omis.]
[19] Tout en étant persuadé que la citation précédente de l’arrêt Beecham exprime une réserve à l’égard des principes énoncés dans l’arrêt Consolboard, j’estime que cette réserve demeure très limitée. Elle doit à son tour s’interpréter en fonction du contexte de l’extrait de l’auteur cité par le juge Robertson.
[20] La Cour suprême du Canada a récemment présenté des observations assez développées sur l’interprétation du brevet dans le contexte de la contrefaçon. Dans l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc.[14], le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit au paragraphe 31 :
Le présent pourvoi soulève donc la question fondamentale de la démarche qui s’impose pour arbitrer « contrefaçon textuelle » et « contrefaçon de l’essentiel du brevet » de façon à obtenir un résultat juste et prévisible. D’innombrables débats ont eu lieu à ce sujet au Canada et ailleurs dans le monde; j’en ferai état brièvement à l’appui des propositions suivantes :
a) La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.
b) Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.
c) La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.
d) Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.
e) Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :
(i) en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;
(ii) à la date à laquelle le brevet est publié;
(iii) selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou
(iv) conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;
(v) mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.
f) Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.
Au terme d’un examen de la jurisprudence canadienne relative aux propositions qui précèdent, le juge Binnie poursuit au paragraphe 39 :
Les tribunaux anglais ont également débattu la question de l’étendue que doit avoir le monopole conféré par un brevet. Dans Clark c. Adie […], le lord juge James a parlé de [traduction] « l’essence ou la substance de l’invention qui sous-tend la simple forme fortuitement revêtue; et cette invention, comme toute autre invention, peut être piratée par un vol sous une forme déguisée ou tronquée ». Par ailleurs, dans l’arrêt Electric & Musical Industries Ld. c. Lissen Ld. […] lord Russell a dit […] :
[traduction] Le breveté qui écrit une invention dans le corps d’un mémoire descriptif ne se voit accorder aucun monopole autre que ce qui figure dans les revendications […] [I]l ne saurait y avoir de contrefaçon de l’intérêt en equity du brevet […]
La primauté de la teneur des revendications a été catégoriquement confirmée dans la décision Catnic Components Ltd. c. Hill & Smith Ltd., […] La démarche préconisée dans Catnic a été reprise en Nouvelle-Zélande […] et […] en Australie […] La décision Catnic a évidemment ses détracteurs, spécialement parmi ceux qui estiment que son application ultérieure sous le régime de la Convention sur le brevet européen prive le breveté de la protection plus grande accordée aux brevetés dans les pays du continent européen. Pour certains détracteurs, il serait plus opportun d’assimiler les revendications non pas à une « clôture », mais à une « balise » […]
La primauté de la teneur des revendications était déjà profondément enracinée dans notre jurisprudence et elle devrait, je crois, être confirmée de nouveau dans le cadre du présent pourvoi. [Renvois omis.]
Aux paragraphes 44 et 45, le juge Binnie ajoute :
c) Les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet
Traditionnellement, les tribunaux ont protégé le breveté contre les effets d’une interprétation trop textuelle. Le brevet ne s’adresse pas au citoyen ordinaire, mais au travailleur versé dans l’art, que le Dr Fox a décrit comme
[traduction] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à elle de l’« homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec […]
[…]
Ce sont les « connaissances usuelles » que partagent les « travailleurs moyens» compétents qui sont déterminantes aux fins de l’interprétation : […] Le présent pourvoi ne soulève pas de grandes subtilités d’interprétation. Les experts dont les parties ont retenu les services s’entendent plus ou moins sur la signification de ce qui est énoncé dans les revendications. L’électromagnétothérapie doit être régulée par des « circuits ». Le présent pourvoi porte sur l’étendue de la protection juridique qui découle de ce fait.
d) Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue
La controverse paraît subsister dans certains milieux quant à savoir si une allégation de contrefaçon doit donner lieu à deux analyses (contrefaçon textuelle et contrefaçon de l’essentiel du brevet) ou à une seule, savoir la contrefaçon des revendications telles qu’elles sont rédigées, mais interprétées « en fonction de l’objet ». [Renvois omis.]
Sur cette dimension de ses motifs, le juge Binnie a conclu dans les termes suivants aux paragraphes 50 et 51 :
Je ne prétends pas que la démarche à deux volets [textuel et essentiel] mène nécessairement à un résultat différent par rapport à la démarche à un seul volet [en fonction de l’objet], ni qu’elle a donné lieu à des abus. Je crois cependant qu’il faut désormais reconnaître que plus grand est le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal de rechercher « l’esprit de l’invention » au-delà du libellé des revendications, moins les revendications peuvent jouer leur rôle d’information du public et plus l’incertitude et l’imprévisibilité qui en résultent malheureusement sont grandes. L’« interprétation téléologique » supprime le premier volet correspondant à une interprétation purement textuelle, mais elle resserre l’interprétation de ce qui constitue l’« essentiel » ou la « substance » de l’invention et ce, afin qu’un traitement équitable soit accordé à la fois au breveté et au public. À mon sens, la Cour d’appel fédérale a eu raison de la privilégier dans l’arrêt O’Hara.
[…]
Cet aspect [l’interprétation téléologique montrant que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas] est plus particulièrement examiné dans les arrêts Whirlpool Corp. c. Camco Inc. […] et Whirlpool Corp. c. Maytag Corp. […] rendus concurremment. L’interprétation des revendications avec le concours d’un destinataire versé dans l’art donne au breveté l’assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d’un expert concernant leur sens technique. Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée. [Renvois omis.]
[21] Selon mon interprétation des orientations de la Cour suprême du Canada, il n’est pas exclu que la Cour doive faire référence aux éléments du mémoire descriptif en dehors des revendications pour parvenir à une interprétation téléologique, mais il est incontestable qu’il faut s’appuyer sur la teneur du mémoire descriptif en dehors des revendications que de façon très limitée et dans les seuls cas où les termes des revendications sont eux-mêmes ambigus. Je suis persuadé que ma conclusion sur ce point est en conformité avec cette citation succincte tirée des motifs du juge Binnie au paragraphe 52 de l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc.[15] :
J’estime que le juge de première instance pouvait parfaitement examiner le reste du mémoire descriptif, y compris le dessin, pour comprendre le sens du mot « ailette » utilisé dans les revendications, mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et, ainsi, interprétée.
(iii) L’appréciation du témoignage de l’expert
[22] SmithKline a produit devant la Cour les témoignages de trois experts hautement qualifiés et Apotex, d’un nombre égal d’experts hautement qualifiés. En réalité, j’estime que les observations qui ont été faites devant moi confirment que ces six experts étaient tous des personnes surqualifiées dans la technique visée par le brevet 637, en l’occurrence des compétences en formulations pharmaceutiques.
[23] Comme je l’ai signalé antérieurement, l’un des experts de SmithKline, M. Robin Roman, au moment où il a produit son premier témoignage d’expert sous serment, soit le 27 mai 1999, était employé par une société affiliée de SmithKline depuis 1983. Il atteste en effet qu’en 1991, il a été dépêché au Royaume-Uni en vue de travailler pour la société SmithKline Beecham p.l.c., comme chef d’un établissement de recherche et développement de SmithKline, où l’un des inventeurs nommés dans le brevet 637 relevait de lui directement et l’autre, indirectement. Au cours de son contre-interrogatoire au sujet de ses déclarations d’expert, il a reconnu que les travaux réalisés pour résoudre le [traduction] « problème de coloration rose » étaient entièrement sous sa responsabilité[16].
[24] Dans la décision AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[17], le juge Noël, qui siégeait alors à la Section de première instance de la Cour, a fait observer au sujet d’un avis d’expert qui lui était présenté au nom de l’intimée, aux paragraphes 59 et 60 :
Même si le docteur Slemon a prétendu témoigner à titre d’expert, il a donné son opinion sur le procédé qu’il a lui-même conçu dans le but de contourner les revendications présentées dans le brevet no 158. Il se prononçait donc sur la question de savoir s’il était parvenu à contourner ces revendications.
Il est clair à mes yeux que le docteur Slemon n’a pas l’indépendance nécessaire pour être reconnu comme expert en l’espèce. Le docteur Slemon se consacrait à la mise au point d’un procédé qui ne contrefaisait pas le brevet et visait à le faire confirmer par la Cour […] Étant un inventeur, il n’est pas surprenant qu’il en ait eu plus à dire au sujet du procédé que [certains autres experts]. J’ajoute foi à son témoignage dans la mesure où il permet d’établir des faits pertinents. Toutefois, son intérêt personnel à l’égard de la présente affaire et les circonstances dans lesquelles il y a été mêlé m’empêchent de le reconnaître comme expert. Dans la mesure où ses opinions étaient considérées comme essentielles à la cause de l’intimée, elles auraient dû être exprimées par quelqu’un d’autre.
[25] J’arrive en l’espèce à la même conclusion. Même si M. Roman n’est pas l’un des inventeurs nommés dans le brevet 637, en tant que directeur du groupe, il avait la responsabilité de résoudre le [traduction] « problème de coloration rose ». Les réponses qu’il a fournies dans le contre-interrogatoire sur son témoignage d’expert indiquent manifestement que la solution trouvée par ses subordonnés, à ses yeux, avait de l’importance pour son employeur. Je suis persuadé que l’intérêt personnel qu’il attachait à la découverte de cette solution, et par conséquent aux questions soulevées devant la Cour au sujet du brevet 637, m’empêche de le considérer comme un expert à l’égard de ces questions, au moins dans la mesure où ses opinions font plus que simplement confirmer les avis présentés à la Cour par les autres experts.
[26] Dans leurs témoignages, les experts d’Apotex ont produit dans l’instance un dossier d’antériorités constitué de brevets et de publications allégués, selon les observations de l’avocat de SmithKline, à l’appui des allégations d’Apotex que l’invention revendiquée dans le brevet 637 portait sur un objet antérieurement divulgué et était évidente.
[27] Dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[18], la Cour d’appel fédérale a examiné un appel interjeté à l’encontre d’un jugement de la Section de première instance [[1999] A.C.F. no 1653 (QL)] qui avait rejeté une requête d’ordonnance dans une procédure analogue à la présente imposant à une intimée de se limiter, dans ses références, aux documents d’antériorités énumérés dans son énoncé détaillé fourni au titre de l’alinéa 5(3)a) du Règlement pour étayer ses allégations que certains brevets n’étaient pas valides pour cause d’antériorité et/ou d’évidence.
[28] En accueillant l’appel, le juge Stone a écrit au paragraphe 17 :
La présente Cour a en effet reconnu que l’énoncé détaillé doit être tel que le titulaire du brevet est pleinement informé des motifs pour lesquels un AC ne donnerait pas lieu à la contrefaçon d’un brevet listé car, autrement, le titulaire du brevet ne serait pas en mesure de décider s’il doit introduire une instance relative à la demande visée à l’article 6 [du Règlement].
[29] Aux paragraphes 19 à 21, 23 et 24, le juge Stone poursuit :
L’énoncé détaillé n’est pas un acte de procédure comme tel mais représente une étape essentielle dans le processus conduisant à la délivrance d’un AC. En agissant de la sorte, la seconde personne avise le titulaire du brevet des motifs pour lesquels elle considère que l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente de la drogue ne contreviendra pas aux droits de la seconde personne afférents au brevet pour la période non expirée du brevet […]
Bien que l’énoncé détaillé ne soit pas déposé dans l’instance relative à la demande visée à l’article 6, son influence est néanmoins prédominante dans cette procédure. En effet, c’est par rapport au contenu de cet énoncé que le titulaire du brevet doit décider s’il introduit une telle instance et évaluer ses chances de succès. Pour ce faire, l’allégation et l’énoncé détaillé sont une aide importante pour définir les questions et les faits qu’il faut établir dans une instance relative à la demande visée à l’article 6 car pour obtenir l’interdiction, le titulaire du brevet doit démontrer que, contrairement à ce qui est indiqué dans l’énoncé détaillé, le droit attaché à son brevet sera enfreint si un AC est délivré pour la drogue avant l’expiration du brevet inscrit sur la liste.
À mon avis, tout ce qui précède donne à penser que la seconde personne doit satisfaire aux exigences de l’alinéa 5(3)a), c’est-à-dire établir dans l’énoncé détaillé « le droit et les faits sur lesquels elle fonde » les allégations de l’alinéa 5(1)b) et le faire d’une manière suffisamment complète pour permettre au titulaire du brevet d’évaluer ses recours en réponse à l’allégation […] Un examen de l’énoncé détaillé en question est ainsi requis afin de déterminer s’il est satisfait à cette exigence à l’égard de l’allégation voulant que les brevets […] ne sont pas valides pour cause d’évidence.
[…]
L’intimée prétend que la liste des antériorités de l’énoncé détaillé ne se veut pas exhaustive, d’où la présence du mot « notamment », de telle sorte que subsistait la possibilité d’ajouter à cette liste dans le cadre de l’instance relative à la demande visée à l’article 6. Je suis toutefois d’opinion que l’alinéa 5(3)a) n’envisage pas cette possibilité. L’intention serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l’énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6. La présente Cour a déjà prévenu des personnes dans la position de l’intimée qu’elles assument le risque qu’une allégation en particulier puisse ne pas être conforme au Règlement et que les lacunes ne puissent pas être comblées par le tribunal dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6 […]
[…]
À mon avis ce raisonnement s’applique également aux lacunes qui se trouvent dans un énoncé détaillé d’une seconde personne. [Renvois omis.]
[30] Je m’appuie donc sur la jurisprudence mentionnée pour ne pas prendre en considération les antériorités supplémentaires mentionnées dans les témoignages des experts produits au nom d’Apotex dans mon examen des allégations d’invalidité du brevet 637 et de l’absence de contrefaçon du brevet 637 par la formulation des comprimés de paroxétine d’Apotex.
[31] L’avocat de SmithKline a fait valoir que les experts d’Apotex avaient commis deux erreurs fondamentales dans leur approche de la question de l’évidence : la première, en ne demandant pas si l’usage d’un procédé de formulation par voie sèche était la solution évidente au problème intermittent de coloration rose et en répondant plutôt à la question très différente de savoir s’il serait facile de fabriquer une formulation de paroxétine par voie sèche d’après leur connaissance de l’art; la seconde, en abordant la question de l’évidence après avoir pris connaissance du brevet 637 et appris que l’eau était reliée au problème de coloration rose. L’avocat d’Apotex a soutenu la position contraire, affirmant que les experts de SmithKline avaient traité la question de l’évidence d’une manière erronée.
[32] En cherchant à résoudre le problème de la « bonne question » que les experts devraient avoir à l’esprit au sujet de l’évidence, l’avocat de SmithKline s’est appuyé sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets[19]. Je trouve peu d’éléments éclairants dans la décision Shell Oil qui soient utiles sur le sujet. Sous réserve de ce que j’ai dit précédemment au sujet des déclarations d’expert de M. Roman, j’estime que les avis des experts des deux parties sur la question de l’évidence sont d’égale valeur.
[33] En dernier lieu, s’agissant des déclarations des experts présentées par les deux parties, je trouve très significatif qu’elles concordent toutes sur le fait que pour traiter le [traduction] « problème de coloration rose », elles cherchent toutes à identifier un certain nombre de causes potentielles, sur la plupart desquelles elles s’entendent. En particulier, toutes les déclarations confirment que la présence d’eau dans la formulation pouvait être une cause du problème. L’avocat d’Apotex a insisté sur le fait que toutes identifiaient la présence de l’eau comme la cause la plus probable. Sans aller aussi loin dans cette direction que m’y invitait l’avocat d’Apotex, je trouve extrêmement significatif que tous les experts aient trouvé que la présence de l’eau était peut-être un problème et qu’un certain nombre aient placé l’eau parmi les premiers éléments sur la liste des causes potentielles du problème.
b) L’invalidité
(i) L’antériorité ou l’absence de nouveauté
[34] La disposition pertinente du paragraphe 28.2(1) [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 33] de la Loi prévoit :
28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :
a) plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;
Comme on l’a déjà noté, la date de dépôt du brevet 637 était le 14 décembre 1994. L’antériorité alléguée dans l’avis d’allégation est le brevet 060, délivré le 30 juillet 1991 à Beecham Group p.l.c., qui, j’en suis persuadé, était le prédécesseur de la requérante du brevet 637. Il est incontestable que l’invention divulguée par le brevet 060 est devenue accessible au Canada ou ailleurs à la délivrance du brevet 060.
[35] Dans l’arrêt Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy[20], le juge Hugessen, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit à la page 297 :
On se souviendra que celui qui allègue l’antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l’invention était connue du public avant la date pertinente. L’enquête porte sur l’invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l’évidence, sur l’état de la technique et des connaissances générales. De plus, ainsi qu’il ressort du passage précité de la Loi, l’antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d’en arriver à l’invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Lorsque, comme c’est le cas ici, l’invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d’antériorité.
Il faut souligner que, dans la citation précédente, le juge Hugessen s’exprimait sur l’antériorité ou l’absence de nouveauté selon une version antérieure de la Loi, mais personne n’a contesté devant moi la pertinence de cette citation au regard de la Loi actuelle.
[36] Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc.[21], le juge Richard, tel était alors son titre, après avoir cité l’extrait précédent de la décision Beloit, retenu par le juge Décary dans l’arrêt Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp.[22], a fait observer au sujet des motifs du juge Décary, auxquels ont souscrit les juges Marceau et Pratte, sur un autre sujet que l’évidence, à la page 553 de la décision Pfizer :
Il [le juge Décary] a ajouté que lorsque la connaissance ou l’utilisation antérieures est alléguée, « la preuve doit être soumise à un examen très attentif » et « quiconque allègue l’antériorité pour ce motif assume une lourde charge ».
Il [le juge Décary] a cité les principes suivants qui devraient s’appliquer pour déterminer si une utilisation ou une réalisation est antérieure à l’invention :
1) indique-t-elle la combinaison de tous les éléments revendiqués?
2) nous apprend-elle la même chose que le mémoire descriptif de l’invention elle-même?
3) contient-elle des instructions claires et non ambiguës sur le mode d’utilisation?
4) les aspects essentiels de l’invention ou les éléments nécessaires ou importants visant à réaliser l’invention et à la rendre réellement utile doivent se retrouver en majeure partie dans la publication antérieure;
5) un dispositif qui n’est pas pratique et qu’on ne peut faire fonctionner ne constitue pas une réalisation antérieure.
[37] Dans l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc.[23], le juge Binnie, avant d’affirmer que le critère de l’antériorité tiré de l’arrêt Beloit, précité, est un critère auquel il est « difficile de satisfaire », a écrit au paragraphe 26 :
La question qui se pose sur le plan juridique est de savoir si cet article [dans notre cas, le brevet 060] renferme suffisamment d’information pour permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre, sans avoir accès aux deux brevets, [traduction] « la nature de l’invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l’aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d’ordre technique » […] En d’autres mots, les renseignements donnés par Solov’eva étaient-ils, « en termes d’utilité pratique, les mêmes que ceux que donnent les brevets contestés »? Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., […] ou, pour reprendre l’exposé mémorable fait dans General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre & Rubber Co. […]
[traduction] Aussi clair qu’il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté. [Renvoi omis.]
[38] Si l’on revient à la brève analyse du brevet 637 et du brevet 060 exposée plus haut, le seul objet divulgué dans le brevet 637 qui ne l’est pas dans le brevet 060 est qu’une ou plusieurs des [traduction] « méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer » pour réaliser la formulation, à l’échelle commerciale, des comprimés de paroxétine, soit [traduction] « un procédé de formulation » sans eau, [traduction] « la granulation par voie sèche » de la paroxétine ou comprenant [traduction] « l’étape consistant à mélanger la paroxétine avec des excipients secs », sont moins susceptibles de donner naissance au problème de coloration rose que la granulation par voie humide. Il est intéressant de remarquer que cet avantage particulier de certaines des [traduction] « méthodes courantes de mélange » divulgué dans le brevet 060 n’est pas mentionné dans les revendications du brevet 637. Cela étant dit, même dans le cadre d’une interprétation généreuse du brevet 637, qui placerait l’avantage de l’atténuation du [traduction] « problème de coloration rose » dans la portée large des revendications du brevet 637, je conclus qu’il satisfait au critère de l’antériorité.
[39] À la lumière du critère énoncé dans l’arrêt Beloit, je suis persuadé qu’une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine, d’après la preuve établie devant moi, pourrait prendre connaissance d’une seule publication antérieure, soit le brevet 060, et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention du brevet 637 sans l’exercice du moindre génie inventif. Le brevet 060 comporte des instructions d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.
[40] Ayant conclu que la formulation par voie humide des comprimés de paroxétine suscite un [traduction] « problème de coloration rose », dont l’importance est telle qu’elle pousse une personne au fait de l’art à chercher à le résoudre, à tout le moins en partie, je suis persuadé que logiquement, la première étape de toute personne au fait de l’art serait de se tourner vers les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pour voir si l’un ou l’autre ne résoudrait pas, en totalité ou en partie, le problème. Je suis également persuadé que cette recherche n’impliquerait aucune étape inventive ni aucun génie inventif. Elle mettrait seulement en jeu l’application de l’enseignement du brevet 060.
[41] Comme je l’ai noté précédemment, la demande relative au brevet 637 a été déposée au Canada le 14 décembre 1994. Le brevet 637 a été délivré le 22 juin 1995. Aussi l’antériorité présentée au Commissaire aux brevets à toutes les époques pertinentes, le brevet 060, enseignait que les autres méthodes courantes de formulation étaient réalisables en pratique.
[42] La divulgation du brevet 637 indique :
[traduction] Nous avons à notre grande surprise découvert que nous pouvions formuler de la paroxétine en comprimés de façon fiable et sur une base commerciale en utilisant un procédé de formulation sans eau, notamment la compression directe ou la granulation par voie sèche.
Nous avons également découvert à notre grande surprise que la paroxétine formulée en comprimés au moyen d’un procédé sans eau risque beaucoup moins de prendre cette teinte rose. [Non souligné dans l’original.]
Je conclus que la seule découverte faite avec « grande surprise » a été qu’une méthode de formulation envisagée dans le brevet 060, la formulation par voie humide, engendrait un problème de coloration rose. Sur la foi des témoignages d’expert qui m’ont été présentés, je conclus par contre qu’il n’était absolument pas étonnant qu’une autre méthode de formulation indiquée dans le même brevet soit moins susceptible d’entraîner ce problème.
[43] J’estime que ma conclusion visant l’antériorité du brevet 060 sur le brevet 637 est soutenue par le point de vue unanime des experts qui ont témoigné dans l’instance, que l’une des sources possibles du [traduction] « problème de coloration rose » pouvait être la formulation par voie humide.
[44] En résumé, j’arrive donc à la conclusion qu’une personne versée dans l’art, sur la base de l’antériorité citée, soit le brevet 060, et des connaissances courantes aux époques pertinentes, serait arrivée infailliblement à la formulation revendiquée par le brevet 637. Interprétées de manière large, les revendications divulguées dans ce brevet ne comportent aucune étape inventive. SmithKline n’est tout simplement pas parvenue, selon la preuve établie devant moi, à s’acquitter de son « fardeau de persuasion » qui consistait à démontrer que l’allégation d’invalidité n’était pas fondée.
(ii) L’évidence de l’invention
[45] Le critère de l’évidence figure à l’article 28.3 [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 33] de la Loi, qui prévoit :
28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :
a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;
b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.
[46] Le critère du caractère évident de l’invention a été caractérisé de la manière suivante par le juge Hugessen dans l’arrêt Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy[24] à la page 294 :
Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-lemonde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.
Si l’on tient compte de l’article 28.3 de la Loi cité ci-dessus, s’agissant des faits de l’espèce, l’expression « au moment où l’invention aurait été faite » dans la citation ci-dessus doit maintenant s’entendre comme la date de la revendication [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 26] qui signifie la date d’une revendication dans une demande de brevet au Canada, établie conformément à l’article 28.1 [édicté, idem, art. 33] de la Loi.
[47] Dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd.[25], le juge Wetston a écrit au paragraphe 245 :
La question générale à trancher est de savoir s’il a fallu une activité inventive pour réaliser l’invention alléguée : Windsurfing International Inc. et al. c. Trilantic Corporation […] Autrement dit, il s’agit de savoir si l’invention était [traduction] « simple comme bonjour » ou [traduction] « claire comme de l’eau de roche » pour un technicien versé dans l’art ou la science en cause, à la date de l’invention : Bayer v. Apotex Inc. […] On dit qu’une chose est évidente si elle vient spontanément à l’esprit d’une personne ordinaire, versée dans l’art ou la science en cause, qui cherche quelque chose de nouveau sans se livrer à des réflexions, recherches ou expérimentations sérieuses : G.F. Takach, Patents : A Canadian compendium of law and practice […] Si l’invention alléguée est le fruit d’un travail de recherche collectif, il faut évaluer séparément la contribution de chacun des participants versés dans l’art ou la science en cause et attribuer à chacun le niveau de compétence exigé d’une personne remplissant cette fonction : Genentech Inc.’s Patent […] [Renvois omis.]
[48] Dans l’arrêt Bayer Aktiengesellschaft v. Apotex Inc.[26], le juge Lederman de la Cour de l’Ontario (Division générale), a écrit aux pages 80 et 81 :
[traduction] Il semble y avoir une différence importante entre les capacités du technicien fictif anglais versé dans l’art et celui du Canada. En effet, l’exécution de recherches ou d’expérimentations semble être hors du champ d’activité du technicien fictif compétent canadien. Dans la décision Cabot Corp. c. 318602 Ontario Ltd. […], le juge Rouleau [de la présente Cour] a cité un extrait de H.G. Fox dans Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions :
[traduction] « Pour qu’une invention soit considérée comme « évidente », il faut qu’elle ait été directement découverte par la personne qui recherchait quelque chose de neuf, un nouveau procédé de fabrication ou autre, sans avoir besoin d’expérimentation, de réflexion profonde, de recherche que ce soit en laboratoire ou dans les textes. »
(Italique est de moi). Aussi, même si on s’imaginerait normalement que le laboratoire de cette personne mythique est plein d’éprouvettes et de boîtes de Pétri mythiques et qu’elle passe sa vie en expérimentations, aucune recherche de cette nature n’est prise en compte aux fins de l’application du critère juridique. Toute logique qu’ait pu paraître à une personne effectivement versée dans l’art à cette époque, en fonction de l’état des connaissances, de mener certaines expérimentations, cela n’est pas permis au technicien mythique versé dans l’art. Ce chercheur mythique ne peut posséder un esprit de recherche ou de réflexion qui le conduirait ultimement à la solution, mais on attend plutôt de lui qu’il s’exclame instantanément et spontanément, sans plus, « Je connais déjà la réponse et elle est évidente ». Pas plus qu’il ne convient de dire qu’il y avait des indications importantes qui guidaient l’expert mythique vers la solution ou des indices suffisants pour que l’invention « vaille la peine d’être tentée ». Dans la décision Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning c. Halocarbon (Ontario) Ltd […] le juge Collier [de la présente Cour] en rejetant le critère de l’expérience qui « vaut d’être tentée » a déclaré :
Il est facile de dire a posteriori, avec l’avantage du recul, qu’une expérience dans des circonstances telles qu’on les suppose ici, lorsque le temps et les dépenses sont illimités […] vaut ou valait la peine d’être tentée.
En appel, la Cour suprême du Canada a confirmé cette position […] déclarant à la p. 155 :
Très peu d’inventions sont des découvertes imprévues. En pratique, tous les travaux de recherches suivent l’orientation donnée par l’état de la technique. Dans ces conditions et avec l’avantage du recul, il y aurait presque toujours moyen de dire qu’il n’y a aucun esprit inventif dans les nouveaux perfectionnements parce que chacun peut alors voir comment les réalisations antérieures montraient la voie.
On peut penser que c’est la raison pour laquelle le juge Hugessen a déclaré que la question qu’il posait dans l’arrêt Beloit […] au sujet de la créature mythique est « un critère auquel il est très difficile de satisfaire ». [Renvois omis.]
[49] Au regard de cette jurisprudence indiquant qu’il est difficile de satisfaire au critère de l’évidence, que pour être évidente la solution au problème doit être « simple comme bonjour » ou « claire comme de l’eau de roche », ne pas nécessiter d’expérimentation, de réflexion profonde ou de recherche, et que le critère de « valoir la peine d’être tenté » ne s’applique pas, je conclus qu’Apotex s’est acquittée de son fardeau initial de présentation de la preuve en ce qui concerne le « caractère évident » et qu’elle a donc mis en jeu la question de l’évidence, mais que SmithKline, pour sa part, s’est elle aussi acquittée de sa charge d’établir, compte tenu de la prépondérance de la preuve, que l’allégation d’évidence n’était pas justifiée.
[50] Dans le témoignage d’expert qu’il a présenté pour le compte de SmithKline[27], M. McGinity a attesté ce qui suit aux paragraphes 26 et suivants :
[traduction] Ma première observation est que si l’on m’avait demandé de résoudre le problème de la teinte rose du produit de SmithKline, qui se posait de façon intermittente, j’aurais d’abord indiqué que je prévoyais avoir extrêmement de difficulté à le régler. La solution ne pouvait être simple et le véritable défi était en effet de définir les causes du problème. Évidemment, une fois trouvée la cause du problème, il devient souvent facile d’apporter la correction, la difficulté étant de repérer les facteurs en cause dans le problème.
Par conséquent, si je devais m’attaquer à ce problème, je chercherais d’abord à préciser un certain nombre de causes possibles :
[Suit une liste de trois (3) causes possibles, dont aucune ne concerne la formulation par voie humide, bien que le M. McGinity ait par la suite reconnu que cela était une cause possible.]
En résumé, je pense donc qu’il faudrait mettre beaucoup de temps et d’efforts pour résoudre le problème. En me fondant sur les trois brevets mentionnés ci-dessus, sur mon expérience et sur les connaissances usuelles générales dans le domaine de la science pharmaceutique, j’ai été incapable de définir la cause du problème intermittent de coloration rose ou d’y trouver une solution. Pour tenter de résoudre le problème, il faudrait procéder à un certain nombre d’expériences soigneusement conçues.
Par conséquent, en cherchant à résoudre le problème […] et sans l’avantage de l’analyse a posteriori, je ne suis pas parvenu à régler directement et sans difficulté le problème intermittent de coloration rose. En toute honnêteté, je n’aurais pas pu trouver directement la solution du problème en raison de la multiplicité des causes possibles. Quand on ne connaît pas la cause du problème, la solution est loin d’être claire ou simple.
En outre, je ne puis affirmer que la solution pourrait être trouvée sans quelque difficulté.
[51] En dépit des exhortations de l’avocat d’Apotex m’incitant pour diverses raisons à ne pas prendre en considération la déclaration d’expert de M. McGinity, je refuse de le faire. Au contraire, j’estime que cet extrait du témoignage est convaincant. Même si le brevet 060 figure parmi les trois brevets auxquels renvoie le M. McGinity dans les paragraphes précédents, il ne divulguait certainement pas la « cause » du problème de coloration rose. Comme je l’ai déjà noté, tout en étant persuadé du bien-fondé de l’allégation d’antériorité du brevet 060 par rapport au brevet 637, j’ai la conviction que SmithKline s’est acquittée de sa charge et qu’elle a démontré que l’allégation concernant l’évidence de l’invention divulguée dans le brevet 637 n’était pas fondée.
(iii) L’utilité
[52] Pour constituer une invention, la réalisation, le procédé, la machine, la fabrication ou la composition de matières doit non seulement présenter le caractère de la nouveauté, mais également celui de l’utilité[28].
[53] Dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd.[29], le juge Dickson, tel était alors son titre, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a écrit à la page 525 :
Il y a un exposé utile dans Halsburys Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la p. 59 sur le sens de « inutile » en droit des brevets. Le terme signifie [traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera ». On n’a pas prétendu que l’invention ne produirait pas les résultats promis. L’exposé dans Halsburys Laws of England (ibid.) poursuit :
[traduction] […] ce n’est pas l’utilité pratique de l’invention ni son utilité commerciale qui importe à moins que le mémoire descriptif ne laisse prévoir une utilité commerciale, il n’importe pas plus que l’invention apporte un avantage réel au public ni qu’elle soit particulièrement adaptée au but visé […]
et il conclut [à la page 60] :
[traduction] […] il y a suffisamment d’utilité pour justifier un brevet si l’invention donne soit un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile […]
[54] La divulgation du brevet 637 indique :
[traduction] Nous avons également découvert à notre grande surprise que la paroxétine formulée en comprimés au moyen d’un procédé sans eau risque beaucoup moins de prendre cette teinte rose.
Ainsi, l’utilité revendiquée par le brevet 637 est un procédé de formulation qui est moins susceptible de développer une teinte rose que le procédé de formulation avec eau, ou un [traduction] « procédé de formulation par voie sèche », où l’expression « par voie sèche » signifie en substance [traduction] « par voie réellement sèche » par opposition à un processus faisant intervenir l’ajout en bloc d’eau.
[55] Tous les experts d’Apotex conviennent que le problème de coloration rose est un problème grave. Les paragraphes 2 et 5 de l’énoncé détaillé qui fait partie de l’avis d’allégation d’Apotex indiquent :
2. [traduction] Les revendications ne visent pas une composition de matières nouvelle et utile, parce que, au terme du processus, une formulation obtenue par un procédé sans eau ne se distingue pas de formulations obtenues par voie humide, ce qui était une antériorité comme le reconnaît la divulgation.
[…]
5. L’invention revendiquée est sans utilité. Dans la divulgation, on dit qu’elle est utile pour éviter la production d’une teinte rose; mais en supposant même que ce soit vrai, la teinte rose n’est pas pertinente pour l’utilité des comprimés. La divulgation énonce spécifiquement que tous les comprimés vendus ont été formulés au moyen d’un procédé de granulation aqueuse et la production et la vente de ces comprimés n’ont suscité absolument aucun problème.
[56] Tous les experts de SmithKline attestent que l’atténuation du problème de coloration rose divulguée dans le brevet 637 est utile. M. Roman affirme dans sa déclaration que jusqu’à ce que le problème de coloration rose soit réglé, dans la mesure où il l’a été par le procédé de formulation divulgué dans le brevet 637, le lancement du comprimé de paroxétine aux États-Unis a été retardé et certains lots ont dû être éliminés.
[57] Compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée à la Cour, je suis persuadé que SmithKline s’est acquittée de la charge qui lui incombait d’établir que l’allégation d’absence d’utilité n’est pas justifiée.
c) La contrefaçon
[58] Dans son avis d’allégation, Apotex allègue qu’aucune revendication pour la paroxétine ni aucune revendication pour l’utilisation de ce médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de comprimés 10 mg, 20 mg ou 30 mg contenant du chlorhydrate de paroxétine administrés par voie orale. L’avis d’allégation expose le droit et les faits sur lesquels est fondée l’allégation en ces termes :
1. [traduction] Les revendications du brevet visé se limitent à une formulation de paroxétine préparée à l’échelle commerciale sous forme de comprimés à l’aide d’un procédé de préparation sans eau. Nous confirmons par la présente que la formulation produite et vendue par nous sera réalisée à l’aide d’un procédé de formulation avec eau. Plus spécifiquement, la seule formulation que nous fabriquerons et vendrons sera celle de comprimés pelliculés, fabriqués en utilisant l’eau comme solvant dans le procédé de pelliculage, et nous inclurons des pigments dans le pelliculage pour masquer toute coloration rose produite par l’effet de l’eau sur la paroxétine. Par conséquent, aucune revendication ne sera contrefaite.
2. En outre ou à titre subsidiaire, s’agissant des comprimés que nous entendons fabriquer et vendre, les revendications du présent brevet ne sont pas des revendications pour le médicament en soi ni pour l’utilisation du médicament. En effet, les comprimés que nous fabriquerons et vendrons feront appel à une formulation avec eau, comme nous l’avons dit, alors que les revendications du brevet visé portent exclusivement sur des comprimés fabriqués à l’aide d’une formulation sans eau.
[59] L’allégation de non-contrefaçon est fallacieuse, dans l’hypothèse où le brevet 637 est valide. J’accepte la preuve que la formulation de paroxétine d’Apotex est une formulation de comprimés préparée à l’échelle commerciale à l’aide d’un procédé sans eau. Ce n’est qu’après la préparation des comprimés par un procédé sans eau, qui constitue une contrefaçon du brevet 637, que le procédé de formulation d’Apotex fait intervenir l’ajout d’un pelliculage à l’aide de l’eau. L’ajout d’une pellicule ne fait pas partie du procédé de formulation revendiqué dans le brevet 637 et lui est superflu.
[60] Dans la décision Cabot Corp. c. 318602 Ontario Ltd.[30], le juge Rouleau a écrit à la page 164 :
Une légère différence entre le brevet et le produit des défenderesses n’est pas une défense contre une accusation de contrefaçon. Comme l’a déclaré le juge Mahoney dans l’affaire Globe-Union Inc. c. Varta Batteries Ltd. […]
La méthode de la défenderesse fonctionne. En vérité il s’agit fort probablement d’une amélioration commerciale du brevet des connexions […]
Le principe qu’il faut appliquer a été énoncé dans l’espèce Lightning Fastener Co., Ltd. c. Colonial Fastener Co. Ltd. et al. […] comme suit :
[traduction] « Dans chaque espèce, l’essence, le principe de l’invention, et non simplement sa forme doivent être examinés. Une jurisprudence abondante dit que si le contrefacteur s’approprie le principe tout en modifiant quelques détails, s’il est manifeste qu’il s’est approprié l’essence de l’idée qui fait l’objet de l’invention, ne modifiant simplement que des détails, la Cour est justifiée de voir, au-delà de ces modifications de détails, que l’essence de l’invention a été contrefaite et, en conséquence, qu’elle doit protéger l’inventeur. Et la question n’est pas de savoir si un aspect essentiel de la machine ou de la méthode a été emprunté au mémoire descriptif mais plutôt, ce qui est fort différent, si le prétendu contrefacteur a emprunté au breveté l’essence de son invention. »
À mon avis, la défenderesse s’est approprié l’invention du brevet des connexions. [Renvois omis.]
Le juge Mahoney, cité par le juge Rouleau, développe ses motifs en renvoyant à un extrait d’une autre décision, celle de l’affaire Wenham Gas Co., Ltd. v. Champion Gas Lamp Co.[31] :
[traduction] […] si la substantifique moelle de l’invention est empruntée, ce n’est pas une excuse de dire que vous avez ajouté quelque chose ou omis quelque chose, même si cette addition ou omission peuvent être utiles et valables. Ajouter l’ingéniosité au vol ne saurait justifier celui-ci.
[61] Je suis persuadé que tout ce qui précède s’applique aux faits de l’espèce. Pour reprendre les termes de la dernière citation, on se propose d’emprunter la substantifique moelle de l’invention alléguée. L’ajout de quelque chose, en l’occurrence un pelliculage qui utilise l’eau comme solvant de la pellicule, ne constitue pas une excuse. Le fait d’emprunter la substantifique moelle de l’invention alléguée n’en demeure pas moins un « vol ». Ajouter l’ingéniosité d’un pelliculage ne « saurait justifier celui-ci ».
[62] Il en résulte que si le brevet 637 est jugé valide, je suis persuadé que l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex n’est pas justifiée.
[63] L’article 32 de la Loi est éclairant. Il prévoit :
32. Quiconque est l’auteur d’un perfectionnement à une invention brevetée peut obtenir un brevet pour ce perfectionnement. Il n’obtient pas de ce fait le droit de fabriquer, de vendre ou d’exploiter l’objet de l’invention originale, et le brevet couvrant l’invention originale ne confère pas non plus le droit de fabriquer, de vendre ou d’exploiter l’objet du perfectionnement breveté.
[64] Si l’on pose pour l’instant comme hypothèse que le pelliculage d’Apotex fait avec de l’eau comme solvant est un perfectionnement, celui-ci ne confère pas à Apotex le droit de fabriquer, de vendre ou d’exploiter l’invention originale, en présumant qu’elle le soit, du brevet 637.
d) Admissibilité au registre
[65] Dans son avis d’allégation et dans l’énoncé détaillé à l’appui, Apotex allègue :
[traduction] Nous alléguons en outre que le brevet 2 178 637 n’était pas admissible à l’inscription au registre en rapport avec vos comprimés de chlorhydrate de paroxétine pour les motifs suivants :
1. L’inclusion du brevet au registre était interdite par le paragraphe 4(4) du Règlement, du fait que la date de la présentation de drogue nouvelle relative aux comprimés de chlorhydrate de paroxétine était antérieure au 14 décembre 1994, date du dépôt de la demande du présent brevet.
2. Le brevet ne comporte aucune revendication pour le médicament en soi ni pour l’utilisation du médicament au sujet duquel il est listé, comme vos comprimés de paroxétine visés par le brevet listé sont fabriqués à l’aide d’un procédé avec eau.
[66] L’allégation de non-admissibilité au registre du brevet 637 a été soutenue devant la Cour dans l’affaire Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé)[32]. Mme le juge McGillis a conclu [au paragraphe 49], pour les motifs exposés :
[…] j’en suis arrivée à la conclusion que le ministre n’a pas commis d’erreur en inscrivant le brevet 637 au registre.
Par conséquent, elle a rejeté la demande de contrôle judiciaire, présentée par Apotex à l’encontre de la décision du ministre de la Santé d’inscrire au registre des brevets le brevet 637 visant les comprimés de paroxétine. La décision de Mme le juge McGillis a été confirmée par la Cour d’appel fédérale[33].
[67] L’avocat d’Apotex a reconnu que le premier motif de l’allégation de non-admissibilité au registre était une chose jugée ou une question visée par une fin de non-recevoir, mais il a soutenu que le second motif de l’allégation demeurait une question réelle qui n’avait pas été abordée par Mme le juge McGillis.
[68] Je suis persuadé que la décision du juge McGillis, confirmée par la Cour d’appel, tranche dans sa totalité la question de l’admissibilité au registre du brevet 637. Si pareille question n’a pas été soulevée devant le juge McGillis, il est maintenant trop tard pour le faire. Si elle l’a été et que le juge McGillis ne la traite pas dans ses motifs, la juridiction appropriée à qui on aurait dû soumettre la question était la Cour d’appel, non la présente Cour.
[69] Postérieurement à la clôture de l’instruction, l’avocat d’Apotex a attiré mon attention sur une décision de mon collègue, le juge Pinard, dans l’affaire Warner-Lambert Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé)[34]. La décision et les motifs du juge Pinard font suite à une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision du ministre de la Santé de ne pas inscrire au registre des brevets une liste de brevets accompagnant une présentation de drogue nouvelle supplémentaire et de retirer certains brevets d’une liste de brevets figurant au registre. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée. Je ne suis tout simplement pas convaincu de la pertinence de la décision du juge Pinard par rapport à ma décision.
CONCLUSION
[70] En résumé, je conclus que SmithKline ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait dans l’instance d’établir que l’allégation d’Apotex visant l’invalidité du brevet 637 pour cause d’antériorité ou d’absence de nouveauté n’était pas fondée. Ma conclusion que SmithKline a rempli ses obligations à l’égard de toutes les autres allégations d’invalidité et à l’égard de l’allégation de non-contrefaçon, et qu’Apotex ne peut avoir gain de cause pour des motifs techniques sur l’allégation touchant la non-admissibilité au registre du brevet 637, ne peut donner gain de cause à SmithKline dans la présente demande. Par conséquent, la demande de SmithKline visant une ordonnance selon le paragraphe 6(1) du Règlement interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité en vertu de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues à la défenderesse Apotex Inc. pour des comprimés de chlorhydrate de paroxétine avant l’expiration des lettres patentes canadiennes no 2,178,637 est rejetée.
LES DÉPENS
[71] Les avocats de SmithKline et d’Apotex ont convenu devant moi que l’attribution des dépens entre SmithKline et Apotex devait suivre l’issue du procès. Une ordonnance sera rendue attribuant les dépens à Apotex, contre SmithKline, fixés selon la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998)[35]. Il n’y aura pas d’ordonnance de dépens en faveur ou à l’encontre du ministre de la Santé.
[1] L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 55.2(4) [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4].
[2] DORS/93-133, art. 6 [mod. par DORS/98-166, art. 5].
[3] C.R.C., ch. 870, art. C.08.004 [mod. par DORS/95-411, art. 6].
[4] Dossier de la demande de SmithKline, vol. 1, onglet 10, par. 19 à 22.
[5] Dossier de la demande de SmithKline, vol. 1, onglet 5.
[6] Dossier de la demande de SmithKline, vol. 1, onglets 5 et 6.
[7] [1956-60] R.C.É. 467.
[8] (1993), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.).
[9] (1998), 84 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst.).
[10] (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.).
[11] [1981] 1 R.C.S. 504.
[12] (1982), 61 C.P.R. 1 (C.A.F.).
[13] (1994), 56 C.P.R. (3d) 470 (C.A.F.).
[14] [2000] 2 R.C.S. 1024.
[15] [2000] 2 R.C.S. 1067.
[16] Dossier de la demande de SmithKline, vol. 3, onglet 43, p. 000406. (La transcription du contre-interrogatoire de M. Roman fait l’objet d’une ordonnance de confidentialité dans la présente procédure, mais j’ai la conviction que cet aspect particulier du contre-interrogatoire n’est pas couvert par la confidentialité.)
[17] (1998), 78 C.P.R. (3d) 489 (C.F. 1re inst.).
[18] (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.).
[19] [1982] 2 R.C.S. 536.
[20] (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.).
[21] (1997), 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F. 1re inst.).
[22] (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.).
[23] Supra, note 14.
[24] Supra, note 20.
[25] (1998), 79 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.); jugement modifié en appel par la Cour d’appel fédérale d’une manière qui n’est pas pertinente à l’extrait cité ici : [2001] 1 C.F. 495 autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada accordée, [2000] S.C.C.A. no 610 (QL).
[26] (1995), 60 C.P.R. (3d) 58 (Div. gén. Ont.), appel d’Apotex rejeté, appel incident de Bayer accueilli sur un point qui n’est pas pertinent à l’extrait cité, (1998), 82 C.P.R. (3d) 526 (C.A. Ont.); autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée [1998] S.C.C.A. no 563 (QL).
[27] Dossier de la demande, vol. 1, onglet 22.
[28] La définition de l’« invention » figure à l’art. 2 de la Loi.
[29] Supra, note 11.
[30] (1988), 20 C.P.R. (3d) 132 (C.F. 1re inst.).
[31] (1891), 9 R.P.C. 49, à la p. 56.
[32] (1999), 87 C.P.R. (3d) 271 (C.F. 1re inst.).
[33] (2001), 11 C.P.R. (4th) 538 (C.A.F.).
[34] [2001] A.C.F. no 801 (QL); 2001 CFPI 514 (1re inst.).
[35] DORS/98-106.