A-84-12
2013 CAF 64
Musée des Beaux-Arts du Canada (appelant)
c.
Canadian Artists’ Representation/Le Front des artistes canadiens
et
Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (intimés)
et
Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs du Canada (intervenante)
Répertorié : Musée des Beaux-Arts du Canada c. Le Front des artistes canadiens
Cour d’appel fédérale, juges Noël, Pelletier et Trudel, J.C.A.—Ottawa, 5 septembre 2012 et 4 mars 2013.
Note de l’arrêtiste : Cette décision a été infirmée en appel (2014 CSC 42). Les motifs du jugement, qui ont été prononcés le 12 juin 2014, seront publiés dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême.
Droit d’auteur — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs a conclu que l’appelant n’a pas négocié de bonne foi lorsqu’il est revenu sur sa position de négociation et a refusé de négocier les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes avec les intimés après l’avoir fait précédemment — Pendant plusieurs années, l’appelant a négocié avec les intimés les tarifs minimums des artistes pour l’utilisation d’œuvres existantes, mais a par la suite changé sa position de négociation et a refusé de poursuivre les négociations sur ces points — L’appelant a avisé les intimés que dans le cadre juridique, leur accréditation pour négocier se limitait au domaine des services et ne s’étendait pas aux questions de droits d’auteur — Les intimés ont déposé une plainte devant le Tribunal, alléguant que l’appelant a fait défaut de négocier de bonne foi — Le Tribunal s’est attribué la juridiction de sanctionner un « accord-cadre » portant sur des droits cédés par des détenteurs de droit d’auteur aux intimés au motif que ces cessions constituaient des « prestations de services » au sens de la définition du terme « accord-cadre » à l’art. 5 de la Loi sur le statut de l’artiste — Il s’agissait de savoir si le refus de l’appelant de négocier un accord-cadre relatif aux questions de droit d’auteur (c.-à-d. les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes) pouvait étayer la conclusion du Tribunal que l’appelant a manqué à son obligation de négocier de bonne foi — Le juge Noël, J.C.A. (la juge Trudel, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : Les questions de droit d’auteur, notamment l’imposition de tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes, n’entraient pas dans les paramètres de la Loi et, partant, le Tribunal n’avait pas le pouvoir de contraindre les parties à négocier de telles questions — L’appelant ne pouvait pas valablement conclure un accord-cadre touchant les droits d’auteur — En conséquence, le refus de l’appelant de poursuivre les négociations portant sur ces questions ne pouvait être attribué à un manquement à son devoir de négocier de bonne foi — Demande accueillie — Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident) : Le Tribunal a conclu à juste titre que le revirement de position de l’appelant à l’égard des négociations et son refus de poursuivre les négociations sur les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes équivalaient à un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi — La décision et le processus de raisonnement du Tribunal étaient justifiables, transparents et intelligibles — L’interprétation de l’expression « prestations de services » fournie par le Tribunal ne créait pas de conflit entre la Loi et la Loi sur le droit d’auteur.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs a conclu que l’appelant n’a pas négocié de bonne foi lorsqu’il est revenu sur sa position de négociation et a refusé de négocier les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes avec les intimés après l’avoir fait pendant de nombreux mois. La Loi sur le statut de l’artiste (la Loi), qui était la loi pertinente en l’espèce, prévoit un cadre pour les négociations entre les associations d’artistes et de producteurs en vue d’assurer, entre autres, la rémunération des artistes. La Loi sur le droit d’auteur, elle, protège le droit de présenter à une exposition et de reproduire des œuvres originales.
L’appelant a fait valoir que la décision du Tribunal ne pouvait pas être maintenue parce que ce dernier a commis une erreur en concluant que l’autorisation d’utiliser les œuvres existantes est visée par l’expression « prestations de services », puisque ce terme est employé dans la définition d’« accord cadre » dans la Loi. Il a également affirmé qu’il y a incompatibilité entre la Loi et la Loi sur le droit d’auteur et que les questions de droit d’auteur relèvent des mécanismes prévus dans la Loi sur le droit d’auteur.
Le Tribunal a accrédité le Canadian Artists’ Representation/Front des artistes canadiens en tant qu’organisation représentative des artistes canadiens en arts visuels à l’extérieur du Québec et le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec à titre d’organisation représentative des artistes en arts visuels au Québec. Les intimés, après avoir envoyé un avis de négociation à l’appelant, l’ont informé qu’ils mèneraient des négociations conjointes. Le porte-parole du comité de négociation des intimés a avisé l’appelant des points qu’ils souhaitaient négocier, notamment le tarif des artistes. Pendant quatre ans, l’appelant a accepté de négocier les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes et a effectivement poursuivi ces négociations malgré ses réserves. Cependant, lorsqu’un nouveau porte-parole a été embauché, l’appelant a changé sa position de négociation et a refusé de poursuivre les négociations sur ces points. L’appelant a fait préparer par un cabinet d’avocats un avis juridique sur la position qu’il devait prendre dans les négociations et l’a transmis aux intimés. À la suite de cet avis juridique, l’appelant a présenté aux intimés une version révisée de l’accord-cadre, dans laquelle toutes les mentions relatives aux tarifs minimums pour l’utilisation des œuvres existantes avaient été supprimées. Après plusieurs communications entre les parties, l’appelant a avisé les intimés, en particulier, que dans le cadre juridique, leur accréditation pour négocier se limitait au domaine des services et ne pouvait pas automatiquement s’étendre aux questions de droits d’auteur. Il défendait sa position selon laquelle la portée des négociations était limitée par l’expression « prestations de services » de la définition d’« accord-cadre » dans la Loi. Les intimés ont par la suite déposé leur plainte devant le Tribunal, alléguant que l’appelant a fait défaut de négocier de bonne foi.
Le Tribunal s’est attribué la juridiction de sanctionner un « accord-cadre » portant sur des droits cédés par des détenteurs de droit d’auteur aux intimés au motif que ces cessions constituaient des « prestations de services » au sens de la définition du terme « accord-cadre » à l’article 5 de la Loi. Il a conclu, entre autres, qu’il serait incompatible avec le but de la Loi que les accords-cadres ne comportent pas de dispositions relatives aux droits d’auteur, que le refus de l’appelant de négocier ou de discuter de l’inclusion de questions de droit d’auteur, y compris de tarifs minimums dans un accord-cadre, était une position inflexible qui a empêché les parties de s’entendre pour conclure une entente, et que l’appelant avait donc violé l’article 32 de la Loi en ne négociant pas de bonne foi.
La principale question en litige était de savoir si le refus de l’appelant de négocier un accord-cadre relatif aux questions de droit d’auteur — plus précisément les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes — pouvait étayer la conclusion du Tribunal que l’appelant a manqué à son obligation de négocier de bonne foi.
Arrêt (le juge Pelletier, J.C.A., dissident) : la demande doit être accueillie.
Le juge Noël, J.C.A. (la juge Trudel, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : C’était la première fois que le Tribunal se prononçait à l’étape de la négociation sur un accord-cadre relatif à des œuvres préexistantes, c.-à-d. des œuvres qui ne résultent pas de la prestation de services par un artiste pour un producteur. L’argument de l’appelant selon lequel la Loi s’applique dans ce contexte malgré les conflits évidents avec la Loi sur le droit d’auteur a été rejeté. Lorsqu’un accord-cadre a trait à des œuvres commandées (« commissioned works » selon l’expression anglaise), aucun droit d’auteur n’est en cause puisque l’œuvre n’existe pas au moment de la signature de l’entente. Il s’ensuit que les « prestations de services » requises pour la réalisation de l’œuvre commandée et les droits d’utilisation qu’un artiste peut céder à l’égard de cette œuvre ne donnent lieu à aucun conflit possible avec la Loi sur le droit d’auteur. Des conflits avec la Loi sur le droit d’auteur surviennent uniquement lorsque l’on fait porter des accords-cadres sur des œuvres créées autrement que dans le contexte d’une œuvre commandée, comme le Tribunal l’a fait en l’espèce. En élargissant la portée de la Loi de façon à ce qu’elle s’applique aux œuvres créées autrement que dans le contexte d’une œuvre commandée, le Tribunal a dénaturé les mots utilisés par le législateur. Aucune gymnastique linguistique ne peut servir à démontrer que les cessions de droits d’auteur constituent des « prestations de services des artistes ».
Un droit d’auteur n’est pas un « service ». Le droit d’auteur comporte des droits reconnus et protégés par la loi que détient un artiste à l’égard de son œuvre (article 3 de la Loi sur le droit d’auteur). Il en résulte que la cession de tels droits donne lieu à un transfert de bien, et un transfert de bien ne peut être qualifié de « prestation de services ». Il n’existe rien à quoi puisse être reliée la cession d’un droit portant sur l’utilisation d’une œuvre, à moins que cette cession soit effectuée dans le contexte de « prestations de services », ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Il n’y avait pas de fondement rationnel pour la thèse du Tribunal voulant qu’en l’absence de tels services, le droit d’utiliser une œuvre existante constitue un service que l’artiste détenant le droit d’auteur sur cette œuvre peut fournir à un producteur. L’expression « prestations de services » a un sens clair qui vise la création d’œuvres artistiques pour le compte de producteurs désignés.
L’alinéa 6(2)a) de la Loi prévoit la portée de l’application de la partie de la Loi pertinente en l’espèce. Dans ce contexte, il ressort qu’un « accord-cadre » prévoit l’imposition de conditions minimales pour la prestation de tels services et l’indemnisation pour l’utilisation des œuvres ainsi créées, notamment leur prêt public. Il est possible de réaliser ces objectifs sans engendrer quelque conflit que ce soit avec les droits protégés par la Loi sur le droit d’auteur. Le fait qu’aucune mesure d’harmonisation n’ait été adoptée dénote qu’aucun conflit n’était envisagé. Il serait possible de supposer, sans crainte de se tromper, que de telles mesures se trouveraient dans la Loi ou dans la Loi sur le droit d’auteur ou dans les deux si les deux lois visaient les droits d’auteur, comme l’a maintenu le Tribunal.
Par conséquent, les questions de droit d’auteur, notamment l’imposition de tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes, n’entraient pas dans les paramètres de la Loi et, partant, le Tribunal n’avait pas le pouvoir de contraindre les parties à négocier de telles questions. L’appelant ne pouvait pas valablement conclure un accord-cadre touchant les droits d’auteur. En conséquence, son refus de poursuivre les négociations portant sur ces questions ne pouvait être attribué à un manquement à son devoir de négocier de bonne foi.
Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident) : Le Tribunal a conclu à juste titre que le revirement de position de l’appelant à l’égard des négociations et son refus de poursuivre les négociations sur certains points, comme les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes, équivalaient à un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. La conclusion du Tribunal que l’appelant a fait défaut de négocier de bonne foi était raisonnable, et sa décision et son processus de raisonnement étaient justifiables, transparents et intelligibles. Son interprétation de l’expression « prestations de services » employée dans la définition d’« accord-cadre » à l’article 5 de la Loi était également raisonnable. Le fait que le droit d’auteur est un bien n’empêchait pas de conclure que l’octroi du droit d’utiliser ce bien est un service. La concession d’une licence est un service fourni par l’artiste, comme le prévoit la définition d’« accord-cadre » dans la Loi. L’établissement de tarifs n’est pas un des aspects réservés précisément et exclusivement à l’artiste dans l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur et n’est donc pas mentionné au paragraphe 13(4) de cette loi. L’interprétation de l’expression « prestations de services » fournie par le Tribunal ne créait pas de conflit entre la Loi et la Loi sur le droit d’auteur.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 22.
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 3, 13(4).
Loi sur le statut de l’artiste, L.C. 1992, ch. 33, art. 2, 3, 5 « accord-cadre », 6(2)a), 18, 21, 32, 53(2).
Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, L.R.Q., ch. S-32.01.
Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma, L.R.Q., ch. S-32.1.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2, art. 51.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Exécution publique d’enregistrements sonores (Re), [1999] D.C.D.A. no 3 (Comm. du droit d’auteur) (QL) ; Writers’ Union of Canada, 1998 TCRPAP 028; Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, [2003] 1 R.C.S. 178; Writers Guild of Canada, R-41-94, 11 mai 1995, en ligne : <http://www.crt.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/decisions/1995_05_11.pdf>.
DÉCISIONS CITÉES :
Front des artistes canadiens, 2003 TCRPAP 047; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160; Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650; Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24 (C.A.); Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150.
DOCTRINE CITÉE
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (Le Front des artistes canadiens, 2012 TCRPAP 053) par laquelle le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs a conclu que l’appelant n’avait pas négocié de bonne foi lorsqu’il était revenu sur sa position de négociation et avait refusé de négocier les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes avec les intimés après l’avoir fait pendant de nombreux mois. Demande accueillie, le juge Pelletier, J.C.A., étant dissident.
ONT COMPARU
Guy P. Dancosse et Shawn Connelly pour l’appelant.
David Yazbeck et Wassim Garzouzi pour les intimés.
Colette Matteau pour l’intervenante.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, s.e.n.c.r.l., s.r.l., Montréal, pour l’appelant.
Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, s.e.n.c.r.l., s.r.l., Ottawa, pour les intimés.
Matteau Poirier, Montréal, pour l’intervenante.
Ce qui suit est la version franҫaise des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident) : Le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (le Tribunal) a conclu que le Musée des Beaux-Arts du Canada (le MBAC) n’avait pas négocié de bonne foi lorsqu’il était revenu sur sa position de négociation et avait refusé de négocier les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes avec CARFAC/RAAV (voir ci-dessous), après l’avoir fait pendant de nombreux mois. La décision, répertoriée sous l’intitulé Front des artistes canadiens, 2012 TCRPAP 053 (les motifs du Tribunal), fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
[2] La Cour doit déterminer si la conclusion du tribunal selon laquelle le MBAC a négocié de mauvaise foi peut être maintenue. Le MBAC dit qu’elle ne peut pas être maintenue, parce que le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’autorisation d’utiliser les œuvres existantes est visée par l’expression « prestations de services », puisque ce terme est employé dans la définition d’« accord cadre » [article 5] dans la Loi sur le statut de l’artiste, L.C. 1992, ch. 33 (la Loi). Le MBAC affirme également qu’il y a incompatibilité entre la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, et la Loi et il prétend que les questions de droit d’auteur relèvent des mécanismes prévus dans la Loi sur le droit d’auteur.
[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, j’estime que la définition de « services » n’est pas déterminante en l’espèce. Que la définition d’« accord-cadre » l’ait obligé ou non, le MBAC a accepté de négocier les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes et a effectivement poursuivi ces négociations pendant quatre ans. La question en litige devant le Tribunal était de déterminer si, dans les circonstances, le revirement de position du MBAC à l’égard des négociations et son refus de poursuivre les négociations sur ces points équivalaient à un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. Le Tribunal a conclu que c’était bien le cas. Je suis d’accord. Par conséquent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
[4] La compréhension des passages pertinents de la Loi permettra de suivre plus facilement le reste des présents motifs. La Loi reconnaît d’abord la contribution des artistes à la société canadienne et poursuit avec une déclaration des droits des artistes :
2. Le gouvernement du Canada reconnaît : a) l’importance de la contribution des artistes à l’enrichissement culturel, social, économique et politique du Canada; b) l’importance pour la société canadienne d’accorder aux artistes un statut qui reflète leur rôle de premier plan dans le développement et l’épanouissement de sa vie artistique et culturelle, ainsi que leur apport en ce qui touche la qualité de la vie; c) le rôle des artistes, notamment d’exprimer l’existence collective des Canadiens et Canadiennes dans sa diversité ainsi que leurs aspirations individuelles et collectives; d) la créativité artistique comme moteur du développement et de l’épanouissement d’industries culturelles dynamiques au Canada; e) l’importance pour les artistes de recevoir une indemnisation pour l’utilisation, et notamment le prêt public, de leurs œuvres. |
Déclaration |
3. La politique sur le statut professionnel des artistes au Canada, que met en œuvre le ministre du Patrimoine canadien, se fonde sur les droits suivants : a) le droit des artistes et des producteurs de s’exprimer et de s’associer librement; b) le droit des associations représentant les artistes d’être reconnues sur le plan juridique et d’œuvrer au bien-être professionnel et socio-économique de leurs membres; c) le droit des artistes de bénéficier de mécanismes de consultation officiels et d’y exprimer leurs vues sur leur statut professionnel ainsi que sur toutes les autres questions les concernant. [Non souligné dans l’original.] |
Fondements de la politique |
[5] La Loi constitue le Tribunal et lui accorde la compétence lui permettant d’accréditer les associations d’artistes et de producteurs dont le rôle est de négocier un accord-cadre au nom des membres qu’elles représentent. La définition d’un accord-cadre est la suivante :
5. […] |
|
« accord-cadre » Accord écrit conclu entre un producteur et une association d’artistes et comportant des dispositions relatives aux conditions minimales pour les prestations de services des artistes et à des questions connexes. |
« accord-cadre » “scale agreement” |
[6] Donc, après qu’une organisation représentative a donné l’avis de négociation à un producteur :
32. Une fois l’avis de négociation donné, les règles suivantes s’appliquent : a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai dont ils sont convenus, l’association d’artistes et le producteur doivent se rencontrer et entamer des négociations de bonne foi, ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom, et faire tout effort raisonnable pour conclure un accord-cadre; |
Obligation de négocier et de ne pas modifier les modalités |
[7] Le Tribunal a le pouvoir de déterminer si l’organisation représentative des artistes s’est engagée dans une pratique déloyale ou ne s’est pas conformée d’une façon quelconque à ses obligations aux termes de la Loi. Pour trancher ces points et tout autre point susceptible d’être porté à son attention :
18. Le Tribunal tient compte, pour toute question liée : a) à l’application de la présente partie, des principes applicables du droit du travail; |
Critères |
[8] Enfin, les décisions du Tribunal sont protégées contre une révision :
21. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les décisions et ordonnances du Tribunal sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur les Cours fédérales et dans le cadre de cette loi. |
Révision |
(2) Sauf dans les cas prévus au paragraphe (1), aucune mesure prise ou censée prise par le Tribunal dans le cadre de la présente partie ne peut, pour quelque motif, y compris pour excès de pouvoir ou incompétence, être contestée, révisée, empêchée ou limitée ou faire l’objet d’un recours judiciaire, notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto. |
Interdiction des recours extraordinaires |
[9] En résumé, la Loi prévoit un cadre, fondé sur le modèle des relations de travail, pour les négociations entre les associations d’artistes et de producteurs en vue d’assurer, entre autres, la rémunération des artistes.
LES FAITS
[10] Le Tribunal a accrédité le Canadian Artists’ Representation/ Front des artistes canadiens (le CARFAC) en tant qu’organisation représentative des artistes canadiens en arts visuels à l’extérieur du Québec et le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (le RAAV) à titre d’organisation représentative des artistes en arts visuels au Québec.
[11] Il faut avant tout clarifier une expression utilisée dans la suite des présents motifs. Le MBAC emploie la formule « questions de droit d’auteur » (copyright-related issues) pour désigner les questions (comme la concession, par une licence, ou la cession d’un droit d’auteur) que seuls le titulaire du droit d’auteur ou une personne autorisée par écrit par le titulaire du droit d’auteur peut régler, comme l’exige le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur. Par souci de cohérence, j’utiliserai l’expression « questions de droit d’auteur » de la même façon.
[12] Au début de 2003, le CARFAC et le RAAV (collectivement, CARFAC/RAAV) ont chacun signifié l’avis de négociation au MBAC. Plus tard au cours de la même année, CARFAC/RAAV ont informé le MBAC qu’ils mèneraient des négociations conjointes.
[13] Étant donné que la question est de savoir si le MBAC a fait défaut de négocier de bonne foi, je pense qu’il importe de présenter de manière détaillée le déroulement des négociations entre les parties.
[14] Les parties se sont rencontrées pour la première fois le 1er décembre 2003. Le 5 janvier 2004, M. Karl Beveridge, porte-parole du comité de négociation de CARFAC/RAAV, a écrit à son homologue au MBAC, M. Daniel Amadei, afin de lui exposer une liste de points que CARFAC/RAAV souhaitaient négocier :
[traduction]
1. Indemnités (cela englobe toutes les indemnités, conformément à la grille tarifaire de CARFAC, notamment les tarifs pour les expositions, la reproduction, le contenu Internet/virtuel/numérique, la collection permanente, les conférences, etc.)
2. Tous les autres paiements (installation, rencontre avec la presse, visites-conférences, etc.)
3. Contrats (exposition, commandes, Internet, prestation, conférence, achat (excluant le prix de vente), etc.)
Il ajoutait dans sa lettre :
[traduction] Vous avez accepté de confirmer par écrit que ces points sont ceux qui seront négociés à la table. De plus, nous constatons que vous avez déjà convenu, en principe, de négocier les points énumérés ci-dessus.
(DD [dossier de la demande], vol. 15, à la page 2836.)
[15] Il convient de noter ici que le droit de présenter à une exposition (applicable aux œuvres créées après le 7 juin 1988) et de reproduire des œuvres originales est protégé par le droit d’auteur (voir la Loi sur le droit d’auteur, alinéas 3(1)a) et g)).
[16] M. Pierre Théberge, directeur du MBAC, a répondu à cette lettre. Voici les passages pertinents de sa réponse :
[traduction] Je confirme que M. Amadei est habilité à conclure un accord de principe avec le RAAV et le CARFAC relativement aux sujets qui relèvent de sa compétence. Il est possible qu’il doive consulter ses collègues ou moi-même concernant certains sujets de discussion. Comme nous ne sommes pas au courant de vos intentions précises à l’égard de certaines questions, nous ne savons pas avec certitude si d’autres représentants du MBAC interviendront. Nous allons obtenir un avis juridique et souhaitons vous informer que M. Amadei pourrait être accompagné d’un conseiller.
Je crois que M. Amadei a mentionné à votre première rencontre que, bien que nous soyons prêts à aborder tous les points indiqués dans votre lettre, le MBAC n’a peut-être pas le pouvoir de mettre en œuvre de nouveaux programmes ou de modifier les règles et procédures des structures existantes.
(DD, vol. 15, à la page 2839.)
[17] Cette réponse dont les mots sont soigneusement pesés ([traduction] « M. Amadei est habilité à conclure un accord de principe […] relativement aux sujets qui relèvent de sa compétence ») n’abordait pas directement la question soulevée par M. Beveridge. Nonobstant le ton évasif de M. Théberge, la question des tarifs minimums était à l’ordre du jour des négociations dès le début des pourparlers entre les parties jusqu’aux circonstances à l’origine de la présente demande.
[18] Cela est confirmé par le fait que, le 3 février 2005, M. Amadei a proposé une liste de sujets de discussion pour la réunion prévue les 23 et 24 février 2005 :
[traduction]
1. Contrats (exposition, installation et prestation)
2. Tarifs de reproduction
3. Collection permanente
4. Tarifs pour les expositions
5. Autres tarifs
(DD, vol. 15, à la page 2868.)
[19] La teneur des négociations est présentée dans deux projets d’accord-cadre, qui se trouvent dans le dossier de la demande, l’un daté du 1er juin 2006 (Ébauche de 2006) (voir le DD, vol. 17, aux pages 3234 à 3244), et l’autre daté du 20 octobre 2007 (Ébauche de 2007) (voir le DD, vol. 1, aux pages 114 à 123). Le tableau qui suit compare les termes pertinents dans les deux ébauches :
Ébauche de 2006 [traduction] 8:02 Le MBAC/MCPC [le Musée des beaux-arts du Canada/le Musée canadien de la photographie contemporaine] conclut un contrat avec tous les artistes aux fins de l’activité pour laquelle les services de l’artiste sont retenus. Le contrat est conforme aux contrats joints à la présente entente. 9:00 Tarifs minimums 9:01Les tarifs minimums pour 2005-2006 énoncés aux présentes s’appliquent immédiatement le (dates applicables pour chaque année de l’entente). 9:02 (liste du barème d’indemnisation ici ou en pièce jointe) 9:03 Tout artiste dont les services sont retenus aux termes de la présente entente est libre de négocier une rémunération supérieure aux tarifs minimums indiqués aux présentes. 12:00 Pouvoirs de signature 12:01 Un contrat doit être signé par les signataires dûment autorisés du MBAC/MCPC. Une fois le contrat parachevé, le MBAC/MCPC signe à l’encre les trois copies du contrat pertinent et obtient ensuite la signature de l’artiste ou du représentant autorisé de l’artiste sur les trois copies. Une copie signée du contrat pertinent est remise à l’artiste. Le MBAC/MCPC envoie une copie à CARFAC/RAAV (conformément à la clause 7:05), et le MBAC conserve une copie. 29:00 Droit d’auteur 29:01 L’artiste ou le titulaire du droit d’auteur reconnu par la loi conserve le droit d’auteur sur l’œuvre. 29:02 Tous les droits non concédés expressément au MBAC/MCPC sont réservés à l’artiste ou au titulaire du droit d’auteur reconnu par la loi. 30:00 Droits moraux 30:01 L’artiste conserve les droits moraux sur l’œuvre. 31:00 Droits accessoires 31:01 L’artiste ou le titulaire du droit d’auteur reconnu par la loi conserve le droit accessoire sur l’œuvre. |
Ébauche de 2007 [traduction] 7:04 Lorsque le MBAC/MCPC conclut un contrat avec un artiste, le MBAC/MCPC utilise un des contrats pertinents aux termes de la présente entente. 8:00 Tarifs minimums 8:01 Les tarifs minimums pour 2006-2007 énoncés aux présentes s’appliquent immédiatement les (dates applicables pour chaque année de l’entente). 8:02 (liste du barème d’indemnisation ici ou en pièce jointe) 8:03 (tarifs pour les services supplémentaires) 8:04 Tout artiste dont les services sont retenus aux termes de la présente entente est libre de négocier une rémunération supérieure aux tarifs minimums indiqués aux présentes. 10:00 Pouvoirs de signature 10:01 Au moment de conclure un contrat pertinent, le MBAC/MCPC signe à l’encre les trois copies du contrat pertinent et obtient ensuite la signature de l’artiste ou du représentant autorisé de l’artiste sur les trois copies. Une copie signée du contrat pertinent est remise à l’artiste. Le MBAC/MCPC envoie une copie à CARFAC/RAAV (conformément à la clause 7:09), et le MBAC conserve une copie. 25:00 Droit d’auteur 25:01 L’artiste ou le titulaire du droit d’auteur reconnu par la loi conserve le droit d’auteur sur l’œuvre. 25:02 Tous les droits non concédés expressément au MBAC/MCPC sont réservés à l’artiste ou au titulaire du droit d’auteur reconnu par la loi. 26:00 Droits moraux 26:01 L’artiste conserve les droits moraux sur l’œuvre. 27:00 Droits accessoires 27:01 L’artiste ou le titulaire du droit d’auteur reconnu par la loi conserve le droit accessoire sur l’œuvre. |
[20] Le dossier de la demande comprend également des contrats types qui ont été négociés parallèlement à l’accord-cadre. Selon les clauses 8:02 et 7:04 respectivement des projets d’accord-cadre de 2006 et de 2007, les contrats types devaient être utilisés lorsqu’un artiste concluait un contrat avec le MBAC. À titre d’exemple, mentionnons le contrat relatif à la communication d’œuvres au public par télécommunication (voir le vol. 1, aux pages 138 à 146, du dossier de la demande). Les conditions suivantes du contrat font la lumière sur les points de négociation :
[traduction]
2. L’artiste, auteur, premier titulaire et titulaire actuel des droits d’auteur sur les œuvres décrites à l’article 3, concède sur celles-ci au profit du diffuseur une licence non exclusive et non transférable couvrant uniquement les droits décrits à l’article 4.
[…]
4. Droit d’auteur
Droits de reproduction pour le transfert numérique
4.1 L’artiste autorise le Musée des beaux-arts du Canada, en contrepartie du versement des redevances stipulées à l’article 6.1 du présent contrat, à procéder à la reproduction des œuvres en format numérique dans le seul but de communiquer au public par télécommunication l’œuvre, de la façon décrite ci-dessous.
Droit de communication au public
4.2 L’artiste consent au Musée des beaux-arts du Canada, en contrepartie du versement des redevances stipulées à l’article 6.2 du présent contrat, une licence pour la communication au public des œuvres ci-dessous (veuillez vérifier). […]
5. Droits moraux
5.1 Outre l’information consignée dans les légendes des œuvres conformément aux normes de musée, le sigle « © », le nom de l’artiste et l’année de l’œuvre doivent accompagner de manière lisible les œuvres communiquées au public. Ces informations doivent apparaître soit à proximité immédiate de l’œuvre, soit dans une section réservée aux crédits, le Musée des beaux-arts du Canada comprenant que le fait de ne pas indiquer ces informations en association avec les œuvres cause à l’artiste un préjudice irréparable qui doit être compensé par une somme d’argent.
6. Rémunération et mode de paiement
6.1 L’artiste consent la licence de reproduction pour le transfert numérique en contrepartie de la somme de __________________$ pour chaque œuvre transférée, pour un total de _______________$, plus toutes taxes applicables.
6.2 L’artiste consent la licence de communication au public en contrepartie de la somme de __________________$ pour chaque œuvre communiquée au public, pour un total de _________________$, plus toutes taxes applicables, aux fins suivantes.
6.3 Le Musée des beaux-arts du Canada effectuera les paiements à l’artiste selon les modalités suivantes :
6.3.1 Date(s) du paiement ou des paiements partiels : _____________.
6.3.2 Conditions, s’il y a lieu (p. ex. avance) ____________.
6.3.3 Vérification des documents comptables, fréquence prévue : ___________.
6.3.4 Toute somme due porte à son échéance un intérêt au taux cumulatif de 1 % par mois (12,66 % par année).
[…]
8. Propriété des œuvres
L’artiste est l’unique propriétaire des œuvres, et il est expressément convenu que le présent contrat ne comporte pas de transfert de propriété des œuvres en faveur du Musée des beaux-arts du Canada ou de quiconque.
[…]
12. Médiation et arbitrage
En cas de litige, les parties conviennent de recourir aux processus de médiation et d’arbitrage prescrits dans la convention collective entre CARFAC-RAAV et MBAC-MCPC signée le _______ 2007.
[21] Une interprétation objective de ces dispositions contractuelles montre que les parties ont négocié la question des tarifs minimums pour l’utilisation des œuvres existantes. Elle montre également que CARFAC/RAAV ne sont pas censés s’occuper des intérêts de leurs membres dans le droit d’auteur de quelque façon que ce soit. En fait, le projet d’accord-cadre et les contrats types stipulent que l’artiste conserve ses droits. De plus, CARFAC/RAAV ne reçoivent aucun montant, sous forme de redevances ou autre, de la part des producteurs au nom de leurs membres. L’octroi de licences de droit d’auteur n’a lieu que dans le contrat entre le MBAC et l’artiste.
[22] Quelles que soient les réserves du MBAC quant à l’inclusion de tarifs minimums dans un accord-cadre, avant octobre 2007, il en était systématiquement question dans les négociations.
[23] Le Tribunal, aux paragraphes 123 et 128, a conclu ce qui suit :
Les parties avaient établi une relation et elles avaient mis en place un protocole pour s’échanger, avant la tenue d’une réunion, l’ordre du jour qui serait suivi ainsi que les versions provisoires des accords-cadres et contrats négociés afin que l’une et l’autre aient la possibilité de les examiner et de formuler des commentaires au préalable.
[…]
Lors des négociations, les parties rédigeaient des versions des ententes, discutaient des modifications, inséraient ces modifications dans une nouvelle ébauche en utilisant une couleur différente puis confirmaient ces modifications à la séance suivante. Les projets de convention collective du 6 juin 2006 (pièce 31) et du 20 octobre 2007 (pièce 15) ont été soumis au Tribunal, ainsi que les projets de contrats qui devaient être annexés à la convention collective (pièce 9) : tous comportaient des dispositions sur les conditions minimales d’utilisation des œuvres, tels les droits à verser pour l’exposition temporaire ou la reproduction d’œuvres.
[24] Les négociations se sont poursuivies dans ces conditions aussi longtemps que M. Amadei a été le porte-parole du MBAC.
[25] En mai 2007, le MBAC a informé CARFAC/RAAV que M. Amadei avait quitté le Musée et que le porte-parole serait dorénavant Me Guy Dancosse. À l’époque, Me Dancosse était avocat et exerçait sa profession chez Gowling Lafleur Henderson (Gowlings), au cabinet de Montréal.
[26] En juin 2007, Me Dancosse a demandé à une avocate de son cabinet de préparer un avis juridique pour le MBAC. Mentionnant une décision antérieure du Tribunal qui modifiait l’ordonnance d’accréditation de CARFAC (Front des artistes canadiens, 2003 TCRPAP 047 (la décision no 047)), Me Dancosse soulignait ce qui suit dans ses instructions à l’avocate :
Et le Tribunal semble faire la distinction importante disant que bien que ceci donne un droit à CARFAC de faire des demandes dans cette sphère élargie, ceci ne force en rien le producteur a accepter telle demande dans une entente à intervenir. En d’autres mots, chaque partie à une négociation demeure libre de demander, de refuser et de contreproposer ce qu’ils veulent et ce avec quoi ils ont prêts à vivre.
Par exemple, rien n’empêcherait le Musée de demander une clause disant que c’est l’auteur qui conserve ses droits d’auteurs et que ces derniers ne sont pas du tout couverts ou visés par une entente-cadre avec CARFAC. Le client a reçu des opinions de trois avocats à ce sujet, qui ne semblent pas répondre clairement à sa question. Il nous demande de lui en fournir une qui serait plus claire.
(DD, vol. 16, à la page 3078.)
[27] D’après ces instructions, Me Dancosse comprenait que la position du Tribunal selon laquelle les parties déterminaient la portée des négociations, comme il est énoncé dans la décision no 47, signifiait que le MBAC pouvait prétendre que les barèmes de tarifs minimums pour les œuvres existantes n’étaient pas négociables. Je constate que cette position n’est pas fondée sur la définition de « services ».
[28] En juillet 2007, Gowlings a transmis son avis juridique au MBAC. Voici, en résumé, ses conclusions. Tout d’abord, un syndicat qui n’est pas autorisé par écrit à s’occuper de questions de droit d’auteur ne peut pas le faire. Il en est ainsi parce que seul le titulaire du droit d’auteur ou une personne autorisée par écrit par le titulaire du droit d’auteur peut autoriser d’autres personnes à le faire, ce que l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur réserve au titulaire du droit d’auteur.
[29] L’auteure de l’avis juridique s’est fondée sur la décision de la Commission du droit d’auteur dans un dossier d’exécution publique d’enregistrements sonores (Exécution publique d’enregistrements sonores (Re), [1999] D.C.D.A. no 3 (QL)), pour étayer sa conclusion. En l’espèce, la Commission du droit d’auteur, pour statuer sur une demande relative à un tarif, a décidé qu’un syndicat ne pouvait pas invoquer son statut ou son mandat de négociation pour exercer les droits d’une société de gestion, c’est-à-dire la concession par licence au nom de ses membres et la perception de redevances pour versement à ses membres. L’avis concluait donc que le MBAC pouvait refuser de négocier les questions de droit d’auteur avec CARFAC/RAAV si ces derniers n’avaient pas l’autorisation écrite de leurs membres, ce que CARFAC/RAAV ont admis ne pas avoir. Cette conclusion laisse supposer que CARFAC/RAAV ont proposé d’octroyer des licences à l’égard des œuvres dont leurs membres détenaient les droits et que CARFAC/RAAV avaient l’intention de percevoir les redevances au nom de leurs membres. Ni l’une ni l’autre de ces hypothèses n’étaient vraies au moment où l’avis juridique a été rédigé.
[30] La deuxième conclusion de l’avis juridique était que la Loi confère aux organisations représentatives le droit exclusif de négociation en matière de relations de travail, mais pas en ce qui a trait aux questions de droit d’auteur. On a allégué que cette conclusion découlait des dispositions de la Loi sur le droit d’auteur relativement aux sociétés de gestion et de l’absence de toute mention du droit d’auteur dans les articles de la Loi qui énoncent les pouvoirs du Tribunal. De plus, l’avis ajoutait que les décisions antérieures du Tribunal, selon lesquelles les organisations représentatives peuvent négocier les questions de droit d’auteur ne lient pas le MBAC, puisque le Tribunal n’est pas une cour et que ses décisions ne lient pas les cours.
[31] L’ultime conclusion de l’avis juridique était, selon le raisonnement exposé ci-dessus, que le MBAC pouvait [traduction] « légitimement refuser de discuter avec CARFAC et RAVV [sic] concernant les questions de droit d’auteur » (dossier de la demande, vol. 16, à la page 3087).
[32] Deux observations peuvent être faites au sujet de cet avis. Premièrement, il était rédigé comme si les négociations entre le MBAC et CARFAC/RAAV n’avaient pas encore commencé. Il ne reconnaissait pas le fait que, pendant les quatre dernières années, les parties s’étaient engagées dans des négociations à l’égard d’un barème de tarifs minimums et du parachèvement de contrats types que chaque artiste pourrait utiliser dans ses négociations avec le MBAC pour l’utilisation de ses œuvres.
[33] Deuxièmement, l’avis ne tenait pas compte du fait que le refus possible du MBAC de négocier des barèmes de tarifs minimums pour les œuvres existantes à l’avenir, après l’avoir fait pendant quatre ans, représentait une question liée aux relations de travail, non pas aux droits des parties au titre de la Loi sur le droit d’auteur. Cela découle de l’alinéa 18a) de la Loi qui ordonne au Tribunal de statuer sur les questions qui lui sont soumises en tenant compte des principes applicables du droit du travail.
[34] Revenons à l’enchaînement des événements. Le MBAC a transmis à CARFAC/RAAV, en juillet 2007, l’avis juridique de Gowlings. Du 29 au 31 octobre 2007, les parties se sont rencontrées pour la première fois après que CARFAC/RAAV ont reçu l’avis. Le 29 octobre, les parties ont examiné la dernière version de l’accord-cadre, qui comprenait les tarifs minimums pour l’utilisation des œuvres existantes et les contrats types. Le 30 octobre 2007, le MBAC a invité Me Gilles Daigle (avocat chez Gowlings, mais pas l’auteur de l’avis juridique de Gowlings) à présenter l’avis juridique de Gowlings. Me Daigle a assisté à la réunion à titre de spécialiste du droit d’auteur. Il faisait valoir qu’il n’avait pas le mandat de régler le conflit entre les parties, pas plus qu’il n’était en mesure de déroger à la position prise par le MBAC à l’égard de la négociation des barèmes de tarifs minimums pour les œuvres existantes.
[35] À la suite de l’intervention de Me Daigle, le MBAC a présenté à CARFAC/RAAV une version révisée de l’accord-cadre, dans laquelle toutes les mentions relatives aux tarifs minimums pour l’utilisation des œuvres existantes avaient été supprimées. Dans le projet d’accord-cadre du MBAC, les services envisagés se limitaient à la planification et à la production d’expositions, notamment la consultation, l’installation, les inaugurations, les conférences et causeries et la commande de nouvelles œuvres.
[36] Le lendemain, M. Beveridge, au nom de CARFAC/RAAV, a lu une déclaration écrite indiquant que la proposition du MBAC supposait que ce dernier n’était pas prêt à considérer la position de CARFAC/RAAV relative à l’inclusion d’un barème de tarifs minimums dans un accord-cadre. Me Dancosse a réagi en lisant la déclaration écrite du MBAC qui affirmait la volonté du MBAC de prendre en considération les moyens permettant de négocier les barèmes d’indemnisation dans le cadre du processus de négociation en cours.
[37] Il y a eu d’autres communications entre les parties. Le 29 janvier 2008, le MBAC faisait savoir à CARFAC/RAAV ceci : [traduction] « nous ne pouvons discuter d’une grille tarifaire obligatoire en matière de droits d’exposition pour les expositions temporaires qu’à l’égard des artistes que vous représentez expressément, conformément aux lois en matière de droits d’auteur ». Le MBAC ajoutait ceci : [traduction] « Dans le cadre juridique actuel, votre accréditation pour négocier se limite au domaine des services et ne peut pas automatiquement s’étendre aux questions de droits d’auteur. Cette position découle des avis juridiques que nous avons reçus à cet égard. » Selon ce que je comprends du dossier, c’est la première fois que l’on mentionne que le MBAC défendait sa position au motif que la portée des négociations était limitée par l’expression « prestations de services » de la définition d’« accord-cadre » dans la Loi.
[38] Le 22 avril 2008, CARFAC/RAAV ont déposé leur plainte selon laquelle le MBAC avait fait défaut de négocier de bonne foi.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[39] Le Tribunal a rendu sa décision le 16 février 2012. Il a d’abord examiné les termes des ordonnances d’accréditation du CARFAC et du RAAV. Ensuite, il a examiné les faits en citant de longs passages de l’exposé conjoint des faits déposé par les parties. Le Tribunal a établi les trois questions sur lesquelles il devait statuer :
1. La plainte a-t-elle été déposée dans le délai prescrit de six mois prévu au paragraphe 53(2) de la Loi?
2. La question des droits d’auteur peut-elle valablement faire l’objet de négociations collectives en vue d’être incluse dans un accord-cadre régi par la Loi?
3. Le MBAC a-t-il manqué à son obligation de négocier de bonne foi au titre de l’article 32 de la Loi?
[40] Le Tribunal a réglé la question du délai en faveur de CARFAC/RAAV. Comme cette question n’est pas contestée, il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit.
La question des droits d’auteur peut-elle valablement faire l’objet de négociations collectives en vue d’être incluse dans un accord-cadre régi par la Loi?
[41] Le Tribunal s’est ensuite penché sur la question visant à déterminer si la question des droits d’auteur pouvait valablement faire l’objet de négociations collectives en vue d’être incluse dans un accord-cadre.
[42] La question découle de la définition d’« accord-cadre » dans la Loi qui est reproduite ci dessous par souci de commodité :
5. […] |
|
« accord-cadre » Accord écrit conclu entre un producteur et une association d’artistes et comportant des dispositions relatives aux conditions minimales pour les prestations de services des artistes et à des questions connexes. |
« accord-cadre » “scale agreement” |
[43] Le Tribunal a amorcé son analyse en citant de longs passages d’une de ses décisions antérieures, Writers’ Union of Canada, 1998 TCRPAP 028 (la décision no 028). Dans cette affaire, le ministère du Patrimoine canadien (le PCH) et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) ont soutenu que l’ordonnance d’accréditation en faveur du Writer’s Union ne donnait pas à ce dernier le droit de négocier des honoraires pour l’utilisation d’œuvres préexistantes. Le PCH et TPSGC ont invoqué le même argument que celui avancé dans l’affaire qui nous occupe. Ils ont prétendu que le droit d’auteur est un bien, non un service. Selon eux, le régime de négociation collective établi par la Loi ne s’applique qu’aux œuvres commandées, et les honoraires pour l’utilisation des œuvres existantes relèvent du régime de gestion collective prévu dans la Loi sur le droit d’auteur.
[44] Dans la décision no 028, le Tribunal a rejeté ces arguments. Il a conclu que la Loi complétait le régime prévu dans la Loi sur le droit d’auteur en offrant aux artistes un mécanisme d’indemnisation additionnel pour l’utilisation de leurs œuvres. Le Tribunal a beaucoup insisté sur l’objectif visé par la Loi d’améliorer la situation socio-économique des artistes. Si le Parlement avait voulu retirer le droit d’auteur de la portée des négociations, il l’aurait fait. Le Tribunal a souligné que la Loi ne restreint nullement la portée des négociations, ce qui est conforme au principe du droit du travail selon lequel les parties en situation de négociation peuvent négocier toute question qu’elles souhaitent inclure dans leur convention collective.
[45] Dans la décision no 028, le Tribunal a également abordé l’argument selon lequel le droit d’auteur est un bien, et non un service. Il a fait remarquer que le droit d’auteur est un « ensemble de droits », notamment un intérêt dans un type particulier de propriété, l’œuvre elle-même. Le Tribunal a rejeté la notion qu’un droit d’auteur est simplement une forme d’actif, un « bien », parce que les créateurs d’œuvres artistiques ont un droit socio-économique fondamental dont l’exclusion du régime établi par la Loi serait contraire aux objets de la Loi.
[46] Le Tribunal a continué de passer en revue la décision no 028 en notant que, en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, les artistes disposaient de deux possibilités en ce qui concerne leur droit d’auteur : l’autogestion ou la gestion collective, par l’entremise d’une société de gestion collective. Pour tirer profit des sociétés de gestion collective, les artistes leur cèdent leurs droits. La société de gestion collective gère alors le droit d’auteur pour le compte de l’artiste, en commun avec celui de tous ses autres membres habituellement, mais pas nécessairement, en fonction du système de tarifs administré par la Commission du droit d’auteur. Il incombe à la société de gestion collective de percevoir les redevances applicables et de les verser aux artistes qu’elle représente.
[47] La Loi offre aux artistes une troisième possibilité, celle de négocier collectivement les conditions minimales pour les prestations de services des artistes et les questions connexes. Dans ce contexte, selon le Tribunal, « le droit d’utiliser une œuvre existante constitue un service que l’artiste détenant le droit d’auteur sur cette œuvre peut fournir à un producteur, et défendre les intérêts des artistes au regard de ce droit socio-économique fondamental constitue une activité appropriée pour une association d’artistes » (non souligné dans l’original) : paragraphe 61 de la décision no 028, citée ci-dessus, mentionnée dans l’analyse du Tribunal, au paragraphe 88.
[48] Le Tribunal a conclu ses longues citations tirées de la décision no 028 en soulignant qu’en vertu de la Loi, les artistes conservent le contrôle du droit d’auteur sur leur œuvre et concluent directement un contrat avec les producteurs pour l’utilisation de leurs œuvres. Les artistes peuvent négocier un cachet supérieur à celui négocié par leur organisation représentative, mais aucun producteur ne peut offrir à un artiste des conditions moins favorables que celles convenues dans l’accord-cadre. Les artistes reçoivent directement du producteur le paiement prévu et, s’il y a désaccord, ils peuvent obtenir l’exécution du paiement par la procédure d’arbitrage prévue dans l’accord-cadre.
[49] Le Tribunal a ajouté qu’il avait confirmé cette position dans la décision no 047, précitée.
[50] Après examen de la preuve, le Tribunal fait remarquer que les associations d’artistes accréditées ont conclu près de 180 accords-cadres depuis le commencement du régime d’accréditation. Il a constaté que la négociation des questions de droit d’auteur dans les accords cadres est devenue la norme dans le secteur culturel. Selon le Tribunal, il est inhabituel qu’un accord-cadre entre une association d’artistes et un producteur ne prévoie rien en ce qui a trait à l’utilisation d’œuvres artistiques. De l’avis du Tribunal, il serait incompatible avec le but de la Loi que les accords-cadres ne comportent pas de dispositions relatives aux droits d’auteur.
[51] Le Tribunal s’est alors reporté à ses motifs dans les décisions no 028 et no 047, où il est souligné que le fait qu’une association d’artistes négocie les tarifs minimums pour concéder sous licence le droit d’auteur ne fait pas de l’association d’artistes le mandataire de l’artiste aux fins de céder le droit d’auteur sur les œuvres de l’artiste ou d’octroyer des licences à leur égard. L’artiste conservait le droit de concéder, par licence, l’utilisation de ses œuvres sauf s’il avait confié l’administration de ses droits d’auteur à une société de gestion collective, auquel cas c’est le producteur qui fera affaire avec celle-ci.
[52] Le Tribunal a conclu cette partie de son analyse en déclarant qu’il ne lui revient pas de décider de ce que les parties en situation de négociation peuvent négocier.
Le Musée des beaux-arts du Canada a-t-il manqué à son obligation de négocier de bonne foi au titre de l’article 32 de la Loi?
[53] Le Tribunal a commencé son analyse de la question en rappelant la jurisprudence arbitrale et judiciaire sur l’obligation de négocier de bonne foi. Plus particulièrement, le Tribunal s’est fondé sur des observations de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369 (Royal Oak Mines), au paragraphe 45 :
Si une partie propose l’insertion d’une clause dans la convention collective ou, inversement, refuse même de discuter une condition fondamentale ou normale, qui est acceptable et incluse dans les autres conventions collectives dans ce secteur d’activités dans toutes les régions du pays, le conseil des relations du travail peut conclure à bon droit que la partie ne fait pas un «effort raisonnable pour conclure une convention collective».
[54] Cela a amené le Tribunal à examiner le déroulement des négociations entre les parties. À la lumière de son examen, le Tribunal a conclu que le barème des tarifs minimums et les contrats types avaient fait l’objet de discussions et avaient été inclus dans le projet d’accord-cadre dès le début des négociations. Il a également conclu qu’à la première réunion avec la nouvelle équipe de négociation du MBAC, après le départ de M. Amadei, le MBAC avait déposé une proposition de convention collective de laquelle avaient été supprimées toutes les allusions antérieures aux tarifs minimums. Le Tribunal a conclu que le contenu de la proposition du MBAC, du fait qu’elle a été présentée sans avis préalable et sans solution de rechange raisonnable, démontrait une intransigeance de la part du MBAC, qui aurait dû savoir qu’une telle position serait inacceptable pour CARFAC/RAAV.
[55] Le Tribunal a également conclu que, bien que le MBAC ait insisté sur le fait que les parties n’étaient pas dans une impasse, « le refus de négocier ou de discuter de l’inclusion de questions de droit d’auteur, y inclus de tarifs minimums dans un accord-cadre, est une position inflexible qui a empêché les parties de s’entendre pour conclure une entente » (voir les conclusions du Tribunal, au paragraphe 148).
[56] Le Tribunal a conclu que le fait que le MBAC se soit appuyé exclusivement sur l’avis juridique de Gowlings pour justifier sa position dénotait une position inflexible.
[57] La conclusion finale du Tribunal en ce qui a trait au défaut de négocier de bonne foi se trouve dans les trois paragraphes suivants (paragraphes 150 à 152) des motifs du Tribunal :
Le Tribunal est d’accord avec CARFAC/RAAV qu’il n’y avait pas d’attente raisonnable que le MBAC soit d’accord pour inclure des tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres artistiques dans l’accord-cadre. Le Tribunal est également d’accord avec CARFAC/RAAV que le MBAC a créé une impasse dans les négociations en n’offrant aucune possibilité qu’il changerait sa position en ce qui concerne l’inclusion de questions reliées à l’utilisation d’œuvres artistiques dans l’accord-cadre.
Le Tribunal souscrit aux principes exprimés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Royal Oak Mines, que présenter une proposition ou adopter une position inflexible alors que l’on devrait savoir que l’autre partie ne pourra jamais l’accepter constitue nécessairement un manquement à cette obligation de négocier de bonne foi.
Le MBAC aurait dû savoir que de présenter une telle version modifiée de l’accord-cadre et d’adopter une position inflexible quant à l’inclusion de questions de droit d’auteur dans l’accord-cadre serait jugée inacceptable par CARFAC/RAAV et cela équivaut, de l’avis du Tribunal, à un défaut de négocier de bonne foi.
[58] Par conséquent, le Tribunal a déclaré que le MBAC avait violé l’article 32 de la Loi en ne négociant pas de bonne foi. Le Tribunal a également réaffirmé le principe énoncé dans la décision no 028 et la décision no 047 en ce sens que les questions relatives aux droits d’auteur peuvent valablement faire l’objet de négociations « dans le respect des droits des sociétés de gestion collective du droit d’auteur comme la SODRAC » [au paragraphe 170].
EXPOSÉ DES QUESTIONS EN LITIGE
[59] Le Musée des beaux-arts du Canada a indiqué trois questions découlant de la décision du Tribunal :
[traduction]
1. Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit et outrepassé sa compétence ou refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire en déclarant que le droit d’auteur pouvait faire l’objet d’un accord-cadre aux termes de la Loi?
2. Le Tribunal a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que le Musée des beaux-arts du Canada n’avait pas négocié de bonne foi?
3. Quelle est la norme de contrôle appropriée à l’égard de chacune de ces questions?
[60] L’intervenant SODRAC [Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada] était censé ne pas prendre position entre les parties, insistant seulement sur le fait que, si l’ordonnance du Tribunal est maintenue, la réserve à l’égard des droits des sociétés de gestion devrait être maintenue.
[61] Je suis d’avis que la première question tient à la norme de contrôle. La prochaine question à trancher consiste à déterminer si la norme de contrôle appropriée peut appuyer la conclusion du Tribunal selon laquelle le MBAC n’a pas négocié de bonne foi. J’estime qu’il conviendrait d’examiner cette question en premier lieu, puisque c’est la décision contestée par le MBAC. La question relative à l’interprétation des expressions « prestations de services » et « provision of […] services » survient uniquement parce que le MBAC l’a soulevée en tant que moyen de défense à opposer à la plainte concernant son défaut de négocier de bonne foi.
ANALYSE
La norme de contrôle
[62] Le MBAC soutient que, comme l’interprétation de « prestations de services » ou « provision of […] services » soulève des questions portant sur la « délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents », soit le Tribunal et la Commission du droit d’auteur, il convient de l’examiner selon la norme de la décision correcte, comme le prévoit le paragraphe 61 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir).
[63] Pour ce qui est de la conclusion du Tribunal selon laquelle le MBAC n’a pas négocié de bonne foi, ce dernier affirme que les erreurs commises par le Tribunal dans l’appréciation de la preuve rendent la décision déraisonnable.
[64] Je suis d’avis que l’interprétation de l’expression « prestations de services » ne donne pas lieu à un conflit de compétence. CARFAC/RAAV ne sont pas censés être des sociétés de gestion collective. Ils ne prétendent pas concéder sous licence un droit d’auteur ni percevoir les droits pour l’utilisation des œuvres encore protégées. Les projets d’accord-cadre, ainsi que les contrats types, montrent clairement que seuls les artistes décident de la concession d’une licence à un producteur. CARFAC/RAAV négocient simplement avec les producteurs en vue de s’assurer que, si une licence est concédée, le producteur ne peut pas payer un montant moindre pour cette licence que le tarif minimum indiqué dans l’accord-cadre, mais l’artiste peut négocier un tarif plus élevé.
[65] À l’égard de cette question, la position du MBAC repose sur une mauvaise description du contenu des ententes faisant l’objet de négociations avec ses représentants avant qu’il ne modifie sa position.
[66] Cela dit, la question demeure : l’expression « prestations de services » inclut-elle l’autorisation, pour d’autres personnes, de faire ce que le titulaire du droit d’auteur a le droit exclusif de faire?
[67] Il s’agit d’une question de droit sur laquelle doit statuer un tribunal dans l’interprétation de sa loi constitutive. Comme la Cour suprême l’a indiqué dans l’arrêt Dunsmuir, précité, et dans un certain nombre d’affaires depuis (Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, au paragraphe 28, et Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 34, pour n’en nommer que deux), la décision d’un tribunal qui interprète sa loi constitutive entraîne généralement l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable. Voir également la décision rendue à la majorité dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (Alberta Teachers’ Association).
[68] Même sans l’avantage que procure cette jurisprudence, l’analyse relative à la norme de contrôle mène à la même conclusion. Le Tribunal est un tribunal spécialisé chargé d’administrer un régime de relations de travail qui régit les relations entre les artistes et les producteurs dans le domaine fédéral. Les décisions du Tribunal sont protégées par une clause privative stricte (article 21 de la Loi), qui est en grande partie la même que celle prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003 ch. 22, art. 2, à l’article 51, et dans le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, à l’article 22. Enfin, les décisions du Tribunal comportent un solide élément lié aux politiques, étant donné les principes directeurs énoncés aux articles 2 et 3 de la Loi. Tous ces facteurs étayent la conclusion que la norme de contrôle applicable à l’interprétation de l’expression « prestations de services » est la raisonnabilité.
[69] Quant à la conclusion que le MBAC a fait défaut de négocier de bonne foi, l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits est une question mixte de fait et de droit. En l’espèce, le Tribunal a précisé le critère juridique applicable à la négociation de bonne foi et l’a appliqué au déroulement des négociations entre les parties. Le MBAC n’a relevé aucune question de droit isolable; il a plutôt mis l’accent sur l’appréciation de la preuve par le Tribunal. Dans ce contexte, la norme de contrôle applicable à une question mixte de fait et de droit est celle de la raisonnabilité (voir Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, au paragraphe 78).
La décision du Tribunal selon laquelle le Musée des beaux-arts du Canada a fait défaut de négocier de bonne foi est-elle raisonnable?
[70] Le fondement législatif de l’obligation de négocier de bonne foi se trouve à l’article 32 de la Loi, énoncé précédemment dans les présents motifs. Tel qu’il a déjà été mentionné, la Loi ordonne au Tribunal de tenir compte des principes applicables du droit du travail. Dans l’examen de la question visant à déterminer si le MBAC a négocié de bonne foi, les principes applicables du droit de travail incluent la jurisprudence afférente à la négociation de bonne foi.
[71] Comme le démontre le long exposé des faits, le MBAC s’est engagé dans des négociations avec CARFAC/RAAV sur une période de quatre ans au cours de laquelle la question des tarifs minimums était toujours à l’ordre du jour. Indépendamment des réserves possibles du MBAC à l’égard de ses obligations, il a, en réalité, mené des négociations concernant les tarifs minimums, comme il ressort des passages des ébauches d’accord-cadre qui ont déjà été reproduits dans les présents motifs ainsi que dans les projets de contrats types. Ces négociations se sont poursuivies jusqu’au 30 octobre 2007, date à laquelle la nouvelle équipe de négociation du MBAC a présenté l’avis juridique de Gowlings et a renoncé à ses positions antérieures à l’égard des tarifs minimums.
[72] Les conclusions de fait cruciales du Tribunal au sujet de la négociation de bonne foi figurent aux paragraphes 145 à 148 de sa décision :
La preuve portée à la connaissance du Tribunal démontre également que la question des tarifs minimums pour les droits d’auteur et celle des projets de contrats portant sur l’utilisation des œuvres artistiques faisaient l’objet de négociations depuis le début.
L’accord modifié qui a été présenté à CARFAC/RAAV le 30 octobre 2007 supprimait toutes les questions relatives au droit d’auteur pour lesquelles CARFAC/RAAV avaient été mandatés de négocier dans le cadre de la Loi par leurs membres.
Le contenu de l’accord-cadre révisé ainsi que la façon avec laquelle le MBAC a présenté cette version à CARFAC/RAAV, sans avis préalable, sans solution de rechange raisonnable, de l’avis du Tribunal démontre une intransigeance de la part du MBAC. Le MBAC aurait dû savoir qu’une telle position inflexible serait inacceptable pour CARFAC/RAAV.
Le Tribunal est d’avis que bien que le MBAC insiste que les parties n’étaient pas dans une impasse et qu’ils y avaient encore certains points à discuter, le refus de négocier ou de discuter de l’inclusion de questions de droit d’auteur, y inclus de tarifs minimums dans un accord-cadre est une position inflexible qui a empêché les parties de s’entendre pour conclure une entente.
[73] L’affirmation voulant que le MBAC aurait dû savoir qu’une telle position inflexible serait inacceptable pour CARFAC/RAAV fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Royal Oak Mines, précité, dans lequel la question portant sur la négociation de mauvaise foi est analysée. Le Tribunal a pris acte en particulier de l’opinion de la Cour suprême selon laquelle « présenter une proposition ou adopter une position inflexible alors que l’on devrait savoir que l’autre partie ne pourra jamais l’accepter constitue nécessairement un manquement à cette obligation [de négocier de bonne foi] » (voir Royal Oak Mines, au paragraphe 43). Dans la même décision, la Cour suprême a également souligné qu’il convient d’évaluer la conduite des négociations selon une norme objective, c’est-à-dire compte tenu des pratiques dans le secteur d’activités. Cette déclaration donne du poids aux commentaires suivants formulés par le Tribunal, au paragraphe 99 de ses motifs : « L’inclusion de ces questions [liées au droit d’auteur et aux tarifs] dans les accords-cadres est devenue la norme dans le secteur culturel. »
[74] Aux yeux du Tribunal, l’avis juridique de Gowlings sur lequel se fonde le MBAC témoigne de sa position inflexible. Le Tribunal a peut-être été influencé par le fait que l’avis juridique de Gowlings était le quatrième avis que le MBAC avait obtenu sur le sujet, et il provenait du propre cabinet du négociateur en chef du MBAC. L’utilisation, par le Tribunal, de l’expression « position inflexible » constitue une autre référence au paragraphe 43 de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Royal Oak Mines, précité, dans lequel il a été conclu que l’adoption d’une position inflexible est incompatible avec l’obligation de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.
[75] La position du Tribunal, il me semble, peut se résumer dans les termes suivants. Ayant accepté de négocier les tarifs minimums pour l’utilisation des œuvres existantes, le MBAC ne pouvait pas refuser de continuer de le faire. Cette conclusion découle de la jurisprudence citée par le Tribunal et de ses conclusions. Cette conclusion ne dépend pas de la question de savoir si les ordonnances d’accréditation de CARFAC/RAAV leur donnaient le droit de négocier des tarifs minimums ou, par conséquent, de la question de savoir si le MBAC pouvait être obligé de négocier des tarifs minimums. Qu’il ait pu être obligé ou non, le MBAC a accepté de négocier des tarifs minimums. Après avoir accepté de négocier et avoir mené ces négociations pendant quatre ans, le MBAC ne pouvait pas refuser, de bonne foi, de poursuivre ces négociations pour les motifs qu’il a invoqués.
[76] À la lumière des conclusions de fait du Tribunal qui, à mon avis, ne peuvent pas être contestées à l’égard de quelque norme de contrôle que ce soit, et de la jurisprudence sur laquelle le Tribunal s’est fondé, la conclusion du Tribunal que le MBAC a fait défaut de négocier de bonne foi était raisonnable, au sens de l’arrêt Dunsmuir, précité, au au paragraphe 61. La décision et le processus de raisonnement du Tribunal sont justifiables, transparents (au sens où il n’y a pas d’entorse inexpliquée à la logique) et intelligibles. Qui plus est, la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).
La conclusion du Tribunal selon laquelle le Musée des beaux-arts du Canada a fait défaut de négocier de bonne foi est-elle fondée sur une erreur de droit?
[77] L’erreur de droit alléguée par le MBAC est la suivante : les questions de droit d’auteur et de tarifs minimums pour l’utilisation des œuvres existantes n’englobent pas les « services » au sens où ce terme est utilisé dans la définition d’« accord-cadre » figurant dans la Loi et, pour ce motif, échappent au mandat de CARFAC/RAAV. Pour les motifs susmentionnés, j’estime que la présente question n’a pas d’incidence sur le résultat de l’analyse visant à déterminer si le MBAC a négocié de bonne foi. Toutefois, si les négociations reprennent, les parties peuvent tirer profit d’une plus grande certitude à cet égard.
[78] Le MBAC s’oppose à la conclusion du Tribunal selon laquelle il a fait défaut de négocier de bonne foi en affirmant que celle-ci est fondée sur une erreur de droit, notamment que la définition d’« accord-cadre », et en particulier l’expression « prestations de services » ou « provision of […] services » n’inclut pas les questions de droit d’auteur parce que le droit d’auteur est un bien et non un service et que ces questions ne sont pas visées par l’accord-cadre. Par conséquent, il ne peut être conclu que le MBAC a négocié de mauvaise foi parce qu’il a refusé de discuter d’un sujet que CARFAC/RAAV n’avaient pas le pouvoir de négocier.
[79] Le MBAC cherche à renforcer cet argument en soulevant des questions portant sur les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur et un présumé conflit entre celle-ci et la Loi.
[80] La position du MBAC à l’égard de la « prestation de services des artistes » est fondée sur le modèle des arts de la scène, selon lequel un producteur et une association peuvent négocier un tarif minimum pour une prestation, ce qui est clairement un service. Je reconnais que la version française de la Loi, qui utilise l’expression « prestations de services » correspond à ce point de vue sur le sens donné à l’expression. Comparant ce type de service à celui de concession, par licence, d’œuvres existantes, le MBAC fait valoir que, comme le droit d’auteur est une forme de bien, les opérations visant le droit d’auteur sont non pas des contrats pour la prestation de services, mais plutôt des contrats touchant un ou des biens, ou c’est là l’argument utilisé.
[81] Deux questions sont interreliées en l’espèce : quel est le service et qui le fournit? Le Tribunal a été clair, toujours dans la décision no 028 : l’artiste est le fournisseur de services, et les services incluent le droit concédé à d’autres personnes d’utiliser les œuvres dont l’artiste est titulaire du droit d’auteur. Les associations représentatives négocient simplement certaines des conditions régissant la prestation de ces services. Ce constat ressort clairement du passage suivant extrait de la décision no 28 (precitée, aux paragraphes 61 et 62) :
Selon le Tribunal, le droit d’utiliser une œuvre existante constitue un service que l’artiste détenant le droit d’auteur sur cette œuvre peut fournir à un producteur, et défendre les intérêts des artistes au regard de ce droit socio-économique fondamental constitue une activité appropriée pour une association d’artistes. À titre d’exemple, l’association d’artistes peut tenter de négocier avec un producteur des dispositions relatives aux honoraires minimaux devant être offerts à un artiste du secteur pour l’utilisation d’une de ses œuvres dans un nouveau médium ou en vue de son adaptation.
En vertu du régime prévu par la Loi sur le statut de l’artiste, l’artiste conserve le pouvoir de décider s’il désire ou non accepter une commande d’un producteur ou permettre à un producteur particulier d’utiliser une de ses œuvres. L’artiste demeure libre de négocier des contrats individuels dont les conditions sont plus favorables que les conditions minimales, tandis qu’aucun producteur ne peut offrir des conditions moins favorables que celles énoncées dans l’accord-cadre que le producteur et l’association d’artistes ont conclu. L’artiste reçoit directement du producteur pour l’utilisation de ses œuvres soit la rémunération prévue dans l’accord-cadre, soit la rémunération plus élevée qu’il a été en mesure de négocier.
[82] Le Tribunal en est venu à cette conclusion après une analyse textuelle et contextuelle de l’ensemble de la Loi, comme le reflètent les paragraphes 57 et 58 de la décision no 28 :
Le Tribunal est d’avis que l’objectif visé avec la Loi sur le statut de l’artiste était de compléter le régime prévu dans la Loi sur le droit d’auteur. Elle le fait en offrant aux artistes un mécanisme d’indemnisation additionnel pour l’utilisation de leurs œuvres, favorisant ainsi leur liberté de choix quant à la manière d’exploiter le fruit de leur talent créatif.
La Loi doit recevoir une interprétation permettant de réaliser l’objectif visé par le législateur d’améliorer la situation socio-économique des artistes au Canada. La Loi confère aux associations d’artistes accréditées le mandat d’œuvrer au bien-être socio-économique des artistes. Par conséquent, toute exclusion du régime de négociation collective que le législateur a prévu pour les artistes indépendants devrait être clairement stipulée dans la Loi. Or, le législateur n’a pas expressément exclu de la portée des négociations collectives les questions se rapportant au droit d’auteur. De fait, la Loi ne renferme aucune restriction expresse quant au droit d’une association d’artistes de négocier avec les producteurs toute question touchant au bien-être socio-économique de ses membres. Cela est conforme aux principes généraux du droit du travail canadien, en vertu desquels il a été statué que l’obligation de négocier englobait toute question que les parties consentent à inclure dans leur convention collective.
[83] Il n’y a rien de surprenant à la conclusion voulant que la concession d’une licence pour l’utilisation d’une œuvre constitue un service fourni par un artiste à un producteur. Le fait que le droit d’auteur est un bien n’empêche pas de conclure que l’octroi du droit d’utiliser ce bien est un service. Pensons simplement aux hôtels et aux agences de location d’automobiles à titre d’exemples de propriétaires d’un bien qui fournissent un service en autorisant d’autres personnes à utiliser leur bien. Partant, la concession d’une licence est un service fourni par l’artiste, comme le prévoit la définition d’« accord-cadre ».
[84] Il n’y a rien d’inhabituel non plus dans le fait que les organisations représentatives cherchent à négocier les conditions et les tarifs minimums en fonction desquels leurs membres fourniront des services, y compris les licences pour l’utilisation des œuvres existantes. La définition d’« accord-cadre » renvoie précisément aux tarifs minimums et aux conditions. Il est incontestable que les tarifs sont une condition qu’un artiste peut ratacher à la concession d’une licence. Les conditions des contrats types susmentionnés montrent que les tarifs représentent bel et bien une des conditions de la licence concédée par l’artiste.
[85] Le fait qu’une organisation représentative négocie des tarifs minimums n’en fait pas l’agent de l’artiste aux fins de concession d’une licence. Dans l’affaire qui nous occupe, les conditions des accords-cadres et des contrats types montrent clairement qu’aucune indemnité n’est payable à moins que l’artiste concède au MBAC une licence pour l’utilisation de son œuvre, de la manière précisée. L’établissement de tarifs n’est pas un des aspects réservés précisément et exclusivement à l’artiste dans l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur et n’est donc pas mentionné au paragraphe 13(4) de cette loi. À cet égard, l’argument du MBAC repose sur une mauvaise description des ententes mêmes qu’il a négociées pendant quatre ans.
[86] Tout cela nous amène à conclure que la décision du Tribunal relative à l’interprétation de l’expression « prestations de services » est raisonnable. Le raisonnement du Tribunal est intelligible, est foncièrement logique et appartient aux issues possibles eu égard aux faits et au droit. Dans ce contexte, le droit inclut la jurisprudence selon laquelle l’interprétation par un tribunal spécialisé de sa loi constitutive commande la déférence (voir l’arrêt Alberta Teachers’ Association, précité, au paragraphe 39). Le fait qu’une décision est raisonnable ne suppose pas que des personnes raisonnables ne pouvaient pas en venir à une autre conclusion. Cela signifie simplement que, si le Tribunal a choisi une interprétation raisonnable parmi d’autres interprétations également raisonnables, la Cour doit respecter son choix.
[87] Je conclus en soulignant que l’interprétation de l’expression « prestations de services » fournie par le Tribunal ne crée pas de conflit entre la Loi et la Loi sur le droit d’auteur. Les ébauches d’accord-cadre et les ententes types prévoient également que seul l’artiste a le droit de concéder, par licence, l’utilisation de son œuvre. Si l’artiste a cédé ses droits à une société de gestion collective, alors cet artiste ne peut pas conclure un contrat avec le MBAC concernant les droits qu’il ne possède plus. Le MBAC doit pouvoir savoir avec quel artiste il peut ou non conclure un contrat. Il s’agit de problèmes pratiques pour lesquels il existe des solutions pratiques. Ils ne justifient pas que la Loi soit privée de sa pleine portée.
CONCLUSION
[88] Pour les motifs précités, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire avec dépens pour les défendeurs Canadian Artists’ Representation/ Front des artistes canadiens et le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec. Aucuns dépens ne sont adjugés en faveur ou contre l’intervenante Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[89] Le juge Noël, J.C.A. : J’ai lu les motifs de mon collègue et, avec égards, j’en arrive à la conclusion contraire à la sienne. La question en litige est de savoir si le refus du MBAC de négocier un accord-cadre relatif aux questions de droit d’auteur — plus précisément les tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes — peut étayer la conclusion du Tribunal que le MBAC a manqué à son obligation de négocier de bonne foi. Je ne le crois pas puisque le Tribunal n’avait pas le pouvoir d’exiger la tenue de telles négociations ou même d’en traiter. Les principes du droit du travail ne modifient pas cette limite. Le fait que le MBAC s’en soit rendu compte quand les parties étaient déjà bien engagées dans le processus de négociation n’a aucune incidence puisqu’une compétence ne peut être conférée par consentement. La conclusion de mon collègue, selon laquelle le directeur du MBAC avait employé un « ton évasif », n’en est pas une formulée par le Tribunal, et j’estime que sa lettre informant CARFAC/RAAV que certains des sujets prévus dans le cadre des négociations ne relevaient peut-être pas de la [traduction] « compétence [du Musée des beaux-arts du Canada] » (dossier d’appel, vol. 15, à la page 2839), ne justifie pas une telle désignation. En outre, le MBAC a officialisé sa position de négociation le 30 octobre 2007, non pas le 29 janvier 2008 (motifs du Tribunal, au paragraphe 146), et, selon les propres mots du Tribunal, c’est la position inflexible du MBAC à partir de ce moment qui « équivaut à un défaut de négocier de bonne foi » (motifs du Tribunal, au paragraphe 152).
CONTEXTE
[90] Le Tribunal s’est attribué la juridiction de sanctionner un « accord-cadre » portant sur des droits cédés par des détenteurs de droit d’auteur à CARFAC/RAAV au motif que ces cessions constituent des « prestations de services » au sens de la définition du terme « accord-cadre » à l’article 5 de la Loi. Le Tribunal a cependant reconnu que sa décision ne lie pas les sociétés de gestion collective auxquelles ces droits ont déjà été cédés en vertu de la Loi sur le droit d’auteur (motifs du Tribunal, au paragraphe 104).
[91] Cette concession est la seule raison pour laquelle la SODRAC, en sa qualité d’intervenante, se dit prête à tolérer la décision du Tribunal (mémoire de la SODRAC, aux paragraphes 6, 8, 9, 14, 15, 16, 28, 29 et 82). Toutefois, d’après les observations exhaustives qu’elle a mises de l’avant, il est clair que la décision du Tribunal, dans la mesure où elle demeure applicable aux droits d’auteur détenus par des artistes non représentés, ne peut être maintenue.
ANALYSE ET DÉCISION
[92] La question à laquelle il faut répondre est celle posée par la SODRAC au paragraphe 78 de son mémoire :
[Peut-on inclure] dans l’accord-cadre de[s] dispositions portant uniquement sur l’utilisation d’une œuvre qui n’est pas le résultat d’une prestation de services [comme il est défini à l’article 5].
[93] La question ainsi soulevée en est une d’interprétation statutaire. À cet égard, il est utile de rappeler qu’un seul principe s’applique : [traduction] « il faut interpréter les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Elmer Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la page 87, cité dans l’arrêt R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103).
[94] Mon collègue a soupesé la décision du Tribunal quant à cette question selon la norme de la décision raisonnable. Toutefois, étant donné que la conclusion du Tribunal relative à la mauvaise foi repose sur la prémisse selon laquelle les questions négociées s’inscrivaient dans le cadre du mandat qu’avait CARFAC/RAAV de négocier « dans le cadre de la Loi » (motifs du Tribunal, au paragraphe 146), il est clair que la conclusion de mauvaise foi formulée par le Tribunal ne peut être maintenue si le MBAC affirme avec raison que ces questions s’inscrivent à l’extérieur du cadre de la Loi.
[95] Comme l’explique la SODRAC, c’est la première fois que le Tribunal se prononce à l’étape de la négociation (par opposition à celle de l’accréditation) sur un accord-cadre relatif à des œuvres préexistantes, c.-à-d. des œuvres qui ne résultent pas de la prestation de services par un artiste pour un producteur (mémoire de la SODRAC, au paragraphe 34). En affirmant que la Loi s’applique dans ce contexte, CARFAC/RAAV s’appuient sur le jugement rendu par la Cour suprême dans l’arrêt Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, [2003] 1 R.C.S. 178, et la prétendue nature « quasi constitutionnelle » de la Loi pour affirmer qu’elle s’applique malgré les conflits évidents avec la Loi sur le droit d’auteur que cela peut engendrer (mémoire de CARFAC/RAAV, au paragraphe 54) :
[traduction] Bien que l’arrêt Desputeaux découle d’un contexte différent, il confirme cependant qu’il n’y a rien de propre à la Loi sur le droit d’auteur qui la protège des répercussions d’une autre loi. Au contraire, le régime législatif adopté par le législateur prévoit que de telles questions feront l’objet de négociations malgré la Loi sur le droit d’auteur. [Non souligné dans l’original.]
[96] Ni la Cour suprême dans l’arrêt Desputeaux ni la loi en cause dans cette affaire ne reconnaissent le droit d’une association d’artistes de s’ingérer dans des transactions touchant les droits d’auteur détenus par ses membres. Toutefois, cette décision fait ressortir la distinction existante dans le monde de la création artistique entre les ententes relatives aux œuvres existantes et celles relatives aux œuvres commandées.
[97] Au Québec, deux lois régissent le statut professionnel des artistes. Celle en cause dans l’arrêt Desputeaux était la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, L.R.Q., ch. S-32.01 (couramment appelée « Loi 78 »), et l’autre est la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma, L.R.Q., ch. S-32.1 (couramment appelée « Loi 90 »).
[98] Dans la décision Writers Guild of Canada, R-41-94, on a demandé à la Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des associations de producteurs du Québec (la Commission) de définir la portée respective de ces lois (Writers Guild of Canada, aux pages 13 et 14) :
Dans le contexte de la Loi 90, c’est le producteur qui retient les services de l’artiste, en raison de son talent, en vue de créer une œuvre avec lui. Ainsi, au moment où le producteur retient les services de l’artiste, il n’existe pas d’œuvre puisque celle-ci prendra forme au fur et à mesure que diverses prestations de services seront complétées […]
Dans le contexte de la Loi 78, l’artiste crée son œuvre de sa propre initiative; personne ne retient ses services pour ce faire […], il s’agit d’une relation de nature purement commerciale, la notion de prestation de services étant complètement absente de la lettre et de l’esprit de la Loi 78. [Souligné par la SODRAC.]
[99] Cette distinction est toute aussi fondamentale pour nos fins. Lorsqu’un accord-cadre a trait à des œuvres commandées (« commissioned works » selon l’expression anglaise), aucun droit d’auteur n’est en cause puisque l’œuvre n’existe pas au moment de la signature de l’entente. Il s’ensuit que les « prestations de services » requises pour la réalisation de l’œuvre commandée et les droits d’utilisation qu’un artiste peut céder à l’égard de cette œuvre ne donnent lieu à aucun conflit possible avec la Loi sur le droit d’auteur. Je souligne que les prestations de services des artistes en vue de la production d’œuvres commandées sont une pratique courante dans le monde artistique, comme en fait foi le projet de loi 90 et la Loi elle-même laquelle s’applique aux producteurs désignés qui « retiennent les services d’un ou plusieurs artistes en vue d’obtenir une prestation » (alinéa 6(2)a) de la Loi).
[100] Des conflits avec la Loi sur le droit d’auteur surviennent lorsque l’on fait porter à des accords-cadres sur des œuvres créées autrement que dans le contexte d’une œuvre commandée, comme le Tribunal l’a fait en l’espèce.
[101] CARFAC/RAAV affirment qu’il n’y a pas de conflit avec la Loi sur le droit d’auteur puisque le Tribunal prévoyait seulement imposer des [traduction] « condition minimales » sous forme de redevances obligatoires (mémoire de CARFAC/RAAV, aux paragraphes 16 et 49). Je suis d’accord avec la SODRAC lorsqu’elle dit que toute redevance obligatoire, même minimale, est au cœur du droit d’auteur (mémoire de la SODRAC, au paragraphe 46). Exiger des artistes qu’ils imposent une redevance minimale pour l’utilisation de leur œuvre a des conséquences qui sont aussi importantes que l’imposition de tout autre redevance puisque les artistes concernés ne peuvent demander moins, même si c’est là le seul moyen pour eux d’exploiter de façon utile leur droit d’auteur.
[102] En élargissant la portée de la Loi de façon à ce qu’elle s’applique aux œuvres créées autrement que dans le contexte d’une œuvre commandée, le Tribunal a dénaturé les mots utilisés par le législateur. Aucune gymnastique linguistique ne peut servir à démontrer que les cessions de droits d’auteur constituent des « prestations de services des artistes ».
[103] Un droit d’auteur n’est pas un « service » et ce tant selon le droit civil que la common law, ou la Loi sur le droit d’auteur que selon le sens ordinaire du terme en anglais ou en français. Le droit d’auteur comporte des droits reconnus et protégés par la loi que détient un artiste à l’égard de son œuvre (article 3 de la Loi sur le droit d’auteur). Il en résulte que la cession de tels droits donne lieu à un transfert de bien. Personne ne penserait à qualifier un transfert de bien de « prestation de services ».
[104] L’analogie évoquée par mon collègue, avec un hôtel ou une agence de location d’automobiles, pour justifier l’interprétation du Tribunal tient au fait que les services fournis dans de tels cas comportent également une licence pour l’utilisation d’un bien, c.-à-d. les lieux et la chambre, pour l’hôtel, et l’automobile, pour l’agence de location d’automobiles. La difficulté en l’espèce résulte du fait que la licence concédée par un artiste à un producteur pour l’utilisation d’œuvres existantes n’est liée à aucun service.
[105] Le libellé de l’article 5, qui définit un « accord-cadre » comme un accord qui comporte des dispositions relatives aux « conditions minimales pour les prestations de services des artistes et à des questions connexes » (je souligne), peut servir à illustrer l’importance de cette distinction. Comme la SODRAC l’a fait remarquer, ces mots soulignés soulèvent la question résiduelle suivante (mémoire de la SODRAC, au paragraphe 78) :
La question se pose ici de l’inclusion dans l’accord-cadre de dispositions portant uniquement sur l’utilisation d’une œuvre qui n’est pas le résultat d’une prestation de services. En d’autres termes, est-ce que l’accord-cadre ne peut contenir que de questions « connexes » sans contenir la question principale (la prestation de services).
[106] Poser la question, c’est y répondre. Il n’existe rien à quoi puisse être reliée la cession d’un droit portant sur l’utilisation d’une œuvre, à moins que cette cession soit effectuée dans le contexte de « prestations de services », ce qui n’est pas le cas dans l’affaire devant nous.
[107] À mon humble avis, il n’y a pas de fondement rationnel pour la thèse voulant qu’en l’absence de tels services (motifs du Tribunal, au paragraphe 103) :
[…] le droit d’utiliser une œuvre existante constitue un service que l’artiste détenant le droit d’auteur […] sur cette œuvre peut fournir à un producteur. [Je souligne.]
[108] L’expression « prestations de services » a un sens clair qui, lu dans son contexte, vise la création d’œuvres artistiques pour le compte de producteurs désignés. L’alinéa 6(2)a), qui prévoit la portée de l’application de la partie de la Loi qui nous intéresse, est particulièrement révélateur à cet égard :
Application
6. (1) La présente partie lie Sa Majesté du chef du Canada. |
Obligation de Sa Majesté |
(2) La présente partie s’applique : a) aux institutions fédérales qui figurent à l’annexe I de la Loi sur l’accès à l’information ou à l’annexe de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ou sont désignées par règlement, ainsi qu’aux entreprises de radiodiffusion — distribution et programmation comprises — relevant de la compétence du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes qui retiennent les services d’un ou plusieurs artistes en vue d’obtenir une prestation; [Non souligné dans l’original.] |
Champ d’application |
[109] Dans ce contexte, il ressort qu’un « accord-cadre » prévoit l’imposition de conditions minimales pour la prestation de tels services et l’indemnisation pour l’utilisation des œuvres ainsi créées, notamment leur prêt public (alinéa 2e)). Fait important, il est possible de réaliser ces objectifs sans engendrer quelque conflit que ce soit avec les droits protégés par la Loi sur le droit d’auteur.
[110] Comme il a été mentionné, le Tribunal a tenté d’évacuer le conflit découlant de l’interprétation qu’il proposait en déclarant que sa décision ne lie pas les artistes qui sont représentés par une société de gestion collective. Toutefois, les droits d’auteur détenus par des artistes qui ne sont pas représentés méritent également d’être protégés, et le conflit à leur égard, demeure entier compte tenu du paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur.
[111] Selon cette disposition, un droit d’auteur ne peut être cédé sans autorisation écrite. Il est reconnu que CARFAC/RAAV n’ont pas obtenu une autorisation écrite des artistes au nom desquels ils prétendent agir en matière de droit d’auteur.
[112] D’après CARFAC/RAAV, le Tribunal avait le loisir de faire abstraction de cette exigence. Ils affirment que la mise en vigueur de la Loi a eu pour effet d’abroger implicitement cette exigence et vraisemblablement toute autre disposition incompatible de la Loi sur le droit d’auteur. Pour étayer cet argument, CARFAC/RAAV invoquent la position du Tribunal dans sa décision antérieure (décision no 028, aux paragraphes 49 à 53), selon laquelle la Loi a le statut d’une loi portant sur les droits de la personne comparable à celles en cause dans les arrêts Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24 (C.A.) et Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150, lesquelles l’emportent en cas de conflit (mémoire de CARFAC/RAAV, au paragraphe 40).
[113] Toutefois, comme le démontre la SODRAC, cet argument ne tient pas la route (mémoire de la SODRAC, aux paragraphes 49 à 55). Il suffit de dire que les lois sur les relations de travail auxquelles la Loi pourrait s’apparenter selon CARFAC/RAAV n’ont jamais été reconnues comme des lois quasi constitutionnelles, et la Loi ne reprend aucun des principes fondamentaux qui servent à caractériser les lois dites quasi constitutionnelles. Bref, rien ne porte à croire que la Loi devrait être interprétée comme annulant les exigences des lois conflictuelles, surtout si l’on tient compte du fait que, en l’espèce, la Loi se prête à une interprétation qui évite de tels conflits.
[114] D’ailleurs, le fait qu’aucune mesure d’harmonisation n’ait été adoptée dénote qu’aucun conflit n’était envisagé. Il est possible de supposer, sans crainte de se tromper, que de telles mesures se trouveraient dans la Loi ou dans la Loi sur le droit d’auteur ou dans les deux si les deux lois visaient les droits d’auteur, comme l’a maintenu le Tribunal.
[115] Par conséquent, je conclus que les questions de droit d’auteur, notamment l’imposition de tarifs minimums pour l’utilisation d’œuvres existantes, n’entrait pas dans les paramètres de la Loi et, partant, que le Tribunal n’avait pas le pouvoir de contraindre les parties à négocier de telles questions. Par ailleurs, le MBAC ne pouvait pas valablement conclure un accord-cadre touchant les droits d’auteur. Par conséquent, le refus du MBAC de poursuivre les négociations portant sur ces questions ne peut être attribué à un manquement à son devoir de négocier de bonne foi.
[116] Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire et j’annulerais la décision du tribunal décrétant que le Musée des Beaux-Arts du Canada a omis de négocier de bonne foi, le tout avec dépens.
La juge Trudel, J.C.A. : Je suis d’accord.